BALDIZZONE BIEBER DANZIGER DE LUIGI ERWITT polka FADEK #8 MAGAZINE JOHNSON KEYSER KLEIN KUMALO WELCOME MADHESHIYA MARCHAND SOWETO MARK LA MÉTAMORPHOSE DU GHETTO MEFFRE MCDERMOTT NZIMA RIZZO AYOBA SCHADEBERG SUZMAN / USA $ 9,75. PHOTO : JODI BIEBER/INSTITUTE (DÉTAIL) BIEBER/INSTITUTE JODI PHOTO : 9,75. $ USA / MANDELA! TOMASZEWSKI SA VIE EST SON PAYS Et aussi… 5.80 /PORT 5,80 5,80 /PORT 5.80

BRAUMAN COSTA-GAVRAS DE KLERK KATHRADA / JP 2000 ¥ / LUX LUX / ¥ 2000 JP / SIMON 24 décembre 2009, Ntzokozo Nxumalo s’amuse sur un trampoline / ITA 5,80 5,80 ITA /

devant l’objectif de Jodi Bieber. Elle habite Jabulani, l’un des quartiers

/ GR 5,80 5,80 GR / du célèbre township qui se modernise et accueille le Mondial de football en juin. / CH 10 FS /CDN $ 9,75 / ESP 5,80 5,80 ESP / 9,75 $ /CDN FS 10 CH / / BEL 5,80 5,80 BEL / CINEMA / ALL 6,50 6,50 ALL /

DECLICS ET DES CLAPS C’ÉTAIT AU TEMPS DES PHOTOGRAPHES DE PLATEAU… PRINTEMPS 2010 / DOM 5,80 . €

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* Le football au crépuscule. * Le football Partenaire Offi ciel de la FIFA au sommaire Le mur...... 9 polka LES PHOTOGRAPHES DE POLKA #8 MAGAZINE L’éditorial d’Alain Genestar ...... 15 #8 PRINTEMPS 2010 Haïti ...... 18 POUR NE PAS OUBLIER www.polkamagazine.com par Rony Brauman [email protected] Dr Erwitt & Mr Solidor...... 24 PARLEZ-MOI D’IMAGES par Yves Simon France Keyser...... 32 LIBERTÉ, ÉGALITÉ, DIVERSITÉ par Vincent Geisser Nick Danziger ...... 38 TO BE OR NOT TO BE BRITISH par Rory McLean AFRIQUE DU SUD Bieber, Johnson et Suzman...... 46 LA REVANCHE DE SOWETO par Dimitri Beck ETAT DE SIÈGE DANS LE VELD ...... 60 par Fabienne Pompey Jürgen Schadeberg et Alf Kumalo ..66 MANDELA: SA VIE EST SON PAYS © Stefano De Luigi De Stefano © LE TRIMESTRIEL DU PHOTOJOURNALISME par Brigitte Bragstone, Frederik De Klerk et Ahmed Kathrada «Polka Magazine» Cour de Venise, 12, rue Saint-Gilles 75003 Paris. Tél.: 0171205497. LE CRI DE LA RÉVOLTE ...... 78 Directeur de la publication: Alain Genestar. [email protected] par Joëlle Ody Editeur: Edouard Genestar. [email protected] Directrice éditoriale: Adélie de Ipanema. [email protected] Tomasz Tomaszewski...... 84 Rédacteur en chef: Dimitri Beck. [email protected] Secrétaire générale: Brigitte Bragstone. [email protected] J’AI MÊME RENCONTRÉ DES MINEURS HEUREUX Conseillère éditoriale: Joëlle Ody. [email protected] par Dariusz Kortko Développement: Alban Denoyel. [email protected] et Jean-Kenta Gauthier. [email protected] CINÉMA Direction artistique: Michel Maïquez assisté de Ludovic Bourgeois. Edition: Tania Gaster, Pascale Sarfati, Samia Adouane. Mark, Rizzo et Klein ...... 94 Comité éditorial: Christian Caujolle, Jean Cavé, Hervé Chabalier, Robert Delpire, TROIS PHOTOGRAPHES SUR UN PLATEAU Jean-Jacques Naudet (à New York), Didier Rapaud, Reza, Marc Riboud, Sebastião Salgado. par Adélie de Ipanema et Costa-Gavras 104 Opérations spéciales: Victor Genestar et Gwendoline de Spéville...... Publicité: Polka Régie, Tél.: 0622762772/0676809638. Stefano De Luigi ...... 110 CINEMA MUNDI Ont aussi participé à ce numéro par Shirley Abraham Christine Altur, Joël Augros, Jérôme Baboulène, Neeshan Balton, Matthew Baloyi, Kishanthi Bandara, Géraldine Yves Marchand et Romain Meffre..116 Baritussio, Karyn Bauer, Isabelle Champion, Laurent Chmiel, Alexandra de Comarmond, Pierre-Louis Denis, Thibault Dewavrin, Danuta Dubois, Barbara Dubus, Marie Ducasse, Elodie Dufour, Lorène Durret, Timothy LES PALAIS PERDUS DE L’AMÉRIQUE Fadek, John Fleetwood, Victoire Garnier, Eléonore Gosset, Henri Jobbé-Duval, Gina Kehayoff, Kira Kitsopanidou, par Patrick Brion et Jean-Kenta Gauthier Sizwe Kumalo, Eliane Laffont, Heidi Lee, Marion Lemaire, Meredith Lue, Laurent Mannoni, Matthew Polka rubriques McDermott, Elisa Mignot, Manon Moreau, Mio Nakamura, Juda Ngwenya, Pascal Payen-Appenzeller, Bernadette Pelletier, Devrig Plichon, Mylène Prieur, Marianne Rigaux, Dominique Rizzo, Claudia Schadeberg, Enquête ...... 124 Matt Shonfield, Muriel Simottel, David Steward, Soraya Taous, Claire Tomasella, Dominique Viger. SPLENDEURS ET MISÈRES DU LIVRE DE PHOTOS Agences: Cosmos, Gamma/Eyedea, Getty Images, Institute, , Polaris Images, Sipa Press, par Manon Moreau VII Agency. Laboratoires de photographie: Central Color, Dupon, Picto, Toroslab. Livres ...... 132 Fabrication: Le Révérend Imprimeur – Valognes, Manche (50) – Tél.: 0145364000 et SNN Poligrafia, Varsovie, Pologne, www.snn.com.pl, imprimé en U.E. Histoire L’HONNEUR D’UN COLONEL ...... 134 Gestion des ventes au numéro: «A juste Titres», 67, avenue du Prado, 13006 Marseille, par Elisa Mignot tél.: 0488 15 12 44 – [email protected] Commission paritaire: 1210K89693. Art RENCONTRE AVEC AGNÈS DE GOUVION SAINT-CYR ...... 137 Dépôt légal: 1er trimestre 2010. ISSN: 1962 - 3488. par Edouard Genestar Droits de reproduction textes et photos réservés pour tous pays. Regard sur... Marc Montméat...... 138 «Polka Magazine» est une publication de Polka Image. Siège social: 27, rue Jasmin 75016 Paris. par Alain Mingam SARL au capital de 284 000 euros, RCS de Paris 497659094. Expo BALDIZZONE: ESPRIT NOMADE...... 140 ABONNEZ-VOUS A POLKA MAGAZINE par Alban Denoyel Tous les détails en page 145. Prise de vue ET LA PHOTO D’IDENTITÉ NATIONALE? ...146 Prochain numéro: été 2010, en vente en juin par Christian Caujolle

printemps 2010 I 7 Lauréats 2010

Laurent Hopp Lucie & Simon

"Il se dégage un climat ambigu, celui particulier "Ce qui frappe avant tout, c’est le point de vue adopté : des frontières, non seulement des territoires mais toutes les prises de vue sont opérées à la verticale celles aussi de leurs luminosités." de la scène choisie et nous invitent à regarder les "vertiges du quotidien" sous un tout autre angle."

Textes de Bernard Marcelis, conseiller artistique 2010 du Prix HSBC pour la Photographie.

Comme chaque année, et pour la 15e édition, le Prix HSBC accompagne ses lauréats et soutient leurs travaux par la co-édition avec Actes Sud de leur premier ouvrage monographique et l’organisation de quatre expositions de leurs oeuvres.

www.hsbc.fr/prix-photographie LE “MUR” DE POLKA MAGAZINE #8 EST EXPOSÉ COUR DE VENISE, 12, RUE SAINT-GILLES, PARIS IIIe “Chaque photo a son histoire” De 11 heures à 19h30, du mardi au samedi. Renseignements: 0171205497 [email protected] www.polkamagazine.com

JEUDI 4 FÉVRIER 17H27 Le «mur» inachevé, avec les sujets des photographes de Polka #8 présentés ci-dessous et dans les pages suivantes.

JÜRGEN SCHADEBERG ALF KUMALO JODI BIEBER Le «photographe de l’histoire de l’Afrique du Sud» C’est l’un des photographes noirs d’Afrique du Sud «Toute ma vie, je l’ai passée à Jo’burg. Un lieu com- prend son premier cliché à Berlin dans un abri anti- les plus connus, il est né en 1930 près de plexe, enchevêtré, que j’aime autant que je le hais. aérien, à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Johannesburg. Sa passion pour la photo est venue Peut-être est-ce son énergie crue, sa folie passagère Jürgen Schadeberg a alors 12 ans. Décidé à quit- tôt dans sa vie avec son goût des images de voitures, qui me poussent à faire des photos.» Jodi Bieber, ter son pays qu’il a appris «à détester», le jeune de maisons… Mais il était très difficile à l’époque née en 1967, a consacré dix années au portrait de la Allemand, équipé d’un appareil photo, embarque pour un Noir de faire ce métier et aussi d’avoir du jeunesse sud-africaine qui vit aux franges de la en 1950 sur un bateau à vapeur, direction Le Cap. matériel. Avant d’entamer sa carrière de photojour- société. En 2006, elle résume ce travail dans «Bet- Déception: il retrouve en Afrique du Sud le même naliste free-lance, Alf Kumalo a dû exercer différents ween Dogs and Wolves – Growing up with South racisme, le même mépris. Ce n’est pas la politique métiers. Il commence à collaborer au «Bantu World» Africa». Elle a étudié la photo dans l’atelier du Mar- mais sa passion pour le jazz qui le place en pleine puis travaille pour le magazine «Drum»… Il sera har- ket Theatre, une ONG fondée par David Goldblatt. action, au côté des hommes qui allaient celé, soumis aux in- Aujourd’hui, elle y donne des conférences. En déterminer le destin de leur pays tels que Nelson jures, arrêté. A la fois vingt ans de carrière, elle a remporté huit World Mandela. Directeur artistique du magazine témoin et acteur des Press. «Soweto!», son dernier projet, qui paraît en «Drum», il fait travailler la première génération de cinquante dernières exclusivité dans Polka, sera publié en mai chez Ja- photographes noirs comme Alf Kumalo. Son travail décennies, il photogra- cana Media avec le Goethe-Institut de Johannesburg. lui vaut injures et arres- phie Nelson Mandela, tations. Entre 1964 les événements clés et 1985, il enseigne en de l’Afrique du Sud et Europe et aux Etats- suit les combats de Unis, collabore à de M u h a m m e d A l i . S a nombreux magazines, r e n o m m é e f r a n c h i t © Charlie Schadeberg Charlie © réalise, avec sa femme Kumalo Jabulane © les océans, il est pu- Claudia, des films et des documentaires. Il retourne blié dans les magazines internationaux et expose, en Afrique du Sud en 1985. Aujourd’hui, il vit dans notamment, aux Nations-unies à New York. Désor- un petit village du Perche sur lequel il prépare un mais, il se consacre au musée qu’il a ouvert à beau livre surprenant. Soweto, dans le district de Diepkloof, en 2002, le

A lire «Jürgen Schadeberg», éd. Hatje Cantz. Alf Kumalo Photographic Museum. Kurzen Benedicte ©

printemps 2010 I 9 Le Sénat présente

ESPRIT NOMADE Nomades des déserts de sable, d’herbe, de neige

Exposition de Tiziana et Gianni Baldizzone Grilles du Jardin du Luxembourg Du 19 mars au 18 juillet 2010 Rue de Médicis, 75006 Paris www.baldizzone.com I www.expo-espritnomade.com FRANCE KEYSER NICK DANZIGER STEFANO DE LUIGI «La photographie m’entraîne vers des terrains où je Ce jeune tintinophile n’a jamais su rester en place. Stefano De Luigi aime s’immiscer dans les coulisses ne serais jamais allée sans elle, confie France Key- Né à Londres, Nick Danziger a grandi à Monaco et des images. Le photographe italien, collaborateur de ser. Elle me permet d’avoir mon propre regard sur en Suisse et il rêve à un avenir digne de son idole. A l’agence VII et qui habite maintenant Milan, a fait une partie de monde.» Née deux ans après 13 ans, on le retrouve seul à Paris, vendant ses cro- ses classes à l’Institut de photographie de Rome. mai 1968, elle a grandi à la campagne. Après des quis pour se faire un peu d’argent. Diplômé de la Après s’être intéressé à l’univers de la mode, il se études scientifiques, elle découvre Paris et la photo. Chelsea School of Art et lauréat de la bourse du penche sur l’industrie pornographique à travers le Elle aime l’humour de Martin Kollar, le regard som- Winston Churchill Memorial Trust, il part, enfin. De monde. Son livre « Pornoland », traduit en anglais, bre de Philip Blenkinsop, le travail de Jonas Bendik- son périple sur les anciennes routes commerciales français et italien, a remporté le prix Marco Bastia- sen, Joachim Ladefoged, leur réalité, et les univers de la Turquie vers la nelli en 2005. «Blindness» est un voyage au cœur de colorés d’Harry Gruyaert. Après avoir écumé les Chine naît le best-seller la cécité, dans les hôpitaux et les écoles d’Afrique, clubs de jazz de la capitale, la jeune photographe va «Danziger’s Travels». En d’Amérique latine et d’Asie du Sud-Est. «Cinema suivre l’actualité en France et à l’étranger: l’Iran, Afghanistan, il réalise Mundi», une exploration des studios de cinéma l’Irak, l’Afghanistan, la Tchétchénie, Israël et la son tout premier docu- alternatif, loin de la machine hollywoodienne, en Palestine, la Turquie. mentaire, «War Lives Chine, en Russie, en Iran, en Corée... Couleurs vives, Les voyages, les ren- and Videotape», consa- visages intenses, décor insolite, ces photographies contres lui font parta- cré aux enfants aban- en Fine Art rappellent les matières de la gravure et

ger la vie des musul- DR © donnés de l’asile psy- jouent avec le réel et l’irréel. Pour ce projet, dans mans d’aujourd’hui, chiatrique du marastoon de Kaboul, qui remporte le lequel il s’est lancé en 2006 et qu’il alimente tou- confrontés à des situa- prix Italia. Suivent d’autres documentaires sur la jours, Stefano De Luigi a reçu en 2008 un World tions extrêmes. «Il était Mongolie, l’Afghanistan, le Niger... En 2004, le pho- Press, catégorie «art & entertainement». temps, souligne-t-elle, tographe reçoit le World Press Award pour son «por- de rencontrer ceux qui trait miroir» de George Bush et Tony Blair, deux vivent “plus tranquille- hommes confrontés à la guerre d’Irak. Après avoir

© Hélène David/Argos Hélène © ment” en France.» passé plus de vingt ans à photographier le monde le Elle leur consacre un livre, «Nous sommes français plus déshérité, Nick Danziger retourne à ses propres et musulmans», aux éditions Autrement, avec des racines avec le livre «The British», une plongée ins- textes de Vincent Geisser. tructive au cœur de l’identité britannique. © Balazs Gardi VII/Network Gardi Balazs © KRISANNE JOHNSON TOMASZ AMIT MADHESHIYA «Depuis deuxans, j’explore les changements dans Le photographe vit à Bombay quand il n’est pas sur les quartiers et les mouvements des jeunes à Johan- TOMASZEWSKI les routes, celles empruntées par les cinémas itiné- nesburg.» Née en 1976 à Xenia, dans l’Ohio, «Pour moi, la photographie est une autre manière rants qui sillonnent les villages du Maharashtra, Krisanne Johnson a fait ses études à l’université du de penser.» Né en 1953 à Varsovie, Tomasz Tomas- dans l’ouest de l’Inde. Ses photos, qui documentent Colorado puis à celle de l’Ohio. En 2006, elle s’est zewski fait de sa patrie, la Pologne, le centre de sa une des formes de la culture visuelle indienne mise installée en free-lance à New York. Depuis, la jeune réflexion. Par son travail, il en révèle les aspects en danger par la concurrence des chaînes câblées photographe travaille sur des projets personnels au les moins connus. «A Stone’s Throw» est une plon- et des projections sauvages, lui ont valu une récom- long cours: les femmes et le sida au Swaziland, la gée dans la Pologne rurale, un monde abandonné pense dans la catégorie «arts et divertissements» culture des jeunes dans l’Afrique du Sud d’après par l’Etat et exclu de la conscience collective. Dans lors des Sony World Photography Awards, en 2009. l’apartheid. Elle a reçu un World Press, un prix «Gypsies», Tomasz Chroniquant en images le quotidien des enfants qui Pictures of the Year International et un Best of Pho- s’emploie à casser ont décidé de vivre dans les rues des métropoles tojournalism. Et, en 2009, une bourse de Getty les clichés concer- indiennes, Amit Madheshiya a été sélectionné en Images ainsi qu’une autre de la fondation Eugene W. nant les Tziganes, un 2007 et en 2008 par l’Unicef pour le prix du photo- Smith pour son projet «I love you real fast». Depuis peuple dont l’apport graphe de l’année. Lauréat de la Tasveer Ghar Popu- 2007, elle fait partie de l’agence italienne Prospekt. culturel est indénia- lar Fellowship 2008-2009, il a remporté le Toto ble. Dans la série Award des jeunes photographes indiens, en 2009. «Hades?»(2009), il rend hommage aux travailleurs manuels © M.© Glinicki de Silésie, victimes de la mondialisation de l’éco- nomie. Enseignant la photographie dans son pays et aux Etats-Unis, Tomasz Tomaszewski collabore régulièrement avec «National Geographic» Pologne. Son œuvre est exposée à travers le monde © Ankit Mehrotra Ankit © © Hayley Hussey Hayley © et a fait l’objet de nombreuses publications.

printemps 2010 I 11

MARY ELLEN MARK Ce qui l’intéresse le plus, ce sont les images isolées, YVES MARCHAND ET TIZIANA ET celles qu’elle juge assez bonnes pour être présen- ROMAIN MEFFRE GIANNI BALDIZZONE tées seules. Pourtant, Mary Ellen Mark n’a jamais «La photographie nous semblait être le moyen le «Observer un visage ou un regard à travers l’objectif cessé de raconter des histoires. C’est une photo- plus logique et le plus démocratique pour conserver signifie essayer de comprendre, et comprendre est graphe de l’affect, une relation à l’autre exprimée un petit peu de cet état des choses, de ces lieux et le minimum pour compenser l’intrusion dans la vie autant dans ses portraits que dans ses travaux de leur histoire.» Yves Marchand et Romain Meffre ou l’état d’âme d’autrui», expliquent les photographes documentaires. Née en 1940 à Philadelphie, Mary ont commencé en 2001 à photographier des ruines, italiens Tiziana et Gianni Baldizzone qui se sont ren- Ellen commence à photographier les stars en 1969 chacun de leur côté, avant de se rencontrer en 2002 contrés à Madagascar en 1977. L’homme, sa culture sur le tournage du «Satyricon» de Fellini. S’ensui- pour former un duo d’artistes. Ils ont grandi dans la et son environnement orientent leur travail et les vent quelques-unes de ses photos les plus émou- banlieue parisienne; leurs première ruines furent pa- vantes prises sur les plateaux de cinéma. En 1979, risiennes, puis belges, espagnoles, allemandes et elle séjourne auprès des patientes d’un hôpital américaines. En 2005, le duo partait à l’assaut des psychiatrique de haute sécurité pour femmes. Dans vestiges de Detroit ou «Motor City», l’ex-capitale de la série «Falkland Road», la photographe montre le l’automobile. «La ruine n’apparaissait plus comme quotidien d’un anecdotique mais comme élément principal et b o r d e l d e B o m b a y . quelque peu naturel du paysage.» Et c’est au cours En 1983, avec son de ce périple qu’ils photographient leurs premiers mari Martin Bell, «Movie Theater», les palaces de l’âge d’or de Holly- © Massimo Forchino Massimo © elle signe une wood. Yves est né en 1981, Romain en 1987. Ils ré- amènent depuis plus de trente ans dans des régions série pour «Life» sument ainsi leur activité: «Prendre des images de reculées. Ils souhaitent susciter le respect pour les sur des jeunes fu- ruines est toujours une course contre la montre.» peuples et leur diversité culturelle. Leur conception gueurs à Seattle et de la photographie obéit à une éthique qui se résume les retrouve vingt- en deux mots: compréhension et partage. La rencon- cinq ans plus tard tre avec l’autre est le nœud de leur démarche photo- pour tourner le graphique. Ils recherchent l’intimité, aiment fixer un d o c u m e n t a i r e regard, un geste, une lumière pour exprimer le lien

© Alexandra Gibson Alexandra © «Streetwise». qu’ils établissent avec leur sujet, qu’il s’agisse d’une personne ou d’un paysage. Tiziana et Gianni Baldiz- zone sont représentés par l’agence Cosmos à Paris. CAROLINE SUZMAN Ils ont publié de nombreux livres et leurs reportages «Aller chez les gens, se rendre sur des scènes de sont parus dans plusieurs magazines internationaux. meurtre est extrêmement difficile et stressant, mais Leur exposition «Esprit nomade» ornera les grilles

je me force à le faire parce que je veux que la presse Champion Frédéric © du jardin du Luxembourg du 19 mars au 18 juillet. locale et internationale prêtent attention à cette his- toire.» Caroline Suzman a étudié la photographie à l’université de Rhodes, en Afrique du Sud, et a com- Nous vous avions LE CHOIX DE LA mencé sa carrière photographique en 1999 avec les déjà présenté dans un numéro PHOTO D’ACTUALITÉ magazines «The Star», «The Sunday Times» et précédent: – FRANCE INFO «Mail & Guardian». En1994, elle a commencé à do- Cinéma page 97 cumenter les attaques des fermiers en Afrique du Elliott Erwitt Polka #3 A retrouver dans la chronique PHOTOS Sud, quelques années seulement après la fin de Timothy Fadek Polka #5 PHOTOGRAPHES de Pascal Delannoy l’apartheid. Ses William Klein tous les samedis 5 h 12 - 6 h 42 - 10 h 13 - Polka #5 22 h 43 - 0 h 43 et sur france-info.com sujets de prédi- Willy Rizzo Polka #2 lection sont les portraits et les re- portages au long cours. A mi-che- POLKA MAGAZINE EST INTERACTIF AVEC min entre l’art et Comme dans le numéro précédent, Polka Magazine est interactif, grâce à la technologie hy.pr, pour la majorité le documentaire, des sujets de cette édition. Hy.pr vous permet de partager facilement avec vos amis des photos de Polka sur les réseaux sociaux comme la beauté de son Facebook, Twitter... ou simplement par e-mail, à partir de votre ordinateur ou de votre smartphone, en quelques travail vient de sa clics. Voici comment: passion pour la • Chaque photo des sujets concernés est associée à un code hy. pr, composé d’un court préfixe invariable (polka. hy. pr/), et d’un mot selon la photo, souligné dans la légende, par exemple, page 67: Mandela r i c h e s s e , l a d i v e r - • Saisissez cette adresse. Ici : polka.hy.pr/mandela, dans la sité et la com- barre du navigateur Internet de votre ordinateur ou de votre plexité de la vie smartphone. • Une page s’ouvre, avec différentes options de partage par © Erik Voster Erik © sud-africaine. e-mail ou via les réseaux sociaux. • Cliquez sur l’icône de votre choix, et suivez les instructions. C’est tout. C’est simple. C’est immédiat. Et c’est gratuit!

printemps 2010 I 13 polkaactu Haïti POUR NE PAS OUBLIER Depuis le séisme du 12 janvier, les aides affluent. Moins d’un mois après le tremblement de terre, on comptait déjà plus de 200 000 victimes. Le martyre de Haïti a soulevé un élan de solidarité. Mais il faudra des années pour que les Haïtiens réinventent leur vie. Un immense chantier qui éveille les convoitises. Polka publie ces quatre photos pour interpeller encore notre conscience. Vous pouvez adresser vos dons, par chèque libellé à l’ordre de Fondation de France solidarité Haïti, à Fondation de France, BP 22, 75008 Paris. Ou en ligne sur le site www.fondationdefrance.org

TIMOTHY FADEK/POLARIS HAÏTI, PORT-AU-PRINCE, 14 JANVIER 2010 Deux femmes pleurent la disparition d’un proche qu’elles imaginent encore sous les décombres de leur maison.

18 I polka magazine #8 printemps 2010 I 19 NAKED PHOTOGRAPHER WITH SECURITY AND MOOSE, SERIES #8

24 I polka magazine #8 Parlez-moi d’images YVES SIMON L’écrivain a laissé aller son imagination en feuilletant le dernier livre, très étrange, d’Elliott Erwitt. Un délire baroque du grand photographe auquel la Mep, à Paris, rend hommage jusqu’au 4 avril. DR ERWITT& MR SOLIDOR

ANDRÉ, ALIAS ELLIOTT, DIT L’ESPAGNOL

printemps 2010 I 25 Identité nationale LIBERTÉ, ÉGALITÉ, DIVERSITÉ Alors que la question de l’identité nationale a dérapé en stigmatisation des musulmans français, Polka présente ce reportage qui montre leur vie quotidienne. La photographe France Keyser a travaillé dans des pays d’islam rigide où elle a vu des hommes et des femmes confrontés à des situations extrêmes. En France, elle a rencontré des citoyens engagés dans la société, pratiquant leur religion sereinement, sans prosélytisme. Son travail de quatre ans fait aussi l’objet d’un livre, « Nous sommes français et musulmans », aux éditions Autrement. FRANCE KEYSER PARIS, 19 OCTOBRE 2009 On ignore combien de musulmans compte l’armée française. La loi interdit le recensement selon la religion. Estimation: entre 7% et 8% de soldats seraient de confession musulmane. En 2005, un décret de loi a institué l’aumônerie militaire du culte musulman. Dans la minuscule salle de prière de Balard, dans le XVearrondissement, l’aumônier Hadj Khababa célèbre l’office avec les hommes et les femmes. Ce jour-là, seules des jeunes femmes y ont assisté. National identity TO BE OR NOT TO BE BRITISH Pendant que la France se débat dans les mailles d’une identité qu’elle peine à trouver, la Grande-Bretagne se pose moins de questions. A leur aise sur une île que beaucoup rêvent de rejoindre, les Britanniques s’adaptent plus qu’ils n’intègrent. Ils s’abreuvent de multiculturalisme avec un hédonisme plutôt épicé. NICK DANZIGER GRANDE-BRETAGNE, LONDRES, 2001 Chaque année, le premier lundi d’octobre, les juges se rendent à l’abbaye de Westminster pour assister au service religieux. Si la tradition perdure depuis le Moyen Âge, une chose a changé: les juges sont désormais véhiculés.

AFRI LA REVANCHE DE SOWETO JODI BIEBER SOWETO, DISTRICT DE JABULANI, NTOKOZO NXUMALO SUR UN TRAMPOLINE, 24 DÉCEMBRE 2009 La métamorphose. Soweto n’est plus le triste et sulfureux ghetto noir. Depuis la fin des années 90, le township s’émancipe de Johannesburg, et se refait une jeunesse. En plein boom économique et social, Soweto est fier. On s’y amuse et c’est QUE très «hype» d’y aller. Soweto vibre. DU

SUDA quelques mois de la Coupe du monde de football, la nation arc-en-ciel a, de nouveau, rendez-vous avec l’Histoire. A Soweto, le célèbre township qui a fait tomber l’apartheid, se joueront le match d’ouverture et la finale. Symbole du changement du pays, la cité, voisine de Johannesburg, se métamorphose. La nouvelle élite noire s’y amuse et sa jeunesse vibre. Alors que dans le veld des Afrikaners vivent en état de siège. Tous cohabitent dans la jeune démocratie. Sa devise, «l’union fait la force», est née grâce à la ténacité d’un homme : Nelson Mandela.

ETAT DE SIÈGE DANS LE VELD Retour de bâton plutôt violent pour les Afrikaners, ces descendants de colons protestants arrivés au XVIIe siècle, attachés à une « Terre promise » qui n’est plus la leur. Cette minorité blanche d’Afrique du Sud, totalement coupée de l’Europe de ses origines, vit dans la peur permanente d’une attaque de ceux qu’ils ont longtemps exploités. Un reportage de Caroline Suzman étalé sur une dizaine d’années. CAROLINE SUZMAN AFRIQUE DU SUD, PROVINCE DU LIMPOPO Ida Nel, la femme d’un fermier, photographiée en septembre 2004, s’initie au maniement d’un AK47 à l’occasion d’un week-end consacré à la prévention des attaques de fermes, organisé près de la frontière avec le Zimbabwe. Dans cet exercice, les fermiers se familiarisent notamment avec les fusils d’assaut automatiques. Ils apprennent plusieurs techniques de défense: comment tirer d’une voiture en marche ou réagir dans une embuscade. NELSON MANDELA SA VIE EST SON PAYS Son destin est exceptionnel. Il l’a conduit avec constance et avec un courage inébranlable. Nelson Mandela a donné sa vie à l’Afrique du Sud et à la dignité de l’homme. Cet avocat, devenu chef d’Etat et lauréat du prix Nobel de la paix en 1993, conjointement avec Frederik De Klerk, est le symbole planétaire de la liberté. JÜRGEN SCHADEBERG ROBBEN ISLAND, 1994 Accompagné de quelques journalistes, le prix Nobel de la paix accepte de poser dans sa cellule où il a passé dix-huit de ses vingt-sept années d’emprisonnement. Cette photo de Schadeberg est devenue une véritable icône. ALF KUMALO SOWETO, 1976 La fureur de cet activiste, photographié à l’église catholique Regina Mundi du township, lieu d’importants meetings politiques dans les années 70 et 80, montre l’ambiance de cette période charnière.

APARTHEID 1976, LE CRI DE LA RÉVOLTE En 1950, le Population Registration Act sépare les Sud-Africains en groupes raciaux. C’est le vrai point de départ du prétendu «développement séparé » qui légalise la discrimination raciale la plus criminelle. La lutte contre l’apartheid sera marquée par deux massacres historiques, celui de Sharpeville, en 1960, avec 67 personnes tuées par la police lors d’une marche pacifique, et, celui de Soweto, en 1976. Cette année-là, après les émeutes sanglantes de juin, la colère d’un peuple a réveillé le monde.

J’AI MÊME RENCONTRÉ DES MINEURS HEUREUX La Haute-Silésie, le pays du charbon, a longtemps nourri la Pologne. Mais, au cours des deux dernières décennies, 300 000 mineurs ont dû quitter la mine. A ceux qui restent –encore 115000–, on dit que l’avenir ne peut plus être assuré par la houille. Pourtant, dans cette région sinistrée, polluée, les cités minières qu’a parcourues Tomasz Tomaszewski ont gardé leurs traditions et souvent leur joie de vivre. TOMASZ TOMASZEWSKI SILÉSIE, RUDA SLASKA, 2009 La houille est la richesse de la Haute-Silésie. Dans la mine Pokoj (paix), des mineurs creusent une galerie. Il faut, pour parvenir au gisement et pouvoir l’exploiter, creuser des galeries souterraines et sécuriser leur plafond. Mary Ellen Mark Willy Rizzo William Klein MARY ELLEN MARK ROME, ITALIE, 1969 endormi ou faisant semblant de l’être sur le tournage de «Satyricon», une fresque folle adaptée de l’œuvre de Pétrone. Derrière lui, le directeur de la photographie, Giuseppe Rotunno. TROIS PHOTOGRAPHES SUR UN PLATEAU Amis des réalisateurs, proches des acteurs, ils jouissaient d’une place privilégiée. Une vraie complicité les liait à l’équipe du film. Ils pouvaient capter naturel, humour et tendresse. Mary Ellen Mark, Willy Rizzo et William Klein ont eu cette chance et le talent de la saisir. Avant eux, c’était au temps du cinéma muet dont les photos de plateau sont exposées à la Cinémathèque de Paris.

CINEMA MUNDI Quand Hollywood ferme de plus en plus ses portes au nez des photographes, Bollywood, mais aussi les cinémas chinois, russe ou africain, ouvrent leurs plateaux en grand. Stefano De Luigi les a parcourus, saisissant des scènes de tournage en décor naturel. Une libre visite dans les studios du cinéma mondial

STEFANO DE LUIGI CHINE, SHANGHAI, NOVEMBRE 2006 «Sur le plateau du long-métrage “Tian Tang Kou” à Shanghai, la neige est “encore” faite “à l’ancienne” donc c’est de l’ammoniaque. Du coup, j’ai un souvenir très olfactif de cette photo. L’odeur âcre de l’ammoniaque permet de rester seulement quelques minutes sur le plateau; après il faut... s’éloigner pour respirer.» DANS LES COULISSES DES TOURNAGES

YVES MARCHAND ET ROMAIN MEFFRE UNITED ARTISTS THEATER, DETROIT, MICHIGAN, 2005 Ce théâtre de Detroit, ouvert en 1928, fut le 17e de la United Artists, chaîne fondée par Charlie Chaplin, Douglas Fairbanks, Mary Pickford et D. W. Griffith. Son auditorium de 2000 places fut l’un des rares à être désignés dans un style flamboyant dit «spanish gothic». LES PALAIS PERDUS DE L’AMERIQUE Hollywood fut une œuvre, le rêve américain. La 20th Century Fox, la Metro-Goldwyn-Mayer, la Columbia sont nées grâce aux efforts d’immigrés, souvent d’origine juive, arrivés aux Etats-Unis avec l’espoir pour seul bagage. C’était l’époque où les plus grandes stars avaient été boxeurs, chasseurs de bêtes sauvages et/ou têtes brûlées. Mais cet âge fastueux eut une fin. Ses lieux de culte sont aujourd’hui des vestiges. polkaenquête SPLENDEURS ET MISÈRES DU LIVRE DE PHOTOS Alors que les photographes disposent de moins en moins de place dans les magazines, le livre est devenu pour eux un refuge. Il est aussi l’aboutissement de leur travail. Voyage dans les coulisses de l’édition. par Manon Moreau

anle-bas de combat rue Charlot: pen- dant deux semaines, les éditions Fili- granes sont hors les murs. Photographies exposées dans le dédale des pièces, soirées et projections, ren- contres avec les photo- Bgraphes, braderie au premier étage. Visi- teurs religieusement penchés sur les livres. Filigranes, ce sont des éditions d’artistes, des livres singuliers, comme est singulière chaque démarche d’auteur. Un luxe, un principe aussi, pour cette petite maison fon- dée en 1988 et dont Patrick Le Bescont est l’unique permanent. Du texte au choix du papier, tout est fait avec un soin d’artisan. Longtemps les ouvrages furent imprimés en Bretagne, puis ce fut Vérone, en Italie. Vérone, où l’éditeur emmène ses photo- graphes assister au calage. «Voir les contrastes, la chromie. Affiner jusqu’au dernier moment.» Une étape comparée à un accouchement. L’impression: un moment clef dans la vie d’un livre de photographies. Pierre Gradenigo reçoit dans l’imprimerie Stipa, fondée par son père et qu’il préside. Depuis longtemps, Stipa imprime pour le compte de maisons d’édition et de vénéra- bles institutions telles l’Opéra de Paris, le Louvre et la BNF. De fil en aiguille est née l’envie d’éditer ses propres livres. Voilà quatre ans que la maison Gourcuff Grade- nigo publie des ouvrages d’art. Pierre Gradenigo aime rappeler qu’aux siècles passés, les éditeurs n’existaient pas: les au- teurs travaillaient directement avec des «maîtres imprimeurs». Aujourd’hui, celui qui aspire à devenir « un petit Steidl HELMUT NEWTON LOS ANGELES, 1984 DARYL HANNAH POUR «VOGUE» US Dix ans après la sortie de «Sumo», le livre géant d’Helmut Newton, aujourd’hui épuisé, Taschen édite une version allégée, à 100 euros.

124 I polka magazine #8 français» défend le savoir-faire hexagonal, absolu, toutes versions confondues, les édi- ERIC VALLI et déplore la propension des éditeurs à sa- tions de La Martinière ont vendu en HIMALAYA, VALLÉE DE L’ARUN, 1980 Eric Valli signe «Derrière l’objectif» aux éditions crifier la qualité en faisant fabriquer leurs dix ans près de 3 millions d’exemplaires de Hoebeke. Le deuxième livre d’une collection qui mêle livres en Chine. Même créneau chez «La Terre vue du ciel» de Yann Arthus- photographies, analyses et réflexions de l’artiste sur Steidl : « Printing and publishing com- Bertrand. A une autre échelle, les éditions son œuvre (lire Polka #2). pany», la maison allemande, dont le fon- Gourcuff Gradenigo se félicitent des même des effets bénéfiques : qu’elle dateur Gerhard Steidl est venu à l’édition ventes de «Venise la nuit», 2500 exem- débarrasse le secteur de «toutes ces mai- par amour de l’impression, estime primor- plaires. «Mais publier un livre représente sons uniquement intéressées par le profit dial de tout contrôler. L’impression et la une grosse prise de risque. Il est donc pré- et les parts de marché ». Il faut dire que gravure ont lieu à Göttingen, siège de la férable de s’appuyer sur des précom- l’éditeur défend une haute idée du livre de maison mère. Une exigence payante : mandes. » Mille exemplaires du livre photographies: «On ne peut pas se conten- Steidl doit son succès auprès des marques pointu de Didier Massard, «Artifices», ont ter d’aligner des photos. Ce doit être un de luxe comme Chanel, dont elle réalise les été ainsi préachetés par une banque. Mais, spectacle, une mise en scène.» catalogues et autres supports, à son savoir- avec la crise, les entreprises et les mécènes «C’est un déroulé, une histoire», faire en matière de fabrication. Et ces com- se montrent moins réceptifs. Aux Editions confirme Patrick Rémy. Et de citer Henri mandes permettent de continuer à publier de La Martinière, la réponse au contexte Cartier-Bresson : « La photographie se des livres de photos qui sont, selon Patrick économique passe par des livres et des col- regarde dans un livre, pas sur un mur.» Rémy, responsable de Steidl France «une lections à «petits prix». Isabelle Jendron, Isabelle Jendron insiste: «Il serait souvent vitrine, mais ne font pas vivre la maison. directrice générale adjointe, annonce la moins cher et plus rapide de traiter un sujet Pour une première édition, les marges sont création de la collection «Carnets d’ici et via la compilation d’images de provenance proches de zéro. On commence à gagner d’ailleurs», «à 19 euros et dans laquelle diverse. Nous préférons privilégier la cohé- de l’argent avec la deuxième édition. » seront publiées les photos de Mario rence d’un seul regard.» Le livre, aboutis- Mais en moyenne, sur dix livres, seuls Colonel ou Jean-Luc Manaud». sement du travail d’un photographe? Pour deux connaissent une deuxième édition. La crise, Lionel Hoëbeke, directeur Abbas, auteur d’une dizaine d’ouvrages, qui Bien sûr, il y a les «blockbusters»: record des éditions qui portent son nom, en attend compare les livres de >>suite page 127

printemps 2010 I 125 L’actualité par les livres du monde

L’actualité par les livres du monde chez votre marchand de journaux et sur booksmag.fr polkahistoire L’HONNEUR D’UN COLONEL A 85 ans, une femme se bat pour la mémoire de son mari, l’officier français qui a inspiré le personnage, aussi célèbre qu’équivoque, du colonel Nicholson dans «Le pont de la rivière Kwaï». par Elisa Mignot

lanche Fourmarchat tient région. Dans le carton de Blanche, la note a passé son temps à m’engueuler, me trai- deux photographies, les du général Mordant (1) fait l’éloge du «ba- tant de collaborateur. [...] J’ai dû l’évacuer seules ou presque qu’elle a taillon Fourmachat », réputé pour « son à Hanoï, sous escorte pour qu’il soit remis conservées de son mari :un ardeur, sa tenue, sa discipline, son esprit de aux autorités françaises [...]. Pierre Boulle portrait très officiel de Paul corps ». Plus loin, le rapport d’un lieu- a relaté depuis lors son aventure à sa façon.» Fourmachat en colonel de tenant-colonel évoque « des réalisations Le romancier ne s’en est pas caché, le Bl’armée française et un cliché daté de 1939 remarquables» de Paul Fourmachat parmi pont n’a jamais existé, mais l’histoire lui a où il assiste à l’inauguration d’un pont en lesquelles «la construction d’un pont [...], été inspiré par une « série d’aventures » Indochine. Bien qu’il soit mort depuis plus remarquable par son style et sa vitesse de vécues dans le Sud-Est asiatique et dont il de quarante ans, Blanche n’a jamais oublié construction». Un bataillon discipliné, un fait le récit dans un livre paru ensuite (3). la promesse qu’elle lui a faite: «Raconter colonel dévoué à sa mission et à son armée, Parmi celles-ci, sa rencontre avec un cer- la vérité pour leur fils et pour l’armée.» Ra- un pont remarqué... Pierre Boulle aurait-il tain «commandant F.» [...]. «Je vais sans conter quel homme fut ce colonel épris glané là les matériaux nécessaires à son aucun doute être amené à Laichau devant d’une Indochine où il a passé vingt- «Pont»? le commandant F., se souvient-il après avoir cinq ans, raconter aussi ce qu’il été découvert par des villageois ne fut pas: cette «vénérable ga- thaïs sur les berges d’une rivière nache », ce « type parfait du qui devait le conduire à Hanoï. snob militaire» décrit sous les Je me reprends à songer à ce traits du colonel britannique personnage qui nous avait été Nicholson dans le roman de décrit comme sympathisant. » Pierre Boulle, « Le pont de la Mais ce fut, raconte-t-il, « la rivière Kwaï ». L’élégante oc- douche froide »: le romancier togénaire est certaine que le ro- écrit que le commandant F. – pas mancier s’est inspiré de son encore colonel – refusa de l’ai- mari pour imaginer l’ambigu der, le fit arrêter et conduire à personnage de Nicholson, ce Hanoï. On imagine le face-à- héros qui, afin d’occuper ses face entre Boulle, jeune civil troupes prisonnières des Japo- fougueux et romantique, empê- nais, contribue à l’effort de ché par ce militaire discipliné. guerre nippon en construisant Paul Fourmachat dans... son propre rôle et Alec Guinness, en 1957, dans le rôle du colonel Nicholson. «Fourmachat, cette histoire un pont pour l’armée ennemie. Dans une lettre à Blanche, un certain nous la connaissons tous. Pierre Boulle a «Paul était un militaire! dit-elle les René Charbonneau (2) se souvient avoir évo- trouvé auprès de vous tous les personnages larmes aux yeux. Qu’on le ridiculise et qué « l’affaire Boulle » avec son mari, de son bouquin, écrivit plus tard le général qu’on moque l’armée l’a blessé à mort. » «l’homme des pistes et des ponts». «Elle Mordant à son subordonné. Nous savons Le colonel était rentré dépressif d’Indo- s’était déroulée [...] en 1943, écrit-il, et tous que l’Indochine n’intéresse plus chine; le livre, le film et leur renommée ont m’avait été présentée comme l’entreprise personne, laissez tomber!» Lui a fini par enfoncé le couteau dans cette plaie ouverte. d’un Français [Pierre Boulle] qui s’était laisser tomber et s’est éteint en 1964. «Ce Blanche ouvre un carton à dessin où cou- aventuré [...] pour aller convertir “à de serait un blasphème que de ne pas lui pures de presse et témoignages d’officiers Gaulle” les Français d’Indochine. » rendre hommage», murmure Blanche. • jaunis par les ans entendent prouver que Recueilli par la population au vu et au su des son colonel inspira Pierre Boulle mais sur- Japonais qui contrôlaient la région, il était 1. Commandant supérieur des forces terrestres tout qu’il fut un officier humain, compé- impossible de le faire passer clandestine- en Indochine de 1941 à 1945, qui en 1944 sera tent et respecté, « loin de cette caricature ment en Chine, lui aurait raconté Paul Four- désigné chef de la Résistance en Indochine. de militaire qu’est Nicholson». machat, tout comme il était inconcevable 2. Fonctionnaire en Indochine et auteur Parmi ses frères d’armes, l’homme de le livrer aux Japonais. «Il m’a placé dans d’ouvrages sur l’Indochine. avait la réputation d’être un «bâtisseur de une situation critique, lui confiait alors le 3. «Aux sources de la rivière Kwaï», ponts» doublé d’un fin connaisseur de la colonel. Et au lieu de s’en rendre compte, il paru en 1966.

134 I polka magazine #8 Abonnez-vous à

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e retour du Cambodge où je viens de passer sixsemaines avec ou sans papiers, que les descendants d’immigrés nés en France, enthousiasmantes à animer la deuxième édition du festi- que l’étranger sont immédiatement suspects. Suspects d’attenter à val Photo Phnom Penh*, je me retrouve, en plein choc l’identité nationale! Et si le président avait relancé involontaire- thermique, confronté à ce qui m’apparaît, sinon comme ment la lecture de «La Chartreuse de Parme», le voici en passe de une spécificité française, du moins comme un véritable relancer, volontairement cette fois, les ventes de Maurras ou autres exotisme. A Phnom Penh, avec le soutien de la Barrès (par exemple) et de mettre Camus à l’index tout en propo- Communauté européenne, nous avons pu pro- sant que l’on le canonise au Panthéon. De tout ce galimatias idéo- Dposer à six tout jeunes photographes cambodgiens (entre 21 et logique, de tous ces dérapages verbaux de ministres et d’élus, on 26 ans) de travailler en duo avec six photographes étrangers (deux retiendra surtout une absence de pensée qui, privilégiant le «coup» Asiatiques et quatre Européens) plus confirmés. Nous leur avions met sur le même plan religion et fondamentalisme, favorise les confié le même thème. Ils ont inventé par communautarismes, ravive le prurit nationa- couples des solutions différentes, originales, liste alors qu’il faut construire l’Europe. surprenantes, sérieuses ou amusantes et ont L’actualité photographique pourrait livré, au final, un résultat surprenant d’intelli- donner à penser, qui voit, après Robert gence, de richesse, de qualité. Ce résultat est Doisneau et Willy Ronis, le Lituanien de le fait de ce qu’ils ont réussi à partager, à Paris Izis Bidermanas, qui fut aussi le plus échanger, à se dire et se donner, chacun avec exemplaire des photographes avec ses por- ses moyens, sa connaissance, ses différences traits de résistants, drainer des centaines de et sa culture. Qu’un Slovaque, Martin Kollar, milliers de visiteurs vers l’Hôtel de Ville de réussisse, dans un grand éclat de rire, à visua- Paris. Et l’on pourrait multiplier les exem- liser la question du point de vue en créant des ples, alors que se prépare une exposition diptyques avec le jeune Uy Nousereimony André Kertész (Hongrois de Paris) et que parce qu’ils ont photographié différemment William Klein (Américain de Paris) est la même situation au même moment, relève i n c o n t o u r n a b l e . de la magie. Et crée un pur bonheur. Mais la photographie est absente de ce C’est avec ces images dans la tête, en me «débat» qui n’a pas lieu. C’est dommage, souvenant de comment Sovan Philong a per- car l’on pourrait en profiter pour se pencher mis l’accès à l’intimité d’une famille cam- à nouveau sur la « photo d’identité », ce bodgienne pour Jean-Robert Dantou ou genre si particulier, codifié pour approcher comment Sean Lee et Heng Ravuth sont d’une volonté « scientifique » de mise en devenus complices et amis, que je me suis fiche de l’individu et dont chacun sait à quel retrouvé, plutôt effaré, dans une ambiance point elle est, comme toute photographie, glauque de «débat» à propos de l’«identité susceptible d’être mise en doute et incapa- nationale ». Je dois avouer n’avoir guère ble de vérité, même si elle ne pratique pas Svetlana Khachaturova 2009 Khachaturova Svetlana

compris. Ou plutôt, avoir constaté qu’il n’y © le mensonge. Il faut mettre en place, de toute avait point de débat, mais de la manœuvre, politicienne, qui, sans urgence, la «photographie d’identité nationale»! Et installer à prendre la moindre précaution, remuait de façon dangereuse, et cette occasion Bertillon au Panthéon. en pratiquant tous les amalgames imaginables, le fond de racisme On pourrait aussi, afin d’élever le niveau de la discussion, qui existe partout (cette Asie que j’adore en est un bel exemple, faire deux propositions, efficaces. La première consisterait à hélas, et les manipulations des nationalismes entre Thaïlande et interdire que, sur les photographies d’identité figurant sur leurs Cambodge – auxquels il faut ajouter le Vietnam – pourraient don- documents d’identité, les individus de religion musulmane por- ner à penser à ceux qui jouent avec le feu). Identité «nationale», tent la barbe. Cela serait d’une grande efficacité et augmenterait droit de la terre et droit du sang se sont bientôt focalisés sur le vieux la sécurité puisque chacun sait qu’un barbu est potentiellement fonds de commerce de l’extrême droite en ajoutant pour la plus dangereux et que la barbe est susceptible de changer de longueur belle des confusions la question de la burqa et en dérapant de mi- et de forme. L’autre mesure, que l’on pourrait limiter dans le temps, narets suisses en cathédrales «bien de chez nous» qui seraient en serait de décider d’établir des papiers d’identité régionale, avec danger. Au-delà de tout ce qu’il y a, à la fois ridicule et odieux, accessoires typiques prouvant la relation aux cultures locales, et dans les déclarations irresponsables qui ne font jamais que carica- qui deviendraient caducs après les élections. • turer un exemple venu du plus haut de l’Etat, voici que l’immigré, * Cette deuxième édition s’est tenue du 28 novembre au 20 décembre 2009.

146 I polka magazine #8 * Pionniersdel’horlogerie suisse depuis 150ans. TAG Heuer Grand CARRERA Calibre 17RS. 2010 Premier chronographe automatique. 1969 Premier compteur mécanique précis au 1/100ème de seconde. 1916 Edouard Heuerfonde sonatelier dansleJura Suisse. 1860 Informations : 01 55 62 36 36