POUR LA PETITE HISTOIRE

L’Epimedium alpinum en Côte-d’Or

Jean VALLADE

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sa Flore de la Côte-d’Or (1881), précise seulement que « l’Epimedium alpinum se maintient au parc de Dijon où il a été planté par le Dr VALLOT depuis plus de quarante ans. » VIALLANES et d’ARBAU- MONT, dans leur Flore de la Côte-d’Or (1926), précisent également que cette espèce est naturalisée au parc de Dijon. Il faut attendre la découverte par le com- mandant M. AUDUC de la présence de l’Epimède des Alpes vers Flavignerot (21), puis la confirmation par AUDUC, BOTTEMER et LENOBLE, lors d’une visite le 7 mars 1937, de l’existence de deux stations séparées de cette plante

Jean VALLADE dans une combe de Flavignerot, pour L’Epimède des Alpes, plante de la famille des Berbéridacées, vraisemblablement que l’Epimedium alpinum sorte de cent introduite dans la combe de Flavignerot (Côte-d’Or) au début du XIXe siècle. cinquante ans d’oubli. GENTY (1941) confirme les précisions de LENOBLE et L’origine de la présence de l’Epimedium alpinum près de Dijon POINSOT, dans sa Flore de Bourgogne suscite encore bien des questions. La découverte récente d’une nou- (1972), indique que l’Epimède des Alpes velle station de cette plante rare nous a incité à reprendre et discuter « a été introduit en 1832 à la Combe de les quelques données historiques à notre disposition sur sa vraisem- Flavignerot et au Bois du Parc de Dijon blable introduction. où il se maintient. » La Nouvelle Flore de Bourgogne de BUGNON et al. (1993) reprend la même formule. La plante et ses localités en Côte-d’Or Le 7 juin 2005, à l’occasion d’une Epimedium alpinum L., appelé Epimède des Alpes ou chapeau excursion botanique organisée par la d’évêque, appartient à la famille des Berbéridacées. C’est une plante Société botanique du Centre Ouest sous herbacée, vivace par un rhizome rampant, dont la tige aérienne la direction de J.-M. ROYER, une nouvelle mesure de 20 à 40 cm de hauteur. Chaque feuille est bi-triternée et station d’Epimedium alpinum a été loca- possède des folioles longues de 2 à 6 cm, ovales, en coeur à la base, lisée dans le talweg de la combe Lavaux, pétiolées, ciliées-dentées, souvent à bord pourpre. L’inflorescence près de Gevrey-Chambertin (21). pauciflore porte des fleurs tétramères à 4 pétales brun-rougeâtre de Actuellement, Il y a donc deux locali- 3-5 mm auxquels s’ajoute une coronule de pétales nectarifères jaunes tés distinctes connues de l’Epimède des à éperon renflé. Les 4 sépales sont pourpre-brunâtre et caducs. Le Alpes en Côte-d’Or. La plus importante fruit est une capsule à 2 valves dont une seule est fertile. se trouve dans la combe de Flavignerot, C’est une plante originaire de l’Europe du sud-est. Elle est subs- à environ 400 m d’altitude et en exposi- pontanée et naturalisée par endroits mais toujours rare. Flora hel- tion N-NW, où elle se partage en 2 sta- vetica en note 3 stations en Suisse ; la Grande Flore de BONNIER tions distinctes, correspondant à ce qu’a indique sa présence dans quelques points en Belgique et dans de décrit LENOBLE (1937) : la première rares localités en ; dans les Quatre Flores de la France, d’environ 15 m2 se trouve en bordure FOURNIER indique la présence de quelques stations isolées à Dreux, du sentier, 400 m en aval de l’ancien Montmorency, l’Isère, la Savoie, les Vosges et... la Côte-d’Or au Mont Château, la seconde, 150 m plus loin, Afrique. Pour ce qui concerne ce dernier département, la Flore de se situe à une trentaine de mètres du DURANDE (1782) ne fait aucune mention de son existence, pas sentier, sur un éboulis à Scolopendre, au plus que la Flore de LOREY et DURET (1831) qui toutefois indique pied d’une petite falaise ; cette dernière (page XII de l’introduction) que LAMARCK (1795) cite sa présence constitue la station principale qui s’étale au Mont Afrique sous l’autorité de DOM FOURMAULT. ROYER, dans sur au moins 25 m de longueur pour 2 à

40 Rev. sci. Bourgogne-Nature 4-2006, 40-42 3 m de largeur. La localité de la Combe Lavaux, située à environ 800 m de la bar- rière marquant l’entrée, est plus modeste et ne recouvre que 2 m2 de surface dans un sous-bois dont la strate herbacée est dominée par la Pervenche (Vinca minor). Elle se trouve à 6,5 km, à vol d’oiseau, des stations de Flavignerot. La station du Bois du Parc de la Colombière, à Dijon, n’a pas été retrouvée et pourrait bien avoir définitivement disparu sous l’effet répété des tondeuses mécaniques.

Les faits historiques certains La présence de l’Epimède près de Dijon pose le problème de son origine : cette espèce est-elle spontanée ou a-t- elle été introduite ? Les principaux élé- ments historiques connus peuvent se résumer ainsi : 1– Dans la Flore française de LAMARCK (2e édition, 1795, p 524) on peut lire : « Cette plante (l’Epimedium alpinum) a été observée au Mont Afrique près Dijon, en Bourgogne, par Dom Fourmault. » 2– Philippe-François-Emmanuel DOM FOURMAULT est né à Arras en 1727 ; moine bénédictin, il séjourne notamment au monastère de Saint-Allyre de Clermont puis est envoyé à La Teste (Gironde) pendant la Révolution pour y diriger des plantations de pins maritimes. Il mourut avant 1800 (date exacte inconnue).

Fervent botaniste herborisant, il fut un des Jean VALLADE correspondants de LAMARCK. On sait Station principale d’Epimedium alpinum dans la combe de Flavignerot (21). aussi qu’il est venu herboriser aux environs de Dijon, vraisemblablement entre 1780 l’étiquette de laquelle était écrit, de la propre main de Vallot : « ce même et 1790. C’est lui qui découvrit à Gevrey jour, j’ai planté à Flavignerot de l’Epimedium alpinum. » le petit marais temporaire de Château- Renard (Plain des Essoyottes) où il signala Valeriana tuberosa ; c’est encore lui qui Interprétations de la présence de l’Epimède trouva le premier Daphne alpina sur les rochers de la combe de Fixey. Toute con- des Alpes aux environs de Dijon fiance peut donc lui être accordée quant L’origine spontanée de cette espèce en Côte-d’Or, défendue par à ses observations botaniques. GENTY (1941), n’a pas recueilli les faveurs des botanistes contem- 3– On sait par ailleurs, par une note porains ; la découverte d’une nouvelle station en combe Lavaux et déposée par le Dr VALLOT le 28 décem- l’éventuelle redécouverte de l’Epimède au Mont Afrique et du côté de bre 1825 à l’Académie de Dijon, que Corcelles-les-Monts (où BOSC D’ANTIC, élève de DURANDE, affirme l’abbé GUYETTE, curé de QUINCEY et l’avoir aussi observé) pourraient relancer le débat. Toutefois, actuel- correspondant de DURANDE, a ajouté lement, l’introduction humaine de cette plante paraît l’hypothèse la de sa main sur l’étiquette de l’Epime- plus vraisemblable. Mais, si l’on retient cette dernière hypothèse, deux dium alpinum contenu dans son herbier questions se posent alors : où a-t-elle été introduite? Et par qui ? : « Dom Fourmault m’a dit qu’on le trou- Les indications indépendantes de LAMARCK (1795) et de l’abbé vait sur le Mont Afrique. » GUYETTE (1825) semblent bien prouver que DOM FOURMAULT a 4– H. POINSOT en 1967, en classant réellement observé l’Epimedium alpinum, mais dans les deux cas les herbiers de la Côte-d’Or conservés au il situe cette présence au Mont Afrique lieu où aucun botaniste local Jardin botanique de Dijon, a trouvé une n’a jamais noté, depuis, l’avoir récolté. Par contre les stations princi- part de Paeonia corallina récoltée par le Dr pales, présentes encore aujourd’hui, se situent à Flavignerot, à moins VALLOT au Mont Afrique le 19 mai 1832 sur de deux kilomètres, à vol d’oiseau, au sud-ouest du Mont Afrique.

L’Epimedium alpinum en Côte-d’Or 41 Comment interpréter cette apparente incohérence ? Deux explica- anciens en ont désigné un : il s’agit de tions nous paraissent possibles : TARTELIN, né en 1749, qui devient apo- – ou bien l’Epimède a vraiment été introduit vers 1885-1890 (ou thicaire à Dijon et fut démonstrateur au avant) au Mont Afrique mais a pu disparaître assez rapidement après son Jardin de Dijon, chargé d’organiser et de introduction ou du moins n’a jamais été retrouvé depuis cette époque. diriger les excursions botaniques. Selon DURET (1830), « il a souvent tenté la – ou bien l’Epimède présent actuellement dans la combe de Fla- naturalisation de quelques espèces et, au vignerot est celui que DOM FOURMAULT a vu ; c’est l’interprétation dire de VALLOT, usait ensuite de la petite retenue par LENOBLE (1937) qui précise que DOM FOURMAULT supercherie d’annoncer ces mêmes désigne le Mont Afrique pour ce qui correspond en réalité au Mont plantes comme trouvées par lui (exemple de Siège précisant que « ces deux collines sont voisines et le Mont : Astrantia major). » Ainsi, selon DURET, Afrique étant beaucoup plus connu, son nom, surtout pour un étran- c’est TARTELIN qui aurait introduit l’Epi- ger au pays, peut servir à désigner tous les environs immédiats, tel le medium alpinum au Mont Afrique, le Mont de Siège. » présentant à DOM FOURMAULT comme Une troisième explication est proposée par H. POINSOT (1967). une plante spontanée. Ce dernier aurait Pour ce botaniste, ancien directeur du Jardin botanique de Dijon, sa d’abord annoncé cette fausse décou- découverte de l’indication selon laquelle VALLOT a planté le 19 mai verte à LAMARCK et à GUYETTE, puis, 1832 de l’Epimède dans la combe de Flavignerot «lève le doute» sur instruit de la supercherie, aurait dans un l’origine de l’existence de cette plante dans cette combe. En vérité, deuxième temps nié ses premières décla- rien n’est moins certain. La découverte de POINSOT permet tout rations... Interprétation qui ne « manque juste d’affirmer que la station de Flavignerot existe au moins depuis pas de sel » mais qui est contestée par 1832 ; mais rien ne prouve qu’elle ne soit pas plus ancienne. On peut, GENTY (1941) qui souligne notamment en effet, imaginer, parmi d’autres, deux scénarios : que « les essais d’introduction» attribués – Le Dr VALLOT va recueillir un échantillon de Pivoine coralline par « les mauvaises langues de l’époque » dans une station connue de lui au Mont Afrique. Au cours de cette à TARTELIN n’ont jamais été prouvés. sortie du 19 mai 1832, il prélève quelques pieds d’Epimède dans une Alors, espèce spontanée, relique station connue de lui (ou qu’il découvre) vers le Mont Afrique (sans d’une flore passée ? Ou introduite près doute celle visitée par DOM FOURMAULt 40 ans plus tôt). Puis, reve- de Dijon avant 1795 ? Ou seulement à nant par Flavignerot, il emprunte le sentier de la combe et «plante» partir de 1832 ? Comme l’indique GENTY quelques rhizomes d’Epimède, créant ainsi la (ou les) station(s) (1941) dans la conclusion de son article : connue(s) aujourd’hui. Cette interprétation est compatible avec la « quoi qu’il en soit des origines de l’Epi- conclusion de Poinsot. medium alpinum L. en Bourgogne, il y – Mais on peut tout aussi bien penser que le Dr VALLOT revenant a acquis droit de cité et devra, à l’avenir, de sa cueillette de Pivoine coralline au Mont Afrique en passant par la prendre rang dans nos flores régiona- combe de Flavignerot, prélève quelques pieds d’Epimède dans une les. » Ce qui est bien le cas depuis 1972. station déjà existante dans cette combe pour en replanter quelques pieds à proximité (il existe en effet deux stations distantes de 150 m dans cette zone) ; il a même pu conserver quelques rhizomes pour les Bibliographie BONNIER, G. & R. DOUIN. 1990. La Grande Flore en introduire au Bois du Parc de la Colombière à Dijon où la station a pu couleurs de Gaston Bonnier. Illustration par Julie se maintenir au moins jusqu’en 1972. POINSOT. Éd. Belin, Paris. BUGNON, F., FELZINES, J.C., LOISEAU, J.E. & J.M. Il convient surtout d’être circonspect sur les déclarations de ROYER. 1993. Nouvelle Flore de Bourgogne, t.1, VALLOT. C’était, nous dit GENTY (1941), « le type du « naturaliste catalogue général et fichier bibliographique. Bull. Sci. Bourg. éd. hors-série, Dijon. en chambre », il passait cependant, en son temps, pour un savant DURANDE. 1782. Flore de Bourgogne, 2 vol., Dijon. et était très considéré. Compilateur habile, à la plume alerte et facile, DURET, J. 1830. Canevas de la Flore de la Côte-d’Or. Un il avait, dit-on un caractère assez acerbe. Son herbier, conservé au vol. manuscrit, Dijon. FOURNIER, P. 1961. Les quatre flores de la France. Éd. P. Jardin botanique de Dijon, est un fatras d’échantillons d’un étiquetage Lechevalier, Paris. souvent fautif qui donne une piètre idée de la valeur botanique réelle GENTY, P. 1941. L’Epimedium alpinum aux environs de Dijon. Bull. Soc. Bot. Fr. 88: 639-642. de l’homme. » Vis à vis du problème de l’Epimède, son attitude est LAMARCK. 1795. Flore française, 2e éd., Paris. pour le moins ambiguë : en 1825 il affirme « que l’Epimède ne croît LAUBER, K. & G. WAGNER. 2000. Flora Helvetica (Flore illustrée de Suisse). Traduct. française, Éd. Belin, ni sur le Mont Afrique [...] ni en Bourgogne » et met donc en doute Paris. les observations que DOM FOURMAULT a rapporté à LAMARCK et à LENOBLE, F. 1937. Note sur la présence de l’Epimedium l’abbé GUYETTE. Mais alors, quelles sont ses motivations pour intro- alpinum L. aux alentours du Mont Afrique, près de Dijon. Bull. Sci. Bourg. 7: 129-133. duire, quelques années après, l’Epimède dans la combe de Flavigne- LOREY & DURET. 1831. Flore de la Côte-d’Or, 2 vol., rot ? Et d’où proviennent les échantillons ainsi plantés ? Dijon. POINSOT, H. 1967. L’Epimedium alpinum et ses aven- tures bourguignonnes. Le Monde des Plantes 354: 6-7. POINSOT, H. 1972. Flore de Bourgogne. Éd. Libr. de Qui a introduit l’Epimède près de Dijon ? l’Université, Dijon. Si l’on maintient l’hypothèse vraisemblable de l’introduction de ROYER, Ch. 1881. Flore de la Côte-d’Or, 2 vol., Paris. VIALLANES, A. & J. D’ARBAUMONT. 1926. Flore de la l’Epimède dans la zone Mont Afrique-Flavignerot avant 1795, on doit Côte-d’Or, 3e éd. (1e édit. 1882), Darantière impr., se poser la question : qui est le « coupable » ? Quelques botanistes Dijon.

42 Jean VALLADE Rev. sci. Bourgogne-Nature 4-2006, 40-42