Histoiredel’art européen médiévaletmoderne

M. roland recht,membredel’institut (académie des inscriptions et belles-lettres), professeur

cours :regarder l’art, en écrire l’histoire (iii)

Le cours1 s’est achevé l’année précédente par l’évocation de l’Histoiredel’art chez les Anciens.s’il est vrai que, dans l’établissement de son corpus, winckelmann se comporte tel un explorateur de la naturequi procède selon un principe de classification, comme le dit Christian gottlob heyne, son œuvrepeut revendiquer le statut d’une science nouvelle. d’autant plus nouvelle quewinckelmann ne se contente pas de classer.Conformément àlacrise de la pensée classificatrice du xviiie siècle, il procède aussi àune inscription des phénomènes dans le temps :ainsi quel’a noté wolf Lepenies, les représentations des processus se substituent alors aux «tableaux »auxquels darwin mettra fin. C’est le chemin quimène de l’histoire naturelle àl’histoiredelanature. Le biographe de winckelmann, CarlJusti, aparlé de la confusion quirègne encorechez lui entrehistoireetthéorie, confusion quiest aussi le propredel’histoirenaturelle au xviiie siècle. Longtemps, l’idée d’une historicité de la natureaeuàlutter contredes résistances d’ordrecognitif et théologique. Le remède auquel recourtdiderot est de considérer quecen’est pas la naturequi aune histoiremais la science de la nature. Cependant, en parlant de winckelmann, il faut encoreinsister sur la mutation qui s’opèredans sa pensée entredeux formes de descriptions complémentaires, mutation quinous fait assister àlanaissance d’une méthode. il distingue en effetune description selon l’« idéal », une autreselon l’« art»,cette dernièreayant l’ambition d’êtrenon-poétique, non-psychologisante, non-narrativeet, par conséquent, de demeurer au plus près de son objet. Ces descriptions «phénoménologiques »qui se trouvent dans les archives florentines appartiennent àune phase tardivedeson œuvrealors quelaquestion du faireartistique et de la localisation des œuvres occupent son attention. Ce changement affecte d’ailleurs l’ensemble des savoirs :

1. Le cours consiste en la présentation d’une suite de textes quisont téléchargeables mais quiont été écartés de ce résumé pour des questions de longueur (http://www.college-de- france.fr/site/roland-recht/index.htm#|m=course|). 610 roLand reCht on renonce àdes représentations narratives. pour faireune œuvrescientifique, il faut oublier quelascience aunpassé littéraire. on retrouveainsi chez winckelmann une préoccupation formulée par buffon pour lequel la description, si elle veut avoir «uncaractèredevérité », doit éviter toute «idée de système », toute forme de «préjugé»,etdoit revêtir un style dénué de tout agrément littérairepartant uniquement de l’observation. L’histoirenaturelle apour but l’« histoirefidèle de chaque chose »laquelle doit «suivresadescription ». L’une des bêtes noires de l’archéologue allemand, le comte de Caylus, al’ambition de procéder àunexamen minutieux de chaque objetdupassé. Caylus pense qu’une description est indemne de tout système. La date du début de la publication du Recueil d’Antiquités égyptiennes, grecques, étrusques et romaines, Paris7vol.(le 7e est posthume), de Caylus, en 1752, est aussi celle de la création d’une chairede physique expérimentale au Collègedenavarre,confiée àl’abbé nollet, un élèvede réaumur.L’expérience apour le physicien la valeur qu’a la comparaison pour l’antiquaire, et celle-ci n’est possible qu’à l’aide de descriptions fidèles. L’entreprise de Caylus peut encoreêtrecomparée àcelle de pierre bayledont le Dictionnaire historiqueetcritique paraît en 1696-1697 :toute donnée doit êtresoumise àla discussion et àlacontre-épreuve. dans l’épîtredédicatoiredeson Recueil àses confrères de l’académie des inscriptions et belles-lettres, le comte de Caylus envisaged’élargir le champdusavoir auquel l’étude des restes matériels de l’antiquité donne accès, àune véritable histoireculturelle. La connaissance du goût d’une nation permetdeledistinguer de celui d’une autre, et ainsi se constitue peu àpeu une histoiredes formes. il est sensible aussi au fairedel’artiste ou du simple artisan, àlafacturedes objets, aux outils quiles ont façonnés. sa familiarité avec de grands artistes de son temps –greuze, pajou, van Loo, vassé, Lépicié, vien… – lui semble former un complément àson intérêt pour le passé lointain, livrant en particulier la terminologie nécessaireàunbon antiquaire. Le philosophe du xviiie siècle –depope àwalpole et àdiderot –considèreque l’antiquaireest dépourvu d’esprit critique et philosophique, incarnant, comme le singedans le célèbretableau de siméon Chardin, la présomption et la vanité. mais les antiquaires font naîtrelebesoin d’une nouvelle histoire. parallèlement àla montée du pyrrhonisme historique, ils tentent de plus en plus d’imposer la fiabilité de la base archéologique, opposée àl’instabilité des sources littéraires. Cela aété montrédans le cours de l’an dernier :les antiquaires italiens travaillent depuis le règne de paul iii farnèse, au milieu du xvie siècle, sur le monde antique et paléochrétien. dans la seconde moitié du xviie siècle, cette activité redouble d’importance :oncitera seulement Delli vestigi delle Pittureantiche où giovanni belloriconsigne la premièrehistoiredelapeintureantique (en 1665) ; Vetera MonumentaetSynopsis Historica,sur les églises constantiniennes, de giovanni giustino Ciampini (publiés entre1690 et 1693), et sur les étrusques : Ad Monumenta Etrusca OperiDempsteriano additaExplicationes et Conjecturae,defilippo buonarroti (1726). deux ouvrages manifestent un intérêt véritable pour le moyen Âge: celui de Ludovico antonio muratori(Antiquitates italicae medii aevi, sive dissertationes De Moribus, Ritibus, Religione, Regimine, Magistratibus, Legibus, Studiis Literarum, Artibus, Lingua, Militia, Nummis, Principibus, Libertate, Servitute, etc, Milan, 1738-39), et la Verona Illustrata de scipione maffei (1731- 1732).tout en ignorant les monuments dont il parle, le premier fait une véritable apologie du moyenÂge.quant au livredemaffei, il est écrit àlagloiredel’italie mais on ne saurait ignorer son relativisme :ilfaut juger les œuvres en fonction de histoire de L’arteuropéen médiévaL et moderne 611 l’époque quiles avunaître. dans ce sens, maffei adopte une attitude ouvertement hostile àl’histoiredes artistes telle quelaconcevait vasari. Àladifférence des italiens dont l’érudition est le précarré des ecclésiastiques, les antiquaires anglais se recrutent plutôt dans la bourgeoisie. avant d’êtrehéraldiste du royaume, william Camden (1551-1623) est maîtred’école. il explorelepays afin de reconstituer l’histoiredechaque ville depuis l’antiquité romaine jusqu’au moyenÂge et de former ainsi une histoirenationale. il étudie les monnaies afin de connaîtreleur lieu d’émission. en 1586, il publie Britannia quiest une description historique et géographique des îles britanniques. william dugdale réunit un ensemble de documents d’archives relatives àl’histoiredelaconstruction et àcelle du féodalisme anglais dans Monasticum Anglicanum (1655, 1661), mais son ouvrage le plus important est The History of St.Paul’s Cathedral in London from its Foundation till theses Times (1658), véritable monographie monumentale dont l’enjeu est d’empêcher la destruction par les puritains de monuments àl’intérieur de la cathédrale. uneautremonographie, consacrée àoxfordetdue àanthony wood, est une des premières manifestations, dans la seconde moitié du xviie siècle, d’un véritable goût pour le gothique mu par un sentiment du passé presque préromantique. dans ce même courant d’intérêt, il convient de faireune place tout àfait majeureàsir Christopher wren (1632-1723), architecte, mathématicien, passionné par les sciences naturelles, quireconstruit les églises dévastées par l’incendie de Londres en 1666. il rédigeen1713 un rapport On theState of Westminster qu’il adresse àl’évêque de rochester,aucours duquel il donne une histoirecomplète de ce monument et en étudie les sources :wrenchercheà comprendrel’artgothique, qu’il appelle «sarazin », tout en ne l’appréciant pourtant guère. mais il le considèred’abordcomme un style historique, méritant par conséquent notreintérêt. La conception rationnelle de sir wren s’oppose en tous points au dilettantisme préromantique de william stuckeley(1687-1765) quiétablit une chronologie de l’architecturedepuis les druides, mais dont les observations archéologiques ne peuvent s’insérer dans une chronosophie encoremédiévale. Les travaux de la findu xviiie siècle examinent surtout des questions de périodisation :ainsi, trouve-t-on chez thomas ryckman (1776-1841), dans son manuel destiné aux ecclésiastiques – An AttempttoDiscriminatethe Styles of English Architecture[…],1815 –une subdivision de l’architecturegothique qu’il considérait comme le «style anglais » par excellence, en trois périodes quicouvrent l’ensemble du développement architectural entre1160 environ et 1630-1640. quant àlanotion de «romanesque style », elle est introduite par william gunn (1750-1841) en 1813 puis importée en normandie par de gerville (1787-1859) cinq années plus tard. Les problèmes de chronologie sont aussi ardus queceux quepose la terminologie. C’est en normandie ques’opèrel’adaptation de celle fondée par les anglais et leurs diffuseurs sont de gerville et arcisse de Caumont (1801-1873), àlafois fondateur en 1823 de la société des antiquaires de normandie, de la société linnéenne de normandie, puis dix ans plus tard de la société française d’archéologie. Cetintérêt simultané pour les sciences naturelles et les antiquités avait déjà frappé michelet: le souci de classer les monuments en fonction des traits de caractèredominants prend pour modèle la classification des espèces qu’avait introduite le savant naturaliste suédois. de Caumont aacquis la conviction quelesol et les monuments qu’il voit naîtresont intimement liés. 612 roLand reCht

il établit ainsi l’existence d’écoles romanes régionales :les matériaux de construction, de même quelatradition des bâtisseurs confèreraient au style d’une région ses caractères propres. il ad’ailleurs publié en 1825 un Mémoiregéologique : sur quelques terrains de la Normandie occidentale et en 1828 un Essai sur la topographie géognostique du département du Calvados.en1830, l’année même où de Caumont professe àCaen son cours d’antiquités monumentales qu’il publiera bientôt, victor hugo fait paraître Notre-Dame de quiatant contribué àvivifier le goût pour le moyenÂge.mais la tentativededeCaumont sera fortement combattue par Jules quicherat quisubstituera àlaclassification selon les caractères apparents adoptée par de Caumont, une attention primordiale accordée aux éléments structurels de l’édifice. L’idée selon laquelle l’esprit d’une nation se traduit dans ses formes artistiques, la conviction quel’âme d’un peuple s’exprime dans sa littératureouses arts figurés est typiquement romantique mais elle était déjà contenue dans la pensée de winckelmann et dans celle de herder.mais la tradition italienne des biographies d’artistes –déjà chez villani –etcelle des monographies de villes –muratori, maffei –, quiillustrent l’une comme l’autreune veine patriotique, vont dans le même sens. La réévaluation des «primitifs »aussi bien en italie qu’en allemagne ou qu’en france constitue un moment fortimportant dans l’historiographie de l’art: en exigeant le renoncement aux canons quiavaient jusqu’ici présidé aux jugements esthétiques liés aux œuvres de la tradition classique, l’histoireetl’interprétation des primitifs vont bouleverser un ordredes choses quis’appuyait entièrement sur le modèle de la Renaissance,c’est-à-dired’un développement cyclique. Certes, giotto représentait bien aux yeux de vasariunjalon substantiel dans le passagedela tradition «grecque »–byzantine –àlarenaissance. mais il s’agit àprésent d’en examiner les sources, de chercher àcomprendrecomment se sont opérés les passages de l’artpaléochrétien jusqu’àcelui de la findumoyen Âge. ainsi, Luigi Lanzi (1732-1810) dresse un catalogue des œuvres de giottoetdes artistes giottesques fortéloquent, traduisant une connaissance remarquable de ces artistes du xive siècle. sa Storia pittorica dell’Italia dal Risorgimentodelle Belle Arti finpresso al fine del XVIII. secolo,dont la premièreédition intégrale remonte à1792, constitue un monument dans la genèse de l’historiographie de l’art occidental. Lanzi construit son ouvrageavecrigueur :ilmentionne ce queses prédécesseurs ont écrit sur les sujets qu’il traite, il parle du caractèregénéral de chaque école, des époques, des maîtres et de leurs élèves en soulignant l’originalité de chacun. pour cela, il doit renoncer àsuivreundéveloppement chronologique ou encorel’enchaînement des biographies quicontribuerait àfaireéclater les corpus regroupés sous le terme d’« écoles ». il faut aussi connaîtreles copies, les gravures de reproduction et,pour bien apprécier l’authenticité des œuvres, il convient de procéder àl’analysechimique des couleurs. si Lanzi veut rendreplus aisée la connaissance des diverses manières, destinant son ouvrageaussi bien aux peintres qu’aux amateurs, il n’ometpas une visée plus patriotique :donner àl’italie une histoiredelapeinture«quiintéresse sa gloire». La constitution de collections de primitifs offrira aux historiens la possibilité d’évaluer les œuvres médiévales selon de nouvelles perspectives historiques. ainsi un diplomate français établi àrome, alexis-françois artaud de montor (1772- 1849) réunit une grande collection de primitifs italiens –plus de 150 tableaux antérieurs àpérugin, ou considérés comme tel par leur propriétaire. autour de 1793, un anglais possédait àflorence 25 tableaux primitifs quiseront revendus dans cette histoire de L’arteuropéen médiévaL et moderne 613 même ville. mais il n’yapas quel’italie quifascine les nouveaux amateurs. sur les bords du rhin, les frères boisserée accumulent des retables ou des panneaux peints de peintres de Cologne et du rhin moyenque souvent ils sauvent de la ruine. ils ont bénéficié après 1803 de la cultureartistique et du goût de friedrichschlegel quiles entraîne dans un long périple médiévalles menant de saint-denis àLyon, mais en passant par bruxelles, aix-la-Chapelle, dusseldorfetbâle, entreautres. schlegel voit dans la figuredeJan vaneyckledébut d’une histoiredelapeinture, allemande et nationale, quiculmine dans les œuvres de dürer et surtout de holbein. L’histoiredel’artprésente àses yeux une continuité, non pas de véritables innovations mais des changements progressifs. il porte aussi sur l’architectureetla sculpturegothique un regard singulier :dans ses Briefeauf einer Reise durch die Niederlande, Rheingegenden, die Schweiz und einen Teil vonFrankreich (1806), il est le premier àattirer l’attention sur la relation entrelaforme et le matériau dans l’architecturemédiévale, ainsi qu’entrelastructuredelacathédrale et la sculpture destinée àson décor.Àladifférence de l’Hymne célèbredegoethe, schlegel voit l’origine de l’architecturegothique dans la naturedel’église chrétienne. mais il en fait également l’expression d’un artproprement septentrional, adapté au climat du nord,etàladifférence du marbrequi donne sa tonalité àl’artitalien, la pierre, d’une beauté inférieure, pousse les bâtisseurs et les sculpteurs àatteindreunniveau artistique inégalé dans l’artdel’ornement. tout comme seroux d’agincourtetartaud de montor,paillot de montabert (1771-1849) ne cherchepas àfaire«passer pour meilleures qu’elles ne sont »les peintures du moyenÂge.Comme élèvededavid, il aévidemment un goût premier pour le classicisme mais dans son Traitécompletdelapeinture,enneuf volumes, de 1829, et déjà dans sa Dissertation sur les peintures du MoyenÂge, et sur celles qu’on aappelées gothiques,paruen1812, il veut leur concéder «unjuste degré de considération ». dans son jugement de la peinturemédiévale, il accorde une place prééminente àcelle des italiens. uneautrepersonnalité doit êtreévoquée, d’autant plus qu’elle est la premièreà s’intéresser exclusivement àlasculpture: il s’agit du comte (1767-1834), collectionneur et historien quiétudie la peintureàrome avec domenico Corvi et Jacob philipp hackert ainsi queles monuments antiques de sicile et de . ami de Canova dont il publie une biographie, Cicognara consacre entre1813 et 1818 trois volumes àsaStoria della Sculturadal suo risorgimentoin Italia fino al secolo di Canova per serviredicontinuazione alle Operedi Winckelmann ediD’Agincourt.Leprojetest donc nettement défini :àpartir du règne de Constantin, l’auteur distingue cinq époques principales –renaissance, développement, perfectionnement, décadence et état actuel. Chacune est précédée d’une présentation de l’histoirepolitique et littéraire: Cicognara n’envisageune histoiredelasculpturequ’intégréedans une histoireculturelle plus générale. Comme Lanzi, il justifie son entreprise par le souci premier de ne pas laisser àune plume étrangère«l’évocation des fastes de [sa] nation, maîtresse de toute l’europe civilisée ». C’est àcenationalisme excessif ques’en prend toussaint bernard émeric-david (1755-1839) dans un compte-rendu de 1819. uneréaction d’amour- propredonc, quisans aller dans les excès où se laissera entraîner Louis Courajod, revendique pour la sculpturefrançaise des xie et xiie siècles une place au moins égale àcelle de l’italie, n’étant dépassée par celle-ci qu’aux siècles suivants. dans une deuxième partie du cours ont été évoquées quatregrandes entreprises éditoriales, quatremusées de papier quiont joué un rôle essentiel dans la diffusion, 614 roLand reCht auprès des classes dominantes, d’un intérêt pour les monuments du passé, en particulier pour les monuments nationaux, et d’une prise de conscience patrimoniale. La premièrenaît dans le contexte révolutionnaireetconsacrel’expression «monuments nationaux », «tels qu’anciens Châteaux, abbayes, monastères, enfin [...] tous ceux quipeuvent retracer les grands événements de notrehistoire»: on aura reconnu l’ouvraged’aubin-Louis millin (1759-1818) intitulé Antiquités nationales ,ourecueil de monumens pour servir àl’histoiregénérale et particulièredel’Empirefrançois, tels quetombeaux, inscriptions, statues, vitraux, fresques, etc., tirés des abbayes, monastères, châteaux et autres lieux devenus domaines nationaux, quiparaît en cinq volumes entre1790 et 1798. il s’agit de 61 dissertations évoquant l’histoirede monuments menacés de ruine par les vagues de vandalisme révolutionnaire. Le projet n’est pas sans analogie avec l’entreprise d’alexandreLenoir,etles deux personnalités sont des figures fantasques :après s’êtredestiné àlaprêtrise, millin va exercer une activité de journaliste durant trente ans. emprisonné sous la révolution, il composera les Éléments d’histoirenaturelle,intérêt qu’il conciliera avec celui des monuments anciens –en1788, paraît son Essai sur les plantes usuelles de la Jamaïque et il sera secrétaireperpétuel de la société linnéenne de paris. en 1795, il succède àl’abbé barthélémycomme conservateur du Cabinetdes antiques et médailles de la bibliothèque nationale et prend la direction du Magasin encyclopédique.ses voyages dans le midi de la france et en italie, dont il rapporte des relevésdeplus de 700 monuments et de 1000 inscriptions, constituent le matériau sur lequel il va travailler en vue de la publication de ses antiquités. L’objectif de cetouvragen’est pas de s’adresser aux amateurs :ilveut le mettreauservice de l’histoiredeson pays, «devenue une des principales études des vrais Citoyens ». son activité de pédagogue mérite aussi d’êtreretenue :après avoir enseigné au Jardin des plantes, il donne en 1796 un cours d’archéologie et de numismatique et en 1802, il inaugureunenseignement d’histoiredes arts. Cette visée est encore celle des Antiquités puisqu’il compte présenter «une suite des instruments civils, religieux et militaires, et [qui] formeront une histoirecomplète de la vie privée des françois, histoiretropnégligée jusqu’àcette heure».Lalecturedel’ouvrageest cependant peu engageante en raison du style de l’auteur,deses lourdeurs, de la culturepurement livresque dont il témoigne et de la pauvretédelaplupartdeses illustrations. L’ouvragedeseroux d’agincourt(1730-1814), Histoiredel’Artpar les Monumens, depuis sa décadence au iv e siècle jusqu’àson renouvellement au xvi e,paraît seulement entre1810 et 1823 alors quel’auteur,établi àrome, y travaille activement au moins depuis 1786 :ilcompareson entreprise àun «immense musée, où les principales productions des trois arts [architecture, peinture, sculpture], pendant une longue suite de siècles, s’offrent aux regards classées et décrites dans un ordreenmême temps systématique et chronologique ». son entreprise est très sensiblement marquée par le modèle winckelmannien mais ce quifait sa grande originalité, c’est l’atlas formé par les 325 planches dont il considèrequ’elles forment le véritable sujetdeson livre. elles illustrent 1400 monuments dont 700 inédits, tous gravés par des artistes dont il loue la qualité (dominique pronti, thomas piroli, giovanni macchiavelli). La disposition des monuments sur chaque planche révèle un effortpour établir une véritable typologie, cependant non systématique, car il hésite entredes comparaisons structurelles ou chronologiques. Le moyenÂge yoccupe plus d’un tiers de l’ouvrage, ce quiconstitue une vraie nouveauté. mais le goût esthétique de seroux comme celui de millin restent profondément classique. histoire de L’arteuropéen médiévaL et moderne 615

L’ouvraged’alexandre-Louis-Joseph, comte de Laborde (1774-1842) nourritune ambition différente. sa carrièrepolitique, militaireetdiplomatique l’ont conduit à visiter des pays comme l’autriche, l’angleterre,lahollande, l’italie, bien sûr,et surtout l’espagne où il est attaché d’ambassade. son Voyage pittoresque et historique en Espagne,de1807, illustrédeplus de 900 gravures, est un ouvragedeluxeauquel Charles iv d’espagne va souscrire150 exemplaires. L’«homme du monde »doit parcourir les pays afin de stimuler sa curiosité et de nourrirsaculture: Les Monumens de la France, classés chronologiquement et considérés sous le rapport des faits historiques et de l’étude des arts,qui paraissent en 45 livraisons àpartir de 1816 mais ne seront achevésqu’en 1836-1837, illustrent cette ambition de leur auteur. Laborde dresse d’abordàlargestraits une histoiredelaculture, puis s’applique àune description des trois styles –leroman, le gothique, et la renaissance qu’il fait aller jusqu’àson propretemps –, pour poursuivreavecdecourtes monographies dans l’ordrechronologique quicorrespondent àdes explications des planches. Celles-ci sont d’une grande qualité :gravées àl’acier,elles font de certaines illustrations de véritables modèles de représentations architecturales. mais leur apportsetrouverapidement éclipsé par le succès des Voyagespittoresques et romantiques dans l’ancienne France, par MM. Ch. Nodier,J.Taylor et Alph. De Cailleux, quiparaissent en 24 volumes in-folio de 1820 à1863. La beauté des illustrations n’est pas seulement imputable àlatechnique de la lithographie qui connaît ainsi une de ses applications les plus magistrales, mais aussi aux éminents collaborateurs quiont travaillé àcette illustration :isabey, géricault, ingres, horace vernet, evariste fragonard, viollet-le-duc, Ciceri, dauzats, etc. Le principal rédacteur de ce grand œuvresera le baron de taylor (1789-1879), un esprit très ouvertqui accueille favorablement le mouvement romantique –ilfait représenter Hernani –etprend la défense des monuments menacés par la sinistrebande noire. Chargé par Louis-philippe de racheter les peintures espagnoles quelemusée avait possédées sous l’empire, il est nommé inspecteur général des beaux-arts en 1836. dans sa préface, Charles nodier donne le tondecet hymne nostalgique au passé : «quant ànous, derniers voyageurs dans les ruines de l’ancienne france quiauront bientôt cessé d’exister,nous aimons àpeindreexclusivement ces ruines dont l’histoireetles mystères seroient perdus pour la génération prochaine. »Les gravures mettent en scène des sites queles artistes peuplent avec soin de promeneurs, ou encoredescènes animées. il s’agit avant tout d’un voyage ethnographique et sentimental où les monuments sont très fidèlement restitués. Les musées de pierre représentent aussi une forme d’écrituredel’histoiredel’art. ils mériteraient un long développement pour lequel le temps amanqué. un seul exemple particulièrement éloquent aété retenu :celui du musée des monuments français. forméàpartir de 1790 et ouvertcinq années plus tard,ilest dû àl’initiative d’alexandreLenoir (1761-1839), un élèvedupeintredoyen lequel avait obtenu d’installer un dépôt dans l’ancien couvent des augustins àparis. Lenoir expose devant le Comité d’instruction publique son projet, reçu favorablement :ilveut ordonner dans une succession de salles, la succession des siècles quiont vu l’artse perfectionner,tout ce quiarapportàl’histoiredefrance ou àl’histoiredel’art français. Celui quiad’une façon décisivecontribué au sauvetagedetant de monuments médiévaux, est au fond un classique. il applique le schéma évolutif de winckelmann àl’artdumoyen Âge, mais il partage aussi avec le savant allemand une conception de l’artcomme expression de l’épanouissement d’un peuple, de sa liberté. en vérité, le dispositif muséographique qu’il metenplace traite les œuvres 616 roLand reCht comme si elles servaient d’illustrations àune époque donnée. on peut considérer queledépôt des augustins est une sorte de laboratoireoùs’est formée la sensibilité àl’histoiredelagénération romantique –des peintres troubadours comme de Jules michelet. Le dispositif de Lenoir rejoint la conception de l’histoirequ’avaient aussi bien michelet, qu’augustin thierry ou quebarante pour lesquels l’historien doit tâcher de reconstituer le «vécu »d’une époque :samise en scène doit donner au spectateur le sentiment qu’il assiste àune véritable résurrection du passé. Lecteur de winckelmann, il l’est aussi de plutarque:son jardin élysée célèbreles figures glorieuses ou vertueuses de la france, mettant ànouveau l’œuvred’artauservice de l’histoirecomme de la morale. un projetassez singulier,qui ne peut êtrecomparéàaucune des publications que nous avons évoquées, est celui d’un anglais, george vertue (1684-1756). il recueille àpartir de 1713 d’innombrables observations tendant davantageàune histoiredelaculturequ’àune histoiredel’art–Musaeum pictorum anglicanum. vertue visite les collections, s’intéresse au marchédel’art, étudie au cours de ses voyagesles monuments autant queles traditions ou les légendes, consulte les archives. il compile des éléments pour une série de biographies d’artistes actifs en angleterre au xviie siècle. Ces carnets seront acquis àsamortpar horace walpole (1717-1797) quienfera le matériau de ses AnecdotesonPainting in England,parus de 1761 à1771, composant la premièrehistoiredel’artanglais. malgré des erreurs factuelles, walpole fait preuved’une grande objectivité :les meilleurs artistes qui ont travaillé en angleterre,dit-il, étaient étrangers –holbein et van dyck –mais il sait aussi reconnaîtrelegénie de hogarth qu’il compareàmolière. trois faits majeurs ont favorisé la genèse d’une discipline académique autonome en allemagne, au début du xixe siècle. L’histoiredel’artantique de winckelmann, la philosophie kantienne et sa définition du jugement esthétique, la philosophie de l’artdehegel quiadurablement marquélapensée des premiers historiens de l’art dans la mesureoùelle rend indissociables l’artetson histoire. on voit déjà, dans ces courants, l’importance quevaavoir la philosophie dans la construction d’une véritable Kunstgeschichte.L’histoiredel’artsedéveloppe en allemagne non pas àpartir de débats théoriques menés par et pour les artistes tels qu’ils se déploient en france au sein de l’académie, mais bien davantageenlien avec une philosophie de l’histoire. formécomme peintreàprague et àbayreuth, puis àrome, auprès de pompeo batoni, ainsi qu’à bologne, Johann dominicus fiorillo (1748-1821) enseigne le dessin àl’université de goettingen àpartir de 1781. il ydirigeaussi le cabinetdes estampes et la galerie de peintures, enseigne l’histoiredel’art, et bientôt il est aussi nommé professeur de philosophie. Ces activités cumulées n’ont rien de très inhabituel àcette époque, encoreque la liaison entrelaphilosophie et l’histoirede l’art, en tant quetelle, lui confèreune statureàpart. Ce qu’il convient surtout de noter,c’est qu’il fait une critique radicale de l’histoiredel’artcomme histoiredes artistes, mais aussi de la conception de Lanzi quifragmente l’histoireenécoles, donc en territoires. fiorillo conçoit l’histoiredel’artcomme une histoiredela succession des styles quidoit débuter là où s’est arrêté winckelmann, son modèle historiographique, et se poursuivrejusqu’àson propretemps. tout comme millin, seroux d’agincourt, Laborde, fiorillo possède un goût esthétique éminemment classique, tout en intégrant le moyenÂge dans son récit. L’artmédiéval, quidébute selon lui avec la rome paléochrétienne constitue une phase de décadence précédant trois périodes quel’on peut appeler modernes :deCimabue àraphaël, de raphaël aux Carrache puis des Carrache àmengs. raphaël est pour lui, comme pour bon histoire de L’arteuropéen médiévaL et moderne 617 nombred’auteurs romantiques –wackenroder,tieck, etc. –, le sommetdel’art, égal aux plus grands sculpteurs de l’antiquité. il conçoit les cinq volumes de sa Geschichteder zeichnenden Künste vonihrer Wiederauflebung bis auf die neuesten Zeiten, publiés àgoettingen de 1798 à1808, dans cette perspective. quatreautres volumes paraîtront àpartir de 1815, cette fois consacrés àl’allemagne et aux pays- bas :enréévaluant les peintres allemands, il illustrel’importance du sentiment patriotique consécutif aux guerresnapoléoniennes. il appelle l’architecturegothique «lavéritable architectureallemande »etlasitue entrelexiie et la finduxve siècle. ses commentaires sur les monuments ou les enluminures sont très sommaires, ses jugements plutôt expéditifs, mais il est l’un des premiers historiens de l’artà accorder une importance àl’étude des documents et àlaconnaissance empirique des œuvres. La personnalité et la production impressionnante de fiorillo, ont exercé une influence indiscutable sur ses élèves parmi lesquels on compte wackenroder mais surtout Carlfriedrichvon rumohr (1785-1843). mais en allemagne se déploie alors un mouvement historiographique où rayonnent des noms comme celui de l’historiographe de la cour de prusse, barthold georg niebuhr (1776-1831) ou celui de Leopold vonranke(1795-1886), les modèles de la critique textuelle, philologique et historique, s’inscrivant dans la tradition des mauristes. L’histoirenepeut se baser quesur des témoignages et des sources soumises àlacritique. L’objectivité revendiquée par rankevasiloin qu’il pensait quel’historien doit pouvoir raconter un événement historique tel qu’il s’est réellement passé. toute la conception de l’histoires’est trouvée marquée par ces deux modèles durant le xixe siècle :l’école historique telle qu’elle s’élaboreenfrance vers la fin du xixe siècle, prend pour modèle la science critique-historique allemande. Le premier ouvrageappliquant àl’étude des œuvres d’artdupassé la méthode critique-historique, est celui de gustav friedrichwaagen (1794-1868), Ueber Hubertund Johann VanEyck,publié en 1822. mais l’étude des sources ne devient vivante, selon waagen qu’après une contemplation active:«lireetregarder »sont en effetdeux activités qui«doivent êtreétroitement liées (et) se compléter mutuellement ». L’écrituredel’histoiredel’artn’est possible qu’en yassociant l’histoirepolitique, ecclésiastique et littéraire. il convient de rappeler cependant quewaagen était, de par son activité d’homme de musée –ildirigelagalerie de peintures du musée royal de de 1830 àsa mort–,undes meilleurs connaisseurs de son temps. Comme pour la plupartdes romantiques allemands, la révélation de l’artest née au cours de ses visites dans la galerie de dresde (qui conservait un des chefs-d’œuvrederaphaël, la fameuse madone sixtine). mais il étudie aussi l’histoire, la philologie et la philosophie. L’influence de niebuhr fut déterminante. L’idée d’écriresur les van eyck ason origine dans l’autrerévélation quefut pour lui la visite de la collection des primitifs rhénans des frères boisserée àheidelberg. Le livreest assurément le premier travail accompli portant sur les primitifs un regard quinesoit pas tributaired’une esthétique classique, mais quipartdedeux séries de données objectives, les documents et les œuvres. waagen va également pratiquer le genresirépandu de la littératuredevoyagesous la forme épistolaire: son livre Kunstwerke und Künstler in England und Paris,publié de 1837 à1839, est destiné àunpublic d’amateurs auquel il peut servir de guide, mais il pense aussi satisfaireplus simplement un besoin de l’esprit.aussi visite-t-il les collections particulières et privées :ontrouvepar exemple, dans la deuxième lettreduvolume 3, une véritable histoireducollectionnisme en france depuis les valois. Ces visites 618 roLand reCht ne sont pas toujours sans arrière-pensée :les 677 tableaux de la collection d’edward sollyqu’il présente dans le deuxième volume, seront acquis par le musée de berlin. il s’agit, pour son auteur,dupremier essai pour écrireune «histoiredelapeinture en france, dans les pays-bas, en angleterre et en allemagne, dans ses grandes lignes depuis le viie siècle jusqu’au xve ». waagen considèreque l’on ne peut comprendreles innovations quesil’on prend en compte l’ensemble des facteurs historiques :l’histoirenationale de l’artetles œuvres des artistes individuels constituent un système d’explication réciproque. plus précisément, pour interpréter le caractèreartistique d’un individu, «ilfaut parler de son lieu de naissance, des circonstances de sa vie, de son caractèredans la mesureoùces données sont aussi utiles àlacompréhension de son artque l’histoirepolitique, la constitution, etc., qu’à celle de l’orientation artistique de tout un peuple ». La possibilité de l’artest tout simplement tributairedes conditions historiques :encela, la position de waagen n’est pas très éloignée de celle d’un taine. Àpropos de la bourgeoisie néerlandaise quiaprisnaissance dans le milieu féodal, il définit des traits de caractèretels l’amour de la liberté, la fidélité, le courage, la constance, la ténacité, l’endurance, l’habileté technique, une certaine bonhomie, etc. L’histoiredel’artforme le récit de changements intervenant à l’intérieur de ce cadrequi demeurefixe. waagen pense quel’individualité d’un artiste est marquée par le caractèrenational quipeut êtreappréhendé àpartir de son œuvre, une conviction quepartageait déjà friedrichschlegel. La psychologie individuelle est sensible àtravers la religiosité particulièredevan eyck,c’est-à-dire la façon dont il appréhendait les phénomènes de la foi. et ainsi cette religiosité se manifeste-t-elle dans son œuvre. avec rumohr,l’histoiredel’artseconstruit comme une discipline àpartentière, avec ses objectifs précis et ses méthodes :«concevoir la Kunstgeschichte comme un tout cohérent et organique ». Àlasuite de ses séjours en italie où il exploreles sources documentaires en même temps qu’il se familiarise avec les œuvres et fréquente le milieu des peintres nazaréens réunis àrome, rumohr publie en 1827 les deux premiers volumes de ses Italienische Forschungen dont l’intitulé indique bien qu’il les considèredavantagecomme un recueil monumental de documents et de réflexions sur l’artitalien dont le point culminant est, pour lui aussi, raphaël. Comme winckelmann, il séparelapartie théorique de la partie historique. sa position philosophique est anti-hegelienne dans la mesureoùrumohr défend une conception empirique de l’artetles pages les plus neuves sont celles où il explore la dialectique de la matièreetdustyle. Celui-ci, qu’il définit comme «l’accorddes relations spatiales », ne détient pas le même statut selon qu’il parle de peinture, de sculptureoud’architecture. en concentrant l’attention sur le style, rumohr inaugure une phénoménologie de l’œuvred’artqui mène àmorelli, àwölfflin, àberenson, àLonghi –bref, àtoute une généalogie de grands formalistes. mais il n’ajamais considéréque le connoisseurship pouvait êtreune finensoi. friedrichschlegel voulait conceptualiser l’artd’une façon historique, selon les peuples, les nations et les époques. waagen et rumohr admettent la notion d’unités nationales –des totalités relatives –qui marquent l’histoire, et pensent ainsi détenir le cadred’une narration historique de l’artplus vraisemblable :onpasse alors d’histoires classées chronologiquement à une histoire (herbertschnädelbach). avec franz theodor kugler (1808-1858) aété abordée une personnalité qui occupe une place centrale dans la naissance de l’histoiredel’art. après des études de littératureallemande aux universités de berlin et de heidelberg, il obtient un histoire de L’arteuropéen médiévaL et moderne 619 diplôme d’arpenteur àl’académie d’architecturedecette ville. À25ans, il présente son habilitation où il étudie un manuscrit du xiie siècle – Die Bilderhandschriftder Eneid. Ein Beitrag zur Kunstgeschichtedes 12ten Jahrhunderts (1834). son intérêt se porte aussi très tôt sur l’architecture:il pense que«la plus grande force morale de l’art» réside dans les monuments, architecture, peintureousculpture, quipeuvent êtreconsidérés comme autant de «lieux de mémoire»(Gedächtnisstätte)qui ont pris forme, àunmoment donné, àpartir d’un grand enthousiasme collectif. «unpeuple sans monuments est un peuple sans histoireetsans patrie », dit encorekugler. il accorde une grande importance àlapublication de manuels. Celui qu’il consacre en 1837 àlapeinture–Handbuchder Geschichteder malerei vonKonstantin dem Grossen bis auf die neuereZeit –serait une simple compilation, selon lui, mais on yrencontrebeaucoup d’observations personnelles quirévèlent un regard et une pensée particulièrement originaux. par exemple, il distingue dans la nouvelle peintureallemande deux courants :celui, néo-classique, consécutif àl’œuvrede winckelmann, et celui quiest dû àlaredécouverte des primitifs du moyenÂge. en 1841-1842, kugler dédie àfrédéric guillaume iv son Handbuchder Kunstgeschichte où il concrétise le projetdidactique formulé par hegel dont il avait suivi l’enseignement àberlin, d’une histoireuniverselle de l’art. encorequ’il ne faudrait pas négliger de mentionner un ouvragepeu connu d’amadeus wendt (1783-1836), compositeur et théoricien de la musique, quireprend ses cours donnés àgoettingen en été 1829 : Über die Hauptperioden der schönen Kunst oder die KunstimLaufeder Weltgeschichte (1831). il s’agit d’une périodisation de tous les arts, tentativedont l’auteur souligne l’originalité, quireste évidemment très sommaire. dans le prospectus de son livrede1841, kugler précise son ambition : «L’objectif quevise l’auteur de ce travail, est de suivrepas àpas le développement progressif de l’art. dans la mesureoùnos connaissances actuelles le permettent, chaque degré particulier sera présenté dans son développement singulier,dans ses commencements, dans ses manifestations significatives, et jusqu’àses effets et ses répercussions les plus tardifs. Ce n’est quepar ce moyenqu’il sera possible de donner une claireprésentation du développement général, tandis quedans un arrangement purement synchronique, les phénomènes le plus divers devraient souvent se voir juxtaposés ». Cette édition est dépourvu d’illustrations, celles-ci –qu’il emprunte àdes ouvrages existants –n’intervenant quedans la troisième édition du Handbuch :kugler reconnaît alors qu’elles facilitent la compréhension de certains caractères particuliers. déjà rumohr,déjà kugler considèrent quel’histoiredel’artfait partie de l’histoiredelaculture. L’œuvremagistrale de Jacob burckhardt (1818-1897) qui exercera une influence considérable sur des générations d’historiens et d’historiens de l’art–pour ne nommer quedeux héritiers directs :lefrançais eugène müntz et l’allemand abywarburg–livredelarenaissance italienne une imageradicalement neuve. dans Die Kultur der Renaissance in Italien. Ein Versuch (1860) il cherche àdégager les caractères dominants, constants, structurels de cette époque et les œuvres d’artsont àses yeux certes des objets de délectation mais surtout des sources documentaires de premièreimportance si l’on veut saisir la psychologie des hommes de la renaissance et les motivations de leurs conduites. Le cours proprement dit de cette année s’est achevé par une évocation sommairedecegrand historien. 620 roLand reCht

laleçon de clôture :scénographie de la leçon d’art. l’œuvre d’artàl’ère de sa projection

La leçon de clôturedelachairedu24février ne s’est pas pliée àl’usagequi veut queletitulaireyprésente une sorte de bilan de son activité. il lui asemblé qu’un propos prospectif et non rétrospectif était davantageadapté àcette circonstance qui, après tout, marquemoins une fin, qu’un passaged’une activité àune autre. Cette leçon aété consacrée àl’apparatus de l’historien de l’art–d’abordles gravures et photographies, puis les appareils servant àlaprojection des plaques et des diapositives et enfin les logiciels informatiques tels quelepowerpoint. franz kugler,lorsqu’il publie en 1853 ses Kleine Schriftenund Studien zur Kunstgeschichte,qu’il dédie àJacob burckhardt, les accompagne de 500 illustrations gravées selon la technique de la chalcotypie, en grande partie par lui-même, le tout d’après des dessins qu’il avait exécutés durant ses voyages. d’autrepart, l’invention du papier photopar william henryfox talbot en 1841, puis au cours des années 1850 du procédé négatif-positif quipermetlamultiplication d’une même photoet du papier albuminé dont les tirages sont infiniment nuancés, permettront l’ouverture de grandes maisons d’édition (alinari, braun, etc.) quisespécialisent dans la reproduction d’œuvres d’art. on assiste progressivement àlanaissance d’une histoirephotographique de l’art,l’usagedelaphotographie ne devenant habituel pour un historien de l’artqu’àlafin du xixe siècle. Àstrasbourg, par exemple, dans les années 1890, georgdehio évoque l’usageduskioptikon, le premier appareil de projection de plaques photographiques, quis’ajoute aux collections de photographies sur papier et de moulages quepossède alors cette jeune université. mais les sciences naturelles avaient déjà recours au skioptikon, voiremême àcelui muni d’un double objectif quipermetdes projections parallèles. unediscipline ne peut avoir recours àdenouvelles techniques d’exploration sans queses méthodes ne s’en trouvent affectées. C’est ce quis’est passé avec l’invention de la projection lumineuse pour l’histoiredel’art; déjà au xviiie siècle, nous assistons àunphénomène analogue. L’abbé Jean-antoine nolletoccupe la chaire de physique expérimentale du Collègedenavarre et son enseignement yconnaît un succès immense, notamment parce qu’il l’accompagne d’expériences àl’aide d’instruments, faites devant le public. L’optique tient une place dans ses intérêts et il donne dans un ouvrageparuen1770 des procédés pour construiredes chambres obscures portatives et des polemoscopes ainsi quedes lanternes magiques. tout au long du xixe siècle, on procède àdes perfectionnements des systèmes de projection lumineuse :lelampascope permetdeprojeter des vues peintes àlamain de 65 mm ; un opticien nommé duboscq introduit en 1853 les plaques photographiques pour le phénakistiscope, une préfiguration du cinéma. mais ces procédés avaient l’inconvénient de n’êtreefficaces quedans un petit cercle de spectateurs. par contre, le polyorama quiest un appareil àprojection double permettant l’effetdufondu- enchaîné, est très en vogue dans les années 1880 dans les théâtres parisiens. Les plaques lumineuses de vues photographiques, inventées par les frères Langenheim àphiladelphie en 1848 seront rapidement adoptées en europe :d’une taille de 85/100 mm, elles supportent de forts grossissements. Lors du 1er Congrès international de la Kunstwissenschaft,en1873, un professeur de karlsruhe est le premier àutiliser des plaques lumineuses. L’un des cinq points àl’ordredujour de ce congrès porte sur la diffusion et l’enrichissement des collections documentaires histoire de L’arteuropéen médiévaL et moderne 621 photographiques. quant aux premières diapositives en couleurs de 35 mm, elles feront leur apparition au milieu des années 30. Àberlin, herman grimm s’enthousiasme àcepoint pour le skioptikon qu’il congédie l’analysedes sources documentaires et les biographies au profit de cette soudaine épiphanie de l’œuvred’artaumilieu de la salle de cours :«Le chef-d’œuvre apparaît brusquement sur le mur !»Le pouvoir d’agrandissement lui apparaît aussi déterminant quel’était le microscope solairedans le progrès de la science. agrandir, ce serait entrer directement en relation avec le créateur,ceque même l’examen de l’original ne permetpas, martèle grimm. dans les propos tenus par les historiens de l’artsur leur apparatus, il est symptomatique qu’ils confondent l’objetphotographié et sa reproduction. erwin panofsky,évoquant les cours de son maîtrewilhelm vöge àfreiburg, dira que, lorsqu’il prenait la parole devant les projections, «ilrenouvelait le bonheur de la premièrerencontre».mais longtemps encore, ce nouveau medium ne va pas se substituer aux photographies montées sur cartons, mais les accompagner. L’épidiascope rendra lui aussi de grands services jusqu’àune époque encorerécente. dans son cours de l’école du Louvre, salomon reinachofficie devant la Victoirede Samothrace en même temps qu’il projette des images sur un grand écran placé àcôté d’elle. mais l’apparatus ne sertpas tant àillustrer le cours qu’à le structurer.ilest donc nécessaired’étudier,enmême temps queson élaboration, le comportement des professeurs saisis dans cetespace de la salle de conférences, entrelepublic et l’imageprojetée, l’œuvreoriginale dont il est question étant bien sûr absente. ainsi, la langue très recherchée, poétique, suggestive, dans le fildel’improvisation de wilhelm vöge, était tout entièredestinée àunpublic d’auditeurs ou de lecteurs mais certainement pas de spectateurs de projections. Àladifférence de heinrich wölfflin, quiéconomisait les mots, gardant toujours une certaine distance entrelui et l’imagesur l’écran. se plaçant du côté de l’auditoire, au milieu de longs silences, il faisait venir les mots doucement, comme s’il ne les avait pas préparés. Le véritable objetdecontemplation est alors l’écran. Les cours d’henrifocillon sont sans doute plus proches de ceux de vöge:sa rhétorique est très suggestive, il mobilise toutes les ressources expressives du langage. déambulant entreles pupitres de l’auditoire et n’accordant pas une importance excessiveaux projections qu’en raison de sa grande myopie, il ne voyait pas avec suffisamment de netteté. abywarburg, lui, avait un débit rapide, les mots se bousculaient en raison de la densité de la pensée :unauditoirepeu averti avait d’autant plus de mal àlesuivre qu’il utilisait surtout après 1924 les planches de son atlas en cours, Mnemosyne,sur lesquelles étaient agrafées des centaines de reproductions. on ne pouvait comprendre son raisonnement quedans les deux ou trois premiers rangs, et ses conférences duraient parfois plusieurs heures. warburgs’intéressait de très près aux progrès de la photographie en couleurs, et la salle de lecturedelabibliothèque de hambourg comprenait un épidiascope et un projecteur lumineux (à double objectif ?) mais il semble qu’il leur préférait les grands panneaux tendus de toile noiresur lesquels il agrafait des images et dont la composition variait constamment.

seminaire :bilan de la recherche

Les journées des 9et16mai ont été consacrées àunbilan de plusieurs recherches menées actuellement par de jeunes historiens de l’artenfrance. un certain nombre 622 roLand reCht d’entreelles portent sur l’architecture. Àpartir de sept chapiteaux de l’Enfance de la cathédrale de Lyon, nicolas reveyron(université Lumière-Lyonii) atraité de «spatialité et rhétorique dans la construction d’un programme iconographique ». Christian sapin (Cnrs), de «Lafonction et la construction des cryptes àlalumière de l’archéologie du bâti ». Concernant des périodes plus récentes, alexandre Cojannot (archiviste paléographe) amontré«Les enjeux de la restitution graphique en architecture: le cas de l’hôtel tambonneau àparis (1642-1644) »etJulien noblet(CentreandréChastel) aparlé de «L’architectureenpans de bois de tours et d’orléans :l’apportdes études archéologiques du bâti ». anne Lafont (inha) afait un exposé sur «ducabinetàl’encyclopédie :formes et lieux de l’histoiredel’arten1740 », aline magnien (musée rodin) aparlé d’« histoiredel’artetart du ‘bricolage’ :dequelques problèmes sculpturaux (xviiie - xixe siècle) »ethervé brunon (Cnrs, CentreandréChastel) du «paysagede grottes dans les jardins européens ou de la topothésie àl’hypertopie ». enfin, michel hérold (CentreandréChastel) aexposé un bilan des travaux relatifs au vitrail en france :«soixante ans après. Les travaux du Corpus vitrearum (1952-2012) ».

activités du professeur

nommé membredujurydel’institut universitairedefrance et de la commission arts du Centrenational des Lettres.

publications 2011-2012

rechtr., dupeux C. et roller s. (dir.), Nicolas de Leyde, sculpteur du xve siècle. Un regard moderne,catalogue de l’exposition du musée de l’œuvrenotre-dame, du 30 mars au 8juillet2012, strasbourg, éditions des musées de la ville, 2012. rechtr., «nicolas de Leyde et son temps », ibid., 18-25. rechtr., «strasbourg, une métropole artistique au xve siècle », ibid.,53-56. rechtr., notices n° 20, 21, 22, 23, 50, 64, ibid. rechtr., «Laréception du romantisme allemand de david d’angers àfocillon », Histoire de l’artduxixe siècle (1848-1914). Bilans et perspectives,colloque du musée d’orsayetde l’école du Louvre, septembre2007, xxie rencontredel’école du Louvre, paris, 2012, 105-117. rechtr., «Lagrande lumièredumonde se diffracte en mille couleurs… sciences, croyances et peinturedans l’allemagne romantique », L’Europe des Esprits ou la fascination de l’occulte, 1750-1950,catalogue de l’exposition du musée d’artmoderne et contemporain de strasbourg, 8octobre2011 au 12 février 2012, strasbourg, éditions des musées de la ville, 2011, 38-58. rechtr., «uncorps athlétique au xiie siècle. Àpropos du codex78a6deberlin et des fonts baptismaux de Liège»,in alcoyr., allios d., bilottam.a et gianandrea m. (dir.), Le plaisir de l’artduMoyen Âge. Commande, production et réception de l’œuvred’art. Mélanges en hommageàXavier Barral iAltet,paris, picard, 2012, 24-31. rechtr., «niclaus gerhaertund seine zeit », Niclaus Gerhaert, der Bildhauer des späten Mittelalters,catalogue de l’exposition du Liebighaus skulpturensammlung, francfort, du 27 octobre2011 au 4mars 2012, 21-31. rechtr., «notice sur la vie et les travaux de Jacques thuillier », La lettreduCollègede France,34, juillet2012, 30-33. histoire de L’arteuropéen médiévaL et moderne 623

rechtr., préface de sapin Ch. (dir.), Saint-Étienne d’Auxerre,laseconde vie d’une cathédrale. 7ans de recherches pluridisciplinaires et internationales,Centred’études médiévales d’auxerre,paris, picard, 2011, 9-10. rechtr., préface de heckCh., Le Ci nous dit. L’imagemédiévale et la culturedes laïcs au xive siècle. Les enluminures du manuscrit de Chantilly,turnhout, brepols, 2011, 9-10.

conférences

14-15 juin 2012, «L’évolution de la notion de patrimoine », exposé dans le cadredes Journées d’étude du 3e cycle de l’école du Louvresur le thème Reconnaissance et médiations d’un patrimoine :vecteur d’une identitéterritoriale ? 17 novembre2011, présidence de la Journée d’études sur Le Musée des monuments français et la construction de l’histoire dans le cadreduprogramme de recherches «Le musée des monuments français d’alexandreLenoir.histoireetcollections », inha, paris.

presse

au printemps 2012, en désaccordavecl’orientation récente du périodique, le professeur a mis finàsachronique mensuelle dans le Journal des Arts. –«patrimoine monumental. éléments pour un bilan du quinquennat », entretien avec flouquets., La revue des vieilles maisons françaises,243, mai 2012, 5, 13, 14. –«L’invention du gothique. toujours plus haut !», Le Nouvel Observateur, Les secrets des cathédrales,h.s. 80, juillet-août 2012, 14-17.