INTERIEUR Miller 24 Pages
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clmaude iller Débat animé par Yves Alion après la projection du film Garde à vue, à l’École Supérieure de Réalisation Audiovisuelle de Paris le 28 octobre 2004 Claude Miller est entré au cinéma par la cinéphilie : c’est l’admiration des œuvres d’autrui qui l’a convaincu de se lancer à son tour dans la mêlée. Depuis lors, malgré les aléas d’un box office parfois lunatique, Miller suit son bonhomme de chemin sans varier d’un iota. Son créneau : celui d’un cinéma qui parviendrait à concilier l’ouverture d’un cinéma grand public et les exigences du cinéma d’auteur, une façon de suivre le sillage de celui dont il fut le collaborateur pendant plusieurs années et dont l’influence demeure vivace, François Truffaut. Ce n’est pas par hasard s’il a repris le projet que l’auteur des 400 coups n’avait pas eu le temps de mener à bien : La Petite Voleuse . Claude Miller rechigne le plus souvent à se lancer dans des sujets originaux, préférant imprimer sa marque – toujours très personnelle – sur les histoires des autres. Ce qui ne retire rien au profond sentiment d’unicité que son œuvre fait ressentir. Le matériau du cinéaste, ce sont les frustrations, les secrets, les défaillances. Un cinéma en teintes mineures donc, mais qui nous touche le plus souvent au plus profond, y compris quand Miller pousse jusqu’au malaise l’exploration intime du psyché dérangé de ses Garde à vue personnages. Sans doute parce qu’il n’est pas possible de ne pas se reconnaître en eux. Miller, de son propre aveu, n’est pas un manique de la technique. Mais cela ne l’empêche pas de trouver de façon instinctive les moyens de faire coïncider le fond et la forme. Et certaines hésitations de la narration sont de toute évidence le reflet des hésitations de ceux à qui le film donne vie. Son cinéma est fragile, vibrant. Il nous est particulièrement cher. I Quand vous avez essayé de faire vos premiers films, après avoir réalisé des courts métrages, aviez-vous peur de ne pas être assez bon pour le métier ? C. M. : Oui, j’ai toujours eu peur, j’ai encore peur maintenant. Je faisais partie de ces cinéastes très cinéphiles. C’est-à-dire que toute ma jeunesse a été baignée par l’admiration des films, des grands maîtres du cinéma. C’est tou - jours vrai aujourd’hui. J’ai, comme vous tous, un panthéon personnel qui varie au cours des années. C’est à la fois une grande richesse personnelle, une culture et quelque chose qui m’encombre. C’était encore plus vrai quand j’étais jeune. Parce que je me disais : « Jamais je ne serai comme Fritz Lang ou Alfred Hitchcock ». Cela crée chez moi, évidemment, une peur de l’échec, du ridicule, du bide, du flop, la crainte d’être mauvais. Entretien Vous avez sur Lang et Hitchcock une supériorité : vous êtes vivant. Ce qui, pour faire du cinéma, est une condition essentielle ! Au centre, Claude Miller sur le tournage C. M. : Il se trouve que j’ai cité des cinéastes morts, mais croyez bien qu’il de Betty Fisher et Peut-être pourriez-vous commencer par décrire votre itinéraire dans la pro - y a également des cinéastes encore en autres histoires fession... (2001). activité parmi ceux que j’admire. Mais « Lorsque j’ai fait mes premiers Claude Miller : Je crois que j’ai un parcours assez classique. Je n’ai jamais voulu c’est vrai que tout cela ne m’empêche pas films, j’ai été étonné que le résultat faire autre chose que du cinéma. Quand j’étais gamin, si on me demandait : de faire des films. Il faut croire que le désir ressemble, finalement, à du cinéma. « Qu’est-ce que tu feras plus tard ? », je répondais : « Du cinéma ». Et pour d’exercer ce métier est plus fort que la moi « faire du cinéma », c’était bien sûr être metteur en scène. Mais je n’avais peur. Lorsque j’ai fait mes premiers films, Je me disais : “Cela a quand même absolument personne, dans ma famille ou autour de moi, pour me pistonner j’ai même été étonné que le résultat res - l’air d’être un film, que l’on n’est dans cette profession. Comme je n’étais pas spécialement hardi ou culotté, semble, finalement, à du cinéma. Je me pas obligé d’aimer, mais cela a l’air je n’avais pas d’autres moyens pour parvenir à mes fins que de faire une disais : « Cela a quand même l’air d’être d’être un film”. » école. À l’époque le choix était plus limité qu’il ne l’est aujourd’ - un film, que l’on n’est pas obligé d’aimer, hui. J’ai préparé le concours de l’IDHEC, l’ancêtre de la FEMIS... Pour mais cela a l’air d’être un film ». Les échecs ne m’ont jamais freiné. Je dois entrer à l’IDHEC, il fallait avoir Bac + 1, le « 1 » étant la prépara - être immodeste : il suffit que trois personnes ayant l’air sincère me disent tion au concours de l’école. Puis la scolarité elle-même se dérou - qu’elles ont aimé mon film, cela me rassure. Même si le reste de la Terre ne lait sur deux ans. Cette école avait surtout le mérite de promettre à l’a pas aimé. Cela ne résout pas l’équation commerciale. Mais si ces trois ceux qui avaient choisi « réalisation » un stage d’assistant sur un long personnes me parlent du film que j’ai voulu faire, c’est que j’ai dis des choses Annie Girardot et métrage, à la sortie. En sortant de l’IDHEC, en 1966, j’ai donc été au moins à ces trois personnes. Et puis un échec, c’est une notion relative. Maurice Ronet dans Trois chambres à Manhattan Trois Chambres à stagiaire assistant, sur un film qui s’appelait . Je J’ai fait des films, à mes débuts, qui étaient des bides noirs. Mon deuxième Manhattan de n’ai fait mon premier film qu’en 1975. Il a donc fallu dix ans, mon diplôme film, Dites-lui que je l’aime , par exemple. Marcel Carné. en poche, pour passer à la réalisation. Pendant cette période de « salarié du cinéma », si je peux appeler les choses comme cela, j’écrivais des scéna - Malgré une affiche prestigieuse : Depardieu, Miou-Miou, Dominique Laffin ! rios. Avec l’idée de passer à la réali - C. M. : Comme quoi les acteurs ne garantissent pas le succès. Mais un échec sation. J’ai d’abord réalisé trois courts n’est jamais irrémédiable. La vie des films continue. « Et pour moi “faire du cinéma”, Dites-lui c'était bien sûr être metteur en scène. métrages de fiction. Mais je n’ai pas Aujourd’hui, on me parle avec émotion de réussi à monter ni à faire produire les que je l’aime . La sortie du DVD lui a donné une Comme je n'étais pas spécialement longs métrages que j’avais écrits. seconde jeunesse. Les films vieillissent, bien ou mal, hardi ou culotté, je n’avais pas d’autres Jusqu’à La Meilleure Façon de ils peuvent être vus différemment par une nouvelle moyens pour parvenir à mes fins marcher . Le film a eu une très bonne génération. Bien sûr, un échec rend plus difficile la que de faire une école. » critique et un accueil très correct de mise en chantier du film suivant. Après un échec, les la part du public. Il devenait impen - projets sont minés, forcément. Et les obstacles sont plus sable que je retourne en arrière. Et depuis lors, bon an mal an, malgré quel - difficiles à franchir. Mais avec le temps je suis devenu Gérard Depardieu ques trous d’air, j’ai continué à faire des films. J’ai connu de gros échecs. beaucoup plus philosophe. Et je sais quand je me suis trompé. Dans chacun dans Dites-lui que Mais aussi de grands succès. Suffisamment en tous cas pour continuer à faire de mes films, il y a des séquences que je ne trouve pas réussies. Dans chacun je l’aime (1977). des films, jusqu’à La Petite Lili il y a un peu plus d’un an... de mes films. Cela ne m’empêche pas d’avancer. 2 3 Vous avez été l’assistant de plusieurs réalisateurs. Vous ont-ils regardé avec un ma femme, ma famille, mes amis, mes copains, ces risques-là, c’est qu’ils pensent que je vais autre œil lorsque vous êtes passé à la mise en scène ? en disant que je voulais être metteur en scène ! faire un film qui ressemble à un film et que je C. M. : Oui. C’est évident concernant Truffaut. J’ai fait une dizaine de films Je ne pouvais plus reculer. Même si une petite ne vais pas trop dépasser le devis initial. Et ils avec lui. J’ai travaillé sur tous ses films entre Baisers volés et L’Histoire d’Adèle voix en moi me disait : « Tu es fou, est-ce que tu ont raison : je ne suis pas irresponsable sur ce H. Ce qui inclut notamment L’Enfant sauvage , La vas être capable de le faire ? ». Je ne pensais pas plan-là, je n’ai pas la réputation d’avoir ruiné Sirène du Mississippi et Domicile conjugal . Mes rap - que j’étais capable de le faire, je pensais que qui que ce soit. ports avec François Truffaut étaient excellents. S’il me j’allais me planter. Évidemment, la veille du tour - reprenait de film en film, c’est qu’il trouvait que je nage, je n’ai pas dormi de la nuit.