These De Doctorat D'etat Jules Verne Et L'imaginaire
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UNIVERSITE DE LA SORBONNE NOUVELLE (PARIS III) EQUIPE XIXe - GITVH UNIVERSITE PARIS 7 BIBLIOTHEQUE Lettres <ATTillisible> 6573 THESE DE DOCTORAT D'ETAT JULES VERNE ET L'IMAGINAIRE SES REPRESENTATIONS ET SES FONCTIONS PRINCIPALES DANS LA PERIODE DE FORMATION DE L'ŒUVRE ROMANESQUE (1851 - 1875) TOME II par Jean DELABROY Rapporteur : Monsieur le Professeur FAIOLLE - 377 - EQUIPE XIXe - GITVH UNIVERSITE PARIS 7 BIBLIOTHEQUE Lettres CHAPITRE IV LA DISPONIBILITE ETERNELLE DE LA NATURE (Une image troublée de la possession) Notes et références p. 445 - 378 - - I - L'esprit positif - Les trois premiers motifs que nous avons isolés pour les analyser ont situé notre recherche d'emblée au cœur de ce qui s'avère être l'un des champs majeurs, sinon même le champ fondamental, où l'imaginaire vernien trouve à se développer, au travers des premiers Voyages Extraordinaires : au cœur de ces représentations qui prennent pour objet la société moderne, sous tous ses aspects (projets significatifs, croyances dominantes, individus représentatifs, etc.). Si la conquête, l'exploit, la gloire se sont imposés à notre at• tention avant tous autres motifs possibles, la raison en est double. C'est bien évidemment qu'ils sont par excellence ceux dans lesquels se sont in• carnées la positivité, la force de persuasion dont la nouvelle foi du corps social était porteuse, ou bien avait besoin d'être dotée. C'est encore parce qu'ils ont eu le privilège exclusif de fixer une fois pour toutes l'image de l'écrivain Jules Verne (non pas tant d'ailleurs dans l'histoire litté• raire, qui s'en est à vrai dire peu préoccupée, qu'auprès de cette cons• cience collective qu'il est convenu, mais un peu simple, d'appeler son pu• blic (1). Cependant, une raison en quelque sorte inverse rend aussi ces images prioritaires pour l'observation. Parce que, même en elles, faudrait- il dire, - avec leurs apparitions attendues et leurs allures transparentes — une lecture scrupuleuse bute sur de singulières complications, et peut rapi• dement faire apparaître ce point essentiel : la présence, dans (il vaut - 379 - mieux dire : dès) les premières grandes œuvres de J. Verne, d'un double mouvement, simultané et contradictoire, qui agite l'organisation des repré• sentations. En résumé, qu'en est-il de ces polarisations alternatives ? Le partage de l'imaginaire - D'un côté, ou initialement, l'aventure fictive - telle qu'elle est présentée (c'est-à-dire particularisée de la manière suivante : scien• tifiquement, comme un achèvement ; techniquement, comme une perfection ; institutionnellement, comme un triomphe) semble avoir pour fonctions, d'une part, de développer des actions absolument tranquilles et tranquillisantes, inaccessibles au doute et n'autorisant pas le soupçon ; et d'autre part, de révéler des agents complètement épanouis, ces héros pleins de leur mis• sion. Depuis les préparatifs du départ (sur lesquels nombre de récits insis• tent, comme tout lecteur des Voyages Extraordinaires en fait l'expérience, avec une lourdeur imperturbable (2)) jusqu'aux cérémonies de clôture des expéditions, le théâtre de la science s'avère si minutieusement disposé et réglé que rien, ni possible discordance qui pourrait émaner du "réel" voisin, ni pensable perturbation de l'histoire, n'apparaît en mesure d'y faire ir• ruption ni obstruction. Les raffinements propres aux temps modernes - l'excel¬ lence des projets aussi bien que des moyens et des œuvres qu'ils mettent à portée de conception et de réalisation - ont pour effet de rejeter dans une sorte de "marge" des récits (il faut nous contenter pour le moment de l'ap• proximation d'une telle métaphore (3)) les signes, multiples mais divers et ténus, de l'inquiétude et de l'effroi, qu'il s'agisse des contestations de - 380 - la gloire ou des ravages subis par les corps. En, d'autres termes, dans ce premier mouvement, on dirait que l'i• maginaire vernien cherche, et parvient en effet, à fournir à l'imaginai• re des contemporains une image socialement pure, ou épurée, de ses savants. Tous, ils sont prophètes des progrès de la connaissance, tous, professeurs en maîtrise des machines, tous, parangons de l'activité des hommes du 19ème siècle. Mais d'un autre côté, ce sujet socialement parfait, à l'abri der• rière les garanties de toutes sortes qui établissent ou qui signent cette irréprochabilité, paye, pourrait-on dire, cette situation exceptionnelle que lui octroie le présent, d'une claustration qui ne laisse pas d'apparaî• tre excessive, et à la limite comme inquiète de son invraisemblance môme (4). Le point auquel on touche ici est à vrai dire crucial. C'est que l'on n'a guère de raison de croire que ce ne soit pas l'effet d'une volonté précise chez J. Verne, si toute la part des récits, qui, à raisonner au re• gard de leur logique apparente, devrait en être éliminée, y demeure au contraire présente - c'est-à-dire non seulement lisible, mais active. Propos moqueurs ou détails accusateurs s'accumulent en effet, qui de peu en peu prennent à contre-pied les affirmations trop sereinement posées à propos des savants et de leurs entreprises. Rejetés par l'aventure, tout au moins telle que les images contemporaines l'informent (l'appelant et la nourris• sant), de nombreux aspects du réel - plus exactement : de ce qui se met sou• dain, au détour de tel ou tel épisode, à apparaître comme du réel, par con• traste avec ce qui vire brutalement à quelque chose comme du fictif - font retour. Ces aspects, parmi lesquels compte au premier chef une longue série d'interpellations sociales tantôt saugrenues, ou tantôt sévères, se signalent - 381 - à et dans l'effort du héros vernien, comme ce qu'il devrait avoir pour tâche de prendre en considération, bref, en valeur absolue, comme son objet par priorité. Dans ce second mouvement, le caractère spectaculaire des actions et agents de la science moderne n'a plus la fonction d'indiquer qu'elle est au faîte de ses pouvoirs. Il devient plutôt chargé de la désigner comme une sorte de bel objet social imaginaire, trop beau pour qu'on puisse s'y mé• prendre ou s'en satisfaire. Ici se met en place le symptôme d'un délitage des systèmes contemporains d'images collectives, qui pourrait bien être la marque véritable de J. Verne écrivain. Une représentation critique, infidè• le (5), tourne souvent les défenses d'une représentation fidèle, transpa• rente. Comme si, nonobstant le travail qui leur est assigné, les productions imaginaires verniennes s'efforçaient de confronter l'imaginaire contempo• rain avec lui-même, de le mettre face aux déguisements ou aux oublis qui seraient les recours excessivement commodes de sa bonne foi. La déstabilisation des représentations - Ainsi, l'attirance et la répulsion, dans les Voyages Extraordinai• res, s'échangent et se balancent l'une l'autre, tant à l'égard des effets de véracité que vis-à-vis des effets de fiction. Ce battement, qui semble spécifique pour nous de l'œuvre de J. Verne, est en tous cas de quelque conséquence pour l'interprétation que nous sommes conduit à en faire. L'alternance des deux postures, les interférences d'un registre à l'autre : tout cela rend précaire, ou bien superficielle, toute signifi• cation (6). Terrain mouvant, où les équilibres ne se définissent jamais - 382 - qu'en fuite, ou bien en faux-semblant : cette qualité de l'imaginaire ver¬ nien et de son travail affecte inévitablement notre recherche, en l'obli• geant à une extrême ductilité dans ses analyses. A moins, au contraire, qu'il nous faille faire de cette charge une chance : qui consisterait à être contraint d'entrer dans les détails touffus, ambigus, d'énoncés ordi• nairement simplifiés, à nous plier à leurs ruses et dérobades - manière d'a• voir accès, sans qu'il y en ait d'autres, au profond travail de l'œuvre. Au vu des premiers réseaux examinés, en effet, l'agitation dont sont prises les représentations chez J. Verne serait tout sauf un effet de confusion : soigneusement calculée, plutôt, pour faire en sorte que les fictions, et les lecteurs avec elles, s'éloignent sans retour de tout dis• cours paisiblement arrêté, constitué. A côté de la transcription, ou, pour• rions-nous dire, de l'"encodage" des valeurs et sens organisateurs de l'ima• ginaire du temps, et portée par le même mouvement, opère la transgression, ou le "décodage", de ces mêmes motifs. Si la première fonction est acceptée, un peu comme un rôle distribué, la seconde opération est revendiquée et exercée comme une ambition propre, et, par son pouvoir de mise en question, elle prime à nos yeux sur l'autre, dans l'appréciation que nous tentons des Voyages Extraordinaires. Il nous semble possible d'établir d'ores et déjà que l'approche des romans de J. Verne doit se situer dans une double perspective. Il faut certes les considérer comme des œuvres immergées dans l'imaginaire, autre• ment dit, porteuses de représentations personnelles et collectives, vis-à- vis desquelles le rapport entretenu est nécessairement pour partie empreint de complicité et aussi de méconnaissance. Mais aussi il faut les lire comme des œuvres travaillant sur l'imaginaire, c'est-à-dire appliquées, dans la - 383 - mesure de leur possible, à dévoiler la nature imaginaire et les enjeux des représentations produites dans les consciences, celle de l'auteur autant que celles des lecteurs. II Le don de nature - "L'arbre sur lequel Glenarvan et ses compagnons venaient de trou• ver refuge [...], c'était "l'ombu" [...]. Cet arbre au tronc tor• tueux et énorme est fixé au sol non seulement par ses grosses ra• cines, mais encore par des rejetons vigoureux qui l'y attachent de la plus tenace façon.