Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb : une approche historiographique Philippe Leveau

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Philippe Leveau. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb : une ap- proche historiographique. Guédon Stéphanie. La frontière méridionale du Maghreb et ses formes : approches croisées, Antiquité - Moyen Âge. 1 : [Colloque international La frontière méridionale du Maghreb et ses formes, essai de définitions, Antiquité - Moyen Âge à Pessac les 15-16 décembre 2016], 13, Ausonius, pp.19-106, 2018, Scripta receptoria, 978-2-35613-232-1. ￿hal-03139249￿

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Illustration de couverture : Lyon, G. F., A narrative of travels in Northern , in the years 1818, 19 and 20, Londres, 1821, p. 67 Ausonius Éditions — Scripta Receptoria 13 —

La frontière méridionale du Maghreb Approches croisées (Antiquité-Moyen Âge), 1

textes réunis par Stéphanie Guédon

Ouvrage publié avec le concours de l’université de Limoges Programme Hubert Carien “Désert” (PHC Maghreb 16/MAG 18)

— Bordeaux 2018 — Notice catalographique : Guédon, S., éd. (2018) : La frontière méridionale du Maghreb. Approches croisées (Antiquité-MoyenÂge), 1, Ausonius Scripta Receptoria 13, Bordeaux.

Mots-clés : Maghreb, , frontière, Antiquité, Moyen Âge

AUSONIUS Maison de l’Archéologie F - 33607 Pessac cedex http://ausoniuseditions.u-bordeaux-montaigne.fr

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Achevé d’imprimer sur les presses de Laplante Parc d’activités Mérisud 3, impasse Jules Hetzel F - 33700 Mérignac

6 décembre 2018 Sommaire

Remerciements 9 Stéphanie Guédon, Introduction. L’apport d’une étude diachronique de la frontière méridionale du Maghreb 11

1. Le désert comme frontière, un tropisme géographique ?

Philippe Leveau, Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb : une approche historiographique 19 Dominique Valérian, Le Sahara et la Méditerranée, frontières du Maghreb médiéval : approches comparées 107

2. Construire, revendiquer la frontière

Laurent Callegarin, Négocier la frontière : la fluctuation du en Maurétanie tingitane 121 Michel Reddé, Il y a frontières et frontières... Les franges sahariennes de Rome, de la mer Rouge à la Tripolitaine 139 Jean-Charles Ducène, Les frontières du Maghreb vues depuis la chancellerie mamelouke (xiiie s.-xve s.) 161 Yann Dejugnat, Perception et statut de la frontière méridionale du Maghreb dans le récit de voyage (riḥla) d’Ibn Baṭṭūṭa (milieu du xive siècle) 177

3. étude régionale : l’Algérie centrale : du à

Souad Slimani et Hanane Kherbouche, Les formes d’occupation antique dans le Hodna : état des lieux 193 Nacéra Benseddik, Sidi Okba ou Thouda-Thabudeos : un nouveau milliaire 207 Mohamed Meouak, Biskra et ses oasis au Moyen Âge, marge aurésienne, marge saharienne ? Notes préliminaires 215

Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb : une approche historiographique

Philippe Leveau

Introduction : géographie historique et sciences du climat La connaissance des conditions climatiques qui régnaient sur les marges arides du Maghreb dans l’Antiquité et au Moyen Âge est de la compétence des disciplines du paléoenvironnement. Cependant s’agissant d’une région qui se trouve en bordure du plus grand désert du globe et où les conditions de vie des populations sont étroitement dépendantes des fluctuations du climat, elles revêtent une importance qui justifie la place que leur accordent les historiens et les archéologues. Il y a un siècle, S. Gsell concluait à partir des données dont il disposait – principalement les sources écrites –, qu’en Afrique les conditions climatiques de l’époque romaine présentaient de grandes similitudes avec celles qui régnaient sur cette rive de la Méditerranée au début du xxe siècle. À peu près à la même époque, le géologue J. W. Gregory tirait d’observations faites en Cyrénaïque des conclusions opposées à la thèse déterministe défendue alors par le géographe et écologue E. Huntington : recherchant une explication climatique de l’histoire humaine, celui-ci incluait Cyrène dans la liste des témoignages d’une diminution de la pluviosité qui aurait joué un rôle déterminant dans la chute de l’Empire romain 1. Par la suite, l’idée d’une stabilité générale des conditions climatiques a été défendue jusque dans les dernières décennies du xxe siècle par G. Barker et D. D. Gilberston à l’issue des études pluridisciplinaires qu’ils ont conduites dans le prédésert de Tripolitaine en Libye 2. De son côté, faisant un bilan des opinions de ses collègues, l’écologue H. N. Le Houérou soulignait l’unanimité de celle maintes fois reprise selon laquelle “l’homme fait le désert” 3. L’abandon de l’hypothèse de changements drastiques du climat qui seraient à l’origine du déclin des activités agricoles et de l’essor d’un pastoralisme nomade ne met pourtant pas un terme aux interrogations des historiens sur le rôle de ce facteur dans les changements environnementaux. Ainsi, s’interrogeant sur la possibilité de localiser un paysage forestier décrit par Corippe, Y. Modéran repose la question dans les termes suivants : “La thèse d’une identité absolue des conditions climatiques et végétatives entre notre époque et celle de Corippe, malgré tout ce qui en est dit, demeure à notre sens plus un postulat qu’une vérité

1 Huntington 1917, 181. 2 Barker 1996, 345-346 ; Gilbertson 1996. 3 Le Houérou 1969.

P. Leveau, in : La frontière méridionale du Maghreb, p. 19-106 20 Philippe Leveau

scientifiquement prouvée” 4. Mais surtout, le débat est relancé depuis une vingtaine d’années au moins par les sciences de l’environnement, géologie, écologie, géomorphologie et physique de l’atmosphère, qui, grâce à de nouveaux outils de datation et d’analyses, mettent en évidence l’importance et les conséquences des variations des climats de la terre durant les trois derniers millénaires. Stimulées par les inquiétudes suscitées par les perspectives d’un réchauffement majeur du climat, les nouvelles sciences du climat relancent le débat sur son rôle dans l’histoire des sociétés. Dans ces conditions, l’historien et l’archéologue qui désirent connaître les conditions environnementales dans lesquelles ont vécu les sociétés antiques et médiévales sur les marges du Maghreb se heurtent à des difficultés de nature plus épistémologique que factuelle. À celles qui sont imputables à l’étroite relation que la question entretient avec les outils d’analyses et les géosciences de l’environnement s’ajoute la dimension idéologique prise par le débat. En 1970, A. Laraoui à qui l’on doit une mise en question de l’historiographie du Maghreb posée en des termes qui restent actuels, ouvrait le chapitre consacré à “la recherche des origines” en énumérant deux questions où se mêlaient science et idéologie : celle d’un changement dans le climat du nord de l’Afrique et celle de l’origine des Berbères, de leur langue et de leur culture 5. S’agissant de la première, celle qui nous occupe ici, il soulignait la dimension idéologique de la formulation qu’en donnait S. Gsell. “Il s’agit de savoir”, écrivait-il, “si [la] prospérité [de l’Afrique romaine] a eu pour cause principale un climat plus favorable à la culture que le climat d’aujourd’hui ou si elle a été surtout l’œuvre de l’intelligence et de l’énergie des hommes ; si nous devons nous borner à regretter un passé qui ne revivra plus ou lui demander au contraire des leçons utiles au temps présent” 6. En cela il se montrait moins catégorique que L. R. du Coudray de La Blanchère qui, bien des années plus tôt, affirmait que “la prospérité de l’Afrique ne fut pas une question de météorologie ; elle était le prix du travail” 7. Cette citation d’un historien dont les travaux sont unanimement salués pour leur qualité mettait en évidence le péché originel d’un siècle d’études savantes. Les descriptions du milieu physique, relief et climat, que nous utilisons ont été faites par des géographes et des historiens dans un contexte culturel où la colonisation était vue au mieux comme une mission civilisatrice, au pire comme une revanche à l’humiliation de la défaite contre la Prusse. En France, à la fin du xixe siècle, “l’accoucheur [de l’histoire coloniale savante]… n’est pas un historien, mais un géographe, Marcel Dubois”, et qui plus est un géographe nationaliste antidreyfusard 8. On doit en effet à sa génération la formulation en termes de science du thème de la malédiction que le milieu aurait fait peser sur les sociétés nord-africaines. Une succession d’invasions venues du désert aurait ruiné les quelques constructions étatiques que l’Afrique du Nord aurait connues et la colonisation française lui aurait rendu la Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © prospérité qu’elle aurait connue à l’époque romaine quand les influences méditerranéennes l’emportaient sur celles du désert.

4 Modéran 2003, 73, 112. 5 Laraoui 1970, 22. 6 Gsell 1913, 40. 7 Coudray de La Blanchère 1883. 8 Zytnicki 2003, 13. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 21

L’objectif poursuivi dans ce texte est d’essayer de montrer qu’il s’agit du côté des géographes et des climatologues d’un problème d’histoire des sciences et du côté des historiens d’un problème idéologique. Pour en rendre compte, il fallait d’abord faire l’historique des savoirs auxquels les historiens de l’Antiquité pouvaient avoir recours lorsqu’ils cherchaient à connaître les possibilités offertes par le milieu géographique maghrébin. J’ai donc tenté de rendre compte du poids de la situation coloniale dans laquelle s’étaient constitués les savoirs des géographes et des historiens 9. À cet effet, j’ai adopté la “posture historiographique, mixte d’épistémologie et d’histoire au second degré” qui s’est imposée en “réponse à l’abandon des grands paradigmes des années soixante” 10. La voie d’une histoire en situation coloniale ouverte par les géographes privilégiait l’approche historiographique d’une “production plus subtile, plus riche et plus complexe qu’on ne le croit généralement” 11. Il était important pour un historien de l’Afrique romaine de savoir ce qui pouvait être retenu dans les travaux des géographes français du xxe siècle. C’était en particulier le préalable à l’approfondissement d’une réflexion déjà largement développée à propos des marges arides du Maghreb oriental 12. Il fallait l’étendre aux régions occidentales de l’Afrique du Nord, moins étudiées et aux marges désertiques des Maurétanies Césarienne et Tingitane pour éclairer les relations entre le pouvoir romain et la société tribale de ces territoires.

Les milieux actuels et leur mode d’exploitation Avant d’aborder les conditions historiques qui ont présidé à la constitution des savoirs et de m’intéresser plus particulièrement aux approches qui en ont résulté pour les marges arides, il était indispensable de présenter les données physiques, climat et relief, dont le poids a servi à justifier la malédiction qui a pesé sur l’Afrique et son corollaire, ce “miracle romain”, cher aux historiens français de la romanité africaine. Le poids qu’elle exerce sur le nomadisme pastoral en fait un préalable incontournable 13.

Le relief et ses incidences sur les modes d’exploitation des terres arides (fig. 1) Le nord de l’Afrique est une zone de hautes terres dont le nivellement donnerait les altitudes moyennes de 900 m pour le Maroc, 800 m pour l’Algérie et 400 m pour la Tunisie. Cette caractéristique a une forte incidence sur les conditions climatiques. La formation d’un système montagneux qui s’allonge d’ouest en est sur 2400 km parallèlement à la mer est la conséquence de la migration vers le nord de la plaque africaine et de son affrontement avec la plaque européenne. Il en résulte une division tripartie du Maghreb. Les géographes y distinguent deux chaînes allongées constituant des barrières s’opposant à la circulation nord-sud, l’Atlas tellien au nord et l’Atlas saharien au sud, qui encadrent de Hautes Plaines. Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © L’Atlas saharien, qui à la différence de l’Atlas tellien forme un obstacle discontinu, les sépare de la plateforme saharienne. Il juxtapose des massifs d’orientation sud-ouest/nord-est dont

9 Deprest 2009 ; Clerc 2014. 10 Hartog 2001, 14. 11 Dulucq & Zytnicki 2003, 3. 12 Hitchner 2016 ; Mattingly 2016. 13 Même affirmation par Vanacker & Broekaert 2014, 103. 22 Philippe Leveau Fig. 1. Localisation des principales unités physiques de l’Algérie (Côte 1988, 337). 337). 1988, (Côte de l’Algérie physiques unités des principales 1. Localisation Fig. Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 23

l’altitude croît d’ouest en est pour culminer dans l’ à 2000 m et plus. Entre les deux chaînes atlasiques, de part et d’autre du Hodna, s’interposent à l’ouest les Hautes Plaines algéro-marocaines dont l’altitude avoisine 1200 m et à l’est les Hautes Plaines du Constantinois d’altitude inférieure (700 m). La transition entre l’Atlas et la plate-forme saharienne qu’il domine est soulignée par une zone déprimée s’allongeant d’est en ouest du chott Djerid vers le chott Melghir à une altitude négative de -40 m que l’oued Djedi prolonge au-delà vers l’ouest. À l’est, entre l’Aurès et le Grand Erg oriental, dans le Sahara constantinois, le fond de la cuvette est occupé par des chotts. À l’ouest, le Sahara oranais s’abaisse progressivement vers le sud-ouest, sous l’Erg occidental, jusqu’à la vallée de la Saoura. Entre les deux, la région des daïas qui s’étend entre l’Atlas saharien et le Mzab, Laghouat et Ghardaïa, sépare le Zergoun à l’ouest et le bord de la cuvette de l’oued Rir à l’est. Ces daïas sont des dépressions au centre desquelles les eaux de pluie forment des mares où les troupeaux peuvent s’abreuver et où pousse une herbe de qualité. Les nomades y séjournent en hiver et au printemps. Dans un article consacré aux zones arides de l’Algérie, J. Despois a mis en évidence l’effet de la topographie sur le réseau hydrographique selon que les cours d’eau qu’alimentent les eaux tombées sur les massifs atlasiques coulent vers la mer ou vers le Sahara, et ses conséquences sur la potentialité agricole. À l’ouest du massif calcaire du Moyen Atlas qui sépare le Maroc de l’Algérie, les Hautes Plaines algéro-marocaines qui se prolongent sur 700 km en Algérie occidentale, de la Dahra marocaine jusqu’au Hodna, sont drainées vers le nord et la mer. Pour des raisons hydrogéologiques, les sources y sont rares et leurs débits généralement faibles. À l’est au contraire, grâce à la faible altitude des niveaux de base locaux, le piémont Saharien bénéficie de l’apport des oueds qui descendent des Monts du Hodna, de l’Aurès et des Némencha ainsi que d’une partie de celles tombées sur les Hautes Plaines telliennes. Ces conditions qui assurent l’interdépendance humaine entre les habitants des montagnes et ceux de la frange saharienne se répètent en Tripolitaine, où le djebel Nefousa forme un arc de cercle de 190 km entre la plaine littorale de la Djeffara et la région dite des Oueds. Au sud de ce massif qui culmine à 968 m et reçoit 300 mm dans ses parties hautes, la pluviosité annuelle décroît rapidement de 200 mm a moins de 25 mm. Mais les apports des oueds Sofegin, Zem Zem et Kébir et ceux de leurs affluents ont assuré une vie agricole sur le versant saharien.

La division des Hautes Plaines en deux parties a servi à justifier une relation entre le limes et une supposée “frontière climatique” que J. Despois a illustrée par une carte qui a été reproduite par les historiens 14. Les grands oueds qui traversent en cluse les vastes plis des massifs de l’Atlas saharien ont un débit et un régime en grande partie méditerranéens.

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © Parvenues sur les piémonts, leurs crues d’automne et de printemps s’étalent largement dans les chenaux de faible pente qui parcourent des cônes de déjection aplatis. Parvenues dans des zones d’épandage, les eaux sont captées pour l’irrigation des cultures. La géologie apporte sa contribution : dans les massifs de l’Atlas saharien, les calcaires et les grès stockent des nappes qui alimentent un chapelet de sources sur les piémonts. Les sols approvisionnés

14 Despois 1942. Cette étude est une référence majeure. La carte qui l’illustre a été reproduite par C. R. Whittaker 1978, et par Trousset 1986, 93, fig. 1. Cf. infra p. 81-82. 24 Philippe Leveau

régulièrement en éléments fertilisants (limons) ont une bonne capacité de stockage de l’eau. La céréaliculture y est pratiquée. Mais ils peuvent aussi être propices à l’arboriculture et à l’horticulture. Dans ces conditions, les écoulements superficiels épisodiques des oueds ont moins d’importance pour les populations de ces steppes que les écoulements par inféroflux qui persistent durant les longues périodes de sécheresse. Leur qualification impropre de “cours d’eau souterrains”, qu’explique leur disparition dans certaines sections de leur vallée, vient de ce qu’en dehors des périodes de crues, les eaux filtrent au travers des cailloutis, des limons et des sables qui en ont envahi les lits. Elles circulent sous les lits des anciens cours de rivières descendant de l’Atlas saharien et approvisionnent des nappes souterraines que l’on atteint par des puits. Dans certains secteurs, leur concentration nourrit des sources assurant une irrigation permanente. Dans ces conditions, les communautés rurales des steppes et des marges sahariennes ont mis au point des techniques adaptées qui font “mentir les isohyètes en jouant de l’effet d’impluvium de la topographie” 15. Elles expliquent le caractère relatif de la relation avec les isohyètes que l’on utilise pour définir les limites méridionales d’un “Maghreb utile” : 400 mm pour la culture des céréales et 200 mm pour celle de l’olivier (fig. 2). Les limites imposées aux cultures par les précipitations annuelles valent pour une agriculture commerciale, celle que la colonisation française a développée. Mais cette “tyrannie des isohyètes” ne s’applique pas avec la même rigueur aux agricultures traditionnelles. Des archéologues israéliens qui ont étudié les systèmes agricoles du nord du désert de Néguev ont montré qu’à l’âge du Fer la densité des sites était plus élevée dans les Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

Fig. 2. Les grandes zones naturelles (Despois 1949, 100, fig. 15). À partir des précipitations et des écoulements, J. Despois distingue des régions où la pluviosité annuelle est supérieure à 400 mm (1) et des régions où elle est inférieure à 200 mm (2). Trois lignes délimitent les zones d’écoulement vers la mer ou vers les bassins intérieurs (3), le nord du versant saharien (4), la steppe à alfa (5 : limites nord et sud).

15 Trousset 1986, 95. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 25

parties rocheuses des montagnes que dans les plaines, alors que les précipitations annuelles moyennes n’y sont que de 76 à 95 mm au lieu de 140-180 mm. Contrairement à ce que l’on pensait, des affleurements rocheux massifs peuvent avoir un rôle positif sur l’efficacité du ruissellement pour pallier à l’aridité du milieu désertique alors qu’inversement la couverture végétale du sol contiguë l’augmente. Ce constat a des implications sur la compréhension de l’aridité et la classification de son degré dans une zone donnée. Les indices climatiques qui le définissent habituellement ne tiennent compte que de variables météorologiques telles que la température, les précipitations, l’évaporation en ignorant complètement l’effet des propriétés de surface sur l’aridité de l’environnement 16. Ces conditions rendent compte de l’existence de villages sédentaires dans les montagnes mieux arrosées et sur les piémonts. Ces villages fortifiés, les ksour dont le nom a servi à nommer le massif que le djebel Amour prolonge vers l’est, sont souvent implantés sur les voies de transhumance. Mais ils doivent leur existence à l’exploitation de ressources hydrauliques locales captées pour les cultures. Leurs habitants, les “ksouriens”, cultivent principalement des arbres fruitiers et des légumes dans des jardins irrigués et, si les eaux sont assez abondantes, des céréales d’hiver, de l’orge et du blé dur. M. Côte en a donné une illustration valable pour tous les massifs de l’Atlas saharien avec le cas des jardins du village perché de T’kout dans l’Aurès, à 1200 m d’altitude. L’habitat villageois s’est fixé autour d’une grosse source au pied d’une crête. Un réseau de séguias en éventail épousant la topographie assure l’irrigation de cultures intensives très soignées, à dominante de vergers dans la partie haute, de maraîchage dans la partie basse. Le finage associe aux jardins des terres céréalières au nord, des parcours d’estivage en altitude, des palmiers sur le piémont saharien (fig. 3). Le succès de l’olivier est évidemment dû aux caractéristiques écologiques d’une plante, qui, adaptée au climat méditerranéen, peut être cultivée dans les régions steppiques. En zone subdésertique, pour un hectare, il ne demande que 2000 à 2500 m3 en arrosage saisonnier d’appoint, alors que l’irrigation d’un hectare de céréales demande de 4000 à 6000 m3. Le palmier dattier est beaucoup plus exigeant en eau ; il demande un arrosage permanent et consomme 18 à 26 000 m3 à l’hectare 17. Aussi les paysans ont-ils mis au point des techniques d’optimisation des eaux pluviales locales qui ont en commun d’empêcher le ruissellement et de les contraindre à s’infiltrer ou de les canaliser vers les basses terres pour les concentrer. En Tunisie, elles sont connues sous les noms de tabia – une surévaluation de terres –, de jessour retenant l’eau et les sols et de meskat, des casiers formés de rangées de pierre disposées sur un versant 18. Dans le Sous oriental marocain, c’est l’irrigation faïd qui consiste à pallier à la pénurie en concentrant les eaux superficielles sur la section d’un glacis la plus apte à la culture 19.

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © Ce sont les mêmes techniques qui furent utilisées dans l’Antiquité en Cyrénaïque où Strabon décrivait une succession de deux bandes précédant le désert, l’une portant des

16 Yair 1983. 17 À quantité d’eau disponible égale, son développement est lié à une réduction des surfaces cultivées. Il s’accomode mieux du système pastoral que l’olivier. 18 Trousset 1986, 101. Corripe, Johannide, 3, v. 145-151 : des cultivateurs prévoyant un orage font des levées de terre pour retenir les eaux. 19 Husson 2008. 26 Philippe Leveau

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © Fig. 3. Un ksour et son terroir : T’kout dans les Aurès (Côte 1988, 45-46, fig. 7).

arbres et l’autre semée en céréales. J. W. Gregory qui visita en 1908 cette région où la pluviosité annuelle est de l’ordre de 270 à 280 mm avait observé sur le plateau de Barca les vestiges de champs en terrasses, de canaux d’irrigation, de puits et d’aqueducs répartissant les eaux Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 27

captées dans des barrages-réservoirs 20. Des aménagements de ce type ont été reconnus et décrits plus à l’ouest en Tripolitaine sous le nom de Walls and Floodwater Farming par une équipe archéologique britannique pluridisciplinaire qui a prospecté dans les années 1979- 1989 le prédésert au sud-est du djebel Nefousa dans l’arrière-pays des villes romaines littorales de Sabratha, et Lepcis Magna. Les “fermiers du désert” transformèrent en terrasses les lits des oueds Sofeggin, Zem Zem et de leurs affluents et barrèrent les oueds pour alimenter les nappes 21. En Algérie, sur le piémont sud de l’Aurès, J. Baradez a identifié sur des photos aériennes un parcellaire caractéristique donnant des formes en éventail, en écheveau ou en queue de cheval : des murets épais d’un mètre échelonnés tous les 30 m qui délimitaient des “planches inondables” retenaient les terres et forçaient l’eau à s’infiltrer. Des cuvettes naturelles avaient été aménagées en bassins réservoirs et d’autres compartimentées par des levées de terre. Des barrages élevés aux étranglements des oueds sur des seuils rocheux et des canaux d’adduction branchés sur eux permettaient l’irrigation des basses terrasses des vallées. La datation précise de ces aménagements est rarement assurée. Mais les irrigations et les parcelles modernes se distinguent nettement des plus anciennes par leur position, leur maillage et leurs formes. On reconnaît dans ce paysage la description par Procope de la plaine de Baghaï au pied de l’Aurès 22. Comme l’explique M. Meouak à propos du Hodna occidental à l’époque médiévale, une étude de terrain montrerait très certainement que les irrigations décrites par J. Baradez s’inscrivent dans la longue durée 23. En fonction de la géologie, on a reconnu un second système, celui des foggaras qui a permis de développer une agriculture en milieu désertique. Une galerie de captage creusée à l’horizontale draine une nappe aquifère, ce qui en fait une “mine d’eau”. Cette technique commune à l’ensemble des déserts, prédéserts et zones steppiques d’Eurasie et d’Afrique est connue sous des noms différents : khettaras au Maroc, qanât et falaj en Iran et Oman, karez dans le Xinjiang 24. Sur la base de sources écrites, on admet qu’elle a été introduite dans les oasis sahariennes seulement au xie siècle par les Arabes à partir d’un foyer iranien. En réalité, la technique est universelle. Une tradition africaine de construction de ces ouvrages hydrauliques est bien attestée au Fezzan par la civilisation garamante apparue aux environs de 900 a.C. dans le désert libyen où une moyenne pluviométrique annuelle inférieure à 10 mm interdit toute forme d’agriculture non irriguée et où plusieurs années peuvent se passer sans la moindre averse 25. Dans ce cas, une galerie drainante capte des nappes profondes dont certaines sont héritées de la période pluviale de l’Holocène ancien. La conjonction des études hydrogéologiques et archéobotaniques permet de reconstituer les efforts des agriculteurs sahariens pour assurer l’irrigation de leurs champs et de leurs jardins et pour leur apporter les fumiers, ordures et restes végétaux qui en assuraient la fertilité 26. Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

20 Gregory 1916. 21 Barker 1996. 22 Procope, Guerre Vandale, 4.19.11-14 ; Janon 1980. 23 Meouak 2009a ; inventaire à partir des sources écrites dans Meouak 2009b. 24 Leveau 2015a ; Angelakis et al. 2016. 25 Wilson 2009. 26 Pelling 2013. 28 Philippe Leveau

Faut-il pour autant faire des techniques d’utilisation de l’eau décrites la caractéristique d’une “civilisation rurale présaharienne” fondée sur les modes de gestion de l’eau, que X. de Planhol associait aux montagnes bordières de la zone aride de l’Ancien Monde ? R. Capot- Rey a consacré un précieux chapitre au paradoxe de la culture au désert qu’il décrit comme un genre de vie qui, à la différence du nomadisme pastoral, s’oppose au sol et au climat 27. Ce sont en fait deux variantes des nombreuses tentatives faites pour caractériser une civilisation par un mode de gestion de l’eau, alors qu’il s’agit simplement de la condition de l’existence en milieu aride de sociétés qui ont atteint un haut degré de développement dont au Sahara les Garamantes donnent le meilleur exemple africain connu 28. Mais, comme le soulignait P. Trousset, reconnaître dans ces zones une “civilisation” qui se distinguerait de celle du reste de l’Afrique du Nord restaurerait “la dichotomie trop simpliste entre Tell et Sahara dérivée d’une appréciation européenne des possibilités de mise en exploitation de ces aires respectives, l’opposition trop classique sur une ligne d’affrontement, entre nomades et sédentaires, qui passait pour donner la clé des vicissitudes historiques du Maghreb dans un scénario de catastrophe”. Il relève à juste titre que ces schémas avaient déjà été rejetés par Y. Lacoste et R. I. Lawless 29.

Les conditions climatiques et leur impact sur les activités agricoles et pastorales 30

Le climat du Maghreb 31 La zone qui nous intéresse ici appartient à la zone supratropicale à la charnière entre les deux zones climatiques tempérée et intertropicale. Cela a pour effet que le régime des pluies est d’un type particulier. Alors qu’en fonction des variations saisonnières de la circulation atmosphérique générale, l’été est partout une saison humide, dans ce cas “les deux influences désertiques en été et du front polaire en hiver se conjuguent pour créer un régime de pluie de saison froide”, dit “subtropical méditerranéen” qui se prolonge vers le sud en “subtropical steppique” 32 (fig. 4). Cette spécificité est due à la subsidence verticale imposée par la circulation atmosphérique. De hautes pressions anticycloniques sont centrées sur la zone intertropicale saharienne. L’été, elles remontent et repoussent vers le nord les dépressions océaniques. L’hiver, le dispositif des hautes pressions anticycloniques de la zone intertropicale s’affaiblit. La circulation se renforce sur l’hémisphère nord et les trajectoires cycloniques se déplacent vers le sud, ce qui permet aux dépressions chargées d’humidité d’atteindre les parties sud du Maghreb et d’arroser les massifs de l’Atlas saharien.

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 27 Capot-Rey 1953, 302-365. 28 Mattingly 2003-2013 et 2016. 29 Trousset 1986, 91 renvoyant à Lacoste 1980, 92-93, et à Lawless 1972a et b. 30 Je remercie pour leur écoute et les corrections qu’ils m’ont suggérées mes collègues géomorphologues et climatologues, J. Guiot et C. Morhange (CEREGE, Aix-en-Provence), J.-P. Chabin (Centre de Recherches de Climatologie, Université de Bourgogne) et A. Oueslati (Université de Gabès). 31 La notion de climat est moderne. Il n’existe pas de mot qui en latin traduise notre concept de climat. E. de Saint-Denis traduit l’expression “uarium caeli praediscere morem” employée par Virgile (Géorgiques, 1.51), par “le climat qui varie d’un ciel à l’autre” ; le climat régional se traduirait par regionis conditio. 32 Hufty 2001, 343. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 29

Fig. 4. La zone climatique intertropicale : climat méditerranéen vrai (blanc) : zones semi arides (gris clair), arides (gris foncé) et hyperarides (noir) (d’après Vigneau 2000, 182).

Dans une climatologie géographique établie empiriquement au xixe siècle, le Maghreb est rangé dans les climats méditerranéens à partir des données physiques – températures et précipitations 33 –, observées sur une période d’une durée conventionnelle d’une trentaine d’années. L’alternance d’une saison estivale chaude et sèche et d’une saison hivernale plus fraîche et humide a pour effet une végétation adaptée. Sur la rive sud de la Méditerranée, le climat méditerranéen “vrai” est limité aux régions littorales. Il demeure perceptible par certains de ses caractères sur une lanière large d’environ 3 à 4° en latitude, soit 300 à 400 km. Mais il se dégrade progressivement vers le sud. La durée de la saison sèche augmente à mesure que l’on s’approche du désert zonal où l’aridité s’explique par la présence quasi permanente des hautes pressions sahariennes : de l’ordre de quatre mois dans les latitudes les plus basses, elle dure neuf mois dans les plus hautes 34. Progressivement, on passe à un climat steppique dit de type méditerranéen à pluies d’hiver pour le distinguer de variantes déterminées par la circulation des masses d’air. Ainsi en Afrique sud-saharienne, dans le nord du Sahel, les pluies tombent l’été. Ce phénomène était perçu des auteurs de l’Antiquité. Strabon rapporte que la pluie tomberait en abondance l’été chez les Pharusiens et les Nigètes, alors que la sécheresse régnerait en hiver. Ne sachant pas expliquer un phénomène qui l’étonnait, il le signale sans se porter garant d’un fait alors sujet à polémiques : le “on-dit” auquel il recourt renvoie à des spéculations sur l’origine maurousienne du Nil 35. Mais, pour nous, c’est la preuve que des voyageurs avaient traversé le Sahara et atteint le Sahel 36. Les précipitations sont concentrées sur un petit nombre de jours. Ainsi dans le Souss Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © marocain, 60% d’entre elles tombent en 4 à 10 jours et le reste se répartit sur une vingtaine de jours. Elles sont séparées par de longues périodes de sécheresses qui peuvent durer

33 Hufty 2001, 372-373. L’indice le plus utilisé pour l’Afrique est le coefficient pluvio-thermique de Louis Emberger (1955). 34 Vigneau 2000, 230. 35 Strab., Géographie, 17.3.7 ; Gsell 1913, 87, n. 2. 36 Desanges 1980, 346-349 ; Desanges 1986, 32. 30 Philippe Leveau

plusieurs mois. qui reçoit une moyenne de l’ordre de 318 mm de précipitations n’en a reçu que 90 mm en 1913, alors qu’en 1983 la tranche d’eau s’est élevée au chiffre considérable de 775 mm. Au manque d’eau et à l’irrégularité des précipitations s’ajoutent les effets de la continentalité et de l’altitude qui, l’hiver, y abaisse les températures à des moyennes se situant entre 0 et 5°C. Il y gèle plus de 50 jours par an. L’été, celles-ci s’élèvent à des moyennes comprises entre 30° et 40°C. Des vents secs et chargés de poussières qui soufflent depuis le Sahara jusqu’au littoral, le chergui au Maroc, le sirocco en Algérie, le chehili en Tunisie font monter la température jusqu’à 50° et accentuent la sécheresse. Par rapport à d’autres régions jouissant d’un climat de type méditerranéen, la rive sud de la Méditerranée eurafricaine présente des caractéristiques climatiques propres liées à deux faits majeurs : le relief et la présence d’une masse d’eau qui, pénétrant profondément de 3 000 km vers l’est dans la masse continentale, permet aux masses d’air instables de se recharger en humidité à la faveur de la température élevée des eaux de surface 37. Les hautes montagnes de l’Atlas marocain exposées aux dépressions circulant d’ouest en est bénéficient des maximums pluviométriques. Les dépressions se chargent en humidité en passant au- dessus de la mer et arrosent les massifs du Maghreb oriental. Au sud, les massifs de l’Atlas saharien souffrent d’un déficit pluviométrique moindre que les steppes qu’ils dominent. Sur les Hautes Plaines et dans les massifs montagneux des marges sud du Maghreb où règne un climat continental aride, la vie rurale est conditionnée par la quantité d’eau disponible pour les cultures.. En fonction des précipitations, on y distingue deux variantes : l’une semi-aride sur les Hautes Plaines du Constantinois et les chaînes atlasiques orientales, l’autre aride dans les Hautes Plaines algéro-marocaines moins arrosées. Jusqu’à une tranche annuelle minimale de 400 mm qui caractérise la zone méditerranéenne, sont encore possibles en particulier les céréales d’hiver et les cultures arbustives moins exigeantes en eau (vigne, olivier, figuier). Si l’on veut en pratiquer d’autres durant l’été, il faut répéter des irrigations durant 3 à 5 mois. En dessous de 400 mm et souvent de 300 mm (climat semi-aride ou aride), la culture des céréales est aléatoire en l’absence d’irrigation. L’olivier et le figuier peuvent continuer à croître lorsque les sols sont assez meubles et profonds. Mais en dessous de 250 à 200 mm, la culture sans irrigation est impossible, sauf si la mer apporte de l’humidité comme dans le Sahel tunisien. Les montagnes reçoivent des précipitations plus abondantes. Au sud et en Tripolitaine règne un climat prédésertique caractérisé par une quasi-absence de pluies : moins de 100 mm/an.

Changement climatique et/ou fluctuations. Un état de la question Les caractéristiques climatiques qui ont été présentées sont celles qu’ont décrit au siècle

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © dernier les géographes que nous, historiens de l’Antiquité et du Moyen Âge, utilisons. La question qui nous occupe ici est de savoir si nous pouvons continuer à le faire au début du xxie siècle alors que, comme nous allons le voir, la climatologie a connu une profonde évolution durant les dernières décennies et met en évidence la grande variabilité du climat. La réponse peut paraître simple et négative. En effet si nous comparons l’Antiquité aux périodes contemporaine et actuelle, nous sommes assurés que le climat a changé. Les auteurs d’un

37 Dorize 1979. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 31

bilan récent expliquent qu’au début du ier millénaire, durant la période impériale romaine, le climat de l’espace méditerranéen était plus chaud et sec qu’auparavant, mais moins chaud et plus humide qu’au xxe siècle. En revanche, leurs études établissent que l’évolution n’est pas linéaire. Un net refroidissement s’était amorcé à la fin du ive s. p.C. Le dernier millénaire est la période sur laquelle la documentation est la plus importante. Il débute par une période chaude, dite conventionnellement “Optimum médiéval” 38: au xiie siècle, les températures évaluées étaient proches de celles observées au xxe siècle avant 1990. Après 1200, la tendance globale a été une diminution des températures qui s’est aggravée autour de 1300. Cependant, le xive siècle a correspondu à un palier avant que le refroidissement s’accélère durant le Petit Âge glaciaire pour atteindre un maximum au début du xviie siècle : les températures minimales étaient d’environ 0,7° inférieures à la moyenne de 1961-1990 39. Par ailleurs, à cette trop rapide évocation, il faut ajouter les observations des climatologues qui, à partir de données statistiques, ont mis en évidence des différences d’évolution entre le nord et le sud de la Méditerranée ainsi qu’entre l’est et l’ouest. Ainsi, des reconstructions climatiques établissant une forte diminution des précipitations de juillet dans le sud de la France vers 2500 BP ont confirmé l’hypothèse d’une amplification forte du caractère méditerranéen du climat dans le sud de l’Europe 40. Ces travaux démontrent la grande variabilité du climat à l’échelle régionale et multicentenale. Mais pour la caractériser, on ne peut pas utiliser le terme de “changement climatique” qui s’applique à un changement d’amplitude majeur intervenu durant une période de l’ordre du siècle sur un espace étendu, excédant l’échelle régionale. Les notions de seuil statistique et d’échelle sont en effet essentielles pour qualifier les variations observées. Ainsi des évènements catastrophiques seront considérés comme relevant de la variabilité interannuelle et rangés parmi les “bruits statistiques” 41. Quand on passe à l’échelle de la décennie, on parle de fluctuations. Deux études permettent de les appréhender dans les régions sud du Maghreb à l’époque contemporaine. Selon une recherche que cite M. Rouvillois-Brigol, dans la région saharienne, la période 1900-1920 correspondrait à une phase sèche suivie de 1920 à 1950 par une période de stabilité, marquée cependant par une aridité plus grande qu’au xviiie et au xixe siècle. La période précédente (1870-1900) aurait été plus humide 42. Cela recoupe les résultats d’une très remarquable étude de climatologie historique que J.-P. Chabin a conduite dans la région algérienne des Némencha (35° de latitude nord) 43. Pour saisir les oscillations du climat sur une période de 130 ans, entre 1850 et 1980, il s’est appuyé sur deux types de sources écrites : les archives militaires pour la période 1852-1911 et les relevés météorologiques de la station de Tébessa pour la période 1925-1926/1961-1962, qu’il a complétés par une enquête directe. À une échelle inférieure au Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 38 La conviction que le climat commande l’histoire des sociétés explique un vocabulaire traduisant un jugement de valeur sur ce qui est bon ou mauvais pour une aire culturelle de leur choix. C’est ainsi que la période médiévale a été qualifiée d’ “Optimum des Croisades” (sic !) ou de “Medieval Climatic Anomaly”. 39 Masson et al. 2013. 40 Guiot & Pons 1986 ; Davis et al. 2003. 41 Hufty 2001, 29-30. 42 Rouvillois-Brigol 1986, 40. 43 Chabin 1993. 32 Philippe Leveau

siècle, la pluviosité varie constamment sans que l’on puisse constater une tendance durable vers le plus sec ou le plus humide. Mais la variabilité n’est pas anarchique. Elle s’organise en séries d’une durée supérieure à la décade selon trois phases. Des années 1850 jusqu’en 1886, la dominante est humide ; de la fin du xixe siècle au milieu du xxe siècle, la dominante est sèche. Sur deux décennies à partir de 1950, on a assisté à un retour de la dominante humide et au renforcement des pluies diluviennes. Une année catastrophique est intervenue en moyenne tous les six ans. C’est dans cette catégorie que se rangent les témoignages dont S. Gsell avait dressé la liste. Les faits sont réels. Mais ils sont d’intérêt inégal et dépourvus de valeur statistique. Des crues catastrophiques ayant entraîné la destruction d’ouvrages sont des accidents météorologiques ponctuels dont les effets sont interprétables en termes de risque naturel plutôt qu’en terme climatique. C’est le cas de données archéologiques ou épigraphiques documentant la destruction d’ouvrages d’art par une inondation. Leur utilisation met en jeu la notion de vulnérabilité, la composante sociale du risque qui s’oppose à l’aléa, sa composante naturelle. Celle des sources écrites exige de tenir compte de l’interprétation de phénomènes météorologiques par les anciens comme des signes divins 44. Lorsque vers le milieu du iiie siècle, saint Cyprien rapporte que de son temps “l’hiver ne nous donne plus ses pluies abondantes qui fécondent les semences ; l’été n’a plus les vives ardeurs qui mûrissent les fruits ; le printemps a perdu sa douce température, et l’automne ses bénignes influences ; il ne tombe plus autant de pluies en hiver pour nourrir les semences…” 45, ces propos s’inscrivent dans le discours eschatologique d’un chrétien pour qui les malheurs de l’époque sont autant d’indices annonciateurs de la fin des temps espérée. On peut en inférer seulement qu’a contrario les pluies d’hiver étaient bien la norme méditerranéenne. Fait exception une anecdote rapportée dans l’Histoire Auguste par le biographe d’Hadrien. Quand, en 128, cet Empereur “se rendit en Afrique”, écrit-il, “la pluie tomba à son arrivée après cinq années de sécheresse, ce qui lui valut l’affection des Africains” 46. Cette affirmation a suscité la perplexité des commentateurs qui l’ont expliquée par le désir de la propagande impériale de montrer que les dieux bénissaient la venue de l’Empereur. La réalité et l’extension régionale de l’épisode sont pourtant vérifiées par deux autels dédiés en 128 l’un à Jupiter 47, l’autre aux “Vents qui apportent une pluie bienfaisante” par le commandant de la Légion stationnée à Lambèse au pied de l’Aurès 48. Cet épisode, une sécheresse prolongée correspondant à une oscillation vers un extrême, s’explique par l’appartenance de ces régions à une zone de contact climatique dans laquelle les processus sahariens apportent la sécheresse. Les hautes pressions sahariennes remontées durant l’été dans la zone méditerranéenne ne sont pas redescendues durant l’hiver et cette situation barométrique a empêché les dépressions d’arroser le nord de la Tunisie 49. Ce phénomène Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

44 Leveau 2015b. 45 Cyprien, Ad Demetrianum, 3. 46 SHA, Hadr., 22.14 : Quando in Africam venit, ad adventum eius post quinquennium pluit, atque ideo ab Africanis dilectus est. 47 CIL, VIII, 2609 = D. 3061. 48 CIL, VIII, 2610 = D. 3935. 49 Hufty 2001, 470 : entre 1900 et 1990, plusieurs ensembles d’années consécutives ont été plus sèches (par exemple 1942-1946) ou plus humides (notamment 1955-1958). Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 33

n’a rien d’exceptionnel : J. Despois cite une famine probablement liée aux mauvaises récoltes entraînées par une succession de sécheresses, qui dura de 1142 à 1147 en Fraya 50. Mais leur augmentation en fréquence au iie siècle aurait convaincu les autorités de la nécessité de construire un aqueduc pour , la capitale de la province, qui n’en bénéficiait pas. La prospérité économique de l’Afrique romaine explique que les villes aient investi dans ce domaine pour pallier au risque récurrent de pénurie 51.

Retour historiographique : déterminisme physique, climatologie moderne et géographie historique Faut-il pour autant considérer que S. Gsell et les scientifiques sur lesquels il s’appuyait se sont trompés ? Plutôt que d’évacuer le problème en constatant une erreur dont l’évidence s’impose, j’ai cru utile de situer le débat dans le contexte historique d’une science qui a connu depuis la fin du siècle dernier la profonde évolution dont la climatologie actuelle est l’aboutissement. En 1957, J. Despois a consacré un chapitre de son livre sur la Tunisie Orientale à défendre l’idée d’une stabilité du climat et cette hypothèse occupe une place fondamentale dans des considérations géohistoriques qui étaient partagées par la majorité des historiens de son époque et le sont restées, bien que, dès l’année qui suivit la première édition de sa synthèse sur L’Afrique du Nord dans la collection dirigée par C.-A. Julien, son collègue H. Isnard en ait fait la critique. Ce géographe protestait contre l’idée que des facteurs physiques expliqueraient les destins de ces régions : “ce n’est probablement pas à une impuissance congénitale du pays et des hommes qu’il faut imputer la carence historique de l’Afrique du Nord, c’est aux conjonctures qui, pendant des millénaires, l’ont placée entre un Occident et un Orient en compétition dans la Méditerranée” 52. Cette partie de l’œuvre de J. Despois doit être revue à la lumière des apports d’une nouvelle climatologie qui unifie deux disciplines qui s’étaient développées séparément 53. L’une est la météorologie, science de l’atmosphère, orientée par la prévision du temps. Elle étudie la circulation des masses d’air dont la succession définit des types de temps. L’autre est une climatologie pratiquée dans sa définition spatiale par les géographes pour lesquels le climat était avec le relief l’un des deux constituants de l’espace habité et exploité par les sociétés. La climatologie des géographes est celle à laquelle nous nous référons, nous, historiens français. Il est important de souligner la place de cette position nationale dans la mesure où nous recherchons dans les monographies régionales des données climatologiques indispensables à des études portant sur les productions agricoles, plus particulièrement dans celles de J. Despois et J. Dresch, deux auteurs de référence, dont nous verrons que les travaux doivent être replacés dans le contexte d’une “géographie en 54

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © situation coloniale” .

50 Despois 1955, 41. 51 Leveau 2012. 52 Isnard 1950, 124. 53 Vignau 2000, 20-33. 54 Deprest 2008 ; cf. infra p. 43 et 46. 34 Philippe Leveau

Les climatologues ont établi que les grandes fluctuations climatiques quaternaires sont bien liées aux variations de la quantité de chaleur reçue par la Terre en fonction de sa position orbitale et de l’activité solaire. Dans l’histoire de la discipline, au plan théorique, ces idées ont leur origine au xixe siècle dans les observations qui avaient ruiné les anciennes théories dites “fixistes”, “catastrophistes” ou “diluvianistes” inspirées par la lettre de la Bible, et posé le principe d’une mobilité du milieu physique. La reconnaissance de la place des facteurs astronomiques dans la régulation des climats remonte à la fin des années 1830. L. Agassiz a formulé alors la théorie cyclique de la glaciation que le mathématicien et astronome serbe M. Milankovitch devait valider au début du xxe siècle en montrant que l’alternance de phases de refroidissement et de réchauffement tous les 20 000, 40 000 et 100 000 ans était commandée par les variations de l’intensité solaire. Il a été ainsi établi qu’après la glaciation wurmienne qui avait atteint son maximum il y a 21 000 ans, l’ensoleillement a augmenté jusqu’à 8000 BP 55. À la suite de cette augmentation, le rétrécissement de la zone des hautes pressions centrées sur le Sahara a permis l’entrée des dépressions porteuses de pluies amenées par les vents d’ouest entraînant une rétraction du désert. Alors qu’il avait atteint son extension maximale durant la glaciation wurmienne, celle-ci est réduite au minimum durant les vie et ive millénaires a.C., durant la période humide africaine, comme l’attestent les vestiges de l’occupation néolithique saharienne. L’hypothèse de modifications considérables des paysages survenues à l’époque historique a été en vogue au xixe siècle à l’instar de celle qu’E. Desjardin avait soutenue à propos de la Gaule. Mais elle a été abandonnée au début du xxe siècle 56. C’est dans le contexte scientifique que S. Gsell a soutenu que le climat du nord de l’Afrique dans l’Antiquité n’était pas fondamentalement différent de l’actuel. Il s’appuyait sur les gravures rupestres et les données archéologiques mettant en évidence l’assèchement du Sahara depuis la période néolithique. Pour la période allant du ve s. a.C. au viie s. p.C., il utilisait les sources écrites et les données archéologiques relatives à l’occupation du sol et en particulier l’inventaire des travaux hydrauliques anciens qu’il avait réalisé. Il concluait que cette Berbérie jouissait d’un climat analogue à l’actuel, mais peut-être un peu plus humide en particulier dans les montagnes qui bordent le désert. Quant au Sahara, c’était un désert, mais peut-être un peu moins sec 57. C’est en fonction de cette même croyance en une stabilité générale du climat que les forestiers et les botanistes avaient acquis la conviction que des altérations plus ou moins durables du paysage conduisaient au cours des temps historiques à l’apparition de microclimats plus secs, que les activités humaines en étaient l’origine et qu’elles s’expliquaient plus spécifiquement par la déforestation. Ils avaient établi l’effet de la forêt sur la pluviosité locale. Ainsi, à partir d’observations faites par la Station de recherche forestière d’Algérie, P. Boudy concluait que “la présence d’un massif forestier important tend à accroître la pluviosité moyenne dans la

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © proportion de 8 p. 100”, cet accroissement portant non sur le nombre de jours de pluie, mais sur la hauteur des précipitations 58.

55 Magny 1995, 20. Il est prévu que “le refroidissement amorcé depuis 6000 ans se poursuivra jusqu’à un premier maximum glaciaire dans 5000 ans”. 56 Desjardins 1876. 57 Gsell 1913, 40 (cf. supra). 58 Boudy 1948, cité par Despois 1951. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 35

Mais l’histoire du climat a un avant et un après. L’avant, c’est l’époque de S. Gsell, celle des géographes dont les travaux sont utilisés par les historiens et les archéologues quand la source principale des connaissances était constituée par les textes des auteurs antiques complétés par des données archéologiques relatives à l’occupation du sol. M. Euzennat pouvait écrire en 1983 dans un article qu’il a consacré à la frontière romaine en Tripolitaine : “L’hypothèse d’une transformation du climat ou à tout le moins de l’hydrologie, souvent avancée même à une époque encore récente, est aujourd’hui généralement abandonnée. Les progrès de la géologie, notamment dans l’étude du Quaternaire récent, ont montré qu’il n’y avait pas eu de changement climatique sensible dans la période considérée, mais seulement des oscillations qui ont pu jouer un rôle, mais qui ne peuvent suffire à expliquer les déplacements de la frange pionnière observés. Les conclusions présentées dès 1920 par S. Gsell, en se fondant sur les descriptions dues aux Anciens, n’ont en définitive guère besoin d’être corrigées, à condition de ne pas attendre de ces sources plus qu’elles ne peuvent donner” 59. Dans cet avant, une grande importance était accordée aux données archéologiques. Celles-ci sont de bons indicateurs des capacités d’adaptation des sociétés et de mauvais indicateurs climatiques. Car les sociétés savent gérer les conditions offertes par le milieu. L’eau est stockée dans des citernes et les villes construisent des aqueducs. Dans les zones arides, les techniques agricoles sophistiquées décrites plus haut sont mises en œuvre pour l’oléiculture et la céréaliculture. L’après, c’est la période qui a suivi la mise au point de la méthode isotopique de datation quand les Sciences de l’Environnement ont pu préciser des chronologies relatives par des dates exprimées en années calendaires. Dans les années 1960, C. Vita-Finzi a utilisé les phases d’alluvionnement comme un indicateur géomorphologique de l’importance des précipitations qui ont mobilisé les sédiments dans les oueds de Tripolitaine 60. Appliquée d’abord à l’Holocène ancien, cette méthode privilégiait le facteur climatique. Pour l’étendre aux périodes historiques, il a fallu prendre en compte les données anthropiques : les effets du pâturage sur les couvertures végétales et ceux des aménagements agricoles sur les écoulements. L’analyse pollinique des sédiments lacustres et océaniques a fourni des données climatiques à basse résolution portant sur des durées multicentenales. Elle montre que la reconquête végétale a connu son maximum autour de 6000 BP. Au nord, dans la zone steppique, un optimum hydrique et thermique explique le développement des formations à olivier et pistachier (Oleo-lenticetum). La chênaie caducifoliée a connu une extension remarquable dans les montagnes, dans le Moyen Atlas et le Rif marocains, le algérien et au nord-ouest de la Tunisie, en Kroumirie. Par la suite, autour de 4500-4000 BP 61, une oscillation paléohydrologique majeure a entraîné la remontée en latitude de la limite de la zone intertropicale et celle de la zone climatique méditerranéenne, ce qui s’est traduit par

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © la modification des zones bioclimatiques. Ainsi s’est amorcée une phase de développement de l’aridité qui a conduit à la zonation actuelle. Les reconstructions climatiques semblent montrer que, durant la dernière période de l’Holocène qui débute aux alentours de 3300, le

59 Euzennat 1983. Même affirmation par Lassère 2015, 27. 60 Vita Finzi 1969. 61 Magny et al. 2013. 36 Philippe Leveau

climat ait tendu à devenir plus sec dans l’Europe du Sud et dans le bassin méditerranéen et que cette tendance ait été plus forte dans le sud-ouest que dans le sud-est 62. Depuis, stimulés par l’intérêt que suscitent les modifications climatiques en cours, géologues, écologues et physiciens de l’atmosphère apportent une quantité de données factuelles qui permet d’appréhender avec une précision croissante les variations récurrentes du climat au Quaternaire, les fluctuations survenues pendant l’Holocène et, ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, ses oscillations au cours des derniers millénaires dans les différentes régions 63. Mais la connaissance de l’évolution régionale des climats du passé est extrêmement inégale. Ainsi pour le Centre-Ouest de l’Europe (Allemagne et Europe centrale), une équipe de naturalistes a établi une courbe des variations des précipitations printanières et des températures et de la pluviosité estivales sur 2500 ans à partir de la dendrochronologie du chêne. Mais cette technique qui utilise la croissance annuelle des arbres comme un thermomètre végétal et apporte aux restitutions une précision inégalée est difficilement applicable dans les régions steppiques 64. Par ailleurs, dans le cas du Maghreb, les indicateurs polliniques et géomorphologiques documentent essentiellement les zones littorales et préférentiellement le Maroc et la Tunisie. Enfin, les reconstitutions climatiques sont principalement orientées vers la prévision des climats du futur. Animés par le désir d’alerter l’opinion publique sur les effets du changement climatique en cours, les climatologues sont partagés entre rigueur scientifique et exagération du risque. Mythes diluviens, “paraboles climatiques” expliquant la ruine d’Empires ou de cités par la sécheresse ou l’inondation, nombreuses sont les publications qui transforment en certitudes historiques les incertitudes du futur et substituent la causalité climatique aux causalités sociétales 65. La polémique qu’occasionna la médiatisation d’un article paru dans Science en 1993 qui mettait en relation la chute de l’Empire mésopotamien d’Akkadé (iiie millénaire a.C.) avec un changement climatique qualifié d’“abrupt” n’est pas éteinte 66.

Climat, agriculture, pastoralisme Dans la zone géographique envisagée, le climat exerce par sa rigueur une contrainte forte sur l’agriculture et le pastoralisme. La pénurie engendrée par un déficit pluviométrique a dans ce milieu aride une tout autre gravité que dans un milieu humide. Elle est à la fois fréquente et imprévisible car irrégulière, et rend les sociétés vulnérables. Ces régions sont le domaine de la steppe, un écosystème caractérisé par une formation végétale hétérogène

62 Guiot & Kaniewski 2015. 63 Vigneau 2000, 321.

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 64 Büntgen et al. 2011. Cette étude à laquelle A. Wilson (2017, 122) renvoie constitue une référence essentielle pour les régions de la Baltique et de l’Europe centrale. Elle a été permise par l’existence de séries dendrochronologiques sans équivalent en Afrique du Nord pour des raisons climatiques. Mais leur aire d’extension est marginale par rapport à celle de l’Empire romain ; les rapprochements que ces auteurs font avec des évènements historiques relèvent de théories déterministes simplistes et portent au mieux sur l’histoire de ces régions (Leveau 2014). 65 Leveau 2005. Une parabole climatique dramatise de manière rhétorique un phénomène climatique du passé afin d’alerter l’opinion public. 66 Elle donna lieu à des articles d’un grand intérêt historiographique dans les numéros 56 et 57 des Nouvelles de l’archéologie (été-automne 1994). Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 37

discontinue plus au moins dense qui assure l’unité de cette zone géographique. Il avait été défini comme “climacique”, terme qui désigne l’état final d’une succession écologique dans un milieu naturel en dehors de toute intervention humaine. Cette formation se compose de plantes herbacées et arbustives de hauteur limitée poussant sur des sols généralement maigres à faible taux en matière organique, très sensibles à l’érosion et à la dégradation. Un feuillage sclérophylle et un système racinaire adapté à l’aridité climatique la rendent robuste et résiliente. L’alfa sur les sols secs, modérément limoneux, et l’armoise blanche sur les limons et les argiles couvrent de vastes espaces parsemés de buissons de jujubiers. Dans la cuvette du Hodna à la transition des Hautes Plaines algéro-marocaines et constantinoises ainsi que dans les plaines du golfe de Gabès et la Djeffara, la diminution des pluies fait disparaître l’alfa et les plantes annuelles vivaces. La steppe n’est plus qu’une végétation maigre et dispersée. En bordure des sebkras et des zahrez, sur les sols salés des chotts, la végétation est halophyte (fig. 5). Pour désigner ces régions, les historiens ont emprunté aux biogéographes le terme “prédésert” pour désigner une bande d’une largeur variable qui prend en écharpe le nord de l’Afrique ; elle se distingue du “vrai désert” hyperaride que caractérise une dégradation accrue des écoulements et de la végétation 67. R. Capo-Rey qui l’a qualifiée de saharo-steppique considérait qu’elle marque la limite nord du Sahara mieux que la zone des palmeraies. Plus large à l’ouest et à l’est, cette bande se rétrécit au centre sur le piémont de l’Aurès et des Némencha. L’effet de fluctuations climatiques sur la végétation et sur les potentialités agropastorales est plus important dans ces régions arides que dans celles qui sont mieux arrosées. Sans que l’on puisse parler d’un véritable “changement climatique”, une répétition de périodes Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

Fig. 5. Les zones végétales. 1. Zone du hêtre ; 2. Chêne à feuille caduque ; 3. Méditerranéen pur : chêne vert, chêne-liège ; pin pignon ; etc ; 4. Forêt mixte ; arbres à feuilles caduques et à feuilles persistantes ; 5. Méditerranéen aride : forêt méditerranéenne pure à infiltrations steppiques (tuyas, oléolentisques) ; 6. Steppe ; 7. Conifères supraméditerranéens (Birot & Dresch 1953, 62).

67 Rebuffat 1976-1977 ; Barker 1996. 38 Philippe Leveau

de sécheresse entraîne un retrait des espèces ligneuses, le remplacement des forêts de chênes caducifoliés par des chênaies sclérophylles à chêne vert et chêne-liège et une extension de la steppe. Par ailleurs, de récents travaux en histoire du climat ont montré que la répartition saisonnière avait varié durant la période holocène. Ainsi alors qu’avant 4500 cal BP le maximum des précipitations se situait durant l’été et l’hiver, la pluviosité aurait décliné durant ces deux saisons dans la période suivante 68. La situation paraît mal connue pour les périodes historiques. Mais il faut en souligner l’incidence qu’a à quantité égale une modification de la répartition saisonnière des précipitations sur l’agriculture et les pastoralismes. Les pluies d’automne-hiver surviennent durant la période où la température descend à son minimum. L’évaporation est réduite. L’eau s’infiltre et constitue des réserves d’humidité dans lesquelles puisent les arbres et les cultures arbustives, ce qui les met en état de résister à la sécheresse estivale. En même temps, cette eau remplit les nappes phréatiques qui conditionnent le débit des sources. Les pluies de printemps-été interviennent quand les températures s’élèvent. L’évaporation est forte et l’eau ne pénètre qu’une couche superficielle dans laquelle s’étalent les racines des plantes herbacées. Mais c’est précisément le moment où celles-ci ont le plus de besoins d’humidité 69. L’incidence de cette répartition des pluies ne concerne donc pas les seules activités agricoles. Elle conditionne la ressource pastorale fournie par les plantes de la steppe et de ce fait la mobilité des troupeaux. Nous verrons que cela ouvre des perspectives sur la possibilité d’appréhender des modifications climatiques 70. Mais déjà, dans les années 1980, à l’occasion d’un colloque sur l’histoire et l’archéologie de l’Afrique antique et médiévale, à une époque où les analyses polliniques apportaient les premières données sur l’histoire de la végétation dans le golfe de Gabès au large de la Tunisie, une géographe, M. Rouvillois-Brigol avait montré qu’“aux explications complexes et parfois embarrassées que donnent les tenants d’une identité parfaite des climats de l’époque antique et de l’actuelle, on peut substituer une explication beaucoup plus simple et rendant compte de toutes les variations observées. Ce sont des précipitations plus abondantes dans leur ensemble et peut-être plus régulièrement réparties sur les saisons cruciales de l’automne et du printemps qui ont permis une implantation sédentaire importante sur tout le piémont saharien, comme dans les Steppes tunisiennes voisines” 71. Des pluies plus abondantes permettaient un épandage plus vaste sur les piémonts de l’Atlas saharien et donc des irrigations plus étendues.

Climat et régions naturelles dans une géographie en situation coloniale. Les enjeux pour l’histoire Lorsqu’en 2005 l’Afrique romaine figura au programme de l’agrégation d’histoire, l’interrogation de S. Gsell sur la relation entre le climat et la prospérité de l’Afrique romaine Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

68 Magny et al. 2011 (une pénétration plus fréquente des vents d’ouest pluvieux dans la zone méditerranéenne est liée à l’affaiblissement progressif de l’activité des cellules de Hadley) ; Magny et al. 2013 ; Peyron et al. 2017. 69 Isnard 1954. Modéran 2003, 620-621, utilise cette donnée à propos de la pénétration des Laguatan en Byzacène en 544. 70 Cf. infra p. 61 et 83 à propos de la vigne dans le Sersou. 71 Rouvillois-Brigol 1986, 46-47. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 39

restait bien actuelle si l’on en juge par la présentation dont le milieu naturel fait l’objet dans un ouvrage destiné aux étudiants. Les conditions géographiques y sont présentées sous un angle intentionnellement pessimiste dans une introduction géographique intitulée de manière rhétorique, le “miracle romain”. Il s’agissait de justifier une conclusion par rapport à laquelle S. Gsell était resté interrogatif : “Devant une nature peu propice, les hommes de l’Antiquité ont eu le choix entre la résignation et l’action. C’est la deuxième qu’ils ont préférée. La vie économique du Maghreb dans l’Antiquité et en particulier à l’époque romaine s’explique par des conditions historiques ; les hommes ont agi avec volonté, courage et intelligence” 72. Rapprocher le passé romain du Maghreb du présent colonial expose à deux dangers : le risque d’anachronisme et la suspicion d’idéologie. Le premier était qualifié par L. Febvre de “péché des péchés, entre tous irrémissible”. Le second a été dénoncé comme une tentative d’inversion de l’histoire par Y. Thébert dans un article qui a fait date. Mais depuis, la réflexion sur les usages du temps historique réhabilite la notion d’anachronisme pour sa fécondité heuristique de “prise en considération du télescopage des temporalités, de l’intrication du présent dans la lecture du passé” 73. Cela justifie a posteriori le parallèle entre les peuplements antique et moderne de l’arrière-pays de que j’ai proposé pour interpréter le territoire de Caesarea de Maurétanie 74. Dans ce cas précis, la coïncidence topographique observée entre les villas romaines et les fermes de colons dans les vallées et sur le littoral ne se retrouvait pas sur la partie montagneuse du territoire. La résistance opposée par les Beni Menacer en est probablement une explication. Mais il faut faire une place à des considérations technologiques. Recensant les terres, les autorités coloniales distinguaient parmi celles dont la fertilité était équivalente, les “terres de première classe” que l’on pouvait affecter à la colonisation et les terres “de seconde classe laissées aux indigènes”. Le critère les distinguant était la possibilité d’utiliser la charrue européenne dont la supériorité sur l’araire indigène n’était manifeste qu’en plaine. Il en résulta à l’époque coloniale la juxtaposition de deux espaces ; la plaine fut colonisée et la montagne abandonnée au mode de culture traditionnel. La séparation des deux fut matérialisée par une bande forestière d’où le code forestier français avait contribué à chasser les anciens occupants. Je me propose de suivre une démarche analogue à propos de l’occupation des marges de l’Afrique romaine en dépassant la lecture binaire et accusatrice qu’en donnent les Subaltern et Postcolonials Studies. Il convient donc de revenir sur la manière dont cette histoire a été écrite par une géographie et une histoire “en situation coloniale” (fig. 6). Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

72 Le Bohec 2005, 17. 73 Dosse 2010, 666-667. La dénonciation par Y. Thébert (2003, 12-15 et n. 10) de l’anachronisme d’une comparaison entre colonisation romaine et française procède d’une incompréhension de l’intérêt de cette démarche. 74 Leveau 1984, 475 et n. 55, 487-488. 40 Philippe Leveau

Fig. 6. Algérie coloniale et limes romain. P. Morizot a placé sur la carte du réseau 475 villages de colonisation construits en Algérie entre 1848 et 1928 (d’après Côte 1988, 165). La limite sud du territoire romain en Algérie est définie à partir du tracé du limes (Morizot 2014, 160).

L’Afrique romaine, miracle et déclin Cette démarche nous ramène à l’époque où, arrivés en Algérie dans les bagages des militaires pour qui l’histoire romaine constituait un gisement incontournable d’informations, les archéologues et les historiens de l’Antiquité avaient trouvé un appui auprès des autorités coloniales qui y voyaient une justification de la conquête et qui étaient en quête de données guidant leurs choix dans l’implantation des villages de colonisation. C’est ainsi que s’imposa une comparaison entre l’Empire romain et l’Empire français. Pour accomplir une mission civilisatrice, la France devait imiter Rome et rendre à l’Afrique du Nord la prospérité qu’elle avait connue en se conformant au modèle que les historiens et les archéologues restituaient alors : construire des villes, les relier par des voies de communication, développer une agriculture adaptée au milieu. En même temps, ils étaient sollicités pour orienter la politique coloniale : les zones romanisées étaient supposées aptes à une nouvelle colonisation.

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © Un peuplement européen pouvait y être installé. M. Dondin-Payre montre comment la France au xixe siècle et l’Italie à partir de 1911 ont tenté de superposer leurs empires coloniaux à l’Empire romain et instrumentalisé l’archéologie pour légitimer ces conquêtes et “réimplanter la civilisation classique et la religion chrétienne dans des terres d’où elles avaient été injustement chassées” 75. Les milieux cléricaux allaient jusqu’à faire de la conquête de l’Algérie la réappropriation d’un territoire perdu de la chrétienté occidentale. Dans la

75 Dondin-Payre 2002, 197 ; 2011, 49. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 41

seconde moitié du xixe siècle, cette idéologie fut confortée par le message saint-simonien qui conférait aux scientifiques et aux ingénieurs la mission de contribuer à l’avènement d’un âge industriel faisant suite à l’âge féodal. Elle était partagée par les autres puissances coloniales méditerranéennes, les Italiens en Libye comme les Espagnols au Maroc 76. Dans ce contexte, l’Afrique du Nord devint un terrain privilégié d’étude pour des scientifiques qui élaboraient les connaissances nécessaires au développement des nouveaux territoires. Ils intervenaient comme experts ou contribuaient à la formation des administrateurs et des ingénieurs qui opéraient sur le terrain. Les dernières années du xixe siècle avaient été marquées par un tournant majeur de la géographie qui privilégiait jusqu’alors la reconstitution des géographies du passé à partir des archives et des textes anciens. Cette approche était progressivement abandonnée au profit d’une géographie appliquée. Les géographes qui se voulaient des savants engagés dans les préoccupations de leur temps apportèrent leur contribution au mouvement colonial et répondirent aux demandes de l’administration 77, à l’exemple de J. Célérier, un des grands noms de la géographie coloniale au Maghreb, qui écrivait : “Comprendre un peuple en fonction de son milieu, but de la géographie, c’est déjà avoir en main un instrument de direction et c’est en même temps prendre conscience de nos différences, de nos propres possibilités, en vue de trouver place à côté de ce peuple et pour agir” 78. C’est ainsi que F. Deprest du côté français et M. Naciri du côté marocain ont développé une recherche qui pour l’une a porté sur “les savoirs universitaires en situation coloniale” et pour l’autre sur la géographie coloniale comme “science appliquée” à la colonisation. Dans les deux cas, un discours savant est mis en relation avec les contextes politique et institutionnel qui ont présidé à sa production.

Histoire environnementale et critique postcoloniale Les ingénieurs agronomes et les forestiers qui intervenaient en Algérie avaient été formés à l’École forestière de Nancy. Ils appliquaient avec l’appui des autorités coloniales une politique inspirée par les idées de l’époque qui imputaient aux populations des montagnes la responsabilité d’une gestion de l’environnement à l’origine de la crise de torrentialité qui avait affecté les massifs montagneux européens. Elle devait donner lieu à une controverse avec les géographes qui l’imputaient à une oscillation du climat. Mais la croisade contre le déboisement prêchée au xixe siècle par l’ingénieur Surell fut à l’origine d’une législation restreignant les pratiques agropastorales traditionnelles et en particulier l’accès à la forêt 79. Un débat de même nature s’était développé dans les colonies européennes à partir des années 1750. Selon G. Quenet, “la peur de la déforestation généralisée donne naissance à un nouveau discours climatique, non plus finaliste, mais historique ; le déboisement serait à l’origine de la dessiccation du globe et d’un changement du climat”. La plantation Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © d’arbres permettrait d’augmenter les précipitations 80. En France, la question des origines climatique et anthropique de la déforestation a mobilisé la communauté des géographes

76 Naji 2011 ; Vismara 2014, 160. 77 Deprest 2009, 86. 78 Cité par Baduel 1986, 12. Sur Célérier, cf. Naciri 1984, 310-343. 79 Surell 1841 ; Bravard 2006. 80 Quenet 2012, 7. 42 Philippe Leveau

autour la “controverse alpine” qu’avait déclenchée l’article de F. Le Noble sur “La légende du déboisement des Alpes” paru en 1924 81. Étendant à la colonisation française au Maghreb les recherches de R. Grove sur les colonies anglaises 82, D. Davis, une géographe américaine, a lu les interventions des forestiers et les travaux des écologues sur la végétation méditerranéenne dans l’esprit des postcolonial studies et leur a appliqué les théories de la domination et de l’utilisation des savoirs dans les stratégies de pouvoir développées par P. Bourdieu et M. Foucault 83. Cette démarche étendait à des textes scientifiques produits par des agents de l’administration coloniale une approche des textes littéraires pratiquée dans les départements de littérature des universités américaines. Il était reproché aux politiques qu’ils avaient préconisées d’avoir constitué un élément efficace du processus de domination de la société colonisée et de spoliation des populations indigènes 84. En stigmatisant les savoirs indigènes et en prétendant constater le déclin de l’Afrique depuis la période romaine idéalisée, leurs auteurs construisirent un discours “décliniste” qui légitimait la domination coloniale. Il est de fait admis que le pouvoir impérial a imposé à l’Afrique Proconsulaire une contribution en blé que les historiens qualifient de “blé fiscal” ou de “blé du prince”. Il servait à des distributions gratuites au profit des citoyens de la ville de Rome, soit deux centaines de milliers de rationnaires. Cette partie orientale de l’Afrique du Nord, et elle seule, était avec l’Égypte, la Sicile et l’Hispania une province dite annonaire. Le blé qu’elle fournissait n’entrait pas dans les circuits d’une agriculture commerciale. Telle est l’origine du fameux “panem et circences”, “du pain et des jeux”, par lequel l’Empereur avait acheté l’adhésion du Peuple Romain. Ce fait historique bien réel témoigne autant des capacités du pouvoir impérial d’organiser à son profit la production de céréales dans cette province que de l’importance de celle-ci. Quinze siècles après, il fut utilisé par les autorités coloniales pour inciter à la mise en culture des Hautes Plaines d’Algérie. La presse s’en fit l’écho et contribua à l’enraciner dans la mémoire coloniale 85. D. Davis en fait le départ d’“un grand récit du changement environnemental qui”, dit-elle, “se révéla une arme aussi efficace que les lois et les rapports économiques pour déposséder les indigènes algériens de leurs terres”. Cette approche s’inscrit dans le courant constructionniste qui a marqué les sciences sociales dans les dernières décennies 86. Elle privilégie les représentations par rapport à l’approche positiviste d’un historien des sciences. Les constructionnistes considèrent en effet que l’historien ne doit pas se contenter d’une approche réaliste selon laquelle les faits mêmes sociaux ont une existence propre, indépendante du discours. Pour eux, ils dépendent de ce que les hommes pensent et ne peuvent pas être décrits indépendamment du processus de transmission et de l’interprétation qui en était donnée. L’histoire n’échappe pas à la règle

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © selon laquelle “le passé ne se conserve pas, mais fait l’objet d’une reconstruction toujours

81 Neboit 1991, 20-207. 82 Grove 1997. 83 Davis 2012 ; Quenet 2012. 84 Surun 2012. 85 Cf. infra, p. 56. P. Bourde et l’olivette sfaxienne. 86 Mariot & Olivera 2010. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 43

recommencée” 87. Dans cette posture épistémique, les postcolonial studies dont relèvent les travaux de D. Davis postulent que la situation coloniale agit sur la construction du passé, ce qui invite à reconsidérer des interprétations de situations historiques considérées comme établies. Les deux colonisations romaine et française ont été assimilées alors qu’elles n’ont en commun que ce nom. Le passé romain s’est trouvé instrumentalisé pour légitimer la colonisation française en assimilant deux évènements historiques qu’un millénaire et demi sépare. La colonisation française s’étant identifiée à la colonisation romaine, celle-ci ne peut pas être simplement “perçue comme une entreprise militaire et économique relevant d’un passé révolu”. Il serait illusoire de prétendre faire abstraction du rôle qu’a joué cette assimilation dans l’écriture de l’histoire des pays qui ont subi la colonisation européenne. Il faut plutôt y voir une invitation à distinguer l’image construite et les réalités historiques 88.

Les géographes en situation coloniale Dans ce contexte, l’historiographie éclaire la manière dont se sont constitués les savoirs géographiques et historiques qui nous ont été transmis par plusieurs générations de géographes et d’historiens “en situation coloniale” selon l’expression utilisée par F. Deprest. Ces savants adhéraient plus ou moins à l’idéologie saint-simonienne qui assignait une mission civilisatrice à la colonisation. Ils avaient également grandi dans une ambiance nationaliste qui envisageait la constitution d’un Empire colonial comme une revanche de la défaite subie par la France face à la Prusse en 1870. Après la chute de l’Empire qui avait entraîné l’abandon de la politique arabophile inspirée à Napoléon III par Ismaïl Urbain, saint-simonien converti à l’Islam et adepte d’un syncrétisme entre christianisme et islam 89, deux conceptions de la politique coloniale s’affrontaient. Pour des nationalistes de droite comme de gauche, l’objectif lointain de la colonisation était l’assimilation des populations qui aboutirait à faire de l’Algérie une province française. Mais les résistances à la colonisation qui se manifestèrent par des révoltes sporadiques avaient fait prendre conscience à d’autres que l’assimilation était impossible et qu’il fallait lui préférer l’association. Cette position est celle des Radicaux au pouvoir au tournant du siècle. Partisans de l’association, ces anti- assimilationnistes qui n’étaient en aucun cas anticolonialistes défendaient un colonialisme prenant en compte les réalités d’une résistance à la colonisation.

Algérianisme et anti-algérianisme, la France et la Rome africaine Ce partage se retrouve dans le monde universitaire. F. Deprest dont je reprends ici la démonstration a montré que les deux géographes qui dominent la géographie coloniale de l’Afrique du Nord avant la Seconde Guerre mondiale, A. Bernard à Paris et E.-F. Gautier à

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © Alger, tiraient des conclusions très différentes des expertises qu’ils étaient amenés à réaliser. Après un séjour en poste à Alger de 1894 à 1902, le premier avait occupé à la Sorbonne une chaire consacrée à la géographie et à la colonisation de l’Afrique du Nord. Il se rangeait dans le

87 Lepetit 1993, cité par Dosse 1998, 124. 88 Hannoum 2013. 89 Témime 2002, 48-49. Leur œuvre fut balayée par la République. Mais, lorsqu’en 1883 naît un cercle Saint-Simon, il critique les excès de la colonisation (Vermeren 2017, 87). 44 Philippe Leveau

courant anti-assimilationniste. Concluant un article sur les régions naturelles de l’Afrique du Nord, il explique que “la nature semble rendre bien difficile l’assimilation, la transformation de l’Algérie en départements semblables à ceux de France qu’on a rêvé à certaines époques” 90. Sa position scientifique fait de lui le porte-parole de la doctrine gouvernementale 91. “Selon un mot de Waldeck Rousseau, il faut amener les indigènes à évoluer non pas dans notre civilisation, mais dans la leur” 92. Cette position l’oppose à son collègue algérois E.-F. Gautier que F. Deprest qualifie d’algérianiste. Elle en fait le représentant scientifique d’un courant qui s’oppose à la politique de la métropole. Dans les nombreux articles qu’il publie dans les Annales de Géographie entre 1906 et 1927 ou dans le volume de la Géographie Universelle consacre a l’Afrique septentrionale et occidentale, il fait montre d’une connaissance fine des pratiques indigènes. Cette prise de conscience de l’adéquation des pratiques agricoles indigènes avec les conditions biophysiques en fait un précurseur des géographes qui lors du congrès international de géographie d’Amsterdam en 1938 dénoncent les excès des agricultures coloniales. L’algérianisme est à l’origine un mouvement littéraire qui tire son nom du roman de l’Algérois R. Arnaud, Les Algérianistes, paru en 1911. Son préfacier explique que c’est le premier essai de la constitution d’une mentalité algérienne, “consciente de sa composition, volontaire, et raffinée”. Ce mouvement prétendait contribuer à la création d’un futur peuple franco- berbère qui “sera de langue et de civilisation françaises”. Dans sa composante parisienne et académique, ce mouvement littéraire est représenté par L. Bertrand qui dans ses romans s’était fait le chantre d’une Afrique latine, héritière d’une province perdue de la Latinité. Il est à l’origine du concept de “ville d’or”, repris au sens métaphorique par l’administration coloniale pour désigner les sites antiques de l’Algérie qui constituaient les “bijoux” de la colonie 93. Élu à l’Académie où il occupa le siège de M. Barrès, cet écrivain dut son importance à sa capacité de synthétiser des théories qui séduisaient les colons et contribuaient à créer une idéologie qui leur convenait 94. Dans son Discours à la nation africaine, la référence à l’Afrique latine devient un idéal proposé aux “vrais Africains”, Européens et Indigènes qu’il oppose à la “tourbe des barbares –Afri barbari” 95. “L’Afrique française moderne”, écrit-il, “est l’Afrique romaine qui continue à vivre”. Sous sa plume, “les indigènes sont perçus en tant qu’un élément de décor” 96. Cette thèse trouve son écho dans les manuels scolaires de l’époque où la colonisation romaine est présentée de manière élogieuse et rapprochée de la colonisation française 97. Celle-ci devient une réminiscence d’un passé antique par delà les siècles obscurs du Moyen Âge.

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 90 Bernard & Ficheur 1906, 436. 91 Deprest 2009, 149-150, citant les travaux de R. Ageron (1968, 989-1002) : “Ces positions traduisent une appartenance directe de Bernard aux réseaux de l’alliance radical-socialiste, dreyfusiste et anticléricale”. 92 Bernard & Lacroix 1906, 301. 93 Oulebsir 2004, 283-284. 94 Lorcin 2005. 95 Frémeaux 1984, 42. 96 Oulebsir 2004, 286. 97 Rodes 2012. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 45

Dans l’après-guerre, ce mouvement est relayé par une nouvelle génération représentée en littérature par A. Camus, E. Roblès, J. Amrouche et G. Audisio qui crurent à la grande réconciliation des peuples méditerranéen. Ce “Méditerranéisme” qui renouait avec le rêve d’Ismaël Urbain prenait ses distances par rapport à l’idéologie coloniale de l’Algérianisme 98. Mais ce dernier se perpétue dans la revendication de la vocation méditerranéenne de la France et reste dominant chez les historiens de l’Antiquité comme le montre leur forte proportion parmi les vingt-six professeurs de la Sorbonne qui signèrent la déclaration du 23 mai 1956 dans laquelle ils exprimaient une “adhésion réfléchie à l’effort militaire qui est demandé au pays et approuvant le récent appel ‘pour le salut et le renouveau de l’Algérie française’” 99. Rendant compte du livre de G. Picard, La Civilisation de l’Afrique romaine paru en 1959, A. Mandouze donne une clé de cette adhésion. “Cet ouvrage est dans son ensemble assez représentatif de la thèse de l’‘assimilation’, Rome étant présentée comme une magistra vitae suivie et adoptée par une Afrique tout à la fois docile et originale” 100. En 1976, M. Benabou débutait l’introduction de son livre sur la résistance africaine à la romanisation par ces mots : “Le ‘miracle romain’ n’a pas fini d’exercer sa fascination”.

Le climat plutôt que le relief ou le relief plutôt que le climat L’opposition entre algérianistes et anti-algérianistes s’exprime dans les savoirs universitaires. Dans un article écrit avec un géologue 101, A. Bernard définissait les régions naturelles de l’Algérie comme “une succession de bandes allongées et étroites” en se fondant sur la convergence des facteurs géologiques et bioclimatiques. La Berbérie, observait-il, “n’a de limites nettes que là où elle est baignée par les mers : Atlantique, Méditerranée, Golfe des Syrtes”. Elle cesse avec les plissements alpins et aussi là où la culture devient impossible sans irrigation. En fonction des précipitations, il distinguait une zone où des cultures céréalières sèches étaient possibles et une autre où elles étaient aléatoires et devenaient impossibles. Cette distinction fondée sur des informations locales est à l’origine de l’utilisation devenue classique des isohyètes de 400 et 100 mm pour définir les limites de la steppe 102. A. Bernard demandait d’abandonner le terme de Hauts Plateaux utilisé jusqu’alors pour nommer l’espace compris entre les deux chaînes atlasiques au profit de celui de Hautes Plaines et proposait de reconnaître l’existence d’une zone intermédiaire entre le Tell et le Sahara qu’il définit par la formation végétale dont l’existence est due au climat, la Steppe. Ainsi une division tripartite

98 Témime 2002 ; Fréris 2003. En 1964, fidèle à ses rêves, G. Audisio actualisa une préface au Passé de l’Afrique du Nord en suggérant qu’E.-F. Gautier aurait renoncé “‘aux interprétations oiseuses’ pour reconnaître que, devant les faits, ‘il n’y a que le fait qui compte’, par exemple la naissance d’une nation”.

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © On ne saurait être plus utopiste. 99 Rey 2012. 100 Mandouze 1968, 339, n. 1. 101 Proposée pour la première fois à propos des Hautes Plaines (Bernard 1898, 14), cette classification est reprise à propos du nomadisme (Bernard & Lacroix 1906, 10). 102 Bernard 1898, 29 : “la catégorie steppe paraît renfermer les régions où la tranche d’eau annuelle en moyenne va de 20 à 35 ou 40 mm. En dessous, c’est le désert. En climat méditerranéen, l’agriculture pluviale (ou secano par opposition au regadio) est possible avec des plantes capables de se contenter d’une pluviométrie réduite (blé, légumineuses) ou de puiser dans les réserves hydriques profondes du sol (oliviers)”. 46 Philippe Leveau

d’origine savante fondée sur le climat se substituait au découpage traditionnel Tell/Sahara fondé sur les pratiques agropastorales indigènes 103.

E.-F. Gautier et Le passé de l’Afrique du Nord : de la géologie à la géographie historique E.-F. Gautier ne se satisfaisait pas d’une position qui, accordant une priorité au climat, distinguait mal l’Algérie du Maroc et de la Tunisie, les deux autres territoires sur laquelle la France coloniale étendait alors son pouvoir. F. Deprest a montré que, “par d’habiles stratégies rhétoriques”, [E.-F. Gautier] “contredit sans jamais le citer, le grand article de Bernard et Ficheur”, ce qui l’inscrit dans le courant “algérianiste”. En effet, en 1922, il avait publié un ouvrage, Structure de l’Algérie, qui établissait une relation entre la géologie de l’Afrique et son peuplement et donnait à la colonie une personnalité physique qui la distinguait de la Tunisie et du Maroc et la reliait au Sahara 104. De grands accidents nord-sud liés à l’orogénie saharienne qui coupaient à angle droit les plissements atlasiques justifiaient la différenciation de l’Algérie par rapport à ses voisins. Ce sont à l’est les accidents sahariens auxquels la Tunisie doit l’orientation méridienne de sa côte entre Gabès et Tunis et à l’ouest la Moulouya dont il faisait une limite naturelle justifiant la séparation entre Algérie et Maroc. Ce géographe établissait également un lien entre le relief et l’histoire. La grande cassure qui, de Biskra à , coupe l’Atlas algérien, séparerait les peuplements arabophones et berbérophones. Les uns auraient occupé un Atlas tellien occidental plus morcelé, plus sec et plus chaud et les autres un Atlas tellien oriental, plus massif, plus étendu et plus humide. La différence ethnico-linguistique entre Arabes et Berbères que certains voulaient exploiter y trouvait un fondement scientifique. Au sud, l’arc montagneux allant de l’Aurès à l’ qu’il considérait comme une limite climatique et humaine était la “chaîne du limes”. À ce titre, ce livre qui accordait un rôle décisif à la géologie annonçait Le Passé de l’Afrique du Nord. Les siècles obscurs, son ouvrage historique majeur. Il y reprenait l’argumentaire de l’originalité géographique de l’Algérie qu’il y avait établie en y ajoutant une description qui contredisait la théorie de la fertilité de l’Afrique du Nord développée dans les milieux coloniaux et le mythe de l’Afrique “grenier à blé de Rome”. Une malédiction géographique pèserait sur “L’île du Maghreb : elle n’est entourée d’eau qu’au nord et au sud, le Sahara qui l’assiège la rend plus inaccessible que ne le fait la Méditerranée”. “Maintenues comme en vase clos pendant des siècles, la flore, la faune, une forme de civilisation deviennent plus ou moins, ce que les zoologistes appellent résiduelles”. Elle n’a pas de centre. C’est le pays du sel : “il n’y a en fait d’eau stagnante que des chotts… le nom de rivière le plus commun de beaucoup est oued Mellah, la rivière salée” 105. Il en conclut que “le Maghreb est exactement l’inverse [de l’Europe]. C’est qu’il n’est pas seulement un pays de sel : imparfaitement dégagé 106

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © du Sahara, il a par surcroît d’un bout à l’autre la même nuance de climat subdésertique” . Des coupures physiques expliqueraient les ruptures historiques occasionnées par une

103 Bernard & Ficheur 1902 ; Deprest 2011. 104 Gautier 1922 et 1927. La première publication des Siècles obscurs date de 1927. Le livre fut régulièrement réédité. Il est cité ici à partir de l’édition en Livre de Poche de 1952. 105 Gautier 1952, 11. 106 Gautier 1952, 16. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 47

succession d’invasions le plus souvent venues de l’est en circulant le long d’“un chapelet de plaines hautes et basses, généralement steppiennes, qui court depuis les Syrtes jusqu’à l’Atlantique”. De cette malédiction découle une histoire décrite comme “hachée par une série de coupures qui semblent totales et sectionnée en compartiments qui semblent étanches” 107. Géographie et histoire concouraient ainsi à une construction historique dans laquelle la colonisation française renouant avec l’époque romaine met fin à un cycle millénaire d’échec. Ce livre a suscité très tôt des critiques. La première est venue d’A. Bernard dans un compte rendu 108. Louant la “brillante synthèse tectonique” de son collègue, il résumait d’abord sans se prononcer l’hypothétique relation que celui-ci proposait entre la distribution des peuplements arabophones et “la grande cassure qui court en écharpe à travers l’Atlas algérien et qui le coupe en deux depuis le seuil de Biskra jusqu’à Tlemcen”. Mais il dénonçait fermement le fil conducteur utilisé pour “débrouiller l’écheveau confus de l’histoire de la Berbérie du viie au xie siècle” qu’il résumait dans les termes suivants. “Depuis l’Antiquité la plus reculée jusqu’à nos jours, le Maghreb a toujours été coupé en deux moitiés irréconciliables. Nous disons aujourd’hui les Arabes et les Kabyles. L’Antiquité disait les Numides et les Maures. Le Moyen Âge arabe a dit les Botr et les Branès. Ce sont des noms différents, successifs, s’appliquant aux mêmes entités profondes, les nomades et les sédentaires, des entités indestructibles comme le sol lui-même” 109. De fait, E.-F. Gautier qui en parlait la langue prétendait interpréter le témoignage des auteurs arabes “sans l’appui des érudits arabisants” 110. Il le faisait dans un sens bien précis qu’explique son appartenance au courant algérianiste. Pour les algérianistes, les Kabyles sont les descendants des Berbères qui furent romanisés. Ils sont ouverts et malléables et pourraient donc être assimilés et christianisés. Ce courant croyait à une Algérie au peuplement mixte issu de la fusion d’indigènes et d’allogènes francisés aspirant à l’autonomie en répétant le processus historique qui détacha les colonies américaines de leurs métropoles. En histoire, il s’incarnait dans le rêve d’une Afrique romano-berbère qui n’est autre que l’impossible Algérie française. E.-F. Gautier tenait les Arabes pour des envahisseurs responsables du retard pris par le Maghreb sur l’Occident. Alors qu’au siècle précédent, E. Reclus et C. Masqueray, sensibles aux idées saint-simoniennes et plutôt indigénophiles, rejetaient la distinction raciale entre Arabes et Kabyles, il opposait “cerveau oriental” et “cerveau occidental”. Les relations entre les deux géographes sont restées empreintes d’une bienséance universitaire dont s’affranchit un admirateur de Gautier qui dénonce “certain géographe métropolitain doué d’un caractère difficile qui ne supporte pas la contradiction et [qui] armé d’une plume trempée dans le vinaigre a voulu avec des mots désobligeants, nier le rôle de l’imagination dans la recherche scientifique” 111. Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

107 Gautier 1952, 9. 108 Bernard 1928. 109 Gautier 1952, 227. 110 Gautier 1952, 201. 111 Bourdarie 1937, 86. 48 Philippe Leveau

Écrire une histoire de l’Afrique romaine à l’époque coloniale

Historiens français en situation coloniale : l’École des Annales Les historiens de l’Afrique antique se sont montrés tout aussi critiques des idées de E.‑F. Gautier que A. Bernard. Lorsqu’à la demande de C. A. Julien, C. Courtois entreprit de mettre à jour la partie de l’Histoire de l’Afrique du Nord consacrée à l’Antiquité qu’il avait publiée vingt ans plus tôt, il manifeste le peu d’estime qu’il lui inspire en lui reprochant de verser dans la “métaphysique historique” 112. De son côté, G. Camps a montré que la limite nord-sud qui partageait effectivement des constructions politiques maghrébines a une origine historique remontant à la protohistoire et qu’aucune contrainte naturelle ne la justifie. Même corrigée par J. Despois, la ligne allant de Cherchell à Biskra que E.-F. Gautier utilisait pour distinguer deux Algéries occidentale et orientale, “n’avait jamais joué le moindre rôle dans l’Histoire pourtant tourmentée de cette partie du Maghreb” 113. En fait, les vraies limites historiques sont culturelles et n’ont pas d’explication dans les divisions naturelles. En 2003, Y. Modéran, qui s’étonne de l’exceptionnelle influence d’E.-F. Gautier sur l’historiographie française en oppose les “approximations philologiques et [les] apologies pseudo-scientifiques” aux travaux de ses contemporains, S. Gsell, Diehl et G. Marcais. S’interrogeant sur l’origine des tribus Maures dont il est question dans la Johannide de Corippe, il lui impute d’avoir crédibilisé le mythe du “mystérieux appel de l’ouest”, fondement d’une théorie qui fait d’une succession d’invasions et de migrations l’explication du peuplement de l’Afrique du Nord, dont celle de “néo-Berbères” survenue dans l’Antiquité tardive 114. Plagiant, précise-t-il en note, “la conclusion polie, mais cinglante de J. Berque à propos du livre de E.-F. Gautier”, il écrit que “celui-ci dota autour des années 1930 la science nord-africaine d’une superbe mythologie” 115. Mais la situation n’est pas si simple. Ce que certains reprochent à E.-F. Gautier, d’autres le portent à son crédit, en particulier les historiens de l’École des Annales : Le passé de l’Afrique du Nord lui valut l’admiration de L. Febvre qui le range dans “la famille positive et critique des Annales” et opposait ce livre qu’il qualifiait de “chef-d’œuvre d’intelligence compréhensive et de vie” à la sécheresse d’A. Bernard 116. L’historiographie a souligné les relations que F. Braudel entretint avec un auteur auquel il attribuait le mérite d’avoir “réinstallé la géographie au centre du débat” 117 et avec lequel il partageait la conviction que la France avait la mission d’occidentaliser un morceau d’Orient. “En raison de la fixité des genres de vie dans des conditions physiques stables : la Méditerranée est pour Braudel ce qu’est le Maghreb aux yeux de Gauthier, le plus grand document qui soit sur la vie passée” 118. Même si les fondements épistémologiques de l’œuvre de F. Braudel apparaissent dépassés, son prestige reste grand. Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

112 Courtois 1952, 9. 113 Camps 1999. 114 Modéran 2003, 136. 115 Modéran 2003, 207, renvoyant à Berque 1956, 308. 116 Deprest 2010, 34 (avec bibliographie). 117 Gemelli 1995, 38-39 (citée par Cantier 2003). 118 Deprest 2010, 31. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 49

En témoigne la continuité qu’observe F. Deprest : du Maghreb de E.-F. Gautier, on passe à la Méditerranée de Braudel puis de là à l’Afrique de Sarkozy 119.

S. Gsell, historien en situation coloniale Une autre raison du poids exercé par E.-F. Gautier dans l’historiographie française réside dans l’accord de fond qui existe entre lui et les historiens de l’Antiquité, ses contemporains, à commencer par S. Gsell, le plus respecté d’entre eux. Celui-ci entre parfaitement dans une catégorie d’historiens qu’en reprenant l’expression utilisée par F. Deprest pour leurs collègues géographes, on dira “en situation coloniale” 120. Il a partagé avec les géographes le bénéfice de la documentation collectée par les bureaux militaires. Durant un séjour en Algérie qui marqua le tournant décisif de sa carrière, il se rapprocha des autorités coloniales qui encourageaient la recherche archéologique en Afrique du Nord pour les raisons évoquées plus haut 121. Sa précieuse Enquête administrative sur les travaux hydrauliques anciens en Algérie et l’Atlas Archéologique de l’Algérie sont le fruit d’une collaboration avec elles, identique à celle que pratiquèrent en Tunisie R. M. du Coudray de La Blanchère 122 puis P. Gauckler, le second d’ailleurs sous la contrainte de l’autorité militaire 123. Le prestige dont jouit l’œuvre de S. Gsell et le respect qu’elle inspire ne l’affranchissent pas de critiques qui sont la contextualisation d’une idéologie qu’il partage 124. Concluant le chapitre sur les régions naturelles de l’Afrique du Nord, il insiste sur le manque de cohésion de ses habitants qui “ont presque toujours manqué des sentiments de large solidarité qui constituent les nations”. “La civilisation et la barbarie vivaient côte à côte, l’une dans les plaines et les plateaux fertiles, l’autre dans les régions déshéritées des steppes, dans les massifs montagneux…” écrivait-il en conclusion des chapitres qu’il avait consacrés à la description du milieu 125. Dans sa conférence inaugurale au Collège de France, il déclare que “la nécessité d’être toujours fort en Afrique [est] pour les Français comme pour les Romains une leçon que l’histoire lui inspire et qui en justifie l’utilité : la France doit en tenir compte si elle ne veut pas que sa domination disparaisse” 126. S. Gsell a un profil de savant austère, peu disposé aux confidences. On le suppose seulement plus proche des radicaux que de la droite nationaliste 127. Cette position explique

119 Deprest 2010. Sur P. Gauckler, S. Gsell et d’une manière générale les historiens de cette période, on se reportera aux notices qui leur ont été consacrées dans le Dictionnaire des Orientalistes français (Pouillon 2012). 120 Cantier 2012, 29-30.

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 121 Leveau 2014. 122 Coudray de La Blanchère 1895. 123 Gauckler 1897. Le fait est rapporté par Raynal 2006, n. 31. 124 Gutron 2012. Cet article explicite les raisons du prestige dont jouit l’œuvre de S. Gsell. 125 Gsell rééd. 1927, 29. 126 Frémaux 1984, 42 renvoyant à Gsell 1912, 809 ; Lengrand 1996, 38. 127 G. Picard (1947, 42) dit de S. Gsell qu’il avait compris que “le drame antique du monde méditerranéen occidental, le plus riche d’enseignements historiques, a été le conflit de Rome et de Carthage, la lutte du sémitisme phénicien colonisateur contre l’expansion des races de structure indo-européenne, amalgamées aux Égéens, aux Proto-Italiques”. 50 Philippe Leveau

sans doute qu’en 1931 il ait accepté de préfacer la première édition de l’Histoire de l’Afrique du Nord de C.-A. Julien, un ouvrage qui a pu passer pour démentir cette position. C.-A. Julien, son auteur était et est resté un militant socialiste anticolonialiste. Par ce geste, S. Gsell marquait sa sympathie pour un jeune historien dont il rappelait qu’il “n’aime pas les impérialismes et les nationalismes, les manières trop fortes et les opérations coloniales trop fructueuses et il penche presque toujours a défendre le peuple berbère contre les conquérants” 128. Mais ces propos n’étaient pas une manifestation de la tolérance universitaire, l’encouragement à un jeune historien. Le livre qu’il préfaçait occupe en effet une position ambiguë dans l’historiographie de la décolonisation du Maghreb. En présentant la colonisation française comme le dernier épisode d’une longue histoire, il rompt sans doute avec l’unanimisme des historiens qui défendent la thèse colonialiste selon laquelle l’histoire de l’Algérie commence en 1830. Mais cette histoire n’en était pas moins pour lui une “agitation stérile, longue série d’efforts incohérents et de faillites intégrales, tableau confus, largement maculé de sang et de boues” 129. Comme l’explique A. Laraoui, en confiant à d’autres la mise à jour d’une seconde édition qui parut en 1952, C.-A. Julien abandonnait le terrain à des historiens qui restaient fidèles à des positions anciennes 130. Décédé en 1932, S. Gsell n’a pas pu terminer la grande histoire ancienne de l’Afrique du Nord qu’il projetait. Mais sa position apparaît clairement dans l’introduction qu’il a écrite pour le recueil Histoire et historiens de l’Algérie. Paru l’année précédente dans la collection du Centenaire, celui-ci légitimait le fait colonial. J. Gantier n’a pas eu de mal à montrer qu’il y développait “une vision cyclique et dévalorisante du passé algérien, déniant une véritable identité historique à une nation algérienne” 131. Sans doute son propos est-il moins abrupt que celui d’E.-F. Gautier, mais leurs deux visions de l’histoire de l’Afrique ne s’opposent pas. Son texte dégage “les grandes lignes du schéma interprétatif mis au point par l’école historique d’Alger”. Ce sont deux contributions à la grande entreprise d’autocélébration et de légitimation de la colonisation proposée en 1923 par les professeurs de la Faculté 132. S. Gsell avait donné une illustration de sa vision de l’histoire de l’Afrique romaine dans un article fameux paru en 1926, où il développait une théorie selon laquelle les avancées successives de la frontière militaire auraient repoussé dans le désert les Berbères nomades qu’il décrit en des termes qui honorent peu sa mémoire : “misérables, aigris et prêts à la révolte”, “incorrigibles pouilleux, turbulents autant que paresseux” qu’“il n’était plus possible de laisser vagabonder” avec “leurs sordides troupeaux de moutons” “sur des espaces dont on avait tant besoin”. “Les Romains”, poursuit-il, “leur rendirent, du moins, le service de leur apprendre ce qu’ils pouvaient tirer du chameau dans cette existence nouvelle” 133. En effet, ces nomades blancs auraient repoussé les noirs sédentaires vers le sud avant de revenir vers le nord quand la puissance de Rome s’affaiblit. Cette théorie des migrations de grands nomades 134

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © fut portée à son extrême par J. Guey à qui l’on doit l’expression de “limes du chameau” .

128 Gsell 1931, X. 129 Gsell 1912, 773 (cité par Lengrand 1996, 18). 130 Laraoui 1970, 12-13, n. 8. 131 Gantier 2003, 30. 132 Oulebsir 2004, 287. 133 Gsell 1926, 63 et 162. 134 Guey 1939. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 51

C. Courtois y recourt “de façon péremptoire… lorsqu’il faut expliquer les guerres maures de l’Antiquité tardive” 135. Résumant l’article de S. Gsell, il écrit : “La politique coloniale de l’empereur [Septime Sévère], le refoulement des Berbères nomades vers le Sahara et la multiplication du cheptel camelin entraînèrent des conséquences dont S. Gsell et E.-F. Gautier ont montré l’extrême gravité” 136. Bien que ce cadre conceptuel apparaisse maintenant comme parfaitement inapproprié 137, C. Lepelley l’a inclus parmi les travaux majeurs de S. Gsell, car, précise-t-il, si “les conclusions [de cette étude] ne sont plus acceptées telles quelles aujourd’hui”, il “a marqué une étape de la recherche historique”. Il s’agissait en effet pour lui de faire connaître “au-delà du cercle limité des africanistes” les extraits d’une œuvre qui, dit-il, “approche de près l’idéal inaccessible donné par Thucydide à notre discipline, une acquisition pour toujours” 138. Comme il aurait été politiquement incorrect pour un historien de l’Antiquité de critiquer S. Gsell, il l’affranchit en note d’une théorie qui lui aurait été inspirée par E.-F. Gautier qualifié d’“esprit fertile en hypothèses aventureuses” 139. S. Gsell fait effectivement référence aux travaux de E.-F. Gautier et H. Schirmer sur le Sahara 140. Sans doute l’appareil philologique sur lequel il appuie sa thèse est-il essentiel. Mais son hypothèse renvoie trop aux pages que E.-F. Gautier consacre au chameau et au limes pour qu’on ne leur en attribue pas la paternité partagée 141.

De Gsell à Courtois : l’Afrique romaine au péril des montagnards Dans Les Vandales et l’Afrique, C. Courtois explique la chute de l’Afrique urbanisée par la poussée simultanée des nomades sahariens et la descente des montagnards, une autre Afrique, l’“Afrique oubliée”, restée en dehors de l’histoire. “La civilisation romaine s’était répandue à la manière des eaux. Elle avait envahi les plaines sans recouvrir les montagnes. Si bien que l’Afrique se présentait comme une sorte de puzzle dans lequel se juxtaposaient les fragments du monde berbère et ceux du monde romain” 142. Le thème qui inspire cette image brillante, celui de la sauvagerie des populations de la montagne, était présent dès les premières années de la conquête. Durant cette période d’incertitude sur l’avenir de la colonie, un proche d’Ismaël Urbain, le conseiller de Napoléon III, F. Lacroix qui fut le directeur général des affaires civiles de l’Algérie écrit dans un rapport au Général Randon : “Le Berbère des villes, des plaines et des vallées voisines des centres de colonisation fut absorbé par les conquérants. Cela va sans dire. Mais l’indigène du Sahara et des montagnes ne fut jamais pénétré par l’influence romaine” 143. Le thème resurgit dans le rapport sur le nomadisme en Algérie que A. Bernard et N. Lacroix publient en 1906. Les montagnards “farouches et

135 Modéran 2003, 139.

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 136 Courtois 1964, 159. 137 Mattingly 1985. 138 Modéran 2003, 150, 175, n. 1. 139 Lepelley 1981, 17, n. 1. 140 Sur H. Schirmer, cf. Broc 1994. 141 Gautier 1952, 177-200, renvoie en bloc à S. Gsell dans l’œuvre duquel, écrit-il p. 185, on trouvera toute la bibliographie relative au chameau dans l’Antiquité. D. Lengrand (1996, 37) défend l’idée selon laquelle S. Gsell ne s’est jamais rallié complètement à E.-F. Gautier. Mais, écrit-il, “le disciple efface le maître”. 142 Courtois 1955, 121. 143 Lacroix 1863, 375. 52 Philippe Leveau

belliqueux” qui “habitent des massifs de très difficile pénétration” où la conquête romaine n’avait jamais été complète et, “à demi barbares, guettaient le moment de descendre dans les plaines cultivées pour piller les villes et les fermes” 144. Dressant quelques années plus tard un premier bilan de la présence française au Maroc, A. Bernard recommande de ne pas se contenter de tenir les plaines. Car “si nous ne nous occupons pas des montagnards, les montagnards s’occupent de nous” 145. On ne s’étonnera pas de la place qu’occupe E.-F. Gautier dans l’utilisation de cette constante de l’histoire africaine. C’est à lui que X. de Planhol doit la citation de Procope qu’il utilise dans ce sens : “Ils habitent hiver comme été dans des huttes où l’on étouffe. Ils couchent sur le sol ; les plus fortunés sur une toison... Ils ne sont vêtus que d’une grossière tunique et d’un vieux manteau... Ils n’ont ni pain ni vin, ni quoi que ce soit de bon... Ils mangent le grain tout cru à la façon des bêtes” 146. Cette position d’ennemis de Rome rapproche les montagnards des nomades 147. Les combattants du FLN et à leur suite les historiens et essayistes algériens qui inversèrent le discours colonial n’eurent pas de mal à reconnaître en eux des résistants à un pouvoir étranger. Rédigé à la veille de l’insurrection algérienne de la Toussaint 1954, le chapitre que C. Courtois consacre à l’Afrique oubliée des montagnes n’est pas une géographie de la romanisation. Il doit être lu comme un témoignage de l’inquiétude de la communauté française d’Algérie devant la pression de la société indigène et de son repli dans les zones urbaines. Celle-ci commande alors le discours des historiens de l’Antiquité. Traitant de l’occupation romaine de la partie méridionale de l’Ouarsenis, P. Salama expliquait que “confrontés à ces inévitables mouvements de transhumance qui, cycliquement, menaient les nomades vers leur territoire”, les Romains ont donné aux garnisons du limes une “vocation anti-nomade autant qu’anti-montagnarde” 148. L’idée a été reprise par C. R. Whittaker qui, dans son livre sur la frontière, s’appuie sur ce qu’Ammien Marcellin dit “des ‘highlands’ kabyles de la Caesariensis, avec ses domaines fortifiés castella et centenaria, où le banditisme était endémique et où les autorités redoutaient les dangers internes plus que les gentes d’au- delà des frontières” 149. Ces théories n’ont pas plus de fondement historique que celle du refoulement des Berbères sahariens. À la même époque, G. Picard observait qu’en Tunisie “la situation était exactement l’inverse de celle que postulait C. Courtois” 150, ce qu’ont confirmé les prospections archéologiques qui s’y sont développées par la suite. Depuis, des prospections réalisées dans un tout autre contexte historique ont remis en question des “certitudes” et révélé une situation beaucoup plus complexe que celle qu’il imaginait. En Algérie, P.-A. Février a montré que dans la région de “la progression de l’occupation romaine s’est faite par les montagnes qui bordent les Hautes Plaines au nord comme au sud” 151. Si donc on tient à Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 144 Bernard & Ficheur 1902, 436 ; Bernard & Lacroix 1906, 21-22. 145 Bernard 1917, 48. 146 Procop., Vand., 435. de Planhol 1968, 147 ; Gautier 1952, 323 (à propos des Maures qui seraient les ancêtres de Ketama). 147 Leveau 1986. 148 Salama 1973. 149 Whittaker 1989, 140. 150 Picard 1959, 6. 151 Février 1967, 64. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 53

raisonner en terme de stratégie comme P. Salama et Y. Le Bohec, il faut inverser le schéma de Courtois ; car, dans ce cas, ce sont les Romains qui menaceraient les tribus indigènes de la plaine depuis les montagnes qu’ils occupent. P. Morizot a décrit dans l’Aurès des vestiges d’une incontestable romanité 152. Plus récemment, alors qu’aucun site romain n’y était figuré sur la feuille 27 de l’Atlas archéologique, Y. Aibeche y a identifié plusieurs sites antiques dans le massif voisin du Bou Taleb. Long de 30 km et large de 10 km, ce massif qui culmine à plus de 1900 m, appartient à un ensemble reliant l’Atlas tellien à l’Atlas saharien, à l’ouest de la cuvette du Hodna. Il est presque entièrement entouré d’un fossé doublé d’un mur jalonné, d’après J. Baradez, par de nombreux ouvrages militaires, tours de gué et castella, selon un dispositif continu au sud, à l’est et au nord dont seule une vallée semble dépourvue 153, ce qui le désignait comme un bastion de résistance indigène. Mais une inscription d’époque byzantine y atteste la restauration des murs d’une ville 154.

Géographie vidalienne et genres de vie : “à nouvelle histoire, vieille géographie” 155 Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale dans l’ambiance de la décolonisation qui s’annonçait, J. Despois était devenu la référence incontournable des antiquisants, plus que J. Dresch, l’autre grand nom de la géographie nord-africaine de l’époque. Dans un article d’un volume publié en hommage à son œuvre, P. Salama l’appelle “géohistorien du Maghreb, spirituel Maître et Maître spirituel”. Mais c’est, comme nous l’avons vu, un hommage discutable, qui étend au géohistorien les mérites du géographe. Après sa nomination à l’université d’Alger, J. Despois fut le principal représentant du courant vidalien auprès des historiens et des archéologues 156. Lui-même avait érigé la menace des nomades et des montagnards en constante géographique dans des termes proches de ceux de C. Courtois : “Entre le nomade redoutable par sa mobilité et le montagnard inaccessible dans ses hauteurs, le paysan des plaines et des collines méditerranéennes avait presque toujours succombé” 157. Cette phrase concluait un article intitulé “Géographie et Histoire en Afrique du Nord, retouches à une thèse” qui débutait par un hommage à E.-F. Gautier : “Dans un livre assez récent sur l’Afrique du Nord française, livre de géographie où j’ai cherché à étudier les faits et les problèmes dans leur ensemble et non sur un plan régional, j’ai été amené à développer la thèse de la responsabilité des nomades. Thèse qui n’est pas neuve puisqu’elle a été brillamment soutenue par E.-F. Gautier…” 158. Pour exprimer explicitement son appartenance à l’École géographique française, J. Despois avait placé en exergue à l’introduction de sa synthèse sur L’Afrique du Nord une

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 152 Morizot 1997 ; Modéran 2003, 390-391. Mais cette occupation a suscité le mythe de l’Aurès, “montagne rebelle” (Ageron 1993). 153 El Briga 1991. 154 Aibeche 2014. 155 C’est en ces termes que sont résumées les critiques que C.-P. Péguy (1986), géographe climatologue, adresse à “l’univers géographique de Fernand Braudel”. 156 Rey 2011, 141-145. 157 Despois 1953, 194. Le livre auquel J. Despois fait allusion est son Afrique du Nord parue en 1949, tome premier de L’Afrique blanche française, dont Le Sahara français de R. Capot-Rey est le tome second. 158 Despois 1953, 187. 54 Philippe Leveau

citation qui l’inscrit dans la tradition vidalienne. Elle est empruntée à la définition que P. Vidal de La Blache, son fondateur, donnait de la notion de région naturelle : “Une individualité géographique ne résulte pas de simples considérations de sol et de climat. Ce n’est pas une chose donnée par la nature. Une contrée est un réservoir où dorment des énergies dont la nature a déposé le germe, mais dont l’emploi dépend de l’homme. Elle devient comme une médaille frappée à l’effigie d’un peuple” 159. Dans la définition que P. Vidal de La Blache en donnait, la notion de région naturelle est associée à celle de “genre de vie” qu’il utilisait pour désigner l’adaptation multiséculaire d’un groupe humain au milieu naturel dont il exploitait les ressources. Un complexe d’activités habituelles liées à l’entretien de sa vie constitue la composante humaine d’un espace géographique et un facteur déterminant de ses paysages. En effet “un genre de vie constitué implique une action méthodique et continue, partant très forte, sur la nature, ou, pour parler en géographe, sur la physionomie des contrées”. Les genres de vie évoluent très peu, parce que les conditions naturelles sont stables et parce que les hommes ont une propension à l’habitude 160. Du fait de sa permanence, le concept vidalien de genre de vie se prête à une modélisation qui la rapproche de l’idéal-type que Max Weber définit à la même époque comme une catégorie destinée à comprendre un phénomène social, mais sans prétendre que le cas étudié en comporte toutes les caractéristiques. Dans ce projet, la géographie se constituait en discipline scientifique sur le modèle des sciences naturelles et le géographe imitait le botaniste et l’entomologiste, ce qui érige la notion en outil classificatoire. L’hommage rendu par J. Despois à P. Vidal de La Blache est en réalité trompeur. Car, comme l’a montré F. Deprest, “en modifiant le poids des facteurs humains au détriment de celui accordé au cadre naturel, [il] augmente la portée du paradigme scientifique en vigueur, tout en consacrant l’indigène dans une perpétuelle domination exercée par les influences extérieures” 161. Les conditions physiques, le relief et le climat, sont stables alors que le nomadisme s’est substitué à l’agriculture sédentaire sans que le climat change 162. Les contraintes historiques jouent chez les géographes un rôle équivalent à celui du déterminisme physique chez les historiens 163. Dans son raisonnement, J. Despois constatait que les genres de vie ont changé alors que les conditions naturelles – le climat– restaient stables, que le peuplement s’était déplacé des plaines vers les montagnes aux conditions naturelles ingrates et que nomadisme et sédentarité, deux genres de vie que Vidal opposait, avaient coexisté dans les mêmes conditions naturelles 164. Cette modification était annoncée dans l’interprétation

159 Despois 1943. La référence est Vidal de La Blache 1903, 8. Ce texte est également cité par Meynier 1969, 27-28. 160 Vidal de La Blache 1902 ; 1911, 194 : “L’action de l’homme s’est faite sentir sur son environnement dès le

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © jour où sa main s’est armée d’un instrument ; on peut dire que, dès les premiers débuts des civilisations, cette action n’a pas été négligeable. Mais tout autre est l’effet d’habitudes organisées et systématiques, creusant de plus en plus profondément leur ornière, s’imposant par la force acquise aux générations successives, imprimant leur marque sur les esprits, tournant dans un sens déterminé toutes les forces de progrès”. Cette action de l’homme “s’exerce principalement par l’intermédiaire du monde végétal et animal”. 161 Deprest 2009, 296-298. 162 Deprest 2009, 211-216. 163 Reynaud 1974, 14-18 et 158-161 (“l’obsession de la nature et de l’histoire”). 164 Cf. infra p. 65 sq. Lucas & Vatin 1982, 39. Pour Vidal de La Blache (1911, 303), agriculture et pastoralisme sont “deux courants qui restent distincts dans le lit du même fleuve”. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 55

que L. Febvre avait proposée de la théorie vidalienne dans un historique de cette notion, depuis son origine dans la médecine hippocratique jusqu’à Montesquieu et au-delà dans son développement chez Buffon et Taine 165. Le concept de possibilisme géographique qu’on lui doit déforme le projet de Vidal de La Blache auquel on l’associe. Comme l’explique H. Berr, dans la reformulation à laquelle il procède, “une certaine géographie humaine n’est peut-être pas autre chose qu’une histoire revivifiée dans ses sources, rajeunie dans ses méthodes et heureusement renouvelée dans ses sujets” 166. La théorie des genres de vie élaborée par P. Vidal de La Blache pour constituer la géographie humaine en discipline scientifique confortait une opposition entre nomades et sédentaires qui justifiait l’exclusion ou la sédentarisation des pasteurs transhumants. La notion elle-même relevait autant de l’ethnographie que de la géographie. Abandonnée par les géographes malgré la tentative du biogéographe M. Sorre de l’appliquer aux sociétés modernes 167, elle n’a pas résisté aux critiques du courant marxisant représenté par P. Georges 168. Cependant elle reste utile pour l’étude de sociétés où l’autosubsistance domine et où la division du travail est peu poussée. C’est à ce titre que l’on peut en justifier l’usage persistant chez les historiens qui ont reçu les enseignements en géographie humaine dans les années 1960, ce qui est le cas de P. Trousset et le mien.

Les plantes cultivées et le climat L’objectif poursuivi dans les développements précédents n’était pas de décrire pour eux- mêmes le climat de l’Afrique à l’époque romaine et le contexte intellectuel de l’élaboration des savoirs géographiques. L’éclairage apporté sur les conditions climatiques était un préalable à l’identification de ce qu’un historien peut utiliser pour évaluer les contraintes environnementales qui ont pesé sur l’agropastoralisme africain. Il était de même nécessaire d’identifier les préjugés qu’une situation historique révolue, celle du Maghreb à l’heure coloniale, faisait peser sur l’histoire de l’Afrique romaine pour libérer le discours de l’historien de l’Afrique romaine du poids du paradigme du “miracle romain” qui avait conduit les autorités à solliciter l’expertise de scientifiques. Les historiens devaient alors identifier les zones autrefois occupées par les Romains que la France remettrait en culture et où elle construirait des villes. Pour que des colonies agricoles aient des chances de réussite, des géographes devaient définir les zones propices à des productions agricoles répondant à une demande européenne : le blé, la vigne et l’olivier. C’est dans ces conditions que s’est imposée la reconnaissance d’une zone de Hautes Plaines. Délimitée par les isohyètes 350/400 mm et apte à la céréaliculture européenne, elle s’interposait dans la division traditionnelle du Maghreb entre Tell et Sahara 169. Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

165 Febvre 1922, 12-27. 166 Febvre 1922, 428, cité par H. Berr dans sa préface. Nuançant en note l’opposition au déterminisme géographique de Ratzel, H. Berr précise que le possibilisme d’un Vidal de La Blache est plutôt un “nécessitarisme”. 167 Sorre 1948. 168 Retaillé 2003 ; Simon 2014. 169 Cf. supra p. 45-46 ; Deprest 2011. 56 Philippe Leveau

La question qui se pose est de savoir si ces critères s’appliquent à l’agriculture antique. Ce travail doit donc maintenant être complété en s’interrogeant sur l’adaptation des plantes dont disposaient les paysanneries des régions et celle des modes de culture aux conditions climatiques d’alors. Les travaux d’E. Le Roy Ladurie sur le Petit Âge Glaciaire ont montré que les plantes cultivées méritaient d’être utilisées pour des reconstitutions climatiques en parallèle à la végétation naturelle. Si cela a été peu pratiqué, c’est à cause de l’absence de sources écrites comparables et du fait de la complexité qu’introduit la domestication des plantes. Trois possibilités sont envisageables : le climat a pu changer ; la plante a pu être adaptée aux conditions climatiques régionales ; dans le cas d’une agriculture commerciale, les agriculteurs ont pu être incités à prendre des risques pour le profit escompté. C’est ce qui s’est produit pour l’oléiculture en France. Elle atteint le maximum de son extension durant le Petit Âge Glaciaire, soit pendant une pulsation froide du climat, tandis que, durant la période de réchauffement climatique qui a commencé au siècle dernier, son aire géographique se rétracte vers le sud.

Les cultures arbustives (fig. 7)

Fig. 7. Le “Maghreb utile” : agriculture et colonisation : Céréaliculture (1), Viticulture (2), Oléiculture (3). Les tiretés (4) marquent la limite méridionale approximative des régions où les céréales couvrent plus de 5% de la surface (Despois 1949, 370, fig. 26). Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

Olivier et zones arides J. Despois a justifié son adhésion à la thèse de la stabilité du climat en s’appuyant sur le cas de l’olivette sfaxienne qu’il traite comme une “contribution régionale à l’hypothèse d’un non-changement du climat” depuis l’Antiquité 170. Il s’appuie sur des faits remontant à la fin

170 Despois 1955, 197 (“le problème du changement des conditions naturelles à l’époque historique”). Pour des raisons indiquées plus haut, il n’est plus possible de maintenir cette hypothèse. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 57

du xixe siècle. P. Bourde, un journaliste, avait acquis la conviction que les oliviers avaient fait la richesse de la Tunisie à l’époque romaine à la suite de séjours en Tunisie et de la lecture des auteurs anciens. De vieux oliviers et des blocs de pierre dont il montrait que ce n’était pas des autels dédiés des divinités, mais les vestiges de pressoirs prouvaient qu’une forêt d’olivier s’était étendue sur une profondeur de plus de 100 km depuis El Djem. Il s’opposait aux thèses des archéologues qui croyaient à la stérilisation des terres à la suite du déboisement, des pluies torrentielles et de l’abandon de l’irrigation. Nommé Directeur de l’Agriculture et des Contrôles civils en Tunisie, à la suite de la campagne de presse qu’il avait organisée, il exerça cette fonction de 1890 à 1895. Les éleveurs laissèrent alors la place aux agriculteurs et, sous son impulsion, l’olivette de Sfax connut un développement spectaculaire 171. Comme il arrive souvent, la légende que l’on a écrite est plus belle que la réalité. Ni P. Bourde ni les seuls colons ne sont les seuls responsables de la réussite de l’entreprise. N. Jalloul a montré qu’au Moyen Âge, l’olivier reste “étroitement associé à l’histoire rurale de la Berbérie orientale [qu’]il est même la mémoire de plusieurs de ses terroirs” et qu’il fut la principale culture arboricole de la Tunisie 172. Pour l’Antiquité, les prospections archéologiques conduites par D. Mattingly et B. Hitchner 173 puis par les chercheurs tunisiens sous l’impulsion de S. Ben Baaziz ont validé la thèse qui fait de l’oléiculture l’activité économique à l’origine de l’essor spectaculaire des villes par les disponibilités financières qu’elle dégageait. Mais sa place est probablement moins importante qu’on ne l’a cru. Les historiens des techniques se sont rendu compte que certaines installations romaines réputées oléicoles étaient viticoles. Ce qu’il manque encore à la connaissance de l’oléiculture médiévale, c’est l’archéologie. Dans des pages où il dénonce les exagérations du rapport de P. Bourde, J. Despois avait également tempéré l’image d’une Byzacène antique couverte d’une mer d’oliviers 174 en montrant que tous les sols ne se prêtaient pas à l’oléiculture. Il y affirme sa certitude “qu’en Basse Byzacène, les olivettes n’ont pas été continues, d’abord parce qu’il est impossible qu’elles le soient. Ensuite, il est légitime et normal d’admettre que la culture des céréales et un peu d’élevage ont toujours nécessité d’assez vastes surfaces” 175. L’olivier pousse sans irrigation jusqu’à l’isohyète 180 mm 176. Il dénonçait la “légende de la richesse agricole due à l’irrigation” qui, dans le Sahel de Tunisie, remontait à la généralisation d’observations locales réalisées par R. du Coudray de La Blanchère sur la seule Enfida. En fait, l’oléiculture bénéficiait en Tunisie d’une longue tradition 177. Sans doute, avait-elle connu par rapport à l’Antiquité un déclin sur la nature et les causes duquel subsiste un débat. Mais elle restait présente dans les textes, dans la littérature agronomique arabe et dans les recueils juridiques de la fin du Moyen Âge. La fouille d’un vaste ensemble oléicole d’époque aghlabide (ixe siècle) et l’étude du matériel de stockage en jarre provenant des fouilles du Qasr al-Aliya (Mahdiya), une forteresse fatimide datée du xe siècle, ont ouvert des perspectives sur Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

171 Bourde 1899 ; Chevalier 1926. 172 Jalloul 2011, 131 et 141-142, pour “le pays de Sfax”. 173 Mattingly 1988. 174 Coudray de La Blanchère 1895. 175 Despois 1955, 109-110 176 Despois 1949, 100-104. 177 Jalloul 2011. 58 Philippe Leveau

la période comprise entre les ixe et xiie siècles qui aurait connu “un ‘cycle’ fort de l’huile”. À l’époque moderne, elle avait bénéficié de l’apport de Morisques chassés d’Espagne. Ce qui est vrai, c’est qu’à la veille de l’instauration du protectorat, le pays connaissait de graves difficultés. Des épidémies avaient entraîné une régression démographique et la réduction des surfaces cultivées entraînait une insuffisance chronique des récoltes. Les échanges commerciaux souffraient des désordres monétaires, des spéculations des négociants et de la dépendance de la Tunisie par rapport aux transporteurs étrangers. À cela s’ajoutait l’accroissement de la pression fiscale 178. Mais la situation n’était pas défavorable pour l’oléiculture qui avait pris la première place dans les productions agricoles. Elle était entrée dans les cycles du mercantilisme méditerranéen et exportait sa production vers l’Égypte, l’Italie et la France. Dans le Testour, vers 1850, les différentes couches sociales avaient des intérêts dans cette activité. Les chercheurs tunisiens ont montré que la politique coloniale avait agi comme un stimulus dans un contexte favorable 179. Dans le sud-est de la Tunisie, où l’oléiculture bénéficiait d’une tradition ancienne, les agriculteurs ont réagi aux spoliations coloniales par une vague de complantation à l’origine d’une modernisation.

Oléiculture et conditions climatiques Espèces végétales thermophiles, l’olivier et l’oléastre ont été utilisés pour définir l’extension vers le nord du climat méditerranéen dont il est un marqueur. En effet, l’olivier ne tolère pas une moyenne des minima extrêmes hivernaux inférieurs à -8°. Les parties aériennes de l’arbre gèlent à -5 au printemps et -12 l’hiver et l’arbre lui-même à -17 180. En Languedoc et dans une partie de la Provence, le gel de l’hiver 1956 qui a vu les températures descendre en dessous de cette limite a détruit pratiquement toutes les olivettes. L’extension de l’aire de cette espèce végétale a servi aux palynologues de marqueur de la reconquête végétale depuis des zones refuges à la suite du réchauffement holocène 181. L’olivier cultivé peut se révéler un bon indicateur de nuances climatiques régionales. Ainsi dans le Sud de la France, les travaux qui ont porté sur l’oléiculture antique ont montré qu’il en était révélateur. Mais jusqu’ici l’attention s’est portée plus sur son adaptation à la sécheresse que sur sa résistance au froid. La douceur des hivers du littoral de la Provence varoise explique que les vestiges d’une oléiculture antique y sont plus nombreux. Les espèces cultivées de meilleur rendement qui ont été introduites y ont probablement rencontré des conditions plus favorables que dans le Bas Rhône et le Languedoc, régions exposées à des coups de froids violents. En Afrique du Nord, à la réussite de la reconstitution de l’olivette sfaxienne que J. Despois invoque en faveur d’une stabilité du climat, on peut opposer l’échec d’une tentative des

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © autorités françaises qui, observant que les vestiges d’installations oléicoles démontraient l’extension de l’oléiculture romaine jusqu’à 1200 m près de Djemila, avaient envisagé de

178 Valensi 1977. 179 Sehili 2011. 180 D’après Loussert & Brousse (Gammar 2011, 194). 181 La localisation de certaines zones refuges a été établie par des analyses génétiques portant sur l’ADN des oléastres. L’objectif poursuivi était alors d’éclairer le processus de domestication de l’arbre (Bervillé et al. 2011, 176-177). Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 59

la reproduire en Algérie sur les Hautes Plaines du Constantinois. Dans le cadre d’études préparatoires, X. de Planhol et M. Tabuteau ont publié une note faisant le point sur la possibilité “d’envisager […] une reconquête partielle du domaine perdu [depuis l’époque romaine], avec [précisaient-ils en conclusion] toutes les précautions que requiert une culture en situation marginale”. S. Gsell qui s’était intéressé à la question avait écarté la possibilité que le gel hivernal ait pu être un facteur limitant dans ces Hautes Plaines, pour deux raisons : en Algérie, l’oléiculture était attestée à son époque à des altitudes avoisinant 900 m ; il existait au Maroc des espèces résistantes au gel 182. Pour leur part, X. de Planhol et M. Tabuteau envisageaient un refroidissement du climat par comparaison avec des observations réalisées sur le Plateau anatolien où le froid hivernal exclut l’olivier alors que sa culture est bien attestée pour l’Antiquité. Dans ce cas, un “moindre dynamisme de l’apophyse de l’anticyclone euro- sibérien à laquelle sont liés les froids extrêmes” de l’hiver – soit des conditions climatiques plus favorables – apparaissait la seule explication possible 183. Ils écartaient une hypothèse suggérée par S. Gsell et adoptée par H. Camps-Fabrer, celle de variétés d’olivier plus résistantes au gel. Ils envisageaient également la possibilité qu’“un changement, sinon de la pluviosité, du moins des conditions hydrologiques” conjugue ses effets à une modification des conditions thermiques, en particulier aux effets de la chaleur estivale. “Un faible balancement de l’une ou l’autre donnée, ou des deux données, peut avoir eu des répercussions suffisantes pour que, aidé de facteurs humains défavorables, il ait entraîné le recul que l’on constate dans l’économie oléicole”. Depuis, le dossier a été repris par J.-P. Chabin lors de l’étude de climatologie historique qu’il a réalisée le long de la frontière algéro-tunisienne sur un transect allant du bassin de Tébessa, la plus orientale des trois cuvettes des Hautes Plaines orientales d’Algérie, à l’oasis saharienne de Négrine 184. Au nord, les altitudes sont comprises entre 900 et 1700 m, au sud entre 400 et 1300 m. Au nord, le pays est méditerranéen, avec ses précipitations annuelles supérieures à 400 mm sur les sommets et même à 500 mm face à Tébessa. La végétation y est assez fournie. Au sud du 35e parallèle, l’arbre disparaît, la steppe s’appauvrit et devient à dominante pré- saharienne ou saharienne. La documentation disponible était favorable à l’examen d’une question déjà abordée par J. Birebent à partir de celui des travaux hydrauliques 185. Celui-ci avait cherché à expliquer comment des moyens simples avaient permis à une population relativement nombreuse de vivre de son travail “dans un pays qui souffre du manque d’eau et de terres” sans se prononcer sur le fond du problème. Les données compilées par S. Gsell dans l’Atlas Archéologique de l’Algérie 186 complétées par des prospections ultérieures y donnent une idée de la densité du peuplement antique qu’il était possible d’intégrer à une étude spatiale. Dans ce secteur, les photos aériennes permettent de reconnaître sous Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © le paysage steppique actuel des parcelles géométriques de petite taille qui couvraient les pentes des glacis, certains fonds de vallées et même “certaines pentes montagneuses douces

182 Gsell 1913, 89, n. 6. 183 de Planhol 1954. 184 Chabin 1988 et 1993 ; Chabin & Laporte 2016. 185 Birebent 1962, 491-492. 186 Gsell 1902, 91. 60 Philippe Leveau

et bien pourvues en eau” 187. À leur sortie de la montagne, les oueds étaient barrés et leurs eaux détournées vers les canaux des glacis et vers les sites d’habitat. Les vestiges d’huileries témoignent du caractère quasi industriel de l’oléiculture. Alors qu’il ne subsiste de nos jours que quelques plantations d’oliviers irrigués par moins de 600 m d’altitude, elles auraient dépassé 1000 m d’altitude dans les massifs au-dessus de Tébessa et jusqu’à 1300 m dans le djebel Semmama plus à l’est dans la dorsale Tunisienne 188. Même si l’on admet que des plans d’Italie du Nord plus résistants au froid aient été introduits, une telle extension de l’olivette est incompatible avec les risques fréquents de destruction par le gel. Actuellement, Tébessa qui est à 860 m d’altitude enregistre une moyenne de minima extrêmes annuels de -4° C. À 1200/1300 m d’altitude, les flux sahariens hivernaux froids la font descendre et la rapprochent de la limite de tolérance de l’oléiculture. Surtout, des extrêmes rigoureux qui surviennent au moins une fois tous les 10 ans font chuter la température exceptionnellement jusqu’à -7° C. à Tébessa tandis que certaines années des gels rigoureux et répétés de décembre à mars provoquent des hécatombes dans le cheptel. J.-P. Chabin suppose que, depuis l’époque romaine, sur des “hautes terres qui sont le siège, en hiver, d’un anticyclone local relativement stable […], un affaiblissement de la continentalité du climat dans l’Antiquité pourrait avoir été la cause d’une diminution de la rigueur des extrêmes hivernaux”. Le recul de l’oléiculture sur les Hautes Plaines s’expliquerait par une multiplication des années de gel survenue durant la phase de refroidissement qui suit la période romaine. Dans les périodes suivantes, des conditions économiques et politiques auraient été défavorables à la reconstitution de cette olivette. S’y est ajoutée la répétition de déficits pluviométriques durant plusieurs années à l’exemple de la sécheresse survenue sous le règne d’Hadrien 189.

La viticulture africaine L’adaptabilité de la vigne et la place du vin dans les cultures méditerranéennes inscrivent la viticulture dans la problématique de la relation entre climat et plantes de culture, plus encore que l’oléiculture. Elle est bien représentée dans les sources écrites et iconographiques qui documentent les productions agricoles africaines 190. Le vin africain a fait l’objet d’une exportation vers la rive nord de la Méditerranée, mais dans des quantités beaucoup moins importantes que l’huile. Des productions amphoriques prouvent qu’à l’époque flavienne le vin de Tripolitaine était exporté vers Rome et que celui de Maurétanie Césarienne l’était dans des amphores de la forme Dressel 30 191. Malgré un article de R. Lequément paru en 1980, la viticulture est restée jusque dans les années 2000 la grande absente des études archéologiques portant sur les productions agricoles du Maghreb antique pour des raisons 192

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © d’ordre historiographique . Elle est maintenant mieux connue grâce aux travaux qui portent sur les productions amphoriques. Ainsi à Lambèse où une inscription atteste que

187 Chabin 1988, 67. 188 Gammar 2011, 194. 189 Cf. supra p. 42. 190 Leveau 1993, 196-197. 191 Panella 1981, 68-69 ; Brun 2004, 232-244 et 248-250. 192 Lequément 1980. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 61

des vétérans possédaient des vignobles, les travaux de la mission algéro-française ont établi l’existence d’une production d’amphores à fond plat probablement vinaires 193. Dans ce cas, on n’hésitera pas entre une production de raisin pour le vin ou pour la table. Les sources littéraires arabes et les récits des voyageurs attestent que malgré les interdits religieux la viticulture a persisté en Afrique du Nord au Moyen Âge et qu’elle demeurait bien vivace au début de la colonisation. Auparavant déjà, un vignoble existait à ces altitudes sur les sols sablonneux du plateau élevé de Médéa dans le . À partir de 1880, elle connut un développement considérable à la suite de la ruine du vignoble français consécutif à la crise phylloxerique. Le vignoble algérien se développa essentiellement dans les régions dont les régimes pluviométriques et les sols lui offraient les conditions biogéographiques les plus favorables, à l’est du Tell et dans les massifs telliens de l’Ouest où il trouve vers 800 m son climat de prédilection. Selon H. Isnard, le principal facteur limitant était le risque climatique de gelées blanches printanières qui ne tuent pas la plante mais détruisent les fleurs et compromettent les vendanges dans les zones intérieures où les dégâts peuvent atteindre la totalité de la récolte. Les Hautes Plaines constantinoises où il gèle encore très fréquemment en mai sont la principale région concernée du fait de sa continentalité. Cela expliquerait l’absence de témoignages de viticulture dans la plaine de Tébessa à 850 m d’altitude où l’oléiculture est particulièrement bien attestée. Les Tablettes Albertini conservent bien une mention de vigne. Mais elle est très isolée par rapport aux quinze attestations de figuiers et vingt-trois d’oliviers. Par ailleurs, ces documents proviennent d’un site localisé à une altitude beaucoup plus basse, à environ 100 km au sud de Tébessa et 65 km à l’ouest de en limite du territoire de prospecté par B. Hitchner 194. Actuellement, dans la plaine du Sersou dont l’Ouarsenis renforce la continentalité, les stations météorologiques de Khémisti et de Tisssemsilt enregistrent des minima extrêmes de -11 et -14 et le froid est de plus en plus persistant et de plus en plus rigoureux sur le versant méridional de l’Ouarsenis 195. La vigne est exposée au risque de gelées printanières dont le nombre varie entre 21 et 14 jours par an. Cela explique que dans une région où des lots de terres avaient été attribués aux colons pour cultiver la vigne, cette culture ait été délaissée au profit de la céréaliculture moins soumise à l’aléa climatique 196. Dans l’Antiquité, l’absence ou la rareté des gelées printanières pourrait expliquer que la vigne y était cultivée à l’égale des céréales, si l’on en croit le témoignage d’une prière adressée à la Terre Mère pour “de bonnes moissons et de bonnes vendanges” que L. Leschi date du iiie siècle. La pierre sur laquelle elle a été gravée a été trouvée sur un éperon du flanc méridional de l’Ouarsenis situé aux environs de 1000 m d’altitude à 12 km de l’agglomération romaine à laquelle a succédé le village d’Aïn Doukria (ex-Bourbaki) 197. On retrouve une situation analogue à Kherbet Agoub à 4 km de Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 193 AE, 1964, 196 : possessores immunes uinearum et agrorum. 194 Courtois el al. 1952, 4 et indices 322 ; Hitchner 1995, 126, n.11. 195 Isnard 1947, 41 sq. ; 1954, 357. 196 Perrin 1960 ; Sari 1977, 78-79. Cf. infra p. 82-83. 197 Leschi 1953, 93 : AE, 1954, 127 : Tellus terra mater bonas segetes bonas uindemias (“Tellus Terra Mater : (donne-nous) de bonnes moissons, de bonnes vendanges”). En 1978, lors d’une excursion archéologique autour de , des paysans nous ont montré un lot d’amphores ratées de cuisson, probablement des amphores de Maurétanie Césarienne du type Keay 25 (ou Africaine III) dont une variante Keay 25.1 (Africaine III A) a livré des traces de vin (Woodworth et al. 2015). 62 Philippe Leveau

Satafis (Aïn El Kebira ex-Périgotville) et 27 km de Sétif sur les Hautes Plaines. Le site qui se trouve à une altitude dépassant sensiblement 1000 m avait été identifié comme une huilerie industrielle, l’une des plus importantes que l’on connaisse. Mais J.-P. Brun a réinterprété le bâtiment comme une très vaste installation de production viticole 198.

Céréaliculture, culture sèche et dry farming

Céréaliculture et Maghreb utile ( fig. 7) D’une manière générale, la question de la céréaliculture est dans le domaine agricole la plus difficile à traiter. En effet, comme il a été souligné plus haut, si la place de l’Afrique dans l’alimentation de la ville de Rome est bien une réalité, il est difficile d’en décrire les réalités de terrain. Il y avait probablement deux céréalicultures, l’une orientée vers le service de Rome et le profit de grands propriétaires, l’autre vers l’alimentation des populations rurales, paysans et éleveurs. Les sources écrites sont peu explicites 199. La palynologie nous renseigne encore peu sur ces questions. Pour en savoir plus, il faudrait connaître les céréales cultivées. Or dans ce domaine, la bibliographie actuelle reste limitée aux travaux des naturalistes des équipes britanniques qui ont participé d’abord au Libyan Valleys Survey puis aux fouilles des oasis garamantes dans le Fezzan. Dans la région des oueds de Tripolitaine où les précipitations annuelles sont d’environ 25 mm, les analyses effectuées par M. van der Veen sur les graines et semences ont établi la liste des plantes qui y étaient cultivées : céréales (principalement l’orge), blé, pois, lentilles, olivier, vigne, figuier, palmier dattier et amandier. L’un des résultats remarquables de ces analyses a été de montrer la stabilité des pratiques culturales alors que l’habitat avait connu une modification significative dans son organisation quand les ksour fortifiés du ive siècle avaient succédé aux fermes ouvertes des iie et iiie siècles. Les plantes sauvages présentes dans les échantillons analysés sont les mêmes que celles trouvées dans la région aujourd’hui, ce qui suggère que le climat et la végétation étaient à l’époque semblables à ceux d’aujourd’hui, bien que le couvert végétal ait considérablement diminué avec le temps 200. Toutefois un agronome australien a attiré l’attention sur l’identification d’une légumineuse fourragère, le Medicago, dans un lot de semences provenant de Girza. Selon lui, la prolifération de cette variété de luzerne aurait contribué à la productivité de l’agriculture africaine 201. En l’absence de données carpologiques provenant d’autre sites, il faut reprendre la démarche comparative pratiquée par tous ceux qui se sont intéressés à la mise en culture des steppes des Hautes Plaines et du Prédésert. Raisonnant sur les limites, M. Euzennat écrivait que “la frontière correspondait à un front agricole majeur : en Maurétanie, la limite

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © de rentabilité de la culture sèche des céréales ; à l’est, la limite des possibilités de culture et,

198 Brun 2004, 232-238. 199 Les Tablettes Albertini traitent des propriétés et non des productions, ce qui explique l’absence de mention de céréales dans les indices. Leur présence est perçue à travers le terme ager (cf. Courtois et al. 1952, 319-320). 200 Van der Veen 1985. 201 Van der Veen 1980-1981, 48 ; Chatterton 1984. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 63

en dernière analyse, des possibilités de vie sédentaire” 202. C’était également pour les régions de l’ouest, l’idée de G. Picard. Elle avait ses origines dans l’expertise des géographes auxquels les autorités coloniales s’étaient adressées à la fin du xixe siècle, après qu’en Algérie le parti favorable à la colonisation l’ait emporté sur ceux qui doutaient de son avenir et que la France ait imposé un protectorat à la Tunisie. La céréaliculture qui était réputée avoir été avec l’oléiculture à l’origine de la richesse de l’Afrique romaine apparaissait susceptible de faire de ces deux conquêtes une terre de colonisation agricole à l’instar de celle dont les plaines de l’Amérique du Nord faisaient l’objet. Par analogie avec le territoire colonisable, le territoire romain était défini par la possible coïncidence entre une ligne fortifiée et les limites que le climat impose à la céréaliculture. C’est dans ces conditions que se constitua une doctrine qui se réclamait de l’article où J. Despois justifiait par l’hydrographie une coïncidence de la frontière romaine avec le “Maghreb utile”. À l’ouest, observait-il, la majeure partie des eaux tombées sur l’Atlas s’écoulait vers la mer ; les cultures bénéficiaient du seul apport des précipitations, ce qui rendait opératoire la limite de l’isohyète de 400 mm 203. À l’est, le drainage s’opérait vers le Sahara, de sorte que les terres situées au-delà de cette limite étaient rendues cultivables par l’épandage des oueds (cf. supra p. 24 fig. 2).

Dry farming, agriculture sèche en zone aride Sur les Hautes Plaines qui reçoivent au printemps-été plus de 40 % du total annuel de précipitation, la colonisation française reposait sur la culture des céréales pratiquée suivant la méthode du dry farming. Dans l’adoption et la diffusion de cette technique, on retrouve encore P. Bourde qui vingt ans après avoir réussi l’opération médiatique qui aboutit à la création de l’olivette sfaxienne, la réitéra dans le domaine de la céréaliculture. Il avait créé un domaine privé au sud de Kairouan où il expérimentait des variétés de blé et d’orge sélectionnées par le Service d’Agriculture et des techniques nouvelles de culture propres aux milieux arides parmi lesquelles celle du dry farming que les agronomes américains mettaient au point dans les grandes plaines continentales 204. Cette technique consiste à labourer très profondément de façon à favoriser la pénétration des eaux pluviales. La terre est mise en jachère pendant une année de façon à ce que les plantations de l’année suivante bénéficient d’une réserve hydrique théoriquement double de celle d’une seule année. Elle est ameublie par plusieurs labours pour en renforcer la capacité d’absorption et limiter l’évaporation. La grande évaporation a lieu en avril-mai quand l’herbe pousse. En sacrifiant l’herbe de printemps, on garde l’eau des pluies de l’hiver précédent. P. Bourde était entré en contact avec A. Bernard dont la fille traduisit le livre de J. A. Widtsoe, Dry-Farming : a System of Agriculture for Countries under a Low Rainfall 205, et le

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © Gouverneur Général Lutaud en diffusa la traduction en Algérie où les autorités coloniales pensaient pouvoir créer à nouveau un “grenier à blé”. Cette technique qui rendait possible la conquête agricole de vastes territoires restés impropres la céréaliculture non irriguée

202 Euzennat 1983, 163. 203 Despois 1942 (cf. supra p. 23). 204 Chevalier 1926, 539. 205 Erroux 2003. La vulnérabilité en terme climatique introduite par cette technique est donnée comme exemple par A. Hufty (2001, 474). 64 Philippe Leveau

nécessitait de puissants engins de labour défonçant le sol en profondeur. Dans le cas de la Tunisie, les hauts prix du blé au lendemain de la guerre de 1914-1918 avaient permis aux colons européens d’acquérir le matériel agricole d’origine américaine. Ils bénéficiaient de l’appui d’agronomes qui les aidèrent à adapter les techniques américaines. Parmi eux figuraient des Russes repliés des pays de la mer Noire qui s’installèrent dans la Régence et contribuèrent à faire connaître les études théoriques des agronomes russes. Les travaux qu’ils poursuivirent en liaison avec les savants français et en parallèle à ceux qui étaient poursuivis en Russie placèrent dans les années 1940 la Tunisie à la tête de la culture scientifique du blé 206. Ceux qui proposaient d’appliquer le dry farming américain aux zones arides du Maghreb en relevaient la similitude avec les pratiques culturales que préconisaient les agronomes latins. A. Bernard l’invoque dans son article de 1911 sur le dry farming et ses applications dans l’Afrique du Nord 207. J. Despois qui a soutenu que le Byzacium avait été le pays des céréales avant d’être celui de l’olivier, pensait que c’était pour cette culture que la steppe tunisienne avait été défrichée 208. “Des procédés connus depuis la plus haute Antiquité”, observait-il, “ont été redécouverts et mis au point par les colons algériens d’Oranie et, surtout, sous le nom de dry farming par les Américains de l’Ouest” 209. En effet Pline décrit un premier labour au printemps sur une terre en jachère cultivée un an sur deux, un hersage à la suite d’un second labour. Un quatrième labour est préconisé dans les Géorgiques par Virgile dont il commente les vers : “Ainsi, entre deux moissons, la terre avait supporté deux fois l’action de l’été et deux fois l’action des froids” 210. Ces labours sont faits avec l’araire dont la scène des Labours de la célèbre Mosaïque des Travaux Champêtres découverte à Cherchell donne une représentation 211. Proche de celui que les paysans utilisaient à son époque, cet araire relève de l’un des deux types que G. Camps distingue, l’araire dental, plus évolué que l’araire manche-sep. Il est constitué de trois pièces assemblées : le sep ou dental portant le soc, l’âge courbe et le mancheron droit 212. En Afrique, cette pratique remonterait aux Carthaginois dont les Romains ont fait traduire les traités. Les terres ainsi laissées en jachère sont qualifiées de noualis ager ou de nouale, termes qui désignent une terre renouvelée par le repos d’une année 213. Commentant ces prescriptions, J. Erroux a montré qu’il s’agissait effectivement d’une forme archaïque d’arido-culture qui “combinant jachère et travail du sol, permet en climat aride ou semi-aride de combattre les inconvénients d’une pluviométrie irrégulière et insuffisante pour obtenir des récoltes satisfaisantes sans irrigation”. Il établit une distinction entre deux formes de jachère travaillée. L’une dite des “préparés de printemps” est la forme

206 Enjalbert 1947. 207 Bernard 1911, 422.

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 208 Despois 1955, 213-215. 209 Despois 1955, 70. 210 Plin., Nat., 18.176-181 ; Verg., G., 1.47-49 : Illa Seges demum uotis respondet auari agricolae, bis quae solem, bis frigora sensit ; illius immensae ruperum horrea messes. 211 Bérard 1935, 132. 212 Camps 1989. 213 Varr., L., 5.39 : “Le champ qui bénéficie d’un repos est appelé noualis ager (jachère) de nouare (rénover)” (éd. et trad. Collart 1954, 248) ; Plin., Nat., 18.176 : Nouale est quod alternis annis seritur (“Une jachère est une terre qu’on ensemence une année sur deux”) ; également Varr., R., 1.29.1 : Noualis (dicitur) ubi satum fuit, antequam secunda aratione nouatur rursus. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 65

moderne de techniques décrites par les agronomes latins ; l’autre est la jachère travaillée intégrale. La première permet de récupérer l’eau tombant au début de l’automne précédant les semailles. La seconde qui est un “perfectionnement récent des conceptions de l’arido- culture en Afrique du Nord” y ajoute les pluies de l’automne-hiver qui suit la moisson 214.

Céréaliculture et transhumance dans les genres de vie indigènes Consulté comme expert par les services du Gouverneur Général de l’Algérie, A. Bernard avait conseillé d’entreprendre des essais pour diffuser cette technique dans la partie méridionale des Hautes Plaines de Constantine, la bordure nord de l’Aurès, la région de Djelfa, les parties non irriguées de la vallée du Chélif et le couloir de plaines entre Marnia et la Moulouya 215. Mais il écartait la possibilité de l’appliquer aux “grandes steppes des provinces d’Alger et d’” qui ne lui semblaient pas présenter les potentialités bio- physiques nécessaires. A. Bernard mettait en avant ce qui différencie fondamentalement cette technique moderne et la culture sèche pratiquée par les indigènes 216. Elle est appropriée à une agriculture disposant d’importants moyens de traction et de vastes superficies. Fait essentiel, souligne-t-il, elle présente de sérieux inconvénients par rapport à “la culture telle que la pratiquaient jadis les indigènes avec leurs araires grossiers. [Celle-ci] respectait la végétation spontanée, les broussailles, les plantes sauvages […]. La culture européenne détruit tout et détruit d’autant mieux qu’elle est plus soignée et plus perfectionnée” 217. Dans les développements qu’il a consacrés à décrire l’utilisation de la technique traditionnelle dans le Sahel et la Basse Steppe de Tunisie, J. Despois en souligne également les avantages. D’après les données que L. Valensi a relevées pour la Tunisie, les rendements en blé qui étaient ainsi obtenus à la fin du xviiie siècle n’étaient pas inférieurs à ceux de la Beauce 218. Il faut ici souligner un point essentiel. Le labour superficiel que les indigènes pratiquent préserve le sol de l’érosion et évite les désastres écologiques qu’ont connus les grandes plaines américaines dans les années 1930. Il conserve de l’herbe pour le bétail. Ajoutée à la jachère, cette pratique assurait une complémentarité entre les agriculteurs et les semi-nomades qui conduisaient leurs troupeaux sur les terres en jachère et trouvaient un emploi saisonnier au moment des récoltes. Dans un système agricole fondé sur l’alternance jachère/céréales combinée avec une moins grande exposition aux maladies du fait d’une moindre humidité de l’atmosphère, la matière organique apportée par le pâturage améliore la fertilité des sols, ce qui est l’une des justifications de la complémentarité entre agriculteurs et éleveurs. Les recommandations adressées par A. Bernard sur l’utilisation du dry farming doivent être rapprochées de celles qu’il présentait cinq ans plus tôt dans le rapport qu’il avait rédigé Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

214 Erroux 2003. 215 Bernard 1911 ; Widtsoe 1911. 216 “Si les Arabes du pays réussissent, malgré cette pénurie des pluies, à récolter certaines années beaucoup de grain, le fait tient à leur pratique traditionnelle, fort habile, d’une sorte de dry farming” (Zimmermann 1916). Dans les “Remarques sur l’Homme et la dégradation des écosystèmes naturels au Maghreb”, J. Dresch insistait fortement sur ce fait essentiel (Dresch 1986, 94). 217 Bernard 1911, 428. 218 Valensi 1977, 192-200. 66 Philippe Leveau

sur le nomadisme dans les mêmes régions de l’Algérie en collaboration avec N. Lacroix. Un de leurs objectifs était de faire comprendre à l’administration les limites d’une politique de sédentarisation des nomades. Chef du service des Affaires Indigènes au Gouvernement Général, son coauteur disposait des rapports fournis par les officiers des Bureaux Militaires dont, écrivent-ils, leur livre est “le testament” 219. Ils s’y élevaient contre l’idée que le nomadisme est une phase générale du développement de l’humanité. C’est une “migration périodique et régulière en vue des nécessités de l’industrie pastorale” 220. Selon eux, l’existence d’un nomadisme antique est la preuve de sa soumission aux conditions géographiques. Ils se livraient à un historique fondé sur ce que les historiens de l’époque écrivaient à propos du peuplement de la zone steppique et des marges arides du Maghreb. Mais ils en utilisent les travaux non pour opposer la civilisation à la barbarie comme le faisaient les algérianistes, mais pour combattre l’“erreur traditionnelle et à peu près indéracinable” qui consiste à opposer les Berbères qui seraient sédentaires et les Arabes nomades 221 : le choix entre nomadisme et sédentarité n’est pas une affaire de race, “c’est une affaire de climat, influencé par l’histoire”. De ce fait, la sédentarisation des nomades est impossible 222. En conséquence, ils recommandaient à l’administration civile qui envisageait d’implanter des colons européens dans les territoires qui passaient sous son autorité de ne pas “ruiner l’industrie pastorale pour essayer de reboiser des régions qui n’en sont pas susceptibles ni condamner des millions de moutons à périr pour récolter quelques boisseaux de blé” 223. L’agropastoralisme traditionnel assurait la complémentarité entre sédentaires et transhumants que L. Valensi décrit sur les franges subdésertiques et dans les hautes steppes tunisiennes aux xviiie-xixe siècles. “La Tunisie précoloniale voit cohabiter des populations de jardiniers courbés au sol, arrachant à des parcelles exiguës des ressources infiniment variées, et de vastes groupements nomades ou semi-nomades, selon l’exacte expression des géographes, qui pratiquent une agriculture extensive et poussent des troupeaux à peine domestiqués.… Ils participent à la même organisation sociale et baignent dans la même culture” 224. Au contraire, le dry farming supprime la végétation pour permettre la constitution de réserves hydriques dans les sols. Il est de ce fait incompatible avec l’usage communautaire de laisser les troupeaux pâturer les chaumes après la moisson et les terres laissées en jachère une année sur deux. Ainsi en insistant sur la mixité des genres de vie sur les Territoires du Sud et soulignant les mérites des pratiques indigènes, A. Bernard contredisait implicitement l’opposition entre la vie pastorale et l’agriculture que P. Vidal de La Blache avait théorisée 225. Il apportait des éléments qui allaient à l’encontre de la théorie du refoulement des peuples nomades par Rome dans le désert développée par S. Gsell dans son article sur La Tripolitaine et le Sahara au iiie s. de notre ère et par E.-F. Gautier dans le Passé de l’Afrique du Nord. Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

219 Bernard & Lacroix 1906, XII. 220 Bernard & Lacroix 1906, 3. 221 Bernard & Lacroix 1906, 18. 222 Bernard &Lacroix 1906, 29. 223 Bernard & Lacroix 1906, 302. Citation reprise par D. Davis (2012, 13) et par Lucas &Vatin qui reproduisent l’ensemble (1982, 180-181). 224 Valensi 1977, 205. 225 Cf. supra p. 53-55 : Deprest 2009, 296-298. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 67

Relire l’occupation des marges sahariennes

Une nouvelle géographie : histoire des paysages et occupation des marges arides La documentation collectée peut être relue en se gardant de deux risques : du côté géographique, essentialiser les différents modes d’utilisation d’un milieu difficile en genres de vie opposés ; du côté historique, privilégier une histoire et une archéologie du pouvoir de Rome. Dès les années 1970, le géographe G. Bertrand avait fait découvrir aux archéologues et historiens de l’Antiquité la rupture entre la géographie vidalienne à laquelle ils étaient accoutumés et une géographie nouvelle intégrant l’apport des disciplines écologiques 226. Une lecture des paysages dans leur dimension historique bénéficie de l’apport des disciplines que l’on réunit maintenant sous le nom de “Géosciences de l’environnement”, terme qui regroupe les sciences de la Terre, de l’Atmosphère et de la Nature. Toutes ces disciplines ont bénéficié de la baisse du coût des analyses relevée plus haut à propos de la datation isotopique. C’est ainsi qu’en réalisant des analyses dites “à haute résolution”, la palynologie historique a accédé à une précision chronologique qui rapproche l’histoire de la végétation de celle des sociétés. Elle reste pour l’heure la principale discipline paléoécologique qui fournisse des données sur les agricultures anciennes en dehors bien entendu de l’oléiculture. La paléo-carpologie n’est encore documentée que par des analyses effectuées par M. van der Veen en Tripolitaine et au Fezzan.

Pastoralisme et steppisation En montrant que, dès la période romaine, le paysage végétal a vu une extension progressive des steppes d’armoise et que celle-ci s’était par la suite accélérée, les analyses polliniques réalisées par A. Brun sur les sédiments marins du golfe de Gabès ont apporté la preuve d’une phase d’aridification post-romaine qui a atteint son maximum aux alentours du xive siècle précédant une phase plus humide correspondant au Petit Âge Glaciaire entre le xvie siècle et le xixe siècle 227. Une lecture de ces données paléoécologiques en terme climatique a conduit à discuter la dimension idéologique du débat auquel a donné lieu le fameux texte d’Ibn Khaldoun qui a servi à attribuer aux Bédouins nomades la ruine d’un pays qui, selon En-Nowairi, un géographe égyptien du début xive siècle, “depuis Tripoli jusqu’à Tanger n’était qu’un seul bocage et une succession continuelle de villages” 228. S’appuyant sur le diagramme pollinique d’A. Brun, M. Rouvillois-Brigol, auteure d’une thèse sur l’oasis de Ouargla dans le Sahara algérien, a montré la nécessité de poser en termes de complexité l’origine de la steppisation de la Tunisie intervenue depuis l’époque punique. Des analyses polliniques de carottes marines prélevées dans le golfe de Gabès ont montré

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © que postérieurement à l’Antiquité le genre Artemisia (l’armoise) gagna du terrain et que corrélativement Quercus à feuillage caduc régressa au profit de Quercus sempervirent après la fin de l’Antiquité 229. M. Rouvillois-Brigol critiquait la conclusion trop catégorique sur le

226 Bertrand 1975. 227 Brun & Rouvillois-Brigol 1985 ; Brun 1992. 228 Ibn Khaldoun, trad. de Slane 1963, 1, 341. 229 Rouvillois-Brigol 1985. 68 Philippe Leveau

climat que tiraient J. Birebent de son étude des ouvrages hydrauliques 230 et J. Baradez dans les pages qu’il a consacrées aux aménagements hydrauliques du piémont sud de l’Aurès. Elle invitait les historiens à ne pas revenir à l’affirmation de Coudray de la Blanchère qui en faisait le facteur déterminant de la prospérité africaine. Faisant écho à la question que posait A. Laraoui quand il résumait le débat sur la question de l’introduction du chameau dans les termes suivants : “qui du chameau ou du nomade crée l’autre ?” 231, elle envisage que l’on puisse inverser le système causal et “supposer que le nomade aura suivi l’armoise beaucoup plus qu’il ne l’aura suscité sur son passage” 232. Ce questionnement s’inscrit dans une approche systémique qui, au-delà du déterminisme des géographes et du possibilisme des historiens, privilégie les interactions milieu/société. Alors que les lanceurs d’alerte invitent à privilégier les causalités anthropiques, insister sur cette alternative présente l’avantage de rappeler que l’histoire ne doit pas être écrite à partir des inquiétudes du futur. Une même approche idéologique motive la lecture orientée que D. Davis fait des travaux des botanistes coloniaux. Sa réhabilitation des savoirs traditionnels contre un scientisme saint-simonien sacrifie la complexité de la situation coloniale à la rhétorique d’un discours. Les inventaires des premiers écologues et les diagrammes palynologiques à haute résolution actuels correspondent à deux moments distincts de l’histoire de l’environnement. A. Bertrand mettait en garde l’administration contre la dégradation des zones steppiques par la généralisation du dry farming ; il aurait très certainement vu une confirmation de ses thèses sur les pratiques indigènes dans les travaux actuels qui démontrent la capacité de la steppe à se régénérer et l’effet positif du pastoralisme tel qu’il était pratiqué. De même, dans sa contribution sur la Basse Steppe tunisienne qui date du milieu du xxe siècle, J. Despois s’inquiétait des conséquences des défrichements qui faisaient de l’olivier une monoculture au détriment d’une agriculture plus diversifiée. Dans le domaine social, ils privaient les éleveurs transhumants des terrains de parcours de leurs troupeaux. Dans le domaine environnemental, le remplacement des outils traditionnels à traction animale par des engins modernes polysocs ou polydisques a eu des effets destructeurs sur les sols que les géomorphologues tunisiens mettent en évidence soixante-dix ans après cette enquête. N. Fehri en a montré l’impact sur le bassin versant d’un oued de l’arrière-pays de Sfax. “Les défrichements massifs, les labours et les sarclages fréquents ainsi que les surcharges pastorales causées par le rétrécissement des terrains de parcours ont exacerbé la vulnérabilité naturelle des sols, accélérant ainsi leur dégradation” et leur érosion 233.

Occupation des montagnes et érosion La surexploitation spéculative des plaines par la colonisation européenne a eu des effets

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © indirects sur les terrains de montagne qui lui échappaient. Les officiers de la conquête coloniale et surtout ceux des Bureaux Arabes insistaient sur leur richesse forestière et l’arboriculture fruitière pratiquées sur les pentes. Les paysans indigènes savaient que la

230 Birebent 1962, 16-47. 231 Laraoui 1970, 69. 232 Rouvillois-Brigol 1985, 44. 233 Fehri 2003 et 2011. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 69

forêt offre un pâturage indispensable aux troupeaux en période estivale et une protection durant les grands froids de l’hiver. Mais, exclus des zones de plaine dévolues aux colons, ils ont été contraints d’étendre leurs cultures aux terroirs jusqu’alors laissés en forêt ; l’élevage des caprins s’est développé. Cela a eu pour effet une surexploitation vivrière des zones de montagne. À leur suite, les forestiers qui eurent à la gérer faisaient une distinction entre les caprins et les ovins dont le pâturage n’est dommageable que pour une forêt en cours de régénération et sur les superficies incendiées. Au milieu du xxe siècle, la destruction du couvert forestier qui en résulta a été à l’origine d’une accélération de l’érosion que les forestiers n’ont pas été les seuls à dénoncer. En Algérie, dans les années 1950-1960, dans le contexte de la décolonisation, le surpeuplement des montagnes est apparu comme le facteur déterminant d’une crise érosive selon un nouveau modèle donnant la priorité aux processus d’anthropisation dans le déclenchement de l’érosion historique. Des géomorphologues de la génération qui, en France, s’était formée à l’école de P. Birot ont appliqué à l’Afrique du Nord le concept d’“érosion accélérée” qui intègre les facteurs morpho-climatiques et historiques. Ils ont ainsi établi une relation forte entre le refoulement des paysans arabes dans les montagnes par la colonisation européenne et la crise environnementale qu’ils constataient 234. Les enquêtes systématiques qui ont été conduites par la suite en Algérie orientale et en Tunisie les intègrent dans une approche diachronique identifiant plusieurs phases d’érosion et de sédimentation qui correspondraient à des régimes pluviométriques différents. Sur les piémonts où ils s’accumulent et dans les fonds de vallées qu’ils engorgent, les sédiments témoignent de pluies concentrées et torrentielles tombées sur des versants fragilisés par la faiblesse ou l’absence de couvert végétal. Celle-ci peut avoir une origine climatique ou anthropique comme ce fut le cas durant les phases récentes de la période coloniale. “Une fluctuation climatique dans le sens de l’augmentation de l’intensité des pluies, voire du total annuel, n’est efficace sur les versants que si ces derniers sont fragilisés par une dégradation de la végétation et une mise en culture sans précaution” 235. Des observations réalisées dans l’Aurès montrent que la période qui va d’environ 250 a.C. à environ 250 p.C. est caractérisée par une stabilisation de l’environnement : l’accumulation alluviale s’arrête et l’entaille est modérée. Cela dénote des conditions climatiques plus favorables que celles actuelles. Pendant la période qui suit et jusque vers 600, l’accumulation est maximum, trois fois supérieure à l’Holocène inférieur et moyen, ce qui correspond à la fois à une crise climatique et à une période troublée 236. Les effets de ces phénomènes de colluvionnement et d’alluvionnement ont été observés du nord au sud sur les littoraux tunisiens où ils “ne se sont plus reproduits depuis avec la même intensité” 237. De même, dans la plaine de Sfax, la morphogenèse du bassin versant de l’oued Chaal-Charfaoui suggère que, durant l’Antiquité les “pluies automnales [étaient] 238

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © vraisemblablement plus intenses que celles d’aujourd’hui” . L’examen des archives alluviales holocènes dans le bassin de l’oued Sbeïtla montre que la fin de l’Antiquité est

234 Benchétrit 1955, 43, 605-640 ; Sari 1977. 235 Ballais 1995, 342. 236 Ballais 2009. 237 Slim et al. 2004, 251-252. 238 Ballais et al. 2003 ; Ferhi et al. 2007. 70 Philippe Leveau

avec la transition Pléistocène-Holocène l’une des deux périodes durant laquelle l’activité fluviale est particulièrement marquée 239. Au total, l’extension de ces phénomènes dans des régions de Tunisie où l’emprise de l’occupation romaine et les activités agro-pastorales sont inégales conduit à privilégier une explication climatique 240. Les précipitations auraient augmenté en quantité et surtout connu un accroissement de leur contraste saisonnier et de leur concentration dans le temps. La torrentialité qui en a résulté aurait renforcé le pouvoir décapant du ruissellement sur les versants. Pour l’heure, les principales restitutions de l’histoire de la végétation ont porté sur les zones montagneuses humides de l’Ouest marocain et de l’Est tunisien où l’on rencontre des conditions techniques favorables à la mise en œuvre de méthodes qui ont été élaborées dans les pays de l’Europe du Nord riches en tourbières favorables à la conservation de pollens. Ailleurs, dans les zones steppiques de l’intérieur, ceux-ci sont détruits par l’alternance annuelle de l’inondation et la sécheresse qui caractérise le climat de la Méditerranée. Au Maroc, des analyses paléoécologiques et géochimiques ont été réalisées sur des sédiments mobilisés par l’érosion des sols. Une récente synthèse des résultats obtenus a montré que les atteintes à la forêt n’étaient pas dues aux seules activités agropastorales et qu’elles étaient liées à une exploitation pour le charbonnage répondant aux besoins de l’extraction minière et de la métallurgie du cuivre, du plomb et du zinc. Dans le Moyen Atlas, cette exploitation est attestée par ces géo-indicateurs au moins dès l’époque romaine 241. Ce travail confirme l’interprétation qu’A. Ballouche propose des diagrammes polliniques du lac Tigalmamine dans le Moyen Atlas. Ses auteurs privilégiaient l’interprétation climatique. Mais, dans ce cas, A. Ballouche préfère suivre l’opinion des forestiers qui imputent à la pression anthropique les atteintes que subissent les cédraies de ce massif comme celles du Rif 242. L’aperçu qui vient d’être dressé n’épuise pas la liste des disciplines qui contribuent à la connaissance des conditions environnementales dans les marges arides du Maghreb. Il faut encore relever celles d’une équipe d’agronomes qui ont montré lors du colloque de Sousse l’apport de la génétique au débat sur l’autochtonie de l’olivier 243. C’est de ce côté que réside probablement la solution à la question de la résistance au gel des espèces cultivées à l’époque romaine dans la Haute Steppe tunisienne et dans les Hautes Plaines constantinoises.

Histoire romaine et marges arides

Les paradigmes de la frontière : limes et “nouvelle société” J.-C. Vatin résumait une géographie politique du Maghreb romain dans les termes suivants : “à la division verticale classique entre États ou ensemble politique, se substituerait Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

239 Zerai 2009. 240 L’extension du phénomène répond à l’objection formulée par A. Wilson (2017, 121) selon lequel les activités agricoles sont le facteur déterminant de l’alluvionnement dans la Tunisie du Nord. 241 Cheddadi et al. 2015. 242 Ballouche 2001, 245 ; Davis 2012, 28, III.1.3. La simplification du diagramme comporte dans l’édition française une erreur dans l’échelle chronologique (9800 et 6500 au lieu de 980 et 650 a.C.). 243 Berville et al. 2011. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 71

une division horizontale, née ou en tout cas développée avec l’occupation romaine. Une zone sud représenterait le domaine non colonisable, une zone centrale ou ‘moyenne’, le lieu de la contestation et des affrontements, la zone côtière ou nord le secteur dominé et colonisé” 244. Elle est calquée sur la géographie coloniale qui définissait des régions naturelles échelonnées en bandes parallèles au littoral en fonction des conditions climatiques et rejoignait en cela la distinction faire par A. Laraoui entre un Maghreb conquis, un Maghreb moyen et le Sahara 245. Mais, alors qu’avant les années 1980, l’attention portée sur ce Maghreb moyen – celui des Hautes Plaines et de l’Atlas saharien –, était étroitement liée la problématique militaire, la voie d’une nouvelle approche avait été ouverte par les travaux des équipes britanniques sur la région des oueds de Tripolitaine et dans le Fezzan qui reconnaissait l’existence de sociétés sédentaires organisées en dehors de l’espace proprement romain. Envisagée par rapport à l’Empire, cette approche était celle de la frontière dans le sens que ce terme a pris en anglais pour désigner une bande de territoire dotée d’une dynamique propre, ce qui la distingue fondamentalement de la “frontière naturelle”, obstacle physique, montagne ou cours d’eau, délimitant un espace naturel homogène. C. R. Whittaker a proposé de la restituer en s’appuyant sur l’exemple des limites de Bretagne et de Germanie. Dans ce cas, la demande générée par la concentration des troupes aurait animé l’économie régionale et gommé les différences culturelles dans une zone tampon qu’un Vorlimes prolongeait au-delà de la limite du territoire romain. Les “dynamiques économiques et sociales des zones de frontière [seraient] susceptibles de transcender des fronts linéaires sans modifier leur localisation géographique” 246. Dans cette conceptualisation, la frontière devenait “un processus, non pas un domaine ni une ligne” 247. Le modèle est la frontier dans l’acception américaine de “région aux confins d’un territoire civilisé” que le mot a pris. Les terres à conquérir par le monde civilisé sont supposées vierges et les populations frontalières indigènes être des ennemis qu’il faut repousser. C’est un front pionnier dont la progression n’obéit pas aux ordres donnés par un État, mais traduit un projet commun d’appropriation et de mise en valeur par une société d’émigrants. La référence à la frontière américaine était anciennement présente dans la bibliographie française. En 1955, P. Salama qualifiait “la zone steppique de l’Algérie occidentale” de “far- west africain” et plus loin de “no man’s land” 248. En 1977, J.-M. Lassère propose à son tour un rapprochement avec les États-Unis où la mobilité des populations aurait été préfigurée par celle que l’Afrique avait connue. “L’Afrique romaine”, écrit-il, “a eu son Far-West, en même temps d’ailleurs que son Far-South, représenté par l’arrière-pays syrtique”. Il poursuit : “Certains auteurs estiment en effet que le surplus de la population du nord de la Proconsulaire s’est déversé dans ces contrées dès le début du iie siècle de notre ère” 249. Mais pour lui, le peuplement romain était d’origine militaire, plutôt que civil et, s’appuyant sur le Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © nombre important de vétérans en Numidie, il qualifiait cette zone comme une “région de

244 Vatin 1983, 84. 245 Laraoui 1970, 71. 246 Whittaker 1989, 218. 247 Euzennat 1990, renvoyant à Whittaker 1989, 17, et à Turner 1893. 248 Salama 1955, 356 et 358. 249 Lassère 1977, 597. 72 Philippe Leveau

peuplement militaire”. Cette expression pour le moins malheureuse ne correspondait pas en fait à l’idée de mixité romano-libyenne qu’il proposait. J.-M. Lassère la reprend dans son livre posthume, Africa quasi Roma. Dans la description qu’il en donne, cette entité géographique régionale devient une “Rome du désert” dont la population mixte constitue “une romanité provinciale très proche de ses racines libyennes : une expression latine (parfois enrichie de mots uniques) ou bilingue …”. Il explique qu’un “glacis défensif [l’]imprégnait finalement d’une vie latine”. “Des particularités climatiques régionales ont privilégié ici l’olivier ou l’orge, là l’élevage. Mais ce qui donne son unité à ce monde est d’ordre culturel.…” 250. Cela le conduit à employer à son propos l’expression de “civilisation du limes”. La caractéristique essentielle de cette civilisation est la maîtrise de l’hydraulique. La sédentarité du peuplement qu’elle assure prélude à cette urbanisation que Tacite présente dans la Vie d’Agricola comme le chemin vers la romanisation des Bretons. L’idée d’une mixité du peuplement constituait un progrès par rapport à l’inquiétude qu’inspirait à G. Picard la place des cultes orientaux dans la dévotion des “légionnaires moyens” de la garnison de : elle traduirait “la faiblesse de la Romania devant les indigènes” et “l’affaiblissement interne des rouages politiques et militaires de l’Empire [… à une époque où] les tendances centralisatrices qui maintiennent la prééminence de la civilisation européenne helléno-latine, se heurtent de plus en plus au particularisme d’une Afrique où se réveillent les traditions sémitiques” 251. Dans son livre Vbique populus, J.-M. Lassère donne l’interprétation suivante du relief des époux inconnus de qui figure sur la page de couverture : “Ce relief représente un couple mixte romano-africain : la femme au profil très classique, est vraisemblablement italienne. L’homme au nez busqué et au crâne renflé dans la partie occipitale est certainement un Libyphénicien”. M. Le Glay qui partageait ce point de vue le félicite dans la préface de ce livre d’avoir “dépoussiéré” la vieille théorie de la réussite de la romanisation en Afrique “sans en dissimuler les zones d’ombre”. Depuis, celle-ci continue à dominer l’historiographie française après que l’Algérie ait retrouvé son arabité et l’on reconnaîtra sans peine dans l’Africa quasi Roma, l’Algérie rêvée des algérianistes. N. Oulebsir fait le même constat : “Les représentations privilégiées de l’Antiquité […] donnent à voir dans toute sa splendeur architecturale la réussite des colonisations romaine et française. Il est à se demander si, à vouloir faire de l’Algérie une province plus romaine que Rome, ce parallèle ne s’applique-t-il pas aussi à l’Algérie française” 252.

Quelle valeur des marges arides en terme économique ? Un tel débat n’est évidemment pas une spécificité de l’historiographie française. La

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © thèse de l’échec ou de la réussite de Rome a été largement débattue par l’historiographie anglo-saxonne depuis le livre de T. R. S. Broughton The Romanization of Africa Proconsularis, paru en 1929. Ainsi, concluant une récente enquête sur les interactions entre le pouvoir romain et les communautés nomades, W. Vanacker et W. Broekaert ont dressé un tableau

250 Lassère 2015, 485. 251 Picard 1949, 175. 252 Oulebsir 2004, 286. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 73

des conséquences positives et négatives des interactions entre Rome et les nomades en Afrique, d’où ils concluent que les avantages que les communautés pastorales africaines ont tirés de leur relation avec le pouvoir romain l’emportent sur les inconvénients. Celui-ci a sans doute imposé des limites à leurs mobilités pastorales et a privé certaines tribus de terrains de parcours dévolus aux agriculteurs. Mais les bénéfices de leur intégration dans une communauté plus urbanisée et des opportunités économiques associées auraient encouragé les communautés pastorales à abandonner le mode de vie traditionnel 253. Pourtant ce point de vue a été démenti par D. Cherry. Dans Frontier and Society in Roman North Africa, il en propose une lecture qui contredit opportunément les excès de l’anti-invasionnisme et ceux d’une vision trop apaisée des relations du pouvoir romain avec les populations indigènes qui eut court dans les années 1980 254. Pour lui, l’armée n’a pas joué le rôle de vecteur culturel qu’on lui reconnaît ailleurs et s’est comportée en armée d’occupation. Il propose une lecture du matériel épigraphique opposée à celle de J.-M. Lassère. En effet, si l’on se fie aux critères onomastiques, le nombre des unions entre romain(e)s ou romanisé(e)s est réduit. Il est rare dans les zones que J.-M. Lassère a qualifiées de militaires et faible ailleurs. L’administration romaine ne s’est pas particulièrement souciée de romaniser les populations autochtones ni de sédentariser les nomades. Ce n’est pas parce qu’on a reçu la citoyenneté romaine que l’on est acculturé. Forts, routes et barrières linéaires sont la conséquence d’un impérialisme conquérant. L’organisation de la zone de la frontière avait pour objectif principal d’assurer l’entretien d’une armée d’occupation et de pourvoir à la sécurité de ses agents 255. Une argumentation analogue est développée par J. France qui rappelle le témoignage des ostraca latins du grand fort romain de Golas 256. Une première série d’observations critiques sur la valeur économique des zones arides porte sur la destination supposée des productions agricoles. M. Rouvillois-Brigol considérait à la lecture des travaux de J. Baradez, que “les cultures dont on trouve la trace en liaison avec le Fossatum semblent être principalement des cultures de colonisation à destination de Rome, plus que des cultures vivrières” 257. Effectivement, parmi les “conséquences politiques des travaux hydrauliques et de la colonisation des confins sahariens”, J. Baradez compte la construction d’entrepôts-magasins qu’il appelle des “mansiones”. Ils sont échelonnés le long d’une “rocade militaire qui constituait l’artère économique du pays”, depuis l’oued Djedi vers Doucen et Ouled Djellal 258. Depuis ces bâtiments, affirme-t-il, on expédierait “sur les entrepôts portuaires les excédents de denrées collectées”, témoignant d’une activité agricole qui “permettait de faire vivre une population nombreuse et d’expédier à Rome l’huile et le grain toujours plus indispensables au corps anémié de l’Empire […]. Ces régions particulièrement déshéritées par un climat brutal [étaient intégrées] dans les pays fournisseurs de l’Annone” 259. Les bâtiments en question auraient servi à la concentration de

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © produits agricoles destinés à Rome. Cette interprétation pour le moins excessive bénéficiait

253 Vanacker & Broekaert 2014, 122. 254 France 2014a, 27-28. 255 Cherry 1998, 73. 256 France 2015, 750-752. 257 Rouvillois-Brigol 1986, 46. 258 Baradez 1949, 99. 259 Baradez 1949, 202. 74 Philippe Leveau

alors de la caution de J. Carcopino : dans le compte rendu qu’il a consacré aux prospections du colonel Baradez, il explique que celui-ci “a recueilli la preuve que la production du limes de Numidie était si abondante que l’Annone comptait sur elle pour nourrir les armées de Rome et la population” 260. L’élargissement à la Numidie de la place de l’oléiculture africaine constituait ainsi un corollaire du thème de “l’Afrique, grenier de Rome”. Cette production associait pacification et mise en valeur des zones du sud 261. La relation entre oléiculture, armée et annone a refait surface en 1975 quand R. Rebuffat a cru pouvoir accorder à l’oléiculture une valeur déterminante dans l’avancée du limes en zone présaharienne en Tripolitaine sous les Sévères. Il établissait une relation avec la distribution d’une ration journalière d’huile au peuple de Rome dont M. Euzennat n’a pas eu de mal à démontrer l’invraisemblance 262.

Les nomades dans l’économie des zones semi-arides et arides Les secondes observations critiques que l’on peut formuler portent sur la place des nomades dans l’économie régionale bien montrée par L. Valensi pour le Sahel tunisien à l’époque moderne. Pour l’Antiquité, R. B. Hitchner a montré que dans la Haute Steppe l’élévage était au moins aussi important que la production d’huile d’olive dans l’économie domaniale. La présence d’enclos à bestiaux sur pratiquement tous les sites prospectés en apporte la preuve archéologique. Leur abondance autour de Thelepte indiquerait la présence d’un marché à bestiaux important. Cet élevage était pratiqué par les Musuni Regiani qui occupaient la zone étudiée impliquant des fractions tribales semi-nomades 263. Mais la région de Thelepte aurait été également le lieu d’une transhumance saisonnière. Ceux que l’on range dans cette catégorie sont en fait des transhumants qui conduisaient leurs troupeaux dans les pâturages du Tell. L’administration pouvait tirer de leur activité les produits de l’économie pastorale, la viande, le cuir et la laine, amenés dans les provinces au nord. Ils apportaient un précieux complément de main d’œuvre au moment de la récolte et leurs troupeaux contribuaient à fertiliser les terres en jachère. C’est à cela qu’aurait servi le dispositif constitué par des ouvrages linéaires, murs et fossés, désignés sous les noms conventionnels de clausura et de fossatum. Ils ont d’abord été perçus comme des ouvrages de défense contre les nomades chameliers sahariens, ce qui avait valu à la Seguia bent el Khrass la qualification de “limes du chameau”. En dehors de points particuliers, la hauteur des clausurae est d’environ 3 m. Fossatum désigne une structure dont l’élément principal est un fossé de 2 à 3 m de large. Ses déblais ont été rejetés sur le côté intérieur en un talus de 1 à 2 m de haut 264. Compte tenu de leur absence d’efficacité militaire, deux interprétations en ont été proposées en relation avec leur environnement. Dans certains cas, il s’agirait des “éléments séparés d’un dispositif Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

260 Carcopino 1949, 145. 261 Camps-Fabrer 1953, 10 : “Permise par le climat, la culture de l’olivier fut développée par les Romains pour des raisons politiques et économiques qui font qu’elle joue un rôle aussi important dans la pacification et la mise en valeur que dans la vie économique de l’Afrique et du monde romain”. 262 Euzennat 1983. 263 Hitchner 1994. 264 Trousset 1998 ; cf. supra. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 75

de contrôle du déplacement des tribus nomades, aux confins des tribus sédentarisées” 265. Placés aux points de passages saisonniers des semi-nomades entre les pâturages sahariens et telliens, ils auraient assuré le contrôle d’itinéraires qui seraient l’équivalent des chemins de grande transhumance décrits sur la rive nord de la Méditerranée en Espagne, en Provence et dans les Apennins. D. Mattingly a supposé que dans d’autres cas, ils ne marquaient pas l’entrée dans le territoire romain, mais correspondaient à des zones où la transition entre désert et terres agricoles était rapide, ce qui nécessitait de surveiller avec un soin particulier le respect des droits d’eau et de propriété. Bien qu’il convienne que les preuves manquent encore, D. Mattingly pense qu’en Tripolitaine le système de délimitation par des clausurae est antérieur aux Sévères, qu’il remonte au iie siècle et que des ajouts et améliorations lui auraient été apportés aux iiie et ive siècles 266. Il est vraisemblable qu’il avait également une fonction fiscale et permettait la perception de taxes sur les troupeaux transhumants ou sur les marchandises acheminées par les pistes caravanières sahariennes vers des marchés périodiques situés dans la zone de contact ou vers les ports du littoral de Tripolitaine. Dans le couloir de Tebaga, une clausura longue de 17 km permit de concentrer les passages sur un unique point de contrôle entre Aquae Tacapitanae au nord et Bezereos au sud 267. À l’aboutissement de l’une de ces pistes, l’inscription du portus de Zaraï, point de passage obligé vers la frontière de l’Empire, donne la liste des marchandises assujetties à la taxe ainsi que les tarifs appliqués 268. Les bâtiments dans lesquels J. Baradez voyait des points de concentration de la production de l’huile avant son envoi vers Rome étaient probablement des bâtiments routiers utilisés par l’administration du cursus publicus. Cette observation s’applique également à des ouvrages interprétés comme les éléments d’une ligne défensive alors qu’il s’agissait de postes de police assurant la sécurité des usagers de la route 269. Dans la zone du limes, l’opposition entre deux territorialités, celle des sédentaires et celle des nomades, est fondée sur la perception qu’en donne l’archéologie à la lumière du paradigme de l’opposition des genres de vie. Le territoire des nomades a été perçu comme caractérisé par l’absence des témoignages de sédentarité qui définit celui des sédentaires : des vestiges d’habitat, des aménagements hydrauliques et de mise en valeur agricole 270. En fonction d’une perception négative des nomades et semi-nomades, les camps et les postes militaires ont été interprétés comme un dispositif de protection des populations locales de cultivateurs sédentaires contre leurs incursions et celle de transhumants venus des massifs montagneux d’au-delà de la frontière. Mais depuis, des prospections archéologiques ont sensiblement modifié le discours. À la fin des années 1930 déjà, J. Guey observait à la suite de travaux conduits sur le piémont de l’Aurès et des Némencha que la “population fixée autour des points d’eau, les cultivateurs qui, avant la conquête romaine, semblent avoir habité ces oasis ne vivaient sans doute pas sous la tente, et si peu qu’ils construisissent, ils Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

265 Euzennat 1990, 571. 266 Mattingly 1995, 114. 267 Trousset 1974, 65-67 ; Mattingly 1995, 109-110. 268 Trousset 1998 et 2012, 5588. Sur le tarif et sa position en relation avec les gentes externae, cf. en dernier lieu France 2014. 269 Leveau à paraître. 270 Sur la question, cf. les réflexions de Rebuffat 1990. 76 Philippe Leveau

construisaient nécessairement en pisé ou en briques crues” 271. Les prospections les plus importantes ont été réalisées par des équipes françaises et britanniques du “Libyan Valleys Survey”, en Tripolitaine intérieure. Elles ont montré qu’un habitat sédentaire y a précédé l’occupation militaire sévérienne 272. La céramique qui le date du ier siècle en marque l’entrée dans l’économie méditerranéenne. Au iiie siècle, à mesure que l’on avance vers la fin de la période romaine, l’habitat évolue de la ferme ouverte aux ksour dont le ive siècle a été l’âge d’or. On hésite à les identifier comme le résultat de la mise en défense de leurs propriétés par les membres de l’élite romano-libyenne ou plus vraisemblablement comme la réoccupation de fermes anciennes par les Laguatan. Mais leur présence témoigne d’une occupation continue du prédésert 273.

Nomadisme et sédentarité dans les marges arides de la Maurétanie Césarienne occidentale : les tribus et le pouvoir de Rome Lorsqu’en 1942, L. Leschi faisait le point sur les nouveautés apportées par les travaux de J. Guey et ceux de J. Baradez sur la Numidie 274, la théorie de l’exclusion des nomades du domaine romain était dominante. Il l’adaptait en faisant une distinction entre les territoires situés de part et d’autre du . D’un côté, une solide barrière militaire interdisait l’accès de la Numidie aux nomades. De l’autre, sur les Hautes Plaines de l’ouest de la Césarienne, “au contraire, la barrière a été établie de façon à n’apporter aucune entrave aux déplacements saisonniers” 275. Depuis, M. Euzennat tirait les conséquences de l’abandon de la théorie de l’exclusion des nomades dans les termes suivants : “Les rapports entre les agriculteurs et les nomades pasteurs apparaissent dès lors à la fois plus simples et plus complexes qu’on avait coutume de les imaginer. Sur place, il est en effet difficile de distinguer les uns des autres, car ils ne sont souvent ni tout à fait sédentaires ni tout à fait nomades” 276.

La mobilité des troupeaux : pastoralisme, nomadisme, semi-nomadisme et transhumance Pour rendre compte des difficultés rencontrées dans l’évaluation des relations entre éleveurs et agriculteurs, il faut rappeler l’affirmation de F. Braudel selon lequel la forme normale de la transhumance est estivale et fille de l’agriculture. Dans ce cas, la transhumance évoquée est celle que les géographes ont décrite pour l’Europe moderne et contemporaine sous ses deux variantes : une transhumance hivernale pratiquée par les sociétés de montagnes quand les réserves fourragères étaient insuffisantes pour nourrir le troupeau et Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © une transhumance estivale consistant à le déplacer à l’extérieur du territoire cultivé pendant

271 Guey 1939, 200. 272 Rebuffat 1976-1977 ; Barker 1996. 273 Mattingly 1995, 202-205. 274 Leschi 1942 = 1957, 71. 275 Leschi 1942 = 1957, 71. 276 Euzennat 1990, 573. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 77

la période végétative quand sa présence est incompatible avec les cultures 277. Celle-ci procède d’une gestion optimale du territoire : les terres proches du village sont réservées aux cultures ; le pacage est la meilleure utilisation des espaces extérieurs aux sols ingrats. Dans les plaines, des zones incultes marquent la limite des cités. Dans les montagnes, les bêtes sont conduites dans l’alpage. Dans les zones arides, les conditions naturelles imposent d’autres stratégies de gestion du territoire également commandées par la disponibilité de la ressource végétale. Dans le prédésert, les éleveurs semi-nomades se déplacent entre plusieurs lieux de résidence en des endroits prédéterminés qui correspondent aux besoins de leurs troupeaux. Ils sont aussi les uns propriétaires de palmeraies et les autres cultivateurs de céréales 278. Lors de la descente vers le sud, ceux des steppes qui pratiquaient une transhumance horizontale entre le Sahara en hiver et les Hautes Plaines atlasiques semaient à l’automne dans des fonds de vallée des Hautes Plaines atlasiques et moissonnaient au printemps à la remontée. Le semi- nomadisme des éleveurs des massifs de l’Atlas saharien est une transhumance hivernale qui fait descendre les troupeaux l’hiver sur le piémont saharien et remonter l’été dans les montagnes. Mais dans tous les cas, il s’agit d’agropastoralisme 279 (fig. 8). C’est à partir de l’observation de ces mobilités qu’en 1906, A. Bernard et N. Lacroix avaient réparti les populations des Territoires du Sud, nomades et semi-nomades des steppes et des montagnes, en cinq types d’éleveurs : indigènes quasi sédentaires, nomades à parcours très restreints, nomades à campements distincts qui hivernent soit au nord soit au sud de l’Atlas, nomades à estivage tellien, Sahariens proprement dits 280. Actuellement, les agronomes qui

Fig. 8 .Transhumance dans les Aurès. Le finage de la tribu de l’Ahmar Khaddou comprend quatre terroirs échelonnés des crêtes (alt. 1700 m) au piémont saharien (alt. 50 m) : une zone de replats d’altitude, portant des cultures céréalières tardives ( juillet-août) ; un secteur accidenté et forestier, dans lequel monte paître en été le bétail ; un piémont steppique (la

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © “dakhla”) qui sert de pacage en hiver pour les mêmes troupeaux ; un piémont saharien limoneux où l’épandage des crues permet des cultures céréalières précoces (avril). Les villages sont fixés sur une ligne de source au contact de la montagne et de la dakhla (Côte 1988, 64-65, fig. 10).

277 Arbos 1922. 278 Capot-Rey 1953, 271-278. 279 Sur les relations avec l’achaba actuelle, cf. Laporte 2014, 545-547. J.-P. Laporte relève les aspects positifs des relations entre nomades et sédentaires (ibid., 542). 280 Bernard & Lacroix 1906, 74-99. 78 Philippe Leveau

travaillent sur les zones prédésertiques et steppiques du Maghreb distinguent trois grands types d’élevages sur parcours : l’élevage sédentaire, l’élevage nomade et l’élevage semi- nomade. Dans le cas de l’élevage sédentaire, les troupeaux reviennent chaque soir au village, une gestion qui n’est possible que dans l’Atlas marocain, dans le djebel Amour et dans l’Aurès. Dans celui de l’élevage semi-nomade, le groupe revient périodiquement au même endroit où il a construit une maison. Les purs nomades habitent sous tente toute l’année 281. En fonction des secteurs géographiques, des caractéristiques du déplacement, des types d’animaux et de l’utilisation du bétail, A. Bourbouze a distingué et cartographié au Maghreb une dizaine de mobilités pastorales selon les régions. Elles se pratiquent sous tente à l’exception du Haut Atlas marocain 282 (fig. 9). Cette classification permet une lecture de l’occupation de la bordure steppique du Maghreb, depuis les Hautes Plaines atlasiques jusqu’au piémont présaharien à condition de prendre des distances par rapport à l’usage géohistorique qu’il privilégiait en accord avec les historiens : établir les limites du contrôle militaire de Rome ou à défaut de celui-ci la romanisation entendue comme présence du pouvoir romain. En effet les populations antiques des steppes et montagnes de l’Atlas saharien, celles que leur mobilité caractérise – nomade, semi-nomades et même simples transhumants –, font l’objet d’une perception négative dont l’origine est double. Elle vient principalement des sources écrites et de l’interprétation que les historiens modernes en ont faite.

Fig. 9. Les mobilités pastorales régionales. 1. Haut Atlas occidental : petite transhumance estivale en bergerie de haute montagne ; 2. Haut Atlas central et oriental : grande transhumance estivale ou double (estivale et hivernale) ; 3. Moyen Atlas : transhumance estivale ou transhumance double en moyenne

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © montagne ; 4. Versant saharien de l’Atlas : semi-nomadisme (hiver sur les plateaux sahariens, été en montagne) ; 5. Steppes de l’est du Maroc : hiver sur les plateaux alfatiers sahariens, printemps et été sur les parcours à armoise du nord ; 6. Steppes algériennes (“achaba”) : semi-nomadisme (hiver en steppe, été sur les chaumes des plaines céréalières) ; 7. Semi-nomadisme saharien (dromadaires) : hiver au Sahara, été près des oasis ; 8. Sud Tunisie : transhumance estivale exceptionnelle vers les plaines céréalières du nord (“friga”) ; 9. Sud Tunisie : semi-nomades (hiver au désert ; été près des oasis et des zones de cultures).

281 Capot-Rey 1953, 252. 282 Bourbouze 2006. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 79

Territorialités nomades et État dans les sources textuelles Les administrateurs romains qui prenaient la suite des rois africains venaient de la rive nord de la Méditerranée où les formes anciennes de nomadisme avaient disparu depuis longtemps. Les récits historiques qui nous renseignent sur le pastoralisme l’abordent sous l’angle politique ou militaire et non comme une activité économique soumise à la contrainte climatique. Alors que le nomadisme est une forme de territorialité particulière correspondant à une organisation de type confédérale, il est confondu avec l’errance. L’éleveur nomade est considéré comme étranger par essence au monde de la cité qui définit un modèle de vie civilisée. Cette exclusion a des conséquences sur une historiographie qui privilégie les sources écrites. Les historiens ont majoritairement privilégié la perception négative de ces populations dans les sources gréco-latines parce qu’étant contemporaines, elles étaient présumées être les plus fiables. Formés dans la tradition occidentale pour laquelle la Grèce des cités est la mère de la Civilisation, ils en ont eu une approche textualiste qui les a conduits à privilégier les conflits entre deux genres de vie considérés comme antagonistes. Cette approche présente l’inconvénient de ne pas accorder la place qu’ils méritent aux processus d’adaptation de deux formes d’exploitation du milieu, et au point de vue des sociétés pastorales qui ne partageaient pas le même idéal de vie et n’aspiraient pas à devenir des sédentaires. Ainsi en 1998, sollicité à contribuer à un numéro thématique de la revue Espace/Temps consacrée aux rapports entre histoire et géographie, J.-M. Bertrand explique que l’historien de l’Antiquité étudie “l’animal politique dans son milieu naturel, la cité (grecque)”. Car pour lui “ce n’est pas le terroir qui imposa sa forme à ce système, mais le discours de l’homme” 283. Dans ces conditions, une anthropologie antique recourt au mythe et celui-ci essentialise le nomade : le nom des peuples s’expliquerait par leur histoire et en rendrait compte. Ici celui de Maures serait une déformation de Mède dans la langue des Libyens, ce qui en rattache l’origine aux mythes héracléens. Ces peuples seraient arrivés d’Espagne par le détroit de Gibraltar avec l’armée d’Hercule et se seraient mélangés aux Gétules et aux Libyens. G. Camps a montré que le rapprochement entre le grec nomadès et Numide résulterait d’un calembour para-étymologique faisant dériver du mot qui signifie nomade ce mélange des Gétules et des Libyens parce que Strabon dit que “constamment […] à la recherche de terres nouvelles, ils passaient d’une région à l’autre” 284. À ce titre, la figure de Massinissa peut être rapprochée de celle d’Alexandre, roi civilisateur 285. De son côté, R. Rebuffat relève la part d’imagination que comporte l’affirmation de Polybe selon lequel “la Numidie avait été jusqu’alors stérile et regardée comme incapable de produire des fruits mangeables ; [Massinissa] montra le premier qu’elle pouvait aussi bien qu’aucune autre terre en porter” 286. Comme il l’écrit, “le mythe du héros sédentarisateur doit aussi empêcher de prendre au pied de la lettre les Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © renseignements d’allure chronologique fournis par l’histoire textuelle. Ce n’est pas plus Massinissa qui a sédentarisé les Africains qu’Isis les Égyptiens. Il s’ajoute à cela que ce roi

283 Bertrand 1998. 284 Strab., Géographie, 2.5.33 ; Camps 1980, 20 et 91-92. Sur ces mythes, cf. Desanges 1980, 482-483. 285 Sur ce traitement des conquêtes d’Alexandre, cf. Briant 1983. 286 Plb. 36.3. 80 Philippe Leveau

étant proromain, il était ipso facto considéré comme un ‘sédentarisateur’ face aux ennemis nomades” 287. Actuellement la Libye reste le seul secteur pour lequel une tentative de modélisation de l’évolution des systèmes agropastoraux dans la longue durée a été tentée (fig. 10). Elle prend en compte les trois unités paysagères distinguées : une plaine littorale aux sols pauvres et au climat méditerranéen, une montagne (Jebel Akhdar) moins chaude et mieux arrosée où l’agriculture est praticable et le plateau du prédésert où, l’hiver, les troupeaux sont conduits et quelques cultures pratiquées. À une époque récente, un équilibre s’était établi entre quatre types d’éleveurs : des éleveurs de chèvres sur le littoral, des éleveurs de moutons et de chèvres qui se déplaçaient entre la montagne et le plateau, des chameliers oscillant dans le même espace et d’autres qui allaient jusqu’au désert. Le problème est ensuite d’évaluer l’impact que les dominations qui se sont succédées ont eu sur ces formes de pastoralisme. Dans le cas de la Libye, à partir des données disponibles, G. Barker supposait que la mise en valeur agricole de la montagne à partir du iiie siècle avait obligé les éleveurs de chèvres et de moutons à devenir chameliers 288. Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - ©

Fig. 10. Modélisation des mobilités pastorale en Cyrénaïque de l’époque préhellénistique à la fin de l’Antiquité (d’après Barker 1981).

287 Rebuffat 1990, 239 ; Rebuffat 1999, 273-276 (sur la Tingitane). 288 Barker 1981, 144. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 81

C’est l’évolution déjà proposée par S. Gsell, sans les conséquences géopolitiques qu’il en tirait sur le refoulement des nomades. En Algérie, les préhistoriens sont les seuls à s’être intéressés à la place de la transhumance durant les périodes anciennes dans l’Aurès. C. Roubet qui a établi l’existence de cette pratique durant le néolithique pour l’élevage caprin et ovin au Maghreb oriental suggérait que “les Chaouia, Berbères de l’Aurès présentent dans leur mode de vie archaïque bien des traits qui peuvent assurer la liaison entre le peuplement préhistorique et le peuplement actuel” 289. Pour l’époque romaine, il existe une importante documentation épigraphique non exploitée dans l’est de l’Algérie. Les deux magistri de la cité de (Announa) se rendaient tous les ans dans le djebel Taya entre la fin mars et le début de mai au printemps et faisaient graver une dédicace à Bacax Augustus sur les parois d’une grotte. Le djebel Taya qui culmine à 1208 m est un des massifs qui bordent au nord le bassin de Guelma dans le prolongement vers l’est de la chaîne numidique. Dans une autre grotte du djebel Chettaba dans la région de Constantine, le magister du Castellum Phuensium rendait un culte identique à une divinité désignée par les initiales GDAS 290.

Marges arides et limes en Maurétanie Césarienne Dans son article sur la bordure saharienne de l’Algérie orientale, J. Despois a fortement mis en évidence les effets de l’orientation des écoulements sur l’agriculture. En Algérie orientale, de grands oueds qui coulent du nord vers le sud drainent les hautes plaines telliennes et les massifs montagneux qu’ils traversent vers les basses plaines sahariennes qui profitent de leurs épandages. À l’ouest, le piémont saharien ne bénéficie que très partiellement des précipitations tombées sur l’Atlas : les oueds évacuent les eaux vers le littoral méditerranéen au nord. C’est le cas des deux branches supérieures du Chélif, le Nahr- Ouassel, la principale, qui prend sa source en plein Atlas saharien dans le djebel Amour et l’oued Touil, qui draine le Sersou ainsi que les hautes vallées du Sig, de l’Habra, de la Mina et des affluents de la rive gauche du Chélif qui collectent les eaux tombées sur les massifs telliens 291. De ce fait, les régions de l’ouest cumulaient les effets défavorables de ce drainage à ceux de la météorologie. Avec des précipitations annuelles inférieures à 300 mm, le climat des Hautes Plaines algéro-marocaines présente une aridité plus forte que celui des Hautes Plaines constantinoises. Deux facteurs expliquent cette situation : le premier est la barrière de la chaîne atlasique marocaine qui diminue l’occurrence de pluies sur l’ouest de l’Algérie ; le second est l’existence d’un anticyclone, centré sur l’Espagne et le Maroc, qui en réduit encore l’éventualité et occasionne des sécheresses. Ainsi à Oran qui reçoit en année normale une moyenne de 375 mm d’eau par an la tranche d’eau a été réduite à 173 mm en 1983. Dans l’Antiquité, les conditions météorologiques étaient semblables. Elles rendent compte d’une sécheresse rapportée par Arnobe de Sicca Veneria dans son traité contre les païens. Il

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © explique que, dans l’année où il écrit, 297 ou 298, la sécheresse sévissait chez les Gétules et en Maurétanie Tingitane, alors que les Maures de Césarienne et les Numides faisaient de belles moissons 292.

289 Roubet & Carter 1984. 290 Camps 1991b. 291 Despois 1942. Cf. supra et fig. 2. 292 Arnobe, Aduersus gentes, 1.16. 82 Philippe Leveau

J. Despois considérait que, par ses conséquences sur les possibilités agricoles, ce double handicap constituait un facteur explicatif d’un système militaire conçu pour contrôler un “Maghreb utile” dont la limite méridionale “est, à l’ouest, parallèle au littoral, dont elle n’est distante que de 100 à 120 kilomètres ; puis dessine un vaste arc de cercle, suivant les Monts du Hodna, les massifs de l’Aurès et des Nememcha et les montagnes de la Dorsale tunisienne” (cf. fig. 6 et 7). Cette vision de la géographie antique de la Césarienne occidentale s’accordait à celle qui s’est imposée aux historiens depuis R. Cagnat. Après le franchissement du Titteri, de l’Ouarsenis, des Monts de Frenda et du Tessala à l’époque sévérienne, la domination romaine s’étend sur une bande de territoire qui s’étire sur près de 600 km entre le Hodna où elle atteint une largeur de 200 km et la Moulouya où elle se réduit à une cinquantaine de kilomètres. Le poste militaire le plus avancé au sud est Medjedel entre le chott El Hodna et le Zarez Chergui 293. Désormais, d’Aras (Tarmout au Nord de Msila) à l’est à Numerus Syrorum (Maghnia) à l’ouest, rocade et ligne de défense, une noua praetentura est jalonnée de camps et de postes militaires. Entre le Chélif et la Mina, elle relie les quatre agglomérations de Boghari, Aïn Toukria (Bourbaki), Tissemsilt (Vialar), Columnata (au sud de Sidi-Hosni ex- Waldeck-Rousseau) qui paraît avoir été la plus importante et Tiaret 294. P. Salama est arrivé à la conclusion qu’en Césarienne un premier limes antonin avait eu pour objectif de contrôler les montagnes et qu’un second limes sévérien était dirigé contre les nomades des Hautes Plaines. Il invoquait comme preuve la spécialisation des troupes. Dans la première époque, les forces d’infanterie sont trois fois supérieures aux forces de cavalerie. Au iiie siècle l’avancée sévérienne amène un rééquilibrage les forces. “L’ennemi montagnard requiert l’action des cohortes. L’ennemi steppien exige l’intervention des ailes” 295.

Nomades et sédentaires dans les Hautes Plaines algéro-oranaises : le Sersou Ce limes a fait l’objet de deux interventions lors du colloque sur les Frontières et limites géographiques de l’Afrique du Nord publié en hommage à P. Salama à qui l’on doit l’essentiel des travaux qui ont porté sur lui entre les années 1950 et 1990. Dans la première, Y. Le Bohec a souligné que l’historiographie actuelle confirmait la conception de R. Cagnat de frontières linéaires en apportant des précisions à la chronologie des établissements militaires et il a complété la liste des unités militaires qui y avaient stationné. Cependant en élargissant le débat sur la signification de ce limes, N. Benseddik est revenue sur l’identification d’un certain nombre de sites comme des établissements militaires, situation peu compatible avec les moyens disponibles, ce qui l’a conduite à contester l’image d’un paysage archéologique maurétanien qui “n’est que postes, tours, fortins, forteresses”. Alors que l’on s’attendait à retrouver dans ce secteur un peuplement militaire, la mention de populi noui ex Africa sur une inscription datée des années 202-204 à Saneg (Vsinaza), 10 km à l’est de Ksar el

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © Boukhari, apportait la preuve de l’installation de populations civiles dans le Titteri sur la noua praetentura 296.

293 Gsell 1911, f°35, entre 207 et 208 p.C. 294 Salama 1976 ; Benseddik 1999. 295 Salama 1977, 581. 296 Benseddik 1992 (AE, 1995, 1791 = AE, 2002, 1707) : populis nouis ex Africa inlatis oppid[u]m Vsinazensem per P(ublium) Aelium Peregrinum proc(uratorem) (ducenarium) suum constituerunt. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 83

En 1883, dans son Voyage d’étude dans une partie de la Maurétanie césarienne, R. du Coudray de La Blanchère avait insisté sur l’importance du peuplement ancien de la partie située immédiatement au sud de l’Ouarsenis et des monts de Saïda qu’il avait parcourue. Cette région correspond au Sersou, une région de hautes terres (950 m d’altitude moyenne) de 100 km de longueur, 35 km de largeur à l’est et seulement 20 km à l’ouest qui fait transition entre les chaînes telliennes du Titteri et de l’Ouarsenis et les Hautes Plaines proprement dites, territoires à alfa. Les géographes y distinguent trois unités physiques : à l’est, le Sersou de Tiaret, un grand plan incliné vers le sud-est, au nord-est la cuvette de Tissemsilt (Vialar), une zone déprimée à 840 m dans les marnes miocènes et à l’est le Plateau du Sersou qui en est séparé par la vallée du Nahr Ouassel 297. La vallée de la Mina ouvre un passage aux pluies à travers la barrière montagneuse et la rend partiellement cultivable. Comprise à l’intérieur des isohyètes 500 et 400 mm, cette région se rattache au domaine semi-aride. Elle bénéficie des conditions beaucoup plus favorables que celles qui règnent sur l’immense région steppique qui s’étend au sud entre la Moulouya et le Hodna. En dehors de la région de Tiaret où subsistent des lambeaux de forêts de pins, le paysage végétal se caractérise par l’absence d’arbres. Nous avons vu que les conditions climatiques y permettaient la culture de la vigne. Les terres fortes des petits bassins marneux (dayas) de la zone de la cuvette de Tissemsilt qui bénéficient de l’apport des eaux du versant sud de l’Ouarsenis sont propices aux cultures de blé dur. P. Salama qui a prospecté la région confirme l’importance du peuplement antique. Il dit y avoir détecté une abondance de “vestiges d’installations agricoles : moulins, dolia, mortiers, auges, etc” 298. L. Leschi imaginait alors que sur “les plaines steppiques, qui étaient le domaine des pasteurs nomades [les Romains avaient] favorisé la culture des céréales], puis cultivé la vigne une fois érigée la barrière militaire dirigée contre le Sud et les nomades”. Cette affirmation était justifiée par la prière pour “de bonnes moissons et de bonnes vendanges” adressée à la Terre Mère sur une inscription d’Aïn Toukria. Dans la perspective de l’époque, ce ne pouvait être que la conséquence de mesures prises dans le cadre de la politique annonaire de Rome 299. Une vingtaine d’années après, P. Salama a publié une dédicace à Neptune (ou à un génie de l’eau) trouvée dans le même secteur. Elle est datée de 276-282 et il l’interprétait comme liée à un abreuvoir destiné aux troupeaux des nomades 300. Cette interprétation lui était inspirée par la manière dont l’administration coloniale avait traité les conflits dans l’usage des sources entre les colons et les transhumants. En effet au moment de l’arrivée des Français, le Sersou était occupé par des populations qui transhumaient des zones de cultures à leurs terres de parcours sur le plateau. C’était aussi le lieu d’estivage des Larba installés en hiver dans la région de Laghouat et des Saïd Atba dans celle de Ouargla. Pour éviter qu’ils traversent les terres des colons, des points d’eau avaient été aménagés 301

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © à leur intention . Par analogie, P. Salama avait vu dans la dédicace d’un aménagement

297 Perrin 1960. 298 Gsell 1911, f°23, n°20 ; Salama 1973, 341. 299 Cf. supra p. 61 et n. 197. 300 AE, 1973, 652 : [Neptuno ou Genio conser]uatori aquae incoluminitate imp(eratoris) Probi d(omini) n(ostri) (“À Neptune ou au Génie gardien de l’eau, pour la conservation de l’empereur Probus, notre Seigneur”). Gsell 1911, f°23, n° 27. Sur le limes de Césarienne, cf. Benseddik 1982, 60-62, 168. 301 Perrin 1960, 115 ; Salama 1973, 343. 84 Philippe Leveau

hydraulique un témoignage de “la matérialisation d’une politique de paix aux frontières, connue par ailleurs en Maurétanie Tingitane, et la préfiguration du système français fondé sur l’organisation rationnelle de l’achaba” 302. On peut tout aussi bien y voir plus simplement le témoignage de l’aménagement d’une fontaine pour la population locale, peut-être même en relation avec l’aqueduc qui alimentait l’agglomération romaine voisine. Dans le même contexte agro-pastoral, l’inscription rupestre du djebel Zireg gravée entre l’été 198 et l’année 201 sur l’ordre du légat Anicius Faustus au sud du Hodna mentionne des sources (fontes) en même temps que des champs (agri) et des pâturages (pascua) 303.

Territoire romain et limites d’aridité dans le Maghreb occidental En fondant sur des caractères physiques, climat et relief, la forte distinction qu’il établissait entre les Hautes Plaines algéro-oranaises et celles du Constantinois, J. Despois intervenait dans le débat qui avait opposé E.-F. Gautier et A. Bernard. Sans doute, observait- il, le limes ne correspond guère que sur le tiers de son trajet à une limite orographique et l’on ne pouvait, comme le voulait E.-F. Gautier, parler d’une “chaîne du limes”. Mais il se rangeait à son opinion et plaçait implicitement A. Bernard parmi les géographes qui ont “perdu de vue [cette distinction] au profit d’une division en bandes parallèles à la Méditerranée” 304. Ce constat lui servait à donner une justification physique à la forte unité historique du Maghreb oriental. En revanche, le constat était négatif pour l’Algérie occidentale : au-delà de la Mina, le domaine romain exclut les plateaux boisés qui dominent Tlemcen et les plaines de Sidi- bel-Abbès et de Mascara. Respectueux de celui qu’il qualifiait de “géohistorien du Maghreb, spirituel Maître et Maître spirituel” (sic) et attaché au paradigme d’un “Maghreb utile” protégé par une ligne de défense, P. Salama justifie cette exclusion par l’obstacle naturel qu’aurait constitué “la forêt, milieu rude infesté de fauves”, “allié géographique inattendu” contre laquelle les offensives nomades se seraient brisées 305. G. Picard qui connaissait l’article de J. Despois y fait référence dans sa présentation du site de Messaad-Castellum Dimidi. Pour lui, la position de ce site s’accorde à celle d’un “limes implanté à la limite géographique des terres occupées par l’agriculture de type méditerranéen, mais projetant dans le désert, comme des antennes, les routes gardées du pré-limes”. Il y voit une caractéristique de l’époque sévérienne et oppose cette conception à celle qui prévaut sous Gordien III, quand un “limes unique […] englobe toute l’étendue des territoires présahariens gagnés depuis un siècle par le blé et l’olivier” 306. De fait, le camp de Castellum Dimmidi apparaissait comme un appendice marquant l’extrême avancée militaire romaine près de 200 km au-delà de la noua praetentura. Implanté en 198 à 750 m au sud Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 302 Lehuraux 1931 ; Salama 1959. 303 AE, 1946, 38 ; Leschi 1948. Malheureusement le martelage de la pierre empêche de savoir s’il s’agissait de colons civils ou de vétérans, ce qui nous prive d’une donnée importante pour le débat. 304 Despois 1942, 210. A. Bernard privilégie bien le facteur climatique dans les divisions naturelles de l’Algérie (1929, 9). Mais il n’en souligne pas moins les “différences très marquées que l’on observe entre l’Algérie occidentale et l’Algérie orientale, le méridien d’Alger marquant à peu près la séparation entre l’une et l’autre” (Bernard 1929, 41). 305 Salama 1977, 579. 306 Picard 1949, 174. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 85

du massif saharien des Ouled Naïl par un détachement de la IIIe légion venu de Lambèse environ 350 km à l’est, il prolongeait vers l’ouest le limes de Numidie à l’extrémité méridionale d’un axe descendant d’El Gahra par Aïn-Errich au croisement de deux pistes, l’une venant de Djelfa, l’autre suivant le Bou Kahil qui limite à l’est les Monts des Oueld Naïl. De Messaad part une piste qui rejoint Laghouat, l’oued Djedi et l’itinéraire qui relia au Moyen Âge l’Ifrîqiya à Sijilmâsa au Maroc méridional (fig. 11) 307.

Fig. 11. Le Maghreb occidental au ixe siècle (extrait de Kennedy 2002, 57).

En 1942, concluant un article où il faisait le point sur les relations entre Rome et les nomades du Sahara central, L. Leschi présentait “les soldats de Messaad, Aïn Errich et El Gahra” comme des “sentinelles sur les chemins du Sahara” 308. Allant dans le même sens, P. Salama voyait dans Castellum Dimmidi la preuve d’un “grand dessin stratégique” qui se serait traduit par une poussée jusqu’au djebel Amour. Il l’envisageait dans les termes suivants : “Une fois surveillés les mouvements nomades dans la grande dépression centrale, elle aura

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © surtout donné les moyens de s’attaquer, tôt ou tard, aux montagnes, de part et d’autre de cette dépression” 309. Ce point de vue est repris par J.-M. Lassère qui voit dans le dispositif de la frontière une “ligne d’arrêt doublée d’avant postes destinés à observer les mouvements

307 Talbi 1968 ; Meouak 2009. 308 Leschi 1942 = 1957, 72. 309 Salama 1991, 105. 86 Philippe Leveau

des nomades, voire à arrêter ou dissocier leurs caravanes” 310, dans “des étendues vides où les nomades déplaçaient leurs troupeaux”, “une étendue plate et dénudée… [où] une déforestation séculaire par les troupeaux semble avoir été sévère” 311. Mais, comme le souligne J. France, “le problème est qu’il n’est pas établi que cette vue d’ensemble, qui suppose une pensée stratégique à grande échelle (grand strategy), ait été celle de l’État romain, faute des moyens nécessaires (effectifs, communications, connaissances géographiques, etc.) et faute surtout d’une préoccupation en ce sens” 312. Les prospections aériennes des années 1940 qui ont porté sur le sud de l’Aurès se sont arrêtées à l’ouest du Hodna en laissant de côté la partie de la Numidie qui va jusqu’aux Ouled Naïl et toute la partie qui s’étend au sud de la Césarienne. Depuis, deux publications épigraphiques modifient sensiblement la représentation que l’on avait de l’appendice constitué par Castellum Dimmidi. Le premier est un fragment épigraphique datable de la fin de l’époque sévérienne qui contribue à combler le vide documentaire entre le bassin d’Aïn Errich-Aïn Mellah chez les Ouled Naïl et les sites militaires du piémont aurasien 313. Oum el Grad, le site de découverte, se trouve sur le versant oriental des Monts des Ouled Naïl, au pied du djebel Bou Kahil, sur un itinéraire reliant Aïn Errich à Ouled Djellal, 69 km au sud-ouest de , le point le plus occidental de la zone étudiée par J. Baradez. La seconde est une inscription commémorant une victoire remportée par Caius Octavius Pudens le procurateur de Maurétanie Césarienne en 198-199 sur les Bavares 314. Le lieu de découverte est situé 5 km au nord-ouest d’El Bayadh (ex-Géryville), une soixantaine de kilomètres au sud-ouest d’El Agueneb où un décurion de la IIIe légion Auguste fit graver en 174 une dédicace à un Genius Thasuni et à un dieu ou une déesse anonyme en remerciement de l’accomplissement d’un vœu 315. Cette inscription est totalement excentrée et sans parallèle connu. Son interprétation a suscité de récentes controverses. Sur le plan militaire, la composition du détachement conduit à écarter l’hypothèse d’une uexillatio. Il s’agirait soit d’un raid relevant du renseignement militaire soit d’une opération de capture d’animaux sauvages – des lions – pour les jeux de l’amphithéâtre. Sur le plan administratif, le texte paraît rattacher le pied du djebel Amour à la Numidie, ce que contredit l’intervention du procurateur de Césarienne deux décennies plus tard 316.

Les Bavares des Hautes Plaines oranaises L’inscription d’El Bayadh constitue désormais la plus ancienne mention d’un peuple dont le nom apparaissait jusqu’ici pour la première fois quelques années plus tard sous le

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 310 Lassère 2015, 178. 311 Lassère 2015, 484. 312 France 2014a, 28. 313 Faure & Leveau 2015. 314 Drici 2015 ; Benseddik & Laporte 2016 : Ioui Optim(o) Max(imo), / et dis fautorib(us) / uotum, / C. Octauius Pudens / proc(urator) Seueri / Aug(usti), / Bauarib(us) caesis, captis/que (“À Jupiter Optimus Maximus et aux dieux fautores. Caius Octavius Pudens, procurateur de l’empereur Sévère, des Bavares ayant été tués et capturés”). 315 CIL, VIII, 21567 = AE, 2011, 1782 et 1783 ; Morizot 2015. 316 Hamdoune 2012, longuement critiquée par Le Bohec 2015, du point de vue de l’épigraphie militaire. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 87

règne d’Alexandre Sévère (222-235) sur l’autel de la paix de . Ils y étaient associés aux Baquates que l’on place dans la trouée de Taza et le Rif oriental 317. Leur nom apparaissait par la suite sur des inscriptions plus tardives mentionnant des victoires romaines remportées beaucoup plus au nord dans l’Atlas tellien entre la frontière marocaine et la région de Sétif. De ce fait, G. Camps avait distingué entre deux fractions Bavares, des Bavares orientaux dans les Babors et des Bavares occidentaux dans les monts de Traras, du Dahra et de l’Ouarsenis 318. Sur une inscription datée de 290-292, Aurelius Litua a fait ériger à Caesarea à son retour d’une expédition un autel où il remercie les dieux pour une victoire remportée sur des Bavares. Ceux-ci sont désignés comme Babari Transtagnenses, c’est-à-dire “par-delà les marais” 319, ce qui les localise au sud de la longue ligne des chotts qui occupent la partie médiane des Hautes Plaines algéro-oranaises. En elle-même, cette indication est imprécise. En effet sur près de 700 km depuis le piémont du Moyen Atlas jusqu’aux Zahrez à l’est du Hodna, le centre de ces Hautes Plaines est occupé par les bassins fermés des chotts dont l’alimentation principale est assurée par les oueds qui descendent du versant nord de l’Atlas saharien. Le plus vaste, le Chott Chergui, est une énorme dépression de 150 km de long que le seuil du Kreider sépare en deux bassins. Mais plus à l’ouest encore, des dépressions de même nature existent de part et d’autre de la frontière marocaine : à l’est, le Gufait qui a été capté par l’oued Za et drainé vers la Moulouya, à l’ouest le chott Tigri. Selon C. Hamdoune, cette référence aux chotts se retrouverait dans l’inscription de Khemis Miliana (ex-Affreville) (Zucchabar) qui commémore la victoire remportée par Aelius Aelianus une dizaine d’années plus tôt (278-280) sur des Bauares Mesegne«n»ses, qu’elle interprète en Mes(sta)gnenses c’est-à-dire “au milieu des marais” 320. Ces deux fractions des Bavares se situeraient dans la partie sud- ouest des Hautes Plaines algéro-oranaises et seraient voisins des Baquates que l’on s’accorde à situer dans l’ouest de la Tingitane. C’est la solution qu’avait proposée M. Rachet 321. S. Drici interprétait la confrontation entre l’armée romaine et les Bavares comme un conflit routier portant sur le contrôle des pistes contournant les chotts vers le sud. Il serait d’une nature proche de celui qui a suscité la révolte de Tacfarinas près de deux siècles plus tôt 322. C. Octavius Pudens qui est connu pour des travaux routiers dans la noua praetentura aurait établi une liaison vers Dimmidi où précisément à la même époque la IIIe Légion implantait un castellum. Celui-ci était atteint par une route qui traversait les Hautes Plaines oranaises en passant entre les chotts Gharbi et Cherghi et en suivant le piémont de djebel

317 Camps 1991 ; AE, 1942-1943, 54 = IAM, II, 482. Hamdoune 1993, 241-289. Les autels de Volubilis (IAM, II, 360 et 361) commémorent l’établissement et le renouvellement de la paix entre Rome et les Baquates en 277 et 280. 318 Camps 1991b. C. Hamdoune suggère que cette localisation était liée au poids des idées de C. Courtois

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © (cf. supra). C’est possible pour le premier article (Camps 1955). Mais quand il a rédigé l’article “Bavares” de l’Encyclopédie Berbère (Camps 1991), elles avaient été depuis longtemps critiquées. Une localisation dans l’Atlas saharien qu’aucun document ne justifiait alors s’accorde avec les idées qu’il professait sur le peuplement des marges du Maghreb. 319 CIL, VIII, 9324 = D. 628. 320 Hamdoune 2018. CIL, VIII, 21486 = D. 4495 (ob prostratam gentem Bauarum Mesgneitisium). Elle suggère une mauvaise lecture de IT pour N, ce qui donnerait Mesegnenses. S. Gsell qui a vu la pierre identifiait une ligature i et t. Purgold lisait Mesegneistium. 321 Rachet 1970, 184. 322 Lassère 1982, 13, 25. 88 Philippe Leveau

Amour selon un itinéraire pressenti par R. du Coudray de La Blanchère et par G. Picard. El Bayadh se trouve à environ 180 km au sud de Tiaret. A. Joly, l’informateur de S. Gsell pour les cartes de la partie sud de l’Atlas Archéologique, fait passer par Tamentit une “piste arabe” reliant Frenda à El Bayadh qu’il suppose être l’itinéraire romain 323. Elle correspond au tracé de la route médiévale qui va de Tahert vers le sud et rejoint l’itinéraire conduisant à Sijilmâsa (cf. fig. 11 p. 85). Ce site se trouve 35 km à l’ouest d’El Ousseukh, actuel Aïn Deheb, par où passe la route reliant actuellement Tiaret à El Bayadh. Sur cet itinéraire, le seul site présumé romain connu est une construction carrée en pierres de taille que R. M. du Condray de La Blanchère avait signalée à El Khadra à la pointe la plus méridionale du chott Ech-Chergui, au sud-est du seuil du Kreider. Mais sa fonction militaire est incertaine 324.

Le peuplement des massifs occidentaux de l’Atlas saharien : des Monts des Ouled Naïl aux Monts des Ksour C. Hamdoune comme N. Benseddik et J.-P. Laporte attirent l’attention sur le djebel Amour au pied duquel les deux inscriptions d’El Bayadh et d’El Agueneb ont été trouvées. Ce massif dont A. Bernard écrivait qu’il était “à certains égards un Tell du Sud” et les Monts des Ksour dans son prolongement occidental sont restés en dehors des feuilles de l’Atlas Archéologique de l’Algérie. Larges d’une cinquantaine de kilomètres, ils s’allongent d’ouest en est depuis la frontière algéro-marocaine sur plus de 350 km entre les Hautes Plaines steppiques dont l’altitude avoisine 1000 m et au sud une bordure méridionale plus basse, plus chaude et plus sèche faisant une transition avec le piémont saharien désertique. Le premier culmine à 2336 m au djebel Aïssa et le second à 2008 m. Les gravures rupestres néolithiques et les nombreuses sépultures préislamiques qui y ont été recensées témoignent des possibilités qu’ils ont offertes pour un peuplement sédentaire à une époque où ces régions bénéficiaient d’un climat dont la faune représentée montre qu’il était plus humide qu’aujourd’hui. Actuellement mieux arrosés que les plaines qu’ils dominent, ils reçoivent environ 300 mm pour les premiers et plus de 400 mm pour les seconds, ce qui y a permis le maintien de forêts de pins d’Alep, de genévriers et de thuyas. Les hivers y sont parfois rigoureux et ils peuvent bénéficier d’une couverture neigeuse persistante. Des sources alimentées de manière pérenne par les eaux emmagasinées dans des formations gréseuses assuraient la présence d’agriculteurs sédentaires groupés en villages, les ksour. Comme dans les Aurès (cf. fig. 3), une vie rurale fondée sur le jardinage, la culture des céréales, une petite arboriculture et un élevage partiellement transhumant s’y est développée. Ces massifs sont moins liés à leur avant-pays steppique septentrional qu’à leur piémont saharien où leurs troupeaux transhument pendant l’hiver et au printemps. Au moment de l’installation de l’autorité française dans la région au xixe siècle, les villageois des Monts des Ksour et ceux

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © des Ouled Naïl conduisaient leurs troupeaux l’hiver vers des pâturages dans le pays des Daïa et vers les hamadas (pâturages) du Grand Erg Occidental 325.

323 Gsell 1911, f°44 (El Ousseukh), n°15. 324 Coudray de La Blanchère 1883, 74 ; Cagnat 1912, 666 ; Benseddik 1982, 182 et 186. 325 Bisson & Callot 1986. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 89

Ces massifs et leur piémont saharien ainsi que les Hautes Plaines qui les précèdent au nord sont riches en sépultures, dolmens, tumulus et bazinas 326, qui témoignent de l’importance de leur peuplement durant les époques préislamiques. Ces tombes ont rarement été fouillées et sont mal datées. Mais un programme de recherches porte sur celles de la région de l’oued M’zi où ils sont nombreux aux abords de l’oued et sur les sommets 327. Si le mégalithisme doit probablement être daté de l’âge du Bronze et plutôt de sa période ultime, il en va autrement des bazinas qui ne relèvent pas du même phénomène culturel. La présence de sept ou huit d’entre elles à l’intérieur du camp de Sadouri dans l’Aurès dont l’abandon donne un terminus a quo, témoigne de la longue durée de ces constructions circulaires dépourvues de caractère mégalithique 328. On a retenu de la publication de Castellum Dimmidi, la contribution de G. Picard à l’histoire militaire de la Numidie. Mais un premier chapitre intitulé “Dimmidi, village berbère” comportait des développements que l’on doit relire avec l’éclairage qu’apportent les travaux dont le prédésert de Tripolitaine a fait l’objet. Il avait effectué sur certains d’entre eux des prospections qui ouvraient des pistes 329. Reprenant des observations de R. Cagnat et celles de S. Gsell qui déjà, dans le commentaire de la feuille Aïn Rich (47) de l’Atlas archéologique, relevait celle de villages habités par des sédentaires, il suggérait l’existence d’agglomérations indigènes (qualifiée de castella) à l’intérieur du massif, au-delà du domaine militairement contrôlé par l’armée. Ce domaine s’étendait jusqu’à l’oasis de Laghouat sur l’oued Djedi 330. Plus massif que ses voisins, le djebel Amour s’en différenciait par une dimension de montagne pastorale malgré l’absence des pâturages de l’étage subalpin 331. Dans l’attente d’une prospection qu’appellent de leurs vœux tous ceux qui se sont intéressés au dossier, P. Morizot lui avait consacré une étude où il confrontait ses propres observations sur l’examen de photos aériennes, la mention de “ruines romaines” sur la carte INC 1951 au 1/50 000, aux observations de J. Despois qui a visité le massif dans les années 1950 et l’analyse d’images satellitaires par un géologue néerlandais 332. Il en ressort deux conclusions. La première est qu’il n’existe dans le massif ou à proximité de celui-ci aucun site qui corresponde à un établissement militaire romain. La seconde est l’importance d’un patrimoine archéologique qui inclut la période romaine 333. On retiendra l’existence présumée de “Ruines romaines” dans la vallée de l’oued Mzi, haute vallée de l’oued Djedi, qui prend ce nom à l’aval de Laghouat après sa convergence avec l’oued Messaad. Ce grand oued suit la faille qui court au sud de l’Atlas saharien en décrivant vers l’est une courbe qui aboutit au-delà de Biskra dans le chott Melghir. Il a été assimilé au Nigris flumen, dont Pline l’Ancien précise qu’il

326 Sur le sens à donner à ce terme, cf. la mise au point de Camps 1991c.

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 327 Sahed 2016. 328 Camps 1995, 31. S. Gsell avait commis une erreur en datant des monuments mégalithiques à partir d’un matériel qui témoigne du remploi de certaines de ces sépultures (Camps 1961, 421-444). 329 Seule une bonne connaissance des céramiques locales permettra de se prononcer sur leur périodes d’occupation. Sur le peuplement : Lawless 1973. 330 Picard 1949, 63-65 (plus particulièrement n. 53). 331 Despois 1957, 116. 332 Voûte 1990. 333 Morizot 1999 : P. Morizot, qui a revu le dossier avec un soin particulier, rappelle que le général qui signale le premier l’inscription a fait réaliser un sondage à proximité et que celui-ci a été négatif. 90 Philippe Leveau

sépare les Gétules des Éthiopiens (flumen Nigris, qui Africam ab Aethiopia dirimit) 334. On hésite sur le nom des peuples qui occupaient ces marges. S. Gsell supposait que c’étaient les Abbanae ou Abanni et les Caprarienses qu’Ammien Marcellin “place en 374 dans une région montagneuse, très écartée et rendue inaccessible par des rochers déchiquetés, non loin d’un peuple éthiopien” 335. J. Desanges s’était plus engagé en plaçant ces peuples dans les monts des Ouled Naïl ou plus à l’ouest encore dans le djebel Amour. Mais C. Courtois pensait plutôt au Hodna 336. C. Hamdoune range les Bavares parmi les peuples qu’Y. Modéran identifie comme des “Maures du deuxième cercle”. L’autel de la paix de Volubilis érigé entre 222-235 337 “traduirait les conséquences d’une remontée temporaire de pasteurs depuis le Tafilalet jusqu’à la Moulouya”. Ce mouvement aurait conduit les Bavares du piémont sud-ouest du Haut Atlas au-delà du massif de Tendrara dans la Dahra marocaine sur le piémont méridional du Moyen Atlas. Ils “auraient temporairement débordé les Baquates chargés d’assurer la sécurité des relations et le contrôle des mouvements de population dans les territoires excentrés à l’est et au sud-est de la province de la Tingitane” 338. Les Bavares occuperaient donc la partie orientale des Hautes Plaines oranaises. De ce fait, les stagna au-delà desquels l’inscription de Caesarea invite à les placer ne seraient pas les chotts El Garbi et Ech Chergui, mais le Tigri, le plus occidental d’entre eux. Cette localisation plus à l’ouest vers la Moulouya résoudrait une difficulté. Lors d’une visite sur les lieux de découverte du texte du remerciement adressé aux dieux par C. Octavius Pudens, N. Benseddik n’a pu que constater les traces de la destruction moderne du bâtiment où il se trouvait, ce qui empêche d’en connaître la nature. “Le site était encore parsemé de pierres de taille et de moellons provenant de la démolition d’un édifice antique dans lequel la dédicace pouvait avoir été scellée”. Il est en effet peu vraisemblable qu’un monument célébrant une victoire ait été érigé sur le territoire du peuple vaincu. Si cela avait été le cas, l’armée romaine partie, ce peuple aurait fait disparaître la preuve de son humiliation. Le combat que commémore le texte d’El Bayadh aurait plutôt conclu une poursuite par l’armée romaine de Bavares lors d’une opération analogue à celles menées contre les Maures au lendemain de l’annexion du royaume de Juba. El Bayadh se serait donc trouvé sur un territoire contrôlé par Rome soit directement soit indirectement par un peuple allié 339. N. Benseddik et J.-P. Laporte relevaient qu’une présence romaine était déjà attestée par une inscription en grande partie effacée aperçue lors de la fondation de Géryville. Ce texte avait suscité la perplexité d’E. Cat qui écrivait à son propos : “Il est vraisemblable que les maçons romains ont pu aller construire quelque maison pour un chef indigène établi à Geryville comme font nos maçons français dans certaines contrées Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 334 Thèse admise par J. Desanges en commentaire à Plin., Nat., 5.31 (Desanges 1980, 346-349 et 461), mais rejetée par Picard 1947, 22-31 ; Desanges 1999, 33. 335 Amm. Marc. 29.5.34 et 37 ; Desanges 1962, 49. 336 Courtois 1955, 120. 337 IAM, II, 402. 338 Hamdoune 2018, 75-76. 339 Cette bataille, très éloignée des camps du limes, peut être rapprochée de celle dont témoigne le champ de bataille du Harzhorn, près de Kalefeld (Basse Saxe) au cœur de la Germanie en 235 p.C. (Geschwinde & Lönne 2015). Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 91

du sud que nous n’occupons pas complètement” 340. Trouvé à l’emplacement d’une fontaine probablement près de l’Aïn El Mahboula, ce texte qui peut être un remploi correspondrait à un aménagement hydraulique susceptible d’une interprétation analogue à celle proposée par P. Salama pour la dédicace d’Aïn Toukria 341. Là encore se pose la question du mode de vie des populations de ce secteur. N. Benseddik et J.-P. Laporte voient en elles des sédentaires là où S. Drici pense à des nomades. Mais comme il est expliqué plus haut, c’est un problème de mot : des ksouriens transhument et dans la définition qu’en donne J. Despois, ils sont semi-nomades. Mais ils le sont en partie seulement, car l’appréciation du degré de mobilité est liée à l’évaluation des conditions que le milieu leur offrait il y a deux millénaires. Reprenant le dossier, C. Hamdoune les met en relation avec l’évolution environnementale : “la région des Hautes Plaines et du djebel Amour a dû faire face à une dégradation des conditions de vie des populations agro-pastorales sédentarisées conduites alors à accroître leur pression sur le Tell pour s’y fixer” 342. Dans les premiers temps de la conquête, les steppes algéro-oranaises, pays de pasteurs et d’éleveurs, étaient appelées le Petit-Désert et étaient considérées comme appartenant au Sahara 343. R. du Coudray de La Blanchère écrivait à leur propos : “c’est une steppe, un désert fort peu différent de celui du sud, tandis qu’autrefois elle était peuplée, cultivée et semblable au bon pays situé plus au nord” 344. Cette affirmation s’appuyait sur les traces de peuplement qu’il avait observées, mais dont on présume qu’elles remontent aux périodes protohistoriques.

Les peuples gétules des Hautes Plaines algéro-marocaines À la suite d’un réexamen de la documentation écrite disponible, C. Hamdoune voit dans le terme Bauares “un ethnique générique appliqué à une natio gétule, c’est-à-dire des groupes qui ne se reconnaissent pas dans les structures étatiques de la province, vivant dans des régions prédésertiques depuis le Tafilalet marocain jusqu’au Hodna” 345. Elle les range parmi “les gentiles admis dans la province [qui] s’engageaient à servir l’Empire, en fournissant des troupes”. Les descendants de leurs chefs seraient les bâtisseurs des Djeddars, monuments funéraires situés dans la région de Frenda, trente kilomètres au sud-ouest de Tiaret dans la haute vallée de la Mina. Ce sont treize monuments séparés en deux ensembles, dix à Ternaten sur le djebel Araoui et trois au djebel Lakhdar. Les plus anciens seraient les tombeaux familiaux de chefs locaux et les plus récents ceux d’une véritable dynastie. Après de départ des troupes romaines, le Sersou fut entre le ve et le viie siècle le centre d’un royaume berbère qui précéda le royaume ibadite des Rostemides (viiie-ixe siècles) dont la capitale était Tahert. Ainsi, dans un vaste ensemble territorial s’étendant sur les Hautes Plaines algéro-oranaises, de l’Atlas tellien à l’Atlas saharien, un “district frontalier de l’Empire romain, dont la défense est confiée à des gentiles bavares [aurait donné naissance à] un Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © royaume maure complètement indépendant”.

340 CIL, VIII, 9739 ; Cat 1891, 230. 341 Cf. supra p. 89. 342 Hamdoune 2018, 76. 343 Bernard 1929, 53-54. 344 Coudray de La Blanchère 1883, 75. 345 Hamdoune 2018, 76. 92 Philippe Leveau

Pour l’heure, deux conclusions ressortent des travaux des auteurs qui se sont intéressés à l’inscription d’El Bayadh. Le premier acquis est ce qu’en tirent N. Benseddik et J.-P. Laporte. Le piémont de l’Atlas saharien occidental a fait l’objet à l’époque sévérienne d’une occupation militaire qui ne s’est pas limitée à la partie orientale des Monts des Ouled Naïl. Cela confirme l’affirmation de R. Rebuffat selon lequel “il faut renoncer à l’idée qu’une barrière aurait été érigée, au-delà de laquelle ne se serait trouvé qu’un monde hostile et dangereux. Au-delà des défenses fixes, l’armée contrôlait un vaste glacis” 346. Cela fait d’El Bayadh un équivalent de Messaad dans une région qui avait appartenu au royaume de Juba II dont les Romains se posaient en successeurs. Envisagées en termes de pouvoir plutôt que de stratégie, ces “appendices” ne sont que la traduction de la relation avec les gentes qui se perpétue de l’époque royale à celle de Rome 347. Aux marges de la Numidie et des Maurétanies, les limites territoriales traduisent des relations de vassalité avec le lointain pouvoir romain. Elles fluctuent avec elles comme J.-M. Lassère l’a montré pour les royaumes indigènes intégrés dans l’Empire, ce qui fut le cas de la Maurétanie sous Claude 348. Si leurs rois avaient fait allégeance, ils pouvaient être considérés comme appartenant à un Empire dont les limites étaient alors celles des espaces sur lesquels eux-mêmes exerçaient leur autorité. R. Cagnat rangeait déjà ces régions parmi celles “que l’Empire aimait à compter officiellement parmi ses possessions, qu’il avait fait visiter en courant par ses troupes, au moins au iie siècle, mais où l’on n’a point trouvé les traces d’une suzeraineté fortement établie” 349. L’essentiel réside dans la relation que les princes maures qui étendaient leur pouvoir sur la région avaient avec le pouvoir romain. À ce titre, C. Hamdoune considère qu’il faut supprimer un hiatus entre les deux Maurétanies incompatible avec la conception romaine de l’imperium : même si la région n’était pas quadrillée et directement contrôlée, elle restait sous la souveraineté de Rome et les principes en reconnaissaient formellement l’autorité 350. Cette hypothèse s’accorde parfaitement avec les observations sur le contrôle romain qu’avaient inspirées à M. Euzennat les fouilles du Bou Hellou sur l’itinéraire reliant la Tingitane à la Césarienne par la trouée de Taza 351. La seconde conclusion porte sur l’ancienneté de la présence militaire romaine dans la partie occidentale de la Maurétanie. Traitant des débuts du règne de Claude, Cassius Dion rapporte que pendant les opérations militaires contre les Maures qui avaient suivi la guerre contre Aedemon, Suetonius Paulinus fit des incursions jusque dans l’Atlas et que Cn. Hosidius Geta, son successeur, poursuivit et vainquit Salabos leur chef (strategos) dans des régions sablonneuses (ta psammôdé) 352. Pline a consacré à l’opération conduite par Suetonius Paulinus un long développement qui fait débat 353. Après dix jours de marche, il aurait dépassé l’Atlas et atteint le fleuve Ger à proximité duquel il place les Canarii. Sans Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © 346 Rebuffat 1982, 508 ; Rebuffat 1999, 273-276. 347 Rebuffat 1999, 273-276. 348 Lassère 2001. 349 Cagnat 1912, 666. 350 Hamdoune 2018, 72-73. Elle l’explique par l’interprétation que M. Lemosse donnait des documents de Volubilis. Sur le dossier, cf. Brahimi 2007, avec liste des inscriptions. 351 Euzennat 1978. 352 D.C. 60.9. 353 Plin., Nat., 5.14-15. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 93

se prononcer avec certitude sur l’itinéraire suivi, J. Desanges admet que cet hydronyme qui en libyco-berbère signifie “rivière” serait l’oued Guir 354. Cet oued qui prend sa source dans le Moyen Atlas marocain rejoint le Sud-Ouest algérien où il porte le nom d’oued Saoura. Son bassin supérieur se trouve dans une zone climatique d’influence saharienne où les précipitations annuelles moyennes liées à des flux du nord-ouest et surtout du sud-ouest oscillent entre 220 et 120 mm. Elles tombent à l’automne et en hiver. J. Desanges a supposé que, compte tenu de la chaleur, l’opération eut lieu en hiver. Mais des orages éclatent l’été 355 et c’est plutôt à l’un d’eux qu’il faut attribuer la pluie miraculeuse qui sauva de la soif l’armée d’Hosidius Geta.

Conclusions Pour conclure, il faut d’abord récapituler les constats qui ressortent de l’historique de la question. L’hypothèse d’une stabilité générale des conditions climatiques dans l’ensemble du Maghreb durant les derniers millénaires faisait suite à un siècle de débats qui avaient vu la mise en place de la conception actuelle de variations climatiques inscrites dans la longue durée, ce qui excluait celle de changements climatiques radicaux durant les deux derniers millénaires et permettait de reporter les conditions climatiques actuelles sur la période antique. Cette stabilité du milieu offrait l’autre possibilité d’y retrouver les genres de vie résultant de l’adaptation d’une société aux conditions offertes par un milieu, une idée- force de la géographie vidalienne. Les usages qu’en faisaient les sociétés étaient considérés comme un facteur décisif dans le processus de conservation ou de dégradation du milieu et, dans ce cas, comme la cause de la désertification des steppes et de l’érosion accélérée des montagnes. Dans ce contexte, une climatologie historique avait construit l’image d’un “optimum climatique romain” auquel était associée une utilisation optimale des capacités de production que l’excellence de la gestion de l’eau définissant une “civilisation rurale présaharienne” assurait dans les marges semi-arides et arides du Maghreb. Cette représentation de la période antique a été remise en question dans la seconde moitié du xxe siècle. L’apport des nouvelles techniques de datation qui ont rapproché les échelles de temps de l’histoire des sociétés et de l’environnement et la multiplication des études géomorphologiques et paléoécologiques ont rendu sa place à l’idée d’une évolution du climat. La palynologie montre que dans “le passé, sans intervention humaine notable, à chaque période aride correspond une extension spectaculaire de la steppe” 356. Dans la région de Tébessa, “le climat intervient comme facteur de désertification par son fonctionnement ‘normal’ qui met en jeu d’incessantes fluctuations humides/sèches” 357. La période antique qui était un simple moment dans la longue durée de l’Holocène devait la place qui lui était Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © attribuée à l’existence de sources écrites documentant des données maintenant ravalées au statut de simples data parmi d’autres. En même temps, des géographes ont mis en évidence

354 Desanges 1980, 138-139. 355 Dans le régime subtropical, des pluies orageuses ne sont pas exclues pendant l’été (comme des sécheresses hivernales) : Hufty 2001, 343 ; Aït Hssaine 2014. 356 Rouvillois-Brigol 1985. 357 Chabin 1993, 10. 94 Philippe Leveau

le poids de la situation coloniale sur les travaux de leurs prédécesseurs et sur ceux des historiens avec lesquels ils collaboraient. Par la dénonciation du préjugé décliniste qui pesait sur l’histoire du Maghreb post-romain, les études postcoloniales ont aidé à libérer l’Afrique du Nord d’un mythique miracle romain. Une réévaluation des techniques d’exploitation dites vernaculaires du milieu dont c’est l’une des conséquences conduit à rompre avec l’opposition entre nomades et sédentaires érigée en paradigme par la géographie vidalienne. L’abandon de l’emploi des limites d’aridité pour décrire l’extension de la domination romaine change le regard de l’historien sur les marges méridionales du Maghreb. Ce fait avait déjà été démontré pour leur partie orientale. Une approche identique méritait d’être appliquée à leur partie occidentale. La conclusion qui s’impose est que les géographes qui considèrent que le climat de l’Antiquité était analogue au climat actuel n’ont ni tort ni raison. Leur position appartient à un état de la science antérieur à la constitution de la climatologie actuelle. Dans une région à la limite entre deux zones climatiques, des modifications minimes dans la circulation atmosphérique ont pu avoir des effets considérables sur les climats régionaux. Un “effet papillon” explique que les conditions observées actuellement diffèrent sensiblement de celles que ces géographes ont décrites il y a un siècle. De ce fait, des données textuelles et archéologiques peuvent sans doute être utilisées comme proxies data dans les restitutions du climat ; mais c’est à condition de prendre en considération l’inventivité de sociétés qui ont su adapter leurs techniques agricoles et pastorales aux milieux locaux et même adapter ce milieu pour qu’il réponde à leurs besoins. Le Walls and Floodwater Farming, la “culture sèche” (dont le dry farming est une variante moderne) et la transhumance pastorale en donnent d’excellents exemples. Dans tous les cas envisagés ici, le dossier peut être rouvert à partir des données nouvelles apportées principalement par des archéologues qui établissent l’existence de cultures dans des zones d’où elles ont été par la suite exclues. L’olivier dans le Constantinois, la vigne dans le Sersou en ont fourni des exemples. Dans ce dernier cas, l’épigraphie apporte sa contribution. Mais la confirmation d’éventuelles modifications régionales dans la répartition saisonnière des précipitations et dans les moyennes et maxima thermiques demande la participation d’autres études. Ainsi, les paléobotanistes nous expliqueront peut-être demain que des espèces d’oliviers et de vignes avaient été adaptées à ces milieux. Au-delà de ce que l’historiographie nous apprend sur la construction mémorielle d’un Maghreb romain restitué comme le rêve d’un Maghreb français, la prise en considération de la dimension idéologique de ce projet scientifique doit nous mettre en garde contre la tentation d’y rechercher des leçons dans la gestion des environnements en relisant l’histoire des relations entre les sociétés maghrébines et le climat sous la pression des inquiétudes Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions novembre 2018 : embargo de 2 ans Éléments sous droit d’auteur - © que suscitent la vulnérabilité des sociétés développées et de la politisation du message de changement climatique. Climat, sociétés et environnement aux marges sahariennes du Maghreb médiéval 95

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