Pour Que Le Visage Hideux De La Guerre Ne S'efface Pas…
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14 15 DIE WARTE DIE WARTE PERSPECTIVES PERSPECTIVES La littérature de la guerre1914-1918 Pour que le visagehideux de la guerre ne s’effacepas… Entrée au PanthéondeMauriceGenevoix et de «ceux de 14» par Robert Wilmes La guerre 14-18, la Grande Guerre, occupe encore, malgré le recul d’un siècle, une place de choix dans la littérature contemporaine, grâce àquatre auteurs qui l’ont eux-mêmes éprouvée dans leur âme et dans leur chair: Henri Barbusse, Roland Dorgelès, Georges Duhamel et Maurice Genevoix. Leurs œuvres: Le Feu, Les Croix de Bois, La Vie des Martyrs,etCeux de 14 nous replongent dans un univers qui semble un instant dominé par le pire de l’homme, mais qui nous révèlent aussi, au comble de l’horreur, ses plus nobles vertus. enri Barbusse, né le 17 mai 1873 Duhamelattaque de frontune double quatre annéesdecombats, sortent vi- -UnBoche!cria quelqu’un. Et tous les àAsnières-sur-Seine,meurtle carrière scientifique et littéraire, vantsdes tranchées, vivants peut-être, nouveaux se bousculèrent pour H 30 août 1935 àMoscou. Poète, comme chercheurdans un labora- maiscertainementpas indemnes. regarder: c’était le premier qu’ils journaliste et romancier, il s’engage toire et comme chroniqueur au Mer- voyaient.»4 comme volontaire en 1914, malgré son cure de France.En1914, le docteur La mort s’approvisionneaussi dans les état de santé et ses convictions paci- Duhamelest mobilisé comme méde- hôpitaux de campagne, où elleattend L’attaque, avant, pendant fistes. Il participe aux combatsenpre- cinaide-major de deuxièmeclasse. Il patiemment son heure. Un grand mière ligne jusqu’en 1916, puis rédige témoigne des souffrancesendurées blesséqu’onytransporte les deux et après sur son lit d’hôpital Le Feu qui luivaut par les blessés et les amputés dans jambes broyées la regarde en faceavec Des deux côtésdufront,les états-ma- le Prix Goncourtdelamême année. deux ouvrages remarquables: Viedes un courage admirable.Ilmurmure jors sont convaincus que c’est pardes Le réalisme de sonrécit fait scandale Martyrs publié en 1917 et Civilisation. simplement: «C’est dur de mourir! attaquesmassives et répétées, baïon- àl’arrière, mais trouve beaucoup Ce dernier estcouronné parlePrix Allez! Allez! Je seraicourageux.»2 nette au canon,avançant àdécouvert d’assentiment dans la troupe et même Goncourt de 1918. contre desabris de mitrailleuses, que chez l’ennemi. Nombre de blessés graves préfèrent le destin de la guerresera changé. Le Le 7novembre 1918, à21heures, la délégation allemande envoyée par Berlin pour demander l’armistice arrive aux premières lignes françaises. Elle est reçue Maurice Genevoix, né le 29 novem- rencontrerlamort àl’abri des re- général en chefJoseph Joffre ne cesse par le capitaine Lhuillier qui la dirige sur Homblières où un repas frugal est servi aux parlementaires allemands dans le presbytère du village. Dans la nuit, la Roland Lecavelé, dit Roland Dorge- bre1890 àDécize,meurtle8sep- gards, commelesoldat Laviolette: de répéter: «Les Boches, je les gri- délégationallemanderejoint par train Rethondes, en forêt de Compiègne où le commandant interallié Foch l’attend. (Dessin de Georges Scott/Shutterstock) lès,néle15juin 1885 àAmiens, meurt tembre 1980 àXàbia (Espagne).En «(Il)s’est couché sur le ventre; il afer- gnote».Toutefois, àforce de vouloir le 18 mars1973 àParis. Jeune journa- août 1914, le normalien part àlaguerre mésacapote surses blessures, étroi- les grignoter, il envoie des milliers liste,ilfait partiedelajoyeuse bande comme lieutenant d’infanterie. Le 25 tement, farouchement, et il dit ‹non!›, d’hommesàla mort, un calvaire autour de Picasso,Jacob, Braque, avril 1915,ilest grièvement blesséà les dents serrées. Éloignez-vous, lais- décritpar HenriBarbusse: Apollinaire, Derain, Carco, et tant l’épaule gauche aux Éparges, sous sez-le… Lavioletteveut mourir seul. Il d’autresqui peuplentlevieux Mont- Verdun.Ilrestera infirmedubras cachesatêtedans son bras droit plié; «Chacun (deces hommes) sait qu’il va Et soudain, on sent quec’est fini.On nées de poils noirs, les traits noués d’un au moyendeson ceinturon rouge aété transforméenambulance et, de martre. Volontaire dans l’infanterie en gauche.Guéri, il regagne Paris où le sa main seule agonise par-dessus sa apporter sa tête,sapoitrine, son ven- voit, on entend,oncomprend que no- rictus immobile. Et là-bas… Mémasse d’allonger le tir. l’autrecôté d’unecloisonenplanches, 1914, il terminelaguerre dans l’avia- secrétaire de l’Ecole normalel’encou- tête, frissonnante dans une mouflede tre, son corps tout entier,tout nu, aux tre vague qui aroulé iciàtravers les décapité, Librondécapité, Raynaud qui nous sépare de la nef,onentend tion.Ilest démobilisé en 1919, le même rage àtémoignerde«sa guerre».Au lainebleue (…) Elle ne frissonne plus; fusils braquésd’avance, aux obus, aux barrages n’apas rencontré une vague tombé àplat ventre,latêteenbas,un «Secs, tragiques, des coups demauser les blessés gémir. jouroùparaissentses souvenirs de cours des annéessuivantes, il publie Lavioletteest mort.»3 grenadesaccumuléesetprêtes, et sur- égale et qu’on s’est replié ànotreve- éclatfiché dans le crâne,luisant et net claquèrent.Lesoldat s’était recouché, guerre Les Croixdebois ,son plus tour àtour: Sous Verdun (1916), Nuits toutàla méthodique et presque in- nue.Labataille humaineafondu de- comme un coindebûcheron. Et tou- touché peut-être… Anxieux, nous at- La cloche tinte, toutes les têtes s’incli- grand succès. Il rate le prixGoncourt de Guerre (1916), Au seuildes Au milieu de toutcecarnage, il arrive faillible mitrailleuse (...) àtout ce qui vant nous. Le mincerideaudedéfen- joursles mêmes flaquesjaunes,les tendions… Non, il n’était pas mort. nent.Ondirait que la prière les courbe d’une voix au profit de Àl’ombre des guitounes* (1918), La Boue (1921) et Les que la mort perde un peu de son hor- attend et se tait effroyablement là-bas, seurs s’est émiettédans les trous où mêmes épaves innommables,les L’homme se redressait,etlevant le bras tous,sous son coup de vent. (…) À jeunes filles en fleurs de Marcel Éparges (1921). En 1950,ilprésente reur en affichantunair bon enfant. (…)avantdetrouver les autres on les prendcomme desrats ou bien mêmes souillures, la même misère très haut ,ilagitaitsaceinture d’un chaque génuflexion du prêtre, on aper- Proust.Dorgelèsest membre de l’ensemble de ses souvenirs en un soldats qu’il faudra tuer(…). on lestue.Pas de résistance;duvide, poisseusetachée deboue, rongée de grand gesterouge.Encore unefois, les çoit sous la soutane ses molletières l'Académie Goncourtde1929 à1973. volumeintitulé Ceuxde14.C’est sa «On s’était battuenseptembre dans un grand vide.(…) etl’attente infinie boue. Et la pluie qui ruisselle là-des- Bochestirèrent. (…) Entre deux bor- bleues: c’estunbrancardier de chez probitédevant la réalité quifait de ce pays et tout le long de la route, les Malgrélapropagande dontonles tra- qui recommence.»5 sus; et les obus quitombent toujours, déesdetonnerre,lesoldatserelevait nous quiofficie. (…) Il n’yaplus rien Georges Duhamel, né le 30 juin 1884 à l’œuvredeMaurice Genevoix un des croixaugarde-à-vous,s’alignaient, vaille, ils ne sont pasexcités. Ils sont avecles mêmes sifflements, les mêmes toujours, sonfanion au poing et les dans cette église que deux bras de sol- Paris, meurt le 13 avril 1966àVal- plus fiables documentsdelaGrande pour nous voir défiler. au-dessus de toutemportementins- «Le feu tue»professait lecolonel chuintements,les mêmes explosions, balles ne le faisaientcoucher qu’un dat élevant le ciboire vers la Vierge aux mondois. Après ses études, Georges Guerre. Le présidentdelaRépu- tinctif. Ils ne sont pas ivres, ni maté- Pétain dansson coursàl’Ecolede les mêmes colonnes de fumées som- instant. Rouge! Rouge! répétait la bonnes mains en robe bleue piquées blique,Emmanuel Macron, aannoncé Prèsd’unruisseau, tout un cimetière riellement,nimoralement. C’esten Guerre. Mais le feudelaguerrenetue bres et les shrapnells quitintent là-bas, ceintureagitée. d’étoiles, un bouquetdepâquerettes à le 6novembre l’entrée au Panthéon était groupé; sur chaque croixflottait pleineconscience,comme en pleine pas avecune précision chirurgicale; il qui poursuivent depuis cinq jours, le ses pieds, Notre-Dame des Biffins.** l’an prochain de l’écrivainMaurice un petit drapeau et cela toutclaquant force et en pleine santé qu’ils se mas- déchiquette, il broie, il extirpe, il tran- long desroutesqui s’éloignent, les Maisnotre artillerieprise de folie con- Genevoix et, «à titrecollectif»,de donnait àcechamp de morts un air sentlà, poursejeterune fois de plus che. Le feuallemand qui s’abat sur les groupes chancelants des bles- tinuaitdetirer, comme si elle voulait Qu’implorons-nous de vous, sinon «ceux et celles de 14», afin de rendre joyeuxd’escadre en fête. (…) Autour dans cette espèce de rôle de fouim- soldatsdanslesecteurdes Éparges, sés…Cetteguerreest ignoble: J’ai été, les broyertous. Alorsl’homme se leva l’espoir, Notre-Dame des Biffins! (…) hommage à«l’armée victorieuse» de des fermes, au milieudes champs, on posé àtout homme par la folie du genre sous Verdun,est documentépar pendant quatre jours souillé de terre, tout droit,àdécouvert, et,d’ungrand Nous acceptons tout, nous acceptons la Grande Guerre. en voyait partout: un régimententier humain. MauriceGenevoix, leur lieutenant, de sang, de cervelle. J’aireçu àtravers geste fou,ilbrandit son fanion au-des- toutes les souffrances, mais laissez- avaitdûtomber là. Du haut du talus après une nuit d’épouvante: lafiguredes paquetsd’entrailles, et sur sus de sa tête,face auxfusils. Vingt nous vivre, rien que cela, vivre…Ou Au rendez-vous