682 GRATUIT mprimatur JANVIER 2014 I Journal école de l'institut de journalisme de Bordeaux Aquitaine BORDEAUX PREND L'EAU

SOTCHI DILEMME OLYMPIQUE BORDEAUX LES 70 ANS DE LA RAFLE SHANGHAI L'AUTRE NOUVEL AN 2 • ÉCONOMIE IMPRIMATUR No 682 • 23 JANVIER 2014 Sommaire ■■2 RIVE DROITE ce que le tram a changé RIVE DROITE : ■■4 JOURNALISTES faites vos jeux ■■6 JANVIER 1944: rafle à Bordeaux CE QUE LE TRAM ■■8 DUEL FRATRICIDE au P.S de Langon ■■9 SOLEIL NOIR sur l'Espagne ■■10 SHANGHAI A CHANGÉ sur son 31 Propos recueillis par Anthony Michel ■■13 LE JOURNAL au bus pour 63 % d'entre de 1914 Le 21 décembre 2003, par exemple la trans- eux. En 2012, l'objectif ■■14 JUPPÉ EMPORTÉ un tramway de la ligne A formation de l’ancienne semble atteint. La ligne par les eaux fait le plein de passagers caserne des pompiers, A, à elle seule, transporte ■■17 4L, 2 FILLES et effectue sa première réhabilitée en pépinière 30 millions de voyageurs ■■18 VISITE POUR TOUS traversée de la Garonne. éco-citoyenne. Dix ans par an. Imprimatur profite du Bordeaux gay Soutenu par Alain Juppé, plus tard, le tramway de cet anniversaire pour ■■20 CATHERINE MARNAS le projet accompagne bénéficie d'une grande interroger les habitants son projet pour le TnBA une volonté de dévelop- popularité auprès des uti- de la rive droite et savoir ■■21 BORDEAUX ROCKS per le quartier Bastide –la lisateurs de transports en comment ils vivent ce ■■22 RUE 89 rive droite de la ville- avec commun qui le préfèrent bouleversement majeur. débarque à Bordeaux ■■23 LES SÉRIES font leur rentrée ■■24 HUGUES MARTIN la voie loyale Journal école de l'Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine Fondateur : Robert Escarpit Directeur de la publication : François Simon Directeur de rédaction Jean-François Brieu Directeur artistique Cyril Fernando Rédacteurs : Aline Combrouze, Matthieu Delmas, Eléanor Douet, Viktor Frédéric, Eléa Giraud, Damien Gouteux, Damien Gozioso, Elise Henry, Maria Laforcade, Adèle Latour, Marine Le Gohébel, Anthony Michel, Kévin Morand. Illustration de couverture : Pauline Bonnin Contact : [email protected] 05 57 12 20 20 Impression : PDG - Bordeaux ijba.fr 3

François Gendre revanche, pour les sujets chauds, c'est plus compliqué, c'est vrai. conseiller en immobilier Néanmoins, il faut dire que l'image de ce quartier change et le tramway y participe. Ça va avec la politique de la ville. » « Aujourd’hui, les gens cherchent à s’installer rive-droite, mais à condition de trouver quelque chose qui soit proche du tramway. Carmen Ça leur permet de s'offrir des biens 10 à 15 % moins chers qu'en maman et shoppeuse centre-ville. Lorsqu'un logement est proche du tram, nos estima- tions de prix augmentent. Pour ce qui est de la voiture individuelle, « Personnellement, je m'en sers pour rendre visite à ma fille. Là, c'est vrai que l'arrivée du tram a réduit le nombre de places de sta- je vais prendre la ligne A pour aller faire mes courses à Meriadeck. tionnement. C’est devenu difficile pour les gens de s’arrêter et ça J'habite au centre et grâce au tram, je peux traverser la ville en un pose problème aux commerçants. C’est ça, le tram, des avantages clin d'œil. Bordeaux est bien desservie par les transports en com- et des inconvénients. » mun, c'est pratique pour les gens comme moi et pour les étudiants comme ma fille ». Laetitia Anna nouvelle étudiante en Sciences-Politiques à Bordeaux IV vendeuse en prêt à porter « J'habite dans la résidence étudiante Cœur de Bastide qui se situe « J'ai connu ce quartier avant l'arrivée du tramway et c'était la à côté de l'arrêt Jardin Botanique et je suis inscrite en fac à Pessac. catastrophe. Quand je le vois maintenant, je me demande com- J’ai donc 30 à 40 minutes de trajet. C'est sûr que sans le tram, ment on faisait avant. J'habite à Saint-André-de-Cubzac, à 40 kilo- je n'aurais jamais choisi d’habiter ici. Mais je dois dire que j’en ai mètres de Bordeaux, je gare ma voiture au parc-relais de Galin et assez des pannes et autres problèmes techniques presque tous les je prends le tram jusqu'au centre-ville. C’est un choix, un sacrifice jours où je dois finir le reste du chemin à pied. Et le soir, les wagons nécessaire quand on veut continuer de vivre à la campagne ». sont pleins, on attend longtemps et on se fait aborder par des gens bourrés. Le soir, le tram, pour une fille seule, c'est non ! » Leila employée au bar l'Alcazar Stéphanie Brossard journaliste à France Bleu Gironde « Nous avons aussi fêté nos 10 ans, au bar, et il faut avouer que les gens traversent plus volontiers la Garonne pour venir jusque chez nous « Nos locaux ont migré rive droite il y a 6 mois. On s'attendait à de depuis que le tram existe. Personnellement, je l'utilise tous les jours grands ajustements côté transport, mais finalement, ce n'est pas si pourr alle travailler, mais c'est vrai que je n’ai pas encore le réflexe de ingérable. Ça demande plus d'organisation et plus d'anticipation, me rendre rive-droite pour sortir le soir. Le tramway donne de la vie à c’est tout. On n'est qu'à 10 minutes de la mairie par exemple. En la place Stalingrad, c'est un vrai plus pour les restaurants et les bars » Anthony Michel 4 • DÉBATS IMPRIMATUR No 682 • 23 JANVIER 2014

JOURNALISTES,

FAITES VOS JEUX Alexei Nikolsky/AFP

Dans quelques jours, Sotchi accueillera les JO d’hiver.Vladimir Poutine a aucun journaliste ne sera présent sur le terrain. Cette absence de reporters réussi son coup. Malgré les critiques, les journalistes couvriront l’événe- sur place risque de causer d'autres ment. Impossible pour eux de ne pas aborder les questions politiques qui difficultés : il sera impossible pour les se posent dans le pays, même si les autorités russes veillent. rédactions de choisir les sujets qui seront traités. Les problèmes quoti- diens de la société russe ne seront our ces XXIIème JO d’hiver, Par Viktor Frédéric et Damien Gozioso perçu qu’indirectement : « On se fiera Poutine a mis le paquet. à l’AFP et peut-être à des journalistes Avec 49 milliards de dollars, tique Mikhaïl Khodorkovski, ainsi que listes aussi. Mais avec quelle volonté indépendants », confie Alain Gou- ce sont les Jeux les plus les deux dernières Pussy Riot encore de leur part de parler des problèmes jon, chargé des sports olympiques à chers de l’Histoire. Le maître sous les verrous, et assure à qui veut extra-sportifs ? Sud Ouest. Pas question pour autant Pdu Kremlin a décroché pour son pays l'entendre que les droits des gays Une question légitime lorsqu’on se d'abandonner ces sujets : « Il n’y a une audience internationale. C’est seront respectés. L'opération séduc- rappelle à quel point les contesta- pas de journalistes sportifs, nous une occasion immanquable pour lui tion est lancée ; elle obtiendra des tions s'étaient tassées en 2008 dès sommes des journalistes avant tout et de célébrer sa grande Russie. C’est résultats. le début des très controversés Jeux nous traitons de tout », assure Gou- en 2007 que le site de Sotchi est de Pékin. Suivant les médias, les avis jon. Pour lui, impossible de passer à retenu par le CIO pour organiser ces DES MOYENS LIMITÉS divergent sur la manière d'aborder côté des problèmes d’une Russie qui olympiades. Les autorités se lancent Le principe 6 de la Charte ces questions. La position bafoue les droits des individus. alors dans des travaux d'ampleur… Olympique est clair : de la presse quoti- stalinienne. Elles bâtissent – ex-nihilo « Toute forme de dienne régionale PEINE PERDUE – un complexe hivernal au bord des discrimination Impossible est délicate. À France Télévision, le discours n’est eaux de la mer Noire. Le symbole de à l’égard d’un Seul le groupe pas le même : « Comme toujours cette Russie forte est pourtant rapide- pays ou d’une de passer à côté de presse autour de ce genre d’événements, ment contesté. L'existence de camps personne EBRA, en il y a des problèmes politiques sur de travail pour prisonniers politiques, fondée sur des problèmes situation place. Nous, on ne vient pas pour les les lois contre la « propagande » ho- des consi- de quasi- régler, nous ne sommes pas les dé- mosexuelle sont autant de raisons qui dérations d’une Russie qui monopole fenseurs d’une cause, nous sommes poussent l’opposition russe à appeler de race, de dans le des observateurs », explique Lionel au boycott. Obama ne se rendra pas religion, de bafoue les droits grand Est Chamoulaud. En plateau, il aura la à Sotchi, il enverra une militante des politique, de de la France, tâche d’assurer le relais entre les droits homosexuels. Viviane Reding, sexe ou autres des individus. envoie sur épreuves à l’antenne, et d'animer les vice-Présidente de la Communauté est incompatible place deux jour- temps morts. Bien sûr, France Télévi- européenne, boycottera aussi la céré- avec l’appartenance nalistes chargés sion a prévu de parler des questions monie. La Russie, consciente de se au mouvement olym- d’approvisionner la extra-sportives. « L’avantage d’un trouver sous haute surveillance, tente pique ». Du coup, Poutine n’y dizaine de quotidiens du groupe comme France TV, c’est qu’il de faire bonne figure. En à peine six coupera pas, les athlètes gays parti- groupe, Le Dauphiné Libéré et L'Est y a plusieurs types de journalistes et mois, le pays a libéré l'opposant poli- ciperont aux épreuves. Les journa- Républicain en tête. Pour les autres, des formats comme le 13h ou le 20h 5 qui permettent de traiter toutes les première chose qu’on va aborder. Les fois là-bas, de discuter », tranche Cha- journalistes risquent d'être bridés et problématiques ». Pas de mélange organisateurs connaissent les sujets moulaud. Le 6 février, Sotchi sera le « escortés » de très près, sous cou- des genres donc, mais pas question qu’on veut traiter, Poutine en profite centre de toutes les attentions. C'est vert d'assurer leur sécurité dans un non plus d'éluder les critiques. Cha- pour lâcher du lest et voilà ! ». Un promis, la presse sera libre, indépen- contexte explosif. Et puis, pas sûr que moulaud l’assure : « Si un organisa- boycott« ? Ce n’est pas la solution. dante, critique. Un serment promet- les critiques venues de France fassent teur dit "ne parlez pas de ça", c’est la Le mieux est d’aller sur place et une teur, qu'il faut mettre à l’épreuve. Les sourciller le « tsar » Poutine. G INTERVIEW Benjamin Macé, natif de Bordeaux, représentera la France à Sotchi lors des Benjamin Macé épreuves de patinage de vitesse sur 1000m, 1500m et lors de la poursuite par équipe. Faute de moyens, il s’exile en Hollande, contraint de s’entraîner hors de toute structure nationale. Il porte un regard assez distant sur les querelles extra-sportives à l’approche des JO. de faire la démarche et comme avant tout sportif. En France, à ma ne faut pas tout mélanger. D’au- je n’ai pas forcément le temps, connaissance, pas grand monde tant plus que c’est la pire option, ce n’est pas les sujets auxquels chez les sportifs n’a trop parlé de puisqu’à l’arrivée on n’affichera je prête le plus attention. Ça a tout ça... En revanche, quand je vois même pas notre mécontente- l’avantage de ne pas me pertur- François Hollande et le Président al- ment sur place. Pour revenir au ber, je suis focalisé sur mes ob- lemand qui annoncent qu’ils n’assis- domaine sportif, boycotter, c’est Toutes les questions politiques jectifs et c’est mieux comme ça. teront pas aux Jeux, pour moi, c’est totalement inenvisageable pour autour de Sotchi sont-elles plus un manque de respect envers moi. Dans notre discipline, on perturbantes pour votre Certains sportifs ont prévu de préparation ? les sportifs de leur propre pays n’est médiatisé qu'une fois tous manifester leurs désaccords qu’un quelconque signe de défiance les quatre ans, c’est juste impos- Je n’y fais pas attention. En plus, avec les autorités russes, c’est envers Poutine ou la Russie ! sible d’imaginer ne pas y aller. le rôle d’un sportif selon vous ? je m’entraine en Hollande, je ne Gâcher notre seule vitrine pour Le boycott n’est donc pas parle pas du tout le hollandais, je Honnêtement, pas de mon point des « histoires stupides », ça n’a une solution ? ne comprends pas les JT ! Si je de vue. À mon avis, chacun se pas de sens ! G veux rester informer, c’est à moi concentre sur son objectif qui est C’est complètement ridicule, il Propos recueillis par Damien Gozioso

Le 17 octobre 1968 à Mexico, Tommie Smith et John Carlos entrent dans l'Histoire. Ils copient le signe de ralliement des Black Panthers en signe de protestation contre la ségrégation raciale aux États-Unis et RÉTRO deviennent le symbole de toute une lutte.

ne foule compacte Par Viktor Frédéric s’étouffent brutalement. C’est los adopte la même posture occupe les travées l’instant tant attendu. La solennelle. Le silence est total. d’un stade plein nie commence. « Premier Bannière Etoilée, l’hymne Le drapeau américain désormais à craquer. L'am- et champion olympique, américain, va résonner. hissé flotte paisiblement dans biance est pesante. Tommie Smith, États- Smith fixe son regard le ciel mexicain. Les premières UL'excitation du public se mêle Unis ». Le moment est venu. vers le sol. Ses bras sont notes retentissent. D'un geste à la moiteur de l'atmosphère. À l'annonce de son nom, le serrés le long de son fluide et décidé, les deux ath- Impossible d'oublier combien nouveau champion olympique corps, ses poings sont lètes américains brandissent leur l'événement est important. s'avance vers l'estrade. 19 fermés, comme au poing ganté en direction du ciel. Au centre de la pelouse, trois secondes 83 lui ont suffi pour garde-à-vous. Dans Ce jour-là, ils défient l'Amé- silhouettes se distinguent, avaler les 200 mètres, il lui en son dos, John Car- rique. G puissamment éclairées par faut une de plus pour bondir les nombreux spots qui sont sur la plus haute marche du pointées sur elles. Malgré leur podium. La foule exulte, Tom- carrure imposante, les trois mie est sur le toit du monde. athlètes n'ont pas l'air rassuré Un officiel s'avance et orne à l'idée de gravir ce podium d'une breloque dorée le cou qui se dresse devant eux. Ils du champion. Lorsqu'il se re- se dandinent, ne tiennent pas dresse, une émotion en place. Cette boîte blanche intense s'affiche floquée de grands chiffres sur son visage. noirs leur semble un som- Le temps de met, l’Everest des podiums. balayer l'assem- Les deux coureurs américains blée d'un regard échangent un rapide regard, ému, John Car- comme pour se donner un los le rejoint. peu de contenance. Les haut- Une plaque de parleurs du stade crachent les bronze brille premiers mots du speaker, ten- sur son torse. tant péniblement de couvrir le Les cris et les tumulte en tribune. La cérémo- acclamations pds209 6 • GRAND ANGLE IMPRIMATUR No 682 • 23 JANVIER 2014 JANVIER 1944 : RAFLE À BORDEAUX

La plupart des déportés qui ont Richy Vanesio quitté Bordeaux le 12 janvier pour Drancy ont péri dans le camp d'Auschwitz.

C'était il y a soixante-dix ans. Les Allemands décident d'une rafle contre les juifs de Bordeaux et de sa région, à laquelle des Français vont collaborer. Récit de ces deux jours où on a conduit des juifs - français pour la plupart - vers la mort.

ercredi 12 janvier Par Kévin Morand sont transférés à la synagogue le avec l'Occupant les modalités de 1944, 15h52. Un lendemain, parmi les autres mal- la collaboration de la police fran- train quitte la gare que les juifs restants sont sur- heureux arrêtés cette nuit-là. C'est çaise, est limogé. Il est remplacé, Saint-Jean, à Bor- tout français. Ce sont quelques un cas unique de regroupement à la demande des Allemands, par deaux. 317 juifs heures de gagnées sur l'horaire dans un lieu de culte israélite, Joseph Darnand qui collabore à la Msont entassés dans ses 24 wagons initial, qui permettent certaine- pillé auparavant. 462 personnes traque des juifs et des résistants dépourvus du plus modeste amé- ment à des familles d’échapper à sont arrêtées dans Bordeaux et avec sa Milice. Le même Darnand nagement. Avec une destination : l’arrestation, pour cette fois. sa région. Et un seul « incident à avait été nommé Obersturmführer Drancy, qui ne sera pour la plupart déplorer » d'après les autorités : la de la Waffen-SS l’été précédent. qu'une étape de quelques jours REGROUPÉS À LA SYNAGOGUE tentative de suicide d'un mutilé de La rafle de janvier 1944 pourrait avant Auschwitz. Le drame de ces Il est 23 heures, quand Lucien 48 ans à Arcachon. être un test pour la préfecture de déportés s'était joué deux jours Dehan, du Commissariat aux Pourquoi une telle action anti- la Gironde, pas réputée pour être plus tôt. questions juives, se présente juive ? Pourquoi à ce moment- des plus « efficaces » dans la col- 12h30, le lundi 10 janvier : l'inten- au domicile d’André Torrès*, rue là ? Plusieurs facteurs jouent en laboration. À la suite de la rafle, dant régional de Police Duchon Tombe-l'Oly, près défaveur d’une dans son rapport, le préfet note se voit remettre une note par les de la Victoire. Avec communauté que « la police d'État perdra un Allemands. Elle prescrit l'arres- sa mère Yvonne, "Saisir tous les déjà décimée peu du crédit dont elle jouissait tation de juifs dès 20 heures, le Torrès est conduit dans la capitale auprès de la population, hostile soir-même. Toute la journée, les à la Synagogue de Juifs restant girondine. On à toute action menée contre des fonctionnaires bordelais de Vichy la rue Sainte-Ca- retrouve dans personnes n'ayant commis aucun en appellent à leurs supérieurs therine, désignée encore, sans les instructions délit », que c'était une participation pour la conduite à adopter. Par- comme lieu d'in- allemandes le de la police « à contrecœur », et mi ces hauts-fonctionnaires, le ternement. Leurs considération signalement du que ça a suscité une « émotion secrétaire général de la préfec- gardes sont alle- Grand Rabbin vive » en ville. ture, Maurice Papon. À 21h05, mands, et français. d'âge" de Bordeaux Joseph Darnand, le dirigeant- 3 heures du matin, Joseph Cohen. UN PETIT VEL'D'HIV' fondateur de la Milice, finit par rue Veyrines, tou- Cette figure Deux jours durant, les juifs arrêtés signifier au nom de l’État fran- jours dans le quartier de la Vic- tutélaire des juifs bordelais, long- sont confinés entre les murs de la çais « qu'il convient de ne pas toire. Quatre feldgendarmes tirent temps confiant en l'administration synagogue et contenus derrière différer davantage l'exécution » Marcelle Renouil* de son som- vichyssoise, fuit le 17 décembre des barbelés. Des infirmières de d’un ordre émanant des autorités meil. On la fait monter dans un 1943. Les derniers événements la Croix-Rouge sont là pour leur allemandes, « étant donné que camion militaire, qui s’arrête aux lui avaient donné tort, les rafles venir en aide. Voire plus, comme l'opération devra être réalisée en portes de toutes les familles juives concernent désormais tous les mademoiselle Descoubès. Elle dis- tout état de cause ». Les policiers du quartier figurant sur leur liste. juifs, français compris. Son arres- simule à la vigilance des vigies le et gendarmes français doivent y D’abord internée à la caserne tation est « dans tous les cas né- petit Boris Cyrulnik, âgé de 6 ans, prendre part. Il faut « saisir tous Boudet, elle y retrouve plusieurs cessaire ». Il réussit à se cacher arrêté sur dénonciation d'un voisin. les Juifs restant encore, sans membres de sa famille, dont sa jusqu'à la Libération. Ce fils de juifs immigrés d'Europe considération d'âge ». Une rafle, grand-mère aveugle, ou deux Par ailleurs, en décembre 1943, centrale, devenu psychiatre et au- donc. Les tergiversations, voire cousines germaines, pourtant le secrétaire général de la Police, teur réputé, échappe une première les réticences, viennent du fait catholiques puisque baptisées. Ils René Bousquet, qui avait négocié fois à la déportation avec ses pa- 7

3 QUESTIONS À... CAROLE LEMÉE JANVIER 1944 : Docteur en anthropologie sociale et culturelle, Carole Lemée est Mémorial de la Shoah commissaire de l’exposition évoquant la déportation des juifs du convoi du 12 janvier 1944.

Qu’allez-vous présenter pour rité, c’est que la synagogue cette nouvelle exposition ? La synagogue profanée en décembre 1943 En tant qu’anthropologue, RAFLE À BORDEAUX de Bordeaux, a servi de lieu d’internement c’est le vécu de cette pé- profanée, a servi de dans l’objectif de former un riode qui m'intéresse. L’ori- lieu d'internement convoi de déportation. Mais ginalité de cette installation pour les juifs arrêtés c'est le panorama entier des est qu’elle rassemble des pendant la Seconde situations que j'essaie de archives institutionnelles Guerre mondiale. montrer. Tous ceux qui ont et des archives familiales été arrêtés n’ont pas été très intimes. Les victimes déportés. Il faut parler d'ar- en question ont souvent restations, au pluriel, car 46 rents en 1942. Ils l'avaient confié à tialement voués au transport de été spoliées de leurs biens. localités sont concernées, son institutrice, Marguerite Farges. bestiaux. La déshumanisation est Je ne leur ai rien demandé, et d'internements car il n’y “Depuis que je suis chez Margot, je déjà en marche. Pas de banc, pas elles me confient parfois a pas eu un lieu unique. ne suis plus juif”, dit-il à celle qui l’a de paille, seulement deux seaux tout ce qui leur reste de Et puis Il y a eu des libé- sauvé ce jour-là de la déportation. « hygiéniques » : les conditions cette époque. C’est le cas rations, même si c’est une Comme au Vel'd'Hiv' - à une toute sont similaires à celles que la d’André Torrès par exemple. part infime. Il y a eu des dé- autre échelle - on imagine aisé- plupart des déportés connaîtront Il m’a fait parvenir l’été der- placés vers le camp de Méri- ment l'air rendu irrespirable, les le 20 janvier, jour de départ du nier sa carte de déporté. gnac. Pour les 385 déportés crises de certains dont les nerfs convoi n°66 de Drancy, ou dans à Drancy, on retrouve égale- lâchent, les gardes allemands des convois suivants. La destina- Pourquoi précisément ment plusieurs situations. aux coups faciles. Un rapport des tion finale est Auschwitz. La sy- s’être focalisée sur ce renseignements généraux signale nagogue n'était qu'une première convoi ? A qui s'adresse cette qu’une fois connue la nouvelle de antichambre vers les camps, vers Ce convoi est l’avant-der- installation ? la rafle, « une foule de curieux une mort quasi certaine. nier qui est parti de Bor- C’est le Consistoire qui m’a est venue stationner devant la André Torrès s'en sort. Il revient deaux. En tout, il y en a eu sollicitée. Mais c’est un tra- synagogue, attirée semble-t-il à Bordeaux pendant l’été 1945. dix. Ce qui fait sa singula- vail conçu pour la cité toute par la sympathie pour les israé- Il a tout perdu. «Soixante-dix ans entière. C’est pourquoi il n’y lites », même s'ils n’étaient « pas déjà que l’indicible, l’incroyable, a pas de symboles tradition- très aimés à Bordeaux ». Ce qui s’est produit à Bordeaux», rappel- nels du judaïsme sur l'af- frappe l'opinion publique, c'est lera Emmanuel Valency, le rabbin fiche. Mais il y a la lumière. que la rafle est « dirigée contre de Bordeaux, sur le parvis de la Quand j’ai conçu cette des citoyens français, également même synagogue, le 12 janvier exposition, je voulais que en raison de l'état de santé et de dernier. Oui, la folie criminelle de les victimes et leurs noms la situation de certains israélites l’Occupant a bafoué pendant cinq soient dans la lumière, arrêtés ». En effet, sont indistinc- ans nos valeurs fondamentales, et qu’ainsi ceux qui nous tement visés vieillards, enfants de et comme l’a reconnu le pré- rendront visite prennent tous âges, femmes enceintes ou sident Chirac en 1995, elle « a été conscience qu’à travers les mutilés de 14-18 ... secondée par des Français, par noms ce sont des êtres hu- l'État français ». La communauté mains qui ont souffert. AUSCHWITZ VIA DRANCY juive se souvient chaque année, le 13h20, le mercredi 12 janvier. Un souvenir est un devoir de la Torah. Propos recueillis par K.M. train spécial en provenance de On espère que la France dans son Bayonne entre en gare de Bor- ensemble n'oubliera jamais de le Exposition « Convoi Bordeaux-Drancy deaux pour une halte. Il trans- faire à ses côtés. G du 12 janvier 1944 : arrestations, inter- porte déjà 20 juifs arrêtés dans le nements, et déportations », ouverte au Pays basque. Plus de trois cents * Marcelle Renouil et André Torrès ont témoigné lors du procès Papon, propos public du 23 janvier au 31 mars à la autres convergent vers la gare recueillis par Sud Ouest. synagogue de Bordeaux. Renseigne- dans les cars affrétés par la pré- ments sur raflesgironde1944.org

fecture, après deux jours passés KM dans leur lieu de culte désacra- lisé. En deux heures à peine, à l’écart des regards, entre dix et quinze déportés sont poussés dans chaque wagon. Viendront s'ajouter au convoi les raflés du Bundesarchiv Libournais. Ils sont 365 au total à former ce convoi. Marcelle Renouil en échappe, comme quelques femmes de prisonniers de guerre avec qui elle est restée dans la synagogue lors de son évacuation. Pour les autres, André Torrès compris, le transfert vers Drancy Les juifs arrêtés sont est un long calvaire de vingt-cinq transportés dans des heures, dans des wagons ini- cars bondés vers un lieu d'internement. 10 • REPORTAGE IMPRIMATUR No 682 • 23 JANVIER 2014 SHANGHAI SUR SON 31 Axelle et ses amis vivent en Chine depuis quatre mois. Ces jeunes Français ont célébré leur premier Nouvel An à Shanghai, leur ville d'accueil. L’occasion pour nous de raconter la vie de ces jeunes expatriés.

ardi 31 décembre, Par Adèle Latour 18 heures. Les forces de police En attendant, l’heure est aux pré- 17 heures. La nuit bloquent les rues accédant au paratifs. vient de tomber sur Plusieurs boîtes organisent des Bund, et ferment la station de mé- 19 heures. Retour chez elles dans Shanghai. Les buil- soirées à thème pour l'occasion. tro « East Nanjing Lu ». Une foule le quartier Xujiahui, à l'ouest de la dings s’illuminent. Le Bar Rouge propose d'observer immense est attendue ici. Emmi- ville. L’appartement est grand. Il y MLe froid est moins agressif que le feu d'artifice depuis sa terrasse, touflées dans leurs contrefaçons fait froid et humide. Un chauffage, ces derniers jours. Le cap des juste en face du Bund, promenade chinoises, Axelle et Marine sou- qui sert aussi de clim, tente de cinq degrés a été franchi. Autre aux abords du fleuve Huangpu. Le rient. « Quand je pense qu’on va réchauffer le salon. « Comme si la bonne nouvelle, le pic de pollution code vestimentaire : « Votre plus pouvoir assister au feu d’artifice du pollution extérieure ne suffisait pas, s’est dissipé. Les décorations de belle tenue, avec une touche d'or ». haut de l’immeuble de notre copine Noël éclairent toujours les rues Pour 300 yuans (37 euros) l'entrée, Morgane, pendant que toute la du centre-ville. Les Shanghaïens on a même droit à une coupe de ville s’entassera ici ! C’est génial », arpentent encore les boutiques et Moët & Chandon ! Un peu plus loin glisse Axelle. C’est leur choix. Les les cafés, mais la soirée du Nou- sur la promenade, le New Heights deux jeunes Françaises et leurs vel An s’annonce déjà. People's organise une soirée intitulée amis n’ont pas envie de risquer Square concentre toute l'attention. « Great Gatsby party ». Acrobaties, l’étouffement. À minuit, ils surplom- Il faut dire qu’on est là au cœur du magie, et spectacles de danse en beront la ville du haut du building. cœur de la cité : l’endroit réunit à bonus ! Sur le Bund, des techni- la fois la mairie, l'opéra et le prin- ciens achèvent les préparatifs pour cipal musée de la ville. Des jeunes le feu d’artifice qui aura lieu ce soir. Chinois distribuent des invitations. Adèle Latour 11 ce truc prélève l’air de dehors, pour nous le renvoyer ici. C’est comme La fête des lanternes ça partout ici », râle Axelle. A la cui- s'inspire d'une sine, Quentin, le troisième coloc, tradition du Nouvel prépare des salades pour le repas An chinois. du soir. Un peu de soja et de sauce nuoc-mâm, au milieu des tomates et concombres, pour le côté asia- tique. Ils sont une quinzaine à dîner chez Morgane. Tous apportent leur petite contribution. Axelle et Marine enfilent leurs tenues de soirée. Un peu de blush, un peu de gloss, les cheveux lissés, et c’est parti ! UN DÎNER PRESQUE CHINOIS 20 heures, départ pour l’apparte- ment de Morgane, dans le quar- tier de People’s Square, en plein centre. Quentin et Axelle ont la nourriture et les boissons dans les bras. Marine hèle un taxi. Elle bre- douille quelques mots en chinois, et le chauffeur se met en route. Der- Axelle Moser rière sa vitre en plexiglas qui le sé- pare de ses passagers, il s’agace déjà du monde sur les routes qui mènent au centre-ville. Les voitures s’insèrent sur la voie rapide, slalo- ment, klaxonnent. Toutes semblent une demi-heure, mais je vous pré- c'est ouf ! », lance Axelle. Marine ser ! », s’insurge Charline. « Le converger vers le Bund d’où sera viens, vous allez kiffer l’échelle pour et leurs amis discutent, rient, gre- dîner est compris », indique Ma- tiré le feu d’artifice. Les buildings, accéder au sommet ! ». On enfile lottent un peu. Tous surveillent leur rine. « Non mais quand même ! ». gigantesques, défilent sous les les manteaux, les gants, les bon- montre, et trépignent d’impatience. Juliette lance l’idée du Muse, une yeux d'Axelle. Elle signale certaines nets. Direction l’ascenseur… dans Et puis le décompte, 5, 4, 3, 2, 1,... boîte qu’ils connaissent déjà tous. illuminations installées spéciale- un premier temps. Eh oui, un feu 00h00. Le ciel s’illumine, le Bund « On ne va pas aller dans une boîte ment pour la soirée. « Vous avez d’artifice au sommet d’un building s’enflamme, la skyline s’embrase ! de Chinois ! », s’exclame William. vu ces immenses projecteurs sur shanghaïen, ça se mérite ! Cinq Du doré, du bleu, du vert, du rose, Chloé rétorque : « Il n’y a pas que le building là-haut ? Ils y sont pas étages à gravir à pied, et pour ter- le feu d’artifice illumine la ville. Une des Chinois au Muse, il y a plein d'habitude ! ». Le taxi cherche son miner, une échelle, comme instal- acclamation générale s’élève au- d’Occidentaux ! ». chemin. Entre la foule qui s’amasse lée clandestinement. Les derniers dessus de la foule du Bund. Les et les embouteillages envahis- barreaux franchis, une vue impre- buildings affichent des « Happy UNE BROCHETTE sants, il n'y voit plus très clair. Il nable sur la mégapole chinoise new year 2014 » couvrant entière- POUR LA ROUTE ? tente un raccourci. Marine n'est pas s’offre aux jeunes fêtards. Der- ment leur façade. Sur le toit de l’im- 02h30. L’idée de Juliette a triom- sûre qu'il emprunte le bon chemin. rière l’immeuble, les voies rapides meuble de Morgane, les expatriés, phé. Ce sera le Muse. On range Elle essaie de le guider. En chinois sinueuses s’entremêlent. Les voi- loin de chez eux en cette nouvelle un peu l'appart. On s'équipe contre de débutant, c'est pas facile. Elle tures, minuscules, dessinent des année, s’enlacent, s’embrassent, le froid. Et c'est parti ! Dans la rue finit par reconnaître les lieux. guirlandes de lumière. Au loin, de se serrent les uns contre les autres. Dagu Lu, impossible d'avoir un taxi. Trente minutes, et vingt-sept yuans petits feux d’artifices ont déjà dé- Shanghai vient d’entrer en 2014. Des gens partout. Tout le Bund est (3,50 euros) plus tard, les trois buté. A gauche, l’immense centre « Bonne année ma puce », chu- remonté vers le centre. Les fêtards Français entrent dans l’immense commercial chote Marine à cherchent quoi faire. Un groupe de building. Au 3e étage, Morgane de People's Axelle, « je suis jeunes Chinois court après les taxis, accueille ses trois amis. La soirée Square affiche Il fait moins de tellement heu- se plante en travers de la route. est déjà bien entamée. Une quin- un « Happy reuse de vivre Ils gesticulent dans tous les sens, zaine d’expatriés français discutent new year » dix degrés, mais ce moment avec hurlent des phrases incompréhen- en grignotant. Les garçons dans démesuré. toi ! ». Les deux sibles. Aucun chauffeur ne s'arrête. la cuisine. Les filles dans le salon. Le Musée de tout Shanghai est jeunes filles sont Tous sont occupés. Pas de lumière Alcools, jus de fruits, et bouffe sur Shanghai est arrivées en sep- verte sur les toits des voitures. Des les tables. Axelle se saisit d'une éclairé par des dehors! tembre. Elles ont files d’attente interminables devant bouteille« : Ce truc, c'est super! projecteurs rapidement em- les arrêts de bus aux vitres large- Ca s'appelle le soju. C'est un spiri- blancs. En face, le Bund est noir ménagé ensemble. L'expérience ment embuées. Un jeune soupire. tueux coréen fait à base de sources de monde. Les routes aux alen- chinoise les a rapprochées. Après Il a l'air désespéré. William prend d'amidons. Ce qu'il y a de ouf, c'est tours sont surchargées, les voitures quinze minutes, le feu d’artifice les choses en main et décide : il que tu le mélanges avec des jus de immobiles. De l'autre côté du Huan- prend fin sous de vifs applaudisse- faudra se rendre à la boîte à pied. fruits et tu sens rien ! Alors que c'est gpu, l'ensemble des buildings, ap- ments. Morgane propose de retour- Axelle râle un peu. « C'est bien à aussi fort que la vodka en termes pelé couramment skyline, rayonne. ner chez elle en attendant de se dé- une heure de marche ! ». Hu ose de degrés ! ». Marine ouvre un La Perle de l'Orient ne cesse de cider pour la suite des opérations. enfin s'affirmer. Elle connaît le che- paquet de viande séchée : « C'est clignoter. Cette immense tour de té- L’échelle, les escaliers, l’ascenseur, min. Elle guidera la petite bande. super bon, mais à la fin, ça devient lévision n'est surpassée que par le et tous retrouvent leurs verres de Xièxie Hu ! un peu écœurant ». décapsuleur géant. Eclairé par un vin laissés dans l’appartement. Axelle est à la traîne. La boîte faisceau bleu, ce long building se 1 heure. Il est temps de décider certes, mais l'ambiance de la rue la TOUS AU SOMMET ! distingue dans le fond. « Ouaaah », du reste de la nuit. Une évidence réjouit déjà. Son appareil photo est 23h30. M-30. Morgane presse tout « Oooh «», aaah », tous s’exta- s’impose : hors de question de vissé dans sa main. Elle observe, le monde, il est temps de monter sient ! Ils ont comme l'impression se rendre aux « soirées-expat »: se marre, mitraille. au 27e, sur le toit : « Certes le feu de redécouvrir la ville dans laquelle « Non mais sérieux, 800 yuans la 3 heures. East Nanjing Road est d’artifice ne commence que dans ils« vivent : Voir tout ça de si haut, soirée (100 euros), faut pas abu- bondée« ! Oh putain c'est fou », 12 • REPORTAGE IMPRIMATUR No 682 • 23 JANVIER 2014 s'exclame Axelle. « Ici c'est ce Des ados errent l'air hagard et per- Hu. « C'est joli hein ? ». Les boules vées, qui parlent anglais, elles qu'on appelle les Champs-Elysées du. Le soju a déjà fait des dégâts. lumineuses s'envolent lentement kiffent les Occidentaux, c'est un de Shanghai, mais même en jour- La police est omniprésente. Des au-dessus de la ville, jusqu'à truc de malade ! ». Elle les attrape née, il n'y a pas autant de monde dizaines de flics déambulent, pa- devenir minuscules. Axelle éclate par la taille. Les trois jeunes filles ». Il fait moins de dix degrés, mais trouillent. Ils veillent sur cette folie de rire. L'une d'elles s'est coincée dansent ensemble. Les deux tout Shanghai est dehors. On ne passagère. Un périmètre de sécuri- dans un arbre : « ils vont mettre le Chinoises sont ravies. distingue plus le pavé de la rue pié- té a été créé autour d'un immeuble feu à la rue, ça va être des barres 5 heures. Axelle est crevée et tonne. Le feu d'artifice s'est terminé d'où des petits malins lancent des de rires ! ». assoiffée« : Vu que tu peux pas il y a plus de trois heures, et toute pétards. Les flics hurlent qu’il faut boire l'eau du robinet ici, t'es obli- la foule s'est retrouvée au même dégager de là. Une jeune fille passe TOUS EN BOÎTE ! gé d'en acheter et ça me soûle ». endroit. Et les Chinois ne sont pas en vélo là où elle n'aurait pas dû, et 4 heures. Arrivée à la boîte. Enfin! Un dernier bisou à ses copains et en train de chauffer les pistes de c'est l'interpellation. En agitant ses Filles et garçons y rentrent gratui- elle décide de rentrer. « De toute danse... ils mangent. De la nourri- grands bras, le flic lui montre le toit tement. Un premier de l'an. C'est façon, je sais déjà que je vais ga- ture partout ! Des vendeurs grillent de l'immeuble. Trop dangereux de aussi ça la Chine ! Un ascenseur lérer pour revenir chez moi, donc de la viande non identifiée sur des passer sous des pétards ! Au sol, bien sûr, et Axelle se rue direc- autant partir maintenant ». En plaques grasses et cramées. Les des ordures jonchent le sol. Des tement sur la piste de danse. À sortant de la boîte, la jeune fille se jeunes, comme affamés, se jettent agents ont saisi leurs balais. Ils re- l'entrée de la boîte, des jeunes met à la recherche d'un taxi. Elle sur les brochettes, qu'ils dévorent poussent les fêtards envahissants. filles forment une longue file. lève le bras, appelle, demande férocement. Des odeurs de nour- L'un d'eux n'hésite pas à lancer des Elles attendent de pouvoir dépo- de l'aide à un Chinois. Mais à riture se mélangent. Axelle passe déchets sur ser leurs man- nouveau pas de lumière verte au- devant un stand en se bouchant le une jeune teaux au ves- dessus des voitures. Personne ne nez« : Oh c'est pas vrai le Stinky fille qui écar- Axelle : "Les filles tiaire. Le bar, s'arrête. Un taxi rouge bordeaux tofu, ça pue !! C'est une sorte de quille les gigantesque, s'avance finalement vers elle : pâte fermentée. Ils en cuisinent yeux. De ont des tenues trop au milieu de la « Oh non, ceux-là, ce sont des dans toutes les rues ici, mais c'est toute façon, boîte, accueille clandestins – One hundred, one immonde ! ». On ne sait plus si rien n'y fait. classes, mais rôtent les garçons qui hundred (12,5 euros) – What ? les masques couvrant quelques La rue res- commandent Toi t'es un voleur hein ». La Fran- visages sont là pour la pollution ou semble à un et crachent par plusieurs çaise prend deux secondes pour pour ces relents persistants. Pour- McDo géant verres à la réfléchir. « Oh et puis zut, ils vont tant, une dizaine de chalands at- à quatre terre!" fois. À gauche, tous faire ça ce soir ! ». tend devant le stand de tofu puant. heures du des tables Axelle s'affaisse sur la plage ar- Une jeune fille croque à pleines matin ! Devant la classe et élé- de billard. Ambiance détendue rière. Les buildings illuminés dé- dents dans cette masse blanche gante boutique Omega, des restes sur fond de musique électro. À filent encore sous ses yeux. Sur les gluante. Elle a l'air ravi. de nourriture et des papiers sales droite, la piste de danse, remplie trottoirs, des jeunes filles en talons Mais les vendeurs de nourriture ne sont entassés, et bouchent l'entrée. de gens déchaînés, tous serrés hauts et mini-jupes lèvent déses- sont pas les seuls de sortie. Des « C'est les Chinois quoi », souligne les uns contre les autres. Axelle pérément les bras pour attraper marchands ambulants ont envahi Axelle. « Regarde, les filles ont des se marre avec des Occidentaux, un taxi. Des garçons alcoolisés se le passage. A plus de trois heures tenues trop classes, mais rôtent et mais aussi avec des Chinois qui tiennent par les épaules pour se du matin, des « it-girls » chinoises crachent par terre!". enflamment le dancefloor. Deux soutenir. Les déchets s'accumulent achètent des fringues en pleine rue. Au milieu du chemin, la jeune fille jeunes femmes, très apprêtées, encore davantage sur les trottoirs. Des amoureux transis offrent des somme ses camarades de s'arrê- s'avancent vers la Française. Axelle fixe ce charmant spectacle fleurs à leur chérie. Et même des ter. Des étudiants allument des lan- « Happy new year », lance l'une et sourit : « Pour une fois que enfants ont droit à leur petit jouet. ternes rouges qu'ils lancent dans le d'elles. « You too ! - Les filles un mon nouvel an n'aura pas été une L'euphorie oui, mais le chaos aussi. ciel. « C'est la tradition », remarque peu bourges comme ça, culti- grosse galère ! »g Axelle Moser En pleine nuit, des marchands ambulants de nourriture envahissent les rues, et rencontrent un vif succés. HISTOIRE • 13 Archives de La Mémoire Bordeaux et la Communauté urbaine LE JOURNAL DE 1914 BORDEAUX, ENTRE NEIGE ET BRASÉROS

Par Eléa Giraud peut voir tous les soirs la pièce Bec son mari, à assassiner le directeur Dans chaque numéro de Gaz d’un certain Robert… Dieu- du Figaro, M. Calmette, de plusieurs d’Imprimatur, nous domicile fixe retrouvés sur les quais donné, qui comporte des parties coups de révolver tirés à bout por- revenons sur un de Paludate mardi 13. chantées, interprétées par la cé- tant, dans quelques semaines, en moment de la vie en Pour contrer les ralentissements lèbre Flametta la Bohémienne. La mars. du service public de nettoyage, le ville est d’ailleurs plongée dans un Et tandis qu’on s’émeut de la croix Gironde il y a cent ans. conseil municipal demande à tous vif débat, à la suite d’une annonce de la Légion d’honneur en diamants Cette semaine, prome- les habitants de bien vouloir balayer de la municipalité. La ville prolon- reçue par la comédienne Sarah nade temporelle entre proprement leur devanture et de gera les tramways urbains la nuit, Bernhardt vendredi, à Bordeaux mettre dans des récipients appro- uniquement pour les spectateurs de et dans les environs, on organise le 12 et le 18 janvier priés les restes de cendre du foyer pièces de théâtre, ce qui provoque concours de bébés, kermesses et à partir des archives et de suie de ramonage, qui trans- la colère des autres usagers devant futures festivités de la Foire aux vins de La Petit Gironde, forment les rues en de sordides ce qu'ils considèrent comme une qui commence dimanche et pour marécages. injustice. laquelle on peut acheter ses billets l’ancêtre de Sud Ouest. On se passionne aussi pour un de tombola avec le journal La Petite ous sommes le di- RODOMONTADES scandale qui fait l’actualité : la Gironde. manche 11 janvier ET HARCÈLEMENT campagne d’accusations proches Entre annonces de conférences ou- au soir. Trois jeunes Alors qu’on garde un œil rivé sur les du harcèlement organisée par Le vertes à tous à la faculté de Lettres, au lever de coude rodomontades du « parti militaire et Figaro à l’encontre du ministre comme celle de jeudi à 15h30 « Le vigoureux entrent pangermaniste » en Allemagne, et des Finances, Joseph Caillaux. La Périgord aux temps historiques et Npar effraction dans une charcuterie qu’on cite les violences d’officiers cabale fait la Une de tous les jour- protohistoriques » ou le tournoi in- et font une petite misère à un beau allemands contre des « Alsaciens naux : de sa politique budgétaire ternational de luttes de combat qui cuissot de jambon, qu’ils finissent inoffensifs » auxquels on exprime pour réduire le déficit français - il est se déroule tous les soirs à l’Apollo par emporter avec eux… Mal leur des « sympathies ardentes », la celui qui introduit pour la première Théâtre, la vie quotidienne suit en prend : la maréchaussée les vie culturelle locale se poursuit. Les fois en France le concept d'impôts son cours, rythmé par les chutes intercepte et le voleur de victuailles nombreuses salles de spectacle de sur le revenu - à sa vie sentimentale, de neige, qui étouffent doucement en chef écope de 2 mois de prison, la ville sont abondamment fréquen- tout y passe. Ce qui conduira Mme sous leurs flocons les timides pré- de quoi se mettre au pain sec et à tées, par exemple la Scala où on Caillaux, pour rétablir l’honneur de misses de la guerre. G l’eau pour ses futures soirées. Mais ce qui préoccupe avant tout les Bordelais, c’est un ennemi coriace aux conséquences bien plus dé- sastreuses qu’aujourd’hui : le froid. L’esplanade des Quinconces et le Jardin Public sont recouverts d’une épaisse couche de neige, les che- vaux glissent sur le givre en abon- dance, et la population se plaint de l’inefficacité des braseros allumés sur les places centrales de la ville. Les trains régionaux, comme les ouvriers paveurs et les tombeliers chargés des ordures sont paralysés par ces températures exceptionnel- lement basses qui frappent toute l'Europe, et qui atteignent jusqu'à -8° à Bordeaux. Cette vigoureuse vague de froid emplit l'hôpital Saint- André de victimes de congestion, comme ces deux hommes sans Archives de La Mémoire Bordeaux et la Communauté urbaine 14 • RÉCIT IMPRIMATUR No 682 • 23 JANVIER 2014 JUPPÉ EMPORTÉ PAR LES EAUX Et si Alain Juppé avait Par Marine Le Gohébel land. Des centaines de manifestants Dessins de Pauline Bonnin s’y réunissent quotidiennement. On vu la ville lui échapper et crie « Juppé démission ». La colère sombrer sous lui, que ce exulte. On veut sa tête. Les routiers serait-il passé ?.. Une la gauche attend. Elle n’est plus à ont encerclé la ville, incendié des fiction (presque) vraie. six ans près. François-Xavier Bor- pneus, bloqué la rocade. Les bus deaux est là. Le dissident socialiste ne circulent plus. Ils pourrissent au 11 JUIN 1995. trinque. La gauche est unie dans la dépôt. La gare est déserte. Aucun Soirée des élections municipales. défaite et dans l’ivresse. La beauté train. Ils n’arrivent pas. Ne partent 1er tour. Les mines sont décon- paradoxale des soirs de débâcle. plus. Les universités sont fermées. fites. Les moues dubitatives. Dans Au QG de campagne d’Alain La voiture est le seul moyen de se le QG de campagne du candidat Juppé, en revanche, la fête bat déplacer. Les embouteillages sont socialiste Gilles Savary, l’ambiance son plein. La famille Brizard a de plus en plus nombreux. Concert est morose. La défaite, on l’avait fourni les bouteilles. Parachutage de klaxons. La ville est congestion- bien envisagée. La raclée, on pré- réussi pour le premier-ministre née. Encombrée. Engorgée. Les in- férait ne pas y penser. Pourtant, le adoubé par Chaban-Delmas. sultes fusent aux heures d’affluence résultat est sans appel : Alain Jup- Bordeaux s’est trouvé un nou- et on siphonne le gasoil du voisin la pé est élu maire de Bordeaux dès le veau prince. Le « meilleur d’entre nuit. Les poubelles s’entassent. Les premier tour. Gilles Savary s’en tire nous ». Juppé sourit. Air narquois rats pullulent. L’odeur est insoute- avec moins de 20% des suffrages. et ton altier. A lui la cité girondine. nable. Les sacs plastiques jonchent Les cotillons et le champagne les rues. La ville est à cran. Au bord n’ont pas été prévus. Qu’importe. FIN NOVEMBRE 1995. de l’implosion. Bordeaux prend des Ils n’auraient pas trouvé preneurs. Il fait froid. Le vent polaire vient airs de ville assiégée. On débouche juste quelques bou- du Nord. Il souffle sur le cours de Juppé croit à une révolte sans teilles d’un mauvais pinard pour l’Intendance. Glace l’air. Gerce les lendemain. Cette colère ? Un pro- faire oublier l’âpre défaite par une lèvres et jette les passants dans blème de communication, tout au migraine carabinée qui clouera au les quelques boutiques restées ou- plus. Une erreur politique, non. Le camp. « Qu’il dégage ». Une foule lit la dizaine de militants encore vertes. La ville est bloquée. Arrêtée. 5 décembre, il préside le conseil compacte s’est massée devant le présents après 21 heures. Demain, Suspendue. Paralysée depuis deux municipal. Les manifestants l’at- Palais-Rohan. On incendie les dé- les migraines passées et le pinard semaines. Le « Plan Juppé » sur les tendent. Les boulevards sont blo- chets. On crie. On vocifère. On jette éclusé, on recommencera à rêver retraites a jeté dans la rue des mil- qués. A chaque intersection de rue, sa rage à la gueule de ce parvenu. à des jours meilleurs et des len- liers de manifestants. Ici, la fronde on le hue. On le conspue. On le Les rues Montbazon et Bouffard demains qui chantent. 48 ans que a une saveur particulière. Pey-Ber- prie de rentrer à , de foutre le sont encerclées. Il faut ruser. Juppé 15

entre par une porte de service. des bureaux en bois. Le cuir des tion s’est enhardie. Le système de fi- de la Lune est plongé dans la nuit La salle du conseil est vide. Ou fauteuils mollit. Il fait chaud. On délités érigé par Chaban se fissure. la plus noire. presque. L’opposition arrive en tousse. On suffoque. Les bustes C’est la bérézina. À la Chambre de commerce et d’in- retard. Et bruyamment. Elle envoie des anciens maires s’écroulent. Il relit inlassablement les essais de dustrie, on se marre. Les vieux du rapidement valser l’ordre du jour. Le nez de Jean Bouche a été Montaigne. Il lit aussi ses auteurs Chabanisme s’y réunissent toutes L’ouverture de crèches et l’orga- arraché. Les oreilles roulent sur grecs et latins préférés. Il com- les semaines. Jacques Valade fan- nisation d’un gala d’arts martiaux, le sol. Juppé saute de sa chaise, mence chaque discours par un faronne : « il fait moins le malin, « ça peut attendre », qu’ils pré- enjambe le promontoire et jette « Ab urbe condida » et a décidé le benêt bien coiffé ». Le dauphin tendent. Ils ont affuté leurs armes, sa veste en tweed. On jette des de se lancer dans une traduction de Chaban n’a jamais pardonné à chargé les cartouchiers et sont draps sur les flammes. L’incendie de Tite-Live. « Là-dedans, il doit Juppé – « ce nanti landais » - de prêts à tirer. « Juppé va sortir en est finalement enrayé. C’est un y avoir la solution », lance-t-il à la lui avoir volé sa ville et sa mairie. Il lambeaux », ont-ils annoncé. De- Juppé en caleçon qui sort de la cantonade. Personne n’y com- rongeait son frein depuis tellement hors, la pluie. Les chants. Les cris. salle du conseil enfumée. Son prend plus rien. C’est intenable. In- d’années. Il guettait les signes de la Des slogans : « Juppé, tu nous velours côtelé vient d’y passer. supportable pour ses proches. In- maladie de Chaban. Tout ça pour rases. Dégage ! ». Il tient le coup, Il vacille sur ses jambes. Ses croyable pour les Bordelais. Il faut rien. C’est « la Jupe » qui lui a brûlé hausse le ton, frappe du poing sur yeux se convulsent. Il s’écroule. l’abattre. Se résoudre à l’abattre. la politesse. Maintenant, il est prêt la table. La sueur perle sur son Malaise vagal. Comme un vieux chien malade à tout pour lui faire mordre la pous- front. Sa cravate est tombée. Sa qu’on n’hésite plus à faire piquer. sière. Il le menace de diversion, chemise déboutonnée. Des com- FÉVRIER 1996. Au journal Sud Ouest, on tire à la d’abstention, de réveiller les vieux bats politiques, il en a vus. Ce n’est Juppé est tétanisé. Les manifesta- courte-paille le journaliste qui va l’in- pontes bordelais et de les rallier à pas cette bande de bouseux pro- tions, les grèves, les insultes, l’incen- terroger. Le maire le reçoit dans son leur cause. Un seul projet pourrait vinciaux qui aura sa peau. die, il y pense encore. Ça le hante. Il bureau du Palais-Rohan, dans un ramener l’ordre dans les rangs de Le conseil touche à sa fin. Sou- flotte, il hésite. En public, pas un mot châle molletonné. L’œil hagard. Le l’équipe : le métro. Un but commun, dain, une fenêtre éclate. Des qui ne bute pas devant l’autre. Des poil hirsute. Les cheveux en bataille. enfin. Comme à la grande époque. bris de verre atteignent plusieurs blancs. Des bégaiements à répé- Des boutons de fièvre entourent ses Chaban n’est jamais parvenu à le conseillers. Arrachent la peau des tion. Ses discours sont devenus lèvres. Il commence ses phrases en mettre sur les rails. Il a quitté la visages. On lance une torche de des litanies interminables. Il se perd latin, fait des pauses et les finit en mairie sans parvenir à ses fins. Le feu. D’autres flambeaux profitent dans ses notes. Ses conseillers grec. Odile, sa plus proche collabo- métro, c’était son projet. Si Juppé de l’embrasure. Le vent s’en- craignent le pire. Déjà viré de son ratrice, perd patience. Elle vitupère : veut se maintenir, il doit le relancer. gouffre. Fait voler les dossiers. poste de Premier-inistre le 2 janvier, « il ne me reconnaît plus. J’en ai ras Jacques Valade n’hésite pas à Le tapis persan prend feu. Le feu il se raccroche à la mairie comme un la cafetière de ses locutions latines. vaincre les dernières réticences du se propage. Attaque les pieds alcoolique à son alambic. L’opposi- Qu’il me parle encore de vocatifs et maire en péril. Il lui assure le sou- je lui fais avaler les prévisions bud- tien sans faille de la Communauté gétaires par le cul ». L’inquiétude urbaine de Bordeaux, arrosée par Il se raccroche à la mairie comme est grande. Le Palais-Rohan était les fonds juteux d’une veille et riche la citadelle imprenable de Chaban, dame des Chartrons, une nommée un alcoolique à son alambic. c’est devenu l’asile du fou. Le Port Jeanine Terrasson. 16 • RÉCIT IMPRIMATUR No 682 • 23 JANVIER 2014 Le 22 juin 1996, Alain Juppé an- se disloquent. Les barreaux des trémolos dans la voix. Il est respon- et les vols, la population fait front. nonce solennellement la reprise échelles deviennent des projec- sable. C’est de sa faute. Tout est de On enterre ses souvenirs – après des travaux. « A vos pioches, le tiles. L’électricité prend feu. Le feu sa faute. « L’erreur est humaine », avoir enseveli ses proches. On métro sera ou je ne serai plus. se propage. La terre s’effondre. La dit-il. Il aurait fallu savoir s’arrêter. brûle. On rase. On transforme. On Ad Augusta per angusta ! ». Les pierre meurtrit les corps. Le bois L’eau, elle, ne s’arrête plus. Elle met les mains dans le cambouis ouvriers prennent les chemins s’embrase. Et l’impact s’étend, che- s’écoule maintenant à ciel ouvert, et on retrousse ses manches. On des sous-sols boueux de la ville. mine. Loin. Loin dans la ville. Des avant de se déverser dans la Ga- imagine des ponts. On relie les Pioches, marteaux-piqueurs, ex- secousses jusqu’à Blanquefort. ronne. Bordeaux ressemble à un rives. On construit et déconstruit. plosifs, tous les moyens sont réu- Les immeubles qui tremblent. Les Venise sinistré. A une ville bombar- On tricote dans la douleur une nis pour venir à bout du calcaire à échoppes qui s’ébranlent. La ville dée. Tout semble perdu. La ville est ville nouvelle. On pense à Venise. astérides stampiens des tréfonds qui se réveille. En sursaut. Apeurée. seule. Désespérément seule. Le A Rotterdam. On s’en inspire. bordelais. Les habitants sont aba- Catastrophée. Les sirènes reten- capitaine vient de quitter le navire. Et c’est bientôt un nouveau Bor- sourdis. Jacques Chaban-Delmas tissent. Assourdissantes. Hurlantes. Qui pour prendre ce radeau brin- deaux qui renaît de ses cendres. est venu les rassurer. Le vieux lion Et l’eau. L’eau qui se propage. Par- quebalant ? Trois hommes. Trois Un Bordeaux différent. On érige est sorti de sa tanière d’Ascain un musée sur la place des Quin- pour féliciter son protégé. Il décède conces transformée en promon- quelques jours plus tard. Le sourire Des water-taxis assurent les toire surplombant la ville et le aux lèvres et l’âme en paix. navettes. Des barques se faufilent fleuve. La ville redevient attrac- Les ouvriers s’affairent. Le métro tive. Séduisante. S’embellit. Les doit être opérationnel avant 1998. dans les ruelles. touristes se pressent. Constatent Alain Juppé respire. Il vient de ébahis la métamorphose. La ville s’accorder quelques semaines de tout. Qui noie tout. Qui souille les revenants. Plébiscités par des est fluviale. La ville est lacustre. répit. Il tient bon. Les dissidences habitations des rez-de-chaussée. élections partielles organisées Des water-taxis assurent les na- chabanistes se taisent. Croit-il… La boue poisseuse qui salit, qui sur les hauteurs de la ville. A la vettes. Des barques se faufilent viole l’intimité des appartements. va-vite. À la limite des règles dé- dans les ruelles plus étroites du 27 SEPTEMBRE 1996 L’odeur du souffre. De la chair brû- mocratiques. Gilles Savary, Fran- vieux quartier Saint-Pierre. Bor- Galerie souterraine 3, sous-sol de lée. De la pierre noyée. De l’eau çois-Xavier Bordeaux et Denis deaux sourit. On s’y marie même. Bordeaux, il est 5h. L’équipe de jour rance. Une odeur pestilentielle qui Teisseire s’y collent : le PS, le dis- Des quatre coins du globe, on remplace celle de nuit. Transmis- soulève les cœurs. sident et l’écolo. Les trois battus vient s’y promener. Pour combien sions. Rigolade. Quelques mètres Il est trop tard. Les artères princi- de l’élection précédente. Tant bien de temps ? Les fondations ont été à creuser et le cour Alsace Lorraine pales sont noyées. Les digues qui que mal, ils récupèrent le fardeau. ébranlées. Il se murmure que ça rejoindra le cours Pasteur. On y protégeaient les travaux du métro À eux d’inventer. D’imaginer. Une ne durera qu’un temps. La cité est presque. L’équipe pose une ont sauté. L’eau s’est propagée. ville différente. Une ville inno- pourrait être engloutie. Bientôt. bombe. Quelconque. Une mèche. L’eau se rue. L’eau est là. L’eau vante. Reconstruire. Ils rafistolent. Une enveloppe. Une espolette. 3, 2, bouffe tout. Alain Juppé arrive. Ter- Remettent sur pieds. Pansent les JUIN 2052 1… Elle explose… Beaucoup plus rorisé. C’est fini. C’est trop tard. Il plaies. Rassurent les habitants. Gabriel se réveille en sursaut. que prévu… Bruit assourdissant. s’effondre sous le choc. Et il pleure. Font oublier Bordeaux tel qu’il Des gouttes d’eau viennent de le Les murs s’affaissent. Les échafau- Le 28 septembre, il démissionne. était avant. Adieu le métro, le tram sortir de sa torpeur. Il sommeil- dages volent en éclats. Un souffle Du haut des terrasses de Méria- et les grands projets. Après les dé- lait sur un transat, à la terrasse projette les corps. Les membres deck, il bafouille des adieux, des sertions, les exodes, les pillages du café « Pey-Berland’s Beach ». L’un des cafés les plus courus de la station balnéaire bordelaise. Le seul à avoir eu droit à s’implanter sur la plage, en face du lac. Des lunettes de soleil le protègent d’un soleil au zénith. Des hommes-gre- nouilles sortent du lac et retirent leurs combinaisons. « Belle pêche aujourd’hui, les gars ? ». « Pas grand chose, non. Aucune trace de l’orgue de Saint-André ». Gabriel regarde les clochers qui lui font face. On n’aperçoit plus que les girouettes. Il se souvient de ses après-midis passés à skater, enfant, entre la Tour Pey-Berland et la cathédrale. Il sourit. Une dame haut perchée, la che- velure enfouie dans un panama, s’avance vers lui. Elle articule dans un français approximatif : « excu- sez-moi, vous êtes le guide ? ». Gabriel se lève. Il n’a pas vu l’heure passer. C’est pourtant la troisième visite de la journée. A 14h, il préfèrerait roupiller plutôt que promener des touristes cu- rieux et avides de légendes aqua- tiques. « Oui, allons-y ». La dame enchaîne : « alors c’est vrai ce qu’on dit ? Sous ce lac se cache l’ancienne ville de Bor- deaux ? ». « C’est exact, oui. C’est toute une histoire. Je vais vous raconter… » g 17 Flashsport

Le 13 février à Saint-Jean-de-luz, ce sera le grand départ de la 17e édition du 4L trophy. Amandine et Adeline, étudiantes à 4 L, Bordeaux partiront pour 6000 km d'aventure. Ni les nuits glaciales dans le désert, ni la panne ne leur font peur. À bord de leur 4L, les deux coéquipières embarqueront des fournitures 2 FILLES scolaires pour les enfants de Marrakech. LE CARNET DE ROUTE. Nettoyer le Par Matthieu Delmas moyen à 250° » sera le seul type nisé des ventes de viennoiseries carburateur, OK. Changer le filtre à d'indications fournies. et de sandwichs sur le campus. air, OK. Vérifier la pompe à eau, OK. aventure de 6000 km (aller-re- Autre moyen de financement ori- tour). Destination finale : Mar- LE DÉFI. «Nous avons rencontré ginal, les bénévoles de l'associa rakech. Avec pour seuls guides, d'autres équipages qui ont réa- tion ont emballé pendant trois es deux jeunes filles le re- une carte, une boussole et le fa- lisé le rallye auparavant. Ils nous semaines les cadeaux de Noël connaissent aisément, ce meux road-book fourni à chaque ont prévenues, les engueulades au magasin Maxi-toys de Pessac. n'est pas dans leurs habi- étape par les organisateurs du entre pilotes et copilotes, c'est Un concert de soutien s’est égale- tudes de mettre les mains rallye. GPS prohibé ! Le road- un classique », confie Adeline. ment constitué place de la Victoire. dans le cambouis : « On book, c'est LA « bible » des 4L Chaque année sur les pistes acci- Ln’y connait rien ni l'une ni l'autre », trophystes, LE guide indispen- dentées du Maroc, les voitures LA DIMENSION HUMANITAIRE mais pour l'édition 2014 du 4L tro- sable afin d'arriver au bivouac la souffrent beaucoup, certaines Au-delà d'une aventure pure- phy, Amandine Labissy, 23 ans et nuit tombée et éviter les pièges. s'ensablent. Parfois, des équipages ment sportive, le 4L trophy a une Adeline Nauleau, 22 ans se sont C'est le copilote qui dicte les in- doivent changer leurs roues ou visée humanitaire. Les équipages mises à la mécanique. formations au fur et à mesure de remplacer des amortisseurs. Pas embarquent, à bord de leur véhi- l'avancée, « attention n'allez pas toujours facile, mais au 4L trophy, cule, du matériel ainsi que des LE ROAD-BOOK. L'équipage vers les dunes, c'est très très la solidarité est la règle. « On y dons pour les enfants démunis n°1130 partira le 13 février de mou ». « Traverser oued géant, va pas pour gagner, il y a plus de du Maroc. La remise des dons Saint-Jean-de-Luz pour une Maison rose à droite puis cap 1000 équipages, seuls les trois a lieu à Marrakech lors d'une premiers sont récompensés ». cérémonie en partenariat avec l'association Enfants du désert . L’ARGENT. Afin de financer le rallye, Décidément passées maîtres les deux étudiantes en master de dans l'art de dénicher des spon- communication à l'ISIC (Institut de sors, les bénévoles de généra- l'information et de la communication tion 4L ont sollicité la chaîne de de Bordeaux) ont fait preuve d'imagi- supermarché Simply Market afin nation. Avec huit autres étudiants de de leur fournir une caisse de four- leur promotion, elles ont créé l'asso- nitures scolaires en échange d'un ciation Génération 4L qui leur a per- logo publicitaire sur la voiture. mis de solliciter des sponsors. L'Uni- versité Bordeaux Montaigne est LE SITE.Vous l'aurez compris, la première contributrice du projet. Adeline et Amandine sont de sa- Pour le véhicule, elles ont fait crées débrouillardes et nul doute jouer leur réseau. Un garagiste a qu'elles arriveront à destination. A offert la peinture en échange d'un partir du 13 février, nous pourrons article dans le Dauphiné Libéré. suivre leur aventure sur leur site :

Generation 4L L'association a également orga- http://www.generations4l.fr/ 18 • TOURISME IMPRIMATUR No 682 • 23 JANVIER 2014 VISITE POUR TOUS DU BORDEAUX GAY L’office du tourisme de Bordeaux organise depuis cet automne des visites consacrées à la culture gay comme ça se fait déjà à Paris, Berlin ou encore San Francisco.

e guide ? Alexandre Sen- Texte & photos par Elise Henry tucq, 20 ans. Et attention, il faut le suivre, car le jeune Dijeaux à la place des Quinconces, diplômé en tourisme ne en passant par le quartier Saint- manque pas d’énergie et Pierre, Alexandre nous embarque encoreL moins d’humour. En 2013, pendant deux heures. Souriant et il a défendu son projet bec et ongle passionné par son sujet, ce dandy pour qu’il se réalise. « J’ai beau- parle couramment non pas deux coup insisté auprès de l’office du mais trois langues étrangères : tourisme pour leur faire comprendre anglais, allemand et russe. Et sa que cette visite n’est pas réservée langue, il est loin de l’avoir dans à la communauté LGBT, loin de sa poche, surtout lorsqu’il parsème là… Je présente une approche son discours, plutôt sérieux, de pe- culturelle et historique sur l’homo- tites anecdotes croustillantes et de sexualité à Bordeaux, des années citations cocasses, voire grivoises, 1800 à nos jours, et j’espère que liées aux illustres homosexuels qui ce sujet peut aussi intéresser les sont nés à Bordeaux ou qui sont hétéros », explique-t-il. De la Porte passés par la ville. g

ROSA BONHEUR, cheveux courts qui fume le cigare, sioux en signe d’amitié», raconte UNE FEMME QUI d’arpenter les foires aux bestiaux Alexandre Sentucq. Artiste recon- avec une longue robe. Alors, Rosa nue, en 1865, elle est faite Chevalier PORTE LA CULOTTE Bonheur n’hésite pas à demander de la Légion d’Honneur puis élevée Marie-Rosalie Bonheur, dit Rosa à la préfecture de Paris un permis au grade d’officier en 1894. C’est la Bonheur, naît à Bordeaux en 1822. de travestissement, autrement dit le première femme à recevoir ce grade. Elle marque son époque en assu- permis de porter le pantalon. Durant Elle meurt en 1899 d’une conges- mant sa différence sans pour autant sa vie, qu’elle partage entre son art tion pulmonaire et sera inhumée au la revendiquer. La jeune femme et deux femmes différentes, elle Père Lachaise. Aujourd’hui, le public construit sa vie et sa carrière artis- rencontre Buffalo Bill. «Rosa Bon- peut encore visiter son atelier dans le tique à Paris. À la fois peintre et heur, lors de l’exposition universelle château de By à Thomery, près de sculptrice, elle fait du monde rural et de 1889, a rencontré le célèbre la forêt de Fontainebleau. Deux rues du monde animalier sa grande spé- chasseur de bisons américain, qui portent son nom, une à Paris et une cialité. Difficile, pour cette femme aux lui a offert une véritable panoplie de à Bordeaux.

JEAN LE BITOUX : Seconde Guerre mondiale. En 1979, naissance et les droits des homos. il fonde le mensuel Gai Pied, un Il quitte la rédaction du magazine en LE HARVEY MILK magazine qui s’adresse directement 1983 mais le journal continue d’être FRANÇAIS à la communauté homosexuelle. publié dans une version un peu plus C’est le philosophe commerciale jusqu’en 1992, soit 541 Jean Le Bitoux est une des grandes qui, lors d’un dîner, suggère ce titre à numéros. En 1994, il publie avec figures du militantisme de la cause son ami Jean Le Bitoux. Fort de son un ancien déporté qui a survécu homosexuelle française. Il naît à succès, le journal passe d’une édi- aux camps de concentration durant Bordeaux en 1948, il devient profes- tion mensuelle à une parution heb- la Seconde Guerre mondiale : Moi, seur de musique, puis journaliste et domadaire. Tel Harvey Milk, dans , déporté homosexuel, historien. Tout au long de sa vie, il les années 70 à San Francisco, puis sur le même thème, les Oubliés milite pour la reconnaissance de la Jean Le Bitoux, dans ses articles, de la mémoire. Jean Le Bitoux, déportation homosexuelle durant la ne cesse de lutter pour la recon- meurt en 2010. 19

INFOS PRATIQUES : Les prochaines visites auront lieu les 15 février, 1er mars et 29 mars 2014. Sur réservation, nombre de places limité à 25 personnes. (8 - 9 euros) Départ porte Dijeaux. Centre LGBT Le Girofard, 34 rue Bouquière - Bordeaux 09 81 81 98 77

L’INCONTOURNABLE souffert d’une baisse de fréquenta- diants qui ont rarement plus de 35 tion durant le débat sur le mariage ans. Le Trou, comme ses habitués TROU DUCK pour tous» et, dans le contexte l’appellent, est petit, exigu, sombre, Bordeaux, depuis une cinquan- actuel, beaucoup se sont découra- mais très chaleureux, même si le taine d’années, a gagné ses galons gés et ont préféré mettre la clé sous nombre de places assises est limité. de ville gay-friendly. Les homos y la porte. Durant ses recherches, Heureusement, il y a une terrasse ! vivent tranquillement, mais difficile Alexandre Sentucq a recensé plus Côté ambiance, les serveurs dif- pour les touristes de trouver au pre- de 220 ouvertures d’établissements fusent sur écran géant tous les clips mier coup d’œil les lieux gays dans ces cinquante dernières années. Et des reines de la pop : Madonna, la ville. Il n’y a pas ici de quartier depuis 2005, grâce à un très bon Beyonce, Lady Gaga... Et Le Trou homo, comme le Marais à Paris bouche-à-oreille, un bar sort du lot: organise régulièrement des soirées ou le Castro à San Francisco. Les Le Trou Duck. Situé au 33 rue des travesties pour le plaisir des habi- bars gays ou lesbiens ouvrent à Piliers-de-Tutelle, une voie paral- tués. Avec ça, on comprend mieux différents endroits du centre-ville, lèle à la rue Sainte-Catherine, le pourquoi, il paraît que «toutes les changent de propriétaires, fer- bar a vite trouvé sa clientèle : des bonnes soirées homos de Bor- ment…«Les bars gays bordelais ont jeunes actifs et beaucoup d’étu- deaux passent par Le Trou»…

LES PETITES GÂTERIES bourgeois des beaux quartiers, est régulièrement signalée à la police. DES QUINCONCES Des descentes sont organisées par Autre haut-lieu de la drague homo les pouvoirs publics et les homo- bordelaise du XIXème siècle : la sexuels sont arrêtés pour outrage place des Quinconces. Ce lieu est public aux bonnes mœurs. Lors de très pratique mais surtout straté- la descente de 1866, 44 hommes gique. Les hommes de tous milieux sont arrêtés et fichés. Douze ans et de tout âge, mariés ou non, s’y plus tard, en 1878, 24 hommes rejoignent clandestinement, à l’abri âgés de 14 à 51 ans sont jugés au des arbres et dans la pénombre, car tribunal et condamnés. Depuis les la place n’était pas éclairée comme années 80 et les ravages causés elle l’est aujourd’hui. Les Quin- par le SIDA, la place des Quin- conces sont aussi bien connus des conces n’est plus un lieu de drague, marins qui débarquent sur les quais ni de prostitution. Mais elle reste de la Garonne. Mais toute cette toujours la place des grands ras- activité nocturne, loin de plaire aux semblements comme la Gay Pride.

LES VESPASIENNES: DES PISSOTIÈRES COMME GARÇONNIÈRES

Au début du XIXème siècle, les urinoirs publics deviennent le lieu numéro 1 de la drague homo. Les vespasiennes, installées par le comte de Rambuteau, à Paris puis dans les grandes villes de France, font le bonheur des hommes qui ont besoin de soulager des envies pressantes. Les utilisateurs de ces petits coins discrets leur donnent alors des surnoms pittoresques comme les causeuses, car on s’y rejoint pour se rencontrer, ou les chapelles, car dans les deux cas on s’y met à genoux… À Bor- deaux, il y avait une cinquantaine de vespasiennes ; aujourd’hui, il n’en reste plus d’origine. « Place Gambetta, par exemple, elles ont Les toilettes publiques de la rue Broca été remplacées par des parcs à s'inspirent largement de la forme de leurs vélos. Au final, on a juste changé ancêtres les vespasiennes. de pédales », plaisante Alexandre. 20 • CULTURE IMPRIMATUR No 682 • 23 JANVIER 2014 CATHERINE MARNAS SON PROJET POUR LE TNBA Propos recueillis par Anthony Michel Anthony Michel

Branle-bas de combat au Théatre national de Bordeaux Aquitaine (TnBA). Celle qui a fait ses gammes avec Antoine Vitez prend la tête du théâtre bordelais. Catherine Marnas a mis en scène plus d'une trentaine de pièces en presque 30 ans de carrière. Elle a longtemps travaillé en PACA, d'abord à la Passerelle de Gap où elle est artiste-associée. Ensuite, elle crée la compagnie Parnas qu'elle a installée à la Belle de Mai à Marseille. Lever de rideau sur la nouvelle patronne du TnBA qui vient juste de prendre ses fonctions.

Quels changements voulez- même dans cette école. Et puis, production qui m'aurait pris beau- outils de création. Si on nomme vous opérer par rapport à ça rejoint mon idée de « tribu ». coup d'énergie par rapport à mon des artistes à leur tête, c'est parce votre prédécesseur ? Je trouve que l'école est le bon travail de directrice. Je vais plutôt qu'on lance un projet artistique La grande différence de fonctionne- moyen pour avoir une pépinière de reprendre le spectacle Ligne de avant tout, ce qui nous différencie ment entre lui et moi, c'est l'idée de troupes au cœur du théâtre. Failles que j'ai créé et qui est inspiré des scènes nationales qui sont plus « tribu ». Je ne travaille pas seule. du roman de Nancy Huston. nombreuses. g Je m'entoure d'acteurs qui sont au Des évènements phares à nous cœur même des interrogations et conseiller pour 2014 ? Quel est votre projet artis- de la création. Ces acteurs viennent Sur la saison en cours, pensée par tique pour le TnBA ? de la compagnie Parnas que je diri- l'équipe précédente, il n'y a vraiment Un projet artistique est lié à une Les 5 secrets de geais à Marseille. Là-bas, j'ai fait un rien que je ne revendique pas. Il y a identité et à un regard sur le monde. gros travail d'action culturelle sur les évidemment en danse Cendrillon, Personnellement, je dois dire que Catherine publics et je ne pouvais pas faire un spectacle de Maguy Marin qui j'ai toujours accordé beaucoup d'im- cela toute seule. Tous les membres est vraiment mythique et qui tourne portance au partage avec le public, Marnas : de cette « tribu » peuvent parler au- depuis 20 ou 30 ans : un véritable un théâtre populaire, mais tout en tant que moi de notre action là-bas. évènement. Il y a également Mis- ayant une très grande exigence : 1 • Elle habite le quartier Ils m'ont suivi à Bordeaux. Plutôt sion qui va être jouée très bientôt. un « théâtre élitaire pour tous », Saint-Michel que de faire appel à des équipes La pièce est peut-être mal connue comme disait Antoine Vitez. Ce qui 2 • Elle mange souvent dans sur tel ou tel projet, nous allons du public mais j'incite vraiment tout est propre à mon projet, c'est que je une churrasqueira portu- essayer de construire ensemble le monde à aller la voir parce que ne vois pas d'un côté l'art avec un gaise appelée Chez Mario quelque chose de cohérent sur le c'est une chose très très forte. Cer- grand « A » et de l'autre une démo- dont elle adore le côté long terme. tains m'ont dit que c'était le spec- cratisation culturelle qui consisterait populaire. tacle le plus marquant qu'ils avaient en différentes actions que l'on ferait Que va devenir l'École de vu ces dix dernières années. Il y autour pour vendre son produit. 3 • Elle mange de temps en Théâtre créée par l'ancien est question de l'histoire africaine, Nous sommes dans des périodes temps à l'Atmospher. directeur ? histoire de génocides, le tout dans où on est très inconfortables finan- 4 • Elle trouve les habitants C'est l'une des raisons pour les- un registre assez violent. Et puis la cièrement. On essaie en priorité de gentils et les relations quelles j'ai postulé ici. Je m’inté- fin de la saison mettra en lumière dégager des finances en direction douces. resse beaucoup à la formation Liliom de Ferenc Molnár qui est un des créations. d'acteurs. Et le fait que j'ai une texte magnifique et méconnu. 5 • Elle apprécie le quartier reconnaissance dans ce domaine a Quelle est la spécificité d'un autour des Capucins et certainement joué en faveur de ma Et à partir de septembre ? centre dramatique national ? de Saint Michel. Elle aime nomination. J'étais professeur au Sur la saison prochaine, rien n'est Les centres dramatiques nationaux entendre des langues qui conservatoire de Paris, j'enseigne encore arrêté. Je n'ai pas voulu sont dirigés par des artistes, c'est ne sont pas la sienne. aussi beaucoup à l'étranger, et commencer par une nouvelle leur spécificité. Ce sont donc des Droits réservés 21 BORDEAUX ROCKS

L'association Bordeaux Par Aline Combrouze Rock fête cette année ses dix ans d'existence son travail, le réalisateur s'est éga- lement attaché à dépeindre la jeu- et propose un festival qui nesse de cette période, marquée s'est progressivement par l'ennui et les débuts du chô- imposé dans le paysage mage de masse. Dans ce climat social qui marque une vraie rup- bordelais. Petit tour ture avec l'insouciance des années d'horizon sur la pro- 60, les prémices de ce mouvement grammation 2014 avec alternatif agitent les banlieues et un documentaire sur le les villes de province : Le Havre, Rennes, Brest, Bordeaux... rock des années 80, un Un retour aux sources qui rend focus sur le retour de hommage aux « grands » dont les l'ex-chanteur du groupe héritiers directs ont pour certains commencé leur carrière au sein du Kele Okereke Gamine et deux forma- festival Bordeaux Rock. D.R tions musicales en quête La programmation 2014 réserve Un coup de pouce à deux vitesses de notoriété. A L’OMBRE DE GAMINE d'autres surprises avec Kele Oke- avec, d'un côté, un tremplin pour L'un des temps forts du festival est reke, le chanteur du groupe Bloc les jeunes talents qui souhaitent « NOUS, LES ENFANTS DU le concert de Paul Felix, l’ex-chan- Party, qui se lance désormais en se lancer et de l'autre des groupes ROCK », UN HOMMAGE AUX teur du groupe Gamine. Un groupe solo avec un registre électro house. bordelais confirmés qui assurent la ANNÉES 80 phare, rendu célèbre avec le mor- Passionné par la culture club, il première partie des pointures de la On ne ratera pas la projection de ceau Voilà les anges sorti en 1986. publie aujourd'hui un EP sur un scène musicale actuelle. ce documentaire réalisé sur le rock Après avoir passé vingt ans dans un des plus influents labels de House Casablanca, une formation de français des années 80 et qui ouvre monastère bouddhiste, Felix marque : Crosstown Rebels, et une mixtape jeunes musiciens âgés d'une ving- le festival. Une rétrospective écrite son grand retour sur la scène à envoûtante sur le label K7. Cet ar- taine d'années en moyenne, mar- et montée par Michel Vuillermet l'occasion de Bordeaux Rock. Il se tiste, qui apprécie particulièrement cheront dans les pas de leurs aînés intitulée Nous, enfants du rock. Le produira à l'I Boat, un lieu devenu les festivals français, viendra à la avec un concert à El Chicho, place réalisateur revient sur la genèse et mythique, situé dans le quartier des rencontre du public bordelais same- des Capucins. Des copains de ly- le parcours de groupes embléma- bassins à flot. Au fil des tournées, la di 25 janvier. cée qui ont décidé de faire de la pop tiques du rock de cette période : formation s’essouffle avant de se sé- anglaise directement inspirée des Taxi Girl, Noir Désir, Les Garçons parer au début des années 90. Ga- UN TREMPLIN POUR LES JEUNES New-Yorkais Vampire Weekend Bouchers ou encore les Bérurier mine, au son directement inspiré par POUSSES ou par la formation des Strokes. Noir. Une trentaine de groupes les années 60, bénéficie d'un regain Au fil des années, le festival Bor- Ce groupe, qui a seulement un an de la scène rock est passée au d'intérêt chez les jeunes généra- deaux Rock a su s'imposer et d'existence, s'est déjà imposé dans crible, avec des interviews rares, tions, souvent cité en référence par construire sa renommée en marge des festivals renommés comme en partie puisées dans les archives les groupes de la scène musicale des institutions bordelaises. L'as- celui des Noctambules avec un ré- de l'émission culte d’Antoine de actuelle comme Aline, Lescop ou le sociation du même nom est au- pertoire exclusivement composé de Caunes, Les enfants du rock. Dans groupe bordelais Pendentif. jourd'hui devenue the place to be morceaux en anglais. Une occasion pour chaque musicien souhaitant pour le groupe de renforcer sa visi- passer de l'ombre à la lumière. bilité auprès du grand public. Parmi les groupes confirmés, on retrouve le quatuor bordelais John • Documentaire & The Volta, finaliste national des « Nous, enfants du rock » : Inrock Lab 2013. Dans le cadre du mardi 21 janvier à 21 h, au festival, il présentera son premier Cinéma Utopia. EP de quatre titres intitulé Empirical, • Concerts influencé par l'indie pop actuelle. Il Casablanca : jeudi 23 janvier, partage l'affiche avec l'américain à partir de 22 h, à El Chicho. Cass McCombs, un artiste reconnu de la pop noire qui connaît actuelle- John & The Volta : vendredi ment un certain succès aux États- 24 janvier, à partir de 21 h, au Unis et en Espagne. Bootleg. Le festival Bordeaux Rock, qui as- Paul Felix ex-chanteur du sure le passage entre la scène mu- groupe Gamine : samedi 25 sicale passée et actuelle, valorise janvier à 19 h 30, à l'I Boat. avant tout la diversité et la richesse de la scène locale. Une program- Tout le détail sur le site mation 2014 à découvrir du 21 au www.bordeauxrock.com 26 janvier. g 22 • MEDIAS IMPRIMATUR No 682 • 23 JANVIER 2014

RUE89 DÉBARQUE À BORDEAUX Michel Anthony

Rue89 pose ses valises à Bordeaux. C'est la troisième délocalisation du site créé en 2007, après celles de Strasbourg et Lyon. Simon Barthélémy, journaliste à Bordeaux et rédacteur en chef du site, raconte la création du projet et surtout son contenu. Lancement prévu pour le 31 janvier.

Comment est né le projet de Propos reccueillis par Eléanor Douet articles de très grande qualité. Rue89 Bordeaux ? C'est une idée de Walid Salem, trer une ville plus humaine, c'est ticles, recouper différentes sources Comment fonctionne une édi- aujourd'hui directeur de la publi- notre but. Ça passe par des sujets pour assurer un contenu correct. tion locale de Rue89 ? cation. Il est graphiste à Bordeaux sur le groupe citoyen Colibris par Nous sommes totalement indépen- mais il contribue aussi à Rue89 exemple (une équipe qui encou- Les témoignages, les articles dants de l'édition nationale. On est depuis plusieurs années comme rage l'émergence et l'incarnation envoyés par des anonymes une sorte de franchise. On utilise journaliste pigiste. Il aime le débat. de nouveaux modèles de société sont-ils rémunérés ? le logo et on reste fidèles à la ligne En 2013, il lance l'idée avec Jean- par l'écologie, la politique ...), l'éco- Non. C'est une participation bénévole éditoriale fixée par le site : du débat François Belhomme, gérant de quartier Ginko à Bordeaux-Lac au site. Bien entendu, on peut nous et de l'actu. la société 3B Médias, qui assure (projet immobilier axé sur l'écono- accuser de faire de l'information low- Paris ne nous finance absolument maintenant le poste de respon- mie d’énergie avec mise en avant cost, de profiter de ce système. Notre pas. Comme notre contenu est sable de la publicité. de la nature), les systèmes de par- modèle économique ne nous permet totalement gratuit on ne compte Moi, je suis arrivé dans le projet tage d'objets. pas de payer les contributeurs. Mais pas sur des abonnements payants. après le désistement d'un journa- notre principal objectif est de faire L'argent vient à la fois d'action- liste qui devait travailler pour le site. L'info à trois voix défendue remonter l'actualité de partout. naires, des deux cofondateurs et par Rue89 reste au centre de bien sûr de la publicité. g Que trouvera-t-on le 31 jan- l'édition locale ? Sur les réseaux sociaux, vous vier, jour de lancement du Effectivement. L'information doit avez lancé un appel le 10 janvier site bordelais de Rue89 ? être partagée entre des journa- pour trouver des blogueurs. Plusieurs journalistes pigistes listes, des experts et des habi- Avez-vous eu des retours ? Rue 89 on déjà rédigé plusieurs articles. tants lambda. On appelle ça la Pour le moment, une dizaine de en trois dates clés Nous ne voulons pas dépendre coproduction de l'information. C'est candidats se sont manifestés. Mais • 6 mai 2007 : de l'agenda des acteurs politiques. indispensable pour nous. Une ils n'ont pas tous des blogs à l'heure création de On veut apporter du fond, donner grande place va être consacrée actuelle. On recherche à la fois des l'édition nationale une grande place aux enquêtes, aux propositions des citoyens. Les passionnés, des experts et des • novembre 2011 : aux reportages. Nous sommes lecteurs peuvent envoyer des té- citoyens. Il faut faire une sélection. délocalisation à Lyon ambitieux sur la forme et rigoureux moignages, être publiés sur le site • février 2012 : sur le fond. On veut un contenu au même titre que nos journalistes. Quels sujets seront développés ouverture de l'antenne agréable à lire. Une alchimie entre C'est très important pour nous. à travers ces blogs ? à Strasbourg rigueur journalistique et approche Un Bordelais « lambda » ne va Nous parlerons de sujets rattachés détendue. La bande-dessinée, par pas être marqué par les mêmes à Bordeaux. Le vin, la musique, Pourquoi Rue89 ? exemple, sera le support de diffé- informations qu'un journaliste où notamment le rock, la BD moins La « rue » synonyme de rents reportages. qu'un spécialiste. Cette diversité connue mais qui est bien dévelop- circulation, de rencontre, de contenu est un atout majeur pée dans la viwlle. de vie, de terrasses de café. Le but de l'édition locale est pour Rue89. donc d'approfondir l'actualité Rue89 qui arrive à Bordeaux, « 89 » pour évoquer la révo- de la ville ? Comment le site traite les mauvaise nouvelle pour le lution, celle de l'Internet et de l'information... C'est ça. Nous voulons être l'écho articles, les témoignages rédi- journal Sud Ouest ? de ceux qui changent la ville. Ça gés par les riverains (lecteurs- Non, il n'est pas question de riva- peut sembler cliché, mais c'est une contributeurs) ? lité entre nous. On apporte un volonté de la part des créateurs Les infos sont corrigées par les jour- contenu différent, du sang neuf. du projet. Une vraie visibilité pour nalistes de la rédaction. On va, bien J'aime beaucoup ce journal. Dans les initiatives citoyennes, mon- sûr, vérifier ce qui est dit dans ces ar- cette région, on trouve encore des 23 LES SÉRIES FONT LEUR RENTRÉE Janvier c'est la gueule de bois du 1er, le retour au boulot et une nouvelle année encore trop longue. Mais Janvier c'est aussi de nouvelles séries télé qui débarquent, rien que pour vous. Florilège offert par la rédaction. Par Maria Laforcade, Eléanor Douet et Viktor Frédéric

Anthony Michel Anthony GIRLS, AU NATUREL Lena Dunham est à l'image de sa incarne le personnage principal, série : hors du commun. Quand ses Hannah, son alter ego, est aussi la camarades du lycée Saint Ann's scénariste et productrice de la série, de Brooklyn, un des plus huppés devenue un véritable phénomène des Etats-Unis, lui disaient qu'elle outre-Atlantique. Un retentissement n'était pas jolie, elle leur répondait : en partie dû aux nombreuses polé- « Et ben je vais mettre des T-shirts miques qu'elle soulève. Certaines qui s'arrêtent au-dessus du nombril scènes de sexe ont été jugées trop tous les jours ». Girls raconte sans crues et dégradantes pour l'image pudeur la vie de quatre filles du de la femme. La force de la série quartier branché de Brooklyn. Le tient pourtant dans son approche titre est trompeur : les personnages ultra-réaliste. Lena Dunham montre embarrassants, dégoutants, dérou- ni artifice. C'est peut-être pour ça sont loin des clichés de la parfaite tout : la tristesse des ruptures, la joie tants. Girls explore ce qu'il y a de qu'elle dérange tant. American girl. Lena Dunham, qui des réconciliations, les moments plus humain en nous, sans fard Saison 3 actuellement sur HBO. TRUE DETECTIVE FRAPPE TRÈS FORT True Detective, c'est LA nouvelle Matthew McConaughey campe un série phare de la chaine améri- flic alcoolique, rongé par la mort de caine HBO (Game of Thrones, sa petite fille. A ses côtés, Woody Girls, Sex and the City). L'origina- Harrelson apparaît plus humain, lité de la série : une saison, une mais aussi plus distant. Ils vont enquête. devoir s'apprivoiser l’un l’autre pour Dans l'Amérique des années 1990, résoudre cette enquête. L'intrigue deux flics que tout oppose traquent navigue dans les eaux sombres du un serial killer. Pour incarner ces bayou, et l’enquête est ponctuée deux hommes paumés, deux par de nombreux flash-backs. stars : Matthew McConaughey La Louisiane désoeuvrée de True et Woody Harrelson. Preuve s'il Detective se construit dans une meurtres sordides que le duo doit teur. Ils sont disponibles, le lende- en est que les séries actuelles se ambiance pesante, une atmos- élucider. main de leur diffusion américaine, donnent les mêmes moyens que le phère glauque et un rythme lent qui L'épisode pilote a séduit. Les pro- sur la chaine Orange Cinéma Sé- cinéma. s'accordent à la perfection avec les chains vont devoir être à la hau- ries (OCS). HUMOUR À LA SAUCE AFGHANE Nous sommes en 2005. Les casques retrouve mêlé à des intrigues qui le visuelle. Burlesque, captivante, Kaboul Kitchen saison 2, actuel- bleus tiennent Kaboul, une ville dépassent rapidement. Parfaitement drôle mais toujours bienveillante, lement diffusée sur Canal Plus. marquée par la guerre. Au même campé par un Gilbert Melki irrésis- la série donne sans doute la re- moment, Jacky, Français d'origine, tible, le Français se lie à Amanullah cette d'une Kaboul Kitchen réus- s'expatrie dans la capitale afghane (Simon Abkarian), un « député-co- sie. pour porter un projet fou. Il veut mon- lonel » à l'ambition dictatoriale. Les ter son restaurant, le Kaboul Kitchen. choses se compliquent encore pour Véritable bastion de l'occidentalité, lui avec l'arrivée imprévue de sa fille l’établissement attise les convoitises Sophie, venant faire de l'humanitaire. autant que la polémique. Il n'y a pas Un cocktail explosif servit au service que la nourriture qui se veut française. de l'humour et du suspense. Piscine, bikini, alcool et drogue, la Inspirée par la vie d'un de ses Kaboul Kitchen devient le refuge des créateurs, Marc Victor, cette expatriés en quête d’émotions fortes. création originale diffusée par Jacky, poussé par son avarice, se Canal plus, est une perle audio- HUGUES MARTIN LA VOIE LOYALE Conseiller municipal de Bordeaux depuis plus de quarante ans, Hugues Martin quittera définitivement ses fonctions en mars prochain. Cet ancien militaire, maire de la ville pendant deux ans en l’absence d’Alain Juppé, a été le fidèle lieutenant de Jacques Chaban-Delmas et de l’actuel maire de Bordeaux.

nier dans l’affaire des emplois Hugues Martin a dirigé l'un fictifs de la Ville de Paris. Alain des plus grands Juppé, déclaré inéligible pen- cabinets dant un an, cède sa place à son d'assurance premier adjoint. Celui qui n’avait d'Aquitaine « jamais envisagé d’être maire » le devient par hasard. Pas ques- tion pour autant de s’habituer au siège de premier magistrat de la ville. « Les choses étaient claires entre Alain Juppé et moi : s’il voulait reprendre son poste, je lui cédais », précise Hugues Martin. « Vous m’auriez vu, fran- chement, barrer la route à Alain Juppé ? » FIDÈLE AU POSTE Ces quelques mois d’intérim ont suffi à Hugues Martin pour imprimer « sa marque de fa- brique », note Pierre Hurmic, représentant des élus Verts au Conseil municipal de Bordeaux et opposant de longue date. « Il est plus simple, moins protoco- laire [qu’Alain Juppé] », ajoute t-il. « C’est une différence de Matthieu Delmas tempéraments ». Très présent sur le terrain, Martin joue la Je suis loyal, même Par Maria Laforcade première fois en 1971, Hugues carte de la proximité. Quelques si certains diront que Martin devient adjoint au maire jours après avoir pris ses fonc- je suis con », lance t-il plus tard lui laisse un goût amer. en 1983. Il prend les commandes tions de maire, par exemple, il dans un demi-sourire. Hugues Martin n’aime pas les de la ville aux côtés de Si- réunissait les présidents des Hugues Martin ne feint dissidents. mone Noailles et Jacques Valade groupes d’opposition munici- pas« la cordialité. Sa convivia- durant les longs mois de maladie pale pour leur garantir sa to- lité n'est pas qu'une posture. Sa FASCINÉ PAR CHABAN de l’ancien Premier Ministre. Fils tale disponibilité à leur égard. bonhomie et sa silhouette de Ancien scout et proche du ca- de résistant dauphinois, Hugues Adversaire politique coriace, bon vivant lui ont toujours attiré tholicisme social, Martin a été Martin a été « fasciné » par Cha- Hugues Martin « a les défauts beaucoup de sympathie. Colonel contraint de renoncer à une car- ban-Delmas, qui symbolisait de ses qualités », selon Hurmic. de réserve et ancien parachu- rière militaire après un grave à ses yeux « une sorte d’idéal « Sa fidélité inconditionnelle à tiste, il dit être un « homme de accident de parachute. En 1970, politique ». « Son projet de "nou- sa famille politique l’empêche paroles », même si cette loyauté il s’engage aux côtés de Jacques velle société" correspondait tout d’avoir un esprit critique sur son inconditionnelle lui a parfois joué Chaban-Delmas, alors en cam- à fait à mes convictions idéolo- propre parti ». « Il ne sait pas de mauvais tours. Aux élections pagne pour devenir député. giques », dit-il. être transgressif », ajoute t-il. sénatoriales de septembre 2008, Président de l’Union des jeunes Serait-ce la perspective de la il accepte de se placer en troi- pour le progrès (UJP), d’inspi- MAIRE PAR INTÉRIM retraite qui l’autorise à se mon- sième position sur la liste UMP, ration gaulliste, il se démarque Fidèle à la volonté de Chaban- trer moins conciliant ? Hugues cédant sa place à Marie-Hélène en perturbant les réunions de Delmas de voir à la tête de la ville Martin donne désormais volon- Des Esgaulx, déjà élue au Sénat. l’opposant au maire de Bordeaux un « grand format », « quelqu’un tiers son avis sur l’état actuel de Mais la liste dissidente de Gé- grâce à une méthode, le lâcher qui aurait de l’envergure sur le sa famille politique : « La droite rard César, qui récolte une par- de pigeons en plein meetings, plan national », Hugues Martin est désolante. Il n’y a plus au- tie des voix de droite, l’empêche qui amuse Chaban-Delmas. Du rejoint l’équipe d’Alain Juppé, élu cune unité. C’est un combat de de devenir sénateur. Le retour coup, le Duc d'Aquitaine lui de- maire de Bordeaux en 1995. En chefs sans intérêt », déclare-t-il. de Gérard César dans les rangs mande de rejoindre son équipe. décembre 2004, il vit le « choc » Hugues Martin n’aime décidé- de l’UMP quelques semaines Élu au conseil municipal pour la de la condamnation de ce der- ment pas les dissidents.g