Pourquoi Mettre Au Monde
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1 Philippe Annaba Pourquoi mettre au monde dans un monde qui se fout du monde ? 2 « Croissez et multipliez, remplissez la terre, assujettissez-la, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre… » (Genèse 1, 28). « Voici venir des jours où l’on dira : heureuses les stériles, heureuses les entrailles qui n’ont point enfanté, heureuses les mamelles qui n’ont point allaité ! » Évangile de Luc 23, 28-29. « Ce monde n’est, je vous assure, qu’une immense entreprise à se foutre du monde. » Louis-Ferdinand Céline , Voyage au bout de la nuit. « Ne juge pas chaque jour à la récolte que tu fais, mais aux graines que tu sème » Robert Louis Stevenson . 3 Table des litanies imprécatoires Naissances par inadvertance 4 Naissances sans discernement 24 Le rocher de Sisyphe, la punition de naître ? 42 L’homme, un animal dénaturé 48 Homo sapiens , un oxymore 74 L’antiprocréationnisme 86 L’humanitairerie 104 Seuls les hommes sont capables de crimes innommables 117 L’imposture de la morale 157 L’amour à la portée des caniches 178 L’actualité du catharisme 197 De la souffrance 213 Compendium 228 4 Nous naissons par inadvertance* La vie se renouvelle sans cesse. Et la vie se perpétue en se nourrissant de la mort. La vie et la mort sont complémentaires. La vie et la mort s’enchaînent. En s’inspirant de La mer n’est pas la mer de Félix Leclerc, disons que : La vie n’est pas la vie, mais l’instrument du processus d’évolution menant le monde, c’est-à-dire la matière tendant vers plus de complexité. L’amour n’est pas l’amour, mais le moyen le plus efficace permettant le renouvellement de l’espèce. La mort n’est pas la mort, mais un don de soi, afin de laisser la place à l’autre en vue de la coévolution. Ce n’est pas l’homme qui a créé le monde vivant, c’est le monde vivant qui a créé l’homme. C’est pourquoi l’homme doit respecter le monde vivant, et la nature dans son ensemble. L’homme, prétendument doté de la faculté de réfléchir sur sa condition, devrait être en mesure d’accepter ou de refuser de participer au processus si douloureux du renouvellement de son espèce. L’homme sait que le nouveau-né crie parce qu'il étouffe dans ce nouvel univers où il doit respirer. Il sait que ce premier cri sert à débloquer ses poumons, et que c'est aussi le signal du début d'un incessant combat contre les choses et contre les autres. Dès son premier souffle et jusqu'à sa mort, jamais ce nouvel être ne sera à l’abri des vicissitudes de la vie. La naissance, c’est sa première violence subie. Le mal et la souffrance vont l’accompagner toute sa vie. Une vie d’efforts, de peines et de douleurs, agrémentée de joies éphémères pour quelques privilégiés. * Selon l’Institut Guttmacher, au niveau mondial, 40 % des grossesses seraient inattendues. 5 Un cycle infernal, mais profondément logique. Il ne peut y avoir de vie sans la mort. Comment peut-on regarder sans état d’âme, ces documentaires animaliers, où un fauve se rue sur une antilope, l’égorge, et la meute qui se précipite pour la dépecer. C’est pourtant l’image même de la vie. Et les hommes agissent comme les bêtes à l’égard des bêtes, mais agissent également ainsi à l’égard de leurs frères humains, et sans cesse. « La seule chose que je me flatte d'avoir compris très tôt, avant ma vingtième année, c'est qu'il ne fallait pas engendrer. Mon horreur du mariage, de la famille et de toutes les conventions sociales vient de là. C'est un crime de transmettre ses propres tares à une progéniture, et l'obliger ainsi à passer par les mêmes épreuves que vous, par un calvaire peut-être pire que le vôtre. Donner la vie à quelqu'un qui hériterait de mes malheurs et de mes maux, je n'ai jamais pu y consentir. Les parents sont tous des irresponsables ou des assassins. » Cioran, Cahiers 1957-1972 Chacun sait aujourd’hui que l’objectif de la nature est de sélectionner au sein de chaque espèce, les plus forts, les plus rusés, mais aussi ceux qui s’adaptent le mieux aux changements de leur environnement. Rien dans l’histoire de l’espèce humaine n’a montré qu’elle se différenciait en cela des autres espèces animales. Une force inouïe pousse un homme et une femme à procréer même en temps de guerre. Un coït rythmé aux sons des bottes et du canon. À peine langé, le nouveau-né se trouve ballotté de cave en cave, de trou en trou, sous une pluie de bombes. Terreur, horreur, abomination, mais la ponte continue de plus belle. Des millions de femmes vivent et accouchent au cœur des décharges des Mégalopoles… Au milieu des rats… Comme des rats. Chaque homme et chaque femme ne devraient-ils pas trembler d’angoisse à la naissance de chacun de leurs enfants ? Jusqu’à ce premier cri, et au sourire de l’infirmière qui signifie : il est normal ! Qui peut assumer lucidement une telle responsabilité ? Le géniteur est désormais responsable de la moindre des larmes de son enfant. Chaque sanglot devrait lui traverser le cœur et l’esprit. 6 Quel sentiment d’immense impuissance devant une telle vulnérabilité ! Qui peut se prévaloir d’être doté de toutes les capacités requises et du sens des responsabilités, nécessaires à l’éducation de son enfant. Dans les magasins, à la plage, dans la rue, dans les squares, combien de mères, fatiguées, dépressives, ne cessent de houspiller leur fils ou leur fille pour des peccadilles. Bien avant la cinquantaine, les femmes subissent le diktat de la « date de péremption », selon la formule de Camille Laurens ( Celle que vous croyez ), et se retrouvent bien seules pour assumer l’éducation des enfants qui leur ont été "confiés". Et les pères, où sont-ils ? Comme certains animaux, partis vers d’autres aventures. « Il n’y a pas de mauvaise mère, il y a surtout des pères absents » Mina Owczy ńskka, mère de Romain Gary dans Romain Gary s’en va- t-en guerre , de Laurent Seksik. Au café, deux jeunes femmes, avec une petite fille d’environ deux ans qui hurle pour un rien, ne semblent pas se soucier des oreilles des autres clients. Comme la plupart des enfants, cette gamine est à la découverte de son environnement immédiat. Elle semble d’ailleurs trouver un certain plaisir à faire tomber son biberon (en plastique chargé de bisphénol A, B ou C). De même, une autre jeune et belle personne arrive à la plage avec un petit garçon et un grand cabas chargé de jouets. Elle à a l’air très attentionnée, mais au bout d’une demi-heure, rien ne va plus et les cris stridents du gamin se mêlent à ceux de sa mère : « Arrête ou on rentre à la maison… ». Quand ce n’est pas « arrête ou je t’en donne une… » Quelle astreinte de chaque instant ! N’ont-elles donc rien d’autre à faire ? Que de temps perdu dans une vie si courte à élever des mioches, qui dès la conception commencent à coûter cher. À la préadolescence, ils vous feront tourner en bourrique, tout en réclamant sans cesse toujours plus de vêtements à la mode, de jeux vidéo, Smartphones et autres gadgets vus chez les copains ou à la télé. Puis ils réclameront avec de plus en plus d’agressivité une augmentation de leur argent de poche. Parce que la plupart n’imaginent pas de vivre sans leur dose de cannabis et autres ecstasy (MDMA). 7 La très grande majorité des parents dans le monde n’ont procréé que par hasard, ou pour satisfaire leur propre ego sans plus de réflexion. Dans les pays dépourvus de protection sociale, ils comptent sur leur progéniture pour les aider dans leurs vieux jours, ce que l’on peut comprendre, même si cela n’est pas plus excusable. Qui a véritablement aimé ses enfants quoi qu’ils soient, quoi qu’ils deviennent ? Combien de parents se privent aujourd’hui, pour payer à leurs enfants des cours de musique, le langage des dieux ? Combien de parents ont incité leurs enfants à maîtriser deux ou trois langues étrangères, afin d’élargir leur horizon, de mieux connaître le monde et les autres ? En fait, qui a su donner à ses enfants une parfaite éducation ? Quelques-uns. Encore faudrait-il que la majorité des parents sache en quoi consiste une bonne éducation. C’est-à-dire, qu’ils soient capables de révéler à leur progéniture, le plus tôt possible, la véritable condition dénaturée de l’humain, la réalité des prédations et des crimes dont il est capable ou auxquels elle va se trouver inéluctablement confrontée. « Heureux qui ne fut onc. Plus heureux qui retourne en rien, comme il était. » Ronsard (1524-1585). « N’être pas né, rien que d’y songer, quel bonheur, quelle liberté, quels espaces » Cioran, De l’inconvénient d’être né. Dans le 3 ème chant de la Divine Comédie de Dante, Au-dessus de la porte de l’enfer, il est écrit : « Toi qui pénètres ici, abandonne tout espoir ». L’enfer est le monde des vivants et non celui des morts. C’est pourquoi l’enfant qui vient au monde crie. Il était si bien dans le ventre de sa mère. Il se rend compte à cet instant, qu’il entre dans une vallée de larmes d’où il ne sortira pas vivant.