Douglas Sirk
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Gradually we must disintegrate. Fedor Petroff (George Sanders) dans L'aveu. Farewell, my Ántonia ! Burke Devlin (Rock Hudson) dans La ronde de l'aube. DOUGLAS JEAN-LOUP BOURGET Publié avec le concours de la Cinémathèque de Toulouse Cinégraphiques Collection dirigée par François Chevassu Maquette : Annie Huart Dans la même collection Luigi Comencini, par Jean A. Gili Robert Altman, par Jean-Loup Bourget Les images retournées, par Louis Cros Carlos Saura, par Marcel Oms Le cinéma italien parle, par Aldo Tassone Cinéma érotique, par Jacques Zimmer Werner Herzog, par Emmanuel Carrère Fritz Lang, par Noel Simsolo Wim Wenders, par Michel Boujut Akira Kurosawa, par Aldo Tassone Série B, par Pascal Mérigeau et Stéphane Bourgoin Caméramages, par Pierre Perrault Jean-Luc Godard, par Raymond Lefèvre Le Cinéma français depuis la guerre, par Marcel Martin Francis Ford Coppola, par J.-P. Chaillet et E. Vincent Howard Hawks, par Noel Simsolo Chez le même éditeur : Filmo Jean-Pierre Melville, par Jacques Zimmer et Chantal de Béchade Josef von Sternberg, par Pascal Mérigeau Roger Corman, par Stéphane Bourgoin Billy Wilder, par Gilles Colpart Ingmar Bergman, par Raymond Lefèvre Mario Bava, par Pascal Martinet Terence Fisher, par Stéphane Bourgoin Vincente Minnelli, par François Guérif Luis Bunuel, par Raymond Lefèvre Médiathèque Vingt leçons sur l'image et le sens, par Guy Gauthier Le film sous influence, par Jean-Daniel Lafont Le ciné-roman, par Alain et Odette Virmaux L'image manipulée, par Pierre Fresnault-Deruelle Esthétique du photo-roman, par Jean-Claude Chirollet Sémiologie des messages sociaux, par André Helbo Images de la musique de cinéma, par Gérard Blanchard Télévision didactique, par Max Egly Stars Jayne Mansfield, par Jean-Pierre et Françoise Jackson Cary Grant, par Jean-Jacques Dupuis Tons les droits de renproduction même partielle par auelaue procédé que ce soit réservés pour tous pays. Copyright Edilig, 3, rue Récamier, 75341 Paris Cedex 07. ISSN 0292-7845 - ISBN 2-85601-085-7 bien des égards, l'his- vient alors que Griffith ou De Mille — une retraite qu'on pouvait croire et toire du cinéma res- les Cimabue ou les Giotto du cinéma — craindre définitive. semble à celle de la sont en pleine activité ; c'est dès 1941 A peinture. C'est que que Citizen Kane d'Orson Welles peut Les remarques qui précèdent, ainsi donner le sentiment d'un « moder- que la variété des conditions dans les- cinéma et peinture sont des modes d'ex- quelles Sirk a travaillé, dictaient une pression artistique, avec ce que cela nisme » qui rompt avec l'esthétique composition chronologique du sujet. comporte de technique, mais aussi des hollywoodienne, comme le réalisme fla- Aussi ai-je distingué dans la carrière de pratiques sociales, qui comme telles ont mand par rapport à la peinture ita- Sirk quelques étapes essentielles : besoin d'un public ou de mécènes, ce lienne ; et c'est dès le début des années d'abord tout ce qui précède l'œuvre dont la littérature peut, à la rigueur, cinquante qu'une nouvelle mutation, à cinématographique proprement dite, faire l'économie. A Hollywood ou à la fois technologique, économique et c'est-à-dire les années de formation et Berlin, comme il y a quelques siècles à éthique, commence à travailler le de travail théâtral ; puis la première — Florence ou Venise, on est frappé par « systeme » : la concurrence de la télé- et prestigieuse — période allemande ; une production abondante, sur des vision généralise le recours à la couleur les deux périodes américaines successi- sujets souvent imposés, souvent repris ; et au grand écran : le cinéma hollywoo- ves, la première marquée par des pro- la variété des tempéraments, à l'inté- dien cesse d'être le premier moyen de ductions indépendantes, la seconde cul- rieur de l'unité relative du style, n'en communication de masse ; son public minant avec les films les plus connus, est que plus étonnante. De tels centres jusqu'ici unifié se diversifie. L'esthéti- les grands mélodrames Universal ; ce servent de creuset, de lieu d'échanges, que des « studios » (terme dont les qu'on pourrait appeler enfin la et l'on voit se mêler, en des combinai- connotations picturales ne sont pas deuxième période allemande, avec le sons complexes, les traditions locales, entièrement fortuites) a vécu. Quelques retour au théâtre et l'admirable coda les apports extérieurs, l'enseignement années, dans l'histoire du cinéma, cor- des trois courts métrages réalisés à des maitres et l'originalité de leurs dis- respondent donc à une ou plusieurs Munich. ciples. Des metteurs en scène venus générations, dans l'histoire de la pein- d'Allemagne ou d'Europe centrale se ture occidentale, même si cette Une dernière précaution oratoire. forment à Berlin avant de travailler à compression chronologique, télesco- Désireux, depuis de longues années, de Hollywood et d'y constituer, peut-être, pant en l'espace d'une vie humaine une consacrer un ouvrage à Douglas Sirk, une école allemande : devant ce groupe évolution qui ailleurs a pris des siècles, je n'ai pourtant pas réussi, ainsi qu'il auquel appartiennent Fritz Lang, Ernst a permis à quelques cinéastes d'une aurait sans doute été souhaitable, à tout Lubitsch ou Douglas Sirk, on songe au remarquable longévité de connaître voir ou revoir. Il ne sera donc guère ici Greco, né en Crète, formé à Venise, pratiquement toutes les étapes du sep- question de quelques titres rares et devenu le plus grand peintre espagnol tième art : Lang, Vidor, Hitchcock, qu'on peut juger intéressants, comme de son temps. Ford, Walsh, Renoir sont de ceux-la. Das Mädchen vom Moorhof ou Lured, Ainsi est-on justifié à écrire une his- mais qui ne constituent du reste qu'une toire de l'art cinématographique Sirk, qui n'a guère fréquenté le muet faible fraction d'une œuvre abondante. comme depuis Vasari on sait écrire une qu'en spectateur, n'appartient pas exac- L'amateur, familiarisé avec la difficulté histoire de l'art tout court. La diffé- tement à ce groupe. Son travail cinéma- qu'il y a d'accéder à certains films, ne rence capitale réside dans la durée pro- tographique n'en couvre pas moins une devrait pas m'en tenir rigueur. On me pre de chaque moyen d'expression et période de plus de quarante ans, si bien permettra, le cas échéant, de m'abriter dans le rythme de ses mutations tech- que la « redécouverte » de Sirk, à la fin derrière l'autorité de Marc Bloch, qui niques. C'est en l'espace de deux géné- des années soixante, s'apparente à celle écrivait dans l'Avant-propos à ses Rois rations seulement que le cinéma a de Vermeer en plein XIXe siècle, ou à thaumaturges : « Il est des travaux que accompli le parcours qui, dans la pein- celle de La Tour encore plus près de l'on garderait éternellement en porte- ture, de Byzance à l'art moderne, s'est nous. Plus heureux, à cet égard, que les feuille, si l'on voulait s'astreindre à y effectué en neuf siècles. L'avènement peintres de Delft et de Lunéville, Sirk éviter, non seulement les lacunes impré- du parlant a constitue pour le cinéma a, de son vivant, assisté au phénomène vues, mais encore celles-là même que une rupture aussi decisive que l'avène- de « réécriture » de l'histoire qui lui l'on pressent, sans pouvoir les com- ment de la perspective dans la peinture rendait sa place légitime, et a même pu, bler ; celui que je présente aujourd'hui figurative — mais cette rupture inter- grâce à lui, se remettre à l'œuvre après au public est du nombre. » irk est né le 26 avril 1900 à Hambourg, ce qui fait de lui le con- s temporain d'Ophuls et de Siodmak, de Cukor et de Hitch- cock. Ses parents sont danois, et il par- tage d'ailleurs son enfance entre Ska- gen (au Danemark) et Hambourg où il a le souvenir d'avoir vu les mélodrames d'Asta Nielsen. Il s'appelle Hans Det- lef Sierck ; plus tard, il signera « Det- lef Sierck » ses mises en scène (au théâ- tre a partir de 1926-27, puis au cinéma). Ses études témoignent d'un esprit curieux et même d'un bel eclectisme : à l'école navale succèdent le droit à Munich, la philosophie à Iéna, l'his- toire de l'art à Hambourg. Il se trouve à Munich peu après la fin de la guerre, au moment où la Bavière est — briève- ment — dirigée par un soviet et où révolution et littérature paraissent faire bon ménage. Mais de cette période Sirk garde surtout le souvenir d'une très grande confusion. Pour payer ses étu- des, il fait aussi — comme son père avant lui — du journalisme. Et pendant toute cette période d'apprentissage, il peint. On peut d'ores et déjà repérer là le double signe sous lequel se déroule- ront la carrière et la vie et qui le pré- destine à s'occuper de théâtre et de cinéma : Sirk est tout à la fois un « lit- téraire » et un « visuel », un homme du langage et de l'image, un praticien de l'ecriture et de la peinture. A Ham- bourg où il assiste à des conférences d'Einstein sur la théorie de la relativité, il est surtout marqué par l'enseignement d'Erwin Panofsky, l'un des grands his- toriens de l'art de notre temps, lui- même homme de la lettre autant que de l'image, très tôt curieux et connaisseur du cinema autant que de la peinture de la Renaissance, et que les persécutions nazies conduiront avant Sirk sur le che- min de l'exil. On devine l'influence d'un père qui, journaliste, puis maître d'école, désigne Hans Detlef Sierck à Sirk la statue de Lessing à Hambourg, Il n'est pas aisé de se faire une idée circonstances (la marée montante du et lui assigne pour ambition d'« écrire du style de Sirk metteur en scène théâ- nazisme), équivalent effectivement à de comme cet homme ».