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PERDRE LE NORD

Juliette Binoche dans le rôle cle Camille Claudel

Un nom, une date. Lorsque BRUNO et à la rudesse d'acteurs non profes- DUMONT s'attaque au genre balisé sionnels (La Vie de Jésus, L'Huma- du biopic, cela ressemble à ce qu'a nité, Hors Satan), a choisi Juliette réussi à faire Maurice Pialat avec Binoche pour incarner, dans un son Van Gogh. Le réalisateur filme jeu dépouillé, une artiste en pleine un temps resserré, celui qui voit chute. Il a demande à des patientes Camille Claudel, internée dans un d'un centre hospitalier de la région asile de Provence, attendre avec d'apparaître aux côtés de l'actrice. A fièvre la visite de son frère, l'écri- la fois témoignage quasi-documen- vain Paul Claudel. En 1915, Camille taire sur le quotidien de l'interne- Claudel ne sait pas qu'elle va pas- ment, mise en scène implacable de ser le reste de sa vie enfermée et la paranoïa et récit d'un destin en qu'elle ne sculptera plus jamais. train de se figer, Camille Claudel, Bruno Dumont, habitué aux pay- 1915 offre des visages changeants. sages désolés du Nord de la France Entretien avec un maître du portrait.

_Propos recueillis pai Laura Tuillier / _Photographie Alexandre Guirkinger

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BRUNO DUMONT

ous tournez loin des paysages du ne pas qu'il lui vole ses idées. C'est une peur qui som- Nord qui vous sont habituels, dans meille chez tout artiste Camille Claudel incarne le un endroit plus radieux. Comment genie artistique et la chute. avez-vous vécu cette translation ? J'aurais pu faire Camille Claudel à l'hô- Camille est très silencieuse au début du film, Vpital de Ville-Evrard, son premier lieu d'internement puis explose lors d'un long monologue face J'y avais fait des reperages, les lieux sont bien, maîs à un psychiatre mutique... j'avais envie du Sud, que je connais mal L'idée d'être Après quarante minutes de film, la parole arrive. Le perdu me plaisait, il a fallu que j'assimile les lieux spectateur peut comprendre ce que dit Camille, qui Le Sud cst immédiatement très beau alors que le n'en peut plus. Il a été trempé dans le même bain, il a Nord est rendu beau par le cadre, par la patience de la compris quelque chose de la vie à l'asile. Le fait d'avoir caméra. En Provence, il y a comme une évidence de la dégagé des temps documentaires permet d'atteindre lumière. Je tournais une tragédie donc j'avais besoin de un paioxysme. J'aime beaucoup tiavailler le specta- beaucoup de soleil, comme un contrepoint. teur au corps lui donner froid pour qu'il sente mieux l'arrivée de la chaleur Comment se plonge-t-on dans une biographie? Avant de laire de la fiction, j'ai fait de la commande Le film est né d'un désir de Juliette Binoche pour des films industriels, donc la figure imposée ne de travailler avec vous. Comment avez-vous me dérange pas. Il y a peu de matériau dans le jour- envisagé cette demande? nal médical de Camille Claudel, je partais de presque C'était très coniortable d'être désire par Juliette en tant rien. Camille Claudel est quelqu'un qui a été, je la filme que réalisateur. J'étais en position de force. En même qui ne fait pas grand-chose. J'ai toujours constaté que temps, elle a beaucoup de caractère, elle est tres fémi- la pauvreté du fond est très intéressante au cinéma, ça niste alors que moi pas du tout, cc qui fait qu'il nous permet de développer une mise en scène proéminente. arrivait de nous disputer. Un film naît toujours d'une Pour Camille Claudel, j'ai pu jouer avec la connais- relation compliquée avec les acteurs, d'un rapport de sance qu'a le spectateur de sa vie, d'autant qu'un film foi ce C'est essentiel. a déjà été fait sur elle, je n'ai pas eu besoin de tout dire, de tout expliquer. Alors que vous avez l'habitude de travailler avec des acteurs non professionnels, Juliette La paranoïa est au centre des troubles de Binoche, actrice célèbre, incarne une autre Camille Claudel. De quoi est-elle le signe? femme célèbre, une artiste. Cela vous semblait- C'est la maladie typique de l'artiste, c'est l'enflure il cohérent? démesurée du moi Camille Claudel a ctc tuée par Ic J'ai eu l'idée de Camille Claudel grâce au désir desamour de Rodin, elle voulait être aimée absolu- de Juliette Binoche de travailler avec moi. Les ment et ça n'a pas eté le cas Dans sa paranoïa entre deux figures sont devenues indissociables. Qu'elle une rivalité avec Rodin . elle refuse de sculptei poui soit actrice ne change rien . moi, j'ai travaillé avec

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l'humaine, avec la femme qu'elle Le film délaisse Camille un cst aujourd'hui. J'ai situé l'action moment pour s'intéresser en 1915 pour que Juliette ait l'âge à Paul Claudel, avant qu'il de Camille. Je voulais que sa pré- n'arrive à l'asile... sence suffise, il fallait qu'elle en «J'AIME Avec Paul, Ic tilm passe dans fasse très peu BEAUCOUP la figuration d'un esprit qui se déploie. Mais c'est uniquement Il y a aussi des patientes qui TRAVAILLER pour s'apercevoir que Paul est jouent dans le film. De l'une aussi fou que Camille Pendant d'elles, vous dites : «Je n'ai LE SPECTATEUR une heure de film, nous sommes pas dè personnage, je n'ai plongés dans un quasi-silence. pas de commentaire à faire AU CORPS : Puis, Paul arrive et se met à réci- sur ce qu'est Jessica. » LUI DONNER ter des vers. Silence et poésie Beaucoup avaient des maladies vont ensemble. autistiques graves, donc je ne pou- FROID POUR QU'IL vais pas les diriger. Jc prenais la Comment avez-vous envi- décision de les mettre dans le plan SENTE MIEUX sagé la rencontre longtemps mais je ne pouvais pas influer sur L'ARRIVÉE DE LA retardée entre la sœur et ce qu'elles étaient. Je trouvais ça le frère? nécessaire de représenter la mala- CHALEUR.» Je voulais qu'on sente l'immen- die mentale par la seule mala- sité de la rencontre de deux die mentale, sans entrer dans le grands esprits français du début commentaire. En levanche, il du XXe siècle Elle en train de y a d'autres malades, moins atteintes, avec qui j'ai pu tomber, lui de monter. Ils sont de la même famille, ils travailler Là, j'ai beaucoup discuté avec elles de leurs s'aiment et se haïssent de façon gigantesque. Paul est désirs déjouer telle ou telle scène. Alexandra, la jeune rendu rude par son éducation, sa foi. Camille a tout fait femme qui réconforte Juliette, est assez atteinte, mais il exploser, elle me plaît davantage, elle est pure. Mais était possible de la diriger. J'ai distribué les rôles selon j'aime bien Paul, je le trouve très français : à la fois les capacités de chacune génial, fou et lâche. C'est sa duplicité, vouloir être un saint et ne pas savoir quoi faire de sa sœur. Avez-vous senti qu'il y avait le risque de mettre en scène un «freak show»? On évolue dans un monde de femmes, dont Il y a des spectateurs qui sont des salauds, qui ver- le désir semble absent. Se situe-t-il hors ront des choses horribles dans mon film. Moi, j'estime champ, tout entier tapi dans cette attente avoir assez travaillé avec les médecins et les patientes du frère? pour être délivré de ça. Et puis je pense que dégui- A l'asile, les êtres sont au repos. Ce n'est pas le lieu ser ces filles qui sont en jogging toute la journée dans du sexe. Nous sommes dans un espace de désamour l'asile, s'occuper d'elles, ça leur fait du bien. Leur ordi- spirituel et physique. Dans le compte-rendu médical naire est d'un ennui total, faire un film est quelque de Camille Claudel, il est d'ailleurs noté qu'elle ne chose de distrayant. Les reconnaître, les représenter, se masturbe pas. De plus, il me semble que la sexua- les considérer, c'est important. lité peut disparaître facilement chez l'artiste : ils se font l'amour à eux-mêmes en permanence. La sexua- Les patientes ont-elles vu le film? lité dans l'invisible est encore plus forte. Je pense à Oui, elles l'ont vu il y a quèlques jours. C'était une Hadewijch, probablement mon film le plus erotique projection particulière, assez bruyante. Mais tout le ct Ic moins frontal. monde était très content. Le psychiatre m'a dit qu'il trouvait le film tout à fait juste sur la psychiatrie, Il y a une scène de séduction très émouvante c'était important pour moi dans le film : la scène de répétition de Dom Juan par deux patientes. Camille, spectatrice, Votre film joue sur deux temps contradictoires : passe du rire aux larmes... le temps impatient de l'attente du frère et le Nous aussi, sur le plateau, il nous arrivait de rire sans temps très long de l'internement de Camille... trop savoir si c'était de la gêne ou de l'émotion. On Le journal de Camille ne parle que de ça . l'attente perd nos repères, comme Camille. C'est la même chose des visites de son frère. Il me semble que j'ai fait un quand je filme Paul Claudel de façon un peu ridicule : il film à suspense, presque comme un film américain est poète maîs il bataille pour ouvrir la porte de sa voi- sur l'apocalypse. Le film se développe sur l'attente de ture Le grotesque est toujours au bord du tragique. * cette apothéose minuscule. J'ai dit à Juliette Binoche : « Toi, tu saii que Camille Claudel restera enfermée Camille Claudel, 1915 tie Bruno Dumont toute sa vie, maîs ton personnage ne le sait pas. » En Avec Juliette Binoche, Jean-Luc Vincent... Distribiu ARP Sélection 1915, Camille Claudel pense qu'elle va sortir. Elle est Duree 11135 pleine d'espoir Sortie 13 mars

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