UN NOUVEAU ROI À LA FIN DE L’ÉPOQUE LIBYENNE : PAMI II

PAR

RAPHAËLE MEFFRE – FRÉDÉRIC PAYRAUDEAU Mission française des Fouilles de Tanis

Les travaux actuels de la Mission française des Fouilles de Tanis concernant le dossier des blocs archaïsants trouvés sur le site1 ont permis une nouvelle lecture d’une scène jadis reconstituée par Pierre Montet2. L’assemblage de trois blocs provenant du lac sacré d’Amon (nos 248-250)3 forme la partie supérieure d’une scène faisant intervenir le roi, coiffé de la couronne rouge, suivi de son (fig. 1a-b). Le nom d’Horus, placé comme d’ordinaire sur la tête du ka, avait été lu Netjert(y)khâou par Montet. En revanche, dans le cartouche volontairement arasé légendant l’image du roi, le savant n’avait lu qu’un signe p, en pensant­ reconnaître le nom d’un roi Pépy ayant régné au premier millénaire avant notre ère4. Un autre bloc du lac sacré d’Amon (no 251) porte le nom d’Horus Netjer[…], associé cette fois au prénom de couronnement Néferkarê (fig. 2). L’identification de ce roi Néferkarê P[épy] a été considérée comme douteuse par K. A. Kitchen, qui évoque la possibilité qu’il s’agisse de Pépy II5, et M.-A. Bonhême6. J. von Beckerath a quant à lui écarté la lecture P[…] du nom de naissance ; sur la foi d’un autre bloc du lac sacré d’Amon (no 254), il a postulé l’existence d’un roi Nfr-kꜢ-r῾ Ỉ[…] dont les deux noms auraient été inclus dans un même cartouche7.

Un nouvel examen en lumière rasante du cartouche arasé des blocs de l’assemblage (nos 248-250) a permis d’assurer la lecture PꜢ-mỉw. Cet assemblage fait donc connaître un Horus Netjer(y)khâ Pami. Associé au bloc mentionnant un Horus Netjer(y)khâ Néferkarê (no 251), il assure donc l’existence, ignorée jusqu’ici, d’un pharaon Néferkarê Pami. D’autres blocs de style très semblable, récemment mis au jour dans le lac sacré de Mout

1 Pour quelques réflexions sur les monuments archaïsants remployés dans les deux lacs sacrés de Tanis, voir R. Meffre – Fr. Payraudeau, « Enquête épigraphique, stylistique et historique sur les blocs du lac sacré de Mout à Tanis : Commentaires à propos d’un ouvrage récemment paru », BSFE 199 (2018), p. 128-143. 2 P. Montet, Le lac sacré de Tanis, 1966, p. 73 et pl. XXXII et LXXXII-LXXXIII, nos 248-250. 3 Les numéros de blocs provenant du lac sacré du domaine d’Amon renvoient à leur publication par P. Montet, op. cit. 4 Voir ibid., p. 74-75. 5 K. A. Kitchen, The Third Intermediate Period in Egypt (1100-650 B. C.), 2004, § 78-79, roi no XIV (ci-après KTIP). 6 M.-A. Bonhême, Les noms royaux dans l’Égypte de la Troisième Période Intermédiaire (BdE 98), 1987, p. 224-225. 7 J. von Beckerath, Handbuch der ägyptischen Königsnamen (MÄS 49), 1999, p. 212-213, c.

Revue d’égyptologie 69, 147-158. doi : 10.2143/RE.69.0.3287256 Tous droits réservés © Revue d’égyptologie, 2019. 148 R. MEFFRE – Fr. PAYRAUDEAU

à Tanis, portent les noms Néferkarê et Pami ; l’identité de leur facture confirme l’identifi- cation du roi Néferkarê au fils de Rê Pami8. Ce roi est évidemment différent d’Ousermaâtrê Pami, père de Chéchonq V, qui a régné au début du viiie siècle : leurs noms de couronnement sont en effet différents, de même que le style de leurs monuments. L’archaïsme des monuments de Pami II est tellement poussé qu’il ne saurait être replacé avant la fin du viiie siècle av. J.-C., quand la tendance archaï- sante est bien installée9. De même, il n’est pas possible d’identifier ce Néferkarê Pami II au roitelet Néferkarê Ouahibrê connu par la corniche Caire JE 9273 et deux manches de sistres (Berlin ÄM 8182 et coll. part.)10 ; celui-ci a probablement régné plus récemment, à l’époque saïte ou peu après11.

Monuments attribuables au règne de Pami II Les monuments que l’on peut attribuer à Pami II sont tous des fragments architecturaux décorés d’origine tanite remployés dans les lacs sacrés d’Amon et de Mout. Ceux qui portent les noms royaux sont les blocs énumérés ci-après.

Provenant du lac sacré d’Amon (LSA) :

–– blocs nos 24 et 25 (fig. 3a-b) portant le nom de naissance du roi Pami12 ; –– blocs nos 248-250 formant un assemblage (fig. 1a-b)13. Le nom de naissance Pami y a été arasé ;

8 R. Meffre – Fr. Payraudeau, op. cit., p. 136-140. 9 Sur ce point, voir ibid., p. 130-132, 136-140 et 142 et pour les domaines d’extension de la tendance archaïsante : O. Perdu, « La tendance archaïsante en Égypte aux époques tardives : art de la copie ou de l’imitation ? », dans H. Gaber – N. Grimal – O. Perdu (éd.), Imitations, copies et faux dans les domaines pharaonique et de l’Orient ancien (EdE 16), 2018, p. 198-273. 10 À propos de ces objets, voir K. Jansen-Winkeln, Inschriften der Spätzeit. III: Die 25. Dynastie, 2009, p. 256-257, nos 18-19a (série abrégée ci-après JWIS). 11 À propos de ces objets, voir récemment Fr. Payraudeau, « La situation politique de Tanis sous la XXVe dynastie », dans P. Kousoulis – N. Lazaridis (éd.), Proceedings of the Tenth International Congress of Egyptologists, University of the Aegean, Rhodes, 22-29 May 2008 (OLA 241), 2015, p. 851-852. 12 P. Montet, op. cit., p. 44 et pl. VI pour les dessins et pl. XLVIII pour la photographie du bloc no 25 ; J. Yoyotte, « Des lions et des chats : Contribution à la prosopographie de l’époque libyenne », RdE 39 (1988), p. 162-164, doc. D, et pl. 3 ; JWIS II, p. 259, no 1. 13 P. Montet, op. cit., p. 73 et pl. XXXII pour les dessins et pl. LXXXII-LXXXIII pour les photographies ; JWIS III, p. 256, no 17.

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–– blocs nos 240 (fig. 4a-b)14, 25215, 25316 et 254 (fig. 5a-b)17 portant des fragments du nom de couronnement Néferkarê, partiellement arasé sur les blocs nos 240 et 254 au moins18 ; –– bloc no 25119 portant un fragment de serekh contenant le signe nṯr et le nom Néferkarê, qui a été arasé.

Provenant du lac sacré de Mout (LSM) :

–– blocs nos 2020, 5521, 8422 et 10823 au nom de Néferkarê. Le cartouche a été arasé sur les blocs nos 55 et 108 ; –– blocs nos 4624, 8325, 9626 et 15827 au nom de Pami. Le cartouche a été arasé sur les blocs nos 83 et 96 ; –– blocs nos 8728 et 11329 au nom de l’Horus Netjer(y)khâou.

D’autres blocs partagent des caractéristiques communes avec ceux qui nomment Pami II et peuvent donc lui être attribués avec une certaine vraisemblance. Ces similitudes se trouvent autant dans la réalisation (relief très léger, détails fins) que dans l’iconographie, avec des détails caractéristiques comme la forme du pilier-djed ou de la tête de faucon et le décor rare du fanion du signe nṯr.

Provenant du lac sacré d’Amon :

–– blocs nos 241, 256, 258-264, 266-268, 270-275 et 33430.

14 P. Montet, op. cit., p. 69 et pl. XXXI pour les dessins et LXXV pour la photographie. 15 Ibid., p. 74 et pl. XXXII pour le dessin et LXXXIII pour la photographie ; JWIS III, p. 256, no 17. 16 P. Montet, op. cit., p. 74 et pl. XXXII ; JWIS III, p. 256, no 17. 17 P. Montet, op. cit., p. 74 et pl. XXXII pour le dessin et LXXXIII pour la photographie ; JWIS III, p. 256, no 17. 18 Les blocs nos 252 et 253 sont perdus et n’ont donc pas pu être vérifiés. 19 P. Montet, op. cit., p. 73-74 et pl. XXXII ; JWIS III, p. 256, no 17. 20 Ph. Brissaud, Tanis : Le domaine de la déesse Mout et son lac sacré, 2018, p. 100. 21 Ibid., p. 104. 22 Ibid., p. 108. 23 Ibid., p. 111. 24 Ibid., p. 103. 25 Ibid., p. 108. 26 Ibid., p. 110. 27 Ibid., p. 118. 28 Ibid., p. 108. 29 Ibid., p. 112. 30 P. Montet, op. cit., pl. XXXII-XXXIII et XXXVII pour les dessins et pl. LXXXII-LXXXIII pour les photos des blocs 248, 249, 250, 252 et 254.

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a.

0 30 cm

b.

Fig. 1.a-b. Assemblage des blocs nos 248-250 du lac sacré d’Amon, photographie et dessin (© MFFT – Fr. Payraudeau / R. Meffre).

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Provenant du lac sacré de Mout : –– blocs nos 2, 5, 7, 8, 12, 13, 38, 45, 47, 52-54, 56, 63, 69, 70, 72, 88, 89, 98, 102-103, 108, 114, 121, 122, 124-127, 130, 131, 142 (face B), 144, 153, 167 et 19331.

La titulature de Pami II D’après ces blocs, trois noms seulement sont connus dans la titulature de Pami II, les noms de Nebty et d’Horus d’or demeurant inconnus32.

Le nom d’Horus :

Le nom d’Horus, dans le serekh, est écrit (LSA nos 250 et 251), (LSM no 87) ou (LSM no 113). Son interprétation a été discutée : P. Montet l’avait translittéré Nṯrtỉ-ḫ῾33 tandis que J. von Beckerath avait proposé de le lire Nṯrỉ-ḫ῾t (?), sans qu’aucune de ces lectures n’emporte l’adhésion. Comme l’indiquent les deux blocs remployés dans le lac de Mout, le nom peut être écrit Nṯr(ỉ)-ḫ῾, ce qui peut se traduire « Divin de couron- nement / d’apparition ». On notera la proximité de ce nom d’Horus avec celui de Pépy II, Nṯr(ỉ)-ḫ῾w34.

Le prénom de couronnement : La proximité de la titulature de Pami II avec celle de Pépy II se confirme au niveau du prénom de couronnement, Nfr-kꜢ-r῾, qui est directement emprunté à ce roi de l’Ancien Empire.

Conformément à la tendance archaïsante, il est généralement écrit sans épithète 35. Néanmoins, en deux occurrences, la disposition des signes indique la présence d’une épi- thète postposée. Les traces d’un ỉ laissent penser qu’il pourrait s’agir d’une épithète du type

[mry]-ỉ[mn] : 36.

31 Ph. Brissaud, op. cit., p. 97-124. 32 La lecture Nbty Ỉš[…] du bloc LSA no 254 proposée par J. Moje est à rejeter complètement, dans la mesure où il s’agit d’une mention de la déesse Mout maîtresse de l’Ichérou (Mwt nbt Ỉšrw). Voir J. Moje, GM 229 (2011), p. 92-94, § 2, et 100-102, § 4, erreur reprise dans id., Herrschaftsräume und Herrschaftswissen ägyptischer Lokalregenten: Soziokulturelle Interaktionen zur Machtkonsolidierung vom 8. bis zum 4. Jahrhundert v. Chr. (Topoi 21), 2014, p. 24. 33 P. Montet, op. cit., p. 73. 34 M.-A. Bonhême, op. cit., p. 240. 35 Blocs LSA nos 251 et 253 ; LSM nos 20, 55, 84 et 108 (?). 36 Blocs LSA nos 252 et 254.

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Le nom de naissance :

Le nom de naissance de Pami est écrit 37 ou 38. D’après ces deux graphies, il est à remarquer que le signe du chat (Sign-list E 13), parfois utilisé dans les graphies du nom de Pami Ier39, n’est pour l’heure pas attesté pour les cartouches de Pami II. Le choix du nom de naissance PꜢ-mỉw, « le chat », situe Pami II dans la tradition onomastique de la XXIIe dynastie bubastite dont la patronne, la lionne , prend l’aspect d’une chatte lorsqu’elle est apaisée ; le nom PꜢ-mỉw a alors été porté par deux représentants de la famille royale, le roi Pami Ier et un fils de Chéchonq V40.

a.

0 30 cm b.

Fig. 2.a-b. Bloc no 251 du lac sacré d’Amon, photographie et dessin (© MFFT – Fr. Payraudeau / R. Meffre).

37 Blocs LSA nos 25 et 248-250 et LSM nos 46 et 96. 38 Blocs LSA no 24 ; LSM nos 83 et 158 (?). 39 Ainsi, la statuette Londres, BM EA 32747 et peut-être un fragment de feuille d’or de la tombe NRT II de Tanis qui pourrait provenir d’une décoration de cercueil ; voir J. Yoyotte, op. cit., p. 165, fig. 4, et 168 ainsi que pl. 5a et 6a. 40 Sur ce personnage, voir R. Meffre, D’Héracléopolis à Hermopolis : La Moyenne Égypte durant la Troisième Période intermédiaire (XXIe-XXIVe dynasties), 2015, p. 343-347.

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0 30 cm a. b.

Fig. 3.a-b. Bloc no 25 du lac sacré d’Amon, photographie et dessin (© MFFT – Fr. Payraudeau / R. Meffre).

0 30 cm a. b.

Fig. 4a-b. Bloc no 240 du lac sacré d’Amon, photographie et dessin (© MFFT – Fr. Payraudeau / R. Meffre).

30 cm a. b. 0

Fig. 5a-b. Bloc no 254 du lac sacré d’Amon, photographie et dessin (© MFFT – Fr. Payraudeau / R. Meffre).

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Placement chronologique et géographique Pour l’heure, Pami II n’est attesté qu’à Tanis, à la fois dans le domaine d’Amon et dans celui de Mout, où il semble avoir construit un monument d’importance. Comportant près d’une cinquantaine de blocs dont les scènes illustrent le rituel de fondation des temples, ce monument devait constituer au moins une partie du temple de Mout, mentionnée sur ces blocs à plusieurs reprises. Le style nettement archaïsant des blocs de Pami II invite à le placer après Osorkon IV41, dont les monuments montrent un style plus rude et moins raffiné, à en faire par conséquent un contemporain tanite de la XXVe dynastie. C’est déjà à cette époque, d’ailleurs, qu’étaient placés les blocs au nom de Néferkarê42. Il est toutefois possible d’être plus précis. On sait qu’après le retour de Piânkhy au pays de Kouch, le roi saïte Bocchoris de la XXIVe dynastie a étendu son pouvoir jusqu’à Héracléopolis au sud et Tanis à l’est43, avant d’être éliminé par Chabataka au cours de sa conquête de l’Égypte, ce dernier événement constituant un terminus post quem pour le règne de Pami II. Un terminus ante quem est constitué par la mention d’un roi Putubišti à Tanis vers 670 avant notre ère dans les annales assyriennes ; ce roi tanite semble être le dernier avant la réunification du pays par Psammétique Ier44. Pami II a donc régné entre 712, date de la fin du règne de Bocchoris, et 670 avant notre ère, quand Putubišti (un Pétoubastis) est roi à Tanis. Dans cet intervalle, l’autorité de la XXVe dynastie a été reconnue à plusieurs reprises dans le Delta oriental. La domination de Chabataka et Chabaka sur ce territoire reste évanescente puisqu’ils ne sont pas attestés sur les monuments de Tanis, mais seulement sur des stèles de Pharbaïtos et de Bubastis : la stèle de Pharbaïtos reconnaissant le règne de Chabataka ne comporte pas de date45, une autre de même provenance est datée de l’an 2 de Chabaka46 et la stèle bubastite du même roi porte la date de l’an 347. Ensuite, semble reconnu à Tanis en l’an 6 de son règne, puisqu’il y fait graver une copie du texte de la stèle V de Kawa48 et consacrer au moins une statue49. Cela implique que la présence kouchite n’a pas été continue durant toute la XXVe dynastie, de sorte qu’il y a la place pour des règnes intercalaires de rois

41 À ce propos, voir R. Meffre – Fr. Payraudeau, op. cit., p. 136-137. 42 Fr. Payraudeau, op. cit., p. 851-852, qui cite la bibliographie antérieure. 43 À ce propos, voir J. Yoyotte, « Notes et documents pour servir à l’histoire de Tanis », Kêmi 21 (1971), p. 44-45. 44 KTIP, § 357. 45 JWIS III, p. 53, no 21. 46 Stèle Paris, E 10571, voir JWIS III, p. 29, no 72. 47 Stèle de donation trouvée à Sefeta, à 5 km au sud-ouest de Bubastis ; voir Sh. Adam, ASAE 55 (1958), p. 307 ; D. Meeks, « Les donations aux temples dans l’Égypte du 1er millénaire avant J. C. », dans E. Lipiński (éd.), State and Temple Economy in the : Proceedings of the International Conference organized by the Katholieke Universiteit Leuven from the 10th to the 14th of April 1978 (OLA 5-6), II, 1979, p. 673, doc. 25.4.3 ; JWIS III, p. 28, no 71. 48 JWIS III, p. 54-55, no 1. 49 R. Meffre – Fr. Payraudeau, « Varia tanitica I : Vestiges royaux », BIFAO 116 (2016), p. 298-302, no 6.

RdE 69 (2019) UN NOUVEAU ROI À LA FIN DE L’ÉPOQUE LIBYENNE : PAMI II 155 locaux, notamment entre l’an 3 de Chabaka et l’an 6 de Taharqa. Pami II pourrait donc avoir régné avant l’avènement de Taharqa ou après l’an 6 de son règne. Deux éléments permettent de privilégier une datation haute, soit pendant les règnes de Chabataka ou de Chabaka. En premier lieu, le style de ses monuments se rapproche nettement de celui des monuments d’Ousermaâtrê Osorkon IV. D’autre part, on a vu que les blocs de Pami II présentent à plusieurs reprises des cartouches arasés, que ce soit celui de son nom de naissance ou celui de son nom de couronnement. Cela indique qu’un roi postérieur a souhaité effacer la trace de son nom. Une telle vindicte est peu probable de la part d’un souverain aussi lointain que Psammétique Ier et cette pratique ne lui est pas connue par ailleurs. En revanche, au moins un roi de Haute Égypte, Iny, a vu ses cartouches arasés lors de la reprise en main de la région par les Kouchites50. L’effacement du nom de Pami II pourrait donc être le résultat d’une occupation kouchite de Tanis. Or, celle-ci, attestée au début du règne de Taharqa, avait probablement été rendue nécessaire par l’aggravation des tensions avec les Assyriens. On sait que les Kouchites ont envoyé un contingent à la bataille d’Eltekeh en 701 av. J.-C. Par la suite, ils soutiennent réguliè- rement les révoltes levantines contre le pouvoir assyrien51. Dans ce contexte, on comprend aisément que Tanis soit redevenue une place stratégique du Delta oriental, motivant l’­élimination de la lignée locale. En ce sens, le placement du règne de Néferkarê Pami II entre 712 et les environs de 700 avant notre ère nous paraît le plus probable (voir tableau chronologique). Dans cette hypothèse, on pourrait éventuellement rapprocher Pami II du Ψαμμοῦς (Psammous) placé par toutes les versions de Manéthon en troisième position de la XXIIIe dynastie tanite pour 10 ans de règne52. Il est certain que Psammous (ou Psamous) ne peut être une variante correcte du grec Πεμους / Παμους qui rend habituellement l’égyptien PꜢ-mỉw. On ne peut cependant exclure qu’il puisse s’agir d’une corruption de ce nom sous l’influence de noms fréquemment cités dans la liste manéthonienne comme Ψαμμήτιχος, Ψαμμουθις, Ψαμμεχερίτης ou Ψάμουθις53. Si cette hypothèse était avérée, il faudrait non seulement attribuer 10 ans de règne à Pami II mais également le considérer comme le successeur légitime d’Osorkon IV. Par ailleurs, le nom de naissance Pami, que l’on peut situer dans la tradition onomastique de la XXIIe dynastie, pourrait être un indice

50 Voir J. Yoyotte, « Pharaon Iny : Un roi mystérieux du viiie siècle avant J.-C. », CRIPEL 11 (1989), p. 121-122 et Fr. Payraudeau, Administration, société et pouvoir à Thèbes sous la XXIIe dynastie bubastite (BdE 160), 2014, p. 89-90. 51 KTIP, § 346* (qui place les événements sous le règne de Chabataka) ; pour une interprétation au regard de la nou- velle chronologie (Chabataka puis Chabaka), voir Fr. Payraudeau, L’Égypte et la vallée du Nil, III, Le premier millénaire av. J.-C., sous presse, chapitre 6, III. 52 W. G. Waddell, Manetho with an English Translation (Loeb Classical Library), 2e éd., 1948, p. 160-163, frag. 62-63 ; F. Jacoby, Die Fragmente der Griechischen Historiker (F Gr Hist), III C, 1958, p. 76-77. 53 Les orthographes de ces noms pourraient elles-mêmes avoir subi l’influence de Ψάμμος, « sable », comme le propose J. D. Ray, JEA 72 (1986), p. 150-151.

RdE 69 (2019) 156 R. MEFFRE – Fr. PAYRAUDEAU du fait que la XXIIIe dynastie tanite de Manéthon est en fait une branche collatérale de sa XXIIe dynastie bubastite.

XXIIIe dynastie tanite XXIVe dynastie saïte XXVe dynastie kouchite

725 Séhotepibrê Pétoubastis II

720 Ousermaâtrê Osorkon IV 715 Bocchoris 718-712

710 713-705 Chabataka Néferkarê Pami II ? 705 Début des tensions avec l’Assyrie 700 705-690 Chabaka 695

690

685 690-664 Taharqa 680 Chepseskarê 675 Gemenefkhonsoubak ?

670 Invasion assyrienne 670/669 Putubišti (=Pétoubastis III) Invasion assyrienne 667/666 665 Invasion assyrienne 664/663 660

Tableau chronologique des rois reconnus à Tanis (en gris foncé) au cours de la fin de l’époque libyenne et de la XXVe dynastie.

Annexe

Monuments qui restent attribués au règne d’Ousermaâtrê Pami Ier :

–– vase canope inscrit à l’encre et fragments de feuilles d’or décorées provenant de la tombe tanite NRT II54 ; –– fragments d’annales royales provenant d’Héliopolis55 ; –– statuette en bronze Londres, BM EA 3274756.

54 J. Yoyotte, RdE 39 (1988), p. 166-168 et pl. 6a ; JWIS II, p. 259, no 2. 55 S. Bickel – M. Gabolde – P. Tallet, « Des annales héliopolitaines de la Troisième Période Intermédiaire », BIFAO 98 (1998), p. 31-56 ; JWIS II, p. 259-260, no 3. 56 J. Yoyotte, op. cit., p. 164-166, doc. E ; JWIS II, p. 261, no 4.

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Monuments de particuliers portant des dates relatives au règne d’Ousermaâtrê Pami Ier57 :

–– stèles du Sérapéum datées de l’an 258 ; –– stèle Paris, Louvre E 11139 de l’an 659 ; –– stèle de donation Caire TR 2/12/21/13, non datée, provenant de Bubastis (?)60.

Résumé / Abstract

Le réexamen de certains blocs archaïsants provenant des lacs sacrés d’Amon et de Mout à Tanis permet l’identification d’un nouveau pharaon. Nommé Néferkarê Pami (II), il se distingue par ses noms et le style de ses monuments de son prédécesseur indirect Ousermaâtrê Pami Ier. Les données stylistiques et historiques permettent d’envisager son placement comme roi de Tanis à l’extrême fin de l’époque libyenne, dans la dernière décennie du viiie siècle avant notre ère.

The re-examination of some archaising blocks coming from the sacred lakes of and Mut at Tanis allows to identify a new . This Pami (II) is different by his names and by the style of his monuments from his indirect predecessor Usermaatre Pami I. The stylistic and historical data let think that he reigned in Tanis at the end of the Libyan Period, during the last decade of the 8th Century BC.

57 La statue Louvre E 20368 présentée par K. Jansen-Winkeln comme un monument daté du règne de Pami Ier (JWIS II, p. 263-264, no 7) doit en réalité être replacée sous le règne de Psousennès II, comme l’a montré O. Perdu, Les statues ­privées de la fin de l’Égypte pharaonique (1069 av. J.-C. – 395 apr. J.-C.), Tome I - Hommes [musée du Louvre], 2012, p. 198-207, no 15. 58 Paris, Louvre IM 3697 (JWIS II, p. 261-262, no 5 ; M. Malinine – J. Vercoutter – G. Posener, Catalogue des du Serapeum de Memphis, I, 1968, p. 21-22, pl. 8), IM 3736 (JWIS II, p. 262-263, no 6 ; M. Malinine – J. Vercoutter – G. Posener, op. cit., p. 22-23, pl. 8), IM 4205 (JWIS II, p. 265, no 9 ; M. Malinine – J. Vercoutter – G. Posener, op. cit., p. 24, pl. 9), IM 3441 (JWIS II, p. 265-266, no 10 ; M. Malinine – J. Vercoutter – G. Posener, op. cit., p. 24-25, pl. 9). 59 JWIS II, p. 264-265, no 8. 60 JWIS II, p. 267, no 13.

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