<<

Document généré le 1 oct. 2021 06:12

Nuit blanche

Bande dessinées Commentaires

Numéro 6, printemps–été 1982

URI : https://id.erudit.org/iderudit/20946ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s) Nuit blanche, le magazine du livre

ISSN 0823-2490 (imprimé) 1923-3191 (numérique)

Découvrir la revue

Citer ce compte rendu (1982). Compte rendu de [Bande dessinées : commentaires]. Nuit blanche, (6), 52–55.

Tous droits réservés © Nuit blanche, le magazine du livre, 1982 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ BANDES DESSINÉES

Une héroïne pour pas imposer par la gent mas­ et bien dosés. Une douzième petite fille moderne culine que ce soit sur terre, aventure de Yoko vient de sous terre ou dans l'univers paraître chez : La Ingénieur en électronique, des planètres inexplorées. proie de l'ombre. ceinture noire en Aikido, et Spirou n'ont qu'à Lisez . sportive à l'esprit scientifi­ bien se tenir: les héroïnes de Vous en ferez sûrement, que, elle se tire des situations B.D. des années 80 ont cessé comme de plus en plus d'en­ les plus périlleuses avec une de jouer à la poupée! fants et, je le confesse, assurance de héros che­ Leloup a fait ses clas­ comme moi, votre héroïne vronné. Il s'agit bien sûr de ses avec Hergé et possède préférée de bandes dessi­ Yoko Tsuno, cette petite aujourd'hui une trentaine nées. Et puis rien ne vous héroïne japonaise née de la d'années d'expérience. empêche de prétendre que plume de . C'est un maniaque de la vous l'achetez pour votre Personnage humaniste, recherche, de la minutie, du fille... idéaliste, courageux et doté dessin précis. Ses scénarios, Raynald St-Hilaire d'un excellent sens de l'hu­ sans révolutionner la mour, Yoko ne s'en laisse science-fiction, sont solides

IDÉES NOIRES rale, l'avait invité. On pour­ pris pour les faibles, un André Franquin rait savamment commenter amour immense pour les Fluide Glacial, 1981 ce nouvel album mais à quoi bêtes et un mépris total pour 10,95$ bon: lire Idées noires c'est les chasseurs, une haine Il y avait Spirou et Fantasio, comprendre et ressentir, le implacable envers les mili­ et Champignac, et tous les rire devenant rictus grima­ taires de tout acabit, et puis autres personnages qui nous çant, l'angoisse lovée en la mort qui est partout, un ont fait rêver. U y avait le pleine poitrine. Franquin tel a parié qu'il mourrait Marsupilami, une des créa­ nous a eus, certains diront «pendu et noyé dans un acci­ tures les plus extraordinaires qu'il n'avait pas le droit dent de voiture», le chan­ de toute la bande dessinée, d'être si méchant (c'est le cas ceux il a gagné. Un autre et les extravagances de Gas­ de , par exemple, qui s'immole par le feu sur la ton Lagaffe, dans un uni­ déplore naïvement cette place publique: tête des pas­ vers débordant d'humour et mauvaise période...) sants scandalisés par ce gas­ pillage d'essence. Les hom­ de tendresse. Et puis tout a C'est le même Fran­ été dit sur Franquin, sur son mes sont petits, tout petits et quin, mais il nous a livré le tout mesquins, et Franquin humour pétant de santé (on négatif de la photo, l'envers rit fort pour le vrai, oui! a décidé de le montrer, en de son âme. Dès le début, allant où siègent les mons­ oui!), sur son dessin souple, page 7: un gros bonhomme, nerveux et vivant, sur son tres avec plein de tentacules probablement cousin du visqueuses, de grandes dents influence, Gotlib n'hésitant célèbre De Mesmaeker, pas à le qualifier de plus et d'yeux qui pendent hors vient voir le prototype d'une des orbites. grand auteur de BD au nouvelle chaise. Présenta­ monde. tion de contrats, il essaie la Franquin a frappé Mais Franquin n'avait chaise, tout est clair, on partout. C'est tellement pas tout dit. Une profonde retrouve les bureaux de la bien dessiné qu'on respire remise en question (et rédaction où sévit Gaston, et un grand coup et qu'on puis crac, le prototype n'est essaie de continuer. C'est paraît-il une sérieuse mala­ pas au point, le bonhomme die), et apparaissent les idées drôle et ça fait mal, il me est transpercé à mort par le semble tout à coup avoir noires. On pourrait retracer poteau central de la dite ce qu'il y avait déjà de besoin d'air et de tendresse: chaise. C'est tout, six cases et si Franquin nous aidait à «noir» dans certaines plan­ dépouillées, c'était donc ça? ches antérieures, on pour­ être meilleurs? rait suivre cette évolution de Et ça continue, et c'est Paul Cauchon Spirou au Fluide Glacial où un chef-d'oeuvre. Il y a des Gotlib, à la surprise géné­ constantes: un certain parti

52 BANDES DESSINÉES

LE CHIEN DEBOUT moraux (ne serait-ce que très influencés par le Sokal l'aspiration à la pureté origi­ cinéma: utilisation particu­ , 1981 nelle de Fernand dans la der­ lièrement efficace du gros 8,95$ nière page), la psychologie plan, abstraction du décor des personnages bien cam­ pour accentuer l'intimité des C'est construit comme un pée, mais c'est au niveau du personnages dans certaines bon roman policier: Fer­ dessin qu'on doit applaudir scènes à deux, répétition des nand, le chien errant, Soka des deux mains. images pour faire ressortir la revient au village retrouver durée, etc.. sa Gilberte. Mais Gilberte Le décor d'abord: est morte et Fernand, en nature réaliste, tourmentée, En somme, une bonne cherchant à éclaircir le intérieurs sordides et obs­ bande pour qui aime les mystère de sa mort, décou­ curs, un pays enfin dont on bons films et les bons vre et anéantit le repaire peut croire qu'il y pleut six romans policiers. On peut d'un savant fou qui greffe jours sur sept. Même les regretter que le méchant ait aux animaux des prothèses clairs de lune sont un lourd accent allemand, lui permettant d'en faire des effrayants, à cause des éclai­ que les femmes aient des robots à son service. Pour rages froids et des ombres rôles de victimes, mais nul couronner le tout, une chute inquiétantes qu'ils engen­ ne peut être parfait. inatendue et absurde com­ drent. D'ailleurs, il y a tou­ Françoise Paul me la vie. jours des nuages noirs autour de la lune. Le scénario est bon, l'histoire pleine de rebondis­ Le découpage et la sements et d'enseignements mise en plan des images sont

POUR TROIS GRAINES général les scénarios du L'univers du Vagabond des D'ÉTERNITÉ Vagabond des Limbes sont Limbes est dur, cruel, Godard et Ribera riches, mais avec celui-ci, fourbe et inquiétant. La Éd. Dargaud, 1981 Godard atteint véritable­ haine le remplit presque. 5,95$ ment un sommet dans cet art Axle traîne avec lui un Un dessinateur espagnol, un difficile qui consiste à créer implacable désir de mort qui scénariste belge et une publi­ des rêves. Le Vagabond des paradoxalement contreba­ cation française, voilà un Limbes raconte aussi l'ami­ lancera cet amour démesuré mélange bien particulier tié d'un homme et d'un ado­ pour un rêve. Il y a aussi celui du Vagabond des Lim­ lescent qui pourra, au avant tout cette quête éter­ bes. J'ose ici affirmer (et il moment voulu choisir de nelle de l'homme vers son faudra me prouver le con­ déterminer son propre sexe unicité originelle brisée. traire) que cette série de et de commencer à vieillir. Ainsi, comme il fallait s'y Pour trois graines science-fiction est la meil­ d'éternité, 8e album de la leure d'Europe et peut-être attendre, Musky le petit clown, comme le surnomme série, où tout chavire: la rai­ du monde. Godard a d'ail­ son, l'histoire et même l'im­ leurs reçu deux prix d'im­ affectueusement Axle, deviendra graduellement possible. Un être parvient à portance pour la valeur de s'infiltrer dans les rêves et ses scénarios dans cette une jeune fille, à l'insu du naïf Axle. devient ici le mal incarné, le série. Axle Munshine, sur­ profanateur qui entraînera nommé le Vagabond des Nous serons alors Axle jusqu'au désespoir de Limbes fantastique person­ témoins de l'amour sans la mort. Un album qui nous nage mi-fou, mi-sage, pour­ espoir de Musky pour cet permet d'apprécier encore suit à travers l'univers homme si compliqué et si une fois le dessin fonction­ l'image d'une femme aper­ torturé qu'est Axle Muns­ nel de Ribera et le génie de çue en rêve et prénommée hine. Pendant ce temps, Godard Chimer. Dans le but de l'at­ Axle refuse carrément la teindre, Axle enfreindra réalité et préfère se réfugier Raynald St-Hilaire tous les tabous et toutes les dans les rêves où il retrouve lois intergalactiques. En la fantomatique Chimer.

54 BANDES DESSINÉES

LE BAR A JOE forme d'humour baroque et n'y a rien à gagner, tous ont José Munoz et Carlos tragique. Le véritable trop souffert, ne reste que Sampayo «héros» de cet album c'est la le bar, un phare dans la nuit Casterman, coll. (À foule, la foule dans la ville, sur lequel les vies anonymes suivre), 1981 qui permet tous les excès et viennent se réchauffer, se 12,95$ toutes les défaites. Le bar briser. Munoz et Sampayo sont n'est qu'un prétexte pour C'est une oeuvre éton­ deux Argentins qui se sont explorer chacune des défai­ nante, où l'expressivité du rencontrés en Europe et qui tes individuelles prises au dessin de Munoz tient une travaillent ensemble depuis hasard dans cette foule: il y a grande place, avec ses visages sept ans. Le bar à Joe, leur le boxeur déchu, l'élégant mangés par les traits noirs, troisième album paru, bourgeois qui se fera assassi­ ses corps écrasés par les mas­ explore un genre peu traité ner, le jeune juif obèse en ses sombres, ses plans angu­ en BD: la nouvelle. Cinq his­ quête d'amour qui tuera son leux et ses lumières trop vio­ toires différentes où les per­ père atteint de cancer. Il y a lentes. Ce dessin réussit à sonnages circulent à un Pepe, architecte immigrant faire une fête là où ce qui est moment ou l'autre dans ce en chômage qui nettoie les dit est d'une profonde tris­ bar de New York, un des toilettes chez Joe et il y a tesse. Munoz et Sampayo « 150 mille bars avec ce nom- Ella, photographe obsédée s'imposent ainsi comme là en Amérique», comme le par la maladie qui fixe sur sa deux auteurs accomplis, qui fait remarquer un dés per­ pellicule l'étrange existence se servent de la BD pour sonnages. de tous ces inconnus qui exprimer en toute complicité l'entourent, comme pour leur vision d'une insuppor­ Munoz et Sampayo attraper un réel qui lui table réalité. La suite est sont Sud-Américains: cela échappe, d'où elle se sent attendue avec impatience... explique peut-être cette exclue comme les autres. Ils atmosphère de douleur, de sont perdants, parce qu'il Paul Cauchon misère et de violence, et cette

LA TOUR DE BABEL tes. Si je vous disais qu'il sexualité. La Tour de Babel travaille parfois à l'échelle et nous permet de découvrir les DE BABEL Éd. Casterman, 1981 que l'on peut aller jusqu'à se belles villes de Jérusalem et 6,95$ fier aux dimensions des édi­ de Babylone. Alors, si vous Hergé a eu plusieurs élèves: fices, à la largeur des voies n'aimez pas ce dernier Alix, , Roger Leloup romaines et même aux la preuve sera faite que je ne et surtout Jacques Martin, motifs ornementaux de connais absolument rien à la créateur de la superbe série l'époque! Martin se classe bande dessinée... Alix. Ces aventures se pas­ parmi les grands tels Hergé Raynald St-Hilaire EST^ et Jacob. Ses scénarios sont sent dans l'Antiquité, et je vous affirme que cela n'a d'une richesse incroyable, le uaaaaafl découpage d'une précision à rien à voir avec le hasard. Nouvmuté* Jacques Martin est un véri­ rendre jaloux un horloger I "*"' table spécialiste de cette épo­ suisse. Son dessin, quoique ACHILLE TALON ET LA LOI que, et il pourrait sans doute un peu figé, est beau, très DU Bl m »Mt l l en remontrer à plusieurs beau: chacune de ses cases Greg professeurs d'histoire. C'est semble être une gravure Dargaud d'époque. Que dire de plus? PHILEMON, LE SECRET DE aussi un maniaque du détail, FÉLICIEN un minutieux qui travaille Que chaque album — et Fred même à l'occasion d'après celui-ci ne fait pas exception Dargaud — est un témoin, une fres­ maquette. Comme chacune L'INCAL LUMIÈRE des aventures d'Alix que historique, un compte Jodorowski el Moebius demande une somme colos­ rendu sociologique. On y Humanoides associés sale de recherches histori­ traite de guerres, de reli­ UN OPÉRA DE PAPIER Us ques, Martin est assisté gions, d'alimentation, d'es­ mémoires de Blake el Mortimer clavage et même d'homo­ E.P.Jacob d'une équipe de recherchis- Gallimard

55