La Compagnie Les Bacchantes présente

CAMILLE, CAMILLE, CAMILLE

Texte de Sophie JABÈS

Adaptation scénique et mise en scène

Marie MONTEGANI

Avec

Vanessa FONTE / Camille, élève de Rodin

Nathalie BOUTEFEU / Camille, Statuaire

Clémentine YELNIK / Camille, Internée

Et la participation de Geneviève DANG dans le rôle du Messager

Scénographie/ Élodie MONET - Costumes/ Françoise KLEIN - Lumières et vidéo/ Nicolas SIMONIN - Images Filmées/ Christophe CORDIER - Son/ Marianne PIERRÉ

Coproductions Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National

Contact / Compagnie Les BACCHANTES

Marie MONTEGANI, metteure en scène, email : [email protected] / Mobile : 06.82.30.85.92

Isabelle CANALS, chargée de production, email : [email protected] / Mobile : 06.32.14.15.31

Delphine CECCATO, chargée de diffusion, email : [email protected] / Mobile : 06.74.09.01.67

Sommaire

Camille, Camille, Camille, une invitation à découvrir

Introduction

Synopsis de la pièce

Intentions de mise en scène

La vie et l'oeuvre de Camille Claudel

L'enfance

Camille, sculptrice

Camille, statuaire

Camille, internée

Autour de Camille Claudel

La polémique autour de l'internement

Camille réclame « la liberté à grand cri »

La réhabilitation

Camille Claude et le Cinéma

Passions et Inspirations

Camille et Paul

Camille et Rodin

Camille et Debussy

Conclusion

Dates prévues de Camille, Camille, Camille

Contacts

Camille, Camille, Camille, une invitation à découvrir Camille Claudel

Introduction

Camille, Camille, Camille, comme un appel...

Comment ne pas être bouleversé par Camille Claudel, femme libre et artiste de génie que l’abandon de Rodin, l’isolement et le manque de commandes poussèrent à la misère et au désespoir. Internée pendant trente ans, Camille Claudel fut inhumée dans une fosse commune, le carré n°10 dit « le carré des fous », rejoignant ainsi la liste des artistes maudits.

Tel un cri, le texte Camille, Camille, Camille vient rappeler avec force la femme et l’artiste hors du commun qu’elle était au travers d'une écriture à la fois crue et poétique d'où surgissent trois visages, trois corps, incar- nant chacun Camille Claudel à un moment différent de sa vie ; trois voix qui nous supplient, nous heurtent et qui finissent par se rejoindre, par dialoguer avant de retourner à leur solitude.

J'ai voulu que renaisse sur scène celle que l’on a cherché à museler, celle qui réclamait "la liberté à grand cri", liberté de créer, de sculpter, d’exister et poser la question de la place de l’artiste femme dans la société, au- jourd’hui.

Synopsis de la pièce

Camille, Camille, Camille, une tragédie d'aujourd'hui...

La pièce de Sophie Jabès s’ouvre sur un monologue de Camille Claudel au seuil de sa mort, de Camille Claudel à l’asile de Montdevergues. Elle est à l’image de la vieille Clotho qu’elle avait sculptée des années auparavant et comme elle, Camille déroule le fil de ses pensées, le fil de sa vie mais dans un grand désordre et un délire paranoïaque.

Le deuxième tableau nous projette dans l’atelier de Camille Claudel, quelques jours avant son internement. Elle s’apprête à détruire ses dernières créations, enfermée dans une solitude destructrice où elle devient la proie de délires psychotiques et obsessionnels sombrant peu à peu dans la folie. Elle réclame vengeance et maudit celui qui les a abandonnés elle et ses enfants, telle Médée.

Dans le troisième tableau, on retrouve la jeune Camille Claudel. Elle est l’élève de M. Rodin, elle est heureuse. Elle semble déterminée dans son amour, sûre de son talent, prête à se mesurer au « Maître » et à se donner à lui.

Puis on entend au loin, un Chœur qui pleure et plaint les malheurs des trois Camille, un Messager qui annonce des morts successives, et voilà qu’elles se rencontrent, qu’elles se reconnaissent, qu’elles se causent. De ces tentatives désespérées surgit le faible espoir d’échapper à leur destin. Pourtant chacune d’elle accomplira le sien.

Intentions de mise en scène

Je m’attacherai tout particulièrement à faire résonner ce chant à trois voix, à le mettre en mouvement afin que les comédiennes s’emparent de cette matière comme Camille s’appropriait la glaise, le marbre ou l’onyx. Des projections filmées de ses œuvres seront comme autant d’apparitions fantomatiques venant hanter le plateau et l’esprit des trois Camille. Des voix s’élèveront comme des mugissements à la hauteur des plaintes qu’elle a exprimées contre tous ceux qui l’ont abandonnée.

Scénographie

Un espace symbolisant aussi bien les ateliers successifs que Camille Claudel a occupés que sa chambre d’internement.

Un sol en bois en forme d’îlot évoquant la solitude dans laquelle elle a été plongée, et puis, un banc, un socle, une chaise, éléments que l’on retrouve dans ses œuvres.

Draps et voiles suspendus ; ils apparaissent au fur et à mesure créant l’idée d’enfermement.

Un miroir servant d’écran où le messager et des images-vidéos seront projetées ; reflet de ses rêveries et de ses démons.

La vidéo comme matière

Un écran où apparaissent des images / images médicales, scanners, exploration de l’intérieur du corps hu- main, évocation du travail de Camille Claudel, le corps comme matière pour mieux explorer les profondeurs de l’âme / radiographies, évocation du corps de l’artiste, de celle qui ne s’alimente plus et s’enferme dans la soli- tude maladive d’une névrose / échographies, images de fœtus, symbole de l’enfant que Camille a dû renoncer à avoir et de celle qui ne fut jamais aimée par sa mère.

Projection de parties filmées où les œuvres de Camille Claudel se font et se défont, viendront hanter l’esprit des trois Camille et envahir l’espace scénique / vision de corps qui marchent, de corps dansants qui se regrou- pent pour former le temps d’un instant, Sakountala, La Valse, L’Abandon, L’âge mûr ou encore La Vague, sym- bole des œuvres qui survivent à l’artiste malgré la destruction, l’isolement, l’internement /

La musique comme contrepoint au texte et à l’image

La musique, représentative des tourments de Camille / La musique comme symbole de l’émotion et de la puissance qui jaillissent de ses œuvres / symbole de son vertige et de sa passion pour Rodin / évocatrice de sa solitude / « La Mer », « Les pas dans la neige », « Clair de Lune », « L’après-midi d’un faune », ... Debussy, l’anticonformiste, l’impressionniste de la musique, l’inclassable, comme contrepoint à Camille /

Je partirai de plusieurs œuvres de Debussy qui seront donnés à entendre dans leur version originale, jusqu’à les déstructurer pour n’arriver qu’à la ligne mélodique, l’ossature et enfin le silence, en contrepoint aux images projetées.

La vie et l'oeuvre de Camille Claudel

L'enfance

1864-1881

Camille Anastasia Kendall Maria Nicola Claudel est née dans l’humble village de Villeneuve-sur-Fère en Tardenois au cœur d’un triangle ayant pour sommets Soissons, Reims et Château-Thierry, le 8 décembre 1864, de Louis-Prosper Vivenne Claudel, conservateur des hypothèques, et de Louise-Athanaïse, née Cerveaux, fille du médecin et nièce du prêtre du village.

La famille se fixe dans l’ancien presbytère qui jouxte l’église et le cimetière, puis dans la maison d’en face. Camille est la seconde d’une famille de quatre enfants. La mort de Charles-Henri, premier né du couple, décédé quinze jours après sa naissance, fait de Camille l’aînée d'une famille qui comptera deux autres naissances ; Louise, née le 26 février 1866, et de Paul, né le 6 Août 1868, futur poète et dramaturge.

Camille Claudel à 20 ans par César D.R.

Dès l’enfance, Camille pétrit la glaise avec un instinct farouche, fascinée par les monstres des rochers du Géyn, forêt voisine, où son frère, de façon prémonitoire, proscrit sa Violaine lépreuse de l’Annonce faite à Marie.

En 1870, Louis-Prosper Claudel occupe son dernier poste comme receveur de l’enregistrement à Bar-le-Duc. Camille va à l’école chez les sœurs de la Doctrine Chrétienne. En 1876, Louis-Prosper est nommé conservateur des hypothèques à Nogent-sur-Seine. C’est une promotion et un avantage financier. A Nogent-sur-Seine, Camille reçut les leçons du sculpteur local Alfred Boucher et créa ses premières œuvres, toutes inspirées de conquérants héroïques comme Napoléon, Bismarck, David et Goliath ou encore des membres de sa famille comme ici, « Paul à 13 ans ou jeune Achille » (1881) et de mêmes de paysans.

En 1881, à 17 ans, Camille entraîne sa famille à Paris pour sculpter, le père restant seul dans les villes avoisi- nantes où le fixait sa carrière de conservateur des hypothèques (Wassy-sur-Blaise, Rambouillet, Compiègne). Avec sa mère, sa sœur Louise, son frère Paul, elle habite au 135 bis, boulevard du Montparnasse de 1882 à 1886.

Camille, sculptrice

1882-1892

Sous l’égide d’Alfred Boucher, Camille suit les cours de l’académie Colarossi et crée un atelier de sculpture avec des amies anglaises au 117 rue Notre-Dame-des-Champs. En 1883, Alfred Boucher part pour l’Italie et demande à son ami Rodin de le remplacer auprès de ses élèves. (1840 - 1917), de vingt-quatre ans plus âgé que Camille, est ébloui par sa beauté et sa précocité.

Va naître alors entre les deux sculpteurs, malgré la distance de l’âge, une liaison sans précédent dans l’histoire de l’art : d’élève, Camille devient, dans l’atelier de Rodin, rue de l’Université, le modèle, la praticienne, l’amante et l’émule. Très vite la connivence puis la complicité artistique s'installent ; devant le génie de Camille, l'originalité de son talent et sa farouche volonté, Rodin ne résiste pas longtemps ; tel qu'il le dit lui- même : « Mademoiselle Claudel est devenue mon praticien le plus extraordinaire, je la consulte en toute choses ». Et à ceux qui la critiquent, Rodin répondra ; « Je lui ai montré où trouvé l'or mais l'or qu'elle trouve est bien à elle. »

Camille influence profondément Rodin, qui modèlera « L'éternelle idole », « Le baiser » (ils y travaillèrent à deux), ainsi que les « Porte de l'enfer ». Suivront des œuvres comme « La Danaïde » ou « Fugit Amor ». « La tête d'esclave », « L'Avarice », et « La luxure », « L'homme aux bras croisés », « Giganti », « L'homme penché » sont enrôlés parmi les réprouvés de Rodin. « La jeune fille à la gerbe » resurgit sous la signature du maître en « Galatée » ou « Frère et soeur ».

Pendant ces premières années de liaison, Camille poursuit son œuvre de portraitiste de ses proches avec la Vieille Hélène, le Jeune Romain et sa sœur Louise. En 1887, Camille quitte le domicile familial et vit dans un atelier loué pour elle par Rodin, La Folie Neubourg, 68 boulevard d’Italie. En 1888, Camille est lauréate de la société des artistes français pour Cacountala. Son « Buste d’Auguste Rodin » émerveille le modèle et avec Psaume Camille conquiert définitivement la pleine maîtrise de son style.

Mais à cette époque, le monde de l’art, majoritairement masculin, refuse de reconnaître le talent de Camille. Les critiques ne voient en elle que l’élève de Rodin.

En parallèle, son amour pour l’artiste se détériore et se transforme en souffrance. Le sculpteur ne parvient pas à quitter sa compagne Rose Beuret. Meurtrie, elle va jusqu’à détruire une partie de son travail et le drame d’un avortement en 1892 consomme la rupture avec Rodin, et le départ de son frère Paul pour les États-Unis détermine Camille à s’affranchir de l’emprise du maître.

Camille, statuaire

1893-1912

Camille affirme, alors, son « je ». En 1893, elle loue un atelier ,113 boulevard d’Italie. Période la plus créatrice où naîtront ses chefs-d’œuvre comme «La Valse » (ci-dessus), Clotho, la Petite Châtelaine ou encore l’Âge mur. Passant de l'expressivité passionnée et exclusive du corps nu, propre à Rodin, à une science des attitudes plus originale et maîtrisée qui relève de son génie propre, elle enveloppe de plus en plus les corps de drapés très Art nouveau et un chef-d'œuvre tel que La Valse, qui compte plusieurs versions, montre l'étendue de son talent.

Mais l'artiste ne s'arrête pas là, elle explore une nouvelle voie, profondément originale ; - « J'ai beaucoup d'idées nouvelles », confie-t-elle à son frère Paul. Elle en donne quelques croquis étonnants et parmi lesquels on reconnaît « les Causeuses » (ci-dessous).

D'autres œuvres nombreuses et remarquables naissent alors sous ses doigts comme la Vague en onyx, la Pro- fonde Pensée et Rêve au coin du feu. C'est l'invention d'une statuaire de l'intimité qu'elle seule a pu atteindre. La voie amorcée par Camille Claudel vise à saisir sur le vif le vécu d'un geste simple, dans l'intensité de l'ins- tant.

Elle s'attarde au moment qui s'échappe et réussit magistralement à en faire sentir toute la densité tragique. Pour la comtesse de Maigret, elle traduit en marbre sa dernière grande œuvre Persée et la Gorgone qui sym- bolise son drame final et « Vertumne et Pomone ».

Après un bref séjour rue de Turenne en 1898, Camille s’installe en janvier 1899 dans l’Ile Saint Louis, 19 quai Bourbon. Eugène Blot, son marchand et ami, acquiert les droits de reproduction d’une vingtaine de plâtres pour les commercialiser en bronze dont la Fortune, la Joueuse de flûte, la Valse, l’Implorante, l’âge mûr, l’Abandon. Les expositions à la galerie Blot en 1905 et en 1908 ne connurent pas un succès éclatant mais per- mirent la vente de nombreux exemplaires des petits modèles ; Rêve au coin du feu, « L’Implorante » (ci- dessous), « l’Abandon », « la Valse » et dans une moindre mesure « la Fortune » et « la Profonde Pensée ».

Les expositions à la galerie Blot en 1905 et en 1908 ne connurent pas un succès éclatant mais permirent la vente de nombreux exemplaires des petits modèles Rêve au coin du feu, l’Implorante, l’Abandon, la Valse et dans une moindre mesure la Fortune et la Profonde Pensée.

En 1906, l’État lui achète enfin une œuvre en matériau définitif la « Niobide blessée ». Camille entame une œuvre qu’elle veut détacher de l’influence de Rodin. Elle vit seule dans son atelier du boulevard d’Italie ; son unique distraction consiste à regarder par la fenêtre le spectacle dans la rue dont elle recueille une somme considérable de notations modelées très éloignées du style rodinien : « La Chienne affamée » (ci-dessous), « le Vieil aveugle chantant », « le Chat ».

Peu de ces petites figurines ont été retrouvées, soit parce que détruites par Camille, ou simplement disparues. En 1906, après le départ de son frère Paul pour la Chine, Camille cesse toute activité créatrice et entreprend la destruction de ses œuvres. Elle est obsédée par le souvenir de Rodin qu’elle accuse de lui voler ses idées et ses œuvres.

Camille, internée

1913-1943

Le 2 Mars 1913 meurt son père qui avait toujours soutenu la vocation de sa fille et auquel on voulut épargner la décision fatidique d’interner la pauvre recluse du quai Bourbon. La mère et le médecin traitant signent le certificat d’internement : « Je soussigné, docteur Michaux, certifie que Mademoiselle Camille Claudel est atteinte de troubles intellec- tuels très sérieux ; qu’elle porte des habits misérables ; qu’elle est absolument sale, ne se lavant certainement jamais... ; qu’elle passe sa vie complètement renfermée dans son loge- ment et privée d’air ; que depuis plusieurs mois elle ne sort plus dans la journée mais qu’elle fait de rares sorties au milieu de la nuit ; que d’après ses lettres (...) elle a toujours la terreur de la bande à Rodin que j’ai déjà constatée chez elle depuis 7 à 8 ans, qu’elle se figure être persécutée, que son état déjà dangereux pour elle à cause du manque de soins et même parfois de nour- riture est également dangereux pour ses voisins. Et qu’il serait nécessaire de l’interner dans une maison de santé." Paris, le 7 mars 1913, docteur Michaux.

Camille est alors internée le 10 mars à l'asile de Ville-Evrard mais en 1914, la Première Guerre mondiale éclate et les hôpitaux sont réquisitionnés. Elle est transférée le 9 septembre à l'asile d'aliénés de Montdevergues, à Montfavet, dans le Vaucluse où elle y est affreusement malheureuse, ne sculpte plus. Elle écrit de nom- breuses lettres à son frère et à sa mère, dans lesquelles elle se plaint des conditions de son internement mais ne reçoit en retour qu'un peu de nourriture et des affaires diverses.

Camille écrit : « Maman et ma soeur ont donné l’ordre de me séquestrer de la façon la plus complète, aucune de mes lettres ne part, aucune visite ne pénètre ». En effet, les seules visites ou lettres qui lui seront autorisées, seront celles de sa famille. Elle ne recevra jamais une seule visite de sa mère, qui meurt en 1929, ni de sa sœur. Son frère Paul ne viendra la voir qu'à douze reprises en trente ans.

Elle meurt le 19 octobre 1943 d’un ictus apoplectique, vraisemblablement par suite de la malnutrition sévis- sant à l’hôpital, à l’âge de 78 ans. Elle est inhumée quelques jours plus tard au cimetière de Montfavet, ac- compagnée du personnel de l’hôpital. Ses restes seront transférés dans une fosse commune, son corps n’ayant pas été réclamé par ses proches.

Autour de Camille Claudel

La polémique autour de l'internement psychiatrique

Dès les mois qui suivent son internement psychiatrique, celui-ci est condamné par les admirateurs de Camille Claudel, qui y voient un « crime clérical ». Ainsi, le journal l'Avenir de l'Aisne publie le 19 septembre 1913 une tribune s'indignant de ce qu'« en plein travail, en pleine possession de son beau talent et de toutes ses facultés intellectuelles, des hommes [soient] venus chez elle, l'ont jetée brutalement dans une voiture malgré ses pro- testations indignées, et, depuis ce jour, cette grande artiste est enfermée dans une maison de fous ». Une cam- pagne de presse est alors lancée contre la « séquestration légale », accusant en particulier la famille de Camille Claudel de vouloir se débarrasser d'elle et demandant l'abrogation de la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés.

Bouleversé, Rodin tentera de faire en sorte d'améliorer le sort de Camille, sans grand succès. En 1914, Rodin consacre une salle à l'œuvre de Camille Claudel dans l'Hôtel Biron aujourd'hui Musée Rodin. Rodin meurt en novembre 1917.

Camille réclame « la liberté à grand cri »

Le 25 février 1917, cinq ans après son internement, Camille Claudel adresse au docteur Michaux cette lettre poignante :

Monsieur le docteur,

Vous ne vous souvenez peut-être pas de votre ex-cliente et voisine, Mlle Claudel, qui fut enlevée chez elle le 13 mars 1913 et transportée dans les asiles d'aliénés d'où elle ne sortira peut-être jamais. Cela fait cinq ans, bientôt six, que je subis cet affreux martyre, je fus d'abord transportée dans l'asile d'aliénés de Ville-Evrard puis, de là, dans celui de Montdevergues près de Montfavet (Vaucluse). Inu- tile de vous dépeindre quelles furent mes souffrances. J'ai écrit dernièrement à Monsieur , avo- cat, à qui vous aviez bien voulu me recommander, et qui a plaidé autrefois pour moi avec tant de suc- cès ; je le prie de vouloir bien s'occuper de moi. Mais, dans cette circonstance, vos bons conseils me seraient nécessaires car vous êtes un homme de grande expérience et, comme docteur en médecine, très au courant de la question. Je vous prie donc de bien vouloir causer de moi avec M. Adam et réflé- chir à ce que vous pourriez faire pour moi. Du côté de ma famille, il n'y a rien à faire : sous l'influence de mauvaises personnes, ma mère, mon frère et ma sœur n'écoutent que les calomnies dont on m'a couverte. On me reproche (ô crime épouvantable) d'avoir vécu toute seule, de passer ma vie avec des chats, d'avoir la manie de la persécution ! C'est sur la foi de ces accusations que je suis incarcérée de- puis cinq ans et demi comme une criminelle, privée de liberté, privée de nourriture, de feu, et des plus élémentaires commodités. J'ai expliqué à M. Adam dans une longue lettre les autres motifs qui ont contribué à mon incarcération, je vous prie de la lire attentivement pour vous rendre compte des te- nants et des aboutissants de cette affaire. Peut-être pourriez-vous, comme docteur en médecine, user de votre influence en ma faveur. Dans tous les cas, si on ne veut pas me rendre ma liberté tout de suite, je préférerais être transférée à la Salpêtrière ou à Sainte-Anne ou dans un hôpital ordinaire où vous puissiez venir me voir et vous rendre compte de ma santé. On donne ici pour moi 150 F par mois, et il faut voir comme je suis traitée, mes parents ne s'occupent pas de moi et ne répondent à mes plaintes que par le mutisme le plus complet, ainsi on fait de moi ce qu'on veut. C'est affreux d'être abandonnée de cette façon, je ne puis résister au chagrin qui m'accable. Enfin, j'espère que vous pour- rez faire quelque chose pour moi, et il est bien entendu que si vous avez quelques frais à faire, vous voudrez bien en faire la note et je vous rembourserai intégralement. J'espère que vous n'avez pas eu de malheur à déplorer par suite de cette maudite guerre, que M. votre fils n'a pas eu à souffrir dans les tranchées et que Madame Michaux et vos deux jeunes filles sont en bonne santé. Il y a une chose que je vous demande aussi, c'est quand vous irez dans la famille Merklen, de dire à tout le monde ce que je suis devenue.

Aujourd'hui, à la lecture des rapports psychiatriques qui mettent en évidence un état pathologique plus mélancolique et dépressif que réellement délirant et dangereux, les lettres écrites par Camille à sa famille et surtout à son frère, laissent à penser qu'elle avait "toute sa tête", et rendent d'autant plus incompréhensible son internement abusif. Aussi, comment ne pas s'interroger quand son frère Paul, à la dévotion revendiquée, déclare à la fois le 20 septembre 1943 ; « Amer, amer regret de l'avoir ainsi longtemps abandonnée » et, en 1951 dans les Mémoires improvisées : "Ma sœur Camille avait une beauté extraordinaire, de plus une énergie, une imagination, une volonté tout à fait excep- tionnelles. Et tous ces dons superbes n’ont servi à rien : après une vie extrêmement douloureuse, elle a abouti à un échec complet. Moi, j’ai abouti à un résultat. Elle, elle n’a abouti à rien.».

Persée et la Gorgone (1894-1897)

La réhabilitation

Reine-Marie Paris-Claudel, petite-fille de Paul Claudel par sa mère, petite nièce de Camille Claudel, a consacré sa vie à retrouver et à dévoiler la vie et l’œuvre du sculpteur.

Licenciée d’histoire et de géographie, à la Sorbonne, sa maîtrise de l’histoire de l’art sur Camille Clau- del l’amènera à élargir ses recherches et à publier un premier ouvrage, chez Gallimard en 1984 : Camille Clau- del. En 1990, elle édite chez Arhis et Adam Biro son premier catalogue raisonné.

Elle en a aujourd’hui la collection la plus importante et la plus complète du monde. Grâce à sa collection , à ses ouvrages et à sa participation à des conférences et à plus d’une soixantaine d’expositions internationales ; grâce aussi aux conseils qu’elle a donnés comme directrice artistique au réalisateur du célèbre film Camille Claudel, Reine-Marie Paris a très largement contribué à la renommée de sa grand-tante.

Camille Claudel et le Cinéma

Le cinéma ne pouvait que s'emparer de cette si exceptionnelle «héroïne » qu'est Camille Claudel.

Depuis le début des années 80, Isabelle Adjani s'investissait dans la préparation d'un film sur Camille et en 1985, la famille Claudel annonce dans un communiqué qu'elle « a cédé à Isabelle Adjani tous les droits néces- saires pour un film sur la vie du sculpteur Camille Claudel. » Décision motivée par « l'originalité du talent de cette comédienne, qui l'apparente à son modèle. »

Inspiratrice et coproductrice du projet, elle confie la réalisation à son ancien compagnon, Bruno Nuytten, père de son fils Barnabé, qui est considéré à l'époque comme l'un des meilleurs chefs opérateur français : "Sa raison d'être, c'était l'ombre. À partir de l'ombre, il faisait exister la lumière. Il m'avait dit que jamais il ne passerait à la mise en scène. [...] Je lui ai dit que j'aimerais me servir du corps de Camille Claudel pour pouvoir incarner mon propre désarroi, mon cri. Il m'a entendue."

L'ouvrage de Reine-Marie Paris, Camille Claudel, servit de base au scénario et la petite nièce de Camille suivit de près l'élaboration du film, comme conseillère. Cependant, Bruno Nuytten prit quelques libertés avec l'his- toire comme pour mieux s'approcher du « mystère Camille ». Le film met l'accent sur la relation tumultueuse et passionnée entre Camille Claudel et Auguste Rodin, sur leur fascination réciproque qui s'accomplit et se détruit à travers leurs créations respectives puis les années de lutte, de solitude, de désespoir, de misère qui s'en suivirent jusqu'au moment où Camille Claudel est conduite de force à l'hospice pour y être internée.

Le film sort en salle en 1988 et est couronné d'un véritable succès. Isabelle Adjani y incarne une époustou- flante Camille Claudel. Au-delà d'une extraordinaire ressemblance physique, elle parvient à montrer une fougue, une ferveur, une violence et une grâce toute en nuance et en complexité. Elle décroche le César de la meilleure actrice et offre une revanche posthume à l'artiste au destin brisé.Le film contribua à faire connaître la vie et l'œuvre de Camille Claudel.

La lettre de Gérard Depardieu à Isabelle Adjani

Enivré par son personnage, désœuvré et attristé par la fin du tournage, l’acteur français adressait cette lettre d’hommage à sa sublime partenaire de scène.

Ma chère Isabelle,

J’ai rasé ma barbe ce matin. Maintenant, il faut que je maigrisse. Tu vois, Rodin s’éloigne… Au sens propre, je me désincarne. Je me sens vide, vidé. Dans cet état de désœuvrement, d’entre-deux rôles, je risque tout.

Je m’accroche à l’idée de perdre du poids, d’être prêt pour le prochain film. Rodin s’est défendu pied à pied, pendant plusieurs jours, avant de vaciller sur son socle. Je vacille…

Comme ces chevaliers du Moyen Âge roulant sous la table le soir d’un tournoi, j’ai besoin d’une ripaille flam- boyante, d’une cuite salvatrice. Il me faut cette violence, cette déflagration. Je m’éclate, je m’émiette. Oui, c’est le mot, je m’émiette.

Toi, Isabelle, tu es une guerrière, toujours en éveil, prête à recevoir l’ennemi. Tu as régné sur le tournage de Camille Claudel. Tu portais depuis longtemps ce film en toi. Je tournais encore Sous le soleil de Satan quand tu es venue m’en parler pour la première fois. Tu es entrée sans prévenir dans cette petite auberge d’un autre temps. Il émanait de toi quelque chose de surnaturel, d’impalpable, une sorte d’énergie spirituelle. On devinait en toi une énergie farouche, indomptable, presque anthropophage ! Tu étais venue derrière tes grandes lu- nettes noires me proposer d’être Rodin. À ce moment, le compteur de la ville de Montreuil a explosé ! Nous avons continué notre conversation à la bougie. C’était une rencontre magique. Notre deuxième rencontre.

J’ai envie d’avoir ta force, Isabelle, de te ressembler, si forte malgré tes attaches fines. Tu es une femme préhis- torique, riche de ses grands instincts quand l’homme amputé, coupé de son animalité est un bipède moribond, malade de l’humanité. Si Rodin a pu vivre, sculpter, c’est en s’alimentant des forces vives de Camille, ne lui lais- sant en partage de leur passion que la folie, un amour épuisé.

Tu vois, Isabelle, j’ai rasé ma barbe ce matin, et j’ai du mal à m’en remettre.

Un second film sur la vie de Camille Claudel sort en 2013 : Camille Claudel, 1915.

Le film de Bruno Dumont porte dans son titre la mention 1915. La France est en guerre. Camille aussi puis- qu'elle est internée depuis deux ans en hôpital psychiatrique. La sculptrice vit donc recluse au milieu de l'hu- meur erratique des patients. Camille attend impatiemment la venue prochaine de son frère Paul. Mais la ren- contre n'aura pas l'effet escompté. L'action du film se concentre sur trois jours seulement de la vie de Camille Claudel.

Camille Claudel y est incarnée par Juliette Binoche

Expérience du dénuement

Là où le premier fait l'éloquent éloge d'une intelligence politique dans l'antichambre du pouvoir, le second sculpte dans la pétrification asilaire la "mise au tombeau" (l'expression est du biographe de Camille Claudel, Jean-Paul Morel) d'une artiste morte à la société. De même, alors que Spielberg demande à son interprète Daniel Day-Lewis de mobiliser toutes les ressources de son art pour interpréter Lincoln, Dumont exige de Juliette Binoche qu'elle les oublie. Exercice de maîtrise, le jeu devient expérience du dénuement, de l'abandon.

Camille Claudel appelait une telle approche : montrer une autre face de la création, qui regarde moins la con- quête du public que l'esseulement de l'artiste. Et l'expérience s'avère plus que concluante, offrant à l'actrice sommée de rompre avec son métier peut-être l'un de ses plus beaux rôles.

Quant à l'enjeu dramaturgique du film, il témoigne d'une audace qui n'est pas moindre. Toute l'action est tournée vers l'attente par Camille de la venue de son frère Paul (interprété par Jean-Luc Vincent). Le film est l'histoire de cette attente, de même que son climax est figuré par cette visite, tant espérée et qui sera si fu- gace...

Passions et Inspirations

Camille et Paul

Les mêmes yeux bleus, tirant vers le violet pour elle. Le même nez, la même bouche. Mais aussi le même mauvais caractère, rugueux, brutal jusqu'à la violence. Camille et Paul, la sœur et le frère se ressemble jusque dans leur façon de parler. On les appelle « Les Claudel ». Un couple pas commode, rythmé de disputes, de moqueries, surtout de sa part à elle, et même de paires de claques. Paul aura reçu beaucoup de gifles de cette sœur aînée, vite courroucée et prompte à la réplique. Mais un couple solide, passionné et sans doute aussi maudit que celui de Camille et Rodin.

Elle est l'aîné de quatre ans, venant consoler ses parents de la mort prématuré de leur fils, Charles- Henri, disparu à quinze jours. Le prénom androgyne de Camille est comme un écho compensatoire qui n'empêchera pas sa mère de lui en vouloir toute sa vie de n'être pas ce fils disparu. Très belle, elle domine son frère de sa haute taille. Mais leurs rêves et leur talent sont les mêmes. Ils sont l'un et l'autre attirés par le mystère, par le risque de l'inconnu. Paul avait l'habitude de se percher sur un pommier du jardin familial et d'y passer des heures à composer des vers. Quand sa mère l'appelait, il retrouvait sa sœur la robe et les mains maculées de la terre qu'elle allait chercher dans la forêt mi- toyenne.

Deux artistes dans une famille qui n'avait connu que des paysans, des commerçants, des curés, des médecins et des fonctionnaires. Leur double vocation est précoce ; Camille apprend à sculpter seule et, petite fille, n'a pas d'autres jeux. Paul, lui, joue avec les mots dès qu'il sait écrire et lire. A treize ans, il écrit son premier drame, « L'endormie » et l'envoie au Théâtre de l'Odéon où il dormira dans les archives jusqu'à sa parution dans La Pléiade. Il pose aussi pour sa sœur : l'un des premiers chefs d'oeuvre de Camille, qui a alors dix-sept ans, est le buste de son frère, « Paul a 13 ans ».

Leur vocation au lieu de les séparer, les rapproche. Des lettres témoignent qu'ils se tenaient au cou- rant de leurs projets, de leurs travaux. Une étude parallèle de leurs œuvres suffit à déceler ce qu'ils se doivent l'un l'autre. Si Paul est présent à plusieurs âges de sa vie dans l’œuvre de sa sœur, Camille a inspiré les héroïnes du théâtre claudélien ; la princesse de Tête d'or, Dona Prouhèze, fiévreuse, ex- cessive et qui boîte comme elle et bien sûr, à la fois Mara et Violaine. Elle a prêté ses traits à leurs visages, ses passions à leurs figures. Toutes ses héroïnes ont d'ailleurs les yeux bleu-violet de Camille, ces yeux dont la couleur était pour Paul celle des raisins mûrs.

A l'occasion de la première exposition organisée au Musée Rodin en 1951, Paul témoigne de son ad- miration pour sa sœur et lui rend un fervent hommage. Il la résume et il la pleure. Il pleure surtout son drame : ce trop grand amour pour Rodin qui, pour lui, a saccagé sa vie. Il n'a pas de mots assez durs contre celui qui a conduit sa sœur au chagrin, à la dépression, à la folie. Il hait Rodin qu'il appelle en ricanant le « Priapatriarche », obsédé sexuel selon lui, dont les fantasmes se lisent dans ses sculp- tures. Il aurait voulu protéger sa sœur, il n'a pas pu, il n'a pas su. Paul a cruellement manqué à Ca- mille, toutes ces années où sa liaison avec Rodin connaît violences et rupture. Malheureux de son côté, sauvé in extremis d'une passion également vouée au chagrin, Paul est aussi absent physique- ment et moralement au moment où Camille bascule dans le désespoir le plus total.

Quand elle meurt en 1943, cette sœur de génie réduite à la solitude et à la misère, cette sœur qu'il n'a visité que 13 fois en trente ans et dont une photographie montre le vieux manteau rapiécé, c'est l'apothéose du poète. Paul triomphe à Paris avec Le soulier de satin mis en scène par Jean-Louis Bar- rault. Tandis qu'elle sombre pour de longues années dans l'anonymat, lui atteint la gloire.

Pour elle, la fosse commune, pour lui, les funérailles quasi-nationale. Sur son lit de mort, les derniers mots de Camille furent pour son frère. Elle l'appelait pour qu'il vienne la rejoindre ; « mon petit Paul, mon petit Paul ».

L’équilibre de leurs destins contraires est un sujet douloureux de méditation pour Paul Claudel, et aussi de remords. Dans sa Conversation sur Jean Racine (1954) le poète interroge une dernière fois le destin tragique de sa sœur au travers du mythe d’Apollon, le dieu qui inspire et brise ceux qu’il ins- pire, telle la prophétesse Cassandre, sa « victime et complice » qui accuse le dieu de la porte : « Mon Apollon de mort ! Apolesas ! Tu m’as perdue ! » (Eschyle).

La petite Châtelaine (1892-1896)

L'annonce faite à Marie (crée en 1912)

Une première version de la pièce a été publiée sous le titre de La Jeune Fille Violaine en 1892, remaniée en 1899 (elle sera créée sur scène en 1944, salle Iéna)

Dans un « Moyen Âge de convention », Violaine, fille d'Anne Vercors, et fiancée à Jacques Hury, rencontre l'architecte Pierre de Craon, qui l'a autrefois désirée et a, depuis, contracté la lèpre. Violaine consent à lui donner, par compassion et charité, un baiser d'adieu. Mais la scène a été surprise par sa sœur Mara, amou- reuse de Hury, et celle-ci va tout tenter pour nuire à sa rivale.

À la suite de ce baiser, Violaine contracte également la lèpre, elle se voit reniée par les siens et abandonnée par son fiancé qui épouse Mara. Elle se retire dans la forêt pour se vouer à Dieu. Mais voici que meurt l'enfant né du mariage de Mara et de Jacques. Désespérée, Mara va supplier la lépreuse dans sa caverne durant la nuit de Noël : elle ne l'aime pas, mais elle a foi dans la vertu de sa sainteté qui peut obtenir de Dieu un miracle. Violaine l'associe à ses prières et ressuscite l'enfant.

À l'acte suivant, elle est tuée par Mara, toujours jalouse et, avant de mourir, elle obtient pour cette dernière le pardon de son père et de son mari. Et, tandis que la lèpre de Pierre de Craon a été mystérieusement guérie, Mara trouve enfin la paix dans le pardon, au son des cloches de l'Angélus : l´Ange du Seigneur est venu annon- cer à Marie : Angelus Domini nuntiavit Mariae. Telle est finalement la signification de ce mystère : la « posses- sion d´une âme par le surnaturel », comme l´a décrit Claudel lui-même.

Camille Claudel et Auguste Rodin

Rodin et Camille Claudel forment un des couples les plus célèbres de l'histoire de l'art. Mais plus que l'aven- ture sentimentale, c'est la rencontre de deux œuvres que l'avenir retiendra.

Dès le départ, en effet, pour l'un comme pour l'autre, modeler les corps dans l'espace avait été une vocation : Rodin était entré à quatorze ans à L’École supérieure de dessin et le buste de son père témoignera d'emblée d'un sens de l'essentiel, d'une filiation antique. Camille de son côté, comme nous l'avons dits plus haut, brûle au même âge d'une passion dévorante pour la sculpture, se procure la glaise à même la nature et réalise un

David et Goliath et le buste de La vieille Hélène où s'affirment déjà la puissance d’exécution mêlée à une ex- trême exigence qui sera sa marque. Réalisme qui la fait héritière de Donatello, pendant que les premières ap- proches de Rodin annoncent la beauté plus idéale de Michel-Ange.

Lorsqu’en 1881, Camille âgée de 17 ans vient avec sa famille à Paris et s'inscrit à l'Académie Colarossi, Rodin fait, à quarante et un ans son entrée sur la scène artistique et à, l'issue d'un voyage en Italie où l’œuvre de Michel-Ange s'est imposée à lui, expose l'Âge d'Airain. Cette représentation d'un homme en mouvement, légè- rement déhanché, l'impose comme un grand sculpteur mais déclenche aussi la réprobation de certains pour son réalisme anatomique sans complexe. A cette époque, Rodin organise son atelier naissant sur le modèle de son ancien patron Carrier-Belleuse, le maître exécutant les grandes lignes du travail et laissant à ses assistants un rôle important qui démultiplie les possibilités de production. Dans les dix années qui suivirent le sculpteur engrange des commandes essentielles dont la plus importante sera les Portes de l'enfer, immense bas-relief orné de figurines inspirées de la Divine Comédie de Dante, commandée pour l'entrée du Musée des Arts déco- ratifs. Il conçoit l'ensemble comme un grand ballet où la vie humaine est montrée à tous ses stades ; les corps cambrés s'éveillent et se déploient, d'autres témoignent de la déchéance des chairs ou de l'esprit. Tel est l'homme, telle est l’œuvre que rencontre Camille Claudel en 1882, devenant son élève, son assistante puis sa maîtresse. Fasciné par les dons de Camille, Rodin lui laisse une place essentielle pour la seconder dans l'exécu- tion de la finition anatomique. Il semble, en effet, qu’elle exécute surtout des morceaux difficiles, comme les mains et les pieds. Pour Camille Claudel, il s'agit d’une période de formation sous la direction de Rodin.

Elle assimile la théorie des profils et comprend l’importance de l’expression.

Parallèlement, elle poursuit ses propres recherches, répond à ses premières commandes et cherche à se faire reconnaître au Salon. De 1882 à 1889, Camille Claudel ex- pose régulièrement au Salon des artistes français, essentiellement des bustes et portraits de son en- tourage. Grâce à Léon Gauchez, un critique et marchand belge proche de Rodin, plusieurs de ses œuvres entrent dans différents musées français dès les années 1890.

Les œuvres de cette époque portent l’influence de Rodin : le Torse de femme debout (1888) et le Torse de femme accroupie (1884-85) montrent sa compréhension du potentiel expressif d’un fragment de corps. « L’homme penché » (1886) témoigne quant à lui de l’influence, via « Le Penseur » de Rodin, des figures d’Ignudi peintes par Michel Ange sur la voûte de la chapelle Sixtine.

« Je fais de la sculpture depuis sept ans et je suis élève de Monsieur Rodin », revendique-t-elle dans une lettre adressée le 27 octobre 1889 au Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts. Elle exerce aussi une cer- taine influence sur son maître qui reconnaît en elle une artiste à part entière. En témoigne l’antériorité de sa « Jeune fille à la gerbe » (1886-87) sur « La Galatée » de Rodin, d’une sensibilité très proche. La proximité stylistique des deux artistes au cours de cette période est telle qu’il est parfois facile de confondre la main Claudel avec celle de son maître dans les œuvres de Rodin auxquelles elle a collaboré en tant que praticienne : si la tête de la figure de l’Avarice, dans L’avarice et la luxure, lui a été attribuée à tort, les têtes de l'Esclave et du Rieur (vers 1885) qui ont reçu la signature de Rodin lors de leur fonte en bronze, sont bien de la main de Camille Claudel.

Si Rodin reconnaît immédiatement le talent de la jeune femme, il en tombe également éperdument amou- reux. Leurs lettres attestent de la passion précoce éprouvée par Rodin comme celle-ci écrite à l'automne 1886 :

« Ma féroce amie,

Ma pauvre tête est bien malade, et je ne puis plus me lever le matin. (...) Aye pitié méchante. Je n'en puis plus, je ne puis plus passer un jour sans te voir. Sinon l'atroce folie. C'est fini, je ne travaille plus, divinité malfaisante, et pourtant je t'aime avec fureur. Ma Camille sois assurée que je n'ai aucune femme en amitié, et toute mon âme t'appartient. (...) Je ne ris plus depuis longtemps, je ne chante plus, tout m'est insipide et indifférent. Je suis déjà mort et je ne comprends plus le mal que je me suis donné pour des choses qui me sont si indifférentes maintenant. Laisse-moi te voir tous les jours, ce sera une bonne action et peut-être qu'il m'arrivera un peu mieux, car toi seule peut me sauver par ta générosité. (…) Je t'embrasse les mains mon amie, toi qui me donne des jouissances si élevées, si ardentes, près de toi, mon âme existe avec force et, dans sa fureur d'amour, ton respect est toujours au-dessus. (…) Je ne regrette rien. Ni le dénouement qui me paraît funèbre, ma vie sera

tombée dans un gouffre. Mais mon âme a eu sa floraison, tardive hélas. Il a fallu que je te connaisse et tout a pris une vie inconnue, ma terne existence a flambé dans un feu de joie. Merci car c'est à toi que je dois toute la part de ciel que j'ai eue dans ma vie. (…) Ah! Divine beauté, fleur qui parle, et qui aime, fleur intelligente, ma chérie. Ma très bonne, à deux genoux, devant ton beau corps que j'étreins. R»

Cette histoire passionnée, mêlant vie personnelle et travail, inspire les deux artistes dont les œuvres fonction- nent comme autant de déclarations, de critiques ou de réponses à l’autre. Rodin exécute à cette époque plu- sieurs portraits, dont « Camille aux cheveux courts » (le premier portrait de Claudel par Rodin), et « Masque de Camille » qui sera exposé en 1900. Deux groupes initialement destinés à « la Porte de l’Enfer », « Je suis belle » (1882) et « L’Éternel printemps » (1884), traduisent la passion que Rodin éprouve alors pour Camille Claudel, tandis qu’elle-même ressent le besoin de prendre ses distances. Elle se réfugie en Angleterre chez Jessie Lipscomb. A son retour en septembre, tout à sa joie de la retrouver, Rodin signe en sa faveur un éton- nant « contrat » par lequel il se met entièrement à son service et lui jure fidélité :

« Pour l'avenir à partir d'aujourd'hui 12 octobre 1886 je ne tiendrai pour mon élève que Mlle Camille Claudel et je la protégerai [...] Je n'accepterai plus d'autres élèves [...] Je n'irai plus sous aucun prétexte chez Mme... à qui je n'enseignerai plus la sculpture. Après l'exposition au mois de mai nous partons pour l'Italie et nous y restons au moins 6 mois communément d'une liaison indissoluble après laquelle Mlle Camille sera ma femme (…). Je n'aurai aucune femme sans cela les conditions sont rompues. Je ne prendrai aucun des modèles de femme que j'ai connus.»

Dans son œuvre, la jeune artiste montre plus de retenue que son amant et y fait figurer peu d’allusions directe à sa relation avec Rodin. L’hommage le plus important qu’elle rend à son maître et amant est « le Buste de Rodin » qu’elle exécute en 1888-89, et qui bien que salué par la critique du Salon, n’est tiré en bronze qu’en 1892.

C’est alors la fin de la période heureuse et de la passion partagée. En 1889, Rodin parcourt la Touraine, visi- tant châteaux et cathédrales, et s’installe l’année suivante au Château de l’Islette, près d’Azay-le-Rideau. Ca- mille Claudel l’accompagne jusqu’en octobre 1891, lorsque Rodin rentre à Paris. Pour se rapprocher d’elle, il loue un hôtel particulier du XVIIIe siècle à demi-ruiné, la Folie Neuf bourg.

Mais le refus de Rodin de quitter Rose Beuret déclenche la colère de Camille Claudel, qui l’exprime avec féroci- té dans des caricatures du couple. Effrayé par la violence du caractère de Claudel, il la fuit bien qu’il l’aime toujours, s’installant à Meudon à la fin de l’année 1893.

Camille Claudel et Claude Debussy

Camille est lasse de cette vie avec Rodin faite de mensonges, d'infidélités, d'instants volés. Elle s’intéresse à la mouvance symboliste, plus proche de sa génération que de celle de Rodin. « Petit Paul » a osé envoyer ses premiers écrits à Mallarmé, qui lui a trouvé du talent et l'invite à ses mardis rue de Rome. Camille l'accom- pagne de temps en temps et Paul Valéry se souviendra avec émotion de sa beauté et de ses « admirables bras ». Claude Debussy est là parfois, tout juste revenu de son séjour malheureux à la villa Médicis. Il est un Grand prix de Rome rebelle à l'académisme. Ils se retrouvent aussi chez Lerolle, un peintre ami commun, ou chez Robert Godet, qui fait le lien entre les deux. Camille découvre vite la profondeur sensible de Debussy : « Elle lui prêta une curiosité de plus en plus éveillée, rapporte Godet, elle finit par l'écouter avec recueillement qui n'avait rien d'une résignation. Et le temps vint où on l'entendit, quand le pianiste quittait son piano les mains glacées, lui dire en le conduisant vers la cheminée : Sans commentaire, Monsieur Debussy. » Elle con- naissait les engelures de l'atelier et songeait au bien-être physique de l'artiste dont l’œuvre s'accomplit dans la souffrance. Ils finissent par se fréquenter assidûment et partagent beaucoup de passions ensemble. Tous deux vénèrent notamment le peintre Edgar Degas et s’émerveillent de tout ce qui vient du Japon : sculpture, céra- mique, estampe. Pendant la visite à l’Exposition Universelle en 1889, en compagnie de son ami, Camille est impressionnée par l’œuvre de Hokusai. Elle s’en trouve inspirée et « La Vague » (voir photo) en résulte. De- bussy composera de son côté, La Mer en référence au peintre japonais et comme en écho à l’œuvre de Camille Claudel.

Les rapports de Camille et Debussy ont l'aspect d'une amitié amoureuse. L'une est attirée par l'artiste dont la sensibilité est proche de la sienne. L'autre est admiratif et amoureux. Mais Camille n'arrive pas à se détacher de l'empereur de sa vie et lui sacrifie cet amour naissant. Debussy désemparé, raconte à Godet son désespoir dans une lettre : "au moment où tombaient de ces lèvres ces mots si durs, j'entendais en moi ce qu'elles m'avaient dit de si uniquement adorable ! Et les notes fausses (réelles hélas!) venant heurter celles qui chan- taient en moi, me déchiraient, sans que je pusse, presque comprendre." La statuette La Valse dont Camille avait offert un exemplaire en plâtre au compositeur se trouvait sur le bureau du compositeur le jour de sa mort en 1918 et aux arabesques de la robe répond sans doute l’une des Arabesques de Debussy...

Conclusion

Camille Claudel est considérée aujourd'hui comme une artiste majeure de la fin du XIXe siècle, « artiste en phase avec l'art de son temps ». Elle a ouvert la voie des artistes femmes, anticipant celles, nombreuses, du XXe siècle. Louise Bourgeois, Niki de Saint-Phalle, entre autres sculpteurs femmes, lui doivent beaucoup. Son talent artistique n'a jamais été contesté et elle a occupé une place majeure dans ce XIXe siècle si peu enclin à reconnaître une place aux femmes. Elle a relevé ce défi en donnant toute sa valeur à cette place de femme et d’artiste, au-delà de la folie.

Dates Prévues pour la saison 2014/2015 :

Théâtre du Lucernaire / du 1er Octobre au 22 novembre 2014 Théâtre 95 / du 3 au 6 décembre 2014 Théâtre André Malraux de Reuil-Malmaison / le 12 décembre 2014

Contacts Compagnie Les BACCHANTES :

Marie MONTEGANI, metteure en scène ; Mail : [email protected] / Mobile : 06.82.30.85.92 Isabelle CANALS, chargée de production ; Mail : [email protected] / Mobile : 06.32.14.15.31 Delphine CECCATO, chargée de diffusion ; Mail : [email protected] / Mobile : 06.74.09.01.67