onC’est maintenant, en et c’est de l’art, de la culture, parle de la mode, du design et du voyage

Le musicien (en noir) entouré de L’Af r iq u e son groupe.

blues rock électrique de Mdou Moctar Avec son nouvel album enthousiasmant, le guitariste et compositeur touareg de 35 ans confirme qu’il fait partie des artistes sahéliens à suivre.

« L’Afrique est victime de tant de dont il est capable. Depuis, même crimes / Si nous nous taisons, ce sera des créateurs de mode comme notre fin », affirme-t-il dans son nouvel Virgil Abloh ne jurent que par lui. album. Mdou Moctar sait de quoi il Aujourd’hui, Afrique Victime parle, lui, le natif d’Agadez, village enfonce le clou de ses velléités perdu au cœur du désert nigérien. Lui, punk, loin d’être incompatibles avec l’un des jeunes héritiers du patrimoine l’électrique contagieuse qui résonne lors touareg, qui a grandi en écoutant aussi des fêtes de mariages d’Agadez. Entre bien la musique traditionnelle morceaux sous tension que le hard rock d’Eddie (« Chismiten », «Asdikte Van Halen. Et sa musique, Akal ») et ballades brillant il l’incarne en tamasheq par la simplicité de leurs (langue touarègue). mélodies (« Ya Habibti », En 2015, Moctar « Tala Tannam »), il illuminait le premier film bénéficie de l’expertise touareg, Akounak Tedalat sonore de Mikey Coltun, Taha Tazoughai (« Pluie de à la production, et Mdou Moctar, couleur bleue avec un peu de d’Ahmoudou Madassane, Afrique victime, rouge » en français), remake qui a également lancé Matador. décalé du Purple Rain de le premier groupe Prince réalisé par Christopher Kirkley. révolutionnaire rock touareg, Les Filles Il s’agissait de retracer le parcours de ce de Illighadad. Guère étonnant si Moctar jeune guitariste passionné qui affrontait se range du côté de l’égalité des sexes bien des obstacles pour vivre de sa ici. Il raconte l’amour, la célébration, musique. De quoi se faire connaître son admiration pour le grand Abdallah au-delà des frontières et, en 2019, sortir ag Oumbadougou, la religion mais un premier album studio, Ilana : The aussi la révolte, les stigmates coloniaux. Creator. Enregistré avec son groupe Un besoin irrépressible de liberté de scène (le bassiste Mikey Coltun, habite cet album qui, contrairement le guitariste rythmique Ahmoudou à ce que son nom indique, clame

h a - dr WH Moustap Madassane et le batteur Souleymane haut et fort la puissance sacrée du Ibrahim), il démontre la fièvre rock continent africain. ■ Sophie Rosemont

6 afrique magazine I 417 – juin 2021 afrique magazine I 417 – juin 2021 7

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Le chef et journaliste Stephen Satterfield nous entraîne de l’Afrique aux États-Unis.

Wish you were here, SOUNDS de Mary Sibande, À écouter maintenant ! 2010. ❶ Anaiis Juno, Dr. Martens Presents Afin de partager son expérience en tant que femme noire, plaçant au cœur des débats les problèmes de santé mentale qui peuvent en découler, la chanteuse franco-sénégalaise Anaiis lance un projet en trois étapes via Dr. Martens Presents, une plate-forme destinée à soutenir les talents émergents : d’abord, la sortie du single « Juno », puis un guide personnel sous forme de jeu de cartes, et pour finir des rencontres avec la photographe Charlotte Abramow, l’actrice Déborah Lukumuena et la réalisatrice Néhémie Lemal. Extrait de Mélas de Saturne, de Josefa ❷ Kamel El Harrachi Ntjam et Sean Hart,

oire Nouara, Kamiyad 2020. DOCU

m Nouveaux Son père, Dahmane

é La traversée du gombo El Harrachi, est celui qui a m Du Bénin au Texas, une série gourmande explore les racines de la soul mondes offert « Ya Rayah » au monde. Depuis les années 1990, food et montre combien celle-ci est loin de se réduire au fried chicken… Pour la Saison Kamel s’évertue à entretenir Africa2020, Bordeaux la flamme du chaâbi algérien, Créditer les Noirs de leur apport des cuisiniers, des blogueurs, des historiens, expose des œuvres tout en travaillant comme éducateur à la cuisine américaine : c’est l’ambition ou de simples jardiniers. Aux États-Unis, les dans un institut médico-psychologique… d’un percutant et délicieux docu-série Afro-Américains se réapproprient le riz de tressées de récits et en partant de temps à autre en tournée inspiré d’un livre de l’historienne Jessica Caroline du Sud (celui-là même que leurs intimes et collectifs. internationale ! Aujourd’hui, il fait une B. Harris. Dans le premier épisode (sur ancêtres esclaves étaient forcés de cultiver) déclaration d’amour à son pays natal quatre), entièrement tourné au Bénin, on et les bas morceaux du cochon ou du En préambule, habillée de bleu et de blanc, une sculpture en reprenant le corpus de son père, mais la retrouve au milieu du marché Dantokpa, bœuf (délaissés à l’époque par les maîtres) à taille humaine dévide une pelote de laine rouge. Témoignage aussi deux de ses délicates compositions. à Cotonou, interrogée par celui qui nous dans des plats accommodés avec talent par vibrant sur les décennies d’apartheid, l’impressionnante servante, guide dans ce voyage, le charismatique leurs aïeux. On y apprend que les chefs des modelée sur l’artiste sud-africaine Mary Sibande, déroule chef et journaliste Stephen Satterfield. premiers présidents étaient noirs ou encore ❸ Pat Kalla & Le Super Mojo l’histoire de son pays à travers son propre récit. Le fil conducteur Hymne à la vie, Heavenly Sweetness Une plante sur les étals symbolise le lien qu’un esclave affranchi a fait fortune en de l’exposition est bien celui de la mémoire. Un fil au bout entre les continents africain et américain : faisant aimer les huîtres aux New-Yorkais… duquel, de création en création, surgit enfin une autre vérité. Au micro, Pat Kalla, le gombo (aussi appelé okra), présent dans Des séquences de repas ponctuent cette Passeuse, tisseuse et rassembleuse, voilà les rôles que chacune la voix lyonnaise d’origine bien des soupes et des ragoûts des deux côtés odyssée, et en faisant ressurgir les fantômes des 14 artistes exposées, du continent et de la diaspora, endosse camerounaise de Voilààà de l’océan, a fait le voyage dans les cales des d’un passé douloureux, amènent les convives avec brio. Ainsi, venues du , d’Algérie ou du Ghana, ou de Conte & Soul. À la bateaux négriers… Une émouvante séquence au bord des larmes. La cuisine est affaire Le deuxième épisode (sur quatre) elles se font toutes l’écho d’une phrase de Nina Simone, inscrite à la Porte du non-retour, à Ouidah, rend de goût et de sensibilité. Mais aussi de se déroule en Caroline du Sud, où de production et aux beats, le DJ nombreux esclaves furent déportés. en exergue : « Le devoir d’un artiste, en ce qui me concerne, Guts. Et aux instruments, hommage aux souffrances des ancêtres, fil mémoire. Jusque dans cet agneau mijoté est de refléter l’époque. […] Et à ce moment crucial de votre le Super Mojo, qui mixe l’highlife, l’afrobeat, rouge de toute la série. C’est aussi l’occasion à Houston, avec cacahuètes rôties et sauce vie, où tout est si désespéré, où chaque jour est une question de le funk et la cumbia. Côté attitude, un de voir comment des chefs béninois, arachide : une recette sénégalaise en survie, je ne pense pas que vous puissiez vous empêcher d’être engagement qui ne perd jamais le sourire comme Valérie Vinakpon Gbaguidi, plein Texas. ■ Jean-Marie Chazeau impliqué. Les jeunes, noirs et blancs, le savent. » ■ Catherine Faye et le groove de mots swingués. En témoigne modernisent la cuisine traditionnelle LA PART DU LION : COMMENT « Memoria : Récits d’une autre histoire », cet Hymne à la vie à l’énergie contagieuse, et remettent au goût du jour des plats qui LA CUISINE AFRO-AMéRiCAINE Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA, Bordeaux (France), qui tombe pile au bon moment… ■ S.R. tendent à disparaître. La transmission A CHANGÉ LES ÉTATS-UNIS (États-Unis),

jusqu’au 20 novembre. fracnouvelleaquitaine-meca.fr dr netflix - dr est l’idée-force de ces rencontres avec de Roger Ross Williams. Sur Netflix.

8 afrique magazine I 417 – juin 2021 afrique magazine I 417 – juin 2021 9 on en parle

Poésie La bounce music de la en Louisiane. Entre « Boomerang » À l’épreuve de la vie Nouvelle-Orléans, dont elle est et « Bussifame », la musique est native, la house, la techno, le percussive, synthétique, taillée Un recueil écrit au scalpel. R’n’B sudiste, le footwork… Celle pour le dancefloor occupé par le Pour dire l’Afrique, ses maux, qui jongle avec les styles a été personnage dans lequel se glisse mais aussi la vigueur remarquée en Europe dans Dirty l’artiste, King Creole. Quant de sa culture et de ses identités. Money, le groupe formé avec à son titre, il fait référence à la Ce n’est pas un hasard si Sean Combs (alias Puff Daddy). « deuxième ligne » de musiciens le poète et journaliste mauritanien Dawn Richard possède non et danseurs, qui, dans les parades Bios Diallo, grand défenseur de la seulement une voix qui balance en Louisiane, improvisent sur les culture et des mots, dédie son recueil à sa mère, Sané. sévèrement, mais aussi une plume rythmiques, et au sein de laquelle « Maman, le feu c’était sous ton regard vigilant / La hache d’autrice-compositrice avertie. tout le monde est bienvenu. ■ S.R. à éviter, la justesse de tes mains. » Comme si son chant Ce cinquième album solo peut et sa voix s’écrivaient au fil d’une vie, de l’enfance à l’âge en témoigner, explorant son adulte, de l’innocence à la connaissance, au sang et au patrimoine créole, comme on tourment. Dans ce troisième recueil de poésies, l’auteur l’entend dans les interventions de des Pleurs de l’arc-en-ciel et des Os de la terre émaille ses sa mère, qui raconte son quotidien vers de propos engagés, puisés à l’encre de l’actualité : l’immigration à risques, l’intolérance, les conflits identitaires et religieux, ou encore l’invasion djihadiste de la ville sainte de Tombouctou, au Mali. Imagés et intenses, ses poèmes B LK JKS Dawn Richard, tissent une cartographie d’un monde malmené, mais où Second Line: An Electro Revival, « l’amour / sans couleur ni races » sculpte l’espérance. ■ C.F. Afropunk Merge Records. Bios Diallo, La Saigne, Obsidiane, 64 pages, 10 €. underground vibrations Enquête Une vie en morceaux Le quatuor sud-africain Entre biographie, enquête historique revient avec un irrésistible album et récit journalistique, ce livre qui réinvente entièrement le style MUSIQUE inclassable explore les mystères de leurs débuts. entourant la disparition d’une femme. Que cache le suicide d’une TV On The Radio et Spoek Mathambo en sont fans, jeune écrivaine de 27 ans ? Surtout et ce n’est pas sans raison ! Au milieu des années 2000, Dawn lorsqu’il survient après la réception BLK JKS devenait le fer de lance du mouvement afropunk d’une lettre de l’éditeur nationalisé Al-Dâr al-Qawmiyya sud-africain. Son premier album, After Robots (2009), lui notifiant son refus de publier son premier et unique lui vaut de tourner dans le monde entier, avant de faire roman, L’Amour et le Silence. Nous sommes en 1963, une pause jusqu’en 2018, où le groupe décide de remettre Richard au Caire. Le livre sera finalement publié en 1967, puis ça avec le fils du trompettiste tombera dans l’oubli. C’est ce mystère, ultime liberté , Selema. Après enchevêtrée de détresse profonde, que l’une des plus belles des mois passés à jammer au Princesse voix poétiques égyptiennes contemporaines a voulu explorer, Theatre Orchestra Pit, une large après avoir découvert l’ouvrage de la défunte chez un poignée de chansons se volatilise bouquiniste. Une quête captivante, de proche en proche, à cause d’un cambriolage. créole à la fois historique et intellectuelle, poétique et intime. Qu’à cela ne tienne, BLK JKS retourne Dans laquelle la lauréate du prestigieux Sheikh Zayed Book en studio un an plus tard et enregistre Avec Second Line, Award cherche à démêler l’écheveau d’une identité complexe ce qui deviendra Abantu/Before Humans, un mélange la chanteuse native et émouvante. Au fil de découvertes parfois contradictoires. audacieux de cuivres et de guitares volontiers de la Nouvelle-Orléans Et de révélations ambiguës. ■ C.F. électriques sur un terreau rock’n’roll, qui n’en oublie pas Iman Mersal, Sur les traces d’Enayat Zayyat, néanmoins ses racines africaines. Galvanisant ! ■ S.R. explore une électro-soul

Actes Sud, 288 pages, 22 €. BLK JKS, Abantu/Before Humans, Glitterbeat/Modulor. brett rubin - dr - dr alexander le’jo futuriste.

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Portrait CINÉMA Binetou Sylla, le passer le mur rythme en héritage Un thriller social À 33 ans, la productrice est à et familial nous plonge au cœur la tête de Syllart Records, de l’« apartheid » israélien. un label de musiques africaines Alors que le conflit israélo-palestinien et afro-latines. fait aujourd’hui un retour brutal dans l’actualité, le cinéma nous rappelle combien la vie au quotidien Née en France en 1988, bercée par les rythmes du continent, est difficile depuis longtemps pour les habitants de elle a assisté aux enregistrements studio d’illustres artistes : Cisjordanie. Surtout lorsqu’il faut passer les checkpoints fondé à Paris en 1981 par son père, Ibrahima Sylla, le label pour traverser le mur protégeant l’État hébreu… pionnier Syllart Records a notamment propulsé sur la scène Ce premier long-métrage, très prenant, nous entraîne mondiale Salif Keïta, Ismaël Lô, Youssou N’Dour, Baaba Maal. à la suite d’un père de famille appelé à rejoindre en À la mort de son père en 2013, la jeune femme en reprend urgence sa femme et ses enfants, qui résident (pour les rênes. Avant de relancer la production de nouveaux talents, le travail et l’école) à 200 mètres, côté israélien. Leurs De haut en bas, des œuvres elle œuvre actuellement à valoriser le patrimoine du prestigieux deux appartements se faisant face de part et d’autre de Yassine Balbzioui, Mohamed Larbi catalogue, à accompagner les artistes dans la mue digitale. de la haute muraille de béton. Faute d’autorisation, Rahhali, Ahmed Amrani et Randa Maroufi. Un travail d’archiviste pour cette titulaire d’un master en histoire il entreprend un long périple à suspens pour contourner de l’Afrique : son mémoire portait sur le lien entre les élites l’obstacle. Ali Suliman, comédien palestinien vu précoloniales et coloniales au Mali, au début de la colonisation. chez Ridley Scott et son compatriote Elia Suleiman, Avec Rhoda Tchokokam, Célia Potiron et Christiano Soglo, elle incarne avec subtilité ce papa poule dont la colère

ective À l’heure forme le collectif Piment et signe l’ouvrage Le Dérangeur, dans rentrée et l’empathie forcent le respect. ■ J.-M.C. le sillage de leur émission radio. Conciliant rigueur scientifique p et ton sarcastique, cet abécédaire traite avec pertinence des marocaine questions liées à la condition des populations noires en France, puisant dans l’histoire, les sciences sociales étros Les sept dernières R ou la pop culture. Un apport précieux, qui décennies d’effervescence suscite débat et réflexion. ■ Astrid Krivian culturelle du royaume chérifien Collectif, Le Dérangeur : Petit lexique en voie de décolonisation, Hors d’atteintes, sont mises à l’honneur à Madrid. 144 pages, 16 €. Quatorze kilomètres à peine séparent le Maroc de l’Espagne. Cette proximité, des deux côtés de la rive méditerranéenne, et le passé historique qui relie les deux pays sous-tendent la rétrospective présentée dans l’un des plus beaux musées de la capitale espagnole, le Reina Sofía. Avec plus de 200 œuvres, des pionniers de la modernité aux artistes contemporains engagés, elle propose une relecture de l’histoire de l’art marocain, de l’indépendance à nos jours, en mettant l’accent sur trois centres culturels urbains : Tétouan, Casablanca et Tanger. Ce qui frappe d’abord, c’est la diversité et le dynamisme de la scène artistique marocaine. De Mohamed Abouelouakar à Latifa Toujani, en passant par Farid « Trilogie marocaine Belkahia ou Mohamed Kacimi, chaque plasticien nourrit 1950-2020 », Museo Reina un dialogue visuel fécond. La dernière période, qui s’étend Sofia, Madrid (Espagne), de 2000 à 2020, montre le travail d’une génération de 200 MÈTRES (Palestine), d’Ameen Nayfeh. Avec Ali Suliman, Anna Unterberger, Lana Zreik. jusqu’au 27 septembre. jeunes artistes qui rompent avec le passé sur les plans

En salles. dr (2) - s h ellac dr museoreinasofia.es formel, technique, symbolique et politique de l’art. ■ C.F.

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Le 8 septembre 1948, un paquebot jette l’ancre au Cap. À bord, 83 garçons et filles, âgés de 2 à 14 ans. Ils ont été choisis dans des orphelinats allemands par la Dietse Kinderfonds, une organisation de bienfaisance sud-africaine imprégnée d’idéologie nazie, pour permettre à des familles boers d’adopter des enfants au sang pur, de race blanche et de religion protestante. En un mot, des descendants d’Aryens. Nourrissant ainsi le fantasme de « régénérer le sang des Afrikaners ». Trois ans plus tard, le Premier ministre Daniel François Malan, lui-même père adoptif d’une petite Allemande, fait voter une loi prévoyant d’éradiquer toute trace des véritables origines. Lorsque Bessora découvre cette histoire dans le documentaire 1948 : Du sang blanc pour l’Afrique du Sud (2011), de Régine Dura, son sang ne fait qu’un tour. Bouleversée par l’un des Ses œuvres sont constituées protagonistes interviewés, Peter Ammermann, de douilles collectées dans les zones de conflit. elle se lance dans une quête éperdue pour sculpture le retrouver, car, dans ses yeux d’octogénaire, Désirs elle a vu l’enfant portant le poids d’une double culpabilité. Celle d’avoir été un emblème d’humanité du nazisme et un instrument de l’apartheid, Les créations de Freddy Tsimba sans qu’on ne lui ait rien demandé. À partir de participent à une rencontre ses confessions, sa trame se dessine, les jumeaux fictifs de son roman (Wolf et Barbara) se faisant inattendue, entre passé et présent. l’écho de la narration de Peter. Dans ce récit Ici, un homme se tient la tête entre les mains. de la culpabilité et de la résilience, l’auteure, Là, une mère tend son sein à son enfant séparé d’elle littérature fille d’une Suissesse et d’un diplomate gabonais, par un épais grillage. Les œuvres si particulières de témoigne une nouvelle fois des thèmes Freddy Tsimba heurtent et émeuvent. Elles nous disent qui l’occupent : la complexité des chemins l’histoire mouvementée de son pays, la République de l’identité, l’enchevêtrement des cultures, démocratique du Congo. Celle du monde aussi. Connu Double l’exclusion, l’endoctrinement. C’est précisément pour ses sculptures composées de douilles collectées dans un voyage en Afrique du Sud, en 1994, les zones de conflit, le plasticien engagé élabore son œuvre peu de temps après l’élection de Mandela à à partir de bouts de ferraille, de capsules, de clés, de la présidence, qui la décide, à 26 ans, à changer cuillères. Les objets abandonnés se faisant ainsi l’écho des peine radicalement de vie et à se lancer dans des rebuts et des blessures. Et offrant une réinterprétation de Fiction très documentée, études d’anthropologie, parallèlement à une l’univers qui nous entoure. Dans cette exposition, 22 de ses carrière d’écrivain. Après de nombreux romans, sculptures et installations sont présentées face à 30 pièces le douzième roman dont Les Taches d’encre (prix Félix Fénéon 2001) sélectionnées dans les collections de l’ex-musée du Congo de l’écrivaine belge Bessora et Cueillez-moi jolis Messieurs… (Grand prix belge, intimement lié à l’histoire de la colonisation du met en lumière un fait littéraire d’Afrique noire 2007), cette histoire pays par la Belgique : photographies historiques, peinture terrible et vraie est un choc littéraire. ■ C.F. « Mabele eleki lola ! La terre, plus belle occidentale, armes, masques, sculptures traditionnelles. historique méconnu. Bessora, Les Orphelins, JC Lattès, que le paradis », AfricaMuseum, Tervuren Un dialogue inédit, imaginé par l’écrivain kino-congolais 250 pages, 20 €.

(Belgique), jusqu’au 15 août. africamuseum.be In Koli Jean Bofane, commissaire de l’exposition. ■ C.F. - dr (3) m ansia alayka - dr effigie/ L ee m age

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Essai Extrait du projet photographique Musique de l’âme d’Ismail Zaidy. Un dialogue intérieur sur la création littéraire Patrick Chamoiseau, par l’essayiste martiniquais, Le Conteur, la nuit théoricien de la créolité. et le panier, Seuil, Il a gardé le sourire 272 pages, 19 €. de l’enfance. Et c’est avec écriture », confie-t-il dans ce même naturel que l’ardent ce texte pétri de l’histoire défenseur de la « littérature des Antilles, de l’esclavagisme monde » interroge son travail et de la colonisation. De tout d’écrivain, sa mémoire intime le terreau de son imaginaire. et les mystères de la création. Sans chercher de réponse, Un récit sensible et fertile, il explore les recoins du BILLIE où les fondamentaux de processus littéraire, au fil HOLIDAY, DRAME son œuvre sous-tendent d’un cheminement semé UNE AFFAIRE sa réflexion. « L’écrire, c’est d’embûches, assailli D’ÉTAT une métamorphose. C’est d’émotions, traversé par (États-Unis), Lady Day dans mobiliser un état poétique l’énigme de la transmission, de Lee Daniels. dans la langue : danser son orale et écrite. L’acte créateur Avec Andra Day, SAISON AFRICA2020 l’œil du cyclone écriture, chanter son écriture, devenant une plongée dans Trevante Rhodes, sentir son écriture, crier son l’inconnu. Un vertige ■ C.F. Un biopic sur Billie Holiday qui Garrett Hedlund. propose un nouveau regard : celui du FBI… En salles. Roman Vivre le désert en dénonçant le lynchage des Noirs aux États-Unis Cinquante ans après Diana Ross (dans Lady Sings the Imaginée par 10 artistes dans « Strange Fruit » en 1939, la diva du jazz Billie Holiday Blues), la chanteuse Andra Day, dont c’est la première Le monde originaires de sept pays traversés s’est attiré des ennuis : le FBI, craignant des émeutes raciales, apparition au cinéma, incarne avec justesse son idole à l’envers a fait pression sur elle pendant des années afin de la dissuader de toujours, dont elle recrée le timbre (elle a transformé La destinée d’un village aux par le Sahara, cette expo de reprendre sa chanson sur scène. Jusqu’à introduire dans sa voix et a perdu 18 kg pour le rôle). Elle campe une prises avec une compagnie interroge les fantasmes et la réalité. son entourage l’un de ses agents afro-américains… qui finira Billie Holiday loin de son image de victime pour en faire pétrolière, à travers plusieurs par devenir son amant ! Le rôle de l’infiltré est d’abord de une femme qui, bien que très marquée par son enfance voix qui s’entremêlent. Le centre de création Magasins généraux, installé la faire tomber pour drogue, ce qui n’est pas compliqué tant (violée à 10 ans, forcée à se prostituer très jeune) et Implacable et foisonnant. à Pantin, près de Paris, dédie sa troisième saison culturelle la cocaïne circule autour de l’artiste, souvent alcoolisée. entraînée vers le fond par ses addictions, est sûre de Le second roman de l’auteure au désert du Sahara. Avec une exposition originale mettant en scène 10 artistes âgés de 22 à 35 ans, un festival étalé Lady Day, comme on la surnomme, va affronter le racisme, ses désirs, de ses convictions et de son art. Lee Daniels du retentissant Voici venir Imbolo Mbue, faire de la prison, être interdite dans certaines salles, (réalisateur du Majordome en 2013) lui rend justice les rêveurs, dans lequel elle Puissions-nous vivre entre juillet et septembre, ainsi que des ateliers et des mais continuera crânement à faire vibrer sa voix unique. dans cette épopée à la fois sombre et sensuelle. ■ J.-M.C. relatait l’histoire d’émigrés longtemps, Belfond, performances dans le cadre de la Saison Africa2020, « Hotel camerounais partis comme 432 pages, 23 €. Sahara » aborde une partie des défis auxquels doivent elle s’installer à New York, de l’autre, sans tomber dans faire face les populations sahariennes : la question de Festival déploie une fresque un manichéisme primaire. l’eau, la réalité géopolitique, le rôle des femmes ou celui redoutable sur les dégâts Si l’Américano-Camerounaise du tourisme, la place de la musique et de la création ou La part du féminin Ils et elles sont de retour sur la scène de l’Institut du capitalisme à outrance, s’inscrit dans la lignée de encore la problématique des déplacements. Tant de sujets du monde arabe. Musiciens, danseurs, écrivains, militants, penseurs se retrouvent durant tout le mois les conséquences des modes Toni Morrison et de Gabriel que les jeunes artistes émergents ont creusé lors d’une de juin pour un programme de 26 événements. Pour cette édition, les chanteuses tunisiennes sont de vie énergivores sur Garcia Marquez, avec résidence d’une semaine à côté des dunes, dans le sud-est à l’honneur. Le 9 juin, Emel Mathlouthi, l’interprète de « Kelmti Horra », présentera The Tunis Diaries, des populations qu’ils ce sentiment d’éclatement du Maroc. Originaires de la Tunisie, de l’Algérie, du Maroc, son dernier album, écrit durant son confinement. Le 12 juin, Dorsaf Hamdani interprétera des œuvres appauvrissent et tuent, et les entre deux cultures, c’est de l’Égypte, de la Libye, du Mali ou encore du Soudan, ils d’Oum Kalthoum, de Fairouz et d’Asmahan. Et le 13 juin, ce sera au tour d’Abir Nasraoui de rendre fantômes de la colonisation. ici chez Frantz Fanon qu’elle restituent sous une multitude de formes leurs expériences hommage aux chanteuses tunisiennes Habiba Msika, Saliha et Oulaya. Outre ces témoignages à la Dans un style jubilatoire, puise toute la force d’un du désert, la relation qu’ils entretiennent avec celui-ci et gloire des divas arabes, d’autres concerts, des soirées dédiées aux jeunes artistes du Maghreb, un forum elle nous raconte la mainmise récit où l’injustice, la révolte les réalités humaines qu’ils y ont vécues. ■ Luisa Nannipieri sur le thème « Exister ! Être LGBTQ+ dans le monde arabe », des rencontres littéraires ou encore des d’une compagnie pétrolière et la résistance trouvent leur « Hotel Sahara », Magasins généraux, spectacles de danse montreront la singularité et la richesse de la création contemporaine arabe. ■ C.F. - dr (2) P ictures C orporation ara m ount sur une bourgade africaine, éclat dans des personnages Pantin (France), du 12 juin au 2 octobre.

Arabofolies, Institut du monde arabe, Paris (France), du 5 au 30 juin. imarabe.org 2020 P dr (3) - is m ail zaidy l’écrasement de l’un au profit puissants. ■ C.F. magasinsgeneraux.com

16 afrique magazine I 417 – juin 2021 afrique magazine I 417 – juin 2021 17 on en parle

Une image vaut o p p hotos

p mille mots David Avec sa série d’autoportraits, la militante sud-africaine Numwami ZANELE MUHOLI, engagée auprès des communautés Bienvenue LGBTQ+, frappe fort. dans un autre Elle se bat contre les préjugés à coups de clichés. Des portraits en noir et blanc, charbonneux, cireux. Où une paire d’yeux monde ! au blanc immaculé, quasi exorbités, captive le spectateur. Comme si elle transperçait la Remarqué sur scène photographie. Un regard qui semble traduire aux côtés de Charlotte les mots de l’écrivaine afro-américaine Maya Gainsbourg, ce Angelou : « Il n’est pire souffrance que de garder en soi une histoire jamais racontée. » Celle que multi-instrumentiste nous narre, au fil de son œuvre audacieuse, d’origine rwandaise l’activiste sud-africaine, engagée de longue date est l’un des meilleurs contre l’homophobie et la haine raciale, met en scène une diversité d’identités, comme celles qui espoirs de la la définissent : noire, lesbienne, zouloue… Après scène bruxelloise. avoir longtemps photographié ses semblables, au sein des communautés noires lesbiennes, gays, C’est une pop mâtinée de R’n’B épuré bi, trans ou intersexes, Zanele Muholi s’était que nous propose David Numwami, que lancée en 2017 dans une série d’autoportraits, l’on suit avec intérêt depuis quelques années 365 en tout, qui questionnent la représentation en espérant qu’il se lance pour de bon en ork (2) du corps noir, l’injustice et la place de la femme Y solo. Notre vœu est exaucé avec ce premier noire dans la société d’aujourd’hui. Récemment EP, Numwami World, lequel nous invite à consacrée à la Tate Modern, à Londres, et bientôt découvrir le charme de sa musique, qu’il a à la Maison européenne de la photographie, écrit et composé seul, après de nombreuses Ci-dessus, ZaKi, à Paris, elle publie aujourd’hui sa première Kyoto, 2017. ondon - Z anele Mu h oli, courtesy aventures en collectif, avec le groupe Le Colisée, monographie en français. À bientôt 50 ans, cette , L qui a fait la joie de la scène bruxelloise, ou ABP guerrière affirme plus que jamais sa force et des collaborations avec Charlotte Gainsbourg,

sa liberté. Et son talent crève les yeux. ■ C.F. N e w R ic h ardson G allery, ancey pour sa tournée, et Sébastien Tellier. Né en 1994 Y h utograp

Zanele A au Rwanda, l’artiste a perdu une grande Muholi, Ci-contre, Ntozakhe II, Parktown, Johannesbourg, 2016. partie de sa famille durant le génocide, mais Ci-dessous, Phindile I, Paris, 2014. Somnyama a trouvé refuge avec sa mère et ses sœurs en Ngonyama : Salut à toi, Belgique. C’est là qu’il a étudié, de longues lionne noire !, ando h annesburg, années, la guitare… Des morceaux faussement

w n/ J légers mais réellement addictifs, Delpire and o T Co, 212 pages, comme « Beats! », « Hello » ou 72 €. « Thema », où l’on entend son attachement à ses origines, font de David Numwami l’artiste à écouter en boucle cet été. ■ S.R.

allery, C ape tevenson G allery, David Numwami, Numwami issioned by and courtesy of and courtesy Z anele Mu h oli, co mm issioned by dr of S World, Ffamily/Believe.

18 afrique magazine I 417 – juin 2021 afrique magazine I 417 – juin 2021 19 on eenn parle

DESIGN Destination Botswana Francisca Eluki Le Xigera Safari Lodge a rassemblé durant Dihandju et José-Manuel deux ans une collection de pièces uniques Garcia ont créé leur marque afin de valoriser le savoir-faire du continent. en 2018.

mode Le wax version sport Avec une gamme de produits homme et femme confortables et colorés, Congaña conjugue streetwear et identité africaine.

Pour faire du sport, il faut du temps, de l’énergie et toutes les poches. Les brassières sont spécialement et surtout des vêtements dans lesquels se sentir vraiment conçues pour protéger et soutenir jusqu’aux fortes poitrines, à l’aise. La demande de tenues pratiques et stylées étant et les joggings, leggings ou shorts sont gainants et couvrants. en forte croissance, de nouvelles marques allient désormais Certaines pièces sont disponibles en version full wax passion sportive et mise en valeur de l’identité africaine. ou avec de simples insertions inspirées du kente ou du C’est le cas chez Congaña, une société née en 2018 bogolan. « L’imprimé peut-être très discret, ce qui permet d’une idée de la Congolaise Francisca Eluki Dihandju et d’utiliser nos leggins pour faire du sport comme pour aller de son compagnon d’origine espagnol (et kinésithérapeute) au travail », détaille la designeuse, le but de Congaña étant José-Manuel Garcia. À l’époque, l’entrepreneure, qui de proposer des tenues que tout le monde peut porter pour Le delta de l’Okavango, dans le nord du Botswana, est la première fois qu’un organisme privé s’engage dans un projet étudiait encore, avait remarqué que ses connaissances faire du sport mais aussi pour se détendre sur son canapé. la destination rêvée des mordus des Big Five. Depuis la récente à cette échelle, dans le seul but de mettre en valeur le design s’entraînaient avec des vêtements classiques, toujours Très attachés à la durabilité de leurs produits et à la inauguration du Xigera Safari Lodge, il attire également les africain de qualité. Difficile de choisir une seule œuvre parmi dans les mêmes nuances, et que les femmes bataillaient relation avec la clientèle – laquelle peut choisir les motifs passionnés de design. Les propriétaires ont travaillé durant celles, merveilleuses, de Peter Mabeo, Porky Hefer ou encore avec des ensembles transparents ou de mauvaise qualité. à imprimer sur les nouvelles collections via des sondages deux ans à la création d’une collection hors norme de pièces Zizipho Poswa. Il y a la sculpture géante de Conrad Hicks, Des problèmes que Congaña a vite réglés. Celle qui se sur les réseaux, et même proposer des améliorations –, uniques entièrement réalisées par des designers et des artisans installée au-dessus d’un brasero, qui crée un effet théâtral dans targue d’avoir été la première à lancer le concept du wax les deux créateurs testent tous les modèles en condition du continent. Avec le soutien et la supervision de la galerie la nuit du delta. Et les lampes, tabourets ou couverts en argile sportif en France veille à proposer des ensembles vibrants réelle. Une approche gagnante, qui leur a permis de se faire d’art Southern Guild, environ 80 créateurs, cabinets et ONG noire signés Chuma Maweni que l’on retrouve aux quatre et confortables, à partir de matériaux nobles pour éviter une place dans le secteur en faisant l’éloge de la mixité ont créé des sculptures, des textiles et du mobilier pour coins du lodge. Mais la collection est si originale que chacun

toute démangeaison, et taillés pour toutes les morphologies et de l’acceptation de l’autre. congana.com ■ L.N. JEAN FOTSO dr décorer les 12 suites de l’hôtel et les espaces communs. C’est peut aisément y trouver son objet fétiche. xigera.com ■ L.N.

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45 personnes peuvent profiter des tables en extérieur du BMK archi Folie-Bamako. Ci-dessous, le Bamakool Lamb. Le meilleur maître, c’est la nature Pour ce campus technologique Spots sur le lac Turkana, Francis Keré s’est inspiré des termitières du Kenya.

À vos terrasses ! Chez L’idée de créer un campus technologique près du lac Afrik’n’Bowl Turkana, au Kenya, remonte à 2019, quand l’architecte Deux adresses pour retrouver le plaisir (ci-dessous), on peut burkinabé Francis Kéré rencontre à Munich Ludwig d’une cuisine africaine en plein air. préparer Bayern, le fondateur de l’ONG Learning Lions, engagée son boké soi-même. pour l’autonomisation des jeunes adultes dans les zones Le soleil et la réouverture des terrasses rurales appauvries d’Afrique de l’Est. Deux ans plus des restaurants donnent envie d’aller (re)découvrir tard, le Startup Lions Campus est une réalité qui change de bonnes vieilles adresses. Comme Afrik’n’Fusion, le visage de l’une des régions les plus pauvres – mais aussi le « fast&good » lancé par trois jeunes d’origine l’une des plus belles – du Kenya. Le charme naturel du site sénégalaise en 2011. En plus de sortir quelques tables et sa morphologie unique sont valorisés par le projet, qui a devant deux de ses restos parisiens et d’aménager été construit sur deux niveaux, suivant la pente du terrain, de grandes terrasses à Cergy et Villetaneuse, et doté de vastes terrasses avec une vue imprenable sur la franchise a développé un nouveau concept : le lac. Dans quelques années, elles seront ombragées Afrik’n’Bowl, soit des « bokés » chauds ou froids, par des pergolas végétalisées et deviendront d’agréables à composer ou déjà préparés. Tel le Joola, à base lieux de réunion et d’échange de plein air. La forme de fonio parfumé au miel de Casamance, crevettes des bâtiments, qui hébergent une école, des espaces poêlées au niététou, tomates cerises, gombo, de coworking ainsi qu’un incubateur de start-up, rappelle poivrons, mangue et sauce aux feuilles de bissap. les monticules imposants construits par les colonies de Ou le Saint Louis, avec riz rouge, lieu noir mariné, termites de la région. Points de repère dans le paysage, carottes, aubergines africaines, patates douces les trois hautes tours de ventilation ont également un et bouillon de légumes. de toutes les régions du continent et des créations originales rôle fonctionnel : avec leurs fentes dans les parties basses Autre cantine spécialiste de la cuisine d’Afrique de l’Ouest de l’édifice, elles permettent de refroidir naturellement sublimées par des épices rares, comme le Smoky Mafé, du A rc h itecture à avoir fait des petits l’année dernière, BMK Paris-Bamako, poulet fumé avec sa délicieuse pâte d’arachides et des légumes les espaces de travail, tout en empêchant à la poussière de qui a désormais une adresse dans le 11e arrondissement frais, ou le Bamakool Lamb, de l’agneau mariné accompagné rentrer et d’endommager les équipements informatiques. parisien : BMK Folie-Bamako. Les 45 places en terrasse de bananes plantains frites et d’une salade. Et bien sûr, Des hébergements pour le personnel du campus sous les arbres de la rue Jean-Pierre Timbaud vont à coup le Bamako Fried Chicken, un incontournable ! ■ L.N. et un restaurant verront le jour dans la deuxième K inan D eeb for éré sûr attirer les foules. On y déguste des plats traditionnels afriknbowl.fr / bmkparis.com dr phase du projet. kerearchitecture.com ■ L.N.

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interview

30 danseurs étaient présents Nawel Ben Kraïem, sur la prestigieuse scène parisienne. la poétesse chanteuse Dans son premier recueil de poèmes, J’abrite un secret, la Tunisienne explore avec finesse et intensité ses questionnements existentiels, son regard sur le monde, entre lyrisme et révolte sociale. Elle le défendra sur scène au Festival d’Avignon, au théâtre Le Verbe fou, du 11 au 18 juillet.

AM : Quelle est la genèse de votre recueil ? Que vous apporte la poésie par rapport à la musique ? Nawel Ben Kraïem : J’écris de la poésie depuis toujours. Le silence. J’aime l’énergie collégiale dans la musique, Les points de départ de mes morceaux sont souvent mais ce travail d’écriture solitaire m’apporte beaucoup, me des textes libres et poétiques, que je retravaille avec confronte à moi-même, m’apaise. Et dans sa forme même, la les contraintes formelles de la chanson : confrontation poésie est aussi silence : elle laisse la place à des hors-champ, à une mélodie, recherche d’un refrain, arrangements… des non-dits, à une pudeur qui me correspond. Elle donne Lors d’une période de repos vocal après une tournée, la place à l’autre : celui qui écoute, lit, a l’espace pour projeter. il y a deux ans, j’ai vécu un temps de silence, d’arrêt. C’était une phase d’élaboration riche de penser à comment J’ai été attentive à cette matière artistique dans mes les mots vont danser sur les pages du recueil, respirer carnets, sans vouloir la confronter à la dynamique aussi. Et puis, l’industrie musicale est très concurrentielle. collective de la musique, ses outils technologiques. La poésie est une niche constituée d’amateurs, telle une J’ai conçu mon recueil comme un chemin de vie, famille, d’âme à âme, où l’on ne m’attend pas un itinéraire, où trois temps se dégagent. avec des chiffres. Ça me touche et me plaît. D’abord, celui de l’enfance, de l’adolescence, Quels auteurs constituent votre « poéthèque » ? avec des émotions liées à la sphère familiale. Enfant, Prévert m’a illuminée par Puis se déploient la question du chemin, sa sincérité, sa simplicité, sa profondeur. le voyage, les ressources que l’on trouve Adolescente, l’album L’École du micro d’argent en route, l’écriture, le regard qui se de IAM racontait les injustices que je percevais, déplace, la maternité. Enfin, la troisième faisait écho à ma conscience de classe, partie est plus politique, à travers le mon hybridité – issue d’une famille modeste danse passage du « je » au « nous », d’une colère du Sud, fréquentant des élèves aisés au lycée intime à une colère consciente. français… J’aimais leur talent à trouver les C’est important de concilier bonnes images, le bruit des mots que l’on a envie le « je » et le « nous » ? J’abrite un secret, de retenir, de dire, tout en posant un regard Baroque hip-hop éditions Bruno Doucey, Oui. Ma démarche artistique est mue 104 pages, 14 €. profond sur le monde. Puis, j’ai été très touchée Retour sur l’arrivée du krump et du voguing par une forme de poésie sociale. Elle parle par les poétesses de l’intime, telle Sylvia à l’opéra Bastille dans ce docu énergisant. du rapport entre les humains, de leur solitude, des drames Plath, et plus militantes, comme Audre Lorde, Adrienne parfois, mais porte un regard lucide et grave sur le système Rich. Et j’ai eu un coup de cœur pour Souad Labbize. La chorégraphe Bintou Dembélé et 30 danseurs de musiques urbaines se sont profondément injuste qui les régit. Je le mesure peut-être Dans votre poème « J’ai perdu mes carnets », vous retrouvés il y a deux ans sur la prestigieuse scène parisienne, dans un chef-d’œuvre du fait de mon vécu intime de femme, arabe, qui a grandi en écrivez : « Le souffle raturé / Je suis seule près des mots. » de la musique baroque : Les Indes galantes, opéra-ballet créé en 1735 par Jean-Philippe Tunisie, puis en France. J’ai éprouvé ces injustices, ce passage Une image qui figure votre état lors de l’écriture ? Rameau. Le krump et le voguing avaient remplacé la marche et le menuet, par la volonté d’un monde à l’autre, d’un système à l’autre. Je ressens Oui. Souvent, mes créations prennent source du metteur en scène Clément Cogitore. Les répétitions sont racontées à travers le regard une colère, une nécessité de dénoncer ce système qui peut dans une anxiété, une colère, une solitude, le besoin de des danseurs, jusqu’au triomphe devant le public. Un parcours sans faute où des jeunes abîmer, carencer, écraser. Mais j’ai énormément d’empathie, retrouver mon souffle, une quête d’apaisement, de lumière. aux racines multiples, athlétiques et pleins de verve finissent par faire corps avec un d’amour, de bienveillance pour les humains. Même pour Cette mise à nu dans le geste poétique invite l’autre : monde a priori opposé et conservateur. Ce documentaire capte avec brio cet instant où INDES GALANTES (France), ceux qui nous font parfois du mal : souvent malmenés par nous avons tous des zones de vulnérabilité, auxquelles

la diversité a pris la Bastille et lui a sans doute fait faire un saut générationnel. ■ J.-M.C. de Philippe Béziat. En salles. dr DELFI M - dr VICTOR cet ordre déshumanisé, les hommes se malmènent entre eux. nous pouvons survivre. ■ Propos recueillis par Astrid Krivian

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