Don Quichotte Ubu Roi Affreux, Bêtes Et Pédants
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Hamlet ou les âmes perdues d'après William Shakespeare Adaptation et mise en scène Jérémie Le Louët Création du 22 novembre au 2 décembre 2018 au Théâtre de Châtillon INTENTION Être moderne ne consiste pas à cher- “ cher quelque chose en dehors de tout ce qui a été fait. Il s’agit au contraire de coordonner tout ce que les âges précé- partitiondents nous ont apporté, pour faire voir comment notre siècle a accepté cet héritage et comment il en use. „ Gustave Moreau ’aime que cohabitent dans un les références, les incidences pour rendre compte de cet état même spectacle la tradition et d’incertitude, de cette grande confusion qui bride les énergies Jl’expérimentation, la grandi- en devenir. À l'instar d'Ubu roi ou de Don Quichotte, notre loquence et le réalisme le plus Hamlet revendique une forme fragmentaire, qui laisse trans- trivial, la moquerie satirique et paraître les traces de notre métier et le caractère artisanal de l’hommage vibrant, la tragédie la création théâtrale. Hommages et moqueries disent notre "Oeil" de MC Escher - 1946 classique et le canular. Mes choix embarras devant le formatage de tout. Mais de ce chaos peut de répertoire et de création sont toujours guidés par l’envie naître beaucoup d’espoir : la ferveur, le sens de l'humour, la de décloisonner les genres, de bousculer les codes, de contes- fantaisie et la révolte… ter la notion de format. "Tout ce qui est dans l'amour, dans le crime, dans la guerre Hamlet ou les âmes perdues s’inscrit dans ce processus de ou dans la folie, il faut que le théâtre nous le rende s'il veut travail, entre œuvre du répertoire, réécriture, montage et retrouver sa nécessité." narrations superposées. Antonin Artaud, Le théâtre et son double (1938) Pièce des pièces et classique des classiques, entre tradition, Les désespérés, les révoltés, les transgresseurs, les magni- expérimentation et confusion, Hamlet nous renvoie en plein fiques losers ont toujours animé mes spectacles. Ce sont visage notre héritage, le poids écrasant des anciens et le les meilleurs personnages. Ceux qui, éternellement, nous cynisme de notre époque. Quelle est notre place là-dedans ? permettent de mesurer nos pulsions, nos fantasmes et nos L’Histoire s’est-elle arrêtée avant même que nous n’ayons pu frustrations. Ceux qui interrogent la théâtralité par leur seule y jouer quelque rôle ? Il y a dans la jeunesse d’aujourd’hui, présence sur la scène. Et la question de la théâtralité est pour comme chez Hamlet, la nostalgie d’une époque non vécue. moi hautement politique puisqu’elle détermine l’ambition et Comment agir ? Pour quel passage à l’acte ? Faut-il tout liqui- le degré d’engagement des artistes dans leur action sur le plateau. der, tout vénérer ou rester à attendre sur le bord du chemin dans l’apathie la plus totale ? Comme décor, un Elseneur démoli, on ne sait par qui, avec accessoires et éléments scéniques éparpillés un peu partout, "Et je m’en allais bras dessus bras dessous avec les fictions disponibles pour n’importe quel caprice : un beau désordre d’un beau sujet. Car c’est un beau sujet !" bien calculé. Dispositif vidéo multiCam ostensible, avec Jules Laforgue, Hamlet (1887) acteurs cadreurs et surfaces de projection diverses. Les cos- tumes sont anachroniques et délibérément théâtraux. Tout Pour qui veut mettre en scèneHamlet aujourd’hui, la profu- se fait et se défait à vue, les coulisses faisant partie intégrante sion des sources à consulter est vertigineuse. Tout est archivé, du terrain de jeu. Sur le plateau, les artifices théâtraux sont comparé, collectionné et accessible. Dans cette bibliothèque revendiqués comme accessoires et comme signes : projec- de Babel que Jorge Luis Borges avait anticipée, l'expression teurs et caméras utilisés comme éléments scénographiques, neuve apparaît chimérique. Croulant chaises ou bancs pour les acteurs qui ne sont pas en jeu, Et sans doute, notre temps préfère sous le poids des différentes versions et portants pour les costumes, paravents, micros sur pied, “l’image à la chose, la copie à l’original, de leurs commentaires, la question de couronnes, capes, armures, revolvers, faux sang, machines à la régénération des idées, des pensées la représentation à la réalité, l’appa- fumée… Tout l'arsenal du faux pour faire plus vrai. et des formes s'impose à nous comme rence à l’être… Ce qui est sacré pour un sujet crucial. C'est aussi un défi Hamlet, personnage désenchanté, semble refuser le rôle que lui, ce n’est que l’illusion, mais ce qui pour les générations à venir. Nous ne son fantôme de père a choisi pour lui. Il aurait pu incarner, est profane, c’est la vérité. Mieux, le souhaitons pas monter la pièce dans la comme tant d’autres héros avant lui, la figure du vengeur sacré grandit à ses yeux à mesure que tradition du théâtre élisabéthain ni en mais Shakespeare - en homme de son temps - choisit un autre donner une version modernisée mais scénario. À nous d'écrire le nôtre. décroît la vérité et que l’illusion croît, si en faire éclater les sources, les échos, bien que le comble de l’illusion est aussi Jérémie Le Louët pour lui le comble du sacré. „ Feuerbach, L’Essence du christianisme(1841) ENTRETIEN Il faut détruire Hamlet. Ce qui est “ intéressant dans Shakespeare, c'est introspectionce qui n'est pas écrit. Je retraduis et je prends ce que Shakespeare s'est caché à lui-même, les signifiants et pas les signifiés, pour en faire un livret. Je coupe à la hache. „ Carmelo Bene Comment abordez-vous la question de l'adaptation de la souvent éprouvant pour les organismes, sera au cœur de pièce de Shakespeare ? ces temps à la table. Dans l’écriture du spectacle, au pla- Je souhaite être fidèle à la pièce et libre dans l’écriture du teau, nous créerons ensuite des brèches où nos mots se spectacle. Au stade du travail où j’en suis, toutes les traduc- mélangeront à ceux de Shakespeare. Puis nous aurons deux tions m’intéressent : vers rimés, vers libres, vers blancs, déca- mois de répétitions avec l’équipe artistique et technique, syllabes, alexandrins, prose poétique ou non… Cette multipli- de septembre à novembre 2018. Ce travail d’écriture mixte, cité des traductions rend très bien compte de l’évolution de entre classique et création, entre texte et improvisation, entre la pièce à travers les siècles, car bien des lecteurs ont enrichi citation théâtrale et expérimentation technique, nécessite Hamlet. Je trouve intéressant que l’on un temps de maturation très puisse retrouver, dans notre adaptation, long et des va-et-vient constants l’empreinte de cette évolution, de cette entre travail solitaire et travail en mutation – qui peut-être au fond traduit équipe. Chacun y joue une part une impasse. Comme nos précédents active. spectacles (Ubu roi et Don Quichotte), notre Hamlet est une tentative d’écriture La Compagnie des Dramaticules mixte, une création au sein d’une œuvre s’appuie depuis ses débuts sur un du répertoire. noyau dur de comédiens. Pouvez- vous esquisser un portrait des Comment le travail avec votre équipe comédiens qui composeront le s’organise-t-il ? plateau d’Hamlet ? Dans les premiers temps, mon travail est Difficile de résumer chacun en solitaire. Je m’attèle à faire une réduc- quelques mots. J’aurais trop peur tion de la pièce, je choisis séquences, "Mains dessinant" de MC Escher - 1948 de les caricaturer, de les réduire à tirades, dialogues… et les situations qui des « types » d’acteurs, ce à quoi me semblent être le matériau le plus expressif d’un point de nous tentons d’échapper en revendiquant une palette de jeu vue théâtral… celles qui nous permettront d’interpoler, de large… et libre. Dans Hamlet ou les âmes perdues, nous serons souder la pièce avec notre temps. Je travaille le texte à haute sept comédiens avec des tempéraments très différents. Parmi voix, j’essaie de forger la langue la plus percutante possible, eux, deux rejoignent la compagnie pour ce nouveau projet. percutante dans le sens euphonique du terme. Puis, avec les Je suis très heureux de cela. C’est une opportunité pour nous comédiens, nous aurons trois sessions de travail à la table tous, individuellement et aussi collectivement, de mettre en d’une semaine chacune, au cours de la saison 2017/18. Dès mouvement notre pratique, de bousculer nos habitudes de septembre, nous éprouverons ensemble cette réduction de travail. Je crois que nous partageons le même regard critique la pièce mais aussi un choix de textes d’auteurs possiblement sur notre métier, le même sens de l’engagement sur le pla- invités à prendre part à l’écriture du spectacle – Sénèque, teau et beaucoup d’autodérision. Laforgue, Nietzsche, Rosny Aîné... L’exercice de la scansion, Dans vos précédentes créations Affreux, bêtes et pédants, Retrouve-t-on des thématiques portées par vos dernières Ubu roi et Don Quichotte, votre rôle est à la fois celui du per- créations ? sonnage de la fiction et de vous-même en tant que metteur Tout à fait, les questions du conformisme et du formatage en scène, il n’y a pas de frontière entre les deux. Allez- sont toujours au cœur de nos réflexions. Les artistes sont vous poursuivre ce travail de déconstruction et de mise en malheureusement trop souvent contraints par des critères de abyme dans votre adaptation d’Hamlet ? Est-ce l’artiste qui format, de genre, de mode... Créé en 2012, Richard III mar- alimente le personnage, ou bien le personnage qui nourrit quait la fin d’un cycle pour la Compagnie des Dramaticules. l’artiste ? De la projection la plus sacralisée d’une œuvre de répertoire, Ce sont les individus qui font le spectacle.