MASARYKOVA UNIVERZITA

FILOZOFICKÁ FAKULTA

ÚSTAV ROMÁNSKÝCH JAZYKŮ A LITERATUR

Francouzský jazyk a literatura

Soňa Nováková Analyses de textes de chansons de

Bakalářská diplomová práce

Vedoucí práce: doc. Christophe Gérard L. Cusimano

Brno 2017

Prohlašuji, že jsem bakalářskou diplomovou práci vypracovala samostatně s využitím uvedených pramenů a literatury a že se elektronická verze uložená v archivu IS MU shoduje s verzí tištěnou.

V Brně, 30.04.2017 ......

Je tiens à remercier avant tout doc. Christophe Gérard L. Cusimano, directeur de mon mémoire de licence, pour ses conseils précieux, sa lecture minutieuse et surtout pour le temps qu’il m’a consacré tout au long de réalisation de ce travail. En même temps,je remercie ma famille, mes amis et mon petit ami pour leur soutien et leurs encouragements qui m’ont aussi beacoup aidée. Table des matières

INTRODUCTION ...... 5 1. Méthodologie et précisions théoriques ...... 8 2. Brève biographie de Serge Gainsbourg ...... 10 3. Cinq chansons analysées ...... 13 3. 1. L’alcool (1958, Du chant à la une !) ...... 13 3. 1. 1. Paroles ...... 13 3. 1. 2. Interprétation globale ...... 16 3. 1. 3. Analyse de la chanson ...... 16 3. 2. Initials B.B. (1968, Initials B.B.) ...... 21 3. 2. 1. Paroles ...... 21 3. 2. 2. Interprétation globale ...... 23 3. 2. 3. Analyse de la chanson ...... 23 3. 3. La Noyée (1971) ...... 26 3. 3. 1. Paroles ...... 26 3. 3. 2. Interprétation globale ...... 27 3. 3. 3. Analyse de la chanson ...... 27 3. 4. Cargo Culte (1971, Histoire de Melody Nelson) ...... 31 3. 4. 1. Paroles ...... 31 3. 4. 2. Interprétation globale ...... 33 3. 4. 3. Analyse de la chanson ...... 33 3. 5. Rupture au miroir (1983, Baby Alone in Babylone) ...... 38 3. 5. 1. Paroles ...... 38 3. 5. 2. Interprétation globale ...... 40 3. 5. 3. Analyse de la chanson ...... 40 CONCLUSION ...... 45 BIBLIOGRAPHIE ...... 47

INTRODUCTION

«Je ne veux pas qu’on m’aime mais je veux quand même.»1

Serge Gainsbourg

L’une des impulsions importantes de ce travail a été le prix Nobel de la littérature en 2016 décerné à l’auteur-compositeur-interprète américain Bob Dylan (*1941) «pour avoir créé dans le cadre de la grande tradition de la musique américaine de nouveaux modes d’expression poétique»2. Cet événement nous a mené à nous poser la question suivante : Quelles chansons peuvent donc être considérées comme poétiques ? Il est bien connu que dans la plupart des cas, c’est tout d’abord le texte de chanson qui est créé et ensuite la musique s’y ajoute. De ce fait, il y a les chansons qui n’ont pas besoin d’être écoutées – il suffit de lire les paroles. Quant à Serge Gainsbourg, il arrivait fréquemment que ses chansons n’aient pas besoin d’être chantées, elles étaient tout simplement “racontées”. C’est peut-être à ce moment-là que la poétique surpasse la musique. Ce sont des paroles poètiques qui évoquent des images très vivantes et qui nous laissent ressentir cette puissance de chaque mot et nous sommes envahis par une énérgie inexprimable qui peut être suscitée uniquement par un art unique et sincère, comme l’est celui de Serge Gainsbourg.

Pourquoi donc analyser l’œuvre de Serge Gainsbourg? Il suffirait d’observer attentivement la parole de Gainsbourg qui se trouve tout en haut de la page pour pouvoir répondre, au moins partiellement, à cette question. (i) Tout d’abord, la pensée choisie révèle que l’objectif de Gainsbourg n’a jamais été de plaire à tout le monde. Bien au contraire, il adorait choquer, “secouer les gens” (comme il le disait) et les provoquer. Animé de cet esprit turbulent, d’une consommation excessive d’alcool et de nicotine, certaines personnes ont eu tendance à dévaloriser, voire mépriser son œuvre.

1 VERLANT, Gilles. Serge Gainsbourg : Pensées, provocs et autres volutes, Paris : Le Cherche Midi, 2006. p. 17 2 http://www.lemonde.fr/prix-nobel/article/2016/10/13/le-prix-nobel-de-litterature-2016-est-decerne-a- bob-dylan_5013052_1772031.html#ygEFwqBESRpddr0W.99 5

Néanmoins, il y a des moments dans la vie où il ne faut pas croire tout ce que nous voyons et il faut chercher davantage pour découvrir une beauté cachée. Derrière cette allure douteuse, comme le prouve les textes de Gainsbourg, se cache une âme sensible, timide, humble et assez pessimiste, voire mélancolique. Il est indispensable de mentionner au moins une chanson qui confirme l’idée que Gainsbourg tenait les élans du cœur en bonne place. Par exemple, sa chanson Aux enfants de la chance (1987) a pour le but de prévenir les jeunes de l’usage des stupéfiants. (ii) Ensuite, il est nécessaire de mettre en valeur ce don artistique exceptionel de l’artiste. Son talent consiste non seulement dans la composition de la musique, mais aussi dans l’écriture possédant un style extraordinaire et inimitable. Ses textes contiennent fréquemment de nombreuses figures de style, des jeux de mots incroyables, des doubles sens, des rimes très travaillées et des expressions sans pareilles. Quelle merveille nous a donc apporté l’infusion de ces deux éléments, tels que le caractère original et ce talent extraordinaire !

De surcroît, une autre motivation pour réaliser ce travail nous vient à l’esprit en regardant la partie «bibliographie». Sans doute, pouvons-nous constater que cette partie ne contient pas un grand nombre de sources. En effet, il existe peu d’analyses sémantiques des textes de chansons de Serge Gainsbourg et c’est dommage. Nous nous permettons donc de déclarer qu’il est nécessaire que ses chansons soient analysées davantage, elles méritent d’être redécouvertes et appréciées.

En ce qui concerne la structure de cette étude, nous allons tout d’abord préciser les notions théoriques dont nous nous servirons tout au long du travail. Ensuite, nous rappelerons les points importants de la vie de Serge Gainsbourg. Enfin, nous nous concentrerons sur les cinq textes de Gainsbourg (L’Alcool, Initials B.B., La Noyée, Cargo Culte, Rupture au miroir) en les intérprétant d’une façon sémantique.

En ce qui concerne le choix des chansons, nous avons essayé de choisir cinq chansons différentes au niveau thématique et sémantique. Quant à la chanson l’Alcool, il n’est pas nécessaire d’évoquer quel est son sujet principal car le titre l’indique d’une façon explicite. La chanson Initials B.B. est en somme une “Ode à Brigitte Bardot”, l’amour de Serge Gainsbourg de l’époque. En ce qui concerne La Noyée, il s’agit d’un texte mélancolique et douleureux, ayant la fin tragique. Ensuite, Cargo Culte est une jolie et très intéressante union de deux thèmes tout à fait différents à première vue.

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Enfin, dans la chanson Rupture au miroir, Gainsbourg décrit d’une manière originale ce que représente pour lui la séparation, donc la rupture de deux amants.

Finalement, avant de nous pencher sur notre analyse textuelle, pour que nous sachions à quoi nous attendre dans les textes de Gainsbourg, lisons les lignes suivantes qui montrent parfaitement sa position adoptée vis-à-vis de sa création :

«Je suis incapable de faire une chanson optimiste, heureuse, une chanson d'amour. Je ne trouve pas les mots, je n'ai rien a dire du bonheur, je ne sais pas ce que c'est. C'est comme si vous braquiez l'objectif de votre appareil photographique sur un ciel parfaitement bleu. Il n'y aurait rien sur la pellicule. Alors que si vous photographiez un ciel d'orage, avec de beaux nuages noirs et gris, ce sera superbe.»3

Serge Gainsbourg

3 VERLANT, Gilles. Serge Gainsbourg : Pensées, provocs et autres volutes, Paris : Le Cherche Midi, 2006. p.30 7

1. Méthodologie et précisions théoriques

Malgré le fait que nous considérons ce travail comme une étude pratique, il est nécessaire d’expliquer certaines théories et notions linguistiques dont nous nous servirons tout au long de notre analyse textuelle.

Comme nous l’avons déjà évoqué, il s’agit de l’analyse sémantique, en particulier de la sémantique interprétative. L’analyse sémantique, comme le nom l’indique, est une analyse en sèmes. Mais comment définir un sème? Tout simplement, c’est une unité minimale de signification. Maintenant, précisons le principe de la sémantique interprétative dont le fondateur est un sémanticien français, François Rastier (Sémantique Interprétative, 1987). Cette théorie met en évidence le fonctionnement dynamique du sens, c’est-à-dire que le sens varie selon le contexte du texte étudié. Citons les paroles de Rastier qui désignent plus précisément sa théorie :

«La sémantique interprétative prend pour objet les textes, qui sont tout à la fois son objet empirique et son objet de connaissance. [...]Cela peut paraître bien littéraire, mais les œuvres du passé sont nos éducatrices et si nous cessions de les lire, elles deviendraient illisibles.[...] Les textes qui ralentissent la lecture semblent poser d’eux- mêmes la question de l’interprétation. La linguistique et la littérature ont d’autant plus à apprendre l’une de l’autre que la grammaire est née dans l’Alexandrie hellénistique comme une discipline auxiliaire pour l’établissement et l’interprétation des grands textes.»4

Passons à d’autres notions, celles qui jouent un rôle-clé dans nos analyses : isotopie et champ lexical. L’isotopie est la récurrence visible d’un sème. L’un des maîtres importants en sémantique, le linguiste lituanien Algirdas Julien Greimas a introduit la notion d’isotopie. Voici comment celui-ci illustre ce terme encore plus clairement : «Ensemble redondant de catégories sémantiques qui rend possible la lecture uniforme du récit, telle qu'elle résulte des lectures partielles des énoncés et de la résolution de leurs ambiguïtés qui est guidée par la recherche de la lecture unique.»5

4 RASTIER François, Sémantique interprétative. «Préface à la troisième édition». Paris , 2009. CNRS- INALCO, p.1. 5 GREIMAS, A.-J. Pour une théorie de l'interprétation du récit mythique ds Communications, t. 8, 1966, p. 30 8

Quant au champ lexical, il s’agit d’un ensemble de mots qui renvoient au même thème, mais plus explicitement que dans le cas précédent, celui d’isotopie. Reprenons une citation du linguiste Michel Ballabriga concernant la corrélation des deux notions mentionnées : «Néanmoins, la méthode des champs lexicaux, par les qualités d’observation, d’analyse et de raisonnement qu’elle exige, par les questionnements même qu’elle soulève, est une première étape fort importante pédagogiquement et théoriquement qui prépare à l’analyse isotopique.»6

En ce qui concerne les conventions de notations en sémantique, nous utiliserons les signes de ponctuations suivantes : les /sèmes/ seront notés entre barres obliques et les mots ou d’autres caractères syntaxiques qui les manifesterons seront placés entre ʹguillemets simpleʹ. Quant aux guillemets de citation « », nous les emploierons en contexte sans aucune valeur sémantique, le plus souvent pour citer.

Enfin, les chansons qui sont en ordre chronologique seront analysées de manière suivante : tout d’abord, nous présenterons les textes des chansons choisies. Vu que nous n’avons pas trouvé les paroles de chaque chanson sur le site officiel de Gainsbourg, nous consulterons plusieurs sites pour comparer les textes et nous assuer qu’ils sont corrects. De plus, étant donné que les textes de Gainsbourg sont plutôt parlés que chantés, nous les avons tous écoutés pour nous assurer encore plus sur ce plan-là. Ensuite, nous les intérpreterons d’une manière globale et nous essaierons de trouver un lien entre les paroles et la période de la vie de Gainsbourg pendant laquelle elles ont été écrites. Finalement, nous nous concentrerons davantage sur une analyse textuelle de chaque chanson qui contiendra une brève conclusion.

6 BALLABRIGA, Michel. Sémantique textuelle 2. Texto ! mars 2005 [en ligne]. Disponible sur : 9

2. Brève biographie de Serge Gainsbourg

Serge Gainsbourg, de son vrai nom Lucien Ginsburg est né le 2 avril 1928 à Paris. Il est issu d’une famille d’émigrés juifs russes. Ses parents, Joseph Ginsburg et Olga Besman formaient un couple fuyant la Révolution d’Octobre et ils ont fini par s’installer à Paris en 1921. Ce qui mérite notre attention, c’est le fait que Gainsbourg a été élevé dans un milieu artistique. Sa mère, Olga, était de même une musicienne, une talentueuse mezzo-soprano. Son père, Joseph, était un musicien professionnel qui gagnait sa vie comme pianiste de bar. C’est son père, très exigeant, qui apprit petit Lucien de jouer du piano non seulement les morceaux classiques comme ceux de Chopin et Bach, mais aussi des pièces modernes.

Avec l’arrivée de la Seconde Guerre mondiale, en 1940, la famille est obligée de s’enfuir et s’installe en Normandie où Lucien découvre, petit à petit, la peinture. Après la libération, la famille s’installe de nouveau à Paris. Lucien consacre la plupart du temps à la peinture, c’est peut-être pour cela que ses résultats scolaires s’aggravent et il sera exclu du lycée. C’est enivron à cette époque-là que Gainsbourg devient un jeune homme timide et solitaire. De plus, il se trouve laid et n’arrive pas à s’habituer à son visage, en particulier à son nez „juif“ et ses oreilles dominantes (d’ailleurs, la laideur vs. la beauté restera à jamais l’un des thèmes essentiels de son œuvre). En 1947, il s’inscrit à l’Ecole Normale de musique.

À l’Académie Montmartre, où il suit des cours de dessin, il rencontre à l’âge de 19 ans Elisabeth Levitsky, qui est issue comme lui d’une famille russe. Il se marient quatre ans après leur rencontre, donc en 1951. Mais avant, en 1948, il part pour son service militaire. Deux ans plus tard, il travaille comme surveillant dans le centre d’éducation qui accueille les orphelins juifs. Petit à petit, le jeune Ginsburg commence à gagner sa vie, grâce à son père, comme pianiste dans les clubs. Au fur et à mesure, il renonce à la peinture et il se concentrera de plus en plus sur la musique. Il sera marqué à jamais par ce renoncement et il le considère comme l’échec de sa vie.

En 1954, Lucien Ginsburg s’inscrit à la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, fondée en 1851) où il compose sous le nom de Julien Gris, puis Grix. L’une des connaissances les plus importantes a été celle de Boris

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Vian avec lequel il partage le ton cynique, ironique et provocant. Plus tard, il accompagne à la guitare la chanteuse française Michel Arnaud, qui est une autre personne clé dans sa carrière – elle lui présente le directeur artistique de Philips. En 1956, la chanson La Trentaine est la première chanson signée sous le nom Serge Gainsbourg, qui restera désormais son pseudonyme. Cette année se termine par le divorce avec Élizabeth Lévitsky.

À 30 ans, Gainsbourg réussit à enregistrer son premier Du chant à la une ! (1958) et l’Académie Charles Cros lui décerne son Grand Prix. Pour le grand public, c’est la chanson Poinçonneur des Lilas qui sera le plus retenue. Le fait qui mérite notre attention, c’est que Juliette Gréco entregistre quatre de ses titres. En juillet de l’année suivante, il publie son deuxième album, Serge Gainsbourg Nº2, qui malheureusement, ne sera pas très reconnu non plus. L’autre album, L’Etonnant Serge Gainsbourg, paru en 1961, inspiré par la poésie française (comme Alfred de Musset, Gérard de Nerval, Jacques Prévert), sera de nouveau considéré comme un échec commercial. Les années yé-yé arrivent en France (1962-1965) et les artistes de la rive gauche commencent à être ignorés par les jeunes. Néanmois, Gainsbourg ne cesse pas de composer la musique à sa manière propre et de la proposer aux artistes de la rive gauche comme Juliette Gréco (à laquelle il offre «La Javanaise»), Michèle Arnaud, Philippe Clay et d’autres. Malgré sa déclaration concernant la nouvelle vague, celle de yé-yé : «Ça, c’est la chanson américaine... la chanson américaine sous-titrée. Moi, c’est la chanson française.», il comprend vite qu’il n’a pas le choix et qu’il devra s’adapter à ce mouvement moderne.

En 1965, un grand tournant est là avec la victoire remportée par France Gall au Grand Prix de l’Eurovision avec la chanson «Poupée de cire, poupée de son» dont Gainsbourg est l’auteur. Gainsbourg sera désormais reconnu, non seulement en France, mais surtout internationalement.

En 1967, un événement marquant est enfin arrivé et c’est sous la forme d’une femme exceptionnelle, Brigitte Bardot. Elle devient sa muse et il écrit pour elle plusieurs chansons, dont les plus connues sont «Bonnie & Clyde» et «Je t’aime... moi non plus». Ils deviennet les amants et ils passent des moments inoubliables, malheureusement, cette passion n’a duré que quelques mois, car finalement, Bardot le quitte pour son mari.

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En 1968, une nouvelle aventure amoureuse ne tarde pas pour Gainsbourg. Il sera consolé par une actrice anglaise, avec laquelle il a eu un enfant, célébre aujourd’hui, .

Les années 1970 sont des années très fructueuses et c’est grâce aux comme Histoire de Melody Nelson (1971), Vu de l'extérieur (1973), (1975) et L'Homme à tête de chou (1976).

En 1979, un autre grand événement arrive: dans ce cas, il s’agit d’un événement assez scandaleux – Gainsbourg a réinterpreté La Marseillaise. De plus, il en change le titre, elle devient «Aux armes et caetera» qui est de même le titre de son nouvel album qui est entièrement inspiré par le style reggae.

Nous pouvons appeler les années 1980 les années de Gainsbarre, qui est le double négatif et auto-destructif de Gainsbourg. Avec l’arrivée de Gainsbarre, Jane Birkin ne supporte plus le comportement vulgaire de Gainbourg et le quitte définitivement.

À la fin de la même année, Gainsbourg rencontre une jeune mannequin Caroline Von Paulous, surnommée Bambou. Elle lui donnera le fils, Lulu Gainsbourg. En 1983, il rencontre Isabelle Adjani pour laquelle il décide d’écrire un album. Pendant cette époque-là, il coopére avec des artistes comme Alain Bashung et Alain Chamfort.

Ses deux derniers albums, Love on the beat (1984) et You’re under arrest (1987) sont de nouveau reconnus et appréciés par le public, ainsi par le critique. Gainsbourg reçoit le Grand Prix de la Chanson décerné par le Ministre de la Culture.

À cause de sa mode de vie nuisible, à la consommation abusive de l’alcool et de nicotine, il meurt à Paris le 2 mars 1991 (à l’âge de 62 ans) d’un arrêt cardiaque.

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3. Cinq chansons analysées

3. 1. L’alcool (1958, Du chant à la une !)

3. 1. 1. Paroles Mes illusions donnent sur la cour Des horizons j'en ai pas lourd Quand j'ai bossé toute la journée Ne me reste plus pour rêver Qu'les fleurs horribles de ma chambre

Mes illusions donnent sur la cour J'ai mis une croix sur mes amours Les p'tites pépées pour les toucher Faut d'abord les allonger Sinon c'est froid comme en décembre

Quand le soir venu j'm'en reviens du chantier Après mille peines et le corps harassé J'ai le regard morne et les mains dégueulasses D'quoi inciter les belles à faire la grimace Bien sûr y'a les filles de joie sur le retour Celles qui mâchent le chewing-gum pendant l'amour Mais que trouverais-je dans leur cœur meurtri Sinon qu'indifférence et mélancolie Dans mes frusques couleur de muraille Je joue les épouvantails

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Mais nom de Dieu dans mon âme Brûlait pourtant cette flamme Où s'éclairaient mes amours Et mes brèves fiançailles Comme autant de feux de paille Aujourd'hui je fais mon chemin solitaire Toutes mes ambitions se sont faites la paire J'me suis laissé envahir par les orties Par les ronces de cette chienne de vie

Mes illusions donnent sur la cour Mais dans les troquets du faubourg J'ai des ardoises de rêveries Et le sens d'ironie J'me laisse aller à la tendresse

J'oublie ma chambre au fond d'la cour Le train de banlieue au petit jour Et dans les vapeurs de l'alcool J'vois mes châteaux espagnols Mes haras et toutes mes duchesses

A moi les p'tites pépés les poupées jolies Laissez venir à moi les petites souris Je claque tout ce que je veux au baccara Je tape sur le ventre des Maharajas A moi les boîtes de nuit sud-américaines Où l'on danse la tête vide et les mains pleines A moi ces mignonnes au regard qui chavire

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Qu'il faut agiter avant de s'en servir Dans mes pieds-de-poule mes prince-de-galles En douce j'me rince la dalle

Et nom de Dieu dans mon âme V'là qu'j' ressens cette flamme Où s'éclairaient mes amours Et mes brèves fiançailles Où se consumaient mes amours Comme autant de feux de paille Et quand les troquets ont éteint leurs néons Qu'il n'reste plus un abreuvoir à l'horizon Ainsi j'me laisse bercer par le calva Et le dieu des ivrognes guide mes pas

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3. 1. 2. Interprétation globale

Ce titre, paru en 1958, fait partie de l’album Du chant à la une! qui est en même temps le premier album de Gainsbourg. L’alcool est le plus long morceau du disque et diffère des autres sur plusieurs points. Selon les journalistes et spécialistes en musicologie, Picaud et Verlant, il s’agit d’un «[...]morceau non seulement le plus réaliste du disque, affrontant un autre sujet que l’auteur connaît bien, mais également celui qui semble le plus authentique.»7 Le message de la chanson est bien plus profond qu’il ne semble à première vue. Derrière le ton ironique et provocatif de Gainsbourg se cachent les pensées d’un ouvrier misérable qui ne peut que rêver de la vie meilleure. Finissons cette introduction en citant les paroles suivantes qui peuvent clairement décrire la chanson en quelques mots: «L’ironie habituelle de Gainsbourg semble s’être évanouie au profit d’un triste constat social.»8

3. 1. 3. Analyse de la chanson

Commençons avec la structure de ce texte relativement long qui est composé de huit strophes d’une longeur plutôt irrégulière, composées de cinq, neuf (seulement une fois) ou dix vers. L’auteur se sert de rimes plates, sauf quelques petites irrégularités que nous pouvons considérer comme régulières (par exemple, le dernier vers de la première strophe rime avec celui de la strophe suivante). Du au titre de la chanson, nous pouvons interpréter ces irrégularités à l’état ivre lorsque le cerveau ne fonctionne pas de manière cohérente et il est «troublé par l'effet de l'alcool»9. Généralement, nous pourrions diviser ce texte en deux temps principaux: (i) le premier où l’ouvrier voit la réalité et sa vie telle qu’elles sont – tout est laid et repoussant, (ii) et le deuxième, plutôt enjoué mais ironique, dû à la consommation de l’alcool.

Maintenant, étudions le texte du point de vue sémantique. Tout au long de la chanson, nous observons une isotopie de la vie /basse/, celle d’un ouvrier qui a l’habitude de s’enivrer qui s’oppose à la vie /noble/ qui représentent tous les deux une source d’ironie et d’humour chez l’artiste. Les lexèmes de ces deux isotopies se situent fréquemment côte à côte, c’est pourquoi ils évoquent l’ironie et les paradoxes.

7 VERLANT, Gilles., PICAUD, Loïc. L'intégrale Gainsbourg : L'histoire de toutes ses chansons, Paris : Éditions Points, 2012. p. 41 8 Ibid. p. 42 9 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ivre/44597 16

Premièrement, nous allons nous concentrer uniquement sur l’isotopie de cette vie /ignoble/ (probablement l’auteur fait-il exprès de la décrire d’une façon exagérée), autrement dit, de la vie quotidien d’un ouvrier. Nous pouvons relever les lexèmes suivants: ʹl’alcoolʹ (l’une des sources de divertissement des personnes qui ne savent pas quoi faire de plus intéressant de leur vie), ʹj’ai bosséʹ (l’auteur se sert tout au long de la chanson du registre populaire pour évoquer le milieu socialement défavorisé d’où vient le personnage-clé – l’ouvrier), ʹpépéesʹ (registre populaire; «Jeune femme ou jeune fille, souvent avec une intonation admirative»10), ʹchantierʹ (lieu de travail de l’ouvrier), ʹdégueulassesʹ (registre populaire; dans ce contexte - sales), ʹfrusquesʹ (registre populaire; «Vêtements de peu de valeur et usagés»11), ʹNom de Dieuʹ (juron de registre populaire), ʹchienne de vieʹ (expression vulgaire), ʹtroquetsʹ (registre familier), ʹardoisesʹ (registre familier; les personnes pauvres ont souvent les dettes), ʹles petites sourisʹ (dans le registre populaire signifient les jeunes femmes), ʹclaquerʹ (registre familier; dépenser de l’argent), ʹtaper sur le ventreʹ (expression familière), ʹen douceʹ (registre familier), ʹj’me rince la dalleʹ (registre populaire).

En deuxième lieu, nous pouvons passer à l’isotopie de la /noblesse/ en donnant les exemples suivants: ʹcourʹ, ʹmes châteauxʹ, ʹharasʹ, ʹduchessesʹ, ʹMaharajasʹ, ʹpieds-de- pouleʹ, ʹprince-de-gallesʹ, ʹse consumerʹ (registre soutenu; littéraire).

Enfin, nous pouvons mentionner quelques vers ironiques et paradoxaux, constitués de ces deux isotopies:

1. Mes illusions donnent sur la cour/Des horizons j’en ai pas lourd

Tout d’abord, nous comprenons le lexème /cour/ comme «un entourage du souverain»12 mais ensuite, vu que «les horizons, il n’en a pas lourd» (il n’a pas de visions ou d’ambitions dans le futur), nous comprenons la cour comme «espace découvert, entouré de murs»13 à travers lesquels il est impossible de regarder. Peut-être, les murs représentent-ils la consommation excessive de l’alcool par laquelle la vie de l’ouvrier est limitée.

2. J’oublie ma chambre au fond d’la cour/Le train de banlieue au petit jour

10http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/p%C3%A9p%C3%A9e/59341?q=p%C3%A9p%C3%A9e #58979 11 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/frusques/35466?q=frusques#35434 12 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/cour/19870?q=cour#19756 13 Idem. 17

Le premiers vers nous indique, par «j’oublie» que le personnage cesse peu à peu d’être ivre et ne rêve plus de la vie noble parce qu’il affronte un autre problème, inimaginable pour une personne supérieure - «au petit jour», il se retrouve sobre dans le train.

3. Et dans les vapeurs de l’alcool/J’vois mes chateaux espagnols/Mes haras et toutes mes duchesses

Nous pouvons constater, que ce n’est seulement dans les «vapeurs de l’alcool» que l’ouvrier voit «ses» chateaux espagnols, haras et toutes ses duchesses. L’emploie multiple de l’adjectif possessif de la première personne «mes» peut souligner non seulement les pensées minables et naïves de l’ouvrier, mais aussi le fruit des illusions car dans ce contexte, «mes» s’oppose brutalement à la réalité.

4. Je claque tout ce que je veux au baccara/Je tape sur le ventre des Maharajas

Nous voyons que ces deux vers sont composés de deux expressions de registre familier: «je claque» et «je tape sur le ventre». Déjà, le fait que l’ouvrier dépense tout ce qu’il veut au jeu de carte nous indique qu’il est de nouveau enivré. L’autre vers nous pouvons considérer comme ironique et provocatif car «Maharajas» sont les princes feudataires («Les États des maharajas ont été intégrés à l'Inde entre 1947 et 1950.»14) et il est improbable que cet ivrogne soit familier avec eux.

5. Dans mes pieds-de-poule mes princes-de-galles/En douce j’me rince la dalle

En ce qui concerne ces deux vers, il faut d’abord expliquer le vocabulaire utilisé. Les pieds-de-poule et les princes-de-galles sont les motifs tissés de textile, souvent portés par de personnes élégantes. En conséquence, l’ouvrier doit encore halluciner parce que dans la troisième strophe, il ne porte que «les frusques couleur de muraille». Ces vêtements élégants sont en opposition avec le vers suivant où de nouveau «en douce, il se rince la dalle».

Par la suite, nous allons nous concentrer sur l’isotopie de l’ /alcool/ qui est présente dès le premier vers («Mes illusions donnent sur la cour») jusqu’au dernier vers («Et le dieu des ivrognes guide mes pas.»). Dans le texte, quand le personnage semble sobre, il est mélancolique et pessimiste. Dès que nous observons les traits de la joie et

14 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/maharaja/48631?q=maharaja#48539 18 des hallucinations, nous nous permettons de supposer qu’il est ivre. C’est surtout dans la quatrième, septième et huitième strophe où nous allons observer l’impact de l’alcool sur le moral de l’ouvrier. Tout d’abord, c’est le juron («Nom de Dieu»), donc le ton légérement agressif qui annonce l’ivresse qui est soulignée par de lexèmes suivants: ʹbrûlaitʹ (l’alcool réchauffe son âme), ʹflammeʹ, ʹs’éclairerʹ, ʹortiesʹ et ʹles roncesʹ (dans ce contexte, les orties et les ronces, autrement dit les difficultés de «cette chienne de vie» peuvent être compris comme les raisons pour lesquelles le personnage boit), ʹvapeursʹ, ʹla tête videʹ, ʹmains pleinesʹ (car il tient dans ses mains les boissons alcoolisés), ʹabreuvoirʹ, ʹbercerʹ, ʹcalvaʹ, ʹdieuʹ (celui des ivrognes). En parallèle, nous pouvons observer une isotopie de l’/amour/, voire de l’/érotique/. Dans la deuxième et troisième strophe, il est question d’une connotation plutôt négative - l’ouvrier, «il a mis une croix sur ses amours» renforcé par la froideur : ʹp’tites pépéesʹ; ʹtoucherʹ; ʹallongerʹ; ʹfroidʹ («qui est peu sensuel ; frigide»15); ʹdécembreʹ; ʹinciterʹ; ʹles bellesʹ; ʹles filles de joieʹ; ʹ(cœur) meurtriʹ; ʹindifférenceʹ; ʹmélancolieʹ. Contrairement, dans la quatrième et septième strophe, l’amour est décrit d’une façon plus optimiste et plus tendre : ʹmes amoursʹ; ʹmes brèves fiançaillesʹ; ʹtendresseʹ; ʹ (A moi) les p’tites pépéesʹ; ʹpoupées joliesʹ; ʹles petites sourisʹ; ʹces mignonnesʹ; ʹs’en servirʹ (de «ces mignonnes»).

Gainsbourg, surnommé aussi «L’Homme à tête de chou» (qui fait référence à son physique, précisément à ses oreilles très décollées, ainsi que son nez proéminant), évoquait souvent dans ses œuvres la question de la beauté, ou plûtot, en ce qui concerne l’artiste, la laideur. Après avoir lu plusieurs ouvrages biographiques et vu un large nombre d’interviews, nous nous permettons de constater que le petit Lucien trouvait son physique laid depuis son enfance. Pour le prouver, citons quelques de ses fameuses paroles qui contiennent la question de son physique: «J’avais vraiment une sale gueule. A quarante ans, ça a commencé à s’arranger. A cinquante, c’est bon. [...]»16, ensuite «Ma mère était belle, mon père aussi, je ne vois donc pas d’où peut venir ma laideur... Peut-être de mon chien...»17 ou dernièrement «[...]Mais il y a aussi la beauté de l’âme et, de ce côté-là, je ne suis sûrement pas trop moche.»18 Maintenant, revenons à notre analyse et repérons ce thème de la laideur que nous venons d’évoquer. Nous observons donc les lexèmes suivants: ʹ(les fleurs) horriblesʹ; ʹ(le regard) morneʹ; ʹ(les mains)

15 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/froid/35351?q=froid#35316 16 VERLANT, Gilles. Serge Gainsbourg : Pensées, provocs et autres volutes, Paris : Le Cherche Midi, 2006. p. 40 17 Idem. 18 Ibid. p. 41 19 dégueulassesʹ; ʹgrimaceʹ; ʹépouvantailsʹ qui se mettent en opposition aves ces ʹbellesʹ, ʹmignonnesʹ et ʹpoupées joliesʹ que l’ouvrier ose séduire seulement lorsqu’il est ivre.

Enfin, nous pouvons constater qu’il y a une douce analogie entre la vie de l’ouvrier et de Gainsbourg, qui ne cachait pas non plus sa passion pour l’alcool, ainsi pour les jolies femmes, ni le courage d’être ironique et provocant en parlant de thèmes réalistes et sérieux. Finissons par citer l’idée suivante de Gainsbourg: «Je suis plus honnête que tous ces chanteurs souriants qui prétendent adorer leur métier, leur public. Tout le monde il est beau, le ciel est bleu...Ce sont eux qui se foutent de monde? Ce sont eux, les cyniques?[...]»19

19 Ibid. p. 51 20

3. 2. Initials B.B. (1968, Initials B.B.)

3. 2. 1. Paroles Une nuit que j'étais A me morfondre Dans quelque pub anglais Du cœur de Londres Parcourant l'Amour Mon- Stre de Pauwels Me vint une vision Dans l'eau de Seltz

Tandis que des médailles D'impérator Font briller à sa taille Le bronze et l'or Le platine lui grave D'un cercle froid La marque des esclaves A chaque doigt

Jusques en haut des cuisses Elle est bottée Et c'est comme un calice A sa beauté Elle ne porte rien D'autre qu'un peu D'essence de Guerlain Dans les cheveux

21

A chaque mouvement On entendait Les clochettes d'argent De ses poignets Agitant ses grelots Elle avança Et prononça ce mot : Alméria

22

3. 2. 2. Interprétation globale

L’une des chansons les plus connues de Serge Gainsbourg, la chanson (et le titre d’album en même temps) Initials B.B., éditée en 1968 a sans doute connu un grand succés lors de sa sortie et fait toujours partie des chansons préférées des admirateurs de Gainsbourg. Si nous devions choisir un autre titre à cette chanson, cela serait indiscutablement „Ode à Brigitte Bardot“, sa muse inépuisable de l’époque, avec laquelle il a eu une relation amoureuse de courte de durée, mais très passionnée. De plus, une autre remarque intéressante méritera notre attention - le thème dominant a été emprunté au premier mouvement en mi mineur de la Symphonie nº9 opus 95 dite du Nouveau monde du compositeur tchèque Antonín Dvořák (1841-1904)20. Néanmoins, Gainsbourg l’avait transposé et surtout modernisé.

3. 2. 3. Analyse de la chanson

Après cette brève introduction, nous sommes en mesure de poursuivre notre analyse textuelle. Tout d’abord, nous allons essayer de faire quelques remarques concernant la structure de ce texte poétique pourvu de nombreuses descriptions de cette muse féerique, telle que Brigitte Bardot. Le texte est donc divisé en quatre strophes, composés de huit vers. La chanson est semée des rimes croisées (ou alternées) qui sont souvent des rimes riches, comme par exemple les rimes suivantes: bottée [bɔte] / beauté [bote] qui s’opposent uniquement par la voyelle o (ouverte/fermée). Nous pouvons la diviser en deux temps essentiels: (i) le premier - la première strophe entière, représente l’espace où se trouve l’auteur exactement en songeant à son amour («une nuit que j’étais»; «dans quelque pub anglais»; «Du cœur de Londres») en songeant à son amour «Parcourant l'Amour Monstre de Pauwels» qui était le roman de prédilection de l’actrice, laquelle l’avait offert à Gainsbourg21 de Brigitte et évoque en nous une image statique en décrivant son ennui («À me morfondre»).

En ce qui concerne le deuxième temps (ii) qui représente le reste du texte, il s’oppose à la première strophe qui est plutôt statique. Il s’agit d’un dynamique et radieux voyage, décrivant tout au long des trois dernières strophes la beauté luisante de Bardot. Sa beauté est comme une aube, émergeante de cette nuit dans laquelle se trouve

20 VERLANT, Gilles., PICAUD, Loïc. L'intégrale Gainsbourg : L'histoire de toutes ses chansons, Paris : Éditions Points, 2012. p. 281-282 21 HANN, Karin. Passionnément Gainsbourg, Monaco : Éditions du Rocher, 2016. p.109 23

Gainsbourg tout au début, dans la première strophe. En effet, nous nous apercevons du champ lexical le plus dominant, celui du /métal précieux/ (ʹmédaillesʹ; ʹbrillerʹ; ʹbronzeʹ; ʹorʹ; ʹplatineʹ; ʹd’argentʹ) que nous pouvons de même comprendre comme une isotopie, si nous y comptons aussi «l’eau de Seltz» qui est une eau pétillante (donc de l’eau qui brille) ou les «cheveux» qui ont la couleur du soleil.

D’un autre point de vue, si nous y plongeons encore plus, nous pouvons trouver une isotopie de l’/admiration/ parce que l’auteur y emploie les couleurs des trois types de médaille d’honneur (ʹle bronzeʹ; ʹl’orʹ; ʹl‘argentʹ), comme si sa muse méritait les trois à la fois.

Il est indispensable d‘évoquer que c’est en 1967 que Gainsbourg et Bardot ont eu cette relation amoureuse. Néanmois, après environ trois mois de cet amour ardent, Brigitte Bardot part en Espagne pour tourner le film Shalako, à Alméria. L’actrice est accompagnée part son époux qui décide de la protéger. Déçu, Gainsbourg reste à Paris, ne pouvant la rejoindre et il essaie d’occuper son âme tourmentée en travaillant de plus en plus. La communication entre les deux amants est mauvaise et compliquée et Gainsbourg commence à réaliser qu’il sonne la fin de leur amour... En conséquence, il transmet ses sentiments dans cette longue lettre où il admire la beauté exceptionnelle de l’actrice. En effet, nous trouvons le champ lexical du /corps/ qui est souvent comparé aux objets brillants (ʹtailleʹ; ʹdoigtʹ; ʹcuisseʹ; ʹcheveuxʹ; ʹpoignetsʹ).

Ensuite, relevons un autre élément, peut-être lié avec cette fuite soudaine de l’actrice. Dans ces conditions, nous pouvons repérer une isotopie de la /fuite/ où tout simplement du /mouvement/: ʹparcourantʹ; ʹl’eauʹ (y compris l’eau qui coule, qui s’en va...); ʹmouvementʹ; ʹagitantʹ; ʹavançaʹ; ʹAlmériaʹ (comme nous l’avons déjà évoqué, il s’agit du lieu exact où est partie Bardot, et ce lieu signifie donc pour l’auteur un équivalent d‘Adieu).

De plus, en étudiant le texte plus profondément, nous pouvons y déceler l’isotopie /sensuel/: la vue (ʹvisionʹ), l’ouïe (ʹentendaitʹ; ʹclochettesʹ; ʹagitant ses grelotsʹ), l’odorat (ʹessence de Guerlainʹ), le goût (ʹcaliceʹ - «vase sacré en métal précieux ou en matière noble pour la célébration de la messe et dans lequel est consacré le vin eucharistique»22), le toucher («doigt»). D’après cette idéé, nous nous permettons de déduire que les deux amants ont été vraiment très proches, bien que leur

22 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/calice/12336?q=calice#12183 24 relation n’ait duré que quelques mois... mais peut-être, seulement un vrai amour peut s’emparer de tous nos sens. Finissons ce paragraphe par de jolies paroles que Bardot a laissées des années plus tard: «C’est parce que cet amour fut brisé qu’il fut si intense.[...]Je n’ai avec Serge que des souvenirs sublimes de beauté, d’amour, d’humour, de folie.»23

En outre, pour encore mieux comprendre, la deuxième strophe devrait être expliquée davantage avant la fin de cette analyse. Selon toute apparence, le lexème «impérator» («Titre conféré, sous la République romaine, aux généraux en chef victorieux. À partir d'Auguste, l'empereur, toujours associé à la victoire, en fit son prénom officiel».24) fait référence à l’époux de Bardot par lequel elle a été accompagnée à Alméria. Aux de Gainsbourg, c’est lui le vainqueur de ce prix, tel que Bardot, d’une valeur inestimable. De surplus, la métonymie suivante: Le platine lui grave/D'un cercle froid/La marque des esclaves/A chaque doigt peut signifier que Bardot portant l’anneau d’alliance est l’/esclave/de son mariage.

Pour conclure, cette chanson est considérée comme l’une des perles des chanson françaises, ce qui correspond aussi à la place de Brigitte Bardot dans la vie intime de Serge Gainsbourg.

23 HANN, Karin. Passionnément Gainsbourg, Monaco : Éditions du Rocher, 2016. p. 109 24 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/imperator/41847?q=imperator#41752 25

3. 3. La Noyée (1971)

3. 3. 1. Paroles Tu t'en vas à la dérive Sur la rivière du souvenir Et moi, courant sur la rive, Je te crie de revenir Mais, lentement, tu t'éloignes Et dans ma course éperdue, Peu à peu, je te regagne Un peu de terrain perdu.

De temps en temps, tu t'enfonces Dans le liquide mouvant Ou bien, frôlant quelques ronces, Tu hésites et tu m'attends En te cachant la figure Dans ta robe retroussée, De peur que ne te défigurent Et la honte et les regrets.

Tu n'es plus qu'une pauvre épave, Chienne crevée au fil de l'eau Mais je reste ton esclave Et plonge dans le ruisseau Quand le souvenir s'arrête Et l'océan de l'oubli, Brisant nos cœurs et nos têtes, A jamais, nous réunit.

26

3. 3. 2. Interprétation globale

La Noyée a apparu pour la première fois dans le film Le Roman d'un voleur de chevaux réalisé par Abraham Polonsky en 1971. Il s’agit d’une chanson inédite «intérprétée une seule fois à la télévision, en direct, par Serge Gainsbourg, accompagné par Jean-Claude Vannier, dans l’émission «Samedi loisir» du 4 novembre 1972.» 25

Le texte narre une sorte de jeu de la chasse amoureuse mais macabre. Nous imaginons les scènes des films d’épouvante où une femme traquée par son amant tombe dans un étang et se noue, son corps disparaît peu à peu sous la surface de l’eau. L’autre, peut-être pour essayer de la sauver, se noue aussi.

Cette chanson ayant pour le thème principal la noyade est considérée comme l’un des œuvres les plus poétiques de Serge Gainsbourg. Certaines personnes rappellent que dans La Noyée Gainsbourg s’est inspiré par la pièce de théâtre Hamlet de William Shakespeare publiée en 1603. Dans cette pièce, l’un des personnages principaux, Ophélie, devient folle en apprenant la mort de son père et elle est retrouvée noyée dans le ruisseau. Ceci renvoie au poème d’Arthur Rimbaud intitulé Ophélie publié en 1980. Dans l’œuvre de Rimbaud, nous avons l’impression qu’Ophélie meurt par un accident : Oui, tu mourus, enfant, par un fleuve emportée!26. Enfin, quant à Gainsbourg, les thèmes de la suicide ainsi que de la noyade sont très récurrants dans son œuvre.

3. 3. 3. Analyse de la chanson

En ce qui concerne la structure de ce beau texte, il est composé de trois strophes dont chacune possède huit vers. Dans ce cas-là, nous nous permettons d’utiliser le terme «vers» (au lieu de terme «ligne») vu que ce texte pourrait être considéré comme un vrai poème ayant une structure régulière et possédant plusieurs figures de style. En effet, nous observons les rimes de fin de vers, plus précisément les rimes plates (ou suivies) tout au long du poème. Entre quelques unes, nous pouvons remarquer des liens qui renvoient à ce jeu de la chasse amoureuse que nous avons déjà évoqué. Pour être précis, si nous comparons les lexèmes de la première rime : dérive/rive, la ʹdériveʹ évoque

25 VERLANT, Gilles., PICAUD, Loïc. L'intégrale Gainsbourg : L'histoire de toutes ses chansons, Paris : Éditions Points, 2012. p. 331 26 RIMBAUD, Arthur. Ophélie, L. Genonceaux, 1891. p. 27-29 27 quelque chose qui avance, alors que la ʹriveʹ évoque quelque chose qui est stable, immobile. Ensuite, la paire souvenir/revenir renvoie à une lutte intérieure d’une personne qui, en se souvenant, veut-elle vainement reculer dans le temps mais la réalité lui montre autre chose. En ce qui concerne la rime suivante, donc la paire visiblement contradictoire éloignes/regagne, elle désigne parfaitement ce jeu de la chasse amoureuse. Cette dernière ressemble un peu à une autre rime, mouvant/attends qui désigne de même une opposition et un changement d’état non seulement physique, mais aussi d’esprit. Enfin, concentrons-nous sur une rime située tout au début de la troisième strophe : épave/esclave. Cette paire montre à quel point cet amour est-il fort et puissant, car seulement lorsque nous aimons complètement, nous acceptons d’être les esclaves, même si notre amour n’est qu’une épave mourante.

Il y a, semble-t-il, trois temps essentiels (analogiques avec les trois strophes): (i) le premier (du premier vers à «De temps en temps...»), donne une image spatiale où pourrait se dérouler cette scène émouvante (ce que d’ailleurs indique le titre aussi) et nous y trouvons encore un peu d’espoir et de volonté de sauver quelqu’un, ou quelque chose; (ii) dans le second (qui va jusqu’à «les regrets»), le chanteur évoque les sentiments d’incertitude probablement du à la relation amoureuse; et enfin, (iii) le troisième temps peut être considéré comme tragique, mais en même temps la fin peut être perçue comme heureuse et fatale.

En ce qui concerne l’énonciation, si nous faisons un lien entre le titre «La Noyée» et le pronom personnel «tu» répété plusieurs fois dans le texte, nous supposons que l’auteur parle d’une femme ou bien à une femme avec laquelle il a eu une relation amoureuse. Le pronom personnel de la première personne du singulier «moi», est bien l’auteur de la chanson.

Chaque temps se distingue par différents attributs sémantiques et grammaticaux. A première vue, nous pouvons remarquer que dans la première strophe le rythme est lent, nous imaginons une image tranquille et statique de la rivière qui coule sans cesse («Tu t’en vas à la dérive»;«Mais, lentement»; «peu à peu»; «un peu de»). Par contre, la deuxième strophe donne l’impression que le rythme se ralentit, car La Noyée, comme l’écrit Gainsbourg, «de temps en temps, tu t’enfonces», elle commence à s’enfoncer, «frôlant quelques ronces, tu hésites et tu m’attends», le rythme est interrompu par certains obstacles. La troisième strophe représente l’aboutissement des deux strophes

28 précedentes, un verdict final et soudain, une décision que l’auteur avait prise lors de ce voyage («tu n’es plus»; «mais je reste»).

Au niveau isotopique, nous pouvons repérer une isotopie du /mouvement/ (ʹvasʹ; ʹrivièreʹ; ʹcourantʹ; ʹdériveʹ; ʹtu t’éloignesʹ; ʹcourseʹ; ʹmouvantʹ) qui pourrait s’opposer à l’isotopie de la /foi/ ou bien de /l’attente/ éternelle à l’amour intense et fatal qui peut encore être sauvé (ʹfrôlant quelques roncesʹ; ʹtu hésitesʹ; ʹtu m’attendsʹ; ʹen te cachantʹ (car quand nous nous cachons, nous sommes dans l’attente de ce qui se passera, n’est-ce pas?); ʹje resteʹ). Cette opposition isotopique pourrait signifier tout simplement qu’il arrive souvent dans les relations amoureuses que l’amour ne soit pas toujours harmonieux. C’est-à-dire que parfois, quand l’une personne s’éloigne, l’autre doit la retenir et vice versa.

Ensuite, nous pourrons isoler l’isotopie de /l’impuissance/, voire de l’/amour mort/ (comme le titre nous l’indique aussi) (ʹtu t’en vas à la dériveʹ; ʹsouvenirʹ (nous nous souvenons seulement des moments qui se sont déjà produits et ne peuvent plus se reproduire de la même manière); ʹmaisʹ (adv.lit. «N'en pouvoir mais, ne pouvoir rien y faire, être à bout de ressources.»27); ʹcrevéeʹ; ʹoubliʹ) qui se distingue visiblement de l’isotopie de l’/espoir/ quant à la survie de cet amour noyé (ʹje te crieʹ (souvent nous crions à quelqu’un lorsque nous espérons qu’il agisse ou qu’il revienne vers nous); ʹrevenirʹ; ʹplongeʹ (il plonge vers son amour noyée).

Ensuite, il faut remarquer un certain paradoxe concernant la deuxième strophe (y compris les deux premiers vers de la troisième strophe aussi). Précisément, nous y observons une visible isotopie du /rejet/, voire de /mépris/ envers cette femme dont Gainsbourg parle danc ce texte (ʹla honteʹ; ʹpauvreʹ; ʹépaveʹ; ʹchienneʹ). Par contre, dans le texte, il y a une forte volonté de ”courir“ sur la rive et de ”crier“ pour rejoindre la femme noyée.

De plus, traitant une isotopie du /mépris/, une autre idéé nous traverse l’esprit. Si nous devons trouver un champ lexical le plus présent, ce serait celui de „l’eau“ («La Noyée», «la rivière», «le liquide», «épave», «de l’eau», «plonge», «le ruisseau», «l’océan»). En effet, l’eau,avant tout, symbolise quelque chose de pur et d’innocent. Selon le dictionnaire Larousse, en litterature, l’eau signifie «une transparence, limpidité

27 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/mais/48716?q=mais#48629 29 de quelque chose»28. Il faut en revenir à notre idée abordée et ce sera en comparant ces deux thèmes employés par l’artiste. Nous venons d’observer un élément paradoxal mettant en parallèle deux lexèmes suivants: le mépris et l’eau. Ceci nous envoie vers cette lutte intérieure de l’auteur, de quelqu’un qui voit dans son amoureux la saleté (au sens figuré) due à ces souvenirs douloureux et en même temps la pureté en se souvenant de ces moments sensibles.

En somme, en nous appuyant sur les deux derniers vers de la chanson, le poème peut être expliqué de deux manières opposées: soit, nous considérons la fin comme heureuse car elle finit par une union des deux amoureux («A jamais, nous réunit»), soit, nous l’expliquons comme tragique, comme une mort double parce que l’auteur rejoint son amour en se noyant: «Le dernier couplet de cette chanson sans refrain, tel un poème, reflète la fin tragique et inéluctable: Tu n'es plus qu'une pauvre épave/Chienne crevée au fil de l'eau/Mais je reste ton esclave/Et plonge dans le ruisseau.»29

28 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/eau_nf/27209?q=eau#27065 29 VERLANT, Gilles., PICAUD, Loïc. L'intégrale Gainsbourg : L'histoire de toutes ses chansons, Paris : Éditions Points, 2012. p. 331 30

3. 4. Cargo Culte (1971, Histoire de Melody Nelson)

3. 4. 1. Paroles

Je sais moi des sorciers qui invoquent les jets Dans la jungle de Nouvelle-Guinée Ils scrutent le zénith convoitant les guinées Que leur rapporterait le pillage du fret

Sur la mer de corail au passage de cet Appareil ces créatures non dénuées De raison ces papous attendent des nuées L’avarie du Viscount et celle du Comet

Et comme leur totem n’a jamais pu abattre A leurs pieds ni Boeing ni même D.C. quatre Ils rêvent de hijacks et d’accidents d’oiseaux

Ces naufrageurs naïfs armés de sarbacanes Qui sacrifient ainsi au culte du cargo En soufflant vers l’azur et les aéroplanes.

Où es-tu Melody et ton corps disloqué Hante-t-il l’archipel que peuplent les sirènes Ou bien accrochés au cargo dont la sirène D’alarme s’est tue, es-tu restée

Au hasard des courants as-tu déjà touché

31

Ces lumineux coraux des côtes guinéennes Où s’agitent en vain ces sorciers indigènes Qui espèrent encore des avions brisés

N’ayant plus rien à perdre ni Dieu en qui croire Afin qu’ils me rendent mes amours dérisoires Moi, comme eux, j’ai prié les cargos de la nuit

Et je garde cette espérance d’un désastre Aérien qui me ramènerait Melody Mineure détournée de l’attraction des astres.

Tu t’appelles comment? Melody Melody comment? Melody Nelson.

32

3. 4. 2. Interprétation globale

La chanson Cargo Culte fait partie de l’album «d’une grande densité poétique et musicale»30, tel que l’Histoire de Melody Nelson, paru en 1971. Selon un journaliste et expert en biographies de chanteurs (essentiellement de Serge Gainsbourg), Gilles Verlant et son coopérateur Loïc Picaud, cet album «constitue l’un des sommets du parcours musical de Serge Gainsbourg»31. De même, soulignons les paroles suivantes, formulées par les mêmes auteurs: «[...]Serge Gainsbourg a su tisser des atmosphères épaisses et mystérieuse, chargées de poésie et de passion, portées par son timbre envoûtant. Histoire de Melody Nelson est un disque rare, précieux et hors du temps, l’œuvre d’un orfèvre ne laissant aucune chance à l’imperfection. Le rock a rarement connu une si belle alliance de la musique et des mots.»32 Il est intéressant d’observer cette connexion entre chaque chanson de l’œuvre. Comme nous l’indique le titre, il s’agit d’une vraie «histoire» extraordinaire, d’un voyage pendant lequel l’auteur rencontre et nous présente Melody Nelson (Melody Nelson est representée par l’actrice et chanteuse britannique francophone Jane Birkin, la conjointe de Serge Gainsbourg de l‘époque).

3. 4. 3. Analyse de la chanson

Tout d’abord, comme dans les analyses précédentes, commençons avec la forme de ce texte ambigu. La chanson Cargo Culte est organisé sous une forme ressemblant à celle du sonnet. Elle possède neuf strophes en somme (il vaut mieux évoquer que la ligne «Au hasard des courants as-tu déjà touché» n’est séparée que du point de vue formel, par contre sémantiquement elle appartient à la sixième strophe). Si nous observons le côté sémantique de la chanson, nous la diviserions en trois temps, voire trois narrations. Cela nous donnerait deux sonnet avec une conclusion mystérieuse, telle que la dernière strophe restante. Pour être précis, nous la diviserions de manière suivante: dès le début, jusqu’à «En soufflant vers l’azur et les aéroplanes» il s’agit du premier temps correspondant au premier sonnet qui se termine par le point final, l’auteur nous y présente l’image spatiale et «Culte du cargo». Ensuite de «Où es-tu Melody...» jusqu’à la ligne «...l’attraction des astres», ce deuxième temps correspond au

30 VERLANT, Gilles., PICAUD, Loïc. L'intégrale Gainsbourg : L'histoire de toutes ses chansons, Paris : Éditions Points, 2012. p. 333 31 Idem. 32 Ibid. p. 335 33 deuxième sonnet, donc à la deuxième narration et il se termine, comme le temps précédent, par le point final. Dans ce temps, Melody arrive et elle va être présente jusqu’à la fin de la chanson. En ce qui concerne le troisième temps, celui-ci correspond à la dernière strophe. Il s’agit d’un dialogue inattendu entre l’auteur et Melody, dont nous nous occuperons davantage un peu plus tard. Quant à la disposition des rimes, les rimes embrassées alternent avec les rimes plates.

Maintenant, passons à une analyse plus profonde, telle que sémantique. Mais avant, il est nécessaire de bien comprendre le terme Cargo culte, qui est non seulement le titre de la chanson, mais aussi un élément isotopique présent tout au long de la chanson. Il est question «d’un rite des Papous de Nouvelle-Guinée (Océanie) baptisé «culte du cargo» consistant à viser les aéroplanes à l’aide de sarbacanes, dans l’espoir que l’un deux s’écrase et leur livre ses trésors. Le narrateur espère de la même façon retrouver Melody[...]»33 En conséquence, nous pouvons relever cet élément paradoxal que l’auteur essaie de nous transmettre. Nous avons utilisé le terme ”paradoxal“ car l’auteur prouve dans ce texte qu’un désastre peut signifier à la fois le bonheur. Les Papous, «ils rêvent de hijacks et d’accidents d’oiseaux» (angl. hijacks = en fr.m. détournements34), et l’auteur, analogiquement, «garde cette espérance d’un désastre/Aérien qui (me) raménerait Melody». Ceci nous mène à une observation suivante: les deux isotopies, celle de /désastre/ et de l’/espoir/, voire /foi/ se mettent en opposition tout au long du texte, mais ils se complétent paradoxalement. Quant à l’isotopie de /désastre/ nous observons les lexèmes suivants: ʹpillageʹ; ʹnuéesʹ; ʹavarieʹ; ʹabattreʹ; ʹarmé de sarbacanesʹ (pour attaquer les avions et causer un désastre); ʹsirènesʹ (lit. «Femme douée d'une séduction dangereuse»35); ʹ(avions) brisésʹ; ʹdésastreʹ. En ce qui concerne la première isotopie du couple oppositant, celle de l’/espérance/, nous pouvons relever les lexèmes suivants: ʹinvoquentʹ («appeler une puissance surnaturelle à son aide par des prières»36); ʹattendentʹ (lorsque nous attendons, nous espérons que quelque chose aura lieu); ʹrêventʹ; ʹsacrifientʹ (lit. «offrir un sacrifice, des sacrifices à un dieu»37); ʹespèrentʹ; ʹDieuʹ; ʹcroireʹ; ʹpriéʹ; ʹespéranceʹ.

33 VERLANT, Gilles., PICAUD, Loïc. L'intégrale Gainsbourg : L'histoire de toutes ses chansons, Paris : Éditions Points, 2012. p. 341 34 http://www.larousse.fr/dictionnaires/anglais-francais/hijack/586470?q=hijacks 35 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sir%C3%A8ne/72929?q=sirene#72110 36 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/invoquer/44154?q=invoquer#44082 37 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sacrifier/70459?q=sacrifier#69703 34

Ensuite, une autre forte opposition mérite notre attention: celle de la vie primitive des aborigènes vs. la culture occidentale moderne dont l’avion de transport (ou avion-cargo) fait partie. Le sentiment de cette culture moderne, voire technologique est renforcé dans le texte par les anglicismes utilisés par l’auteur («les jets»; «Viscount» (un avion britannique); «Comet» (un avion britannique); «hijacks» (les détournements)). D’ailleurs, en ce qui concerne l’emploi des anglicismes, n’est-ce qu’un clin d’œil envers son amante Melody (Jane Birkin) qui est d’origine Britannique? Bref, ce sont non seulement les anglicismes qui nous renvoient vers l’idée de la modernité, mais aussi d’autres lexèmes comme: ʹappareilʹ; ʹBoeingʹ; ʹD.C.quatreʹ («Le Douglas DC-4 est un avion de transport quadrimoteur[...]38»); ʹaéroplanesʹ; ʹavionsʹ. En ce qui concerne la vie des aborigènes, nous observons les lexèmes suivants: ʹsorciersʹ; ʹdans la jungleʹ; ʹcréaturesʹ; ʹpapousʹ; ʹleur totemʹ; ʹces naufrageursʹ («Habitant des côtes qui, par des signaux trompeurs, provoquait les naufrages pour s'emparer des épaves»39); ʹnaïfsʹ; ʹsarbacanesʹ; ʹsacrifientʹ; ʹculte du cargoʹ; ʹindigènesʹ.

Puis, en étudiant attentivement le texte, nous pouvons observer l’isotopie de la théorie des /quatre éléments/ (la terre, l’eau, le feu et l’air), «considérés dans l'Antiquité comme les constituants fondamentaux de l'univers»40. Cette observation nous renvoie de nouveau vers la vie primitive des indigènes de Nouvelle-Guinée, vu qu’il s’agit d’une façon traditionelle de comprendre le monde. Voici quelques exemples:

1. la terre : «la jungle», «Nouvelle-Guinée», «A leur pieds», «l’archipel», «des côtes».

2. l’eau : «la mer», «les sirènes» («Dans la mythologie, démon marin femelle représenté sous forme d'oiseau ou de poisson [...]»41), «cargo» («Navire destiné au transport de marchandises diverses.»42), «des courants».

3. le feu (lit. «Lumière rougeoyante comme celle produite par le feu»43) : «de corail» («D'un rouge éclatant44»), «lumineux», «la nuit» (le plus souvent, nous allumons le feu dans la nuit, pour que nous voyons plus), «des astres» (la lumière émanant des astres).

38 https://fr.wikipedia.org/wiki/Douglas_DC-4 39 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/naufrageur/53911?q=naufrageur#53556 40 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/%C3%A9l%C3%A9ment/28372/locution 41 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sir%C3%A8ne/72929?q=sirene#72110 42 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/cargo/13287?q=cargo#13126 43 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/feu/33449?q=feu#33379 44 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/corail/19224?q=corail#19111 35

4. l’air : «les jets», «le zénith», «Viscount», «Comet», «Boeing», «D.C. quatre», «d’oiseaux», «sarbacanes» («Long tuyau à l'aide duquel on lance, en soufflant, de petits projectiles»45), «en soufflant» (v. souffler - «déplacer quelque chose, le projeter au moyen du souffle ou d'un courant d'air»46), «l’azur», «les aéroplanes», «des avions», «aérien».

Finalement, nous allons essayer analyser davantage la deuxième et troisième partie, y compris le deuxième sonnet et ladite conclusion de la chanson où Melody joue un rôle important. Dans le premier vers de cette partie, l’auteur pose une question directe, et compare le corps de Melody au cargo ”disloqué“. Il est comme ces «sorciers indigènes» qui espèrent qu’un désastre aura lieu un jour ou l’autre et il le déclare ouvertement : «Moi, comme eux, j’ai prié les cargos de la nuit». En même temps, cette deuxième partie évoque une incertitude forte, surtout dans la première strophe (de «où es-tu...» à «es-tu restée») qui n’est qu’une longue question et l’auteur se demande où peut se trouver “sa” Melody.

De plus, comme nous pouvons le voir, l’auteur a sans doute fait exprès de séparer la ligne suivante : «Au hasard des courants as-tu déjà touché» Mais quelle est la raison de cette division? Il est connu que Gainsbourg a été inspiré par Lolita de Nabokov, voire obsédé par ce thème d’un amour entre un homme d’âge mûr et une fille adolescente. Comme nous l’indique une autre chanson de cet album (Ballade de Melody Nelson) Melody «n’a que quatorze automnes et quinze étés». En outre, dans la dernière ligne du sonnet, il utilise le lexème «mineure» qui renforce le sentiment d’innocence, ou encore de pureté de Melody. Maintenant, si nous revenons sur la ligne «Au hasard des courants as-tu déjà touché», nous pourrions y sous-entendre que Gainsbourg est inquiet que la mineure ait déjà touché quelque chose, au sens d’être en contact physique avec quelqu’un, mais que cela n’a pu arriver que «Au hasard». C’est pourquoi cette ligne a dû être séparée des autres, il s’agit d’une idée douleureuse et l’auteur a besoin d’un peu de temps pour s’en remettre.

Dans ce sonnet se mêlent deux isotopies différentes, celles du /désespoir/ plutôt au début (ʹoù es-tuʹ, ʹes-tu restéeʹ, ʹen vainʹ, ʹplus rien (à perdre)ʹ, ʹni Dieuʹ (en qui

45 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sarbacane/70982?q=sarbacane#70215 46 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/souffler/73623?q=souffler#72797 36 croire), ʹdétournéeʹ et de l’/espérance/, particulièrement dans les derniers vers ʹj’ai priéʹ, ʹje gardeʹ (cette espérance), ʹdésastreʹ (car le désastre lui «raménerait Melody»).

Enfin, il ne nous reste que réflechir sur le dialogue final qui peut être interprété des deux manières suivantes: (i) il s’agit d’un rêve, voire d’une hallucination de l’artiste ou (ii) est-ce la réalité?

Pour conclure, nous pouvons constater la créativité de l’auteur qui a d’une façon unique lié deux thèmes qui sont à première vue tout à fait différents : celui de Culte de Cargo et celui de son amour Melody qu’il ne cessera d’attendre...

37

3. 5. Rupture au miroir (1983, Baby Alone in Babylone)

3. 5. 1. Paroles Sur le miroir au rouge à lèvres Elle m'a laissé un mot d'adieu « Pardonne-moi petite Jane Je m'en vais je veux refaire ma vie »

La glace embuée de fièvre Reflétait mon air malheureux J'ai pensé m'ouvrir les veines Puis j'ai réfléchi

Sa taille était d'un orfèvre Comme un petit bijou précieux C'était le plus beau spécimen De gamine que j'aie vu de ma vie

Aussi fragile qu'un Sèvres Tout l'azur était dans ses yeux Une peau de porcelaine Venue d'Asie

Nous étions comme Adam et Eve Lorsqu'ils étaient encore aux cieux Toutes nues dans notre Eden Elle et moi un vrai paradis

38

Hélas pour moi si j'en crève Elle ne supportait plus d'être à deux Elle était comme les phalènes S'envolait la nuit

Sur le miroir au rouge à lèvres Elle m'a laissé un mot d'adieu « Pardonne-moi petite Jane Je m'en vais je veux refaire ma vie »

Une affaire d'amour s'achève Et voici que tout vire au bleu J'entrevois par les persiennes Se lever la nuit

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3. 5. 2. Interprétation globale

La chanson Rupture au miroir est une chanson qui appartient à l’album Baby Alone in Babylone qui est sorti 1983. Il s’agit de l’album composé et écrit par Serge Gainsbourg, offert à Jane Birkin et intérprété par elle aussi. C’est après leur séparation en 1980 que Serge trouve le réconfort dans l‘art, en particulier dans la musique. Citons les paroles de Jane Birkin qui résument parfaitement la situation dans laquelle se sont retrouvés les deux artistes : «Après notre séparation, Serge m'a donné sa douleur à chanter.»47

Cet album exceptionnel ayant pour thème principal la séparation et l’amour déçu a connu un grand succès. Celui-ci a notamment été récompensé du grand prix de l’Académie Charles-Cros une année après sa sortie et il est ainsi le premier Disque d’or de Birkin.

3. 5. 3. Analyse de la chanson

Comme d’habitude, nous allons commencer avec la forme de cette chanson sentimentale et mélancolique à la fois. Elle est divisée en huit strophes, néanmoins, nous n’y retrouvons que quatre temps narratifs. Le premier temps qui désigne la mise en scène est contenu dans la première strophe : c’est à partir de ce moment que nous pouvons commencer à compatir avec le narrateur et voyager avec lui dans son âme endolorie. En ce qui concerne le deuxième temps, il correspond à la deuxième strophe. En somme, il en est question du choc soudain et très douloureux à la lecture de ce «mot d’adieu» écrit sur le miroir. Quant au troisième temps, il comporte les trois strophes suivantes (donc troisième, quatrième et cinquième), il commence par «Sa taille était d’un orfèvre» et se termine par «Elle et moi un vrai paradis». Ce temps, il est comme une hallucination soudaine, une renaissance, comme un rêve, nous y sous-entendons l’espoir... Malheureusement, ce ne sont que les souvenirs des jours heureux que les deux personnes ont passé il y a longtemps. Le dernier, le quatrième temps (comportant les trois dernières strophes), représente cette réalité cruelle, «la rupture» des deux amants

47 http://www.parismatch.com/Culture/Musique/Jane-Birkin-Apres-notre-separation-Serge-m-a-donne-sa- douleur-a-chanter-1212326 40 où le narrateur ”se réveille“ et contemple de nouveau le mot qui se trouve sur le miroir, il comprend, qu’il n’échappera pas à la nuit qui va l’engouffrer, à jamais.

A présent, nous devrions être en mesure de rédiger une analyse de fond, dans notre cas, une analyse sémantique. Tout d’abord, concentrons-nous sur le titre qui est donc Rupture au miroir. Il serait intéressant de nous poser les questions suivantes: Qu’imaginons-nous sous les lexèmes ʹruptureʹ et ʹmiroirʹ ? Enfin, dans notre contexte, quelles significations pouvons-nous y observer ? Selon le dictionnaire Larousse, la rupture est tout d’abord «Fait, pour quelque chose, de se rompre, sous l'effet d'un effort excessif ou trop prolongé ou d'un choc»48. Dernièrement, le dictionnaire donne l’explication suivante : «Fait, pour des personnes, de cesser d'entretenir des relations.»49 Cependant, le lexème «miroir» joue un rôle peut-être, encore plus important, même un rôle-clé dans la chanson. Ce miroir cassé, tout d’abord, il est comme une âme qui était, dans le passé, commune pour les deux amants, mais à présent, elle est déchirée et faible, elle ne sert plus à rien quand elle est divisée en deux. Le miroir peut-il symboliser quelque chose de plus? Sans doute, il est comme un reflet de la réalité, il représente donc la vérité, mais aussi la porte vers un monde mystérieux. Le miroir peut aussi illustrer un objet mystérieux, car dans la journée, c’est un objet brillant, mais avec l’arrivée de la nuit, il n’éclaire plus, il est tout noir. Petit à petit, nous essaierons d’appliquer ces réflexions à notre analyse textuelle.

En ce qui concerne la première hypothèse, celle d’un miroir représentant une âme divisée en deux, nous repérons une isotopie de /double/ : ʹruptureʹ (car ici, il s’agit d’un division en deux); ʹmiroirʹ (vu que c’est un objet qui reflète tout ce qui se trouve en face de lui, il donne une version double de la réalité); ʹrefléterʹ; ʹAdam et Eveʹ; ʹnotreʹ (dans ce texte, c’est ce qui appartient à deux anciens amants); ʹelle et moiʹ; ʹnous étionsʹ; ʹ(être) à deuxʹ; ʹune affaire (d’amour)ʹ. Cette théorie est soulignée par l’emploi de l’imparfait, le temps exprimant et décrivant le passé, dans le cas de la chanson, ce sont les jours et les moments joyeux qui ne se rattraperont plus jamais. Pour en donner un exemple pertinent, nous choisirons deux lignes suivantes :

Nous étions comme Adam et Eve/Lorsqu’ils étaient encore aux cieux

48 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/rupture/70272?q=rupture#69512 49 Idem. 41

En second lieu, quant à la deuxième théorie, celle du miroir qui est une copie de la réalité, un reflet de nous-mêmes et à travers notre vue, nous y voyons la vérité, la vie telle qu’elle est. C’est pourquoi, nous allons considérer une isotopie sensuelle, celle de la /vue/ comme l’une des plus importantes et plus présentes dans la chanson. Voici les lexèmes repérés : ʹmiroirʹ; ʹmot d’adieuʹ (car il est écrit sur le miroir et le narrateur le regarde à plusieurs reprises) ʹglaceʹ; ʹairʹ; ʹj’aie vuʹ; ʹl’azurʹ (considéré comme la couleur des yeux) ; ʹyeuxʹ; ʹj’entrevoisʹ; ʹles persiennesʹ (car nous regardons à travers d’elles). Comment donc interpréter cette isotopie? Quelle est l’importance de la vue dans cette histoire de séparation douloureuse? Peut-être, lorsque nous regardons dans le miroir, nous nous voyons et comprenons encore plus clairement. Le narrateur, en contemplant ce mot d’adieu, contemple en même temps son air malheureux et en mélangeant ces deux faits, il se met à se souvenir de tout ce que les deux amants se sont fait subir, il n’arrive pas à comprendre comment une telle beauté a pu se transformer en noirceur de la nuit, donc disparaître.

Si nous considérons le miroir comme un accès vers un autre monde, dans notre cas, ce serait certainement le monde là-haut. Selon le dictionnaire de lexicographie sur le site du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), le miroir signifie dans «certaines œuvres littéraires ou artistiques, l'obstacle à franchir pour accéder à un monde différent»50. Par conséquent, nous isolerions une isotopie de ce monde différent, celui du /ciel/ : ʹadieuʹ (si nous étudions la formation de ce lexème, il est composé de à et Dieu, comme il est expliqué sur le site du CNRTL, il est formé «par réduction brachylogique de la formule plus explicite : (je) vous (re)commande à Dieu.»51); ʹembuéeʹ (lit. «Former comme un nuage sur les yeux, les voiler»52); ʹl’azurʹ; ʹAdam et Eveʹ (car ils se trouveraient aux «cieux»); ʹparadisʹ; ʹs’envolaitʹ; ʹvire au bleuʹ (se diriger vers le ciel).

Dans l’hypothèse où le miroir illustre une porte d’un nouveau monde, nous pouvons considérer /la fin/, voire /la mort/ comme celui-ci. Pour mieux comprendre cette pensée, étudions les exemples suivants : ʹadieuʹ; ʹs’en allerʹ; ʹvieʹ (la mort, elle représente la fin de chaque vie); ʹfièvreʹ (selon le CNRTL, il s’agit de l’ «État émotif

50 http://www.cnrtl.fr/definition/miroir 51 http://www.cnrtl.fr/etymologie/adieu 52 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/embuer/28701?q=embu%C3%A9#28573 42 d'inquiétude et de tension anxieuse»53); ʹmalheureuxʹ; ʹveinesʹ; ʹj’en crèveʹ; ʹles phalènesʹ (ce sont les papillons nocturnes dont la chenille est très nuisible); ʹs’envolaitʹ; ʹla nuitʹ; ʹs’achèveʹ.

Enfin, quant à la dernière idée, celle d’un miroir qui symbolise un objet mystérieux, car d’un côté, c’est un objet brillant, mais de l’autre côté il peut être noir et obscur. En suivant cette piste, nous pouvons relever une isotopie contrastive, celle de /l’éclat/ : ʹmiroirʹ; ʹglaceʹ; ʹorfèvreʹ; ʹbijouʹ; ʹprécieuxʹ; ʹbeauʹ; ʹfragileʹ; ʹSèvresʹ; ʹporcelaineʹ, qui s’oppose à celle de /l’obscurité/ : ʹles phalènesʹ (comme nous l’avons déjà mentionné, il s’agit de papillons nocturnes); ʹla nuitʹ. De plus, les verbes utilisés vont en parallèle avec ces idées sombres. Quand les souvenirs de narrateur s’arrêtent avec la réalité et la nuit s’approche et la situation s’aggrave: ʹj’en crèveʹ, ʹ(elle) ne supportait plus», ʹs’envolait (la nuit)ʹ, ʹs’achèveʹ. Quant aux pronoms personnels, ils reflètent clairement la pensée du narrateur. Lorsqu’il se souvient de son amour, il la décrit d’une façon admirative et il emploie le pronom personnel «nous» ou d’autres formes qui indiquent qu’il s’agit d’un couple (Adam et Eve; Elle et moi, etc.). Par contre, en arrivant vers la fin du texte, nous nous apercevons des pronoms personnels en singulier («elle» et «je») qui signifient, sans doute, la rupture du couple et la solitude.

Ensuite, nous pouvons remarquer le ton d’admiration par les paroles qui renvoient au corps, à la fragilité et à la beauté de Jane. En effet, l’isotopie du /corps/, probablement, souligne à quel point les deux amants ont été proches : ʹrouge à lèvresʹ; ʹsa tailleʹ; ʹpetitʹ; ʹspécimenʹ; ʹfragileʹ; ʹpeauʹ (de porcelaine); ʹnuesʹ.

Dernièrement, nous allons repérer un dernier élément de cette chanson, comme il est habituel chez Gainsbourg, il s’agit d’un élément provocateur. Vu que c’est Jane qui raconte cette histoire douloureuse, et tout au début, elle chante : Elle m’a laissé un mot d’adieu, nous avons l’impression que c’est une chanson de l’amour des deux femmes comme l’expression «toutes nues» renvoie de même à cette idée. De fait, Gilles Verlant, déclare ainsi : «Rare exemple de chanson sur l’homosexualité féminine, Rupture au miroir ne dépare pas cet album tout en nuances et subtilités, dont le titre constitue l’un des authentiques bijoux.»54 D’où alors provient la provocation que nous avions

53 http://www.cnrtl.fr/definition/fievre 54 VERLANT, Gilles., PICAUD, Loïc. L'intégrale Gainsbourg : L'histoire de toutes ses chansons, Paris : Éditions Points, 2012. p. 560 43 mentionnée ? C’est en comparant l’amour des deux femmes au couple biblique, Adam et Eve, qui peut paraître un peu inhabituel, mais surtout pas chez Serge Gainsbourg.

Pour conclure l’analyse de la chanson qui pourrait aussi porter le nom Chanson d’adieu, il s’agit de nouveau d’un texte émouvant avec une grande quantité de symboles et des images. C’est comme une sincère confession de l’âme souffrante qui erre dans les souvenirs pour s’enfuir de la réalité qui, malheureusement, est irréversible.

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CONCLUSION

Petit à petit, nous nous approchons du terme de cette étude. Soudainement, nous sommes envahis par l’inquiétude et nous demandons si nos textes choisis ont été suffisamment analysés. Vu qu’il s’agit de Gainsbourg, jongleur de mots par excellence, quelqu’un oserait-il déclarer en avoir trouvé tout les sens, les symboles, les liens entre ses idées et ses expressions ambigues ? Néanmoins, nous espérons en avoir isolé un nombre suffisant et les avoir interpreté d’une manière compréhensible.

Si nous devons trouver au moins une idée qui correspond à toutes ses chansons, (non seulement celles que nous avions choisies), ce serait que Gainsbourg a réussi, sans doute, à exprimer ses sentiments d’une façon unique, extraordinaire et très sincère. En ce qui concerne les textes des chansons que nous avions choisis, c’était surtout dans les chansons Initials B.B., La Noyée et Rupture au miroir que l’auteur nous laisse découvrir son côté sensible, mélancolique et sa capacité d’aimer jusqu’à la douleur. Par contre, dans les chansons L’Alcool et Cargo Culte, nous avions pu observer son aptitude incroyable à percevoir et ensuite décrire le monde, de comparer ce qui peut paraître incomparable à première vue.

Après avoir terminé nos analyses, nous nous permettons de déclarer que les textes des chansons de Gainsbourg pourraient être sans doute étudiés dans les écoles. Non seulement pour faire une place son œuvre, mais c’est aussi l’une des sources poétiques inépuisables et intéressantes qui méritent d’être analysés. Pour prouver que son œuvre pourrait être considéré comme poétique, voici une pensée selon laquelle il y a une ressemblance entre Charles Baudelaire et Serge Gainsbourg :

«Comme Baudelaire, il use d’allitération et d’effets de sonorité. Comme chez Baudelaire, ces mots contiennent de sens cachés qui poussent à la rêverie, à la réflexion. Comme Baudelaire, il livre ses confidences et ses tourments en pâture.»55

À la fin, nous espérons fortement que ce travail plairait à Gainsbourg, aux membres de sa famille, ainsi qu’à ses admirateurs, voire que ce serait grâce à nous que l’œuvre de Gainsbourg serait découverte par ceux qui, malheureusement, ne connaissent

55 BOUVIER, Yves-Ferdinand, VINCENDET Serge. Serge Gainsbourg : L’intégrale et caetera, Paris : Bartillat, 2009. p. 41 45 pas pour le moment soit Serge Gainsbourg, soit cette beauté qu’il nous a laissée et qui mérite d’être dévoilée davantage.

«Jusqu’à la décomposition, je composerai...»56

Serge Gainsbourg

56 VERLANT, Gilles. Serge Gainsbourg : Pensées, provocs et autres volutes, Paris : Le Cherche Midi, 2006. p. 84 46

BIBLIOGRAPHIE

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Dictionnaires

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Dictionnaire du français, Larousse [En ligne], URL : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/

Filmographie

GAINSBOURG, Serge (réalisation). Charlotte for Ever, France : 1986. 90 min.

SFAR, Joann (réalisation). Gainsbourg (Vie héroïque), France : 2010. 122 min.

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