Bienheueu Kal Leisne

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Qui est Karl ? 2 Biographie de Karl 2 Sa vie 6 Sa jeunesse 6 Sa vocation 9 Son sacerdoce 9 Son Ciel 12 Sa mort 12 Sa béatification 13 Homélie de Jean-Paul II 16 Journal 19 Le journal de Karl 19 Le journal de Karl (1930-1935) 21 Le journal de Karl (1937-1938) 24 Le journal de Karl (1939-1945) 29 Aujourd'hui 34 Karl aujourd'hui 34 Dachau 2004 35 JMJ 2005 38 Qui est Karl ?

Biographie de Karl

28/02/1915 Confirmation dans l’église abbatiale Naissance de Karl à Rees dans la basse Sainte-Marie de l’Assomption à Clèves vallée du Rhin, premier des cinq enfants par l’évêque Johannes Poggenburg. du couple Amalie et Wilhelm Leisner. 11/12/1927 03/03/1915 Première représentation du théâtre de Baptême dans l’église paroissiale Sainte- guignol devant l’association des Marie de l’Assomption à Rees. fonctionnaires catholiques de Clèves. 1916-1918 Pâques 1928 A cause de la guerre, séjour de la famille Adhésion du groupe Saint-Werner aux Leisner à Innenstadt dans l’Allgäu. Katholischer Wandervogel. Pâques 1921 03-18/08/1929 Karl va à l’école primaire de Rees. Voyage en Westphalie : Buldern, Telgte, Décembre 1921 Munster. La famille Leisner déménage de Rees 16/04/1929 pour Clèves. Walter Vinnenberg quitte Clèves. Décembre 1921-1925 03-23/08/1929 Karl va à l’école primaire de Clèves. Voyage à Rügen : Hambourg-Rügen- Pâques 1925-1934 . Karl va au lycée de Clèves. 22/10/1929 19/4/1925 Emménagement de la famille Leisner Première communion. dans sa maison de la Flandrische Straße Pâques 1926 11 à Clèves. Walter Vinnenberg arrive à Clèves Printemps 1930 comme professeur de religion Début des travaux de restauration du 03/02/1927 moulin de la Merowingerstraße. Fondation du groupe Saint-Werner et 10/04/1930 adhésion au Jungkreuzbund. Karl Nouvelle répartition des groupes : Alfons commence son journal personnel, avant von Thiel devient le nouveau chef de tout comme rédacteur pour le groupe. groupe de Karl. 20/07/1927 Pentecôte 1930

IKLK Page 2 Participation au congrès des Katholischer Nouvel enthousiasme apostolique et Wandervogel à Westerwald. Il rend visite croissance des groupes. à Vinnenberg à Maria Laach. 02/07/1933 11/08-02/09/1930 Confiscation des foyers de jeunesse Tournée avec le théâtre de guignol dans catholiques. la région de Munster : rapprochement 03/07/1933 avec le groupe du Quickborn. Convocation de Karl et quatre autres Octobre 1930 camarades de classe catholiques par le Après l’entrée au couvent d’Alfons van directeur du lycée. Le renvoi de l’école Thiel, devient chef de groupe est évité de peu. des « Loups ». 04/07/1933 30/11-08/12/1930 Dissolution des Katholischer Exposition de bricolage au Moulin. Wandervogel. Les groupes de Clèves 27-29/06/1931 s’associent à l’association des Camp de Quickborn et des Oiseaux Jungmännerverband. Migrateurs catholiques à Lüttingen près 05-19/08/1933 de Xanten. Voyage sur l’île de Baltrum. 05-09/09/1931 23/08-02/09/1933 Retraite à Gerleve par le Père Laurentius Participation à un camp des Jungschar à Rensing, OSB. Première décision pour le Marienthal près de Wesel. sacerdoce. 07-11/12/1933 13/02/1932 Exercices à S’Heerenberg chez le Père Karl quitte le Quickborn. Wilhelm Joist, SJ. Karl choisit de Avril 1932 poursuivre des études de théologie. Création d’un nouveau groupe des 18/03/1934 Katholischer Wandervogel. Nomination comme chef des Jungschar 28/07-10/08/1932 pour le district de Clèves. Camp dans les montagnes de Bockholter 22/03/1934 près de Munster. Karl obtient le baccalauréat mention « 14/08-01/09/1932 Bien ». Randonnée cycliste en Suisse. Grave 06/05/1934 accident de Willi Leisner. Arrivée au Collegium Borromeum de Novembre 1932 Munster. Début des études en théologie Karl tombe amoureux pour la première catholique. Karl rejoint le groupe des fois. théologiens de Schoenstatt sous la 05-10/04/1933 direction d’Heinrich Tenhumberg. Assemblée des lycéens et exercices à 04/07/1934 Schoenstatt sous la direction du Père Reconnaissance du baccalauréat général. Alexander Menningen, à l’initiative de son 14-25/08/1934 camarade de classe Josef Vermeegen. Camp des Jungschar de Clèves à Groesbeek.

IKLK France Page 3 Septembre 1934 Perquisition au domicile de Carl Leisner à Nomination de Karl comme responsable Clèves. Confiscation de ses journaux des Jungschar pour le diocèse de intimes par la . Munster. 08/01/1938 07-09/12/1934 Achèvement de son mémoire dirigé par Formation pour les responsables des Michael Schmaus sur le sujet : « Sens et Jungschar à Vechta près d’Oldenbourg. mystère de la croissance dans la vie de nature et de grâce chez l’homme ». Mars 1936 17/03/1938 Karl transmet son mandat de Conversation avec son père. Voyage à responsable diocésain des Jungschar à Fribourg chez Elisabeth Ruby. Wilhelm Wissing. 21/05/1938 31/03/1936-21/03/1937 Lettre d’adieu à Elisabeth Ruby. Semestre libre à Fribourg-en-Brisgau. 01/07/1938 22/05/1936 Karl reçoit les ordres mineurs : il devient Départ de Fribourg pour un voyage de 3 portier et lecteur puis quelques jours plus semaines en Italie et à Rome. tard exorciste et acolyte. 29/05/1936 04/03/1939 Audience privée auprès du Pape Pie XI. Ordonné sous-diacre. 31/05/1936 25/03/1939 Participation à un office du Saint-Père Ordination diaconale. pour le Dimanche de la Pentecôte. Mai 1939 Décembre 1936 La tuberculose pulmonaire se déclare. Karl habite chez la famille Ruby, 31/05/1939 Neumattenstr.18 et fait fonction de Voyage en passant par Schoenstatt vers précepteur. St. Blaise dans la maison « Prince-abbé 21/03/1937 Gerbert ». Retour de Fribourg à Clèves en faisant un 18/10/1939 détour par Schoenstatt. Le groupe de Schoenstatt se consacre à 03/04/1937 la Vierge par le blanc-seing. Karl s’y Départ pour le Service de Travail du associe spirituellement. Reich (RAD) à Dahlen en Saxe. 09/11/1939 20/05/1937 Arrestation de Karl Leisner à St. Blaise. Transfert à Georgsdorf dans le Pays 09/11/1939-15/02/1940 d’Ems. A la prison de Fribourg-en-Brisgau. 23/10/1937 15/02-06/03/1940 Fin du Service du Travail du Reich. A la prison de . 23-28/10/1937 16/03-13/12/1940 Retraite au Collegium Borromeum à Détenu matricule 17520 dans le camp de Munster. Décision de devenir prêtre. concentration de Sachsenhausen 29/10/1937 (Oranienbourg) près de Berlin.

IKLK France Page 4 A partir du 05/08/1940 29/04/1945 Messe quotidienne à Sachsenhausen. Libération du camp de Dachau par les 14/12/1940 Américains. Arrivée au camp de concentration de 04/05/1945 Dachau : matricule 22356. Karl est emmené par le Père Otto Pies à A partir du 22/01/1941 Planegg. Messe quotidienne à Dachau. 29/06/1945 Eté 1941-1942 Karl revoit ses parents. Participation au groupe des prêtres de 10/08/1945 Schoenstatt. Karl revoit ses 3 sœurs. Novembre 1941 12/08/1945 Interdiction de recevoir des colis. Karl meurt à Planegg. Dégradation de son état de santé. 20/08/1945 A partir du 15/03/1942 Inhumation à Clèves. Karl est au Revier du camp. 03/11/1966 Novembre 1942 Translation des restes dans la crypte des Les colis sont de nouveau autorisés. de la cathédrale de Xanten. Pentecôte 1943 17/12/1973 Membre du groupe des prêtres de Requête du conseil presbytéral du Schoenstatt de Heinz Dresbach. diocèse de Munster pour introduire la Septembre 1944 cause de béatification de Karl Leisner. Le groupe des prêtres de Schoenstatt 03/12/1977 trouve son nom : « Victor in vinculis ». L’évêque Heinrich Tenhumberg dépose 06/09/1944 la demande d’ouverture du procès en L’évêque français Mgr. Gabriel Piguet est béatification. interné au camp. 12/10/1982 17/12/1944 Transfert des actes du procès à Rome. Ordination de Karl Leisner. 12/01/1996 26/12/1944 Proclamation du martyre de Karl Leisner. Première messe de Karl. 23/06/1996 27/03/1945 Béatification de Karl Leisner par le Pape Libération du Père Otto Pies. Jean-Paul II au stade olympique de Berlin.

IKLK France Page 5 Sa vie

Sa jeunesse

Karl le meneur de jeunes

arl Leisner est né le 28 février 1915 à Rees, petite ville de Basse Rhénanie, sur la rive gauche du Rhin, non loin de la frontière des Pays Bas. Il est le premier enfant d'un foyer qui en comptera cinq. Son père, Wilhelm, 29 ans, est un homme très Kordonné, aux fortes convictions, très attaché à la foi catholique reçue des ancêtres. Sa mère Amalie, 23 ans, est un être plein de douceur, aimable et bienveillante, qui trouve dans son rôle de mère et d'épouse l'accomplissement de son existence.

Il passe une enfance heureuse à Clèves, non loin de Rees, où son père est muté en 1921, avec son frère et ses trois soeurs. Karl s'épanouit au contact de la nature environnante, et s'enivre de jeux dans l'immense forêt qui entoure la ville.

Lorsqu'il entre au lycée, Karl rencontre l'abbé Vinnenberg, qui est tout à la fois l'aumônier, le professeur de religion et le professeur d'éducation physique. C'est à son contact que Karl se révèle rapidement rapidement dans sa nature de boute-en-train, de meneur de jeunes, d'organisateur.

Mais l'aumônier lui propose également de créer un groupe de jeunes, et demande à Karl d'accepter la charge de secrétaire. Karl doit tenir le cahier des séances et rédiger le compte rendu des réunions . C'est à cette fonction que l'on doit aujourd'hui le journal intime de Karl, qui a continué toute sa vie a relater son histoire et le combat de son âme.

Le journal de Karl décrit ainsi les nombreuses et pittoresques randonnées du groupe, au fil des années. Les sorties succèdent aux sorties, où la messe est toujours le sommet des journées. Très souvent, seul ou avec son groupe, Karl se rend en train, à pied ou à vélo à Kevelaer, haut lieu marial allemand, où sa dévotion à Marie héritée de sa maman s'exprime pleinement.

Ses années d'adolescence voient progressivement mûrir sa résolution, sa détermination: son énergie, sa discipline intérieure et sa fougue sont toutefois

IKLK France Page 6 tempérées par sa volonté d'accorder en tout la primauté au spirituel. Cette sorte d'imitation de Jésus-Christ, vécue par un adolescent à le recherche de la perfection et de l'absolu, sera un puissant contre-feu aux assauts de plus en plus tonitruants du nazisme qui cherche à faire des jeunes ses premiers alliés...

Karl et la Mère Trois fois Admirable de Schoenstatt

Au printemps 1933, alors qu'il prépare le bac, Karl effectue une retraite spirituelle qui marque un tournant dans sa vie: il rencontre le mouvement apostolique de Schoenstatt. A l’heure où se lève en Allemagne une idéologie qui base sa philosophie sur la négation de la liberté personnelle au profit de l’éducation des masses, Karl découvre à Schoenstatt une école spirituelle qui l’ouvre sur la formation de l’homme intérieur. Cette retraite sera le déclencheur de tout ce qui orientera ultérieurement la vie spirituelle de Karl. Le ferment semé ces jours-là lui permettra plus tard de s’opposer lucidement aux courants du national socialisme, de cultiver en permanence sa vie spirituelle intérieure. L’empreinte qu’avait laissé sur lui jusqu’alors la liturgie et les mouvements de jeunesse est renforcée ; il reçoit une nouvelle impulsion dans sa maturation intérieure qui le pousse désormais à travailler encore plus fortement sur soi, et à s’auto-éduquer.

Mais plus que tout, Karl est marqué par un aspect particulier de la spiritualité de Schoenstatt : la dévotion à la Vierge Marie, connue à Schoenstatt sous le vocable de la MTA , la Mater Ter Admirabilis, ou Mère Trois fois Admirable. Au coeur de cette spiritualité, il y a l'alliance d'amour avec Marie. C'est un lien personnel avec la Mère de Dieu, dans lequel on s'abandonne totalement à la Sainte Vierge, non pas seulement spirituellement, mais très concrètement. Karl reçoit dans cette alliance le charisme de l'abandon; il en portera la marque jusqu'à la fin de sa vie., et plus particulièrement à Dachau. Toute sa vie, cette dévotion à la MTA sera sans faille; Karl prendra souvent ses forces à la source de Schoenstatt, celle-ci allant d'ailleurs providentiellement le joindre providentiellement jusqu'à l'intérieur même du camp de Dachau.

Un jeune qui se construit avec détermination et joie

Cependant, Karl n'est pas un surhomme. Il mène un dur combat spirituel . Il a ses faiblesses. Il se confie à son journal: " Je parais à mes yeux si pauvre et si misérable! Et cependant je veux continuer , avec une infatigable volonté, à bien faire, à restaurer le bien en moi. Ne pas s'avachir à la longue par faiblesse!"

Carl jette un regard critique sur lui-même. Il connaît ses points faibles; il est décidé à les éliminer. L'essentiel n'est pas de vaincre rapidement, mais de prendre conscience de IKLK France Page 7 l'enjeu. Karl commence alors un travail lent et laborieux, une lutte contre le péché et ses conséquences, dans laquelle il ne décourage jamais. Tout au long des années qui voient l'idéologie nazie étendre son emprise, Karl se construit intérieurement avec méthode, pour être à la hauteur des responsabilités qu'il assume et de celles qui l'attendent.

Les solides repères sur lesquels Karl base sa vie spirituelle lui permettent de ne pas tomber dans les pièges que le nazisme tend à la jeunesse allemande; son journal montre sa clairvoyance, sa droiture d'âme. Dans la servitude morale et intellectuelle ambiante, il reste un être libre, plein d'amour pour son pays, mais attaché à la morale chrétienne. Il sent déjà confusément qu'il devra en payer le prix.

Le dur choix de la vocation

Mais un dur combat intérieur se livre en lui: quelle est sa vocation? En effet, il a rencontré une jeune fille qui ne le laisse pas indifférent. Il écrit dans son journal: "Oh qu'il est dur de se décider pour une voie dans la vie. Le sacrifice, est-ce donc tout? Puis- je renoncer à la grande merveille qu'est la femme? A toutes les joies et les luttes d'une alliance sacrée avec un être bien-aimé?... Mais tout tend en moi à la sainteté, l'abandon total à Dieu! Seigneur, montre-moi la voie. Donne-moi un vrai signe pour m'indiquer où je dois aller. Je ne sais plus, je suis..." Les derniers mots sont illisibles, si grande est sa souffrance en ce jour de totale solitude.

Pendant de longs mois, ébranlé par des appels contradictoires, Karl hésite entre la voie du mariage et la voie du sacerdoce. Dans chacune d'elle, Karl entrevoit toute la grandeur de la vocation de l'homme. Ce n'est en 1937, à la fin de son service passé au sein du Reichsarbeistsdienst que Karl prend sa décision. A l'issue d'une retraite de cinq jours à Munster, dans la soumission et l'abandon, il prononce son fiat devant Dieu, en le priant de le conduire à son saint sacerdoce.

Sa décision est prise; elle sera désormais irrévocable. La lutte n'en sera pas pour autant terminée. Il a conscience des bonheurs auxquels il s'ouvre, mais aussi des joies auxquelles il renonce. Le chemin est pris qui l'emmènera vers le diaconat, puis, à travers la maladie et la souffrance, vers cette extraordinaire ordination de Dachau.

IKLK France Page 8 Sa vocation

La Mater Ter Admirabilis de Schoenstatt

u printemps 1933 ; Karl effectue une retraite spirituelle qui marque un tournant dans sa vie. A l’heure où se lève en Allemagne une idéologie qui base sa philosophie sur la négation de la liberté personnelle au profit de l’éducation Ades masses, Karl rencontre à Schoenstatt une école spirituelle qui l’ouvre sur la formation de l’homme intérieur.

C’est cette retraite qui sera le déclencheur de tout ce qui orientera ultérieurement la vie spirituelle de Karl. Le ferment semé ces jours là lui permettra plus tard de s’opposer lucidement aux courants du national socialisme, de cultiver en permanence sa vie spirituelle intérieure. L’empreinte qu’avait laissé sur lui jusqu’alors la liturgie et les mouvements de jeunesse est renforcée ; il reçoit une nouvelle impulsion dans sa maturation intérieure, le poussant à travailler encore plus fortement sur soi, et à s’auto- éduquer.

Mais plus que tout, Karl est marqué par un aspect particulier de la spiritualité de Schoenstatt : la dévotion à la Vierge Marie, connue à Schoenstatt sous le vocable de la MTA , Mater Ter Admirabilis, ou Mère Trois fois Admirable. Jusqu’au bout de sa vie, et plus particulièrement à Dachau, cette dévotion sera sans faille.

Son sacerdoce

Le plan de Dieu sur Karl

nvisageant désormais sa vocation avec sérénité, Karl entame sa préparation aux ordres mineurs, et entre au séminaire en 1938. Il note dans son journal « J’écrivis jadis dans l’ardeur d’un idéalisme juvénile : « Seigneur, ma passion. » Aujourd’hui Eje peux écrire – terriblement intimidé, mais purifié – : Jésus Christ, mon Amour, mon Tout, mon Unique. Je T’appartiens tout entier sans réserve. Ainsi soit-il ! ». Il est ordonné sous-diacre le 4 mars, et diacre le 25 mars 1939.

IKLK France Page 9 Karl, qui souhaite plus que tout accéder au sacerdoce, voit ses camarades accéder au presbytérat pendant que lui est condamné à l’impuissance par sa maladie. Incapable de comprendre le plan de Dieu sur lui, il implore la MTA et sa puissante et maternelle protection, et s’abandonne totalement. Confiant dans la Providence, il met à profit le temps qui lui est donné pour se reposer, et pour reprendre progressivement des forces.

L'arrestation et le début du martyre

Le 9 novembre 1939 au matin, la radio annonçe qu’Hitler avait échappé à un attentat. Karl, entendant cette nouvelle, évoque à voix haute ses regrets : « Dommage qu’il fut déjà parti », exprimant ainsi sa conviction que la mort du Führer aurait évité à l’Allemagne les malheurs qu’il pressentait. Un témoin rapporte ces paroles aux autorités, et l’engrenage de la répression nazie s’enclenche : Karl est arrêté, puis conduit dans un premier temps à la prison de Fribourg-en-Brisgau.

Karl voit son ordination, initialement prévue pour le mois de décembre, s’éloigner encore plus. Il se consacre une fois encore à la Mère Trois fois Admirable de Schoenstatt, s’offrant « en détachement des choses du monde comme sacrifice pour notre jeunesse, notre Allemagne et le Royaume de Dieu ».

Transféré d’abord à Mannheim, Karl est envoyé en mars 1940 au camp de concentration de Sachsenhausen, près de Berlin. Soumis à de rudes conditions d’existence, son état de santé alterne entre des périodes de rémission et d’aggravation ; mais rien ne peut entamer son étonnante patience et sa bonté à l’égard de ses camarades. Attaché à son pays, il caresse l’espoir de s’engager comme infirmier volontaire pour échapper de cette manière au camp ; mais Karl a toujours plus conscience que la situation devrait durer, et il apprend la patience et l’offrande.

Dachau pour séminaire

En décembre 1940, Carl devient le matricule 22356 à Dachau. Dans ce camp sont regroupés depuis peu tous les prêtres emprisonnés en camps de concentration, et à partir de janvier 1941, une chapelle est aménagée dans le bloc 26 du camp. Les nombreuses lettres de Karl permettrent de comprendre comment dès lors il considère sa captivité comme un appel, pour grandir dans sa relation à Dieu, comment il vit de la spiritualité du diacre. Aider, compatir, s’intéresser aux autres, telles sont les qualités qu’il essaye de mûrir au quotidien dans le camp. Son attitude est celle d’une complète ouverture et disponibilité pour les souhaits et la volonté de Dieu ; qu’Il envoie la IKLK France Page 10 souffrance ou la joie, la captivité ou la liberté, la vie ou la mort : « Notre bonne Mère veille sur nous, particulièrement sur le Fils prodigue. On en reste au blanc-seing de Schoenstatt. Peut-être avons-nous beaucoup de choses à redresser par notre souffrance. Penser ainsi aide plus que tout».

La rencontre d'Otto Pies

En août 1941, le père jésuite Otto Pies est déporté à Dachau. Arrivé au camp, il déploie un intense apostolat auprès des prêtres. Il organise une prière commune quotidienne et tint et organise des récollections dans la pièce commune. Otto Pies devient l’ami fidèle, le compagnon, le directeur spirituel et le confesseur de Carl. On peut à juste titre douter que Karl aurait survécu au camp s’il n’avait pas pu compter sur le soutien apporté par Otto Pies. Il est celui qui se tient toujours près de Karl dans les moments déterminants de sa vie, et ce jusqu’au bout.

Comme l'or purifié au feu

La souffrance continue. L’année 1942 est une année de famine ; l’état de santé de Karl empire à nouveau. Karl ressentait tout à fait le poids de la souffrance qu’il avait à parcourir. Karl réussit derrière la souffrance à découvrir un sens pour lui et les siens : « La souffrance est un feu brûlant. Mais cela purifie beaucoup d’impuretés. Puissions-nous nous revoir épurés et renforcés : c’est là mon vœu le plus cher et ma prière la plus ardente pour Notre Père et Notre Mère là-haut ! » Durant les années 1943 et 1944, malgré son état de santé de plus en plus défaillant, Karl ne perd pas espoir. Il tente à nouveau d’obtenir sa libération en essayant de se faire incorporer dans la Wehrmacht . Mais malgré ces échecs, le désir d’être ordonné et de célébrer sa première messe ne le quitte pas. Il multiplie les exercices spirituels avec le groupe des prêtres de Schoenstatt, renouvelle sa consécration à la MTA : « J’ai tellement envie du sacrifice eucharistique et du sacerdoce ».

Malgré son état physique qui ne lui pemet presque plus de quitter le «Revier», l'infirmerie du camp, Karl reste disponible à tous les appels, cachant en permanence la boîte des hosties consacrées par un prêtre déporté allemand, assistant les mourants; on l'appelle bientôt « l'ange de Dachau ». Il espère toujours être prêtre un jour. Mais il faudrait un évêque pour l'ordonner...

IKLK France Page 11 Son Ciel

Sa mort

Entre tes mains, Seigneur...

e 4 mai 1945, Karl quitte le camp de Dachau. Il est transporté au sanatorium de Planegg, à une dizaine de kilomètres de . C'est une station climatique célèbre en Bavière pour son pèlerinage à la Vierge; c'est auprès de la Sainte LVierge que Karl va mourir.

Le 5 mai, il écrit dans son journal: "5/5/1945. Marie patronne de la Bavière. Je me suis assoupi en versant des larmes de joie et de gratitude. Oh, je me sens si bien. Comme Dieu est infiniment bon! Quand la détresse est la plus grande, il vient à l'aide. Il ne veut, auparavant, que l'abandon total... Les images sombres de Dachau se détachent lentement de l'âme. Je suis un homme libre! Alléluia! Je renais! Me voici rendu à la dignité humaine. Des fleurs sur la table. Le crucifix au mur. Les soeurs m'apportent la Madone de Stefan Lochner, de la cathédrale de Cologne. Je lui recommande tout, à ma mère bien aimée. M.h.c.! Mater habebit curam (la Mère prendra soin de moi)".

La rémission qu'il aura connue à la libération sera de courte durée. Désormais, ce sera une intense souffrance jusqu'à la fin. Mais nulle plainte dans sa bouche, seulement des paroles d'offrande et de gratitude. Il offre sa souffrance à Dieu pour qu'elle participe à l'expiation des péchés. Il sait qu'il va mourir, aussi fait-il l'offrande de son sacerdoce pour contribuer au salut des hommes . Prêtre conforme au Grand Prêtre sur la Croix, expiant le péché du monde. Malgré les douleurs de plus en plus fortes, il reste l'être joyeux et ensoleillé d'autrefois, mais il montre plus encore qu'autrefois dans son visage et dans ses paroles une merveilleuse maturité intérieure et une grande profondeur.

Fin juin, il a l'immense bonheur de revoir son père et sa mère, qui sont parvenus à le rejoindre en passant difficilement à travers les décombres de l'Allemagne. Puis, le 25 juillet, en la fête de l'apôtre Saint Jacques, a lieu l'événement tant attendu par lui depuis son ordination: il peut assister à la première sainte messe depuis sept mois. Sa chambre étant trop petite, l'autel est placé dans le couloir. Trop faible pour célébrer lui-même, il

IKLK France Page 12 prend part de toute son âme au saint sacrifice. Après la messe, épuisé, il évoque avec sa maman son pays natal dévasté, et écrit dans son journal: "Bonne nuit, Dieu éternel et saint, Mère bien-aimée, vous, tous les saints, tous les vivants et les morts, proches et lointains! Bénis aussi , ô Très Haut, mes ennemis!"

Sur ces mots de bénédiction pour ceux qui nous haïssent se referme à jamais le journal de Karl Leisner. Ouvert en 1927 par un compte rendu malhabile de réunion, il s'achève au terme d'un prodigieux itinéraire spirituel et physique, sur la parfaite mise en oeuvre d'une des dernières paroles du Crucifié. Totalement conformé au Maître, le disciple est prêt à le rejoindre.

Le soir du 8 août, une ultime joie lui est accordée: ses trois soeurs arrivent à Planegg. La joie des retrouvailles est ternie par la vue de la souffrance, mais le regard de Karl brille du reflet de l'Esprit qui l'habite.

Le 12 août au matin, le jeune prêtre entre en agonie. Le Père Pies, qui l'accompagne depuis quatre ans sur son chemin de douleurs, est auprès de lui. Il lui tend le crucifix et récite la prière des mourants. Karl est conscient; il donne à la fin la main à son ami pour lui dire adieu. Le souffle de vie diminue progressivement, puis s'arrête. Karl vient de passer dans l'au delà.

La vie de Karl se termine le 12 août 1945. Aussitôt commence sa mission sacerdotale. Au service de l'Église universelle, et plus particulièrement des prêtres, de la jeunesse, de l'Allemagne et de l'Europe.

Sa béatification

Jean Paul II propose Karl comme modèle à la jeunesse d'Europe

arl a 18 ans quand Hitler accède au pouvoir. Alors que l'Allemagne accueille le chef nazi comme un libérateur, Karl rejette instinctivement le Führer et le nazisme. Son journal intime, qu'il tient depuis l'âge de 12 ans, en témoigne. En C1933, il est chef de la jeunesse catholique de la région de Clèves. Un an plus tard, il l'est pour l'ensemble du diocèse de Munster en Westphalie. C'est un merveilleux entraîneur de jeunes. Randonnées à pied et en vélo, camps, exploration de la nature, guitare et

IKLK France Page 13 chants : les jeunes le suivent dans l'enthousiasme. Au cœur de son action : le Christ. En 1934 alors que les foules vocifèrent "Heil Hitler", il écrit dans son journal "Christ est ma passion, Heil" " Il hésite longtemps entre le mariage et le sacerdoce. Fonder une famille chrétienne, quelle merveille ! L'appel au sacerdoce l'emporte. Il est ordonné diacre en 1939. Huit mois plus tard, il est arrêté et déporté dans le camp de concentration de Dachau. Il y atteint un sommet de sainteté. Le 17 décembre 1944, il est ordonné prêtre, en secret, par Mgr Piguet, évêque de Clermont-Ferrand. Grandiose événement de catacombes ! Préfiguration de la réconciliation des peuples! Il est déjà atteint à mort par la maladie, miné par les conditions de détention. En août 1945, il meurt, à 30 ans, purifié, comme l'or passé au feu...

Karl est béatifié en 1996

Le procès en béatification de Karl est engagé en 1975. Le 15 mars 1980, le Pape Jean Paul II donne son accord pour l'ouverture du procès de béatification.

A Strasbourg, le 8 octobre 1988, Jean-Paul II dialogue avec 42.000 jeunes Européens d'Est et d'Ouest. Au cours de sa seconde intervention, le Pape donne Karl Leisner comme modèle à la jeunesse d'Europe.

Le 23 juin 1996, le Pape Jean-Paul II célèbre la béatification de Karl Leisner et de (1) dans le stade olympique de Berlin. Il utilise à cette occasion la crosse épiscopale que Mgr Piguet avait utilisée en 1944 pour ordonner Karl.

En le proclamant bienheureux, le Pape Jean-Paul II l'a proposé en exemple: « Karl Leisner nous encourage à rester sur ce chemin qui s'appelle le Christ. Nous ne devons jamais nous laisser aller à la fatigue, même si ce chemin nous paraît parfois obscur et s'il demande des sacrifices. Gardons-nous des faux prophètes qui veulent nous indiquer d'autres chemins. Le Christ est le chemin qui mène à la vie. Tous les autres chemins s'avéreront des détours ou des fausses pistes».

Ce n'est pas un modèle anodin que Jean Paul II propose en exemple aux jeunes déboussolés de notre monde contemporain:

- à tous ceux qui se laissent si facilement subjuguer par toutes sortes d'idéologies, il propose Karl, qui, parce qu'il s'est donné la peine de se former, a su suivre la voie de sa conscience même au péril de sa vie

- à tous ceux qui se laissent mener par une sexualité débridée, il propose Karl, qui a su reconnaître la splendeur de la pureté et la grandeur de la vocation au mariage

IKLK France Page 14 - à tous ceux qui ont peur de la vocation sacerdotale, il propose Karl, qui a su découvrir comment le prêtre est un autre Christ qui s'offre en sacrifice.

(1): Bienheureux Bernhard Lichtenberg: prévôt de la cathédrale de Berlin, en novembre 1938, il assiste aux terribles anticipations des ‘’. Le soir même il monte en chaire à la cathédrale Sainte-Edwige et proclame: "Dehors, la synagogue est en train de brûler, celle-là aussi est une maison de Dieu”. A partir de ce jour-là, chaque soir à l’occasion des Vêpres, il prie en public “pour les chrétiens non-aryens persécutés, pour les juifs”. Plus tard il étendra sa prière aux détenus des camps de concentration, etc. Il est arrêté en octobre 1941. Lors de son interrogatoire, il déclare: "Mon seul Führer est le Christ" et il dit les raisons de son opposition: suppression de l’heure de religion dans les écoles, laïcisation du mariage, euthanasie, persécution des juifs, etc. Il est emprisonné, torturé. Deux ans plus tard, le 5 novembre 1943, il meurt au cours de son transfert à Dachau.

Le procès de canonisation est ouvert...

Le procès de canonisation de Karl Leisner a été ouvert le 25 avril 2007 à Munster. Mgr Richard Lettmann a chargé le recteur de la cathédrale Martin Hülskamp, d’adjoindre les actes du procès d’un miracle à la « cause » du bienheureux.

Selon le communiqué de presse de l’évêché de Munster, c’est un homme du diocèse de Munster qui a bénéficié du miracle indispensable à la canonisation. Il attribue sa guérison médicalement inexplicable du cancer à l’intercession du bienheureux Karl Leisner. Les médecins auraient confirmé cette guérison.

Mgr Lettmann a nommé comme postulateur de la cause Andrea Ambrosi, de Rome. Si les choses avancent bien, les documents examinés par le postulateur pourraient être transmis d’ici un an à la Congrégation pour la Cause des Saints à Rome, à l’issue d’une session de clôture de la cause diocésaine à Munster. Il faudra ensuite probablement un an de plus à Andrea Ambrosi pour rédiger la « Positio », c’est-à-dire le résumé de tous les faits.

Le procès en lui-même aura lieu par la suite, qui se réunira en commissions de médecins et de théologiens, qui devront arriver à la majorité. Enfin, la « Causa Leisner » sera évoquée devant l’assemblée générale de la Congrégation pour la Cause des Saints. « Le résultat n’est pas encore acquis, pense le recteur de la cathédrale Hülskamp. La décision finale est du ressort du pape. »

IKLK France Page 15 Homélie de Jean-Paul II

à l'occasion de la béatification de Karl Leisner et Bernard Lichtenberg

Frères et soeurs,

’ayez pas peur de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme » (Mt 10,28). Les mots autrefois adressés par le Christ à ses disciples en Terre Sainte se réfèrent à tous les Chrétiens de tous les siècles. Ils valent «sous toutesN les latitudes et longitudes. Mais ils prirent une dimension particulière pour ces deux disciples du Christ dont nous fêtons aujourd’hui la béatification : Bernhard Lichtenberg et Karl Leisner (…).

Dans le texte du prophète Jérémie (Jer. 20,10-13) nous trouvons une référence suffisamment claire aux deux bienheureux d’aujourd’hui : Bernhard et Karl. Ils vivaient en un temps de Terreur systématique. Ils ont vaincu par leur foi et sa profession.

Le signe de reconnaissance d’une véritable sequela Christi n’est pas l’assentiment du monde, mais une confession fidèle en Jésus Christ. Le Seigneur n’exige pas de ses disciples une profession selon le monde, mais une confession de la foi qui soit prête aussi à faire des sacrifices. C’est cette confession qu’ont faite Bernhard Lichtenberg et Karl Leisner, non pas en paroles, mais par leur vie et leur mort. Dans un monde devenu inhumain, ils ont confessé le Christ, le seul qui soit le Chemin, la Vérite et la Vie.

Christ est le Chemin. Bernhard Lichtenberg et Karl Leisner l’ont prouvé en un temps où beaucoup avaient quitté le droit chemin pour s’égarer dans l’erreur par opportunisme ou par peur. Celui qui regarde le chemin des deux martyrs sait que leur martyre n’était pas un accident de leur destinée mais bien l’ultime et incontournable conséquence d’une vie vécue à la suite du Christ. Déjà dans leur tendre jeunesse les deux s’étaient mis en route sur le chemin où Dieu les avait appelés et qu’Il voulait faire avec eux. Christ, Tu m’as appelé. Je parle avec humilité mais détermination : « Je suis là, envoie-moi » écrit Karl Leisner au début des ses études de théologie. Lui, qui avait très tôt reconnu le caractère anti-chrétien du régime qui dominait alors, se sentait appelé à enseigner aux hommes le Chemin de Dieu par le ministère sacerdotal qu’il souhaitait exercer et il ne voulait pas faire de concessions à la prétendue « conception nationale ». Avant qu’il ne fût enfermé à Dachau, il développa très tôt une profonde dévotion pour la Vierge à laquelle il avait été sensibilisé par le Père Kentenich et le mouvement de Schönstatt.

IKLK France Page 16 Son courage dans la foi et son admiration pour le Christ doivent avant tout servir d’impulsion et de modèle à tous les jeunes qui vivent dans un environnement marqué par l’incroyance et l’indifférence. Car il n’y a pas que le dictatures politiques qui restreignent les libertés. Il faut tout autant de courage et de force pour s’affirmer contre l’influence de l’esprit du temps, tout orienté vers la consommation et la jouissance égoïste de la vie et parfois s’acoquine avec l’anticléricalisme, voire un athéisme franchement militant. Le service auprès des hommes exigea de Bernhard Lichtenberg tout son engagement et tout son sacrifice. Sa foi inébranlable lui en donna la force. « Il était jusqu’en chacune de ses fibres en tout ce qu’il disait : il prêchait par lui-même. Il avait la foi qui bouge les montagnes » écrivit a posteriori un de ses contemporains sur lui.

Bernhard et Karl nous encouragent à rester sur le Chemin qui s’appelle le Christ. Nous ne devons pas nous fatiguer, même si ce chemin apparaît plus d’une fois sombre et exige aussi des sacrifices. Gardons-nous des faux-prophètes, qui veulent nous indiquer d’autres chemins. Le Christ est le Chemin, qui conduit à la Vie. Tous les autres chemins s’avèreraient des détours ou des impasses (...).

Christ est la Vie : c’est pour cette conviction qu’a vécu Karl Leisner et pour elle qu’il mourut finalement. Il a toute sa vie recherché la proximité au Christ par la prière, la lecture quotidienne des Ecritures et par la méditation. Et il a finalement trouvé cette proximité d’une manière particulière dans la rencontre eucharistique avec le Seigneur. Le sacrifice eucharistique que Karl Leisner, dans le camp de concentration de Dachau, put célébrer comme prêtre après son ordination, n’était pas seulement pour lui une rencontre avec le Seigneur et la source de ses forces vitales. Karl Leisner savait aussi que celui qui vit avec le Christ entre dans une communauté de destin avec le Seigneur.

Karl Leisner et Bernhard Lichtenberg ne sont pas des témoins de la mort, ils sont des témoins de la vie : d’une vie qui va au-delà de la mort. Ils sont témoins du Christ, qui est la Vie et qui est venu pour que nous ayons la Vie et que nous l’ayons en plénitude (cf. Jean 10,10). Dans une culture de mort, les deux ont porté témoignage pour la vie.

Comme les deux bienheureux, nous sommes tous appelés à porter témoignage pour la vie. C’est pourquoi tenez fermement à la vie, qui est le Christ. Résistez à la culture de haine et de mort, quelque soit l’apparence qu’elle revête. Et n’épargnez pas vos efforts pour vous engager auprès de ceux dont la vie ou la dignité de vie sont menacés : les enfants à naître, les plus grands malades, les personnes âgées et tous les miséreux de la Terre. Par leur mort, Bernhard Lichtenberg et Karl Leisner ont rendu visible la vie qui est le Christ et que le Christ donne. L’Eglise les gardera pour toujours en honneur, ainsi que leur témoignage. Ce témoignage que les deux bienheureux ont porté, ne fut possible que grâce au lumineux exemple donné par leur évêque respectif : Konrad von Preysing

IKLK France Page 17 à Berlin et Clemens August von Galen à Munster. Précisément en un temps et un monde qui souvent ne peut ou ne veut plus reconnaître la valeur de la foi chrétienne et qui remet ainsi en question le fondement même de sa civilisation, un tel témoignage est nécessaire. Il ne s’agit pas que du témoignage de la Parole, mais justement du témoignage d’une vie qui a pour fondement la Parole du Christ (..).

Je voudrais encourager toute l’Eglise d’Allemagne pour qu’elle reste fidèle à sa mission chrétienne et regarde toujours l’exemple des deux martyrs bienheureux Bernhard Lichtenberg et Karl Leisner « Mater habebit curam » Notre Mère céleste y veillera ! C’est avec ces paroles porteuses de joie que je vous confie à l’Intercession de Marie qui, en tant que première Chrétienne, a répondu Oui à l’insaisissable volonté de Dieu ».

+ Jean Paul II

IKLK France Page 18 Journal

Le journal de Karl

Le journal de Karl, miroir d'une âme

Pâques 1926, un jeune prêtre, Walter Vinnenberg, est nommé vicaire de l’église paroissiale de l’Assomption et en même temps professeur de sport et de religion au lycée de Clèves. L’abbé avait été formé dans les mouvements de la Àjeunesse catholique et était membre du Quickborn (littéralement, en allemand: fontaine de jouvence). Apparu après la première guerre mondiale dans les cercles catholiques, ce groupement était l’un des nombreux mouvements de jeunesse qui se caractérisaient par le retour vers la nature, l’importance donnée à la communauté, un style de vie simple et clairement marqué, la responsabilité du travail de groupe, l’indépendance et la proximité avec les renouveaux théologiques. Les randonnées et les campements en faisaient naturellement partie, l’abstinence d’alcool et de tabac jouait un grand rôle. Le sentiment d’appartenir à une communauté reçut une nouvelle importance grâce à la liturgie : la messe célébrée en communauté, les efforts pour la communion fréquente et surtout le combat pour une nouvelle compréhension des symboles liturgiques furent théologiquement réfléchis et mis en pratique. Celui qui appartenait à l’un de ces groupements de jeunesse pouvait se considérer comme faisant partie de l’avant-garde du catholicisme allemand.

Ce groupe du Quickborn introduit au lycée de Clèves par l’abbé Vinnenberg a laissé une marque très profonde sur Karl. Il écrivait en 1933 dans son curriculum vitæ pour l’examen du baccalauréat :

« L’événement particulièrement marquant dans ma vie fut ma rencontre avec notre professeur de religion, quand il me demanda de faire partie d’un groupe de jeunes qu’il voulait créer. Ce que j’ai gagné, à compter de ce moment là, en richesse spirituelle et en endurcissement physique au travers de la vie dans ce mouvement de la jeunesse catholique, est proprement indicible. Celui qui n’a pas lui-même participé à un mouvement de jeunesse ne peut le comprendre ».

IKLK France Page 19 Le 3 février 1927, cinq jeunes se retrouvent pour la première fois dans l’appartement de l'abbé Vinnenberg. A partir de ce moment, ils se retrouvent au moins une fois tous les quinze jours. Tous les premiers lundis du mois, ils célèbrent la messe dans la chapelle de la « Münze ». Karl se charge du rôle de secrétaire de séance. C’est à partir de cette époque, qu’écrire son journal devient pour Karl un besoin et une habitude qu’il conservera pratiquement jusqu’à sa mort. On a conservé de lui 27 cahiers, dont deux sont considérés comme des fruits glanés au cours de ses lectures et qui témoignent de son cheminement intérieur. On ne peut déterminer combien de cahiers ont été perdus.

Le journal de Karl que l’on connaît aujourd’hui est donc né de ce simple premier cahier de séance, ouvert ce jour de février 1927.

Écrit dans l’écriture gothique nette, régulière et appliquée de Karl, il révèle au fil des jours les efforts que Karl fait pour maîtriser son corps et son âme, et il nous livre aujourd’hui les aspirations les plus secrètes de son être. Le journal se termine en juillet 1945 sur des mots presque illisibles, rédigés dans la souffrance et l’abandon, pour bénir à l’heure de la mort ceux qui nous haïssent.

"Christ, Toi ma vie, Toi mon Seigneur, qui m'appelle à amour et ma passion, "Je sens une grande force, être son témoin pour la enflamme-moi; éclaire-moi" des possibilités infinies en Vérité et la Vie" (14/04/1938) moi. Seigneur, j'irai où Tu me (29/06/1938) veux, même à travers nuit, "Avec joie, je renonce au peine et détresse" "Christ a appelé, nous mariage et à la famille; avec (23/04/1938) sommes à Lui et Le suivons joie je t'offre le sacrifice total jusqu'à la mort et l'éternité. de ma vie" "Je ne peux et ne veux plus Amen" (20/01/1939) rien d'autre, même au prix (28/06/1938) de ma vie, une vie crucifiée, "J'irai là où la main de Dieu et ce sera sûrement plus que "Obéissance dans le me conduit au risque du plus je ne puis l'exprimer. Mais je portement de la croix. grand sacrifice et du plus le sens, Seigneur, je me Fidélité jusqu'à la mort, fut- grand courage" décide librement pour Toi, ce la mort sur la croix" (25/04/1938) ma vie et ma mort (19/04/1938) T'appartiennent" "Seigneur, j'obéis, je Te suis, (25/02/1939) " Tu es appelé à l'autel, à donne-moi le courage de la l'holocauste pour les autres, croix" "Dans la foi, l'espérance et la pour ton peuple allemand" (10/04/1938) charité, j'avance vers Toi, (17/02/1939)

IKLK France Page 20 Le journal de Karl (1930-1935)

Vérités fondamentales et règles de vie (1930)

L’ordre :

1. intérieur : aucune intention indigne, inconvenante, vulgaire ! Vraiment ! a. dans le comportement extérieur ! Toujours avoir des habits et une bonne attitude (à table) ! Convenances et politesse. Ne pas être aussi fougueux ni bavard ! Vraiment ! b. dans mes affaires ! Tenir toujours mes livres en bon état ! Mon journal intime ! Les affaires du groupe ! Mes devoirs de chef ! Dans la chambre ! Partout ! c. envers les autres ! Sincère et clair, poli et convenable ! Envers les filles, discipline intérieure et bonne tenue !

2. Bonne discipline et ordre : Le matin se lever ponctuellement et rapidement du lit ! Pareille « exactitude » et rapidité pour le reste ! Aussitôt un « Sursum corda = Elevons nos coeurs » chaque matin ! = fuir le train-train ! Chaque jour commence courageusement et dévotement !

3. Dévotion et amour partout ! Pas d’hypocrisie ! Pas de vantardise ! Pas autant de babillage, plus d’actions charitables ! De la persévérance en tout. Chaque jour éducation du caractère ! Entraînement de la volonté ! Avec la montre en main ! De la mesure en mangeant ! Tout rapporter au Christ ! Lire consciencieusement la Bible ! Plus de zèle en tout ! Beaucoup plus de zèle ! Au travail ! De l’amour envers tout homme ! Fuir l’égocentrisme avide, c’est à dire le péché ! Réfléchir calmement et ensuite agir courageusement ! ».

La lutte pour l’ordre (1933)

La liberté ! et l’ordre, l’obligation autant que nécessaires ! Je voulais faire de mes journées « 2 dies pugnae ordinis » [deux jours de lutte pour l’ordre] ; je voulais, oui, mais je ne peux pratiquement plus. Je suis depuis deux semaines « inordine plenus (plein de désordre) ». D’où est-ce que cela vient ? Tout d’abord j’ai été complètement infidèle aux résolutions que je m’étais fixées à Schoenstatt. Ensuite, je suis surmené, et en réalité par mon désordre spirituel et mes manquements à la chasteté. Cela doit changer. Ce n’est pas ainsi que je peux être un chef pour les jeunes, jamais ! Et pas même un catholique. IKLK France Page 21 Je veux maintenant m’enfoncer bien dans le crâne quelques résolutions que je veux et doit suivre la semaine prochaine:

- Se lever immédiatement le matin - Accomplir ma prière du matin fidèlement et avec profondeur - La pensée du jour en lien et rapport avec le travail du jour - L’obligation professionnelle - Le guide des jeunes ! Les sources de la force. Être un exemple ! Pas un hypocrite ! Se dominer soi-même ! - Lecture de l’Écriture Sainte - Lire, lire (moins les journaux) ! - Être concentré et dispos à l’école ! - Après l’école, travail dans le calme ou mettre un peu de calme dans mon âme et dans mon esprit. - « Les petits riens » ! - La préparation de l’excursion et du camp ! (pas seulement matérielle, mais aussi spirituelle ! Par exemple, devenir un gars complètement différent dans la famille !). - Être un type solitaire, priant, honnête, en quête !

« Da virtutem, Domine ! » [Donne-moi la force, Seigneur]. »

Prière pour obtenir la force (1933)

Mon coeur erre de part et d’autre jusqu’à ce qu’il repose en Toi, ô Mon Dieu. Car Toi, Mon Dieu, Tu es l’ordre, la beauté, le profond repos, Tu donnes la paix que ne peut donner le monde, Tu nous donnes déjà ici-bas l’Éternité, lorsque nous vivons et reposons en Toi. »

Toute ma vie doit donc entrer plus avant dans cette intimité avec Dieu, cette union à Dieu et ce don à Dieu ; cela n’est pas obligatoire, mais je la veux ainsi ; prier humblement pour cela, chercher, lutter, et le désirer. Je veux être comme Perceval : un chevalier de Dieu rayonnant et purifié, un chercheur de Dieu. Je veux m’enfoncer toujours plus dans la spiritualité de Schoenstatt et travailler à mes notes dans mon « Livre de vie ». Car sans amour de Dieu et joie de l’âme, je n’arrive à rien. Avec Dieu j’aurai tout en moi. « Da virtutem, Domine ! ».

Les études de théologie (1934) IKLK France Page 22 Je suis saisi : je ressens l’Esprit Saint ruisseler dans mon âme. Vita nuova ! Amour, enthousiasme ! Prendre en main ce métier avec force, amour et sagesse. De l’humilité dans la connaissance, de la force et de la confiance dans la décision ! Cela créera, avec l’aide de la grâce de Dieu, un idéalisme pur et un état d’esprit surnaturel.

La lutte contre les fausses idéologies (1935)

Je suis saisi : je ressens l’Esprit Saint ruisseler dans mon âme. Vita nuova ! Amour, enthousiasme ! Prendre en main ce métier avec force, amour et sagesse. De l’humilité dans la connaissance, de la force et de la confiance dans la décision ! Cela créera, avec l’aide de la grâce de Dieu, un idéalisme pur et un état d’esprit surnaturel.

Croissance de la vocation presbytérale (1935)

Et notre génération de prêtres, nous allons justement y arriver ! [...] Le grand prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech … le fils du Père céleste et tout-puissant … le véritable Homme-Dieu et Rédempteur … notre Seigneur Jésus Christ … Il m’a appelé à Son Sacerdoce durant les heures silencieuses du combat de la grâce. Être un intermédiaire entre Lui, le Seigneur de la Vie et de la Mort, et l’humanité qui a besoin de Rédemption ... voilà un grand don de la Grâce et une grande tâche ! C’est pourquoi je dois tendre, avec toutes mes forces rassemblées et ramassées, vers ce but ici sur la Terre, et dans la Vie et l’Éternité !

Le royaume de Dieu et le Salut des âmes doit te brûler jusqu’à l’âme ... et c’est ainsi que les saints incendiaires deviendront un flambeau ardent, qui brûle du feu de l’offrande à Dieu, de l’enthousiasme et de l’amour.

C’est pourquoi il faut rassembler, éduquer, fortifier, assainir et renforcer toutes les forces du corps, de l’esprit et de l’âme ! Tendre avec une impitoyable droiture et honnêteté de l’âme vers le contrôle de soi et l’austérité ! Cela doit être une force complète, l’homme tout entier, avec toutes ses capacités, dispositions et dons de la nature et de la grâce !

Christ, Tu m’as appelé. Je parle humblement et clairement, virilement et avec force : « Ecce ego, mitte me » ! [Me voici, envoie-moi !] ... Donne-moi la force de Ta mission ! La force de la grâce, la force de l’Esprit, la vie éternelle, le feu saint de Ton Esprit, la santé et le contrôle de soi sur le corps et l’âme ! « Introibo ad altare Dei »[J’entrerai vers l’autel de Dieu] ... c’est ainsi que je pourrai parler, si Tu le veux « ad Deum, qui laetificat iuventutem

IKLK France Page 23 meam ! » [à Dieu, qui réjouit ma jeunesse !]. La jeunesse éternelle, être éternellement un enfant de Dieu, et la véritable vertu de l’homme ! Prêtre du Christ ! Alléluia !

Suis-je devenu plus proche du Christ, suis-je plus devenu un « alter Christus [un autre Christ] »?

L’amour de Marie (1935)

Je fus souvent pèlerin : pour Notre-Dame et les lieux de sa grâce.. A Kevelaer, Marienbaum, Telgte, Vreden, Blieskastel, Altenberg, je me suis agenouillé devant sa sainte image et je l’ai implorée, elle, la Mère céleste, je l’ai chantée, priée et contemplée et toujours, elle m’a offert un nouvel amour, une nouvelle force, une nouvelle joie par le Christ.

Le journal de Karl (1937-1938)

Le choix si difficile de la vocation (1937)

« Si je pose mon oreille la plus intime Au mur de mon âme Si je m’approche tout près de la porte Qui s’ouvre en grand sur le coeur, Et si j’épie et regarde à l’intérieur Et si je me demande, ce qu’il peut bien y avoir, Voilà que Tu viens à ma rencontre, Sur ses chemins silencieux. Je dois toujours et encore T’offrir Une pensée indiciblement profonde. Pour toi s’est ouverte la lourde serrure, Qui était posée à cet effet devant mon âme. A toi j’ai ouvert les plus profondes sources, Pour toi j’ai fait résonner les sonnettes les plus secrètes. Et toujours et encore j’admire Ton silence, Que Tu te montres toujours si bonne et maternelle.

IKLK France Page 24 C’est pourquoi je veux me tenir devant Toi tel un chevalier, Demeurer ferme dans l’armure de la pureté. Devant Toi, Marie ! Vierge et Mère ! »

Toute la beauté de la vie de famille, d’engendrer et d’avoir des enfants, tout cela se rapproche de moi lorsque je réfléchis la nuit. Que faire ? Mais le bel héroïsme du sacerdoce s’illumine aussi pour moi !

Le « Fiat » définitif (1938)

Du samedi soir jusqu’au jeudi matin, j’ai passé un séjour plein de sainte tranquillité et de joie, de renoncement et de sacrifice définitif. Dieu m’a fait don de Sa grâce toute- puissante. Par la prière, par le chant, par un douloureux combat de mon âme pour s’affranchir de ses désirs les plus profonds, en des heures habitées par l’Esprit Saint, se produisit le grandiose, le bouleversant événement (puis-je réellement affirmer qu’il s’est produit, étant donnée l’incertitude de toute chose humaine ?) : Oui ! J’ai prononcé l’ultime fiat, soumis et abandonné à la volonté de Dieu qui désire me conduire à Son saint sacerdoce. Je ne parviens pas à le décrire !

J’avais la ferme intention de me confesser dès le dimanche 24, et de demander au P. Esch de m’accorder un soir une discussion approfondie comme Jésus lorsqu’il reçut Nicodème. Comme ce fut beau et simple ce soir-là. Après un bref entretien, j’écoutai la parole du prêtre, cette parole si bonne et si limpide après l’ultime décision. L’Esprit de Dieu parlait en nous ... comme c’était beau. Profondément saisi, je m’agenouillai ensuite dans la chapelle éclairée par la seule lumière du Saint-Sacrement, et remerciai le Seigneur, le saluant comme mon Maître à jamais dans le sacerdoce. J’ai choisi l’ultime sacrifice, le sacrifice inconditionnel. Quelle chose incroyable : être prêt au témoignage sous toutes ses formes pour Jésus Christ, que jadis, dans ma jeunesse, j’aimais passionnément ... comme je l’ai écrit une fois, au coeur d’un violent combat, pendant ma folle adolescence (…) Jésus Christ qui, je l’espère, est devenu et restera mon seul grand amour.

« Fiat voluntas tua ! Adveniat regnum tuum ! » Jésus Christ, mon bien-aimé, s’offrir pour Toi est réellement le plus grand héroïsme qui existe sur cette terre. Et quand bien même personne autour de moi ne comprendrait cela, quand bien même mon peuple, que j’aime avec passion, ne me comprendrait pas ... je ne peux faire autrement ! Que le Seigneur m’assiste !

Et tard le soir, j’écrivis encore une lettre à celle qui, aux jours de violence et de révolte, aux jours d’orage et de tempête, m’avait comblé de son aide, de sa prière et de son

IKLK France Page 25 ultime amour plein de compréhension ! Dois-je la retranscrire ici ? Non, je ne le peux pas, cela est trop sacré pour tomber entre des mains indésirables !

Et pourtant, la lutte continue (1938)

Le soir, pendant l’étude, j’ai été envahi subitement par une puissante et douloureuse nostalgie. Oh, puis-je sans danger devenir prêtre ? Avec ce coeur si rebelle, si sombre et tourmenté ? Et pourtant, c’est ainsi. Le Seigneur veut que tu t’attaches à Lui, précisément à cause de ces épreuves infiniment douloureuses et tourmentées. « Non vos me eligistis, sed ego vos, dicit Dominus ». [Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, mais moi qui vous ai choisis, dit le Seigneur]. Oh, si seulement il n’y avait pas ce renoncement à « l’ amor terrenis » [l’amour terrestre], et surtout ce renoncement à la sexualité, aux enfants. C’est si merveilleux, de pouvoir être presque un créateur. Pourquoi ne faisons-nous pas comme les Uniates ?

(…) Je parle à Papa de mon projet et je rencontre son coeur de père, si vaste et bon. Il comprend la vie. Il est devenu sage. Je peux me confier à lui sans retenue. Sur le chemin du retour, mon coeur me faisait mal. Que devais-je faire à présent ? Cette question me transperce le coeur. J’ai besoin d’une semaine de silence et de calme pour y réfléchir. Toute cette nostalgie douloureuse, toute cette souffrance reviennent avec force. Je chemine en solitaire en quête de repos, pour entendre l’appel de Dieu. Je prie et attends le Seigneur. L’inquiétude et l’incertitude de jadis me rongent le coeur. Je voudrais forcer le destin, hâter la décision. Mais l’homme propose, Dieu dispose. Mais j’ai senti qu’il en allait du Christ et de sa grâce comme des grandes choses de la Nature et de l’Histoire : on ne peut pas les évacuer ou les éluder tout simplement. Le divin se présente à nous, impérieux, commandant et ordonnant dans la nature comme dans la grâce. Et nous construisons notre vie en fonction des lois de ces deux royaumes divins. Vivre avec le Christ, c’est possible. Il faut être attentif à l’appel de sa grâce. Lui promettre de le suivre en croyant en lui et à son appel (…) c’est cela qui rend heureux, qui remplit une vie. Mais cela ne va pas sans sacrifices, sans un renoncement complet et radical. C’est pourquoi je dis oui à l’appel du Christ et à son exigence. Je veux toujours recommander cette humanité que j’aime à Ses voies, à Sa grâce et à Sa bonté. Tel est mon devoir de reconnaissance, le devoir de ma vie. Je ne renonce pas par lâcheté, par dépit de ne pouvoir faire autre chose, mais parce que je voudrais obéir totalement à l’appel de Dieu. (...) Je voudrais être Ton prêtre, le messager de Ta Bonne Nouvelle, celui qui a reçu Ton onction, parce que je crois entendre Ton appel. Je veux être là où Tu veux que je sois. Éclaire-moi, donne-moi Ta force !

IKLK France Page 26 L’ultime décision (1938)

Mon rayon de soleil d’aujourd’hui, ce furent les voeux d’Elisabeth. Ils m’ont touché au plus profond de mon coeur. Il me semble que le pur sacrifice de cette pieuse jeune fille me rend docile, contraint mon tempérament si turbulent et rebelle. Je crois y reconnaître l’action adorable de la grâce. L’amour, la souffrance, le sacrifice. Elle est comme l’étoile du matin de la grâce divine et de la Providence dans ma vie. Il me semble que son sacrifice silencieux, son sacrifice sublime et sa prière vont m’ouvrir le ciel du sanctuaire, et me conduire à l’autel. Je voudrais verser des larmes de sainte joie. Seigneur, je Te remercie d’avoir mis sur mon chemin cette jeune fille si merveilleusement pieuse et délicate. Cette jeune fille si forte, cette pure enfant de la grâce, ce précieux trésor de l’humanité, le plus précieux que j’aie jamais rencontré. C’est à la prière de ma chère mère, et c’est à la prière d’Elisabeth, à son sacrifice silencieux, acheté peut-être au prix de la souffrance et des larmes, que je dois d’être ce que je suis aujourd’hui. Elle m’a été envoyée par la Mère Céleste. Je rends grâce ! Oh Dieu si bon, remplis-moi d’égards et de reconnaissance ! Par elle j’ai effleuré l’éternel féminin. Je ne peux que m’abîmer dans le silence. Voici le secret de l’âme.

Une question m’angoisse : pourrai-je toute ma vie de prêtre rester fidèle à mon union sponsale avec le Christ ? Cela nécessite un examen approfondi, je dois m’y préparer intensément, en toute intériorité, pendant ce temps de fiançailles avec le Christ, ce printemps sacré du séminaire. La sainte alliance de vie sera à l’image des fiançailles.

Jette-toi donc dans les bras du Christ, abandonne-toi à Lui dans un puissant élan de foi et de confiance, d’amour et d’espoir, dans la contemplation de la prière et de la vie intérieure. Comme une jeune fiancée, rayonnante de beauté, qui offre tout le charme de son amour, toute sa brûlante ardeur amoureuse à son bien-aimé dans un abandon sans réserve, offre-toi dans l’abandon le plus ardent de ton âme. (...)

Puis abandonne-toi à la grâce, tu es appelé. Le Seigneur t’a choisi entre mille. Ce n’est pas une illusion des sens, mais une soumission obéissante aux voies de Dieu, obtenue au prix de rudes combats.

Et puis : combats, travaille, prie, souffre, sacrifie-toi ; des déceptions sur toi et sur beaucoup d’autres, tu devras et pourras en porter le poids toute ta vie. Car c’est une grâce ; par elle il t’est donné de prendre sur toi le poids de tes propres fautes, de porter les péchés des autres et de les expier. Et si tu t’y prépares en toute pureté et humilité, si à chaque instant tu te tiens prêt à répondre à la tâche à laquelle Dieu t’appelle, si tu t’efforces sans cesse d’entendre Son appel au moment présent, alors Dieu t’offrira sans cesse Sa consolation, Sa force régénératrice. Tu peux en être certain dans la foi.

IKLK France Page 27 Lance-toi, aie cette foi qui transporte les montagnes et que le Seigneur exige de toi, crois à ta vocation !

Alors, tous les doutes, les sentiments d’infériorité disparaîtront ; ils ne doivent pas s’insinuer comme des idées fixes ni devenir des complexes. Car alors, tu deviendrais un prêtre malheureux. Libère-toi de cette crispation sur ton moi, car tu es appelé à une union sponsale au Christ, tu es appelé au sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech, pour l’éternité ! ».

Quelle agitation, quels tourments dans mon âme ! La violente ardeur de la nature me ferait presque exploser. Le sang bout dans mes veines. Pourrai-je dompter ces ardeurs de la nature, les asservir au but suprême, à l’humble service de la grâce ? Cette question m’obsède et m’angoisse, elle briserait mon coeur s’il n’était aussi fort.

J’ai beau apprécier le célibat sous de nombreux aspects, la forme qu’il revêt aujourd’hui et la façon dont il est pratiqué me semblent douteuses. Je dois me frayer péniblement un chemin à travers toutes mes interrogations. Mon ultime, mon désir le plus profond et le plus intime, c’est la sainteté, la connaissance de Dieu, ou plutôt l’expérience de Dieu (la théologie), mais quant à savoir si je suis fait pour le célibat sacerdotal, j’ai encore honnêtement de sérieux doutes. J’y parviendrai certainement avec la grâce de Dieu, s’il le fallait, mais je crains alors de devenir un vieux garçon complètement desséché, et de ne pas porter de fruits. J’ai besoin de vivre, d’aimer, de souffrir. Je dois pouvoir aimer d’une façon toute personnelle. (…) Tout cela te sera donné si tu es prêtre ! Seulement cela exige une discipline et une grandeur d’âme qui doivent être éduquées, qui doivent être conquises de haute lutte. Et ton devoir aujourd’hui, c’est de travailler à cela, d’en poser les fondations. Tu n’as pas besoin de perdre ta personnalité et tu ne dois pas la perdre, mais tu l’orienteras vers la sublime grandeur et vers les hauteurs suprêmes. Oh, comme c’est difficile, comme ce sera … difficile !

(...) Nous célébrons ce samedi la messe de Notre-Dame. Mon âme est subitement envahie d’une confiance merveilleuse. La lumière se fait en moi : fini le malaise moral, finis les maudits complexes d’infériorité. Qui ose a déjà à moitié gagné ! Avant la consécration, je confie, une fois de plus, ma chère Elisabeth au Sauveur et à la Vierge Marie. Oui, c’est la seule solution : Le Seigneur nous veut tous deux dans son royaume de grâce. Il nous conduit si bien et si sûrement. Tel est vraiment l’appel qu’Il nous adresse, et tu dois choisir avec toute la force qu’exige une décision prise pour la vie. Oui, la Mère de Dieu te protégera dans les dangers terribles qui guettent la vie d’un prêtre. Et cette vie dangereuse, c’est cela qui est grand et qui apporte la vraie grandeur. Je crois et j’ai confiance dans les voies de Dieu et de la Vierge Marie. « Avanti con tutta forza d’un giovane « ! [En avant avec toute la force de la jeunesse !] «Alea jacta est » ! « Et Rubicon transgressus est »! [Et le Rubicon est franchi] « Je puis m’avancer vers l’autel

IKLK France Page 28 de Dieu, je le dois et le veux, « ad Deum qui laetificat juventutem meam « ! [vers le Dieu qui réjouit ma jeunesse] A présent, plus d’hésitation ! En avant ! La Providence de Dieu est incompréhensible, on ne découvre sa force et sa vérité qu’en avançant dans une foi confiante. Avec Dieu et la Vierge Marie !

Le rôle de la Providence (1938)

Comme elle est mystérieuse, la façon dont Tu me conduis, par des chemins si divers et uniques à la fois. (...) J’ai compris l’alternative : être un saint ou une canaille ! (…) Satan et le Christ s’affrontaient en moi. Maintes fois, je me sentais tiré vers le bas, mais toujours et toujours, le Seigneur m’arrachait aux ténèbres et me ramenait dans sa lumière... (...)

Seigneur, où veux-tu que j’aille ? J’étouffe, je m’embourbe toujours plus profondément dans les affres de ma décision personnelle ! Mon coeur souffre et souffre. Je tombe à genoux aux pieds du Seigneur et l’implore. Il conduit de nouveau à sa manière particulière. Je reprends confiance et repars le coeur plus léger. Mon Dieu, que veux-Tu de moi ? Des jours de bonheur, auxquels succèdent encore des moments de doute aigu. Je me méfie, tout recommence ; et puis, ouf ! tout se dénoue. Je trouve ce que je cherchais profondément : son amitié .

Le journal de Karl (1939-1945)

L’arrestation, le début du martyre (1939)

e suis parfaitement calme, et même heureux ; car je suis sûr de la pureté de ma conscience et de mes principes. Et si je n’ai pas peur de comparaître devant Dieu, Jqu’ai-je à craindre de la justice des hommes ? Seigneur, je Te remercie pour tes bienfaits, que tu as déversés sur moi sans compter. Oui, Seigneur, je Te remercie pour ces jours où j’ai été gravement malade, et maintenant pour ces jours privés de liberté, en détention. Tout fait sens, Tu fais vraiment bien les choses pour moi.

IKLK France Page 29 Je prie du fond du coeur pour ceux qui me veulent du mal et de Te demande de leur pardonner. Mais surtout Seigneur, pardonne moi, pauvre pêcheur, mes offenses envers Toi ou mes frères. Lave moi de mes faiblesses et de mes péchés .

Rarement encore j’ai mis autant de sens et de recueillement à prier les psaumes de mon bréviaire. La grâce de Dieu m’a rempli le coeur de foi et de rayonnante reconnaissance comme jamais encore.

Jamais encore les choses célestes ne m’avaient paru si proches et si familières ! Ces jours privés de liberté apparente sont en réalité de magnifiques journées de liberté pour m’ouvrir à Dieu, qui seul est le rempart et la citadelle de la liberté. La patience est un art divin !

Extraits de lettres depuis Dachau (1941 à 1945)

« Peut-être avons-nous beaucoup de choses à redresser par notre souffrance. Penser ainsi aide plus que tout » .

« Plus d’un type bien a déjà offert son sang. D’une semence de sang sortiront beaucoup de fruits : c’est là notre espérance et notre prière. Le Règne de la jeunesse, de l’Allemagne et de Dieu grandit par le sacrifice fidèle ».

« Mis à part la perte de la liberté et le retard de mon ordination, je ne manque de rien d’essentiel ici. J’ai depuis appliqué votre « recette » (vivre en faisant entrer ce qu’il y a de chrétien dans la journée) et m’en suis bien sorti. « Avec Dieu et la Vierge Marie » a tout le temps été ma devise. Tout se laisse ainsi maîtriser dans la vie intérieure ».

« Nous sommes quotidiennement menacés par la mort. Mais jamais autrement, me semble-t-il, nous n’aurions senti la puissante main de Dieu. Particulièrement maintenant en ce mois du Rosaire, nous sommes si souvent tellement proches les uns des autres en union avec notre Mère Céleste. « La souffrance est un feu brûlant. Mais cela purifie beaucoup d’impuretés. Puissions-nous nous revoir épurés et renforcés : c’est là mon voeu le plus cher et ma prière la plus ardente pour Notre Père et Notre Mère là-haut » !

« J’ai tellement envie du sacrifice eucharistique et du sacerdoce ».

« Les grandes et saintes journées (de l’ordination) sont maintenant passées. Mais le coeur demeure encore empli de ce nouveau bonheur. Le dimanche de Gaudete, le 17 décembre, j’ai reçu ici, dans notre chapelle, la sainte ordination. Après plus de cinq années d’attente, quelle sainte heure de grâce que d’être exaucé. De tout mon coeur,

IKLK France Page 30 après Dieu, je vous remercie, parce que votre réponse affirmative m’a permis de faire tout cela. L’évêque Gabriel [Piguet] de Clermont [-Ferrand] m’a ordonné. Son Éminence le cardinal Faulhaber avait envoyé tout le nécessaire. Reinhold Friedrichs fit office d’archidiacre. La célébration dura de 8h30 à 10h du matin. Tous mes frères étaient émus comme moi et pleins d’une joie sainte. A la St. Etienne, de 8h30 à 10h j’ai célébré ma première messe, rempli de la joie de Noël et de l’atmosphère sacrée. Je vous remercie et vous souhaite à vous et au vénérable Monsieur le recteur [Francken] une bonne nouvelle année ! Dans l’amour filial, fidèle et obéissant, Carl Leisner ».

« A la St. Etienne, de 8h30 à 10h, j’ai célébré ma première messe. Pour la première fois seul à l’autel à offrir le saint sacrifice, ici dans notre chapelle. Vous étiez tous présents en esprit avec moi. Après plus de cinq années de prière et d’attente, des heures et des jours où je fus exaucé comme un bienheureux. Que Dieu, sur l’intercession de Notre Dame, puisse nous entendre avec autant de grâce et de cette manière si particulière, je ne peux pas encore le réaliser. Depuis quinze jours, je ne peux que prier avec émotion : mon Dieu, comme Tu es grand et bon. Pour nous tous, ce furent des heures de bonheur incompréhensible et de grande et lumineuse joie, qui compensèrent pour nous bien des heures sombres. Après la consécration, j’ai été durant quelques secondes très ému et touché, sinon très calme et concentré. Des heures de la plus sacrée des joies de Noël et d’une atmosphère des plus belles et ferventes. A toi et aux camarades, la bénédiction du Tout-Puissant pour l’année à venir. Exultant et rendant grâce, je te salue, toi et tous les autres : Bonne année 1945 » !

« Le cosmos est devenu chaos, parce que l’homme s’en est remis aux démons du chaos. Et nous voulons maintenant contempler Notre Seigneur et avoir confiance dans Son éternelle Loi de vie, pour que de nouveau la paix et l’ordre reviennent parmi nous et que le droit règne parmi les enfants des hommes. Le Ressuscité nous offrira son aide, si nous prions avec patience, souffrons, offrons nos renoncements. Et ainsi reviendra autour de nous le printemps, et des sourires ensoleillés réhabiteront nos coeurs éprouvés ».

Reprise du journal à la libération (1945)

Le matin dans le calme du lit, des coups d’artillerie lourde résonnent à proximité. Des tirs de mitraillettes et de fusils. La nuit précédente déjà il y avait eu beaucoup de tirs échangés. Immense espoir ! Je chante pour rire, mais quand même sérieux « Le jour de liberté et du pain arrive ». C’est ainsi. Le drapeau blanc sur la Kommandantur. Qu’adviendra-t-il ? A 5h30 les premiers soldats américains. (Auparavant rumeurs que le camp se serait rendu). Immense jubilation dans le camp, éclats de joie jusqu’aux limites du possible. Les soldats américains sont assaillis. Les Polonais détruisent le Jourhaus,

IKLK France Page 31 piétinent le portrait d’Hitler, détruisent les armes des SS. Une atmosphère indescriptible. En 10 minutes, les drapeaux des Nations libérées flottent. Sensationnel ! Je suis allongé gravement malade. J’entends tout cela de loin et par des récits qu’on me fait. Je tire sur moi la couverture pour pleurer 10 minutes d’une joie que je ne peux retenir. Enfin libéré de cette maudite tyrannie nazie ! A 10 jours près cela ferait 5 ans et demi passés derrière les barreaux. Je suis comblé de bonheur. Vive nos libérateurs ! L’agitation à la station des tuberculeux est grosse. Tout homme à moitié guéri court dans le camp et explique à qui mieux mieux. Les troupes dans les tours avaient hissé le drapeau blanc. Pourtant l’un sort encore son Browning. Ils seront pourtant tous abattus ! Ce n’est que justice ! La nuit une batterie américaine tire au loin au-dessus du camp. On dit que les SS veulent reconquérir le camp. Mais tout va bien ! « Deo gratias ! »

Je piquais du nez les yeux humides de larmes de joie. Oh comme je me sens bien. Comme Dieu est infiniment bon. C’est quand la misère est à son paroxysme qu’il aide. Il ne voulait avant que le sacrifice suprême. Otto [Pies] vint me voir après la messe. Nous sommes si heureux. Le Messie vint à moi le matin dans l’Eucharistie. Le soin de ces soeurs si bonnes me fait du bien. Les tristes images de Dachau commencent à s’estomper lentement dans mon esprit. Je suis un homme libre, Alléluia ! Je renais ! Je reviens à la dignité d’homme. Des fleurs sur la table. Le crucifix au mur. La soeur apporte encore l’image de la cathédrale de Cologne de Stephan Lochner de Notre Dame. Je lui recommande tout à elle, ma très sainte Mère. Mhc [Mater habebit curam]. Souvent je la salue avec des larmes dans les yeux ».

Le déjeuner est succulent. Tout est servi avec finesse et du linge blanc. Je suis tellement content. La forêt porte son regard vers moi. Un jeune bouleau. Un bosquet de hêtres verts et de grands sapins bourgeonnés depuis peu.

Je regarde, somnole, rêve, songe, efface Dachau. Comme c’est bon. Ici le corps comme l’âme peuvent se reposer. Je peux de nouveau prier correctement. Dieu parle depuis le silence, bien que je sois si flapi.

(...) De temps à autre je regarde des images tirées du livre du Dr. Corman sur l’Europe, aux éditions Atlantis de Zurich. Je suis en voyage et m’étonne, me réjouis. Juste une chose : toi pauvre Europe, reviens à ton Seigneur Jésus Christ ! (C’est en lui que se trouve la source de ce que tu portes de plus beau en toi). Reviens aux sources fraîches, à la véritable force divine. Mon Sauveur, laisse-moi être à mon niveau ton instrument, oh je t’en supplie !

L’après-midi, j’avais envie d’avoir les Heures de Schoenstatt. Le soir je reçois une lettre d’adieu d’Hermann Richarz avec justement le texte joint ! Un signe merveilleux de la Sainte Vierge ! Une confiance radicale ! Elle est la meilleure des mères !

IKLK France Page 32 (...) O amour et dignité retrouvés de l’homme ! Nous pauvres déportés des camps de concentration. Ils voulaient tuer notre âme. Ô Dieu, comme je te suis reconnaissant pour nous avoir sauvé dans le Royaume de l’Amour et de la dignité humaine. Oui, à Dachau l’Amour et la dignité se sont avérés tout à fait authentiques, et pourtant, comme nos moyens extérieurs étaient réduits ! Et comme étaient horribles la haine et l’insensibilité qui nous entouraient contre notre volonté ! Seigneur, fait que je t’aime toujours plus fort ! L’Amour et l’Expiation ! Je te remercie pour tout, pardonne-moi mes faiblesses !

Les derniers mots écrits de sa main

Trop fatigué pour manger, de telle sorte que Maman m’a nourri le midi avec quelques cuillerées de bouillie. L’après-midi de 2 à 5h nous avons parlé avec Maman de notre belle région détruite et de ses habitants. Trop long ! Maintenant je dois dormir, il est 9h 20. Bonne nuit, mon Bon Dieu, Éternel, Dieu Saint, ma chère Mère Très Aimée, vous tous chers Saints, vous tous, êtres chers, vivants ou morts, proches ou lointains ! Bénis aussi, Très-Haut, mes ennemis !

IKLK France Page 33 Aujourd'hui

Karl aujourd'hui

Karl le bienheureux allemand...

'Église, en proclamant des saints et des bienheureux, propose leur témoignage en exemple aux fidèles, les présente comme des intercesseurs, et autorise leur culte public. Elle différencie la béatification et la canonisation en cela que la béatification Lest l'autorisation du culte public du bienheureux uniquement dans un lieu -par exemple un diocèse - ou dans une famille religieuse déterminée., alors que celui du saint est autorisé partout dans l'Église universelle. Mais Karl le bienheureux - son procès en canonisation sera peut-être introduit prochainement- reste un exemple valable pour tous, et non seulement pour les allemands. Malgré sa spiritualité particulière, marquée par sa culture allemande, il est pour aujourd'hui plus que jamais un exemple vivant et concret d'une foi vécue au quotidien, portée jusqu'au bout de l'amour.

Karl l'européen...

La clairvoyance d'esprit de Karl, forgée à l'école d'une spiritualité saine et ardente, lui a permis d'avoir une vision prémonitoire de l'Europe, alors même que celle-ci était plongée dans les plus sombres heures de son histoire. Pour cela, Karl est un des phares qui doit éclairer l'Europe d'aujourd'hui.

A l'heure où l'Europe se cherche, perdue à l'intérieur de frontières géographiques, culturelles et économiques les unes les plus floues que les autres, Karl nous donne les repères indispensables pour rester sereins et fermes dans les valeurs de la foi qui sont les ferments de notre civilisation.

Karl le saint universel...

En 1936, Hitler réunissait 100.000 spectateurs au stade olympique de Berlin , à l'occasion des jeux olympiques, pour y afficher la puissance de l'idéologie nazie.

IKLK France Page 34 En 1996, le pape Jean-Paul II, devant près de 100000 fidèles rassemblés dans ce même stade, béatifiait Karl Leisner et Bernhard Lichtenberg, martyrisés tous les deux pour leur foi par les bourreaux nazis... Quels sont les vainqueurs, 60 ans plus tard? Qui célèbre t'on aujourd'hui?

A travers l' Europe, mais aussi dans le monde entier, des troupes de scouts, des paroisses, des communautés religieuses, des groupes de séminaristes ou de jeunes prennent en exemple Karl, qui a su montrer que l'Amour du Christ, vécu en plénitude, est plus fort que la mort.

Karl n'est pas un oublié parmi tant d'autres passés dans les camps; il est, dans la communion des saints, présent aujourd'hui parmi nous. Il est un témoin et un guide sûr pour les jeunes de l'Europe et du monde. Particulièrement honoré dans son diocèse natal et dans sa région, Karl est aujourd'hui également le modèle et l'exemple de nombreux jeunes, et notamment de jeunes prêtres, dans de nombreuses régions du monde.

En France, dans le diocèse de Clermont-Ferrand, Mgr. Simon, a pris la relève de Mgr. Piguet pour continuer à assurer le rayonnement de la mission de Karl. Dans le Cambrésis, où tomba en 1914 Joseph Engling, soldat allemand membre de la Communauté de Schoenstatt, une communauté de paroisses porte le nom de Karl Leisner. Partout dans le monde, Karl continue à conquérir les âmes des jeunes au Christ, en faisant résonner son message: "Christ, tu es ma passion..."

Dachau 2004

19 décembre 2004... Soixantième anniversaire de l'ordination de Karl Leisner

n ce dimanche 19 décembre 2004, il neige à gros flocons sur le camp de Dachau. Un silence apaisé règne aujourd’hui sur cet espace entouré de miradors et de barbelés où, de 1933 à 1945, ont souffert et sont morts des dizaines de milliers de Edéportés. Devant l’emplacement du block 26, bravant le froid, un groupe se recueille. Il y a là le cardinal Friedrich Wetter, archevêque de Munich, Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont, Mgr Reinhard Lettmann, évêque de Münster, Mgr Adrianus IKLK France Page 35 Van Luyn, évêque de Rotterdam (Pays-Bas), des jeunes, des Allemands, des Français… Sur le sol, la photo d’un prêtre en chasuble, quelques bougies allumées, des fleurs que viennent recouvrir les flocons. C’est ici, dans la chapelle de la baraque du block 26, dite «la baraque des prêtres», que le 17 décembre 1944, 3e dimanche de l’Avent, Karl Leisner, jeune diacre allemand, était ordonné prêtre au petit matin et dans la clandestinité par un évêque français, Mgr Gabriel Piguet, évêque de Clermont.

Le P. Jean Kammerer, prêtre retraité à Paris, ne cache pas son émotion. Il n’était pas présent à la célébration, mais se souvient très bien avoir assisté quelques jours plus tard, le 26 décembre, à la première et dernière messe du jeune prêtre, malade et affaibli. «Là, nous y étions en foule avec une grande joie. Y compris les pasteurs protestants qui se sont chargés d’offrir thé et gâteaux à Karl Leisner et à ses amis», note-t-il dans ses mémoires . Un diacre allemand ordonné par un évêque français dans un camp de concentration! L’événement, même clandestin, n’était pas passé inaperçu parmi les déportés. La nouvelle s’était diffusée dans les blocks des prêtres, mais aussi parmi d’autres prisonniers. Edmond Michelet l’évoque dans son livre sur Dachau, Rue de la Liberté.

Soixante ans plus tard, Mgr Simon, successeur de Mgr Piguet, a voulu célébrer l’anniversaire d’une manière toute spéciale. Persuadé de la valeur symbolique et fondatrice de cette célébration de 1944, il a profité de cet anniversaire pour multiplier les rencontres à la découverte de Karl Leisner et de l’Allemagne. «Pour rappeler comment de jeunes Allemands se sont opposés, dès le début et sans compromission, au totalitarisme nazi», explique-t-il.

L'église Ste Croix, tout à côté du camp, est comble. De nombreux pèlerins en provenance de toute l’Europe sont présents. Le diocèse de Clermont-Ferrand est largement représenté, ainsi que le diocèse de Münster.

La célébration présidée par le Cardinal Wetter de Munich, en présence de délégations allemandes, françaises, hollandaises et polonaises est un événement tout à fait exceptionnel, d’une grande valeur symbolique, soulignant fortement l’importance du pardon, de la réconciliation et la valeur du sacrifice librement consenti comme bases de la construction européenne.

Lorsque Mgr Piguet, le 17 décembre 1944, évêque de Clermont-Ferrand imposa en secret les mains à un diacre allemand pour l'ordonner prêtre devant des représentants de 23 nations, la réconciliation entre les peuples était déjà préfigurée, alors que les armes parlaient encore.

IKLK France Page 36 Ce 19 décembre 2004, la messe est à nouveau célébrée avec le calice et la crosse épiscopale qui servirent lors de l’ordination de Karl Leisner ; elle est concélébrée par Mgr Lettmann, Mgr Simon, Mgr van Luyn, mais aussi Mgr Jez de Koszalin (Pologne), ancien déporté, Mgr Rivière, évêque auxiliaire de Marseille et petit-fils d'Edmond Michelet, Mgr Siebler et Mgr Dietl, évêques auxiliaires de Munich, ainsi que d’anciens prêtres déportés de Dachau, notamment l'Abbé Scheipers du diocèse de Münster et l'Abbé Jean Kammerer, actuellement à Paris.

Mgr Simon, qui fut à l’origine de l’évènement, explique le sens profond de cette ordination de 1944: « Je veux aujourd'hui redonner à Karl Leisner toute la solennité de sa première messe, qui, il y a 60 ans, lui a été entièrement ravie ». La cérémonie se poursuit au Carmel de Dachau et devant la stèle du bloc 26, où était incarcéré le jeune diacre de 1939 à 1945.

Plusieurs anciens déportés apportent également leur témoignage personnel. Mgr Jez, évêque émérite de Koszalin, un des rescapés parmi les 1500 prêtres polonais (dont 44 sont béatifiés !) : « Pour Karl comme pour tout croyant, la foi est la garantie des Biens que l'homme espère. Contre toute attente, l'ordination de Karl a été possible. Toutes les paroles de l'écriture se sont réalisées : "En Toi seul Seigneur, est mon espérance" ».

L'Abbé Jean Kammerer évoque de l'ordination de Karl : « Ce fut pour tous un moment de grande émotion, mais aussi une résistance spirituelle au cœur de cette grande nuit… Il a rappelé cette parole de St.Jean : "Non, les ténèbres ne pourront pas étouffer la Lumière". Carl a offert sa vie. Ce fut son seul ministère possible ».

L'Abbé Scheipers, seul rescapé du Bloc 26 qui imposa les mains au diacre Karl, explique comment sa foi a grandi au milieu des épreuves de toutes sortes : « J'ai été porté par une véritable chaîne de protection divine. A Dachau, j'ai vécu la sainteté des détenus qui se sont exposés pour sauver leurs camarades ». Il rappelle ce mot inscrit au-dessus de ce qui reste d'une chambre à gaz en Autriche : "Victor quia victima" - Ils sont vainqueurs parce que offerts en sacrifice ».

A l'issue de l'office, la procession quitte le camp pour franchir la grille du Carmel adossé au mur extérieur ; les pèlerins unissent leur prière à celle des religieuses. Un dernier et grand moment de recueillement termine la célébration devant la stèle du bloc 26, habillée de blanc. La neige y a déposé son manteau immaculé. Intense moment de silence et de prière avec les quelques anciens venus là pour se souvenir. La même journée, au cours d’une cérémonie tout aussi émouvante la Légion d'Honneur est remise par l'ambassadeur de France à Berlin, Claude Martin, à Soeur Imma Mack, qui, au péril de sa vie, permit l'ordination de Carl Leisner, en introduisant

IKLK France Page 37 clandestinement au camp tout ce qu'il fallait pour la cérémonie ; elle avait alors 19 ans. Imma Mack était postulante, à Munich. Une fois par semaine, elle allait en train ou à vélo à Dachau, distant de 15 kilomètres. Sous prétexte d’acheter des fleurs que cultivaient les prisonniers, en particulier les ecclésiastiques, dans la « plantation » du camp de concentration, (ses souvenirs s’appellent "Pourquoi j’aime les azalées") Imma servait d’agent de liaison avec l’extérieur, en accord avec sa communauté. Elle avait conscience du danger mais priait toujours en route… La jeune religieuse fit ainsi passer aux prêtres du bloc 26 courrier, médicaments, vin de messe et hosties. C’est elle qui a transmis à Mgr Piguet les autorisations canoniques et l’huile sainte nécessaires à l’ordination de Carl Leisner. « L’ange de Dachau » est ainsi honorée pour « son courage et son engagement au service de la paix et de la réconciliation entre les deux peuples ».

JMJ 2005

Les jeunes du Var à l'école de Karl Leisner

es JMJ de 2005 ont aussi été pour de nombreux jeunes une occasion unique de mieux connaître la figure du bienheureux Karl Leisner. Ainsi, par exemple, 260 jeunes venant des aumôneries de Sanary, de La Garde, de St Raphaël, de LDraguignan et de Brignoles, dans le sud de la France ont essayé d'entrer dans le message de sainteté de Karl. Ils n'ont pas simplement voulu le faire comme une oeuvre de mémoire, mais ils ont cherché à discerner les apports essentiels de la Foi pour vivre une vie illuminée d'une passion pour le Christ, quelles que soient les époques et les situations. Le Christ découvert comme un ami et le Chemin vers le Père, le Christ, qui vient en sa grâce transcender chacune de nos humanités leur permettant d'être reflet et participation à la vie et la gloire de Dieu, le Christ qui vient assumer chacune de nos humanités pour les sanctifier au travers du combat spirituel de toute la vie entre la nature et la grâce.

Dans cette route-pèlerinage pour les jeunes, l'enjeu qui était proposé était le bonheur de croire et de vivre de l'alliance avec Dieu comme Père, à l'école de la vie particulière de Karl Leisner.

Il n’a malheureusement pas été possible de suivre Karl sur les différents lieux forts de sa vie : Klève, Xanten, Kevelaer, Münster, Dachau ou bien Freiburg ; c'est donc

IKLK France Page 38 principalement à l'aide d'un carnet de route, à l'aide d'enseignements et de temps de mise en commun qu'a été fait ce cheminement.

Une préparation spirituelle tout au long de l'année

Le groupe a été préparé durant toute l'année, afin de lui permettre de mieux entrer dans la connaissance de sa vie par la lecture de la biographie de Karl du père Schmiedel « Jusqu'au bout de l'Amour », paru chez Tequi, et par la production de deux documents vidéo : d'une part la traduction en français du film sur Karl par l'aumônerie de Draguignan et d'autre part par la réalisation de l'aumônerie de Brignoles d'un montage de photos, textes et réflexions sur le message de Karl au travers de sa vie. A partir de là, un thème par jour était proposé et travaillé. Ces thèmes, alliant l'itinéraire de Karl aux problématiques de la vie chrétienne, reprenaient des points forts de la vie de Karl: "Ces médiations par lesquelles Dieu passe", "La vie spirituelle, cela s'organise", Karl et la vocation", "Karl et le martyr", Karl et la Vierge Marie".

Au pied de l'autel de Dachau...

Le point d'orgue de ce chemin avec Karl a été la belle journée de pèlerinage à Schoenstatt, soixante ans jour pour jour après sa naissance au ciel, le 12 août. Une journée émouvante de prière, d'amitié entre les peuples, de réflexions, qui s’est déroulée autour de la relique si importante et si émouvante qu’est l’autel de Dachau.

C’est autour de cet autel, sur lequel Karl a célébré sa première messe, et qui a trouvé refuge dans la chapelle du Mont Moriah à Schoenstatt, relique si importante pour la vie de Karl, pour son sacerdoce et pour l'Europe de la prière et de la Foi, que les jeunes ont vécu un temps de prière et d’adoration, puis qu’une grande célébration a réuni les prêtres du groupe du Var, ainsi que quelques prêtres du Tchad, de passage, illustrant ainsi l’universalité de l’Eglise si chère à Karl.

Une grande célébration, présidée par le Père Christian Pradeau de Draguignan a ensuite réuni outre les prêtres du groupe du Var, quelques prêtres de passage du Tchad. Et en ce jour de fête, il était beau de voir cette universalité de l'Eglise si chère à Karl. Quelle grâce ce fut pour le groupe et les prêtres en particulier de pouvoir célébrer en ce jour de fête de Karl, l'Eucharistie sur cet autel de la souffrance sacerdotale, sur cet autel de l'enfantement douloureux de Karl au sacerdoce, sur cet autel de l'Europe de la Foi, de l'unité, de la victoire de la charité sur la discorde et la haine, sur cet autel prophétique de la victoire du matin de Pâques sur toutes les ténèbres de la vie. Cette

IKLK France Page 39 liturgie à la fois simple et profonde fut illuminée par l'animation joyeuse mais combien priante des jeunes de l'aumônerie de Draguignan.

Sous la bannière de Karl...

A l'issue de la messe, et avant de repartir vers leurs doyennés d’accueil, les jeunes se sont arrêtés auprès de la source du mouvement de Schoenstatt, le sanctuaire si cher au coeur de Karl. Chaque jeune a pu y renouer son lien avec Marie, la Mère Trois fois Admirable, y déposer sa vie et ses soucis et y recevoir la promesse de l'assistance constante de Marie pour aller vers son Fils, sans craindre les périls. Durant les jours qui ont suivi et jusqu’à la fin des JMJ au Marienfield, c'est sous la bannière de Karl, portant haut son visage si jeune -et cela a été remarqué bien des fois- que les jeunes Varois ont continué à chercher le Christ afin qu'il devienne pour eux comme pour Karl "la passion de leur vie".

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