Propos recueillis Par Piéric Guillomeau. Pour célébrer à notre manière le dixième anniversaire de la série Les Aventures du Jeune , nous sommes allés à la rencontre de l’unique réalisateur français engagé par pour cette série : René Manzor. i vous suivez le Magazine profondément ancrée dans le réel, les figures du début du siècle dernier. Ainsi, depuis suffisamment longtemps, vous intrigues s’articulant autour d’évènements pour n’en citer que quelques-uns, Indy S devez savoir combien nous sommes historiques. Partant de là, son principe est côtoya Pancho Villa, Thomas Edison, attachés à la série télévisée Les Aventures à la fois simple et passionnant : de nos jours, Charles De Gaulle, Lawrence d’Arabie, Mata du Jeune Indiana Jones. À l’origine, cette Indiana Jones, âgé de 93 ans (les scènes où Hari, Pablo Picasso, Ernest Hemingway, série naît de la passion de George Lucas le vieil Indy intervenait ont cependant été Sydney Bechet, Louis Armstrong, Elliot Ness, pour l’histoire et de sa volonté de confé- supprimées de la dernière édition en vidéo), Al Capone et d’autres, au fil des épisodes. rer un aspect ludique permanent à la se remémore au fil de ses visites au musée, Chacun d’entre eux proposait de suivre soit pédagogie, contrairement à ce que propo- de ses déplacements ou de diverses un Indy âgé d’une dizaine d’années, inter- se l’enseignement classique. Dans cette rencontres, les aventures qu’il connut lors- prété par Corey Carrier, qui effectuait alors logique, si les films réalisés par Steven qu’il était enfant ou adolescent et qui un tour du monde en compagnie de sa Spielberg étaient surtout développés autour formèrent l’aventurier archéologue en deve- perceptrice, Miss Seymour. Soit un Indy de légendes (l’Arche d’Alliance, le Graal…), nir. Ses voyages de par le monde à une presqu’adulte, incarné par Sean Patrick qui contribuaient à donner un cachet fantas- époque de grands bouleversements furent Flanery, qui entre 1916 et 1920 se trouvait tique aux films, la série serait quant à elle jalonnés par la rencontre de nombreuses être en pleine tourmente de la Première

Ci-dessus : René Manzor (au centre), le comédien français Patrick Floersheim (le Sergent Jean) et Sean Patrick Flanery (Indiana Jones) sur le tournage de l’épisode Verdun, Septembre 1916. 48 Indiana jones

Guerre Mondiale. Coproduite par Lucasfilm, (monteur, réalisateur et concepteur sono- Amblin et Paramount, la série accueillit une re). Bref, des noms qu’on retrouvera plus Verdun, Septembre 1916 petite dizaine de scénaristes talentueux tard sur les Épisodes I et II. ans cet épisode, Indy s’est parmi lesquels Frank Darabont (plus tard Dans nos pages, pendant plusieurs numé- enrôlé dans l’armée alliée réalisateur des Évadés, La Ligne Verte, The ros (du n° 9 au 15), le regretté Ronny DBelge et opère en tant que Majestic et scénariste du prochain Indiana Coutteure avait partagé son expérience sur messager à moto entre les soldats du Jones IV), Jonhathan Hensleigh (scénariste le tournage de cette série à travers un jour- front et les généraux repliés, en d’Une Journée en Enfer, d’Armaggedon, du nal de bord savoureux et riche en sécurité dans les châteaux. De par sa Saint, et qui devrait bientôt réaliser une anecdotes. Témoin de l’universalité de cette position, il découvre l’horreur des nouvelle version de The Punisher écrite par production hors du commun, Ronny tranchées, le découragement des ses soins), et Jonathan Hales (co-scénaris- Coutteure n’était pourtant pas le seul fran- poilus français, et participe même à te de : Épisode II L’Attaque des cophone à y avoir participé. Outre les l’une des offensives contre les alle- Clones). De proches collaborateurs de nombreux autres comédiens qui figurèrent mands. De l’autre côté, il assiste, George Lucas, comme Carrie Fisher (scéna- dans divers épisodes, tels Michel impuissant, aux terribles con- riste de l’épisode Paris, Octobre 1916) ou Duchaussoy, Isaach de Bankolé, Elsa séquences des tiraillements entre les Ben Burtt (monteur de plusieurs épisodes Zylberstein, Jean-Claude Bouillon, Jean- généraux, notamment entre le et réalisateur de Young Indiana Jones and Pierre Castaldi, Jean-Pierre Cassel, Jean Général Pétain, défenseur et the Attack of the Hawkmen) travaillèrent Rougerie, Yann Collette ou le récemment soucieux de la vie de ses hommes, également sur la série. De même, toute la disparu Bernard Fresson, George Lucas et le Général Nivelle, partisan de postproduction des épisodes s’effectuait au engagea également René Manzor, alors tout l’offensive à tout prix. Skywalker Ranch et les équipes d’ILM jeune réalisateur d’une trentaine d’années, Réalisé par René Manzor, écrit par Jonathan travaillaient aux effets spéciaux et y pour mettre en scène deux des épisodes Hensleigh d’après une histoire de George Lucas. Avec Sean Patrick Flannery (Indy), Ronny peaufinèrent la technique désormais incon- de sa série. Non seulement René Manzor Coutteure (Rémy Baudouin), Igor de Savitch (le tournable de démultiplications d’éléments acquit le statut d’unique réalisateur français Général Nivelle), Jean Rougerie (le Général de décors ou de figurants dans un même à être engagé sur cette série, mais il se Pétain), Bernard Fresson (le Général Joffre), plan. Les Aventures du Jeune Indiana Jones retrouva de plus aux côtés de metteurs en Cris Campion (Lieutenant Gaston), Jean-Claude furent diffusées en 1992 et 1993 sur la chaî- scène renommés, tels que Bille August Bouillon (le Génaral Mangin), Francis Lalanne (Lieutenant Barc), Patrick Floersheim (Sergent ne ABC aux États-Unis, puis sur TF1 et Canal (Pelle le Conquérant, Palme d’Or 1988 et Jean), Jean-Pierre Castaldi (Rocco). Jimmy chez nous. Quatre téléfilms d’une Oscar du Meilleur Film Étranger en 1989), heure trente furent ensuite réalisés jusqu’en Nicolas Roeg (réalisateur anglais réputé avec 1995 pour Family Channel mais jamais diffu- lequel Rick McCallum avait déjà travaillé), sés en France. Young Indiana Jones and the Dick Maas (L’Ascenceur), Mike Newell Hollywood Follies, réalisé en 1994 par (Quatre Mariages et un Enterrement, Michael Schultz, voyait Indy se frotter au Donnie Brasco), Joe Johnston (Jumanji, milieu du cinéma hollywoodien et côtoyer Jurassic Park III) ou Terry Jones (les Monthy le réalisateur d’origine allemande Eric Von Python, Erik le Viking). C’est donc avec un Stroheim ainsi que le fameux metteur en réel plaisir que René Manzor a accepté de scène américain John Ford. En 1995, Le revenir en notre compagnie sur cette expé- La conséquence explosive d’une poursuite opposant Trésor de l’Œil du Paon (Young Indiana rience unique… Indiana Jones, en moto, et un avion allemand. Jones and the Peacock’s Eye) que réalise Carl Schultz (qui signa plusieurs épisodes de la Comment aviez-vous été contacté à série), lançait Indy à la recherche d’un l’époque pour travailler sur cette série ? diamant ayant appartenu à Alexandre le Tout cela est arrivé grâce à Kathleen Grand. Dans Young Indiana Jones and the Kennedy [productrice chez Amblin, la socié- Attack of the Hawkmen (où Anthony “C- té de production de Steven Spielberg, ndlr]. 3PO” Daniels fait une apparition), cette fois 36*15 Code Père Noël avait beaucoup plu réalisé par Ben Burtt, on pouvait retrouver chez Amblin, il y avait un véritable engoue- Indy enrôlé dans les services secrets fran- ment pour ce film aux États-Unis. Steven çais en 1917, en plein conflit de la Première Spielberg l’avait même vu trois fois avec ses Les généraux Mangin (Jean-Claude Bouillon) Guerre Mondiale. Enfin, Young Indiana enfants. À partir de là, j’ai eu très vite un et Nivelle (Igor de Savitch) portent un toast Jones : Travels with my Father est le seul de rendez-vous avec Kathleen Kennedy. On a en vue d’une hypothétique victoire. ces quatre téléfilms à mettre en scène Indy même travaillé un temps sur un projet âgé de 10 ans. On y voit également le Pr. ensemble, et elle a joué en quelque sorte Jones, père d’Indiana, interprété par Lloyd un rôle de marraine pour moi. Elle savait Owens qui prit donc la succession de Sean que George Lucas cherchait des metteurs Connery pour la série. en scène européens et elle lui a parlé de Le tournage nécessitant des déplacements moi. Au départ du projet, l’idée était d’en- dans une dizaine de pays, il engagea deux gager des réalisateurs de cinéma et, années durant les compétences de Rick idéalement, un pour chaque pays traversé McCallum (producteur), Gavin Bocquet par l’épisode. George Lucas souhaitait un (chef décorateur), Peter Walpole (décora- réalisateur chinois en Chine, un Égyptien en Indiana Jones porte un message au Lieutenant Gaston teur de plateau), David Tattersall (directeur Égypte, etc… Le principe était d’avoir quel- (Cris Campion) dans l’enfer des tranchées. de la photographie), Matthew Wood qu’un qui sente bien le pays et qui en (monteur son) ou l’incontournable Ben Burtt connaisse bien l’histoire.

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Dans l’épisode Verdun, Septembre 1916,Indiana Jones côtoie son fidèle ami Rémy Baudouin (Ronny Coutteure).

calme, il me dit : “C’est George qui a fait cette liste technique. C’est lui qui t’as mis sur cette liste. Donc si George t’a fait confiance, tu peux peut-être te faire confian- ce aussi…” (rires). Il m’a redonné un coup de fouet en me disant ça. Rick, c’est une boîte d’épinards. Avec lui, n’importe qui Le réalisateur français René Manzor dirige Sean Patrick Flanery dans les envi- peut être Popeye. Après la première projec- rons de Prague pour l’épisode Verdun, Septembre 1916. tion de rushes, j’ai reçu un coup de fil de Quels ont été vos premiers rapports avec la série. Toutes les remarques scénaristiques George Lucas pour me commenter les Lucasfilm et avec qui précisément ? ou historiques étaient donc bienvenues. Par images tournées. Ce qui est formidable avec En fait, c’est Rick McCallum qui m’a appe- exemple, dans l’épisode sur Verdun, Pétain Lucas, c’est qu’il est extrêmement présent, lé de Barcelone, où il travaillait sur l’épisode était dépeint comme un héros. J’en avais même en étant à San Francisco. C’est un que réalisait Terry Jones [Barcelone, 1917, discuté avec George Lucas, je lui avais dit : personnage très pudique mais il arrive ndlr]. Il m’a demandé si je souhaitais passer “Vous savez, en France, c’est quand même malgré tout à dire, à faire passer les choses les voir et je suis donc allé rencontrer un sujet délicat. Je comprends que le scéna- et à analyser le travail sur le plan de la mise George Lucas et Rick à Barcelone pour un rio soit comme ça mais à votre place, quand en scène. Tout à coup, on est non seule- déjeuner. George s’était cassé le bras et le vieil Indy revient à la fin de l’épisode, ment face à un producteur, mais on a aussi portait un plâtre à l’époque. J’étais bien sûr ce serait quand même bien d’apporter un également un dialogue, il comprend ce très fan du bonhomme et de son travail : petit rectificatif.” Dans le montage final, qu’on cherche à faire. Il vous rappelle égale- Star Wars, Indiana Jones… J’attendais un George a fait dire au vieil Indy : “Par la suite, ment la vue d’ensemble de la série et peu qu’il me parle de la série mais, en fait, quand Pétain deviendra à son tour un comment votre bribe de travail vient s’y nous n’avons pas du tout abordé le sujet. Il homme politique, lui aussi fera les mêmes inscrire. Il vous incite aussi à ne pas trop a commencé par me parler de la Première erreurs…” Quelque part, le vieil Indy ne aller vers le spectacle. Car c’était là la gros- Guerre Mondiale. Après, la conversation a pouvait pas passer à côté de l’Histoire. Et se différence entre les trois films et la série : dévié vers la peinture cubiste. Je ne voyais c’est tout à fait le genre de choses que pour George, la série devait avant tout être vraiment pas le rapport, je me disais : George affectionne car l’approche pédago- pédagogique. L’erreur, entre guillemets, “Incroyable, ils m’ont fait venir à Barcelone gique en était confortée. que nous, metteurs en scène, commettions pour me parler de la Première Guerre constamment, c’était d’avoir en référence Mondiale et de Cubisme !” Mais la discus- Avez-vous travaillé directement avec les les films de Spielberg. George et Rick ne se sion était agréable. Étant peintre auparavant, scénaristes ? laissaient pas enfermer là-dedans. Même si la peinture était un sujet que je maîtrisais et Oui, par téléphone, parce qu’ils étaient soit les attentes de Paramount et d’ABC étaient l’Histoire étant une de mes passions, j’étais à Los Angeles soit à San Francisco. Ou l’on évidemment plus du côté “grand spectacle”, plutôt à l’aise. Mais je me demandais quand s’envoyait des fax. Ils écrivaient souvent les George voyait au-delà. on allait enfin entrer dans le vif du sujet. épisodes à plusieurs aussi. Il y avait une Et en fait, ça s’est terminé comme ça. Je suis communauté de travail autour de Lucas qui Sur le tournage, comment vous êtes reparti super content d’avoir rencontré avait commencé à travailler bien avant le vous intégré dans une équipe technique George Lucas. Mais un peu désorienté. De tournage, un an avant je crois. déjà bien rodée ? retour chez moi, j’avais un message de mon Je suis arrivé à Prague et j’ai rencontré une agent qui me disait qu’ils voulaient que je Racontez-nous votre premier jour de équipe composée de techniciens britan- réalise deux épisodes : le premier sur la tournage… niques qui étaient effectivement sur la bataille de Verdun et le deuxième où Indy Je me souviens très bien du premier jour totalité de la production. Les metteurs en rencontre Picasso. J’ai compris à ce moment- parce que j’ai découvert la liste des réali- scène apportaient à chaque fois du sang là que j’avais subi une sorte d’interrogation sateurs engagés. Il y avait des noms neuf, ils avaient des exigences et des orale (rires). comme : Terry Jones, Simon Wincer, Nicolas méthodes de travail différentes. Cela Roeg, Bille August… Que des réalisateurs permettait à l’équipe de ne pas prendre Etes-vous intervenu de près ou de loin de renom ! Là, j’ai un peu commencé à flip- trop d’automatismes. J’ai d’ailleurs fait des sur le scénario des épisodes ? per. Rick l’a vu tout de suite. Quand je suis rencontres géniales : Rick McCallum, tout Dès qu’on m’a donné le script, on m’a arrivé, il m’a pris à part et m’a demandé ce d’abord, qui est vraiment resté un ami. On demandé des commentaires. Il y avait tout qui n’allait pas. Je lui ai dit : “Regarde la liste s’est revu souvent, au hasard de nos le temps cette volonté d’impliquer la mise technique, voilà ce qui ne va pas. Le problè- parcours professionnels. À Venise, alors en scène, d’utiliser vraiment au maximum me c’est le dernier nom là, sur la liste, le que je repérais les décors d’Un Amour de de leur capacité les gens qui travaillaient sur mien, c’est pas possible !” (rires). Et lui, très Sorcière, chez Paramount quand ils faisaient

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Paris, Septembre 1908 ans cet épisode, le tout jeune Indiana Jones fait étape à DParis avec sa gouvernante, Miss Seymour. Très vite, il fait la connaissance de Norman Rockwell qui va l’entraîner dans les pro- fondeurs du Quartier Latin, là où se côtoient peintres, danseuses de french cancan et criminels à la petite semaine. Indy y sera notamment témoin des petites provocations artistiques lancées par le turbulent Pablo Picasso au vieux sage Edgar Degas. Réalisé par René Manzor, écrit par Reg Gadney, d’après une histoire de George Lucas. Avec René Manzor et Patrick Floersheim sur le tournage des Aventures Corey Carrier (Indy), Margaret Tyzack (Miss du Jeune Indiana Jones. Le réalisateur avait déjà fait tourner le Seymour), Lukas Haas (Norman Rockwell), comédien dans son second film, 36-15 Code Père Noël. Daniel Webb (Pablo Picasso), Éric Vieillard [images d’archive ou images préalablement (Georges Braque), Jean-Pierre Aumont (Edgar tournées pour une autre production, ndlr] Degas), Nathalie Cardone (Fernande Olivier), Robert Manuel (le Douanier Rousseau). pour la bataille de Verdun.” J’ai visionné ces images et, pour moi, ça n’allait pas du tout. C’était filmé en hauteur et on n’avait pas du tout le point de vue des soldats. Verdun, c’était des mecs dans des châteaux qui Le Sergent Jean (Patrick Floersheim) communique sa passion des canons à Indy, et lui parle de la présumée existence de la Grosse donnaient des ordres et qui envoyaient Bertha, le plus gros canon jamais construit. d’autres types au casse-pipe. Il fallait qu’on des essais caméra pour Épisode I. Pendant soit au niveau du sol. Rick aurait pu tout à que les techniciens effectuaient leur régla- fait me dire : “De toute façon, c’est moi qui ge sur la nouvelle caméra, on a parlé des décide, point final.” Au lieu de ça, il m’a Indy âgé de huit ans (Corey Carrier), aux côtés de son ami Norman Rockwell (Lukas Haas) et heures dehors. J’ai gardé le contact avec rétorqué : “En combien de temps tu peux de l’artiste Edgar Degas (Jean-Pierre Aumont). Gavin Bocquet également. On correspond filmer ces batailles ?”. J’ai regardé le plan régulièrement par e-mail, même pendant de travail et je lui ai répondu : “Donne-moi ses horaires de fous sur les décors de Star une journée, 100 figurants, et je te fais Wars. David Tattersall aussi, le gentleman Verdun.” Sur le principe, il m’a dit “OK !” de la lumière. Ou Simon Crane, le coordi- mais, dans sa tête, je suis sûr qu’il devait nateur des cascades sur Young Indy et déjà penser à plan de secours au cas où ça Braveheart, que je revois chaque fois que n’aurait pas marché. Il faut savoir que, je passe à Londres. La dernière fois, c’était pendant le tournage, on ne pouvait pas trop sur le plateau 007 de Pinewood, alors qu’il se permettre de se déplacer. Tous les s’occupait des cascades de Tomb Raider. champs, les terrains vagues étaient très loin Norman Rockwell entraîne notre aventurier au cinéma, activité qui semble assez peu passionner ce dernier. Ce sont des gens qui, en fait, ont presque du centre de Prague et je me voyais déjà débuté sur cette série. Ils avaient fait deux- avec une demi-journée perdue en transport trois tournages auparavant, quelques pubs, pour pouvoir aller tourner cette séquence certains sortaient de l’école, et en fait c’était de bataille. Et puis, un jour, pendant la très formateur pour tous. La production pause déjeuner, je suis allé chercher Rick composait aussi avec des talents locaux, dans son bureau. Je l’emmène dans la cour techniciens, acteurs. Par exemple, pour l’épi- des studios et je lui dis : “Voilà Verdun !”. sode que j’ai réalisé sur Verdun, j’avais fait Et là, il regarde, il voit les studios Barrandov appel à des acteurs français pour incarner à droite, des pylônes électriques au centre, les généraux de l’armée française. Il y avait Prague à droite, et il me dit : “Attends là, tu George Braque (Éric Vieillard) et Pablo Picasso une très grande liberté. C’était vraiment plaisantes ?”. Je lui réponds : “Non. Mets (Daniel Webb) enseignent les fondements du cubisme à Norman Rockwell et Indy. comme des petits films, ce n’était pas du ton regard au niveau du sol, au niveau des tout de la télévision, même si le budget était morts. On va retourner le terrain et on aura très serré. Ce fut d’ailleurs une sacrée surpri- un nouvel horizon. Les pylônes, Prague, se parce qu’avec Paramount et la chaîne tout ça sera caché”. Il me rétorque : “Oui, ABC, on pouvait penser que le tapis rouge mais les studios ? On va les voir !”. Je sors nous serait déroulé. Mais pas du tout, c’était la boussole et je lui montre où se lève le extrêmement bien géré et je crois, avec le soleil, où il se couche, et que Barrandov se recul, que c’était surtout une série extrê- trouve justement dans l’angle mort. Il sourit mement bien produite. Au départ, par et me dit : “Tu crois que tu peux le faire ?” exemple, Rick McCallum m’avait dit : - “Oui, je peux le faire.” Et ce qui est formi- De son périple à Paris, le jeune Indy se souviendra “Écoute, on va utiliser des ‘stock shots’ dable avec Rick c’est qu’il est toujours certainement des danseuses de French Cancan.

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Indy plongé dans l’enfer de la guerre, va connaître les fameuses tranchées de la Première Guerre Mondiale et prendre part à l’une des offensives contre les Allemands.

Sean Patrick Flanery et René Manzor sur le décor de la bataille de Verdun, reconstitué dans l’enceinte même des studios Barrandov, à Prague. partant pour ce genre de défi. Il a suffi- mis à gérer. Par exemple, un matin, Rick est invitait au Ranch pour effectuer votre monta- samment de métier pour se rendre compte venu me voir pour me demander : “René, ge. Une fois le “director’s cut” terminé, que vous savez ce que vous faites. Alors, qu’est-ce que tu préfères ? Qu’on te chacun repartait à ses activités mais George bien sûr, si vous ratez votre coup, vous l’au- construise la moto d’Indy telle qu’elle était n’en avait pas fini avec vous pour autant. rez sur le dos à la fin de la journée pour à l’époque, avec un cascadeur local aux Une semaine plus tard, vous receviez une vous réclamer des comptes. Au final, avec commandes ? Ou une moto tchèque qui cassette de l’épisode avec les modifications 100 figurants tchèques, on a fait la bataille tombe en panne une fois sur deux, mais que George y avait apportées. Et je me de Verdun. On intervertissait les costumes avec Eddy Kid, champion du monde de souviens, qu’au téléphone, Rick m’avait dit : selon qu’on filmait les soldats français ou motocross, aux commandes ?”. J’ai opté “Tu sais, tu peux y aller, hein… Tu peux allemands et, à l’arrivée, on a eu notre pour Eddy. Rick nous impliquait systéma- faire des critiques, George n’attend que ça.” scène. Ils ont même réutilisé ces images tiquement dans le choix des compromis, Et je lui dis : “T’es sur là ? Parce que, après dans d’autres épisodes. En fait, après, c’est on était constamment partie prenante. ce que je viens de voir (rires)…” J’ai alors devenu leur “stock-shots” (rires). envoyé dix pages de fax avec mes commen- Aviez-vous côtoyé les autres réalisateurs taires, il m’a renvoyé un commentaire de Avez-vous tourné à Paris pour l’épiso- de la série ? mes commentaires, intégrant 90% de mes de Paris, 1908 ? Oui, parce qu’en fait, quand je préparais, il remarques. Il y avait donc constamment un Non, pour les passages censés se dérouler y avait un autre metteur en scène qui tour- va-et-vient, un vrai dialogue. C’est rare les à Montmartre, tout a été tourné à Prague. nait. Et quand je tournais, le réalisateur expériences comme ça ! On a fini par y trouver notre mini- suivant entrait en préparation, et ainsi de Montmartre. On a bouclé le quartier et on suite. Il y avait toujours deux équipes, en Qu’avez-vous pensé des Épisodes I et II ? a filmé là. Les plans où l’on voit les monu- fait. Je me souviens que Simon Wincer [réali- C’est une question difficile. Comment être ments de Paris ont été réalisés par la sateur, d’origine australienne, de six objectif ? Je connais tout le monde ! Avant seconde équipe. C’est d’ailleurs Rick qui épisodes de la série, ndlr] m’avait dépanné de les rencontrer, Star Wars, ce n’était pour partait les tourner en général. Il savait exac- en dollars, car ma femme, Marie, allait moi qu’un truc de spectateur. J’ai toujours tement ce dont on avait besoin. Pour les accoucher. J’avais dû partir dans la nuit, été un gros fan de la première trilogie. réalisateurs, c’était rassurant de savoir que louer une voiture pour traverser les Alpes Aujourd’hui, il y a deux choses : il y a le lorsqu’on ne serait plus là, Rick, lui, serait et attraper un avion à Munich qui me souvenir qui fait que je vais voir les toujours présent… permettrait d’arriver plus tôt à Paris. Un vrai nouveaux films comme on va voir les plan à la Indy. En fait, en arrivant en France, Rolling Stones en concert. Parce qu’on les Combien de temps durait le tournage ce n’était qu’une fausse alerte (rires). a aimés et qu’on les adore toujours. Et l’autre de chaque épisode ? chose, c’est que je vais voir le travail de Nous avions 14 jours de tournage. Mais Avez-vous suivi de près ou de loin la George, de Rick, de Gavin, de David, de justement, par rapport au coût de produc- postproduction des épisodes que vous tous mes amis d’ILM et de Skywalker. Je ne tion, tout était extrêmement bien contrôlé. avez réalisés ? peux plus être spectateur. Ce que je sais Le directeur de production, David Barron, Oui, cela a d’ailleurs été une véritable aven- aussi, c’est que mes enfants adorent. Et que était excellent. C’est un partenaire de longue ture de débarquer à Skywalker Ranch pour je retrouve, sur leurs visages, ce plaisir que date de Kenneth Branagh. Et puis Rick était la postproduction. J’ai été très surpris de George avait su faire naître sur le mien. tous les jours sur le plateau avant tout le découvrir la façon dont George Lucas fonc- Timour (11 ans), Fantin (7 ans) et Anakin monde, avec le sourire, et repartait à la fin tionnait. Souvent, à la télé américaine, quand (5 ans) mon dernier né, préfèrent même les de la journée après tout le monde. C’est le on finit son montage, on vous dit “au revoir”. nouveaux films aux anciens. Alors peu genre de choses qui vous donne la pêche, C’est le producteur qui s’occupe d’achever importe que L’Empire contre-Attaque soit ça. Parce que vous avez vraiment un parte- l’épisode. George Lucas s’occupait effecti- le Star Wars que je préfère. L’essentiel est naire à vos côtés, et comme le budget est vement de la postproduction mais il venait que George Lucas continue d’être conta- quand même serré, vous avez des compro- aussi ponctuellement sur les plateaux et vous gieux…

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Filmographie raté l’Avion,. Or, l’histoire de Maman… et de 36-15… partent du même concept de René Manzor original, à savoir : un enfant, resté par 22 ans, René Manzor réalise son erreur seul à la maison, va se retrouver au premier court-métrage, Synapses. En beau milieu d’un cambriolage qu’il va tenter À 1986, cinq ans plus tard, il dirige d’empêcher par tous les moyens possibles. Alain Delon dans son premier long métra- Le succès planétaire de Maman, j’ai raté ge, Le Passage, d’après un scénario que l’Avion et les nombreux points communs René Manzor a co-écrit avec l’acteur. Le film entre les deux films vont finalement contri- Corraface (qui incarna Giacomo Puccini est un succès et la chanson du film, On se buer à faire connaître René Manzor. Repéré dans l’épisode Florence, Mai 1908 des Retrouvera, composée par Francis et Jean- par des agents américains, celui-ci va donc Aventures du Jeune Indy…). Félix Lalanne, les frères de René Manzor, passer quelques années à Hollywood. Il En 1996, il revient en France pour écrire et reste aujourd’hui encore gravée dans les rencontre Kathleen Kennedy grâce à qui il mettre en scène Un Amour de Sorcière, avec mémoires. travaillera sur Les Aventures du Jeune Vanessa Paradis, Jean Reno et Jeanne En 1988, il écrit pour la télévision deux Indiana Jones (voir l’entretien avec René Moreau. En 2001, René Manzor réalise le épisodes (dont un qu’il réalise) de la série Manzor). Pour Amblin, il écrit Kalahari pilote d’une série initiée par la chaîne 13ème présentée par Claude Chabrol, Sueurs (A Far Off Place) que réalise Mikael Rue, intitulée Les Redoutables, et qui met Froides, en 1988. Salomon en 1993 (célèbre directeur de la en scène un affrontement entre Christopher En 1990, il écrit et réalise son second long photographie, également réalisateur de Lee (Comte Dooku d’Épisode II et qui métrage, 36-15 Code Père Noël. Malgré les Pluie d’Enfer en 1998 et d’épisodes d’Alias incarna le Comte Ottokar dans l’épisode prix récoltés et les festivals dans lesquels il ou de Frères d’Armes). Il travaille pour la Autriche, Mars 1917 que réalisa Vic est sélectionné, le film ne bénéficie que télévision et effectue surtout des travaux Armstrong pour Les Aventures du Jeune d’une distribution confidentielle en France. d’écriture, que ce soit en tant que “script Indy…) et Ticky Holgado. Depuis 1998, Mais 36-15 Code Père Noël va pourtant doctor” (scénariste appelé à la rescousse René Manzor a écrit plusieurs scénarios qui marquer un tournant dans la carrière de pour réécrire un scénario jugé imparfait) sont dans une phase de développement René Manzor. Au fil du temps, le film va ou que “ghost writer” (qui signifie “écrivain plus ou moins avancée. Monsieur N., l’un bénéficier d’une côte de sympathie toujours fantôme” en traduction littérale, il s’agit en d’entre eux, narrant les dernières années grandissante, au point d’atteindre le statut fait d’un scénariste dont le nom ne figure- d’exil de Napoléon à Sainte Hélène, est de film culte, mais, à l’époque, il intéresse ra pas au générique). Il y réalise également d’ores et déjà un film que vient de tour- très vite Hollywood. Car à la fin de l’année deux films d’aventure :Warrior Spirit en ner Antoine de Caunes et qui sortira en 1990, un film va faire l’événement aux États- 1994 avec Lukas Haas (qui joua également début d’année prochaine. René Manzor, Unis. Réalisé par Chris Columbus (Harry dans l’un des deux épisodes des Aventures quant à lui, tourne actuellement Dédales, Potter 1 & 2, Mrs. Doubtfire), produit par du Jeune Indy… réalisé par René Manzor). un polar psychologique avec Frédéric John Hugues et interprété par Macaulay Puis, en 1995, Esperanza (Legends of the Diefenthal et Lambert Wilson, qui sortira Culkin, ce film n’est autre que Maman, j’ai North) avec Randy Quaid et George également en 2003.

En haut : René Manzor et David Tattersall en pleine préparation des plans à tourner. David Tattersall a depuis signé la photographie de , de La Menace Fantôme et L’Attaque des Clones pour George Lucas, de La Ligne Verte et The Majestic pour Frank Darabont, mais aussi des Ailes de l’Enfer, de Vertical Limit, de Meurs un Autre Jour, le dernier James Bond en date, et du tout prochain Tomb Raider 2. 53