conomiquement et socialement, le Maroc est mal classé à l’international, les relations qu’entretiennent les décideurs du privé avec les gardiens de la chose publique sont plutôt confuses, à croire qu’il n’y a pas assez de place pour accompagner, impulser et faciliter la dynamique créative qui se dessine. Nous l’avons testé dans le domaine (en éclosion) de la culture1, les conditions d’entrée sur le marché et de sortie demeurent inhibantes et parfois dissuasives, constituant un frein à la volonté, réelle et sous-jacente, des individus de créer de la valeur, matérielle et immatérielle.

E Comme à l’accoutumée, La Revue Economia offre, en une livraison, un balayage des champs, social et économique.

DIT O Il en ressort quelques incohérences assez troublantes. Côté orientations, on note une faible adéquation entre politique économique et budget de l’Etat (2010), avec une incidence paradoxalement mitigée sur les classes moyennes (lire p 15). Côté réajustement des politiques, il s’avère que les indicateurs de classement sociaux (ex. : IDH) et économiques (ex. : Doing Business) devant HYMNE À LA servir de détecteurs de zones de turbulences, donnent PLURALITÉ lieu, plus à une volonté de domestiquer les critères ET A LA STIMULATION internationaux d’évaluation, qu’à une redéfinition studieuse des politiques domestiques de développement (lire p.30). En regardant à quoi ressemblent les relations Par entre chefs d’entreprises et pouvoirs publics, il en ressort davantage une volonté de l’Etat de privatiser certaines de ses fonctions cardinales (ex. : la stratégie) qu’une valoriation institutionnelle de l’acteur privé. Quel que soit le point d’entrée par lequel nous abordons le lien entre l’individu, créateur de richesses (à des échelles moindres que les gros cylindrés de l’économie) et l’Etat, garant présumé de décollage économique et d’équité sociale, nous aboutissons à un double constat assez récurrent : l’absence de vision et de boussole permettant de cibler un cap précis, le manque de lisibilité des mécanismes de suivi et de contrôle externe, et la faiblesse des instruments de mesure et d’évaluation susceptibles d’aider les acteurs économiques (de seconde et tierce zone) à piloter leurs affaires économiques. L’incertitude est à son comble dans le domaine, naissant, de l’entrepreneuriat culturel, où l’événementiel tient lieu de politique ; ce qui accentue le flou artistique et embue l’horizon économique du secteur.

Pourtant, le Maroc a la chance inouïe de pouvoir sortir du marasme économique en libérant les énergies et en clarifiant la vision globale. Or, cela nécessite deux préalables, qui font terriblement défaut : la nécessité d’accepter que l’espace public est pluriel, non réductible au réseau personnalisé de quelques hommes puissants, et que la volonté d’innover, de dépasser les schémas préconçus, dans l’industrie, les services, la formation et la recherche, est l’unique vecteur qui autoriserait le pays à se projeter dans l’avenir et dépasser le pilotage (à vue) qui prédomine actuellement. Peut- être, alors, que l’on devrait adjoindre deux indicateurs à tous les autres, que l’on a du mal à digérer : ceux de «l’acceptation de la pluralité dans l’espace public productif» et de «la stimulation à innover économiquement». Peut-être même qu’il va falloir en tenir compte un peu plus sérieusement. Parce que le décollage économique, c’est d’abord une affaire de confiance et d’hommes. 1 Lire le dossier “Qui gère la culture ?” Tout le reste n’est que chiffres en l’air. Directeur de la publication Abdelali Benamour Directeur de la rédaction Driss Ksikes

Comité d’orientation scientifique du CESEM Najib Akesbi, Omar Aloui, Yasmine Benamour, Noureddine Cherkaoui, Driss El Abbassi, Laurent Florès, Rita Iraqi, Driss Khrouz, Amina Lamrani, Raphaël Liogier, Anass Nidam, Halima Ouzzif, Michel Peraldi, Bachir Rachdi, Hassan Sayarh, Ali Serhrouchni, Karim Tazi, Mohamed Tozy, Alfredo Valladao

Comité de rédaction et de lecture Fadma Ait Mous, Fouad Ammor, Hicham Benjamma, Hassan El Aouni, Adil El Mezouaghi, Laetitia Grotti, Jamal Khalil, Sara Khallaldi, Myriem Khrouz, Abdellalh Labdaoui, Ilham Lahrech, Ismail Zaghloul, Caroline Minialai, Catherine Alix-Mascart

Ont également collaboré à ce numéro Taoufiq Benkaraach, Najib Akesbi, Touhami Abdelkhalek , Najy Benhassine, Béatrice Hibou, Ali Benhaddou, Neïla Tazi, Benjamin Stora, Geoffrey Bouquot, Brahim Labari, Mohamed Ali Ghannam, Amel Abou El Azm, Kenza Sefrioui, Aida Semlali, Samia El Fassi

Réécriture et editing Issam-Eddine Tbeur

Correction et relecture : Zahra El Harouchy

La Revue Economia est éditée par le Centre d’études sociales, économiques et managériales (CESEM) “centre de recherche de HEM”

Directeur artistique : Hicham Zemmar Mise en page : Amine Khalil Publicité et abonnements : Zineb Ziadi Documentation : Khadija Boutaleb Photo couverture Hicham Zemmar Photos presse : Shutterstock et AIC press Illustrations : Ahmed Nouaïti Assistante administrative et financière : Hayat Ziani Impression : PIPO Distribution : Sochepress Adresse 2, Rue Jaafar Essadik – Agdal, Rabat (Maroc) Tél : 00 212 537 673 746 Fax : 00 212 537 670 422 http://www.cesem.ma

Dépôt légal : 2007 / 0137 ISSN et dossier de presse : En cours Ce numéro a été tiré à 3000 exemplaires

©copyright. Tous droits réservés pour tous pays.

Toute reproduction, même partielle, doit être & Hicham Zemmar Lastennet : Tristan de la maquette et réalisation Conception soumise à l’accord préalable de l’éditeur. La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010

REPÈRES

LOI DE FINANCES, IGR et CLASSE MOYENNE 12-19

ECONOMICUS

INDICATEURS DE CLASSEMENT ET DÉVELOPPEMENT 21-32

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) 67-116 Ce dossier est construit autour d’une double question, économique et mana- gériale : y a-t-il une économie de la culture au Maroc ? Et partant des éléments qui étayent cette hypothèse, quelle typologie des entrepreneurs de la culture pouvons-nous dégager du tissu entrepreneurial et associatif existant ? En sus d’une étude de terrain, inédite, menée par le Cesem, le dossier est agrémenté par des zooms sectoriels et des cas d’entreprises, en guise d’illustration.

TRANSVERSALES

CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS 33-66

L’HISTORIEN, UN CITOYEN ENGAGÉ Grand entretien avec Benjamin Stora 117-126 6

Par Hassan El Aouni Enseignant chercheur Cesem - Hem CARNET DE BORD

annuellement audités. Sans doute cela porteur d’un renouveau. Il devrait L’œil de l’observatoire a-t-il été favorablement perçu par les impliquer des changements profonds, sur l’INDH populations ; néanmoins, l’Initiative tels que la promulgation de nouvelles reste relativement méconnue et 46,3% lois, les réformes budgétaires, Le rapport 2008 de l’Observatoire des personnes interrogées se disent le développement de l’inter- National du Développement Humain insatisfaites quant au choix et à la ministérialité et des moyens nouveaux intervient à mi-parcours de l’Initiative qualité des projets réalisés. pour les instances déconcentrées, Nationale pour le Développement L’analyse effectuée par l’Observatoire etc. L’important aujourd’hui c’est Humain (INDH) lancée par le roi National du Développement Humain d’engager un processus concret a relevé un ensemble de critiques. qui n’ait pas à attendre que tous les 47,5% des personnes interrogées préalables soient réglés. Or, c’est estiment que la démarche et les précisément cette opportunité qui procédures de mise en œuvre de s’offre avec l’INDH, dont l’intérêt et l’INDH n’impacteront pas positivement l’utilité résident dans l’impulsion d’une la bonne gouvernance. Selon ces dynamique économique et sociale, mêmes personnes, la distribution à partir d’expériences relativement des ressources demeure non modestes. concordante avec les critères de pauvreté établis par l’INDH, et les Le bien-être, version contenus des programmes ne sont Stiglitz-Sen-Fitoussi, pas suffisamment différenciés entre l’urbain et le rural. En outre, Ceux qui s’efforcent de guider nos l’appropriation par les communes des économies et nos sociétés sont dans projets de l’INDH a été très largement la même situation que celle de pilotes remise en question. La concentration qui chercheraient à maintenir le cap de la gestion des crédits de l’INDH sans avoir de boussole fiable. Le au niveau des services du Premier rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi traite Ministre (notamment le fait de prévoir des systèmes de mesure et non des que tous les états de report des politiques à mettre en place. Il est sous-ordonnateurs ainsi que toute adressé aux responsables politiques, Mohammed VI le 18 mai 2005. Le modification s’y rapportant doivent décideurs, communauté académique Conseil de l’Observatoire, dans ce transiter par ces services) a également et statisticiens, organisations de la rapport, s’est attaché à analyser les été dénoncée. On déplore aussi que projets réalisés dans le cadre de cette les activités génératrices de revenu initiative et le mode opératoire suivi. Il (AGR) ne représentent que 13% du en tire quelques conclusions utiles et nombre de projets de l’INDH engagés formule des recommandations. au cours de la période 2005-2008, Il y a lieu de noter que le projet a et que 8% des montants engagés. été, dans son aboutissement et sa L’ONDH note enfin, parmi les critiques mise en œuvre, globalement positif. formulées à l’encontre de l’Initiative, L’INDH a très largement favorisé la une faible participation des femmes redistribution des ressources et le et des jeunes dans les instances de développement du tissu associatif. Par gouvernance de l’INDH. ailleurs, le bilan technico-financier de l’opération demeure appréciable, Il est clair que le déploiement de les comptes de l’INDH ayant été cette approche analytique doit être La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 7

société civile et plus largement le grand public (riches et pauvres). Il établit une distinction entre évaluation du bien-être présent et évaluation de sa «soutenabilité». Les principales recommandations du rapport peuvent être résumées comme suit :

• De la production au bien-être : dans le cadre de l’évaluation du bien-être matériel, se référer aux revenus et à la consommation plutôt qu’à la production ; mettre l’accent sur les perspectives des ménages ; prendre en compte le patrimoine en même temps que les revenus et la consommation ; accorder davantage d’importance à la répartition des revenus, de la consommation et de la richesse et élargir les indicateurs de revenus aux activités non marchandes.

• Le bien-être est pluridimensionnel : les dimensions objectives et subjectives du bien-être sont toutes deux importantes. Il s’agit donc d’améliorer les mesures chiffrées de la santé, de l’éducation, de l’activité personnelle et des conditions environnementales ; renforcer la conception et l’application d’outils de mesure des relations sociales, de la participation à la vie politique et de l’insécurité ; fournir une évaluation exhaustive et globale des inégalités, au travers des indicateurs de la qualité de la vie ; concevoir des enquêtes pour évaluer les liens entre les différents aspects de la qualité de la vie de chacun ; fournir les informations nécessaires pour agréger les différentes dimensions de la qualité de vie, et permettre la construction de différents indices ; enfin, intégrer dans les enquêtes des instituts de statistiques des questions visant à connaître l’évaluation de ce que chacun fait de sa vie, de ses expériences et priorités.

• Pour une approche pragmatique de la mesure de la «soutenabilté» : concevoir des indicateurs du tableau de bord de la «soutenabilité» qui puissent permettre leur interprétation comme des variations de certains «stocks» sous-jacents.

• Des indicateurs physiques des pressions environnementales : faire en sorte que l’un des indicateurs environnementaux de la «soutenabilité» indique clairement dans quelle mesure nous nous approchons de niveaux dangereux d’atteinte à l’environnement. Le rapport ne clôt pas le débat. Il l’ouvre, bien au contraire. Il permettra d’aborder les valeurs sociétales auxquelles nous attachons du prix, et de déterminer dans quelle mesure nous agissons réellement en faveur de ce qui importe. Ce rapport doit stimuler une large réflexion, à laquelle prendraient part toutes les parties concernées. 8

Le point sur la conjoncture

Par Ismaïl Zaghloul Economiste, Cesem-Hem

Le FMI a présenté, le 26 janvier '%%+ '(#+(* dernier, ses prévisions économiques '%%, mondiales de début d’année, situant &+#.(, le taux de croissance de l’économie '%%- "&&#),- mondiale à 3,9% en 2010 contre le taux de 3,1% précédemment estimé. '%%.|ÒchZeiZbWgZ "-#%%) Certes, il s’agit là d’un indicateur de sortie de crise intéressant ; reste à savoir ce qu’il cache dans les plis de sa globalité. des marchés financiers, dont l’une soit simplement attendre de pouvoir Les pays dits émergents repartent avec des premières conséquences serait le bénéficier des retombées économiques des taux de croissance insolents : renchérissement du crédit et, partant, des pays avancés, sachant que, la Chine caracole en tête avec près de l’arrêt de la reprise économique suivi généralement, ils répugnent, pour 10%, suivie par l’Inde (7,7%) et le Brésil de l’aggravation du chômage et de la des raisons de politique intérieure (4,7%). Les Etats-Unis, dont le taux de détérioration du revenu des ménages. évidentes, à recourir à des politiques croissance était estimé à 3% pour 2010, Autrement dit, la reprise enregistrée d’austérité qui permettraient de viennent d’annoncer une augmentation ne serait que le résultat de la perfusion dégager les surplus nécessaires à une de 5,7% au terme du quatrième monétaire et budgétaire appliquée par politique de soutien économique. trimestre 2009, tandis que la zone euro les gouvernements à leurs économies se contenterait d’un modeste taux de et, arrêter cette perfusion pourrait Aux Etats-Unis, le discours sur l’état progression de 1%. signifier, ni plus ni moins, le retour à la de l’union prononcé par le président Le FMI attire cependant l’attention crise. Or la question fondamentale est américain le 27 janvier dernier a sur la fragilité de cette reprise qui d’évaluer l’étendue du prix économique permis de prendre la mesure des restera sérieusement menacée et social à payer pour éviter cette intentions du gouvernement en matière tant que les pays avancés n’auront extrémité. de consolidation des acquis et en pas mis au point et adopté des Au niveau des pays en voie de matière de relance économique. Les stratégies de sortie de crise crédibles développement, on s’accorde à mesures annoncées tournent autour permettant, notamment, de juguler dire qu’ils seront les derniers à de trois axes jugés comme étant les la détérioration des situations renouer avec la reprise. En effet, ne véritables leviers de la relance : budgétaires et le rééquilibrage des disposant pas des moyens de soutien finances publiques. A défaut de cela, on à leurs économies, ils devront soit • Facilitation de l’accès au crédit déboucherait sur une déstabilisation s’endetter encore plus pour le faire, en direction des petites entreprises La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 9

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des exportations qu’à celui des importations, donne une idée assez claire des effets de la crise mondiale sur l’économie nationale.

• Les échanges de services La balance des échanges de services a suivi la même tendance que celle des biens. A fin novembre 2009, les recettes ont enregistré une baisse de 6,3% par BULLETIN D’ABONNEMENT rapport à la même période de l’année précédente, alors que les dépenses se sont accrues de 7,8% pour la même période. Le solde a, quant à lui, marqué un recul de près de 20% entre novembre 2008 et novembre 2009, passant de 48.612 millions de dhs à 3 NUMEROS 38.935 millions de dhs.

En ce qui concerne les transferts en provenance de l’étranger, on remarque que les recettes RME, PAR AN ressortant à 46.091,8 millions de dhs, accusent une baisse de 6,2% par rapport à novembre 2008, alors FORMULES : cochez celle qui vous convient que les investissements et prêts privés étrangers, Abonnement étudiant (1 ex par numéro) : 120 DH / an ( ) avec 20.920,6 millions de dhs à fin novembre 2009, Abonnement individuel (1 ex par numéro) : 150 DH / an ( ) Abonnement collectif (5 ex par numéro) : 675 DH / an ( ) marquent un recul de 32,1% par rapport à la même Abonnement collectif (10 ex par numéro) : 1200 DH / an ( ) période. Abonnement de soutien (20 ex par numéro) : 4500 DH / an ( ) Les frais de port sont inclus dans les forfaits Globalement, la balance des biens et services laisse apparaître un déficit de 83.078, 5 millions de dhs ; elle Nos anciens numéros peuvent être commandés dans la limite du stock disponible améliore ainsi son solde de 6,6% mais ramène son • 1 numéro : 30 DH ( ) taux de couverture de 73,3% en novembre 2008 à 69,8 • 2 numéros : 50 DH ( ) • 3 numéros : 70 DH ( ) en novembre 2009, soit -3,5%. • 4 numéros : 90 DH ( ) • 5 numéros : 100 DH ( ) • Les règlements entre le Maroc et l’étranger Mme / Mlle / M. Nom : ...... Prénom : ...... Le total des règlements entre le Maroc et l’étranger Fonction : ...... Service : ...... a marqué un recul de 16,9%, passant de 634.927,3 Téléphone : ...... E-mail : ...... Société : ...... millions de dhs à fin novembre 2008 à 527.691,2 Adresse : ...... millions de dhs à fin novembre 2009. Code postal : ...... Ville : ...... Quant au solde de ces mêmes règlements, il a été Téléphone : ...... Fax : ...... Site Internet : ...... négatif à hauteur de 16.685 millions de dhs, marquant une détérioration de 48,4% par rapport à novembre 2008. CACHET : SIGNATURE :

• Les avoirs extérieurs nets Date : ...... Les avoirs extérieurs nets de l’Institut d’émission Signature : et des banques ont été de 186.558,7 millions de dhs contre 196.453,2 millions de dhs à fin 2008, soit -5%. Pour plus d’informations : • La balance des paiements [email protected] Au terme des neuf premiers mois de 2009, la balance [email protected] des paiements a accusé un solde négatif de 8.004 Tél : 05 37 67 37 46 millions de dhs contre 11.478 millions de dhs à fin 2008, ce qui dénoterait un redressement prévisible à Modalités de paiement : fin 2009. Tout abonnement ne sera validé qu’après réception par le CESEM : • d’un bulletin d'abonnement, dûment complété et signé. • du règlement des frais d’abonnement annuel par chèque libellé à l'ordre de “HEM-CESEM”. A renvoyer à l’adresse suivante: 2, rue Jaâfar Essadik Agdal - Rabat Facture sur demande 12

ÉVÈNEMENT LA LOI DE FINANCES EN QUESTIONS LA QUALITÉ DES DONNÉES CHIFFRÉES ET DES PRÉVISIONS, Entretien avec Najib Akesbi, Économiste LE RÉALISME DU DÉFICIT BUDGÉTAIRE, LE VOLONTARISME Propos recueillis par Ilham Lahreche, Journaliste et doctorante ÉCONOMIQUE DE L’ETAT, LA LIMITATION FACTICE DES INCITATIONS FISCALES… LA LOI DE FINANCES 2010 POSE UN ENSEMBLE DE QUESTIONS DE FOND

a loi de finances - en tant l’élaboration de ce projet. Rappelons D’un côté, nous avons le budget L qu’exercice prévisionnel que le Maroc reste un pays sans plan économique, de l’autre le projet de loi - repose-t-elle sur une réflexion, de développement économique global. de Finances. Et on constate clairement sur des travaux statistiques, macro- Nous disposons uniquement de plans à partir d’indicateurs clés qu’il y a économiques réfléchis et coordonnés, sectoriels (Emergence, Azur, Rawaj, des divergences importantes entre qui en seraient un gage de fiabilité ? Maroc Vert), qui ne font pas un plan les deux documents (cf. tableau). Au global et peuvent entrer en conflit vu de ces divergences, la question Najib Akesbi : Le montage de la loi entre eux. qui se pose est la suivante : si deux de finances est assez hypothétique, Il est vrai que le HCP prépare institutions ne sont pas capables fragile et surtout non coordonné, sans depuis quelques années un budget de coordonner entre elles pour vision globale au niveau de l’Etat, des économique. Il y a deux versions, celle produire un chiffre qui soit le plus institutions chargées de contribuer à élaborée en janvier de chaque année proche possible de leurs propres et une autre, dite «exploratoire», appréciations, cela prouve que préparée en juin. Or, en 2009, le HCP l’exercice de montage de la loi de a fait son budget exploratoire et ses finances est fragile, en tout cas très projections pour 2010 au moment discutable, y compris au sein même de même où le ministère des finances l’appareil de l’Etat. Vous pensez bien préparait son projet de loi. Il peut, que, en juin 2009, les experts du HCP certes, y avoir des divergences mais en qui prévoyaient un taux de croissance principe une discussion entre les deux de 2.4% et qui voient ensuite que dans institutions devrait permettre d’aboutir le projet de la loi de finances 2010 il à des hypothèses, des critères et est à 3.5%, ont des choses à dire sur des indicateurs clairs qui conduisent ce 3.5% ! Le projet de loi de finances à des prévisions communes, ou du reste finalement un exercice fondé sur moins coordonnées. Or, ce n’est un jeu d’hypothèses plus ou moins malheureusement pas le cas. sérieuses. La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 13

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La loi de Finances en questions macro-économique, Il y a encore la s’ouvre à tout va sans être compétitive, fiscaux. Pour préparer cette évolution, question du taux d’utilisation des qu’il s’agisse de consommation le ministère des Finances a commencé capacités de production de l’économie, ou d’investissement, la demande à partir de 2005 à produire un rapport notamment dans l’industrie. Il faudrait additionnelle va surtout s’adresser sur ces «dépenses fiscales». Ce savoir si la demande additionnelle à l’étranger au lieu de s’adresser recensement en soi est une bonne générée par le déficit va impliquer à l’appareil productif local… La chose. Dès la première année, on des investissements nouveaux ou conséquence est que la relance par avait recensé près de 400 mesures et simplement une utilisation des le déficit budgétaire entraîne celui de on en avait évalué près de 40%, pour capacités existantes. la balance des paiements, et ainsi de lesquels le manque à gagner pour suite (théorie des « déficits jumeaux l’Etat était de l’ordre de 15 milliards Evidemment, l’autre question »). Il faudrait donc être extrêmement de dhs. Cette année, dans le rapport patente est celle de la structure des attentif non seulement au niveau de qui accompagne le projet de loi de dépenses publiques. S’il y a déficit, la demande additionnelle créée par finances 2010, le nombre de mesures c’est parce qu’il y a un excédent des lé déficit budgétaire mais aussi –et recensées est toujours de l’ordre de dépenses par rapport aux recettes. peut-être surtout- à sa nature et son 400 (on en supprime et on en crée Mais cet excédent de dépenses, où contenu. de nouvelles) et celui des mesures va-t-il ? Quelle est la structure de ces évaluées atteint encore à peine la dépenses ? Il faut aller au-delà de la Qu’en est-il des dépenses fiscales ? moitié. Et pourtant, avec un effectif distinction classique qu’on oppose N’ont-elles pas été rationalisées ? de mesures à peu près équivalent, entre les dépenses de fonctionnement le manque à gagner en termes de qui ne seraient pas productives et Pour comprendre la question des recettes pour l’Etat a presque doublé, les dépenses d’investissement… dépenses fiscales et, au-delà, ce qu’on atteignant presque 29 milliards de Aujourd’hui, il peut y avoir des appelle les incitations économiques, dirhams ! On peut d’abord s’étonner dépenses de fonctionnement – les il faut savoir que pendant quarante que 5 ans après le premier rapport, salaires des fonctionnaires en ans, les gouvernements qui se on soit à peine capables d’évaluer particulier- qui relancent l’économie, s’étaient succédé avaient multiplié les la moitié des mesures recensées. d’autant plus qu’on sait que de incitations fiscales (dégrèvements, Et l’autre moitié ?!... Une simple nos jours l’économie marocaine exonérations, réductions…) qui projection des données actuelles est essentiellement tirée par la constituaient des régimes spécifiques, indiquerait que le manque à gagner demande interne, notamment par la « des carottes fiscales » avec cette total pourrait atteindre 60 milliards consommation des ménages. Quant idée qu’il y aurait une relation quasi de dirhams, soit près du dixième aux investissements, ils sont loin d’être automatique entre de telles incitations du PIB Le pire est que les mesures toujours productifs et efficients. Au vu fiscales et la propension des agents qu’on supprime ne sont quelque de nombre d’investissements actuels, économiques à investir, à épargner, fois vraiment pas les plus indiquées. qualifiés de «grands chantiers» (une à consommer … On a fini par se Par exemple, on a supprimé il y bonne partie du réseau autoroutier, le rendre compte que cette politique a deux ans les provisions pour TGV, certaines stations du plan Azur des incitations fiscales n’était pas investissement, alors que c’était là une …), on peut légitimement se demander efficace et ne produisait pas les effets des rares mesures qui permettaient si on n’est pas en train de gaspiller attendus, alors même qu’elle a un de favoriser l’investissement par des ressources rares pour créer coût de plus en plus lourd en termes l’autofinancement, dans une économie des «éléphants blancs», des fiascos de manque à gagner pour l’Etat (c’est où l’on sait que l’un des problèmes condamnés à rester inefficients et pour cela qu’on parle de dépenses majeures des entreprises réside improductifs… fiscales). précisément dans la structure de leurs Le dernier point que je voudrais Finalement, il a fallu se rendre à sources de financement, marquée par soulever concerne le degré d’ouverture l’évidence et songer à commencer la sous-capitalisation, l’insuffisance de l’économie et sa compétitivité. Si à limiter les dégâts, en réduisant, et des fonds propres. Alors, bonjour la l’on s’inscrit dans une économie qui parfois en supprimant ces cadeaux rationalité ! 15

ÉVÈNEMENT

L’IMPÔT SUR LE REVENU CONTRE LA CLASSE MOYENNE

LA DERNIÈRE LOI DE FINANCES BRANDIT LA RÉDUCTION DE L’IGR COMME UN EXPLOIT. QU’EN EST-IL VRAIMENT ? EN REGARDANT Najib Akesbi DE PLUS PRÈS L’ÉQUITÉ DE CET IMPÔT ET SON ÉVOLUTION Economiste, professeur à l’IAV, Rabat SELON LA TRANCHE DE REVENUS, L’AUTEUR DE CET ARTICLE REMARQUE, À JUSTE TITRE, UNE ANOMALIE STRUCTURELLE ET SURTOUT UNE INCOHÉRENCE AVEC LE DISCOURS POLITIQUE TENU EN FAVEUR DE LA CLASSE MOYENNE

sa création en 1990, Près de deux décennies après son soumettre à des règles homogènes de A «l’impôt général sur institution, ce qui fait fonction d’impôt détermination de l’assiette imposable, le revenu» avait pour ambition de sur le revenu n’a malheureusement de déductions fiscales, d’imposition… remédier aux nombreux défauts du atteint aucun de ses objectifs Or, ce que nous constatons aujourd’hui système «cédulaire» auquel il devait se annoncés. Cet impôt n’est aujourd’hui encore est que chaque catégorie de substituer. Alors que chaque catégorie ni simple, ni cohérent, ni équitable. revenu continue d’obéir à des règles de revenu était auparavant soumise à Après s’être débarrassé de sa particulières qui consacrent les un impôt spécifique (ce qui signifiait prétention à être «général» dans son distorsions et les disparités qu’on des modes de calcul de l’impôt propre intitulé, «l’impôt sur le revenu» voulait précisément éliminer : des différents, des taux d’imposition (IR) apparaît aujourd’hui bien loin de ce revenus qui bénéficient de déductions distincts…), le nouvel instrument fiscal qui était promis lors de son institution. particulières et d’autres pas, des devait les unifier à travers un seul et Cet impôt était censé venir regrouper revenus qui sont soumis au barème même impôt synthétique. Il devait les anciens impôts cédulaires pour les général alors que d’autres bénéficient donc homogénéiser, harmoniser et simplifier les dispositifs préexistants, mais aussi les rendre plus équitables. Equité «horizontale» avec le principe «à revenu égal impôt égal» (des revenus de nature différente mais de montant égal devaient être soumis à la même charge fiscale). Equité «verticale» aussi, avec un barème d’imposition réellement progressif, et donc des taux qui, à partir d’un certain seuil de revenu, augmentent plus fortement que le revenu lui-même. 16

L’Impôt sur le revenu contre la classe moyenne

de trop nombreux taux spécifiques ou iniques. Finalement, seuls les somme, l’impôt dit sur le revenu est sont exonérés, des revenus qui sont revenus salariaux continuent à être d’abord et principalement un impôt imposés à la source alors que d’autres appréhendés avec une certaine sur les salaires. le sont par voie de rôle, etc… rigueur, d’abord parce que l’impôt Au-delà de ces déséquilibres et auquel ils sont soumis est prélevé à la disfonctionnements somme toute Les salariés : l’exception qui source par l’employeur, et versé par anciens, ce qui fait l’actualité ces confirme le dérèglement lui-même au percepteur, et ensuite temps-ci est le barème d’imposition parce qu’ils sont relativement peu de l’IR dont les taux ont sensiblement L’assiette de l’IR n’est guère susceptibles de sous-évaluation ou de baissé. Les baisses qui avaient été qualitativement plus substantielle que sous-déclaration. enregistrées au cours des dernières celle à laquelle elle s’était substituée. années avaient surtout concerné Les revenus agricoles demeurent Les dernières statistiques disponibles les taux supérieurs (le taux de la depuis près de trente ans exonérés corroborent parfaitement cet état tranche de revenu la plus élevée de tout impôt, et les revenus fonciers de fait : alors que la population avait ainsi baissé de 44 à 42 puis et financiers sont pour l’essentiel salariée représente moins de 45% à 40%). Cette évolution atténuait taxés à des taux spécifiques plus de la population active, les revenus sensiblement la progressivité du cléments (de 10 à 20%). Les revenus salariaux contribuent pour plus des barème puisque dans le même temps, professionnels restent aussi mal trois quarts aux recettes de l’impôt les premiers taux correspondant appréhendés, amenant le fisc à se sur le revenu. Le quart restant est aux tranches de revenus faibles et «rattraper» arbitrairement sur les partagé entre les revenus provenant moyens, demeuraient à des niveaux petits «forfaitaires» en les soumettant des activités professionnelles, relativement élevés (15, 25 et 35%). aveuglément à des contributions immobilières et financières. En Dans le cadre de la loi de Finances pour 2010, le taux supérieur a encore baissé (à 38%), mais les autres LA CHARGE FISCALE DE L’IR SE taux ont accusé plus ou moins un CONCENTRE PRÉCISÉMENT SUR mouvement similaire, ce qui a autorisé nos gouvernants à se répandre en LA CLASSE MOYENNE louanges pour une politique qui serait subitement devenue plus «sociale» et surtout plus favorable à la fameuse «classe moyenne» qu’ils appellent de =( 98IßD<;<C@I leurs vœux…

+, Qu’en est-il au juste ? La vérité est

+' tout autre. Elle se décline en fait en trois vérités : La première est *, que même après les modifications 98IßD<)''/ *' intervenues cette année, le barème de l’IR reste marqué par une progressivité ), très singulière ; la seconde est

)' que, contrairement aux allégations 98IßD<)'(' officielles, la charge fiscale générée (, par l’IR se concentre précisément

(' sur la classe moyenne ; la troisième vérité, enfin, est que la dernière , modification du barème comme celle

' qui l’a précédée se sont avérées plutôt La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 17

de puissants accélérateurs d’inégalités qui va de 60 à 80.000 dhs, voit son élevés. C’est ce schéma qui renvoie sociales. Démonstration. taux d’imposition s’alourdir encore à la forme convexe de la courbe de de dix points, étant ainsi soumise à la progressivité (voir figure 2). Au Un barème d’imposition à la 30%. La quatrième tranche par contre demeurant, on rappellera que tel progressivité régressive apparaît très large puisqu’elle va était le cas des systèmes d’impôt sur de 80.000 à 180.000 dhs, et pourtant le revenu dans les pays développés Comme on a pu le constater sur la son taux n’augmente plus que de 4 tout au long des trois décennies figure 1, le barème de l’IR en 2010 points (à 34%). Enfin, tous les revenus postérieures à la seconde guerre repose sur un seuil de non imposition supérieurs à 180.000 dhs supportent mondiale, avec des taux marginaux fixé à 30.000 dhs. Le premier dirham un taux marginal qui n’augmente qui dépassaient souvent 70% (ce qui, qui dépasse ce seuil est imposé au encore que de 4 points pour se fixer à soit dit en passant, ne les avaient taux de 10% et ce jusqu’à 50.000 dhs. 38%. pas empêchés de connaître la phase Ce taux double carrément dès la Au total, cet éventail offre une courbe de croissance la plus forte et la plus seconde tranche imposable, laquelle d’évolution tout à fait curieuse longue de leur histoire…). apparaît du reste assez étroite puisqu’elle présente une allure de type puisqu’elle n’est que de 10.000 dhs (de «logarithmique», disons concave, alors Que constatons-nous dans le cas du 50 à 60.000 dhs). La troisième tranche, qu’elle devrait être plutôt convexe, Maroc ? Pratiquement un schéma inversé (figure 3), le contraire de ce qui devrait être, un peu comme si nous marchions sur la tête... De prime abord, un seuil d’imposition encore trop faible, puis dès le premier dirham ’APPORT FISCAL DE- imposable, le choc est réellement L brutal puisqu’on passe de zéro à VRAIT ÊTRE MINIMAL, VOIRE NUL 10%, puis très vite l’accélération se fait encore plus brutale alors AU NIVEAU DES BAS REVENUS qu’on en est encore au niveau des tranches de revenus modestes, avec des taux de 20% à partir de 50.000 =) voire parabolique (voir Fig. 2 et 3). dhs et 30% à partir de 60.000 dhs =* 98IßD<;<C@I En effet, il faut bien comprendre de revenus annuels. Puis, là où l’on

=`^li\) que, par essence, tout impôt sur pense que la progressivité aurait pu le revenu se doit d’être progressif, logiquement commencer à s’accélérer, Gif^i\jj`m`k„%%% même s’il est vrai que l’appréciation elle décélère presque tout aussi de la progressivité d’un barème n’est brutalement qu’elle avait commencé pas un exercice facile. Au fond, cette au niveau des basses tranches : le appréciation est tributaire de la vision barème n’augmente que de 4 points à que l’on se fait du rôle de l’impôt dans partir de 80.000 dhs, puis de 4 autres le nivellement de la distribution des points au-delà de 180.000 dhs, niveau revenus et au-delà du degré et de la à partir duquel la progressivité s’arrête

I\m\el nature des inégalités sociales que tout net, et le taux devient simplement l’on tolère dans une société. Il reste proportionnel… En somme, pour =`^li\* qu’on s’accorde aisément sur une idée reprendre la terminologie de L. simple et de bon sens : la contribution Mehl et P. Beltrame, on peut dire Gif^i\jj`m`k„i„^i\jj`m\%%% fiscale devrait être minimale, voire qu’après avoir été «progressivement nulle au niveau des bas revenus, puis progressif» au niveau des trois augmenter faiblement au niveau des premières tranches, le barème de l’IR tranches de revenus encore modestes marocain devient «régressivement ou moyens, et s’accentuer ensuite progressif». Autrement dit, le barème «progressivement» pour devenir marocain est construit de manière relativement forte au niveau des à être fortement progressif sur les I\m\el tranches de revenus élevés, voire très bas et moyens revenus, puis d’autant 18

L’Impôt sur le revenu contre la classe moyenne

moins progressif que le niveau des =+ C@I#LE@DGåKJLIC8:C8JJ<DFP

s’atténue fortement puisque le taux ont insisté sur son impact positif sur épargner qui l’emporte… n’augmente que de 4 points à partir de la consommation des ménages, et Finalement, on voit bien que si la 6601 dhs et de 4 autres points au-delà partant sur la relance de l’économie dernière baisse de l’impôt sur le de 15000 dhs… par ces temps de crise. Cette revenu a certes quelque peu allégé Force donc est de constater que c’est baisse était ainsi présentée comme la charge fiscale pesant sur les bas bien cette classe moyenne que l’on étant une mesure anti-crise par et moyens revenus, elle maintient prétend promouvoir qui supporte excellence. L’ennui est qu’en évitant entière la problématique majeure de l’essentiel de la charge de l’impôt, soigneusement de jeter la lumière cet impôt, celle qui en fait un impôt ponctionnée ainsi par un barème qui sur l’impact «social» de la mesure, on excessivement injuste. Cette baisse n’est réellement progressif qu’à son s’est par la même occasion interdit n’a donc pas seulement conforté le niveau précisément… la possibilité d’en apprécier l’impact caractère régressif de son barème, économique avec un minimum de mais de plus n’atténue en rien la On comprend dans ces conditions bon sens. Car il n’est guère besoin de propension de l’IR à faire des revenus que, baisser les taux d’imposition, en mobiliser de grandes connaissances de la classe moyenne son terrain de commençant par le plus élevé, ne peut en sciences économiques pour prédilection. Profitant essentiellement que contribuer à ajouter de l’inégalité comprendre que c’est au niveau aux hauts revenus, elle se révèle enfin à l’inégalité, et tout couronner par une des bas et moyens revenus que la économiquement inefficace, puisque très probable inefficacité. propension à consommer d’un revenu l’effet qui en est attendu - le soutien additionnel est la plus forte, alors de la consommation - a fort peu de Relance de la consommation: une baisse probablement inefficace =, <:FEFD@<;@DGåK

PETIT VOCABULAIRE DE LA MONDIALISATION (2)

Par Michel Peraldi Sociologue, directeur du CJB, Rabat

odernité liquide. et lent, mais de façon capillaire car Contrairement à ce qu’on DES IDÉES, n’importe quelle société locale peut M lit trop souvent, nous ne aujourd’hui générer des processus de vivons pas LA mondialisation mais UN DES MODES mondialisation. Coca-Cola, Microsoft processus de mondialisation. Il y a eu ou Mac Donald’s ne sont pas des en somme d’autres mondialisations, CIRCULENT nouveautés, leur colonisation du depuis l’antiquité, car l’échelle du TELS DES monde relève de mécanismes hérités monde est l’aboutissement logique du siècle industriel. La nouveauté c’est de tout processus de domination par RUISSEAUX, la rapidité avec laquelle des produits, l’économie. Dès lors qu’une économie des idées, des modes, des habitudes, est portée par un appétit sans frein SANS BÂTIR peuvent circuler sans construire des de richesse et d’accumulation, elle a empires. Les bijoux fabriqués par les forcément le monde pour horizon et DES EMPIRES forgerons touaregs se vendent de limite. Le monde au temps d’Aristote Tamanrasset à New York et il y a dans s’étend par un réseau de comptoirs du cycle industriel, est désormais Soho, à Londres, une boutique qui vend (emporiums), où les Grecs font planétaire. Celui des aventuriers des bijoux et du couscous touareg. commerce avec les étrangers, s’étend, génois était euro-méditerranéen, voilà Le couscous, aussi, s’est mondialisé, des côtes phéniciennes (le Liban) toute la différence, et c’est peu de parce qu’il a suivi et s’est transporté aux colonnes d’Hercule (Gibraltar et chose. avec les migrants maghrébins. Sebta), leur monde connu. Lorsque Par contre, il peut être important C’est aujourd’hui le plat préféré des les grandes cités maritimes italiennes de souligner que les processus de Français. Ou la pizza, ce plat ouvrier triomphent, leur emprise s’étend sur mondialisation ont été jusqu’à la fin napolitain qui a conquis le monde, toute l’Europe et la Méditerranée, de l’ère industrielle, d’une double autant que le fast-food, mais sans jusqu’à Byzance qu’elles soumettent. nature, parce qu’ils ne se contentent empire industriel, par transformation Les marins et commerçants vénitiens pas de gagner en extension spatiale, successive et adaptation locale, sur un et génois du 15ème siècle vont en ils gagnent aussi en soumettant tissu de petites initiatives capillaires. Chine et organisent leurs activités à les économies locales. Lorsque les Voilà pourquoi certains, comme l’échelle de leur monde. Grecs se contentaient d’installer des le philosophe allemand Zygmunt Ce n’est donc pas la dynamique «comptoirs», le siècle industriel a Bauman, parlent alors de modernité d’extension qui change, car la maîtrise conquis des continents et soumis liquide : ce temps du monde où les du monde est une conséquence et une les peuples. Ce qui est nouveau objets et les idées, les modes ou les nécessité de l’économie capitaliste dans les processus de globalisation cris peuvent circuler, s’étendre sans elle-même. Ce qui change c’est contemporains c’est en quelque sorte s’arrêter, comme mille ruisseaux. En l’échelle du monde. Notre monde, dans qu’ils repartent du local, non pas de se jouant des frontières, des empires, la continuité de l’expansion coloniale foyers expansifs dans un monde calme des souverainetés. 21

ECONOMICUS

INDICATEURS DE CLASSEMENT ET DÉVELOPPEMENT

Réformer l’IDH, pour quoi faire ? Par Adil El Mezouaghi Les indicateurs composites, est-ce nécessaire ? Par Touhami Abdelkhalek Doing business, vu de l’intérieur Entretien avec Najy Benhassine Propos recueillis par Adil El Mezouaghi L’impact des indicateurs sur la décision publique Par Hassan El Aouni La métaphore du photographe Par Hassan El Aouni 22 ECONOMICUS

Indicateurs de classement et développement RÉFORMER L’IDH, POUR QUOI FAIRE ? DERRIÈRE LE BRANLE-BAS DE COMBAT QUE SOULÈVE LE DÉBAT SUR L’INDICE DE DÉVELOPPEMENT HUMAIN SE CACHENT PLUSIEURS ENJEUX POLITIQUES. DEMANDÉ PAR LE PNUD, RELAYÉ PAR LE HCP, L’APPEL À LA RÉFORME DE L’INDICE NE RÉVÈLE-T-IL PAS UNE INCAPACITÉ À RÉFORMER LE RÉEL ?

Adil El Mezouaghi Doctorant en droit et financement du développement, Cesem-Hem

A chaque fois que le PNUD publie son classement basé sur l’indicateur du développement humain (IDH), la redondance semble être le maître mot. Redondance des classements - voire régression - et redondance des réactions. Si l’IDH contient des limites d’ordre technique et est critiquable à plus d’un niveau, il n’en demeure pas moins qu’il ne représente qu’une réalité. Beaucoup appellent à sa réforme mais la volonté de le réformer ne représente pas le même intérêt pour tous les belligérants. Cette «polémique stérile» ne saurait masquer le retard du Maroc dans les composantes non économiques de l’IDH : santé et éducation. l’IDH est un indice composite synthétique qui ne tient compte que de trois dimensions : niveau du PIB, scolarisation des jeunes / alphabétisation des adultes et ECONOMICUS La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 23

espérance de vie. Il a apporté en 1990 la division de statistique de l’ONU dira : semble donner de meilleurs résultats une réponse à une approche classique «le développement humain devrait se au niveau du même pays. «Il permet de la mesure du développement mesurer sur plus d’une dimension. aux décideurs de visualiser la économique (basée sur le PIB). Sa L’IDH a déjà été révisé par le passé, il distribution régionale des indicateurs première limite est qu’il englobe des a vocation à tenir compte de plus de composant l’IDH», selon la même dimensions (santé et éducation) qui paramètres, plus représentatifs des source. n’évoluent que sur le long terme, OMD4». Qu’en est-il du Maroc ? Soulignons du fait de l’effet tardif des efforts d’abord que l’appel à la réforme de déployés. Aujourd’hui, sa remise RÉFORMER L’IDH : CHANGER l’IDH a été porté par le ministère en question dépasserait le côté D’INDICE OU CHANGER DE des affaires étrangères. Lors d’une technique : plusieurs simulations1 MÉTHODE ? rencontre avec le représentant du montrent qu’en utilisant différentes PNUD à Rabat, M. Fassi-Fihri listera définitions multidimensionnelles du Deux choix sont proposés pour une longue batterie de critiques développement, et en recourant à réformer l’IDH : soit il faut changer techniques de l’IDH et remettra en différentes modélisations statistiques, d’indicateurs et de classements, soit il cause la pertinence et la fiabilité de les classements ne changeraient faut recourir à d’autres méthodes pour l’IDH. D’après le communiqué du que très peu. Ce sont en réalité ses mieux renseigner sur le développement 08/09/2009, le PNUD est «interpellé multiples enjeux politiques qui invitent d’un pays. Romuald JANSEN rappelle pour réviser la méthodologie à sa réforme. Le système onusien que l’IDH a, en 2001, commencé à tenir d’élaboration de certains indices s’en sert pour faire pression sur les Etats ; la publication du Rapport Mondial sur le Développement Humain est toujours très attendue et a une résonnance internationale réelle. De DES GOUVERNEMENTS l’aveu même de M. Eduardo Pereira Nunes2, «L’agenda technique des RÉORIENTENT LEURS PRIORITÉS instituts nationaux de statistiques POUR PLAIRE AU PNUD est dicté par leurs engagements internationaux». Voilà qui nous autorise à penser que l’agenda politique des compte des écarts du coût de la vie statistiques sectoriels ou globaux, en gouvernements pourrait être au entre les pays développés et ceux en travaillant avec les Etats membres et moins influencé par la publication de développement. En 2008, une autre les organes compétents des Nations ce type de classement. M. Taâmouti, vague de déclinaisons a eu lieu : genre Unies». professeur d’économie et directeur et pauvreté par exemple y ont été de la statistique au HCP est clair sur incorporés mais non pris en compte LA SAUCE INTERNE DU HCP ce point : «Un des risques de l’IDH est dans les classements. Il appelle qu’il oblige certains gouvernements à clairement à tenir compte des Objectifs Le HCP prend le relais : réflexions, réorienter leurs priorités et à élaborer Millénaires du Développement (OMD) ateliers et forum international en des politiques juste pour répondre à dans l’IDH. Selon le chef de la division ce début d’année… Il en ressort que leur classement et non pour traiter les statistique de l’ONU, le PNUD «a le HCP préférerait le changement vrais problèmes». convoqué des réunions techniques de méthode à la réforme de l’IDH. Les Etats ne sont pas les seuls à sur la réforme de l’IDH et le rapport M. Lahlimi verrait même une appeler à la réforme de l’IDH. Des 2010 lui serait consacré». Il rappelle cohabitation entre le classement voix s’élèvent du cœur même du avec force que la décision de réformer tel qu’il est actuellement et la mise concepteur et de l’utilisateur de de l’IDH «sera d’abord une décision en lumière de «success stories». l’IDH : le système onusien. M. Juraj politique». Pour le Haut Commissaire au Plan, RIECAN, directeur des statistiques à En attendant les délibérations du il est indispensable de pouvoir l’UN-ESCWA3 déclare que «l’analyse PNUD, le Brésil semble avoir trouvé disposer de références et de «bonnes comparative utilisée par l’IDH souffre sa formule. D’après M. Pereira pratiques» desquelles s’inspirer. Il de la présence de trop d’acteurs, de Nunes : «On mesure l’IDH pour 5565 appelle également à «un classement trop de failles, de défaillances dans la municipalités». Ce choix montre différencié». «Comment peut-on collecte et dans la coordination des «les inégalités par régions, Etats et classer le Maroc et Andorre ?», données». Romuald JANSEN, chef de municipalités». Le Benchmarking dénonce-t-il. D’abord, il verrait 24 ECONOMICUS

Réformer l’IDH, pour quoi faire ?

un classement selon les capacités statistiques des grandes ambitions et se mettent à l’écoute du «classeur». gouvernements. Il est injustifié de mettre «sur un même Soit, enfin, ils font preuve d’arrogance en ne prêtant tableau des enquêtes et des estimations». Il propose attention ni à leur classement ni aux recommandations qui également un classement par catégorie de pays, à niveau en découlent». de développement proche. Le HCP est d’ailleurs en train L’IDH a souvent été remis en cause par le Maroc et a de mettre en place tout un système d’information sur le toujours provoqué les mêmes réactions : incompréhension niveau du développement, se focalisant principalement que le Royaume fournisse tant d’efforts pour se développer sur le niveau de vie de la population et sa perception des et que son classement recule. Avec une attitude d’écoute, réalités sociales et économiques. Un système qui sera d’humilité et d’ambition, saurons-nous peut-être nous régionalisé mais qui court le risque de manquer de «repères attaquer aux vrais problèmes : ceux du développement et ou d’étalons». non ceux du classement ? La mise sur pied de l’ONDH7 Ce système de «tableau de bord» est celui que proposent les était peut-être énonciatrice d’un changement, celui de travaux de la Commission Stiglitz-Sen-Fitoussi. Mandatée l’évaluation des politiques publiques. En apprenant que pour réfléchir aux grandes mutations et orientations le premier souci de l’ONDH est de mettre sur pied ses économiques et sociales, elle s’est intéressée aux propres indicateurs, l’intérêt de l’indicateur se perd, et la indicateurs de développement socio-économique. Jean- communication risque fort de l’emporter sur la substance. Philippe Cotis, directeur de l’INSEE5 et un des rapporteurs du rapport Stiglitz revient sur l’évolution de la réflexion de cette commission. «Qu’attendons-nous des indicateurs ? La A propos de «Best practices» mesure du bien-être des populations et de sa soutenabilité», indique-t-il. Il reconnaît lui-même «qu’on entre, ce faisant, dans le domaine de la subjectivité, du ressenti». En plus Une région laboratoire au Québec (Saguenay – Lac des difficultés conceptuelles, se posent d’après lui des Saint-Jean) a mené cet effort de construction d’un «divergences d’intérêts entre les générations actuelles tableau de bord «fruit du travail d’un ensemble et les générations futures difficiles à synthétiser en un d’intervenants régionaux». Y ont été choisis «les indicateur». L’idée de l’indicateur est donc vite abandonnée indicateurs les plus significatifs qui concernent par la commission et elle se dirige vers «un tableau de bord des objectifs cruciaux du développement durable». surveillant quelques variables clés». Quelques idées sont Sept domaines ont été retenus par les experts qui déjà reprises par l’INSEE : prise en compte des activités se sont penchés sur la question : développement non marchandes, approche ménages, décomposition du humain, culture, environnement, social, économie, revenu et de l’épargne des ménages par classe, analyse des gestion des ressources et gestion du territoire. très hauts revenus, situations de mal-logement, et enfin Chaque domaine est expliqué par des données et des l’enquête SILC6. Pour le Maroc, suivre ces recommandations indicateurs originaux correspondant aux spécificités requiert non seulement, de l’aveu de M. Lahlimi «des locales et respectant la rigueur méthodologique moyens financiers et humains» considérables, mais aussi internationalement reconnue. Exemples : le une volonté et une attitude différentes de celles affichées développement humain tient compte des signaux pour accueillir les classements internationaux. de la pauvreté et de l’espérance de vie (à l’image de l’IDH), mais il englobe également la détresse UNE AUTRE ATTITUDE ET UNE AUTRE psychologique et le bilan migratoire (originalités POLITIQUE locales).

Najy Benhassine, économiste principal à la Banque Mondiale, hiérarchise, à partir de son expérience, les réactions des Etats face aux classements internationaux, tels que celui de l’IDH diffèrent : «On distingue quatre attitudes possibles. Soit les Etats remettent en question les instruments du classement et coupent court au débat. Soit ils remettent en question les classements mais essayent d’en tenir compte. Soit ils en prennent acte, affichent de ECONOMICUS 25

Indicateurs de classement et développement INDICATEURS COMPOSITES, EST-CE NÉCESSAIRE ?

Abdelkhalek Touhami Économiste et statisticien, INSEA

es exigences de les principales raisons qui justifient le et sur les politiques à prendre pour description et recours à des indicateurs synthétiques améliorer leurs niveaux d’autre part. L d’analyse conduisent ou composites. Sachant qu’en dépit des améliorations souvent à l’utilisation d’approches apportées aux nouveaux indicateurs multidimensionnelles et au recours à Les indicateurs synthétiques sont (comme l’IDH), ces derniers seront plusieurs indicateurs. Dans le domaine indéniablement convaincants. Grâce toujours critiqués. du développement économique, à leurs formulations statistiques, Il sera en effet toujours difficile de ces mesures sont relatives à des ils permettent d’effectuer des justifier le choix des dimensions grandeurs économiques, à des comparaisons dans le temps et entre à retenir pour décrire de façon dimensions sociales ou enfin à des les pays. Aujourd’hui, plusieurs de ces convenable un domaine complexe aspects spécifiques du bien-être de la indicateurs sont justement utilisés par nature. Il en sera de même des population. comme critères de classements indicateurs à retenir pour représenter internationaux. ces dimensions, tout comme des Les indicateurs simples rendent En plus de ceux de type simple, les méthodes techniques d’agrégation compte de la situation d’une unité indicateurs composites sont supposés et des pondérations des indicateurs statistique (un pays par exemple) selon éclairer certains problèmes et inciter partiels qu’elles impliquent. une dimension particulière. Ils sont les responsables à prendre les Chacune de ces étapes recouvre assez faciles à calculer. Cependant, ces bonnes décisions. Lorsqu’ils ne sont indiscutablement une part plus ou mêmes indicateurs sont largement pas ignorés, ces indicateurs et ces moins grande de subjectivité, voire insuffisants. Il en faut un très grand classements incitent les décideurs d’arbitraire. nombre pour rendre compte, même à mettre en place des actions et des en partie, d’un phénomène complexe. programmes sectoriels d’ajustement. Finalement, on peut affirmer qu’on ne En plus, lorsqu’on cherche à faire des peut se passer de tous ces indicateurs comparaisons entre plusieurs pays, Cependant, la portée et la fiabilité (simples ou synthétiques), ni des ou encore pour juger les efforts de de ces indicateurs synthétiques classements qui en découlent. Ils développement consentis de façon ont été l’objet de nombreuses sont devenus indispensables pour globale, sur la base d’une multitude critiques. Ces dernières portent sur donner des images, même partielles d’indicateurs simples, la mission la formulation, la construction et le ou incomplètes, des phénomènes devient presque impossible. Ce sont là calcul de ces mesures d’une part approchés. 26 ECONOMICUS

Indicateurs de classement et développement ENTRETIEN AVEC Najy Benhassine Economiste senior à la Banque Mondiale DOING BUSINESS, VU DE L’INTÉRIEUR

L’EVALUATION DU CLIMAT DES AFFAIRES PAR LA BANQUE MONDIALE EST L’UN DES PLUS GROS CASSE-TÊTE POUR LES DÉCIDEURS. PLUS QUE LES CLASSEMENTS À CONNOTATION SOCIALE, DOING BUSINESS PRÉOCCUPE PAR SA SUPPOSÉE FORCE DE DISSUASION DES INVESTISSEURS. FAISONS CONNAISSANCE AVEC CET INDICATEUR, PAR-DELÀ LES CLICHÉS MÉDIATIQUES.

Propos recueillis par Adil El Mezouaghi Doctorant, Cesem-Hem

La Banque Mondiale publie chaque donné. Là est la limite des exercices questions complexes à des discussions année un panorama du climat des de benchmarking : par nature, ils ne passionnées sur le fait qu’un pays X est affaires dans presque tous les pays du peuvent être exhaustifs. C’est le prix loin derrière un pays Y. Ces indicateurs monde. Comment êtes-vous arrivés en à payer pour gagner en comparabilité ne devraient être utilisés que comme 2009 à classer ces 183 économies aux internationale. Aussi, si l’on veut point de départ pour alimenter des caractéristiques si différentes ? Quelles vraiment analyser le climat des affaires débats de fond sur les vraies questions sont les limites de ce benchmarking ? dans un pays, rien ne vaut des analyses qui touchent les entrepreneurs. Ces Le classement est basé sur approfondies spécifiques au pays débats techniques sont plus utiles aux l’agrégation de dix indicateurs du même. Les benchmarks internationaux décideurs et aux acteurs concernés, climat des affaires. Il ne prétend pas ne sont que des «thermomètres» qui mais ils sont effectivement moins être exhaustif, et est appelé à être donnent la mesure d’une ou plusieurs révélateurs et moins visibles que des utilisé aux côtés d’autres indicateurs dimensions étudiées. La réalité est classements entre pays qui alimentent pour mieux appréhender l’ensemble toujours plus complexe, et critiquer plus facilement la polémique. des dimensions du climat des affaires la qualité des «thermomètres» n’est dans un pays. Par exemple, des sujets pas toujours très utile au débat. Cette approche s’accompagne par tels que le développement humain, le Malheureusement, même si les des «Best Practices». Est-ce que les système financier, la stabilité politique, benchmarks utilisant des indicateurs «Best-Practices» sont transposables ? la gouvernance ou l’infrastructure - des synthétiques tel que le Doing Business Le rapport Doing Business présente domaines essentiels pour la décision sont informatifs pour situer grosso en effet des exemples de réformes qui d’investir - ne sont pas couverts modo les pays les uns par rapport aux semblent avoir réussi dans certains par le Doing Business. Une analyse autres, le fait qu’ils soient si simples pays. Bien que le vocable de «best exhaustive de tous ces aspects est et qu’ils comparent les pays fait qu’ils practice» ait souvent été attribué un nécessaire pour appréhender la réalité font très vite la Une de la presse, et peu légèrement et que rares sont les du climat des affaires dans un pays tendent à limiter les débats sur des réformes qui aient vraiment fait l’objet ECONOMICUS La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 27

ENTRETIEN AVEC Najy Benhassine d’évaluation d’impact rigoureuses, nationales ou de données provenant ces exemples sont utiles pour inspirer d’enquêtes terrain. Ces dernières sont les réformes d’autres pays. Par importantes, comme complément aux contre, elles ne sont en aucun cas indicateurs, pour mieux appréhender transposables telles quelles. Elles l’environnement de l’entreprise. Les peuvent alimenter la réflexion, donner informations collectées par un travail des idées, et informer sur des points de de terrain permettent d’aller bien détail de mise en œuvre des politiques plus en détail dans l’expérience que publiques, qui s’avèrent être cruciaux vivent les entreprises, et de mesurer pour leur réussite. Mais la conception les performances de ces dernières. de réformes est un exercice spécifique Pour revenir à l’image utilisée plus à chaque pays. Des solutions générales haut, si le Doing Business constitue qui ont tendance à marcher existent, un «thermomètre» du climat des mais leur mise en œuvre dépend affaires, les enquêtes terrain, les souvent de spécificités que seuls les analyses quantitatives et qualitatives, acteurs locaux peuvent appréhender les travaux analytiques et l’analyse fine dans leur pays : rôle et capacités des des réglementations et de la qualité

contre, ces travaux complémentaires RITIQUER LA QUALITÉ - telles que les enquêtes de terrain ou C l’analyse du cadre juridique des affaires DES «THERMOMÈTRES» N’EST - sont réalisés régulièrement dans de PAS TOUJOURS TRÈS UTILE nombreux pays, le Maroc inclus. AU DÉBAT PUBLIC Vous êtes conscients que dans des pays comme le nôtre, il ne suffit pas de voter une loi, il faut aussi s’informer institutions, incitations des acteurs de leur mise en œuvre, sont des outils sur son application. Le fait que Doing dans les administrations, économie complémentaires qui, ensemble, Business évalue les réformes à l’aune politique, cadre réglementaire à constituent le «diagnostic» dont des lois votées, n’est-ce pas une modifier, faisabilité, et moult «détails» les décideurs politiques ont besoin manière de s’arrêter à mi-chemin ? qui font que chaque réforme est pour réformer. Bien entendu, on ne C’est vrai. L’important pour un unique. peut pas faire cet exercice exhaustif chef d’entreprise n’est pas le texte de manière systématique, et à une en lui-même, mais comment la Tous les pays ne sont pas dotés des fréquence annuelle, dans les 183 réglementation en question va lui mêmes capacités statistiques. Est-ce pays couverts par le rapport Doing être appliquée. A défaut de pouvoir que l’approche qualitative pallie ce Business. C’est pour cela qu’en termes mesurer directement l’application des manque. Pourquoi ne pas recourir à de benchmarks internationaux, on doit réglementations par des enquêtes des enquêtes de terrain ? se contenter du «thermomètre». Par de terrain, le Doing Business se base Les indicateurs Doing Business ne dépendent pas vraiment des capacités statistiques des pays couverts par le Biographie rapport. La plupart des indicateurs portent sur les textes réglementaires et Najy Benhassine est économiste principal à la Banque Mondiale, où il s’appuient sur l’expertise de cabinets travaille sur les questions de croissance et de développement du secteur spécialisés et d’organismes capables privé, ainsi que sur les évaluations d’impact des politiques publiques. d’informer l’équipe Doing Business Auparavant, il a été professeur invité à l’Institut des Hautes Etudes sur le cadre règlementaire et leur Internationales de Genève, et consultant en stratégie chez McKinsey & Co. expérience en termes d’application Ingénieur de l’Ecole Polytechnique de Lausanne, diplômé d’HEC Paris et des lois et réglementations. Le de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, il détient également un rapport n’utilise pas de statistiques Ph.D. en économie du Massachussetts Institute of Technology (MIT). 28 ECONOMICUS

Doing business, vu de l’intérieur

A l’image de beaucoup de pays de la région MENA, et selon plusieurs chercheurs, la préparation et la mise en œuvre des réformes au Maroc obéit à une logique Top-Down. Doing Business a-t-il vocation à faire des recommandations pour dépasser cette approche descendante ? Honnêtement, c’est caricaturer le processus de prise de décision et de mise en œuvre des réformes au Maroc ou dans d’autres pays de la région, que de le qualifier de top-down. Mon expérience est bien plus nuancée que cela lorsqu’il s’agit de réformes techniques. Au Maroc par exemple, la CGEM ou d’autres organisations sont généralement consultées. L’administration fait régulièrement appel à des juristes ou des experts techniques lorsqu’il s’agit de réformes réglementaires ou de textes techniques. Ceci dit, est-ce que ces processus de consultation sont systématiques, totalement transparents L’ENTREPRISE EST ORI- et ouverts ? Non, même si dans le cas précis le Maroc est en avance par rapport à bien des pays de la région GINALE MAIS C’EST MENA. Par exemple, l’expérience en cours de mise en place de la Commission Nationale de l’Environnement des TROP TÔT POUR PARLER Affaires est prometteuse. Il s’agit d’institutionnaliser le processus de préparation et de suivi de la mise en œuvre DE «BEST PRACTICE» des réformes. Présidée par le Premier Ministre, elle inclut tous les ministres concernés ainsi que la CGEM, le sur l’expérience de cabinets spécialisés qui réalisent ces GPBM, l’AMDI et d’autres organisations. Dotée de moyens procédures administratives pour le compte de nombreuses humains au sein d’un secrétariat permanent, d’un plan entreprises. L’idée est que par leur biais, l’expérience d’action clair et d’indicateurs de performance et de suivi moyenne d’un grand nombre d’entreprises est estimée. des réformes, cette Commission aspire justement à Ceci permet non seulement de «noter» les réglementations améliorer la coordination entre ministères, organisations en terme de degré de complexité, mais aussi d’estimer patronales et autres institutions, dans la préparation et les délais et même les coûts qu’implique leur application la mise en œuvre des réformes. L’efficacité du processus sur le terrain. Est-ce que ces mesures sont parfaites ? devrait ainsi être renforcée, ainsi que son caractère inclusif, Certainement pas ! Les erreurs de mesure sont le propre transparent et orienté vers la réflexion concertée, l’action des statistiques. Mais comme indicateurs, elles jouent et les résultats. C’est une entreprise originale qui vient de leur rôle. Mesurer plus précisément l’application des lois débuter. On ne pourra mesurer son efficacité et son impact demanderait de collecter des données de terrain auprès que sur la durée. C’est encore trop tôt pour parler de «best des entreprises ou des administrations concernées. Cela practice» car il y a eu plusieurs expériences de commissions serait utile pour améliorer la précision des données Doing infructueuses dans le passé. Mais celle-ci est «bien partie» Business qui portent sur les délais, mais le plus grand et, je vous le garantis, on est loin d’une approche top-down. apport serait - au-delà des délais moyens - de mieux appréhender la variété d’expériences auxquelles font face Doing Business adopte une logique régionale (infra-étatique) les entreprises dans leurs rapports aux administrations. pour renseigner sur les climats locaux des affaires. Quelle Cela permettrait de mesurer l’arbitraire, la prévisibilité lecture faites-vous de la situation du Maroc qui s’apprête à et le pouvoir discrétionnaire dans l’application des approfondir le concept de régionalisation ? réglementations. Cet aspect essentiel du climat des J’évoquais plus tôt l’écart entre les textes et leur mise affaires reste inconnu, et pas seulement au Maroc. Il est en œuvre. Même si les lois et réglementations sont clair que des indicateurs synthétiques comme ceux du généralement les mêmes dans toutes les régions, leur mise Doing Business n’apportent rien sur cette problématique en œuvre peut varier d’une administration à l’autre et d’une importante. région à une autre. Dans certains pays, comme le Maroc ou ECONOMICUS La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 29

d’autres indicateurs du climat des affaires, qui ne soient pas nécessairement utilisés dans d’autres pays, mais qui Positiver le classement de la pourraient être spécifiques au cadre réglementaire marocain Banque mondiale désagrégé par régions.

Nizar BARAKA, ministre chargé des affaires Comme tout indicateur composite, Les indicateurs de Doing économiques et générales Business présentent à la fois la qualité et la limite d’être synthétiques. Quelles réflexions menez-vous pour les rendre Le débat sur la pertinence ou l’utilité des plus évocateurs ? classements et des indicateurs internationaux est Je rappelle que derrière l’indicateur synthétique qui aujourd’hui dépassé. Ce qui importe, c’est le lien sert à classer les pays, il y a une batterie d’indicateurs entre ces classements et les politiques publiques détaillés - près de 40 qui sont disponibles sur le site mises en œuvre. Toute politique publique englobe internet www.doingbusiness.org. Pour les chercheurs et des actions. Les actions à mener ne doivent pas viser les décideurs publics, ces informations sont une mine à améliorer un quelconque classement. d’or encore inexploitée. Concernant le champ couvert par ces indicateurs, qui ne prétend pas être exhaustif, l’équipe Deux approches face aux classements Doing Business travaille actuellement sur plusieurs pistes Si nous prenons l’exemple de Doing Business, on qui permettront d’étendre les domaines couverts par le peut distinguer deux approches possibles : d’un coté rapport, tout en gardant la même méthodologie de collecte celle - victimiste et aux nombreuses limites - qui des données qui a fait son succès. Il s’agit de l’accès à consiste à dire : «Nous sommes mal classés, et le l’infrastructure (un indicateur de connexion au réseau rapport ne tient pas compte de nos efforts et de nos électrique a été testé l’an passé) ; de la corruption et des évolutions sur le climat des affaires» ; de l’autre celle déclarations de patrimoine des élus ou hommes politiques ; - pragmatique - qui nous pousse à nous approprier et, dans un rapport qui sera séparé du Doing Business, la méthodologie de Doing Business et à tenir compte des indicateurs sur la discrimination basée sur le genre, de ses observations. Nous sommes aujourd’hui dans notamment dans le droit des affaires. une logique de partenariat avec la Banque Mondiale (SFI), l’USAID et l’OCDE pour la mise en place d’une évaluation des politiques publiques relatives au climat des affaires.

Des indicateurs pour l’évaluation des politiques publiques Derrière tout indicateur synthétique se cachent des informations qui renseignent mieux sur les réalités. Si ces indicateurs internationaux composites n’accompagnent pas assez nos politiques publiques, il n’est pas illégitime d’envisager des indicateurs propres. Leur but ne serait pas tant d’essayer de mieux classer le Maroc que de renseigner sur l’efficacité des politiques menées en attente d’un regard extérieur à l’administration (rôle potentiel de l’ONDH, HCP, Conseil Economique et Social, cour des comptes, IGF).

l’Egypte, les indicateurs Doing Business ont été mesurés dans chaque région. Cela est très utile pour créer un phénomène d’émulation entre régions. Encore mieux, dans un contexte de régionalisation des processus de décision, chaque région pourrait tester des réformes réglementaires ou institutionnelles qui pourraient être imitées ailleurs. D’où l’utilité d’avoir des indicateurs intra-pays. Je ne limiterai cependant pas cet exercice au Doing Business ; j’y ajouterai 30 ECONOMICUS

Indicateurs de classement et développement SYNTHÈSE L’IMPACT DES INDICATEURS SUR LA DÉCISION PUBLIQUE SI ON DÉPASSE LA LECTURE TECHNICISTE DES INDICATEURS DE CLASSEMENT INTERNATIONAUX ET LES POLÉMIQUES STÉRILES QUI S’ENSUIVENT SOUS DES DEHORS DE PATRIOTISME ZÉLÉ, IL EST INTÉRESSANT DE REGARDER DE PLUS PRÈS CE QUE LES CHIFFRES, LES RAPPORTS, LES MESURES À L’INTERNATIONAL CRÉENT COMME DYNAMIQUES DÉLIBÉRATIVES ET/OU DÉCISIONNELLES EN INTERNE. C’EST LA QUESTION ABORDÉE LORS DE LA DERNIÈRE SESSION DU COLLECTIF STRATÉGIE.

Hassan El Aouni Enseignant-chercheur, Cesem-Hem

L es sessions du Collectif indicateurs de classement des pays et Stratégie du CESEM leurs critiques techniques. Les deux de l’année 2010 seront consacrées indicateurs qui ont été largement aux classements internationaux. discutés sont l’IDH et Doing Business. La première session de l’année (le Un consensus entre les intervenants samedi 23 janvier) s’est focalisée sur sur les principales critiques techniques la compréhension des principaux qui ont été examinées a été établi. Les indicateurs de classement critiques concernent principalement internationaux (les plus médiatisés l’inclusivité des indicateurs (intègrent- et ayant un impact réel sur les ils suffisamment de paramètres ?) et politiques publiques), leurs mesures, leur pondération (quelle rationalité y leurs apports et leurs limites, afin préside ?). d’ébaucher une réflexion sur leur impact réel sur les citoyens marocains. Par rapport à ces critiques, il faut noter a pu faire émerger peuvent être L’objectif poursuivi par le collectif lors que, quelle que soit l’erreur ou la limite schématisées selon deux focus : de cette première édition et qui a été de l’instrument de mesure, si elle est clairement affiché en amont était de générale, elle n’affectera en aucun •zoom assez large (international) dépasser la critique technique des cas la comparaison. Mais au-delà des relatif au débat que créent ces indicateurs et tenter d’élucider leurs réactions critiques des pays qui se classements, à la légitimité et à la impacts sur les décisions publiques. trouvent mal classés, à quoi servent notoriété des organismes qui classent Néanmoins, au démarrage de la réellement ces classements ? Et quel et enfin à la diffusion des résultats par session, les intervenants ne se sont est leur impact sur les réalités ? les médias. pas retenus pour présenter d’une En termes d’impacts, les principales •zoom assez réduit (national) relatif manière synthétique les principaux modalités de réponses que le collectif à la réaction du pays classé, aux ECONOMICUS La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 31

réactions des politiciens et des les spécificités socio-économiques interne, vu le manque d’intérêt que investisseurs étrangers. particulières des pays classés. portent parlementaires et politiciens en général à la quantité de rapports Le débat : il est fondamental de Les réactions des pays classés qui atterrissent sur leurs bureaux, s’y intéresser en premier. Ces peuvent être présentées en trois l’exploitation faite des indicateurs classements créent plus de débats que approches : premièrement, un rejet et mesures disponibles reste très prévus, les gouvernements se sentent du classement, surtout lorsqu’on est marginale. Leur réaction est, à responsables, les journalistes et les mal classé par rapport à un pays voisin certains égards, comparable à celle, chercheurs utilisent le résultat comme qu’on connaît assez bien. La deuxième impressionniste, des médias. Aussi un point d’entrée afin d’analyser les approche consiste à s’approprier la effort pédagogique doit-il être engagé orientations politiques et les décisions méthodologie pour tenter d’améliorer auprès de ces acteurs publics pour publiques. Enfin, la société civile s’en le classement. La troisième approche dépasser ces lectures superficielles sert pour légitimer leurs plaidoiries en s’oriente vers une collaboration avec et espérer une exploitation plus vue d’un meilleur vivre-ensemble. les organismes qui classent (Banque sophistiquée de ces données. mondiale ; USAID ; OCDE) pour tenter Les réactions des investisseurs La légitimité et la notoriété des d’évoluer. étrangers et leur décision d’investir organismes de classement : les Mais l’objectif d’être mieux classé - source majeure d’inquiétude des organismes chargés de réaliser ces ne biaise-il pas les priorités ? Faut-il gouvernements de pays dépendant de l’extérieur, comme le Maroc - repose plus sur la loi du marché et des opportunités économiques que sur les benchmarking. Par conséquent, ES CRITÈRES DE CLAS- les critères pris en compte dans le L classement et la méthodologie suivie SEMENT ET LA MÉTHODOLOGIE n’orientent pas leurs décisions. Ils préfèrent de visu analyser les nuances SUIVIE N’ORIENTENT PAS LA DÉ- et les particularités économiques que l’indicateur ne réussit pas à CISION DES INVESTISSEURS retranscrire pour trancher. Vu par les chercheurs et les classements sont en compétition de favoriser l’amélioration de la position décideurs, il ne suffit pas de concevoir légitimité et de notoriété implicite par rapport aux autres pays ou faut-il des systèmes d’informations de plus entre eux. Leur pertinence se mesure, se focaliser sur les priorités selon la en plus sophistiqués, cadrant mieux entre autres, par le nombre de vision nationale (s’il en existe bien sûr) à la réalité socio-économique, pour téléchargements de leurs résultats. conditionnée par les plans d’actions s’assurer que les informations ainsi Il ne faut pas être dupe là-dessus, et de convergences établis par l’Union produites seront utilisées de façon c’est un moyen de communication, de Européenne, principalement ? Sur optimale. La nécessité de mettre en reconnaissance et de légitimation des ce point précis, le gouvernement place des systèmes d’informations indicateurs et de leurs créateurs. marocain dit avoir une vision claire tendant à combiner les données consistant à agir sur l’investissement quantitatives et qualitatives s’impose. Les médias se contentent de diffuser et l’emploi afin de booster la croissance L’objectif est de lever les nombreux une lecture simple des classements, d’un point (passer de 5 à 6%). Du coup, obstacles pratiques qui les empêchent représentée par un chiffre et un ordre il se comporte de manière sélective d’atteindre pleinement leurs objectifs, sans prendre en compte les nuances avec les indicateurs et choisit d’être notamment : l’insuffisance de dialogue et la complexité de la mesure et des partenaire des classeurs, telle la entre le producteur et l’utilisateur résultats obtenus. Surtout qu’il s’agit Banque mondiale, sur la question du d’informations, la compétence de mesures synthétiques, et qui dit climat des affaires. technique inégale en matière d’analyse synthèse dit perte d’information. des données et le refus politique de Ceci alimente bien entendu le débat Les politiciens du pays classé, comme certaines informations. La solution qui sur la technique utilisée au profit c’est le cas au Maroc, apprécient consisterait à calculer un indicateur des conditions et du contexte dans d’être (bien ou mal) classé ne serait- composite qui intègre toutes ces lesquels la mesure a été réalisée, ce que pour mieux appréhender le dimensions ne semble pas très tout en négligeant dans la diffusion regard extérieur. Maintenant, au niveau pertinente. 32 ECONOMICUS LA CHRONIQUE DE L'ECONOMISTE LA MÉTAPHORE DU PHOTOGRAPHE

Par Hassan El Aouni Enseignant chercheur, Cesem-Hem

éussir un portrait, implicite entre eux, se vantent du R c’est retranscrire des nombre de téléchargements de leurs émotions, un regard… ; mais qu’en images. Ceci alimente bien entendu est-il lorsqu’il s’agit de photographier le débat sur la technique utilisée au un, ou plusieurs pays ? Faut-il utiliser profit des conditions et du contexte un appareil spécifique pour chaque dans lesquels la photo a été prise, pays et effectuer des réglages alors que les réglages de l’appareil et personnalisés ou adopter les mêmes l’angle de la prise de vue n’orientent ajustements pour que les photos pas les décisions des investisseurs. soient comparables ? Et si la photo ne Les réactions des sujets plait pas, faut-il la refaire ? Si un pays photographiés peuvent être s’aperçoit qu’il est moins beau que regroupées en deux catégories : ceux son voisin, faut-il modifier l’angle de qui se trouvent beaux et ceux qui prise de vue, le réglage du contraste apparaissent moches. Les premiers pour biffer les défauts, ou changer ne ratent aucune occasion pour carrément de photographe ? exposer leur image. Ils sont fiers Plusieurs Etats sont dans cette de leurs positions, et encouragent classements ? L’objectif de paraître situation ! Photographiés à leur insu les photographes à prendre autant beau ne biaise-t-il pas les priorités ? par des organismes tels le PNUD ou la de photos qu’ils veulent, à condition Pour cacher les imperfections, Banque Mondiale, ils se trouvent pris d’utiliser le même appareil. Les faut-il se farder ? La complicité dans la tourmente des benchmarks seconds, par contre, commencent entre le photographe et le sujet et des comparaisons. La mode par rejeter la photo, ensuite ils est essentielle. De là jailliront de des classements des pays touche remettent en cause la compétence du l’émotion, du mouvement et une plusieurs organismes internationaux. photographe et la qualité de l’appareil. certaine spontanéité. Le dialogue est Chacun d’eux, photographe Enfin, soit ils créent une commission essentiel. Si cela est aisé avec des d’adoption, fabrique son appareil et spéciale pour préparer le pays et personnes de votre entourage, ceci l’ajuste selon l’angle de prise de vue le maquiller pour apparaître plus est plus difficile avec des inconnus. Le qu’il préfère. Certains se focalisent beau lors de la prochaine prise, soit temps de pose est alors important. Il sur le niveau du développement ils négligent complètement l’image permet à la personne photographiée humain (IDH), d’autres sur le climat médiatisée et se contentent de leurs d’être plus à l’aise face à l’objectif. et l’environnement commercial des propres photos, prises par leurs Plus la prise de vue est réfléchie et entreprises (DOING BUSINESS), photographes, avec leurs propres le modèle décontracté, plus la photo quelques-uns s’intéressent à la appareils. parle aux sujets. Autant alors se perception de la corruption (IPC). Au-delà de ces réactions contrastées, prêter au jeu et ne pas s’en prendre au Ces photographes, en compétition à quoi servent réellement ces photographe. 33

TRANSVERSALES

CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS

Makhzénisation du privé ou privatisation de l’Etat ? points de vues croisés de Béatrice Hibou et Ali Benhaddou Propos recueillis par Jaouad Ennouhi, Adil El Mezouaghi et Driss Ksikes Le privé et l’Etat au Maghreb Par Geoffrey Bouquot Premiers (faux) pas dans le lobbying Par Laetitia Grotti Etat - entrepreneurs étrangers, une relation enchantée ? Par Brahim Labari Les cabinets de conseil font-ils les stratégies de l’Etat ? Par Samia El Fassi Le lien privé / public par l’exemple Par Mohamed Ali Ghannam 34 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES Points de vue croisés de : Béatrice Hibou, politologue (CERI, Paris ET POUVOIRS PUBLICS Ali Benhaddou, anthropologue (CNRS, Paris) ENTRETIEN MAKHZÉNISATION DU PRIVÉ OU PRIVATISATION DE L’ETAT ? EN CHERCHANT À COMPRENDRE LA RELATION COMPLEXE ENTRE CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS, IL NOUS A SEMBLÉ UTILE D’INTERROGER DEUX CHERCHEURS, DONT LES AVIS DIVERGENT CONCERNANT LE LIEN ENTRE L’ÉLITE ÉCONOMIQUE ET LES STRUCTURES DU POUVOIR AU MAROC

Jaouad Ennouhi, politologue, Université Mohammed V Adil El Mezouaghi, doctorant en droit et économie, Cesem - Hem et Driss Ksikes, Ecrivain, Cesem-Hem

Y a-t-il au Maroc une largement en dehors du pouvoir entend parler dans les journaux ! makhzénisation du privé ? central, parallèlement ou de façon En outre, problématiser les relations autonome au moins pour 95%, voire entre entrepreneurs et pouvoirs Béatrice Hibou : Il y a aujourd’hui 99% des entreprises, en dehors des publics en termes de makhzénisation, une tendance à parler de «Makhzen quelques grands groupes dont on c’est réduire le politique aux économique» ou à associer Makhzen et dimension économique plus ou moins sulfureuse. Cela me paraît des bons mots de journalistes et de discours de salon, qui ne disent rien de l’économie politique du pays ! Cette dernière est extrêmement complexe, elle implique des millions d’acteurs, des rapports et des processus de nature totalement différente. Dire que le Makhzen «infiltre», «contamine» le secteur privé, cela me semble un contresens absolu : l’exercice makhzénien du pouvoir a toujours reposé en partie sur le chevauchement du public et du privé. Par ailleurs, et surtout, cette expression dévoile une vision omnipotente de l’Etat, comme si le «privé» ne pouvait plus vivre en dehors de son rapport au pouvoir central. Mais le «privé» se développe La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 35 TRANSVERSALES

manœuvres du Palais, et succomber à d’investissement, de l’habitat, de c’est le Makhzen, gardien de l’illusion de l’«égotisme institutionnel» l’immobilier, du tourisme. Dans tous l’indépendance économique, qui dont parle Peter Brown1, c’est-à-dire ces domaines émergent de puissantes participe à l’opération en privatisant, se focaliser sur la personnalisation et sociétés qui disposent d’un monopole via les holdings royaux, nombre la surpuissance du monarque. Est-il de droit et bénéficient d’énormes d’entreprises publiques. Même nécessaire de rappeler qu’en dépit de privilèges, dont l’autonomie de des sociétés privées devenant très leur centralité les pouvoirs publics ne gestion. Investies des tâches puissantes, hégémoniques, sont se réduisent ni au Roi ni au Makhzen ? prioritaires de développement, elles ont également pour mission de Ali Benhaddou : Le Makhzen est former et diriger une classe nationale LE MAKHZEN, une entité abstraite, indéterminée, d’entrepreneurs. Ainsi, de par ces presque informelle, mais néanmoins attributions, elles surveillent même OLIGARCHIE puissante et active dans tous les les chefs d’entreprises privées. Et, INCONTOUR- domaines d’action collective. Les quels que soient les secteurs où attributions historiques du Makhzen, ils exercent leurs activités, il est NABLE, EST loin de tomber en désuétude, impossible que ces derniers, si s’adaptent à la modernité et même grande soit leur renommée, puissent UN PASSAGE à la mondialisation. Sous le règne se passer de l’approbation, même de Hassan II, l’Administration est tacite, du pouvoir royal qui fait des OBLIGATOIRE le principal instrument du pouvoir concessions économiques et des qui s’étend sur les organismes nominations aux postes de PDG d’Etat chargés de l’industrialisation, des sociétés d’économie mixte, de de la promotion agricole, du directeur général et d’administrateur commerce extérieur, de crédit et des offices publics une obligation juridique (dahir n° 1-72-18). C’est un capitalisme d’Etat, dirigiste EN DÉPIT et centralisateur, où l’emprise du pouvoir makhzénien est très forte. DE LEUR La privatisation imposée par le FMI CENTRALITÉ, depuis 1983 (appliquée en 1993) va changer la donne sans transformer LES POUVOIRS les moeurs économiques. L’initiative PUBLICS NE SE privée étant toujours défaillante, RÉDUISENT NI AU ROI NI AU Bio/Biblio MAKHZEN Béatrice HIBOU est docteur en économie politique de l’EHESS. Elle est actuellement professeur à l’IEP de Paris. Elle a, entre autres, écrit La Force de l’obéissance. Economie politique de la répression en Tunisie. Elle a également dirigé un numéro de Politique africaine, «L’Etat en voie de privatisation». Ses publications se sont intéressées au Maroc à travers : «Maroc, d’un conservatisme à l’autre», in, Legs colonial et gouvernance contemporaine (J.F. Bayart, R. Banégas, R. Bertrand, B. Hibou, F. Mengin), volume 2, Paris, décembre 2006, pp. 123-186.

Ali BENHADDOU est sociologue du leadership. Il s’est intéressé aux liens entre pouvoir politique et hommes d’affaires au Maroc dans un premier ouvrage Les Elites du royaume. Son livre vient d’être réimprimé dans une version plus étayée. La sortie de son second ouvrage, L’Empire du Sultan (Riveneuve, 2010), annonce une continuité dans la connaissance du leadership marocain, appuyée par une connaissance historique, des études de terrain et des entretiens qualitatifs. 36 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS

passées sous son contrôle. Les Preuve en est que le premier plan sociétés étrangères, ainsi que franchisés, anciens serviteurs de réajustement structurel, en 1983, dans des sociétés multinationales de l’Etat ou anciens propriétaires impose, on l’a vu, un changement en France et en Angleterre. Ses d’usines, bénéficient eux aussi de de politique économique. La Domaines expérimentent des variétés l’appui du pouvoir qui veille sur désétatisation et la dérégulation et des techniques nouvelles, où l’équilibre des forces économiques deviennent le ferment de la nouvelle travaillent les ingénieurs les plus en compétition. De même, ceux idéologie libérale que doivent performants du pays, où prospère la qui, depuis la succession royale, promouvoir, sous l’impulsion du Roi, technologie la plus avancée et où la ont investi les rouages de l’Etat, les les forces vives de la nation. production agricole est soumise aux puissances de l’argent, les pouvoirs Le patronat technocratique, lié aux règles de la qualité parfaite. Toute d’influence, plaçant sous leur tutelle intérêts de l’Etat makhzénien, a été concurrence devient dans l’esprit des la classe politique et la classe chargé de mener une campagne capitalistes marocains, obnubilés économique, appartiennent au sérail nationale de propagande. Il a par la crainte du Makhzen, sinon chérifien. Ils font partie intégrante du chanté les louanges de l’idéologie impossible, du moins déloyale. Ils grand Makhzen qui est avant tout un ultra-libérale et appelé de ses vœux se contentent d’imiter le procédé de gouvernement des hommes, laissant son application au Maroc, comme production devenant un modèle de l’administration des choses aux si celui-ci était comparable aux référence universel. technocrates et aux confédérations de grandes puissances capitalistes du La situation actuelle rappelle familles dirigeantes. monde. La même année, l’ancien un retour à l’histoire avec des Premier ministre, Maâti Bouabid, adaptations à la modernité et A quoi renvoie la notion créant son parti politique, l’Union à la modernisation. Au nom du d’affairisme d’Etat ? constitutionnelle, est invité à faire développement et de la démocratie, de même. Il doit relancer le débat experts en tout genre, cénacles Ali Benhaddou : L’ingéniosité sur la libéralisation économique et du Palais, amis du Roi, formés de Hassan II a fait de la donc, naturellement, la privatisation aux meilleures écoles, se placent makhzénisation économique non mondialisée. Le holding royal se dans la première ligne grâce aux un désir d’accumulation, mais une trouve alors en bonne position rapports dynastiques affichés dans force d’impulsion, d’innovation, de pour privatiser et marocaniser les administrations centrales, à la développement et de régulation l’économie nationale dans quatre- présidence des holdings royaux, sociale. Il a surtout anticipé sur les vingt quatre secteurs d’activités, des banques, des assurances, des transformations à venir et imaginé à dont l’agroalimentaire, et prend entreprises publiques et celles qu’on l’avance la privatisation mondialisée. des participations dans différentes privatise. Ils sont des personnages uniques du système du pouvoir qui règne aujourd’hui au sommet de l’Etat. La concentration des pouvoirs et l’affairisme qui en découle est une tradition inhérente aux mœurs économiques du Royaume.

Béatrice Hibou : Que veut dire une «LA CONCENTRATION DES expression comme affairisme d’Etat? POUVOIRS ET L’AFFAIRISME QUI Que les puissants, les gouvernants et leurs proches profitent de leur EN DÉCOULE EST UNE TRADITION position de pouvoir pour affermir leur position d’accumulation, c’est une INHÉRENTE AU MAKHZEN» A.B chose universelle et atemporelle. La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 37 TRANSVERSALES

autant fait disparaître les modes antérieurs de gouvernement2.

Assistons-nous à une privatisation de l’Etat ?

Béatrice Hibou : La «privatisation de l’Etat» est une notion qui prête à confusion. Je dois d’ailleurs avouer que je regrette aujourd’hui d’avoir choisi cette expression dans mes travaux antérieurs sur la transformation de l’Etat en période néolibérale3. La façon dont je l’entends n’a strictement rien à voir avec la façon dont les gens l’entendent généralement : un délitement des pouvoirs publics, «LES TRANSFORMATIONS ME le développement de la corruption, l’orientation des politiques publiques SEMBLENT IMPORTANTES en fonction d’intérêts privés et une appropriation privée des attributs et SANS REMETTRE EN CAUSE LES des compétences de l’Etat. FONDEMENTS DU POUVOIR» B.H Pour moi, la «privatisation de l’Etat», c’est un processus complexe de Au Maroc aussi, donc, comme en dans la presse, non parce qu’elle redéploiement - et non de retrait - de France, aux Etats-Unis, au Cameroun n’existaient pas mais parce que l’Etat qui, pour exercer sa puissance, ou en Argentine ! Hier, aujourd’hui et les scandales n’étaient pas rendus passe davantage que par le passé par demain. publics, les personnalités n’étaient des truchements, des intermédiaires, Ce qui est propre au Maroc, c’est pas nommées, les dossiers n’étaient des normes privés. Passer par le la configuration que ces pratiques pas transférés à la justice… Pour truchement ne veut pas dire ne plus universelles prennent dans autant, sous Mohammed VI, on ne orienter, ne plus maîtriser, ne plus l’exercice makhzénien du pouvoir ; remet pas en cause ce fondement s’occuper de la chose publique. Cela et notamment la forme des grâces bien particulier de l’exercice du veut dire que l’exercice du pouvoir est royales et plus généralement des pouvoir, que sont les grâces et la moins direct, passe davantage par des mécanismes personnalisés de redistribution personnalisée. C’est intermédiaires, des acteurs agréés et redistribution. Une question plus un sujet immense ; je me permets que l’on assiste à des processus de importante, me semble-t-il, est de renvoyer à l’article que j’ai co-production ou co-orientation des celle des transformations, ou non, écrit sur le sujet, avec Mohamed politiques publiques, par exemple. des rapports de la société à ces Tozy, où nous montrons que les Ainsi s’explique le développement de pratiques inévitables, quelque transformations politiques au Maroc la forme partenariat public-privé dans forme qu’elles prennent. Et là oui, sont simultanément profondes et les investissements d’infrastructure, les transformations me semblent ambiguës, que la diversification des mais aussi l’appel récurrent à la importantes sans pour autant lexiques (notamment l’apparition de société civile et aux ONG dans remettre en cause les fondements du cette dénonciation de l’affairisme et les politiques de développement pouvoir makhzénien. de la corruption) et des paradigmes ou l’implication des organismes Sous Hassan II, on ne parlait tout de l’exercice du pouvoir, notamment professionnels et des institutions simplement pas d’affairisme d’Etat par introduction de nouvelles représentatives dans la définition et les affaires de corruption ne manières de gouverner, par l’écoute des politiques industrielles ou fleurissaient pas comme aujourd’hui et la participation n’ont pas pour d’innovation technologique. 38 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS

modernisation ou d’accroissement des systèmes d’emplois, de formation professionnelle, de santé publique, d’éducation et de logement social ou de l’habitat collectif. L’insatisfaction des besoins les plus essentiels occulte les problèmes et les conflits qu’engendre la perception des inégalités sociales. Or, il suffit de répondre aux demandes nationales par l’instauration d’un régime universel fondé sur la redistribution et la gestion politique de la croissance. Aussi la privatisation a-t-elle été une aubaine pour certains dirigeants d’entreprises publiques et semi- publiques, habitués à la dictature du «CAPITALISTES CITADINS, monopole. Certains, pour accéder à la propriété économique, sans rien OLIGARQUES RURAUX ET débourser, ont dû imposer à leurs EXCELLENCES DU ROYAUME clients des financements anticipés. D’autres ont forcé des concurrents à SONT TOUS INFÉODÉS AU vendre leurs entreprises au rabais, POUVOIR» A.B sous prétexte qu’ils ont violé la législation sur le marché du travail Dans tous ces cas, il n’y a pas règles du jeu n’ont pas été définies et des capitaux. Les acquéreurs, substitution des intérêts privés et à l’avance avec suffisamment de stratégiquement bien placés au particuliers aux intérêts publics et rigueur, si le contrôle ne s’exerce temps de Basri, se font complices généraux mais formation conjointe pas, si les informations ne sont des spoliations menées discrètement de l’action publique. L’impulsion des pas équitablement accessibles par les corporations de ploutocrates pouvoirs publics reste majeure et et distribuées, etc. Et surtout qui fascinés par les affaires. De plus, on ne peut pas dire a priori qu’il y signifient moins que l’idéal de la la démission de l’Etat plonge ait captation par le privé de l’action chose publique a disparu qu’elles ne l’administration dans l’immobilisme. publique à son propre profit. Bien mettent en évidence la transformation Que ce soit dans l’Education, pilier entendu, il ne s’agit pas d’être des valeurs et des normes fondatrices du développement, la santé publique naïf et au Maroc comme ailleurs, de cet idéal. ou les services administratifs de l’implication des acteurs privés - qui proximité, les citoyens, habitués à ont leurs propres intérêts, leurs Ali Benhaddou : Le processus la corruption depuis leur enfance, logiques d’actions… - promeut en cours est le démantèlement en viennent à penser que tous les des modes de fonctionnement qui complet des attributions de l’Etat, services publics sont rémunérables. répondent davantage à la logique en ce qui concerne la gestion Il ne leur vient pas à l’esprit que entrepreneuriale privée qu’à la des établissements privatisés, les rapports entre les citoyens et logique de l’intérêt général. Mais l’économie, l’éducation, la santé, l’administration est un échange de ce que je veux dire, c’est qu’on etc. Et cette privatisation, imposée droits et de devoirs, garantis par la ne peut pas dénoncer a priori ces par les instances supranationales, Constitution. «dérives» qui n’adviennent que si les ne s’accompagne d’aucun plan de La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 39 TRANSVERSALES

Les chefs d’entreprises stratégies de résistance du pouvoir baisse de la part de la population constituent-ils un groupe de qui se voit obligé de fournir la preuve active dans l’agriculture et dans la pression face à l’Etat ? de son efficacité en rétablissant fonction publique, par exemple) et l’ordre, la sécurité et la morale une modification des catégories Ali Benhaddou : Il y a certes publique. C’est la preuve surtout que socioprofessionnelles valorisées. Ce des moments critiques où la relation les capitalistes citadins, les oligarques n’est pas seulement que le statut de entre chefs d’entreprises et pouvoirs ruraux et les plus hautes excellences fonctionnaire n’est plus la panacée ; publics semble conflictuelle. L’histoire du Royaume sont inféodés au pouvoir mais on requalifie d’anciennes des faits économiques nous apprend qui récompense et sanctionne en cas activités. Ainsi, les artisans ou les qu’en 1971, 1972 puis 1996, une fois de force majeure. En d’autres termes, formateurs, quoique disparus du à cause d’un rapport du Congrès les «droits acquis» par la corruption paysage, ont été transformés en… américain, une autre fois suite à et les trafics en tous genres peuvent auto ou micro-entrepreneurs ! un rapport de la Banque mondiale être retirés brutalement et à tout Pour autant, peut-on en conclure que sur la corruption au Maroc, hauts moment. la sphère politique serve de tremplin fonctionnaires, banquiers, industriels, aux acteurs économiques ? défilent pêle-mêle devant les juges, Béatrice Hibou : Au Maroc comme Je n’en suis vraiment pas sûre et pour des chefs d’accusation souvent ailleurs (je l’ai analysé en Tunisie4, je pense qu’il s’agit de conjecture infondés. Et, depuis l’an 2000, mais on le retrouve dans mille autres pour l’instant indémontrable. Pour des affaires longtemps étouffées situations), les entrepreneurs ne l’affirmer, il faudrait, d’une part, remontent parfois jusqu’à la surface, nagent jamais à contre-courant. C’est pouvoir déconstruire la catégorie provoquant des mises en examen, l’arrangement, l’accommodement, même d’entrepreneurs pour éliminer voire des incarcérations, mais restent le «faire avec», la négociation qui ces effets de re-dénomination, absolument sans conséquences caractérisent le comportement des et de l’autre, suivre sur le moyen politiques. Ces opérations se jouent à entrepreneurs dans leurs interactions terme au moins la trajectoire de ces l’intérieur des frontières de groupes avec les pouvoirs publics. Ils ne entrepreneurs élus pour voir si oui en lutte pour le pouvoir et surgissent défendent pas plus qu’ils n’entendent ou non leur élection a servi leurs au moment de tensions ou de crises attaquer le trône. intérêts économiques, et comment. sociales et politiques. Ce sont des En outre, tout ceci est aléatoire dans Les sphères politiques la mesure où il serait impossible servent-elles de tremplin aux de montrer que, s’ils n’avaient pas chefs d’entreprises ? été élus, ils auraient moins bien (ou mieux) réussi. Je pense que ce Béatrice Hibou : S’il y a une genre d’affirmation est largement présence grandissante des «chefs fantasmatique et révèle davantage un d’entreprises» dans les institutions désarroi face à des transformations locales et nationales, c’est avant difficilement lisibles. A l’instar des tout parce que, en cette période analyses qui défendent la thèse d’une néolibérale, l’entrepreneur est la «politisation de l’économie» ou d’une figure de la réussite par excellence, «économicisation du politique», cette la figure légitime du succès. problématisation repose sur une Cette présence traduit tout à la conception duale de la vie en société, fois une transformation réelle de comme si le politique et l’économique l’économie marocaine (avec une appartiennent à des sphères «LA PRIVATISATION DE L’ETAT, C’EST UN PROCESSUS DE REDÉPLOIEMENT - ET NON DE RETRAIT - DE L’ETAT» B.H 40 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS

distinctes. Certes les entrepreneurs rien n’arrête, pas même la transition sociologique de la population rurale. sont toujours politiques dès lors politique, elle navigue dans toutes Les gros exploitants comptent parmi qu’ils s’insèrent dans les relations les sphères dirigeantes du pays, les fils et les petits-fils de caïds qui de pouvoir, qu’ils participent aux marginalisant systématiquement avaient acquis sous le protectorat conflits, aux compromis entre acteurs les autres acteurs de la société. 1 800 000 hectares de culture. De cette en présence, qu’ils participent - au Cependant, elle ne peut être à la nouvelle structure sociale émergent même titre que d’autres - aux fois au service d’une élite de classe également «Les Domaines», issus rapports de force et ce faisant et de la communauté nationale tout de la nationalisation de 1963 des façonnent donc aussi le politique. entière. En s’emparant de tous les terres de colonisation publique. Il me semble en effet impossible pouvoirs, sur fond de népotisme et De même les groupements de de séparer des «champs» aux de cooptation sélective à partir du bourgeoisies d’affaires, bien placés frontières strictement délimitées diplôme initial, elle engendre des au gouvernement en 1973, qui se sont - en l’occurrence un «champ dysfonctionnements qui portent emparés, grâce à la marocanisation, économique» duquel serait issu un gravement atteinte à la morale de 500 000 hectares de terres de acteur dynamique (l’entrepreneur) économique et à la vertu du politique. colonisation privée. Ils produisent pour le marché extérieur, en même temps qu’ils mènent, dans les «LA RÉFÉRENCE À L’ENTREPRE- grandes villes du Royaume, leurs entreprises industrielles, financières, NEUR DEVIENT INCONTOURNA- commerciales, culturelles, politiques, etc. Et, depuis 1984, ils bénéficient BLE, DANS LES DISCOURS ET de la suppression de l’impôt agricole LES PRATIQUES» B.H jusqu’en l’an 2000. Quel rôle public les chefs et un «champ politique» aux règles Dans un pays démocratique, un d’entreprises jouent-ils connues et circonscrites censées homme d’affaires ne devient pas aujourd’hui ? l’accueillir - précisément parce que le homme politique. Mais quand cela se pouvoir est relationnel et ne peut être produit, il est immédiatement traqué Ali Benhaddou : Les grands appréhendé que dans son exercice. par la classe politique qui vit de la patrons, surtout les technocrates, politique dans le sens le plus profond agissent dans tous les domaines. Ali Benhaddou : Le «tremplin» fait du terme. Un homme d’affaires et Ils sont omniprésents, s’improvisant partie du système de récompense qui donc d’intérêts qui arrive à la chose chefs de clans, de réseaux, de paralyse le processus de séparation publique veillera d’abord à défendre lobbies. Ils accomplissent une totale des pouvoirs. Les grands patrons ses propres intérêts avant ceux de la captation du pouvoir, essaimant dans font constamment la navette entre population ou de la nation. Un homme tous les secteurs de l’économie, les institutions du gouvernement d’intérêts obéit toujours à l’obligation dans toutes les administrations, et et les conseils d’administration d’accroître sa fortune, sa notoriété, dirigent les plus grandes associations des entreprises nationales et du son prestige. patronales. Ils monopolisent le patronat ou, inversement, des Alors, cet entrepreneur, à l’apparence pouvoir économique et le pouvoir groupes économiques privés au pragmatique, aurait-il supplanté le politique de direction. Mais leur pouvoir politique. C’est un système fellah comme défenseur du Trône ? discours officiel est chargé de ploutocratique fondé sur une élite Une chose est sûre : l’appropriation concepts novateurs de la haute qui exerce à la fois les fonctions des terres agricoles par de grands théorie du management scientifique. économiques et les fonctions exploitants d’origine politique Il est même révolutionnaire, exhortant politiques d’administration. Et, du fait transforme à la fois la vocation au pragmatisme, à l’efficacité, à de cette imbrication des pouvoirs, que agricole du pays et la structure la participation, à la délégation de La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 41 TRANSVERSALES

pouvoir, à la démocratie. Or, même les discours comme dans les technologie qui fait passer l’économie s’ils n’y croient pas vraiment, cette pratiques économiques et sociales industrielle à l’économie et la société idéologie leur permet d’établir le bien sûr, mais politiques aussi. Ceci d’entrepreneurs. Surtout, dans cette bien-fondé de leur pouvoir aux yeux n’a rien à voir avec le Maroc mais vision, tous les problèmes sont de la société. C’est aussi, entre autres constitue l’une des caractéristiques solubles dans l’esprit gestionnaire, raisons, une manière de s’adapter du néolibéralisme, si l’on suit, dans l’attitude managériale et dans aux idéologies dominantes imposées par exemple, la compréhension l’esprit d’entreprise. C’est ce que par l’Occident ou, en cas d’alternance qu’en donnent Foucault et à sa je disais, sous une autre forme, politique, par le Makhzen garant de suite Dardot et Laval5. De même à propos de la «privatisation de leur légitimité. Ils se fourvoient dans le discours actuel est obnubilé l’Etat» : le néolibéralisme n’est pas des restructurations autoritaires, par le privé et l’entreprenariat, synonyme de retrait de l’Etat mais de écrasant au passage les petits et alors que les questions sociales, définition d’une nouvelle rationalité de moyens entrepreneurs. Impuissants, les questions de l’inégalité, de la l’intervention étatique qui a pour objet rarement médiatisés, ces derniers redistribution, de la répartition des de développer et purifier le marché sont relégués au dernier plan sans fruits de la croissance mais aussi concurrentiel et de promouvoir la prolongement politique. Pourtant, les questions de spécialisation, logique entrepreneuriale, notamment l’écrasante majorité de l’économie de modernisation industrielle, de les normes de rentabilité, de marocaine est constituée par les tertiarisation… seraient tout autant, responsabilisation, de valorisation du PME, soit 94% de la population des voire plus légitimes. Nous sommes risque et de droit privé. entreprises. Elles occupent 49% en pleine hégémonie néolibérale de la main-d’oeuvre, distribuent qui fait de l’entrepreneur la figure 43% des salaires, réalisent 41% par excellence non seulement de la production et 28% de chiffre de l’économie concurrentielle d’affaires à l’exportation. Exaspérées et compétitive privée mais aussi par le lobby technocratique qui des modes de gouvernement, de contrôle les grandes organisations l’action publique. Le New Public patronales, elles lancent, en 1983, la Management repose ainsi sur Confédération Générale des Petites cette hypothèse de l’homothétie et Moyennes Entreprises, parrainée public/privé et de l’universalité par la toute-puissance CGPME de de la raison entrepreneuriale. Le France. Aujourd’hui encore, malgré management est devenu une nouvelle leur intervention politique, via l’organisme de pression, ils sont contraints de se soumettre aux ordres des mandarins qui contrôlent les grandes associations nationales. Leur condition de survie, face à la globalisation, tient essentiellement à la reproduction dynastique, à l’exploitation et à l’autoritarisme paternaliste.

Béatrice Hibou : L’entrepreneur est un acteur politique fondamental aujourd’hui au Maroc. Non parce qu’il aurait un rôle particulier à jouer dans le soutien au trône ou dans la libéralisation politique en cours au Maroc. Mais parce que la référence à l’entrepreneur est aujourd’hui incontournable, dans 42 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS SYNTHÈSE LE PRIVÉ ET L’ETAT AU MAGHREB

A L’ORIGINE DE CE DOSSIER, SUR LE LIEN ENTRE CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS (PRINCIPALEMENT AU MAROC), IL Y A EU LA TABLE RONDE* ORGANISÉE PAR LE CESEM ET L’IFRI, SUR LE RÔLE PUBLIC DES CHEFS D’ENTRE- PRISES DANS LES PAYS DU MAGHREB. EN VOICI LES PRINCIPALES IDÉES ...

Par Geoffrey Bouquot Ingénieur de Polytechnique, Paris

intéresser aux liens qui propres au Maroc, à la Tunisie ou à caractérisent les patrons du privé, unissent les secteurs publics l’Algérie. qui bénéficient pour une grande part S et privés au Maghreb, c’est des rentes fournies par les choix mettre en exergue leurs regards QUESTIONS LIMINAIRES économiques du politique. croisés, c’est tenter d’esquisser les - Néanmoins, certains héritiers couplages socio-économiques dans Dans quelle mesure y a-t-il industriels s’engagent en politique, un contexte sociétal en profonde interpénétration des sphères privées tout particulièrement au Maroc, où le transformation et c’est aussi tâcher et publiques au Maghreb ? Une telle parti USFP s’est doté de représentants de décrire la figure protéiforme de question n’est pas nouvelle et a fait issus du monde industriel. L’arène l’entrepreneur en tant qu’acteur l’objet depuis vingt ans d’une véritable syndicale, quant à elle, attire un grand majeur du secteur privé. Attachons- «entrepreneurologie», qui nous permet nombre de chefs d’entreprises au sein nous à analyser les champs d’action de fournir les constats suivants : de la CGEM. possibles pour les entrepreneurs - Le lobbying est-il, dans ces dans la gouvernance politique, - Le coût de l’engagement politique au circonstances, un lien stable et une puis à caractériser la visibilité et la Maghreb pour les chefs d’entreprises perspective de développement viable perception des chefs d’entreprises est très important. Dans ce contexte entre le public et le privé ? Les causes dans l’espace public, en gardant à économique de l’obéissance, le défendues au Maghreb sont encore l’esprit les distinctions nationales conservatisme et l’attentisme très diffuses et les intérêts divergents limitent cette forme d’influence. - Notons que les politiques se parent LE PATRON ALGÉRIEN EST LI- des atours linguistiques du monde de MITÉ PAR L’INFLUENCE DE L’ETAT l’entreprise, avec la reprise des images du manager et du chef de projet. ET DES CERCLES POLITIQUES Au-delà de ces premières remarques,

* La table ronde, co-dirigée par Khadija Mohsen-Finan et Driss Ksikes, a eu lieu le 10 octobre 2009, avec l’appui de l’OCP et la fondation Abdelaziz Al Saoud. Les apports des participants seront publiés ultérieurement sur le site du CESEM et de l’IFRI. La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 43 TRANSVERSALES

soulignons un lien remarquable publics, et non avec la création formé par les cabinets de conseil au de nouveaux secteurs privés de Maroc : il est fréquent de retrouver l’économie. Le patron algérien est les mêmes personnes entourant conditionné par l’influence de l’Etat directions stratégiques des grandes et des relations politiques, à l’instar sociétés privées et des ministères. La du patron d’Air Algérie, des déboires porosité n’est donc pas que lexicale, de l’entreprise SIDER, ou encore et les possibilités de synergie sont non du récent scandale à la Sonatrach. négligeables. Enfin, la moyenne d’âge des patrons Dès lors, dans un contexte de algériens, actuellement de 80 ans, transformation progressive du ne peut contribuer à dynamiser et à monde politique et de privatisation renouveler les modes de relation entre des entreprises d’Etat, les frontières le privé et le public. deviennent plus floues et nécessitent La Tunisie semble, à l’inverse, de s’interroger sur la position des proposer une sorte de modèle responsabilités réciproques et des d’interaction au Maghreb, champs d’action possibles. Face à conséquence d’une transition qui l’entreprise et son patron sont-ils économique progressive. Après responsables ? Le marché, concept l’indépendance, le paysage du privé naissant, est-il devenu l’élément était encore marqué par les anciens responsabilisant d’un point de vue civil fonctionnaires et les «marchands de et social ? tapis» dans l’import substitution (ISI), d’où une dépendance à l’égard du TROIS ÉCONOMIES politique et de l’économie publique. À GÉOMÉTRIE VARIABLE La centralisation des données économiques et le verrouillage des En Algérie, on ne peut pas encore marchés expliquent l’importance parler d’un bouclage entre le politique fondamentale des cercles politiques. et l’entreprise, l’Etat exerçant une Le tournant, au milieu des années implicite aux signaux politiques de pression normalisante, rappelant à 1970, vers une politique d’exportation, modernisation ont fait naître de tous égards que le patron du privé a permis une prise d’indépendance grands espoirs dans la dynamisation n’est pas une figure en soi, mais une du privé à l’égard du politique. Ben des liens entre le public et le privé. figure sociale au cœur d’un cadre Ali a permis l’accélération du «tout Néanmoins, la pression réformiste de institutionnel contingent. Dans un à l’export», encouragé une réforme chefs d’entreprises s’est confrontée à secteur national faiblement structuré, du cadre légal, des programmes de un Etat critiquant, à l’inverse, le faible les patrons algériens sont en majorité mise à niveau. On compte une unique investissement du privé. Le récent issus de l’administration, lancés organisation patronale, et les patrons franchissement de la «ligne rouge» dans le privé à partir de 1988, date ont évolué progressivement dans a fonctionné comme une nécessaire d’ouverture à l’économie de marché. le sens d’une autocritique, qui leur catharsis normalisant les relations De plus, l’économie «underground» permet d’augmenter - relativement entre un pouvoir politique irrité et un au sein d’un très important marché - leur effet de levier à l’égard du patronat au discours jugé trop intrusif. informel, entretient des liens étroits politique. avec l’administration, dotée de règles Le rôle de la CGEM est TYPOLOGIES FAUTE DE et codes. C’est une conséquence de particulièrement éclairant dans les MONOGRAPHIES l’échec de la relance économique relations complexes entretenues lancée grâce au pétrole. Un réseau entre le royaume chérifien et le On constate donc une certaine forme de l’ombre s’est donc constitué pour monde de l’entreprise. L’arrivée, d’autonomisation du privé dans s’attribuer les parts de marché du en 2002, d’un premier ministre l’ouverture à l’économie de marché, public. De plus, la création d’une technocrate, la prise en compte d’une bien que l’Etat et la gouvernance classe d’entrepreneurs s’est effectuée responsabilité sociale du privé face politique semblent garder le premier avec la privatisation de secteurs aux communautés locales, l’adhésion rôle. Cela pourrait être corrélé à la 44 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS

faible visibilité des entrepreneurs par opportunisme ou à cause présenté au gouvernement algérien dans l’espace public. Les études de d’expériences ratées à l’étranger), est à cet égard éclairant. terrain et les monographies décrivant les héritiers (après avoir perdu leur Pourtant, on assiste à une les trajectoires des patrons du privé capital durant les nationalisations, «renormalisation» progressive de restent encore limitées : l’image du ils réinvestissent dans l’industrie et l’entreprise autour des concepts de chef d’entreprise reste confinée dans les services aujourd’hui) et quelques transparence, de responsabilité et le cliché du tyran oppresseur des jeunes entrepreneurs (minoritaires, de benchmark international. L’Etat, populations. ils sont aussi moins marqués par les ce stakeholder» majeur doit gérer Quelques typologies existent expériences historiques difficiles du l’avènement d’ «entrepreneurs- cependant. On pourrait ainsi distinguer XXème siècle). citoyens», qui s’expriment socialement au Maroc le patron spéculateur, par des initiatives privées. Le secteur l’«homme de paille» (figure visible LA CONFIANCE RÉCIPROQUE, privé s’organise et les rencontres qui agit au service d’hommes UN VŒU PIEUX bilatérales et multilatérales de politiques), le «protégé» (bénéficie sociétés privées, de l’échelon régional d’appuis politiques, et de traitements Au total, le politique a un grand rôle à l’échelon national voire international, médiatiques plus favorables), l’ dans l’image négative du patron du à l’instar de l’IACE (Institut Arabe «héritier» (multiples formes, du vrai privé dans l’espace public, stigmatisant des Chefs d’Entreprise), confrontent entrepreneur au simple gérant de de façon violente un patronat qui n’agit les Etats à leurs responsabilités capital), le «capitaine d’industrie», structurantes du cadre macro- l’«artisan» (peu valorisé, il est économique. néanmoins une force vive du privé au ON ASSISTE À Maroc). Une telle évolution reste toutefois L’entrepreneur en Algérie, après UNE RENOR- très fragile : soulignons qu’un grand avoir souligné l’impact des réseaux MALISATION nombre d’étudiants issus des grandes familiaux dans la construction du écoles occidentales sont parfois les capital, reste, dans l’imaginaire PROGRESSIVE premiers à s’adapter à l’archaïsme politique cet Autre qui oppresse. Sous ambiant en adoptant la figure féodale l’ère du président Boumédienne, DE L’ENTRE- de l’entrepreneur obéissant. Conscient le privé a été souvent utilisé de ces considérations économiques comme blanc-seing pour tenir des PRISE transnationales et des quelques adversaires à l’égard du politique. exemples de coopération positive entre La «pétrolisation» économique des pas assez vite et n’investit pas assez les secteurs public et privé, on ne années 1980 n’a pas contribué non plus bien. Retenons aussi le rôle négatif saurait toutefois faire abstraction du à lui fournir une image plus positive de des médias mettant en scène la vie grand déséquilibre existant. De plus, créateur d’emplois. Lors de la mise en des affaires, à l’instar de l’ascension et les quelques apparitions médiatiques place d’un programme d’ajustement de la chute du tycoon Rafik Kahlifa. La de chefs d’entreprise aux relents structurel, le désengagement de confiance réciproque entre le public et populistes ou protectionnistes sont en l’Etat parfois brutal des sphères le privé, socle fondamental dans une partie responsables d’une image peu économiques a confronté le privé à de économie libérale, fait encore office glorieuse du secteur privé maghrébin. grandes vagues de licenciement, à une de vœu pieux. La difficulté pour les Le passage d’une image d’obéissance perte majeure d’emplois qualifiés. On entrepreneurs de communiquer, de aux pouvoirs publics, de prédateur peut donc considérer la typologie de faire entendre leurs opinions et leurs oppressant ou de spéculateur patron suivante : l’ancien fonctionnaire, engagements sans porter ombrage à acharné vers une figure plus positive le «contraint» (avec les vagues de la sphère du politique peut expliquer de l’entrepreneur responsable doit privatisation et de licenciement, pourquoi certains basculent dans se fonder sur une normalisation de développe les petits boulots, figure du l’économie informelle. L’exemple du ses relations avec la sphère politique «proto-entrepreneur»), les immigrés faible écho rencontré après la parution et sur l’expression d’une réelle (algériens de souche qui reviennent du code de gouvernance de l’entreprise autocritique patronale.

46 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS ENQUÊTE PREMIERS (FAUX) PAS DANS LE LOBBYING

POUR QUE LE PRIVÉ PÈSE, LE LOBBYING EST LE PROCÉDÉ LE PLUS RATIONNEL ET LE PLUS EFFICACE DANS L’ABSOLU. AU MAROC, LES RÉCITS DE LOBBYISTES ET DE PROFESSIONNELS QUI S’Y SONT ESSAYÉS RÉVÈLENT UN MÉCANISME COMPLEXE ET SOUVENT OPAQUE. LE RÉSULTAT DEMEURE SOUVENT ALÉATOIRE.

Par Laetitia Grotti Journaliste, Cesem-Hem

aire valoir points de vue ce type de services existent, le lobbying Leurs clients sont les multinationales et arguments auprès des n’est pas pour autant absent des installées au Maroc ou qui cherchent F pouvoirs publics pour influer sphères politiques et économiques. à s’y implanter ainsi que les grosses sur un cadre réglementaire, obtenir Reste à comprendre si, tel qu’il structures nationales. Le plus souvent, une décision favorable à la rentabilité est pratiqué, le lobbying au Maroc ces entreprises ont besoin d’un d’une entreprise ou d’un secteur… constitue réellement un levier politique travail de veille, de mieux connaître le tels sont les objectifs fondamentaux à même d’infléchir ou d’orienter la marché. «En six années d’existence, du lobbying. Une activité qui apparaît prise de décision. nous n’avons eu affaire qu’à un seul de plus en plus prégnante dans des cas de lobbying préventif, explique environnements hyper-réglementés PRATIQUE EMBRYONNAIRE Kamal Taïbi. Il s’agissait d’une mais qui jouit souvent d’une mauvaise multinationale qui désirait s’implanter presse car méconnue et victime de Faire du lobbying est le fait de militer au Maroc et qui voulait s’assurer d’un scandales retentissants. Au Maroc, si pour la réalisation d’un objectif en accueil favorable. Dans ce cas, notre très peu de sociétés spécialisées dans empruntant un itinéraire bien précis, travail a consisté en un «mapping» impliquant l’intervention d’hommes (cartographie) des parties prenantes, influents. La réunion des deux facteurs institutions, acteurs politiques, QUAND LES est nécessaire pour sa réussite. économiques publics et privés ainsi «Chaque action passe par la maîtrise que des médias. Puis, nous avons fait ENTREPRISES du dossier et l’identification de la un travail d’approche pour présenter bonne personne», explique Kamal l’entreprise, son projet, son métier… RÉAGISSENT, Taïbi, managing director de Public Résultat : elle a été très bien accueillie IL EST SOUVENT Affairs & Services (PASS), l’une des par les cibles». Mais ce cas demeure seules sociétés spécialisées en l’exception car la grande majorité TROP TARD relations institutionnelles au Maroc. des entreprises au Maroc ignorent le La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 47 TRANSVERSALES

lobbying. «C’est la même chose que les aide surtout sur la méthodologie pour la communication il y a quelques de travail avec des juristes, des années», constate K. Taïbi. financiers…, plaide Kamal Taïbi. On Quant à Abdelmalek Alaoui, directeur structure des dossiers techniques, PREMIERS (FAUX) de Global Intelligence Partners on met en place une construction (GIP), agence plus spécialisée dans d’arguments, puis on définit les l’intelligence économique, il ne dit cibles». Ainsi, après l’incident pas autre chose. Pourtant, «dans un industriel qui a touché un grand PAS DANS Maroc en voie d’hyper-réglementation, groupe de la place, il a été question où les mises à niveau constituent de déménager son site principal. de véritables challenges, le lobbying Ce qui n’arrangeait visiblement pas est obligatoire car il représente un les dirigeants de l’entreprise. «Nous véritable levier politique». Mais pour avons consulté des cabinets financiers LE LOBBYING cela, il faut être capable d’anticiper, ce internationaux, fait travailler des qui est loin d’être le cas. «L’Espagne spécialistes du secteur sur des études a pris depuis le 1er janvier la tête de indépendantes. Puis, nous avons l’Union Européenne ; il y a eu la mise organisé des visites de parlementaires en route du Traité de Lisbonne, le sur le site, car c’est une chose de sommet de Copenhague et malgré lire des chiffres sur un dossier, c’en tous ces rendez-vous importants dont est une autre de découvrir la réalité les calendriers sont fixés longtemps d’installations industrielles, raconte à l’avance, nous ne savons pas ce le directeur de PASS. Au final, tous les qu’attendent nos acteurs économiques échelons de la décision ont compris de l’Industrie et du Commerce sous de la présidence de l’Europe. Personne qu’il était plus opportun de garder le le gouvernement Jettou, appelle la ne s’est préoccupé d’un cahier des site là où il était». fédération pour une rencontre au charges». Une véritable hérésie sommet avec tous les ministres économique pour A. Alaoui. Une des LES TEXTILIENS DANS économiques du gouvernement. explications avancées serait que LES MÉANDRES DE L’ETAT «Notre force est d’être arrivés avec peu d’entreprises ont un conseil de des propositions et non pour présenter surveillance, «qui est précisément le Si les entrepreneurs ont du mal à d’énièmes doléances. Suite à cette lieu du stratégique, donc du lobbying». anticiper, les politiques de leur côté rencontre, Driss Jettou nous a chargés Conséquence : quand les entreprises appréhendent mal les calendriers de constituer une commission pour réagissent, il est souvent trop tard. internationaux dans lesquels le Maroc travailler sur l’étude de faisabilité est partie prenante. A cet égard, le avec les différents départements FAIBLE ANTICIPATION récit fait par Karim Tazi de la gestion ministériels (commerce et industrie, DES ACTEURS de la fin des accords multifibres dans douanes, impôts, transports…) ; le secteur textile est particulièrement et c’est là où les choses se sont Il est encore trop fréquent, raconte édifiant. «J’ai pris les rênes de l’AMITH corsées, car les départements Kamal Taïbi, qu’un opérateur (Association Marocaine des Industriels se tiraient dans les pattes tout le marocain, dont les activités sont liées du Textile et de l’Habillement) le temps. Le mécanisme de tutelle à l’international, ne sollicite qu’au 24 septembre 2004, soit quelques ne fonctionnait pas», témoigne K. dernier moment les lobbyistes, en leur semaines avant le 01 janvier 2005, date Tazi. En jeu pourtant, le sauvetage disant : «J’ai un problème avec l’Etat officielle de la fin des accords. Les d’un secteur qui reste le principal sur une loi prévue d’ici 3 ans». «Mais industriels commençaient à prendre employeur et exportateur du pays. Ce c’est déjà trop tard, rétorque notre conscience du choc à venir et dès qui, aux yeux de la fédération, passe homme, car l’échéance de l’Etat n’est le mois de décembre, on a constaté par un certain nombre de mesures pas celle de l’entreprise, ils ne sont une chute effarante des carnets de d’accompagnement : baisse des pas dans les mêmes timing». Pourtant, commande». Pourtant, jusqu’au 12 droits de douane sur tous les intrants, une action de lobbying bien menée janvier, rien ne se passe. Jusqu’à ce quelque soit leur origine ; exonérations permet souvent à l’entreprise ou à un que , ancien accordées aux plateformes secteur d’obtenir gain de cause. «On président de l’AMITH, devenu ministre d’exportation ; l’indépendance du 48 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS

secteur en matière de promotion re-toquent. «J’ai fait le tour des grands pas, au niveau de la CGEM ou des extérieure, etc. groupes parlementaires. J’ai envoyé fédérations, de démarche structurée Sur tous ces dossiers, la lutte s’avère des fax, sollicité des entretiens. Seuls autour d’un lobbying professionnel, âpre, et ce en dépit des préjugés le PJD et l’USFP nous ont reçus (et pas de calendrier pour connaître le bon favorables de la Primature. Qu’il encore, dans ce dernier cas, a-t-il moment, sortir un argument, monter s’agisse d’obtenir un simple rendez- fallu faire appel à des amis proches de un dossier». vous, contourner les oppositions d’un cette mouvance). J’ai également fait ministre, faire fi des récalcitrants de le tour des syndicats. Pour le reste, LA CGEM, UN LOBBY tous bords, notre homme se retrouve à l’essentiel de mon travail se faisait À PARFAIRE faire «du lobbying de bas étage», pour avec la presse. Il s’agissait de créer reprendre son expression désabusée. une pression pendant les discussions La CGEM justement. En tant «Nous n’arrivions pas à obtenir de avec notre ministre», raconte-t-il. qu’organisation patronale, la rendez-vous avec le directeur d’une L’AMITH obtiendra finalement gain de confédération devrait jouer des principales administrations de ce cause… en octobre 2005, soit 9 mois naturellement le rôle de lobby pour pays». Par chance, l’AMITH y compte après l’entame des négociations. les patrons marocains. Mais il semble alors deux de ses proches qui, une fois Reste, de l’aveu même de notre que là encore, la prise de conscience le sésame obtenu, viendront grossir apprenti lobbyiste que «chaque loi ne soit pas au rendez-vous. Pour ce les rangs de la délégation. de finances est une nouvelle bataille, fin connaisseur du tissu économique, car les décideurs ne cessent de «la CGEM est plus un espace où se LIENS PERSONNELS ET JEUX remettre en cause leurs engagements, retrouvent les différents patrons de DE COULISSES notamment sur la baisse des droits fédérations. Elle manque de capacités de douane des intrants venant d’Asie. institutionnelles d’intervention. Elle Face à l’impasse totale dans laquelle Ils n’ont jamais respecté le calendrier n’arrive pas à fonctionner comme se trouvent les négociations avec décidé». Et de conclure quelque peu un lobby, elle arrive juste à tenir un rôle d’interlocuteur des pouvoirs publics à certaines occasions, comme le dialogue social. Du coup, LES LOBBYISTES SERVENT les fédérations qui la composent LES MULTINATIONALES préfèrent agir séparément». Et le même d’enchérir : «Il n’y a aucune EXISTANTS OU EN PROSPECTION ressource humaine en interne dévolue au lobbying. Cela reste cantonné à le ministre, concernant l’ampleur désabusé : «Même pour ce qui est des actions du président, des vice- des baisses des droits de douane conventionnellement agréé, rien n’est présidents et de quelques présidents et les provenances, K. Tazi n’a jamais acquis». de fédérations, qui sont basées avant d’autre moyen que de le contourner On le voit, trop souvent encore, en tout sur des relations personnelles en tenant discrètement informé le matière de lobbying, le relationnel avec des membres du gouvernement, Premier ministre, qui de son côté, prime sur le reste. Pour Abdelmalek du parlement et du Palais». faisant semblant de s’enquérir de Alaoui, cela tient au fait qu’au Maroc Pour Bachir Rachdi, ceux qui l’avancement des discussions, obtient «les dossiers dépendent encore trop cherchent à influer sur les pouvoirs de son ministre qu’il lâche du lest. des individus qui font le poste et non publics au Maroc recherchent un Bon an mal an, les choses avancent. l’inverse. Il n’y a pas de continuité résultat, et pour ce faire «repèrent les Mais notre homme n’est pas dupe. administrative». Pour Bachir Rachdi, centres de décision et tentent de les Ainsi, sur la question de la baisse des ancien président de la fédération des infléchir». Pour lui, les rares lobbyistes droits de douane, question intégrée nouvelles technologies de l’information professionnels apportent surtout une dans la loi de finances, il ne voulait (NTIC), témoin privilégié d’autres mise en forme plus digeste, «mais pas que certains parlementaires la négociations ubuesques, «il n’existe au final ils font la même chose que La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 49 TRANSVERSALES

obtenir la décision, il y a besoin d’utiliser des leviers de pression, explique Bachir Rachdi. Ce qui suppose d’avoir des appuis au sein d’un même ministère qui peuvent influencer et tenir tête». Ainsi, pour enlever la décision d’un technopark, vitrine jugée indispensable par l’APEBI pour afficher l’engagement du gouvernement dans le développement du secteur ou encore pour fixer dans le marbre les dispositions relatives au contrat-programme, l’association a bénéficié de relais importants et les individus qui font ça de manière Youssoufi, en tant que Premier convaincus à la direction du Trésor, empirique». Reste que les réseaux ministre, et Bachir Rachdi, comme des Finances publiques et des ont leurs limites, à commencer par président de l’APEBI. Dès lors, des Douanes. «Quand il a fallu passer à la les guerres qu’ils se livrent entre eux, missions d’affaires présidées par phase de rédaction des engagements, en particulier à la tête des différentes Youssoufi sont effectuées dans les les cadres des finances nous disaient administrations ou ministères, comme pays comme l’Inde ou la Malaisie, par exemple que nous n’étions pas l’illustre l’exemple de l’AMITH. Et qui où les NTIC ont été choisies comme obligés de mettre les chiffres, les se répète à l’envi pour chacune des axe de développement majeur. «Pour objectifs… Ou encore, que nous ne fédérations patronales. ces visites, témoigne B. Rachdi, nous pouvions mettre les financements de étions en contact avec les homologues l’innovation tels qu’ils sont proposés, LE PARCOURS DU de l’APEBI dans ces pays à qui nous car c’est contraire à la loi de finances. COMBATTANT, VERSION TIC avions demandé de mobiliser leurs Des arguments totalement faux !», ministres. Cela a permis de donner raconte l’ex-président de l’APEBI, qui Ainsi en est-il des NTIC pour une impulsion, même s’il n’y avait en veut pour preuve la validation du lesquelles l’APEBI (Association des pas encore de cadre institutionnel». contrat-programme dans les termes Professionnels des Technologies de Dès 2001, l’APEBI formalise une initiaux. Mais la force de l’APEBI, pour l’Information, ancêtre de la Fédération) vision stratégique et met en avant arracher au gouvernement la création avait pourtant entamé de longue date les catalyseurs nécessaires au d’un fonds de soutien à l’innovation une action de lobbying. Dès 1997, à la développement du secteur. Premier de 100 millions de dhs et celle d’un veille d’élections législatives, quelques résultat tangible : la création d’un fonds de soutien à la R&D doté de 70 individus au sein de l’APEBI sont secrétariat d’Etat dédié aux NTIC. millions avec en prime une promotion convaincus de l’intérêt de développer Dès lors, le secteur devient attractif, à l’export, est d’avoir également leur secteur. Grâce à la proximité les couteaux s’aiguisent et partant bénéficié du relais d’appuis légitimes. qu’ils entretiennent avec certains les blocages surgissent de tous A leur tête, le directeur de l’ANRT qui leaders politiques, ils s’impliquent côtés, même des plus inattendus, a largement inflencé les orientations dans l’élaboration du programme comme le ministère de tutelle. «Pour gouvernementales. électoral de l’USFP et du RNI où ils font valoir l’importance de ce volet, en suggérant notamment la création d’un département dédié aux NTIC. Conclusion «Au départ, il s’agissait seulement de l’initiative de quelques individus, De l’avis de nombre d’observateurs et praticiens, il est difficile de mener précise Bachir Rachdi». Les choses ne des actions de lobbying efficaces car les process de la prise de décision sont vont commencer à s’institutionnaliser très complexes, trop sujets au hasard, aux impondérables. «Les décisions que lorsque certains d’entre eux ne sont pas prises en fonction d’orientations politiques claires, conclut B. vont accéder aux responsabilités, Rachdi, mais plutôt en fonction des ego, de comment chacun va souligner sa en l’occurrence Abderrahamane puissance». 50 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS ARTICLE ETAT - ENTREPRENEURS ÉTRANGERS, UNE RELATION ENCHANTÉE ?

L’ETAT MAROCAIN A TABLÉ, DANS SA POLITIQUE ÉCONOMIQUE, SUR L’INFITAH, OUVERTURE INDUISANT UN ENSEMBLE DE RÈGLES, DE COMPORTEMENTS ET D’ATTITUDES DONT LA FINALITÉ EST DE FACILITER AUX ENTREPRENEURS ÉTRANGERS L’ACCÈS AU MARCHÉ. VOICI COMMENT LE MAROC S’Y PREND

Par Brahim Labari* Sociologue, Université d’Agadir – CNRS, Paris

Etat développe à l’endroit les politologues qui ont fait usage l’export avec la mise au travail d’une des entrepreneurs étrangers de cette notion pour décrire les main-d’œuvre locale, encadrée un discours orienté vers opportunités de démocratisation et disciplinée ; la restriction des L’ 1 la légitimation de l’Infitah du Maroc dans le monde arabo-musulman . subventions aux produits de première sur l’espace économique européen. Au Maroc, la conceptualisation de nécessité (farine, riz, légumes, huile, Il use de même d’une rhétorique l’Infitah comme stratégie d’ouverture sucre). L’Infitah est tout à la fois conséquente pour faire valoir son a été imposée d’en haut vers le une stratégie et un discours, une attractivité. Ce sont essentiellement milieu des années 1980 à la suite rhétorique par laquelle on travaille des recommandations de la Banque à persuader de l’attractivité et de la mondiale. Le Maroc était alors invité marche du Maroc vers le «progrès», à ouvrir davantage son économie en ainsi que de l’importance cruciale de élaborant un code d’investissement son inscription dans l’environnement favorable aux investisseurs privés méditerranéen. L’objectif pour le (nationaux ou étrangers)2. Dans le Maroc est même plus ambitieux : il contexte maghrébin, l’Infitah cible trois s’agit, sinon d’obtenir un statut de priorités : la privatisation progressive membre à part entière au sein de du secteur public ; la mise en place l’Europe en construction, du moins des districts industriels voués à d’en être un partenaire privilégié. RABAT PERÇOIT LE PARTENA- RIAT AVEC L’UE COMME UNE SOURCE DE LÉGITIMITÉ

* Auteur de l’ouvrage Le Sud face aux délocalisations, Houdiard Editeur, Paris, 2007. La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 51 TRANSVERSALES

L’ETAT OU LA CONSÉCRATION DISCURSIVE DES BON ÉLÈVE ET DISCIPLE FIDÈLE, ENTREPRENEURS LE MAROC RÉPOND FAVORABLE- EUROPÉENS MENT AU SYSTÈME DE RANKING Naguère, on entrevoyait les prémices de la singaporisation du Maroc, appelé euro-méditerranéens. Trois volets au moins par le biais de déclarations à être le futur dragon de l’Afrique. La interdépendants constituent la trame d’intention : l’adhésion à la filiale de singaporisation, terme dénotant une de cette association : la Banque mondiale, à savoir l’Agence spécificité géographique, est employé - La «mise à niveau» de l’économie Multilatérale pour la Garantie des ici dans le sens de la prévalence d’une nationale (assainissement et Investissements (AMGI) en 1992, forme d’économie de transformation transparence) ; l’accueil de la cérémonie fondatrice et de l’importance de la coopération - La réforme de l’Etat et la mise de l’OMC en 1994 à Marrakech, la économique à l’international. C’est en place d’ institutions politiques signature d’un accord de libre-échange à Clifford Geertz3 que nous devons démocratiques ; avec l’Union européenne en 1996 et cette conceptualisation qu’il a utilisée - Le maintien d’un équilibre socio- la levée des protections douanières pour caractériser l’un des modes économique garant de la stabilité programmée pour 2012 en sont les de la légitimité des nations. Plus sociale, avec l’approfondissement des exemples les plus notoires. spécifiquement, il renvoie à un mode échanges entre sociétés civiles des de gouvernance en termes de réussite deux rives en faveur de la démocratie Chacune des parties (Etat marocain et économique : un Etat se légitime en et des droits de l’Homme. UE) use de l’incontournable référence fonction du bien-être qu’il prodigue au partenariat. L’Etat marocain à ses gouvernés. Geertz considère Bon élève et disciple fidèle, le perçoit le partenariat comme une Singapour comme une illustration de Maroc répond favorablement au opportunité de plus pour asseoir ce mode de légitimation. système de notation et au barème définitivement sa légitimité dans le des valeurs qui lui sont imposés. Le processus de la mondialisation libérale Le comportement que l’Etat certificat de bonne conduite lui est et assurer le développement socio- s’approprie dans ses textes et décerné pour s’être engagé dans le économique national. De son côté, ses discours se déploie autour de processus de l’économie libérale, l’Union européenne fait valoir l’intérêt plusieurs ambitions dictées par pour s’être conformé à la philosophie économique du pays et la possibilité le souci constant de la vocation libre-échangiste et pour avoir d’atténuer les flux migratoires vers européenne du Maroc, notamment «sacralisé» le droit, la loi et les vertus l’Europe par la mise au travail des depuis les projets d’association de l’excellence et de la rentabilité, Marocains dans leur pays.

Les Investissements Directs Etrangers (IDE) ne reposent pas sur l’alternative hasard ou nécessité. Ils sont le résultat d’une convergence économique complexe, fondée sur une croyance 52 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS

forte : l’effet du global sur le local et «CE NE SONT PAS LES PASSEURS l’aspiration du Maroc à intégrer l’Union européenne. L’économie-monde, DE SAVON ET DE JEANS QUI pour reprendre I. Wallerstein, serait devenue la règle, l’alpha et l’omega, VONT ÉMOUVOIR L’ÉTAT» voire la référence obligée de toute économie désireuse de ne pas mourir où l’attractivité est le maître-mot. l’informel et plus largement «les dans une sorte d’isolationnisme Cette charte simplifie les procédures pratiques illicites qui polluent la bonne «suranné». Cette économie-monde administratives ; elle consacre marche de l’économie». structure les rapports Nord-Sud sur la l’ouverture par les entreprises base de l’intégration et l’arrimage des étrangères et leurs employés de Cette campagne sans précédent en économies du Sud à celles du Nord comptes en dirhams faveur de l’assainissement de la vie comme le note Jean-Robert Henry : convertibles ou en devises publique fait partie du plan destiné «Si l’Etat moderne reste l’acteur étrangères ; elle permet l’acquisition à soigner l’image du Maroc auprès collectif d’une société et la résultante par les Étrangers de parts sociales, des investisseurs étrangers. Après de ses contradictions, il devient de y compris dans les entreprises de multiples interpellations, celles plus en plus le relais d’intégration publiques ; elle favorise le de la Banque mondiale notamment, de cette société au système mondial, rapatriement automatique de capitaux à propos de la corruption, la le serviteur et le diffuseur de la et de bénéfices et rémunération des contrebande et le trafic de drogue, modernité, légitimé en retour par investissements autres que les prises le Maroc a lancé avec fracas une la mission de développement à de participation… Pour encourager les opération d’assainissement avec accomplir…»4 investissements étrangers, plusieurs l’arrestation et l’emprisonnement mesures incitatives sont prises. Sans d’une vingtaine de trafiquants et L’ETAT EN TANT QUE prétendre à l’exhaustivité, on peut citer la convocation chez les juges de «FACILITATEUR» les suivantes : exonérations fiscales et nombreux hauts fonctionnaires des ÉCONOMIQUE douanières, abattements importants douanes : «Nous avons répertorié des taux d’imposition et allègement 4 500 contrebandiers notoires. Si l’on peut avancer que le Maroc du régime fiscal pour les investisseurs L’assainissement ira jusqu’au bout. vit à l’heure des réformes depuis étrangers, élaboration d’un Code Le Maroc est un Etat et ce ne sont au moins la politique de l’open door de commerce et mise en place des pas les passeurs de savon et de jeans (régime douanier favorable aux tribunaux de commerce sur le modèle qui vont l’émouvoir. Aucune personne investissement étrangers), on ne français, régulation de la concurrence impliquée dans un trafic quelconque, peut s’empêcher de soutenir qu’elles et des prix, impulsion d’une politique quelque soit son rang, ne sera sont souvent imposées de l’extérieur, d’assainissement de l’économie épargnée. C’est la règle»5. appropriées et modelées en fonction avec le bannissement de l’informel des contraintes politiques internes. et de l’économie de la drogue. Cette Si tel est l’objectif affiché des autorités L’Infitah économique se déploie autour dernière mesure a été concrétisée par marocaines, le patronat, quant à de plusieurs réalisations. D’abord, la campagne d’assainissement de 1996 lui, brandit la crainte de la fuite des la mise en place d’une nouvelle initiée par le ministère de l’Intérieur investisseurs étrangers en faisant charte d’investissement favorable pour lutter contre l’informel et la valoir l’effet psychologique de cette aux investissements étrangers. contrebande. Ensuite, le précédent campagne : «Le climat est malsain, la Depuis 1995, d’importantes mesures de la campagne d’assainissement de confiance a disparu. Des investisseurs d’incitation à l’investissement 1996 érige l’Etat en rectificateur des étrangers pensent déjà quitter le étranger ont été prises. Face à la égarements des acteurs économiques. pays»6. concurrence, notamment du voisin Lancée par le ministre de l’Intérieur Cet échange traduit la coexistence de tunisien, le Maroc met en place une en 1996, cette campagne vise la lutte deux logiques : une logique politique nouvelle charte d’investissement contre la contrebande, la corruption, de démonstration tendant à bannir La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 53 TRANSVERSALES

l’économie souterraine et les formes Premier ministre chargé des Affaires regrouperaient sous le nom de guichet de corruption qu’elle favorise. Elle économiques générales et de la mise unique les différents services qui vise aussi à déposséder l’opposition à niveau de l’économie. Conçus sur peuvent permettre à l’investisseur d’un argument de poids dans les le modèle du centre de formalité des la création d’une société, toutes stratégies électorales futures. La entreprises, les CRI ont pour ambition formalités confondues. Le guichet seconde logique, défendue par de régionaliser cette procédure et de unique de formalité, première étape le patronat, consiste à présenter la rendre plus souple. Ils demeurent de l’investisseur, aurait pour but de lui la campagne d’assainissement toutefois assujettis aux attributions fournir un seul document en 48 heures comme la démobilisation des indéterminées puisque ne reposant de délai. Le guichet d’assistance investisseurs étrangers. Quoi qu’il que sur les directives contenues dans interviendrait dans la délivrance en soit «l’opportunité s’inscrit dans la lettre royale. A titre d’exemple, des différentes autorisations le long terme. Elle se résume en la controverse sur le statut et le afférant à cette procédure de trois mots : GATT, Union européenne, caractère limitatif ou pas des secteurs création d’entreprise (autorisation Barcelone…»7. cités dans ladite lettre. L’acte de de construire, visa de conformité, naissance des CRI prétend répondre autorisation d’importer des machines Cette campagne est aussi le révélateur à l’exigence des investisseurs, à taux préférentiel…). d’un malaise dans la culture politique notamment étrangers, pour la création marocaine et une reconnaissance d’un guichet unique qui réduirait les L’ETAT EN implicite que les différents maux ne délais et simplifierait les obstacles «RÉHABILITATEUR» relèvent pas d’un dysfonctionnement de la création d’entreprises. Sous la DE L’ENTREPRISE… technique appelant des réponses responsabilité du Wali, ces centres d’une même teneur, mais sont La flexibilisation accrue de la le fruit d’une logique structurelle législation du travail consacrée par d’opacité et de clientélisme. Ce qui le nouveau Code du travail de 2004 devrait être une machine de guerre aboutit à la consécration de la culture contre la corruption est d’abord la du consensus et du respect de la reconnaissance officielle d’un fléau parole donnée dans le traitement généralisé («Un système s’est peu des problèmes professionnels. à peu mis en place sur un schéma C’est toute la portée de cette pyramidal, avec au sommet les formule anglophone de gentleman’s pélicans de la corruption, convaincus agreement. Que veut dire au juste d’être intouchables, et à la base tous cette nouvelle formule ? Selon feu les ramasseurs de petits bakchichs, le roi Hassan II, il s’agit de doter le parasites qui gravitent autour des Maroc d’un Etat de droit pour les petits centres de décision, toujours affaires en associant le gouvernement, habiles à débusquer l’agent capable de donner rapidement satisfaction»8), voire d’un «ajustement du corps des médiateurs agréés et un recentrage politique»9. Enfin, la mesure phare consiste dans la création des Centres «LE SECTEUR régionaux d’investissement (CRI) en PRIVÉ SE DOIT 2002. L’accession au trône du Roi D’AFFIRMER Mohammed VI en juillet 1999 a donné une nouvelle allure à la politique SA DÉTER- de l’Infitah. Sous son autorité, plusieurs réformes sont annoncées MINATION ET et accomplies, notamment la SON VOLONTA- création des CRI et la nomination d’un ministre délégué auprès du RISME» 54 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS

le patronat et les syndicats dans On peut apprécier cette stratégie avec les voisins s’appuiera sur un l’effort commun de rendre le milieu de l’Infitah en nous intéressant aux engagement réciproque en faveur du travail apaisé et les relations flux d’investissements étrangers. de valeurs communes se situant professionnelles affranchies de toute A cet égard, la France surclasse principalement dans les domaines velléité de grèves : «Le secteur privé ses concurrents en occupant de l’État de droit, de la bonne se doit de son côté d’affirmer sa structurellement, comme l’attestent gouvernance, du respect des droits détermination et son volontarisme toutes les données de l’Office des de l’homme, notamment des droits dès lors qu’il a compris que les filières changes, la première place des des minorités, de la promotion des du développement exigent, plus investissements étrangers au Maroc. relations de bon voisinage et des que jamais, combativité, ténacité et principes de l’économie de marché mobilisation continue des énergies. L’ARGUMENT DE LA et du développement durable. Des S’il s’organise en conséquence dans «MÉDITERRANÉITÉ» DU engagements de la part des pays tous les domaines d’activité, rénove MAROC AU SERVICE DE partenaires sont également demandés ses techniques d’exploitation et L’ENTREPRENEUR EUROPÉEN en ce qui concerne certains aspects poursuit son entente avec le monde essentiels de l’action extérieure de du travail, il pourra envisager l’avenir Parmi les arguments les plus l’UE, en particulier la lutte contre avec confiance. C’est à ces conditions mobilisés pour attester de la le terrorisme et la prolifération des que l’entreprise citoyenne pourra communauté des valeurs, le armes de destruction massive, ainsi devenir le fer de lance dans la bataille référent méditerranéen occupe un que le respect du droit international pour la croissance économique, bon rang. Le recours à l’argument et des efforts dans le domaine de la le développement de l’emploi et la méditerranéen permet de faire du résolution des conflits»11. réduction des disparités sociales et bassin méditerranéen un lieu de régionales. C’est à ces conditions aussi dialogue, une finalité historique et une Si l’autre rive de la Méditerranée qu’elle pourra répondre aux espoirs communauté de destin, berceau de constitue à la fois un défi économique, de l’économie marocaine, d’intégrer civilisation et de partenariat, enrichie social, démographique et écologique, le marché mondial et d’être prête, le par l’émigration-immigration et force est de constater que la moment venu, à assumer efficacement l’intensité des croisements. capitalisation des ressources (qu’elles l’instauration de la zone de libre- soient construites pour corroborer échange avec l’union européenne»10. Il est aussi un impératif politique l’action et le partenariat, ou conformes destiné à contenir des poussées à une réalité enfouie dans une histoire Etendard d’un faisceau de mesures islamistes et à conjurer la perspective commune) ne peut être efficiente que allant dans le sens de la libéralisation du «choc de civilisations». Ces par la sensibilisation les entrepreneurs de l’économie marocaine, l’attractivité arguments sont brossés à grands potentiels à la culture marocaine. De cible d’abord les grands groupes et traits dans la littérature officielle ce point de vue, la formation dans les les investissements d’envergure. européenne : «La relation privilégiée grandes écoles et dans les universités au management interculturel avec des équipes d’enseignants-chercheurs qualifiés constitue sans doute une plus value pour une implantation réussie des entreprises internationales au Maroc. Parce que les pays maghrébins (et le constat vaut particulièrement pour l’Algérie) sont traversés par une actualité politique qui accréditerait la thèse du choc des civilisations (montée de l’islamisme radical, déficit de légitimité politique, vulnérabilité du La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 55 TRANSVERSALES

lien social, corruption des systèmes économiques nationaux…), l’argument méditerranéen peut se révéler efficient pour «corriger» ces failles politiques par le biais de l’impulsion économique. A cet égard, le regretté Rémy Leveau note : «La stabilité interne de la région est liée à son développement ricardien de la division internationale économique. L’interpénétration du travail, confine le Maroc à une des «domaines» économique, position géographiquement bien politique et sociaux est renforcée par située et économiquement attractive. l’existence des relations humaines A cet égard, L’Etat marocain est transméditerranéennes (par le biais doublement bénéficiaire de l’accueil des migrations et des échanges des investisseurs européens. économiques, culturels et sociaux)»12. Premièrement et symboliquement, il des démarches administratives s’agit d’afficher le credo de l’ouverture souvent faites d’opacité et de Pour le Maroc, il s’agit de présenter vis-à-vis de l’Europe, et donc de faire lenteurs. En revanche, les «petits» une autre vision de l’islam, partie foi de sa disponibilité à jouer la carte investisseurs, malgré leur «capital intégrante de la personnalité social», se mettent directement en méditerranéenne et levier du dialogue LES C.R.I ONT contact avec les administrations13. Si constructif entre les cultures. Ce l’enjeu des réformes entreprises par penchant pour la modération dans POUR AMBI- l’Etat à l’endroit des entrepreneurs un environnement régional en internationaux est d’aligner l’économie tension est de nature à présenter la TION DE RÉGIO- et le marché du travail marocains rive sud comme apte à enrichir la sur le modèle européen, la rigidité de mondialisation et non à la combattre : NALISER LES l’administration, la difficile traduction «La globalisation des marchés PROCÉDURES des législations constituent un frein est certes le premier des défis à la mise en place des réformes tant pour un univers plural tel que le ET LES RENDRE proclamées. Tout se passe comme si monde méditerranéen. Cet univers le choix du libéralisme imposé par le a fondé ses liens internes, sur ses PLUS SOUPLES haut n’était contesté ni par la classe différences, sur sa diversité, sur son politique ni par la base sociale. On y pluralisme culturel. Or l’islam est une du partenariat économique, voire à discerne la primauté du symbolique composante de la Méditerranée. Il est fonder l’ouverture sur l’affirmation et une stratégie d’attraction du capital concerné au premier chef par cette de sa vocation méditerranéenne et européen. Pour que cette stratégie région, par ses cultures et par leur européenne. Secondement, la prise en soit concluante, elle doit couvrir tous avenir» (Hassan II). charge par les entreprises françaises les secteurs d’activité. Mais force est On l’aura compris : l’orientation d’une partie de la population vouée à de remarquer que l’attractivité est générale tend vers l’intégration de l’inactivité pourrait avoir quelque chose d’abord exercée sur les secteurs de l’économie marocaine dans une de salvateur. transformation dans le cadre de la dynamique méditerranéenne plus division internationale du travail. large. Il est important de souligner que Nonobstant les mesures prises et les les secteurs les plus sensibles à cet credo proclamés, force est de relever appel et à ces discours sont ceux qui qu’empiriquement un clivage persiste demandent un fort coefficient de main- dans le traitement des entrepreneurs d’œuvre non qualifiée et disposent étrangers à l’aune du volume et de des cadres formés à superviser l’importance de l’investissement. Les son travail. La nature même de ces investissements d’envergure sont secteurs d’activité, le modèle de choyés et sont directement pris en développement qui lui est consécutif charge par les décideurs politiques. s’insérant dans le vieux schéma Les investisseurs sont alors dispensés 56 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS ENQUÊTE

LES CABINETS DE CONSEIL FONT-ILS LES STRATÉGIES DE L’ETAT ? PLAN AZUR, PLAN MAROC VERT, PLAN HALIEUTIS ... LA LOGIQUE SECTORIELLE S’ACCOMPAGNE PAR UNE PRIVATISATION DE LA PLANIFICATION ÉCONOMIQUE. LES CABINETS DE CONSEIL SE SUBSTITUENT-ILS À L’ETAT ? QUELLE RELATION ENTRETIENNENT LE CLIENT PUBLIC ET LE FOURNISSEUR PRIVÉ ? ENQUÊTE.

Par Samia El Fassi Chercheur en Sciences économiques

uand le Maroc se met à rêver projets, résolutions Q et chantiers stratégiques, il les baptise de deux noms : PLAN ou PROGRAMME.

Depuis les années 80, le vaste programme d’ajustement structurel, qui avait à l’époque pour objectif le rétablissement de la stabilité du cadre macroéconomique, a largement marqué l’évolution de l’économie du Maroc. La relative stabilité qui en a résulté s’est accompagnée d’une accentuation du caractère libéral de l’économie et une ouverture active sur l’extérieur, suivies d’un désengagement progressif de l’Etat au profit des privatisations, et ce dans tous les domaines. Ainsi, l’Etat a cédé au secteur privé une partie de ces activités, dont les études stratégiques. Jusqu’aux années 2000, le Maroc fonctionnait avec des plans triennaux, La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 57 TRANSVERSALES

quinquennaux, élaborés par les débattu avec les élus au parlement. nouveaux planificateurs de l’économie cadres de l’Etat et ensuite discutés L’Etat a remplacé cette démarche marocaine», pour l’élaboration des au conseil supérieur des plans avec par le recours à des grands noms grands projets du royaume. LES CABINETS DE CONSEIL FONT-ILS les partenaires sociaux, avant d’être du conseil, qu’on nomme «les

LES STRATÉGIES :8IKF>I8G?@<;cYjhig^Z iZX]cdad\^Zh :cZg\^Z EaVcBVgdXKZgi Egd\gVbbZCV_V] Egd\gVbbZYÉVXi^dc :bZg\ZcXZ CjbZg^X EaVccVi^dcVaYÉVXi^dch JkiXk„^`\ eg^dg^iV^gZh DE L’ETAT ? G„i`f[\ '%%-"'%'% '%%."'%&' '%%-"'%&' '%%."'%&* '%%."'%&( '%%-"'%&' :XY`e\k BX`^chZn KVanVch >CI:GC: BX`^chZn 6I@ZVgcZn BX`^chZn

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D’OÙ VIENT CETTE CULTURE DU CONSEIL EN STRATÉGIE ? Vert (2009) lancé par le ministère de accentué depuis 2002. Le premier l’agriculture. Au total, une dizaine responsable gouvernemental à avoir Cette nouvelle mode du conseil en de plans sectoriels ont été élaborés fait appel à un cabinet conseil en stratégie provient, en partie, des pour accélérer durablement la stratégie, McKinsey, a été , orientations libérales engagées dans croissance économique du pays. l’ancien ministre du tourisme, pour les années 80. Comme le souligne Plus précisément, 12 secteurs ont le «Plan Azur». Leader mondial du l’économiste Najib Akesbi : «Nous été identifiés afin de jouer le rôle de conseil en stratégie, McKinsey, installé sommes en train de payer les pots locomotive en tirant la croissance du au Maroc depuis 2004, le groupe cassés du délire néo-libéral des pays vers le haut. américain a travaillé ces dernières années 80». S’ajoute à cela les années sur les principaux «projets nombreux défis que le Maroc doit En somme, la plupart des grands royaux» de développement du pays. relever, défis dus à la complexification projets du royaume, concernant les «Nous avons misé sur le Maroc de l’environnement, l’ouverture des secteurs clés de l’économie nationale, et nous croyons en son potentiel» frontières, l’intensification de la ont été commandés par les ministères indique Amine Tazi Riffi, directeur concurrence et la mondialisation. et concoctés par des cabinets conseil, associé senior et responsable du Ainsi, les pouvoirs publics sont internationaux ou marocains. bureau Afrique du Nord du cabinet. obligés de mettre en place une veille Dans ce cadre, nous pouvons nous Son exemple a ainsi «fait école». Il stratégique développée et efficace. demander pourquoi les ministères est aujourd’hui considéré parmi les Ils ont ainsi recours à ces grands font appel à ces cabinets, et font d’eux premiers à avoir voulu inscrire des noms du conseil qui leur proposent les nouveaux stratèges de l’économie orientations et des objectifs à long de mettre en place des stratégies Marocaine ? En ont-ils réellement terme, et à avoir défini des objectifs présentées comme «infaillibles». besoin ou est-ce pour disposer de chiffrés en s’appuyant sur un savoir- Ces plans stratégiques se doivent manière ponctuelle des compétences faire externe, pour fournir une étude d’identifier des visions à moyen et qui leur font défaut ? En d’autres stratégique, livrée clés en main en long terme claires, avec des objectifs termes, est-ce que le recours à ces quelques mois. Ainsi, McKinsey s’est quantifiables et des échéances cabinets de conseil sert au pouvoir imposé comme le bureau de conseil bien précises, dont le but est de public à des fins stratégiques intégrées préféré de l’Etat marocain.

Du point de vue des ministres LA DIFFÉRENCE ENTRE CABINETS commanditaires, le recours aux LOCAUX ET ÉTRANGERS RÉSIDE cabinets présente plusieurs avantages. Cela permet, à leurs yeux, de gagner DANS L’ACCÈS AUX DONNÉES du temps, de chiffrer les objectifs, de tracer des orientations à long terme, INTERNATIONALES de s’inspirer des meilleures pratiques internationales, et enfin de s’inscrire relancer l’économie marocaine et par dans la politique, ou plus à des fins dans une «logique de résultats». conséquent la rendre plus saine, plus palliatives à un moment précis? Les ministres, qui font appel à des ouverte à l’internationale, et moins Aussi, considèrent-ils le consulting cabinets conseil, sont souvent issus dépendante de l’agriculture. comme une «charge» ou comme un du secteur privé, où ils ont occupé Plusieurs plans et programmes «investissement» ? de hautes fonctions managériales. cruciaux ont vu le jour. Parmi eux Arrivés au gouvernement, ils décident figurent le plan AZUR lancé par le LA MODE DU CONSEIL d’appliquer les recettes du privé au ministère du tourisme (2002), le Plan AU SECTEUR PUBLIC secteur public. Le service de conseil, Emergence 1 et 2 (2004 et 2009) lancés très en vogue actuellement, et qui par le ministère de l’industrie et du Le recours à des cabinets conseil n’est bénéficiait autrefois d’une grande commerce, ou encore le plan Maroc pas nouveau au Maroc, mais il s’est renommée uniquement auprès des La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 59 TRANSVERSALES

de Valyans Consulting1. Explication en interne, «Valyans, est un cabinet 100% marocain, mais on est tous imbibés de cette culture des standards internationaux de qualité. Notre but est d’être un cabinet national, qui a un niveau de performance des services, comparables avec nos confrères affiliés à des réseaux internationaux. Aussi, l’ouverture de notre bureau de Rabat est clairement un message fort de proximité et d’orientation stratégique par rapport au secteur public, qui représente 40 % de notre activité»2.

POURQUOI CES GRANDS NOMS DU CONSEIL ?

Le recours croissant aux cabinets de conseil de réputation internationale s’explique notamment par la prise de conscience chez les cercles dirigeants du déficit des capacités de réflexion stratégique au sein des ministères. Pour construire une étude stratégique nous avons besoin de spécialistes, et de profils très pointus, tels que des économistes ou des économètres. Vu de l’extérieur, le constat est atténué. «Certes, les ressources existent dans les ministères, cependant elles ont été altérées par le plan de départ volontaire»3. De leur côté, les ministères ne s’en cachent pas : «Nous avons besoin de vendre ces stratégies, à plusieurs acteurs, tels que les investisseurs étrangers, et multinationales, s’est étendu auprès pour les attirer, il faut parler le même facilement l’adhésion des parties du secteur public. Or, le secteur langage qu’eux..» prenantes. Pour Laurent Benarousse, privé et le secteur public sont deux directeur du bureau casablancais de univers très différents, tant dans leur En effet, du point de vue des ministères Roland Berger Strategy Consultants, fonctionnement, leur culture ou leur clients, le recours au conseil facilite «ce qui fait la différence entre cabinets langage. la validation des plans définis, auprès locaux et étrangers, c’est la capacité Dans le sillage de Mc Kinsey, des autres ministères ainsi qu’auprès à accéder à un benchmarking plusieurs cabinets ont développé des investisseurs. Le recours au international». Installé au Maroc des activités de conseil en stratégie cabinet de conseil est un instrument auprès du gouvernement. Ces de légitimation des stratégies dernières années, parallèlement aux adoptées. Une stratégie réalisée par cabinets internationaux, des cabinets McKinsey impliquerait moins de coûts nationaux se sont affirmés à l’image de transaction et remporterait plus 60 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS

depuis 2008, le cabinet européen pépinière de hauts talents locaux.» Or, mettre plusieurs cabinets de conseil est associé à Capital Consulting. Un comment évaluer les consultants ? en concurrence sur la même étude partenariat qui a séduit le ministère Difficile de répondre à cette question. stratégique. C‘est en effet ainsi que de la Jeunesse et des Sports pour Ceci provient de «l’immatérialité» qui devraient, d‘après la représentation l’élaboration de la «stratégie sport caractérise la prestation de conseil. commune, se passer un appel d‘offre. 2020». Certes, ces cabinets proposent Dans la réalité, il nous arrive d’assister L’apport majeur de ces cabinets de d’excellents profils, tous issus de à une certaine transgression des conseil en terme d’étude stratégique, grandes écoles. Cependant, il s’agit règles. Le prestataire, déjà en mission sont les ressources et les données de jeunes diplômés et donc ce sont au ministère, disposant forcément dont ils disposent grâce à leurs des généralistes. «80% de nos d’informations et de références accès à toutes les bases de données recrutements sur l’année se font que les autres cabinets n’ont pas, a mondiales. Comme le souligne auprès de jeunes diplômés»4. toutes les chances de formuler une Karima Benoualide Senior Manager réponse plus appropriée à l’appel chez Valyans : «Nous sommes assez Cette relation de service qui s’établit d’offre en proposant des solutions frileux à l’idée de sortir des chiffres de entre pouvoir public et cabinets qui convergent avec les besoins du notre chapeau. Plusieurs possibilités de conseil suscite beaucoup client. Aussi, dans certains cas, le s’offrent à nous : nous mandatons des d’interrogations sur l’efficacité et/ prestataire peut voir le service réalisé prestataires de services basés en Inde ou l’utilité de travaux facturés à comme un tremplin, comme le moyen pour nous fournir des benchmarking, plusieurs dizaines de millions de de vendre d’autres prestations. On et des analyses sectorielles. Aussi dirhams. Afin de comprendre la nature peut parler d’un jeu «d‘enrobage» des nous sommes abonnés à des des interventions qu’effectuent ces références, du service proposé et des observatoires de plusieurs grandes nouveaux planificateurs de l’économie bénéfices attendus. Au jeu bilatéral universités, Harvard par exemple, pour le compte de l’Etat, nous nous des parties se superpose un jeu qui nous fournissent des chiffres». placerons d’abord en amont puis au commun d‘entente entre le client et le Comme pour la pluparts des pays cœur et enfin en aval de cette relation consultant élu. en voie de développement, le Maroc de service. connaît certaines lacunes du point de vue des données statistiques. QUE SE PASSE-T-IL AVANT Néanmoins, des données existent LE DÉBUT DE LA RELATION mais sont difficilement accessibles ou DE SERVICE ? exploitables. Pour le déclenchement de la relation Le ministère, désireux de faire une de service, l’appel d‘offre est un étude et ne pouvant pas comparer les moment essentiel pour le cabinet. prestations, va chercher à comparer C‘est là que se décide l‘obtention ou les cabinets. En fait, l’idéal serait de non de la mission. Remporter un appel pouvoir comparer les consultants d‘offre est un impératif de survie des car les compétences des cabinets cabinets. L’appel d’offres permet au sont d’abord celles des consultants. ministère de faire le choix du cabinet le Comme le souligne Karima Benoualide plus à même de réaliser une nouvelle Senior Manager - Valyans, «il ne faut stratégie pour un secteur. Le but est de pas oublier que nous vendons avant tout des CV…». Amine Tazi-Riffi, principal associé au cabinet Mc Kinsey IL NE FAUT PAS OUBLIER QUE LES & Company, confirme cette assertion: CABINETS DE CONSEIL VENDENT «Parmi les objectifs essentiels que se fixe notre cabinet : développer une AVANT TOUT L’ACCÈS AUX CV La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 61 TRANSVERSALES

Certaines études ne donnent pas lieu à un appel d’offre. Quand la source de financement n’est pas le budget de l’Etat, mais des fonds tels que celui de Hassan II qui n’est pas soumis aux mêmes règles des ministères, on parle plutôt de marché négocié qui ne donne pas lieu à un appel d’offre. Dans ce cas, le ministère commande une étude au cabinet de son choix. Typiquement, le plan Maroc Vert a fait l’objet d’une commande du ministère de l’agriculture à McKinsey sans appel d’offre. L’appel d’offre, censé être aujourd‘hui une procédure encadrée et systématique, et promue pour garantir une juste mise en concurrence des offreurs, peut être contourné par l’intermédiaire du réseau des consultants du cabinet ou par des arguments, tels que le caractère d’urgence ou le fait qu’un seul cabinet de ces consultants, des «compétences Le mode de production de ces études dispose des «compétences requises» support». On parle essentiellement est marqué par une grande opacité. pour accompagner le ministère. des partenaires du cabinet. Comme Les cabinets de conseil débutent

QUE SE PASSE-T-IL PENDANT L’ÉLABORATION DE L’ÉTUDE L’ETAT A CÉDÉ AU PRIVÉ STRATÉGIQUE ? UNE PARTIE DE SES ACTIVITÉS, Une fois que le ministère mandate DONT LES STRATÉGIES un cabinet, celui-ci doit mettre en œuvre tous les moyens afin de garantir l’élaboration de l’étude stratégique qui l’indique Amine Tazi Riffi, directeur l’étude en rencontrant les acteurs lui est confiée, c’est bel et bien pour associé senior et responsable du clés pour recueillir des informations; cela que le ministère fait appel à lui. bureau Afrique du Nord du cabinet, cependant, il n’y a pas de processus Pour que le sujet soit bien cadré, le «il y a une énorme activité de support de consultation ouvert et transparent ministère doit donner au consultant, derrière les consultants sur place». à suivre pour l’élaboration de l’étude durant la phase initiale, le maximum En effet, l’équipe opérationnelle stratégique. «Pendant la relation de d’informations, exprimer et préciser d’intervention pour une étude service, c’est la boîte noire, ces études clairement ses objectifs. A l’étape stratégique, composée de consultants, se construisent dans l’opacité totale : ultérieure, il est nécessaire que la n’est que la partie visible de l’iceberg. Un bureau est chargé de produire une prestation soit coproduite pour que Cependant, nous pouvons nous stratégie qui s’impose aux pouvoirs la relation de service produise le demander si le cabinet de conseil met publics et par conséquent à tout le maximum d’effets. Cet aspect peut en œuvre tous les moyens requis par paraître provocateur pour le ministère la prestation. S’investit-il pleinement qui paye cher ses études, et pourrait a ou alors se permet-il de faire quelques priori penser qu’il n’est pas tenu de ce «impasses» ou raccourcis ? Implique- fait à de tels engagements, d’où la non t-il les différents acteurs au sein du implication des cadres du ministère. ministère ? Enfin, le cabinet doit mobiliser en plus 62 TRANSVERSALES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS

pays, sans débat de fond, c’est tout de méthode et de connaissances qu’un chercheur ou un observateur simplement la parole d’évangile. diverses qui ont été mobilisées par le puisse reconstituer les chiffres Avant, ne serait-ce que pour la forme, prestataire pour faire émerger cette annoncés. Or, avec ses supports un processus de débat public et de solution7. PPT, nous ne sommes plus dans une validation démocratique était engagé Dans le cas de la majorité des études optique d’information mais plutôt de pour la mise en place des différents confiées à ces cabinets, le livrable, communication »8. plans, ce qui n’est plus le cas est sous forme de slides Power Point, maintenant…»5 sans réelle justification des chiffres. Selon Karl Popper, la rigueur De plus, ces stratégies sont Les critiques fusent à propos de cette scientifique d’un postulat se mesure tenues secrètes, et ne sont donc manière de procéder. Ce qui semble à son degré de «réfutabilité». Plus pas dévoilées et étudiées, jusqu’à être une question formelle paraît, un énoncé est transparent, justifié l’élaboration de la version finale. Les aux yeux d’observateurs externes, et argumenté, plus il peut être tenu différents acteurs qui doivent être comme une perversion du fond. Pour pour «scientifique». Par contraste, la mis à contribution dans l’élaboration certains, Power Point, ce support méthode démonstrative des cabinets d’une étude, afin d’assurer un incomplet, inadapté et peu collaboratif, de conseil, qui est opaque, elliptique, processus de coproduction, tels que avec sa simplification excessive, et présentée dans des PPT, peut les parlementaires, les cadres du peut favoriser les raisonnements manquer de rigueur scientifique, ministère, ou les bailleurs, ne voient trompeurs, faussement rationnels, justement parce qu’elle est à sens les stratégies qu’une fois validées. unique. Ces derniers usent alors de leurs connaissances pour obtenir des «LE CLIENT A Les présentations PPT sont en effet versions «confidentielles». A titre BESOIN UNI- une pratique très courante dans le d’exemple, suite à l’étude réalisée secteur du conseil. Mais à toutes ces par Mc kinsey pour le ministère de QUEMENT DE considérations méthodologiques, les l’habitat, les promoteurs immobiliers cabinets de conseil répondent par ont découvert l’étude dans la presse. MESSAGE SANS une attitude pragmatique. N’étant Ils n’ont pas eu de présentation ni des instituts de statistiques ni des officielle de celle-ci. RAISONNE- hauts lieux de la science, ils défendent Les cabinets de conseil, pour justifier d’abord la relation fournisseur-client. cette opacité, invoquent souvent le MENT SCIENTI- Pour eux, le PPT ne fait que répondre caractère de confidentialité qu’ils sont FIQUE ÉLABORÉ de manière synthétique et claire à tenus de respecter. McKinsey est tenu la demande du client qui, en tant à un devoir de confidentialité absolue DERRIÈRE» que décideur, a besoin uniquement concernant ses missions, quels que de message sans raisonnement soient les clients, privés ou publics». ou une suite de synthèses qui, par la scientifique élaboré derrière. «Nous ne pouvons donc pas répondre perte d’information, peut induire des à des questions concernant des raisonnements pernicieux. Et pour Autre critique adressée aux cabinets travaux ou études clients»6. cause, toutes les relations de contexte de conseil, le chiffrage des objectifs et de causalité sont perdues derrière est marqué par un excès d’optimisme, QUEL MODE DE PRODUCTION une mise en forme dont la principale voire d’irréalisme. Cette tendance DE LA CONSULTATION ? qualité est la simplicité, voire le s’explique par leur propension «simplisme». à «survendre» leur stratégie en Dans la relation de coproduction Commentaire : «Dans tous les anticipant des impacts mirifiques. requise pour la production d’un instituts statistiques du monde qui se Cela a commencé en 2001 avec le plan service, le client doit non seulement respectent, quand on fait une étude, Azur pour le tourisme. L’objectif fixé à s’approprier une réponse à sa la première des choses à faire est une l’époque était de construire question, mais aussi des éléments note méthodologique de manière à ce 100 000 lits à l’horizon 2010. En La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 63 TRANSVERSALES

2009, le ministre du tourisme a dû pour réussir à sortir des mesures, reconnaître que cet objectif était A titre d’exemple, la banque mais qu’il faut surtout réussir à les complètement irréalisable, et que le mondiale a réalisé un diagnostic sur mettre en œuvre. En effet, une étude nombre de lits atteindra à peine 35 la compétitivité du Maroc avant le stratégique ne pourra être évaluée 000. Le même scénario s’est produit lancement du plan Émergence II qui qu’une fois la solution mise en œuvre. avec le programme Moukawalati qui s’inscrit dans la continuité de son Pour ce faire, l’Etat mandate à nouveau ciblait la création de 30 000 nouvelles prédécesseur, calé de 2004 à 2009, un cabinet pour mettre en œuvre les entreprises, alors que seulement tout en ajustant le tir. Ce diagnostic a différentes mesures de ces stratégies 1000 ont été créées. Les nouvelles montré que le pays est à la traîne. Les novatrices. A titre d’exemple, Valyans stratégies s’inscrivent totalement dans responsables du cabinet McKinsey travaille aujourd’hui sur la mise en ce schéma, et la plupart des impacts considèrent alors, en réaction à œuvre du «pacte Emergence II» et estimés paraissent hors d’atteinte. cette étude, comme chose normale, sur la «Vision 2020» pour le secteur l’échec du plan Emergence 1. Ils touristique. QUELLES ÉVALUATIONS déclarent publiquement d’ailleurs : ET SUIVIS DES STRATÉGIES ? «c’est normal, car le management et la stratégie ne sont pas des sciences Si ces constats établis a posteriori exactes. Nous n’avons évidemment LA MISE EN sont irréfutables, il demeure délicat pas la boule de cristal dans un monde de procéder à des évaluations de intrinsèquement incertain»9. ŒUVRE DES l’ensemble des recommandations L’un des éléments de réponse des études stratégiques. En général, apportés à cette défaillance de suivi a OBJECTIFS SE les résultats se mesurent sur le long été le recours aux cabinets de conseil, terme. Il est donc difficile d’évaluer la non seulement pour la conception HEURTE AU majorité des plans qui sont toujours en mais aussi l’implémentation des MANQUE D’AD- cours de mise en œuvre. En revanche, stratégies. Les ministères font, en il serait possible de mettre en place substance, le constat d’une limite HÉSION DES par les ministères ou par les bailleurs interne en compétences et ressources de fond des mécanismes de contrôle humaines. Aussi, le mot d’ordre PERSONNELS et d’évaluation annuels des activités partagé avec les consultants est qu’il soutenues. ne suffit pas de se faire accompagner MINISTÉRIELS 64 TRANSVERSALESÉTUDES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS

ceux de la fonction publique (Agence du Développement agricole, Agence Marocaine pour l’Investissement). Et l’établissement de comités de coordination vise à surmonter les problèmes classiques de coordination. La création de ces structures ne permet pas pour autant de régler les problèmes d’appropriation et de capacités humaines, qui sont au cœur de la problématique de mise en œuvre.

CONCLUSION GÉNÉRALE

Nous l’avons compris, la majorité des grands projets du royaume, ont été commandés par des ministères et concoctés par des cabinets conseil. Le rôle fondamental de ces cabinets est de procéder aux rites garantissant la validité des décisions : maniement d’un grand volume de données, élaboration de benchmarking, etc.

Engager un cabinet de conseil est un moyen de légitimation des stratégies adoptées. L’énormité des QUELLE CO-PRODUCTION des stratégies comme des directives sommes engagées, le renom du DURANT LA PHASE DE MISE extérieures, et dans certains cas cabinet, l’excellence de la formation EN ŒUVRE ? illégitimes. Ils peuvent aussi ressentir des consultants, jeunes diplômés la présence des cabinets de conseil mais tous issus des meilleurs cursus, Dans cette phase de la relation service, comme une injustice, un consultant font de l’intervention du cabinet une la coproduction est est facturé entre 10000 et 30000 Dhs véritable démonstration de puissance, inévitable. Comme le souligne par jour, ce qui représente le salaire et impliquent par conséquent moins Karima Benoualide, Senior mensuel des cadres qui doivent mettre de coûts de transaction et remporte Manager - Valyans : «Durant la en œuvre la réforme au quotidien. plus facilement l’adhésion des parties mise en œuvre, on est clairement Ceci peut engendrer des problèmes prenantes. chez le client en mode participatif de rétention de l’information, surtout Pour une meilleure réussite de dans la mesure où on a derrière un dans le secteur public où l’information cette coopération entre cabinets de enjeu de transfert de compétences». est un pouvoir et où tout n’est pas conseil et pouvoirs publics, il est Cependant, plusieurs problèmes disponible de manière transparente. essentiel de pallier aux imperfections peuvent apparaître dans cette phase : Aussi, la mise en œuvre de ces informationnelles en amont, pendant la mise en œuvre de ces objectifs se strategies génère la création de et en aval, de la relation de service. Il heurte au manque d’adhésion des nouvelles structures de gouvernance : faut savoir utiliser le service de conseil personnels ministériels, qui n’ont agences et comité de pilotage. La «avec modération» : un client mieux pas été consultés, informés, et qui création d’une agence permet de informé et mieux formé plaidera pour perçoivent les plans d’action découlant recruter à des salaires plus élevés que un conseil plus efficace. 65 TRANSVERSALESÉTUDES CHEFS D’ENTREPRISES ET POUVOIRS PUBLICS 66 TRANSVERSALESÉTUDES LA CHRONIQUE DE L'OBSERVATEUR LE LIEN PRIVÉ / PUBLIC PAR L’EXEMPLE Par Mohamed Ali GHANNAM Président du Directoire de MedZ, CDG Développement

n pays émergent, en plein différentes infrastructures suivantes : développement, a besoin routes, autoroutes, ponts, transport, U d’un secteur privé productif assainissement, électricité, etc. fort, dynamique, compétitif et créateur de richesses et d’emplois. Les Toutefois, pour veiller aux équilibres pouvoirs publics se doivent donc de macroéconomiques de l’Etat, celui-ci mettre en œuvre un environnement devrait avoir recours au partenariat favorable à l’entreprise et à public-privé dans ce secteur. Plusieurs l’investissement : des financements schémas de ce type de partenariat compétitifs, de la main d’œuvre sont mis en œuvre à travers le monde. qualifiée, des incitations financières Au Maroc, des expériences de cette et fiscales et des infrastructures de sorte existent d’ores et déjà : qualité. production privée de l’électricité, gestion privée des services En effet, sur ce dernier point, il est municipaux, distribution de l’eau et de nécessaire d’offrir aux opérateurs l’électricité, du transport urbain, des économiques marocains les services déchets solides. Le partenariat peut d’infrastructures dont ils ont besoin être élargi à d’autres infrastructures pour devenir et demeurer compétitifs tels les autoroutes, la gestion des au niveau international. ponts, le transport ferroviaire, les Par ailleurs, l’investissement public zones d’activités, etc. Ce partenariat permet aux différents dans les grandes infrastructures au Au niveau des zones d’activités, un investisseurs dans les métiers cours de ces dix dernières années partenariat public-privé intéressant mondiaux du Maroc de disposer de a permis d’assurer une croissance a été mis en place entre le terrains ou de bâtiments prêts à de l’ordre de 5 à 6% et par-delà à gouvernement et MedZ, filiale de CDG, l’emploi à des prix compétitifs et avec créer un marché important et de à travers des montages financiers des services appropriés. l’activité pour les entreprises privées, adéquats : l’Etat apporte le terrain Ce partenariat privé-public permet notamment celles du BTP et de la brut à un prix raisonnable et des de concilier entre l’intérêt général construction. subventions pour les investissements traduit par des investissements et des «hors site», MedZ investit dans les emplois et la rentabilité financière du Aussi, pour soutenir ce rythme de infrastructures in site et apporte son projet. Pour l’Etat, l’effet de levier est croissance pour les prochaines expertise dans l’aménagement, la important pour accélérer la réalisation années, le Maroc devra continuer commercialisation et la gestion des des projets dans les différentes à investir massivement dans les zones d’activités. régions du Royaume. 117

CARTE BLANCHE

GRANDE INTERVIEW AVEC BENJAMIN STORA

L’HISTORIEN, UN CITOYEN ENGAGÉ Entretien avec Benjamin Stora Propos recueillis par Driss Ksikes & Laetitia Grotti, LES CAPITAUX D’ESCAMPETTE Catherine Alix-Mascart 118 CARTE BLANCHE

Grand entretien avec

Benjamin Stora « L’historien, un citoyen engagé »

Propos recueillis par Driss Ksikes, Ecrivain, Cesem-Hem Par Laetitia Grotti, journaliste Cesem-Hem

SPÉCIALISTE DE L’HISTOIRE DE L’ALGÉRIE ET DU MAROC, OÙ IL A VÉCU ET ENSEIGNÉ, RECONNU DANS LE MONDE UNIVERSITAIRE COMME L’UN DES RARES HISTORIENS, DOUBLÉ DE SOCIOLOGUE, À ABORDER L’HISTOIRE DU PRÉSENT ET À S’ENGAGER CONTRE LES RÉFLEXES IDENTITAIRES NÉOCOLONIAUX ET DISCRIMINATOI- RES. NOUS L’INTERPELLONS SUR L’IER, LES ANNÉES DE PLOMB, L’IMMIGRATION, L’IDENTITÉ NATIONALE ET SA MÉTHODE DE TRAVAIL.

travail, vous évoquez l’importance des manuels scolaires à partir des travaux «cadres politiques de la mémoire» qui des historiens. Travaux qui doivent se permettent à celle-ci de s’exprimer faire sur et à partir des archives de (Ex : plaque à la mémoire des victimes l’Etat et de la parole des acteurs par algériennes du 17/10/61). Au Maroc, croisement des sources. Je crois qu’un Tazmamart, lieu emblématique des des grands problèmes des pays du années de plomb, a été rasé sans autre Maghreb, c’est la question des travaux forme de débat. Qu’est-ce que cela historiques à partir de la parole, de la vous inspire ? mémoire des acteurs et de l’ouverture MEMOIRE(S) ET HISTOIRE(S) La préservation des lieux de mémoire des archives étatiques. Or, sur ces est essentielle pour la construction deux aspects il y a problème. Le peu Le Maroc comme l’Algérie ont d’une mémoire collective. Et les cadres d’intérêt manifesté par les chercheurs, connu une période sombre de leur politiques de la mémoire, ce sont les historiens au Maghreb, vis à vis histoire. Récemment le Maroc a d’abord les acteurs eux-mêmes, leurs des acteurs politiques, engendre tenté l’expérience d’une justice mémoires qu’il s’agit de transcrire, l’absence de «banque» de mémoire, transitionnelle via l’Instance Equité de restituer. C’est aussi l’inscription de construction, d’archives orales des et Réconciliation (IER). Dans votre de cette mémoire collective dans les grands acteurs du nationalisme qui CARTE BLANCHE La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 119

pourraient, quand ils sont vivants, être L’idéologie de que ceux qui étaient aux commandes ces mêmes années interviewés et lorsqu’ils sont décédés, la «table rase» est-il un problème, et pourquoi ? servir de référence. a permis une C’est le problème des continuités étatiques. Le règlement D’autre part, le problème de l’accès occultation des problèmes historiques ne s’opère réellement que par aux archives étatiques pèse sur la du passé à des changements d’équipes au niveau des Etats, de la possible écriture des grands épisodes des fins de politique, des conduites politiques. S’il y a des continuités politiques qui doivent, cinquante ans légitimation étatiques, les secrets perdurent et les franchissements de après les indépendances, commencer politique. Cela barrière sont très difficiles à avoir. Par ailleurs, la culture à être traités par les chercheurs. me parait politique dominante est en grande partie celle du secret On doit pouvoir commencer à écrire assez fort dans comme mode de gouvernance ou de fonctionnement. La l’histoire des pays indépendants, beaucoup question de la transparence démocratique au niveau des et pas simplement des pays sous de pays conduites politiques rejaillit sur les travaux historiques, domination coloniale. Des chercheurs, anciennement sur la façon de briser les occultations, de faire parler les historiens en particulier, doivent colonisés, pas les silences, de faire rebondir ou ressurgir du passé les pouvoir franchir cette limite des simplement au problèmes essentiels. La culture historique ne s’émancipe indépendances pour arriver aux Maghreb pas des conduites politiques au niveau de la tradition problèmes de mémoire et d’histoire politique. Et la tradition politique du secret pèse sur les de ces pays. Or, cette limite est très conduites des chercheurs, sur les conduites historiques. difficilement franchissable dans la mesure où certains historiens Pour Mohamed Harbi, avec qui vous avez coécrit La guerre pensent que commencer à écrire d’Algérie, «l’Indépendance a pris la forme d’un rejet total l’histoire des pays indépendants est du passé et partout, tout en proclamant l’abolition de faire œuvre de journalisme. Cette l’ancien temps, les élites perpétuaient en silence tout ce qui façon de raisonner est une façon de garantissait leur domination sur la société». La posture des délégitimer les travaux d’approche élites concernant leur histoire nationale en Algérie et au historique concernant une histoire plus Maroc est-elle comparable ? immédiate, plus contemporaine. Je pense qu’elle est comparable à ce niveau-là, c’est- à-dire «du passé faisons table rase et créons un monde Le fait qu’au Maroc une partie des nouveau», dans la mesure où c’était l’idéologie dominante personnes en charge du dossier des des années soixante (laquelle n’était pas propre au «années de plomb» sont les mêmes Maghreb) qui empruntait beaucoup au tiers-mondisme, au révolutionnarisme ambiant. Cette époque était celle où il fallait bâtir un monde nouveau en faisant abstraction du passé. Reste qu’en n’examinant pas les continuités au niveau des personnels, par exemple politiques, qui ont accédé au pouvoir après les indépendances mais qui étaient déjà des acteurs politiques de premier plan dans la période coloniale, l’idéologie de la «table rase» a permis cette occultation du passé à des fins de légitimation politique. Cela me parait assez fort dans beaucoup de pays anciennement colonisés, pas simplement au Maghreb mais aussi dans les pays d’Afrique noire. On a reconstruit en apparence des discours idéologiques du futur en occultant le passé pour se légitimer dans le présent. Je dis cela parce qu’il y a, par exemple en Afrique, des hommes d’Etat, des responsables politiques qui ont été des acteurs de l’armée française pendant la colonisation. On n’a pas examiné ces passerelles, ces continuités étatiques. Ceci dit, il y a quand même des différences entre l’Algérie et le Maroc, des différences essentielles. Pour l’Algérie, il s’agissait de faire «table rase» puisque la 120 CARTE BLANCHE

période coloniale était apparentée à une sorte de «nuit coloniale», LE RÔLE DE LA PRESSE EN une longue parenthèse historique ALGÉRIE ET AU MAROC A ÉTÉ commencée en 1830 jusqu’à l’indépendance de 1962. De sorte DÉCISIF DANS LES ENQUÊTES qu’il n’y a rien à examiner, à voir ou à tirer de cette séquence historique. D’HISTOIRE PUBLIÉES Le jaillissement de la nation algérienne s’opère ainsi à partir nommé. Peut-on parler d’un retour en été contrebalancés par une pluralité de la nuit coloniale. Cette idéologie arrière ? de voix, de récits qui n’étaient pas sera dominante pendant la guerre La perte de l’Etat du monopole de envisageables quelques années d’indépendance contre la France, l’histoire s’explique d’abord par auparavant. Il y a des formes de notamment dans la construction du l’irruption de nouvelles technologies de modification des conduites politiques nationalisme algérien. Alors que la l’information et de la communication. qui interfèrent sur les récits d’histoire. monarchie chérifienne, sur laquelle le Aujourd’hui, lorsqu’on va sur internet, Mais de là à dire que les états ont nationalisme marocain s’est appuyé, on a accès à des récits d’histoire perdu ce monopole, c’est aller un peu a su entretenir un état qui n’a pas été qui contredisent très radicalement vite en besogne. Ce que je dis, c’est démis puisque le Sultan du Maroc les récits de l’histoire enseignée et qu’ils le perdent progressivement. Il est resté aux commandes depuis cela ne concerne pas seulement y a des espaces qui se sont libérés les années de conquête coloniale le Maghreb. On trouve sur la toile parce qu’il y a eu des mouvements française jusqu’à l’indépendance de énormément de récits d’acteurs, citoyens, la parole des acteurs a 1956. On peut même estimer que la d’histoires qui viennent contrecarrer circulé avec, aussi, le travail des position, la posture de Mohamed V en des vérités officielles… Ce qui n’est maisons d’édition, des articles dans 1934 (fête du Trône), en 1944 (manifeste pas sans poser problème parce que la presse. Le rôle de la presse en de l’Istiqlal), en 1947 (discours de très souvent ces récits sont des Algérie et au Maroc a été décisif Tanger), en 1953 (la déposition) et en insultes, des injures, des calomnies… dans les enquêtes d’histoire publiées 1955 (le retour) ont été à chaque fois Ils sont très difficilement vérifiables dans les journaux d’opinion. Quand des séquences clés où le Sultan servait et peuvent passer pour des vérités je vivais au Maroc dans les années de figure de référence, de point d’appui révélées. Ceci étant, c’est une donne 98/2002, je me souviens très bien de au nationalisme. L’Algérie n’a pas eu entièrement nouvelle et c’est un défi la succession d’enquêtes historiques cette possibilité de s’adosser à une pour les historiens car cette irruption parues dans les hebdomadaires, figure en continuité puisque Messali des technologies nouvelles fait que par exemple sur la guerre du Rif et Hadj, figure principale du nationalisme l’histoire semble à portée de main l’utilisation d’armes chimiques par les algérien radical et indépendantiste, du plus grand nombre et que tout le puissances coloniales, sur les crises a été mis au secret dès le début de la monde peut se proclamer historien. dans le mouvement national après guerre d’Indépendance. Il a disparu C’est une illusion que ces technologies l’indépendance ou sur la disparition progressivement de la scène politique. procurent. Ne serait-ce que pour cette et l’assassinat de Ben Barka… Il En Algérie, il a fallu tout reconstruire : raison-là, on est déjà dans cette perte y avait toute une série d’enquêtes figures mythiques, récits historiques…. du monopole d’écriture de l’histoire. qui étaient passionnantes, avec des à partir d’un récit qui faisait table rase Un second aspect a trait aux formes interviews d’acteurs. Des révélations, du passé. étatiques qui changent, qui se sont aussi, qui étaient données comme modifiées. On est passé d’un système des matériaux pour que les historiens Vous dites qu’en Algérie l’Etat perd de parti unique très centralisé, très puissent aller plus loin. Des espaces progressivement le monopole de verrouillé en Algérie, à une forme de se sont ouverts et ont permis de ne l’écriture de l’histoire de la guerre multipartisme très contrôlé mais où plus avoir des récits uniques. Mais de d’indépendance. Concernant le Maroc, quand même des récits différents là à dire qu’un Etat a perdu totalement on pouvait voir dans l’IER la possibilité peuvent apparaître. Le Maroc aussi ce monopole, non. Tous les Etats ont d’une pluralité de récits. Aujourd’hui, a connu une transition importante toujours eu cette volonté de contrôler un historiographe officiel, par ailleurs dans les années 98-2000/01. De la par le haut les récits d’histoire et de ancien porte-parole du Palais, a été même manière, les récits uniques ont faire des historiens les artisans des CARTE BLANCHE La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 121

histoires officielles. C’est une tendance naturelle des Etats, on le voit en France aujourd’hui avec le débat sur ce qu’on appelle «l’identité nationale». Quant à la nomination d’un historiographe officiel, elle est surprenante dans la mesure où un peu partout la tendance générale est d’en finir avec les histoires officielles. Les procédés de «confiscation», de surveillance de l’histoire par les Etats sont désormais plus sophistiqués, notamment par les nominations d’experts, par les débats provoqués ou suscités par des medias qui eux- mêmes sont placés sous surveillance. Les nominations d’historiographes officiels appartiennent à des passés Les procédés de pour les historiens, être à la fois à l’écoute des acteurs, acter qui peuvent paraître très anciens. «confiscation», leurs paroles, leurs récits, parce que c’est fondamental, en D’ailleurs, l’historiographe officiel est de surveillance particulier dans la découverte de détails ; puis en même lié à la tradition monarchique, avec le de l’histoire temps savoir s’en dégager, car les acteurs ont un récit tout fait d’avoir les récits et les chroniques par les Etats prêt sur leurs propres vies. Ils fabriquent eux-aussi des récits du Royaume. Peut-être s’agit-il de sont désormais très idéologisés, une sorte d’auto-légitimation sur leurs préserver simplement cette tradition plus sophisti- propres actions. Il faut à la fois s’en servir, et s’en séparer. monarchique face aux assauts, qués, notam- Pour ce qui concerne en particulier la guerre d’Algérie, à la fois de la modernité et des ment par les l’historien se trouve dans une sorte de trop plein volontés d’avoir des récits différents, nominations de mémoires. Tous les acteurs se sentent vraiment s’approchant davantage d’une vérité d’experts, «propriétaires» de l’histoire, d’autant que tous les groupes critique. Mais il faut attendre, et voir par les débats sont en opposition. En particulier, deux grands groupes sont quel(s) type(s) de récit l’historiographe provoqués ou en conflit en France. Il y a ceux qui disent grosso modo que va proposer, si c’est une chronique suscités par «l’Algérie aurait dû rester française». Ce sont beaucoup de régulière des activités du Souverain, des medias soldats, d’officiers de l’armée et ce qu’on appelle les pieds- ou des chroniques d’histoire de la qui eux- noirs, les Européens d’Algérie. En face d’eux, il y a les enfants société marocaine, son évolution mêmes sont d’immigrés qui ont une vision anticolonialiste, celle d’une politique, économique, culturelle. placés sous «décolonisation positive», pour reprendre une expression à surveillance la mode. Cet affrontement mémoriel est très fort. Partant, Vous dites dans La gangrène et l’oubli les travaux historiques ont du mal à se frayer un chemin, à que «la mise en mémoire qui devait exister. D’une part parce que la tendance lourde des acteurs permettre l’apaisement par une c’est de se croire les dépositaires exclusifs de l’histoire, mais évaluation rationnelle de la guerre d’autre part cela devient encore plus compliqué quand les d’Algérie avait été empêchée par les acteurs eux-mêmes entrent en compétition, qu’ils sont en acteurs belligérants». La disparition guerre. Le chercheur alors se trouve confronté à des vérités des principaux acteurs est-elle «dispersées». suffisante pour rendre possible cette mise en mémoire ? Mais l’historien est-il là pour trancher ? Une sorte de «tyrannie de la Un historien n’est pas simplement quelqu’un qui se contente mémoire» est exercée par les acteurs d’établir des faits et de les restituer. L’historien est aussi qui se veulent les propriétaires de celui qui est capable non seulement de restituer des faits, de l’histoire. Ils disent souvent : «nous s’approcher de la vérité, mais c’est aussi de donner un sens, avons vécu cette histoire, l’avons faite une cohérence à l’histoire. Le travail historique ne consiste donc nous sommes les seuls à pouvoir pas simplement à prendre, «capturer» la parole des acteurs, la raconter». C’est un vieux problème et faire une retranscription fidèle de chacun des propos. 122 CARTE BLANCHE

L’historien est dans la confrontation qu’il y ait, ou pas, des excuses qui guerre d’Algérie était de l’ordre du des récits, dans la distance critique soient adressées. Cela dépend du privé, de l’intime, du familial. Ces faits des sources. Le croisement, la degré, du niveau de positionnement étaient très peu enseignés dans les confrontation et la distance pour des acteurs politiques dans le champ manuels scolaires jusqu’aux années donner un sens à l’histoire, peut actuel par rapport à la monarchie, au 2000. Pendant près de quarante provoquer des querelles d’historiens. souverain actuel, à la crise politique… ans, tous ces récits d’histoire ont été Par exemple, la plus célèbre La politique des excuses appartient transmis de génération en génération, récemment est celle des historiens aux outils politiques qui peuvent être de manière privée. Dès lors, ils allemands sur la comparaison, diplomatiques, c’est le cas notamment peuvent être l’objet de reconstructions, périlleuse, entre le nazisme et le quand l’Algérie demande des excuses de fantasmes, de bricolages, puisqu’ils stalinisme. Comme existent aussi des à la France, ou la Chine au Japon. n’appartiennent pas au registre de la divergences entre historiens français construction d’une histoire sérieuse, sur la question de la colonisation. c’est-à-dire d’une histoire par Certains historiens expliquent que LES PARTIS croisement des choses, établissement dans le fond la colonisation a été MAROCAINS rigoureux des faits, mise en sens de positive et d’autres, dont je fais partie, l’histoire, de contextes…. estiment que la colonisation s’est ONT-ILS La France commence maintenant à développée au bénéfice d’une minorité «redresser» ces questions puisqu’à et non au bénéfice de la société, FORMULÉ DES partir des années 2000 des colloques donc elle ne peut pas être estimée très importants se sont tenus autour «positive». Il y a par conséquent DEMANDES des questions suivantes : «comment des querelles, des oppositions entre D’EXCUSES ? enseigner l’histoire du Maghreb ?», historiens, et c’est normal. Les «comment s’enseigne une histoire historiens sont aussi des citoyens de la guerre d’Algérie ?»… Mais il y a engagés dans la cité. C’est peut être aussi une arme de encore beaucoup de choses à faire, politique intérieure. La gestion du notamment franchir la distance qui Par rapport à l’histoire franco- passé en termes d’excuses est une existe entre les travaux des historiens, algérienne, vous évoquez l’importance attitude politique. Est-ce que des l’organisation de colloques, et la de l’implication des politiques et partis marocains ont formulé dans leur transmission de ce savoir académique notamment la question des excuses. programme politique des demandes par la sphère à la fois universitaire Pour revenir au cas marocain, pensez- d’excuses ? Pas à ma connaissance. et scolaire. Reste que les choses vous que le roi Mohamed VI peut ont évolué ces dix dernières années, s’excuser des crimes commis par/sous ENSEIGNEMENT notamment sous l’impulsion des son père ? ET ROLE DE L’HISTOIRE travaux de certains historiens. C’est ce L’énoncé des excuses relève du Le vide laissé par l’Education Nationale qui peut expliquer aussi le fait qu’il y a politique, ce n’est pas simplement française, notamment sur des épisodes apparition d’une nouvelle mémoire de une question d’histoire. C’est une aussi sombres de son histoire que sont la colonisation et de l’esclavage, ce qui question de jugement politique. Par l’esclavage, la colonisation, la guerre est peut être cause des raidissements exemple, quand la Chine réclame des d’Algérie… favorise-t-il l’émergence en France sur ce qu’on a appelé les excuses au Japon qui a occupé son de «mémoires bricolées», parfois questions de «l’identité nationale». territoire en Mandchourie et pratiqué fantasmées ? des massacres à grande échelle, Dans la mesure où la prise en compte On observe aujourd’hui en France c’est une politique, une demande des travaux d’historiens pour des un chef de l’Etat qui assimile tout d’Etat. Les historiens ont établi les récits historiques inscrits dans les retour sur le passé colonial à de faits et puis à un moment donné des manuels scolaires est faible, il est l’auto flagellation. Il y a même une décisions politiques sont prises, ou évident que c’est la mémoire, par proposition de réduction des heures pas. Pour ce qui s’est passé sous exemple familiale, qui s’impose. consacrées à l’histoire en classe de Hassan II, il est de la responsabilité Pendant très longtemps en France, terminale. Cela ne vous semble-t-il des partis politiques marocains de tout ce qui relevait de l’histoire de la pas paradoxal et/ou dangereux au s’adresser ou pas au souverain pour colonisation, de l’esclavage et de la moment où est lancé un grand débat CARTE BLANCHE La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 123

sur «l’identité nationale» ? Personnellement, je me suis LES NOMINATIONS D’HISTORIO- beaucoup engagé contre la réduction GRAPHES OFFICIELS APPARTIEN- des heures d’histoire en terminale, parce qu’on ne peut pas d’un côté NENT À UN PASSÉ ANCIEN vouloir communiquer une mémoire citoyenne et d’autre part amputer de l’identité nationale en France, l’enseignement de l’histoire. Cela où l’on a proposé un débat par en me parait donc effectivement haut. L’Etat dit : «Voilà, nous allons contradictoire et paradoxal. Mais il discuter de l’histoire française dans y a une autre discussion qui est le les préfectures». Les préfectures, discours sur «l’anti-repentance». Il c’est l’endroit où on délivre les papiers s’agit d’un discours qui a été fabriqué d’identité. D’un point de vue politique, depuis quelques années en France, c’est indicatif du sens à donner à ce car personne ne réclame vraiment de débat et cela renvoie à des choses la repentance. On évoquait auparavant bien douloureuses. D’autre part, la politique des excuses, ce qui n’est c’est une proposition qui émane pas pareil. La repentance appartient d’en haut, sans concertation avec au vocabulaire religieux, catholique les historiens, qui sont les premiers en particulier, donc il n’appartient pas concernés, mais sans concertation au vocabulaire politique des anciens également avec les acteurs de la pays colonisés. En revanche, ce qui société civile. Fondamentalement, a été fabriqué, c’est le discours de c’est un débat voulu par l’Etat car il l’anti-repentance, un discours tout n’y a pas eu de manifestations très prêt, disant qu’«il n’y a pas à rougir claires des acteurs, des historiens, des de son passé», que «ce passé est mobilisations citoyennes. globalement positif. On le prend dans son entier pour l’accepter». C’est une toute indépendance. Mais d’autre part, Pour Mohamed Harbi, lorsqu’on parle posture que les historiens comme moi le jugement sujet du caractère positif d’histoire, il faut savoir où est-ce qu’on ne peuvent pas accepter. On ne peut de la colonisation était unanimiste. Il y en fait l’apprentissage et sur quelles pas prendre le passé dans sa globalité a eu une mobilisation très importante bases on forme les professeurs. Qu’en sous un angle exclusivement positif. des historiens en France qui a fait que est-il aujourd’hui de cet apprentissage Le passé, pour le travail historique, l’article 4 a été abrogé. Encore une de l’histoire au Maroc et en Algérie ? doit être aussi critiqué. On doit prendre fois, il faut bien voir qu’il y a toujours L’un des problèmes auquel nous de la distance par rapport à ce passé des tentations très fortes des Etats sommes confrontés aujourd’hui, et c’est précisément le travail des à vouloir contrôler les récits. Tous c’est l’effondrement de l’intérêt pour historiens de révéler des séquences les Etats se légitiment par l’histoire, l’histoire de la part des étudiants. Il troubles, critiquer des attitudes ou par les récits nationaux. C’est une faut aussi réfléchir à cet aspect-là. Il des comportements, faire sortir de tendance naturelle des Etats. Ils y a de moins en moins de chercheurs l’ombre des personnages qui avaient ont besoin de mettre l’histoire sous sur les pays du Maghreb ; on a moins disparu… On ne peut pas selon moi surveillance. L’historien français Marc de chercheurs, moins d’intérêt pour accepter un discours au prétexte de Ferro explique très bien dans L’histoire l’histoire. On a l’impression que ça ne l’anti-repentance, visant à dire qu’il sous surveillance cette façon qu’ont sert à rien, on est dans l’immédiateté, ne s’est rien passé. C’est un discours les Etats, même «démocratiques» dans la recherche d’un travail, d’un impossible à tenir pour un historien. et «modernes», à vouloir sans cesse salaire… Les études historiques Le 3 février 2005, il y a eu une loi, un proposer des récits unanimistes, apparaissent comme archaïques. jugement politique qui a été porté par autoritaires, centralisés. Et à chaque En France, par exemple, il y a un l’Etat français sur le fait qu’il y avait fois, on assiste à des batailles, des effondrement énorme du nombre une colonisation positive. D’une part, levées de boucliers d’intellectuels, d’étudiants en histoire dans tous les historiens ne peuvent pas accepter d’historiens qui veulent que l’histoire les départements d’histoire et de que l’Etat forme son histoire. C’est aux reste ouverte et non fermée sur géographie. En Algérie, les revues historiens de faire ce type de travail en une seule version. C’est la question d’histoire sont peu nombreuses, 124 CARTE BLANCHE

produisent très peu de récits, de de construction des imaginaires de textes… c’est pareil pour le Maroc. Vous êtes parmi les premiers guerre, le cinéma étant ici considéré, L’intérêt pour l’histoire s’est amoindri historiens à avoir travaillé sur le passé par la puissance des images et la alors que se développe un besoin par le truchement des représentations perception d’un temps universel d’histoires plurielles porté par les cinématographiques et documentaires. continu, comme l’instrument privilégié jeunes générations. Il faut réfléchir à Entre les Cahiers du cinéma que vous d’une société de l’image ; enfin, ce phénomène. évoquez par rapport à leur rôle dans comment analyser la façon dont les Autre aspect, on n’a pas d’impulsion au les «déconstructions politiques et sociétés françaises et américaines niveau des Etats sur un enseignement culturelles» au moment de la guerre ont perçu, au moment de leur de l’histoire qui permette par exemple d’Algérie, et l’effacement progressif déroulement, les guerres en question, des travaux historiques par ouverture des limites entre le fictif et le réel, étant entendu qu’elles obéissent à des des archives d’Etat. C’est un cercle auquel on assiste aujourd’hui, n’êtes- processus politiques de détournement infernal. Le manque d’intérêt de vous pas amené à repenser l’apport et d’instrumentalisation importants. l’histoire n’est pas contrecarré par des de l’image dans l’appréhension des Paradoxalement, une perception décisions politiques permettant un réalités passées ? empêchée des conflits a nourri une développement de l’enseignement de l’histoire. Les deux vont ensemble. On a effectivement des chercheurs, des IL FAUT ÉCRIRE L’HISTOIRE DES historiens qui apparaissent isolés, en marge sur la scène intellectuelle et INDÉPENDANCES, ET PAS SIM- auxquels on se réfère très peu pour des niveaux d’expertise historique, PLEMENT LA PHASE COLONIALE politique ou autres. Pendant très longtemps, les images vision fantasmée qui s’épanouit après METHODE HISTORIQUE ont été considérées comme des coup dans les films et les récits sources de renfort pour les historiens, romanesques. Pour vous, l’histoire s’écrit au des sources de complément par L’autre question est celle-ci : sur quels présent, en liaison avec les enjeux rapport à l’écriture ou aux archives types d’images travailler ? Est-ce sur politiques et les débats qui traversent écrites de l’Etat, considérées comme des images documentaires, qui sont la société civile ; cela signifie-t-il les plus fiables, les plus sûres. Cette censées représenter le réel ? Mais les qu’on applique des grilles de lecture perception du travail historique a documentaires sont aussi des mises actuelle, déconnectées des contextes profondément changé depuis ces vingt en scène d’histoire, il y a un montage historiques ? Auquel cas, peut-on dernières années. On sait que les qui est fait sur les scènes du réel encore parler d’histoire ? images sont une source essentielle mais on peut estimer qu’en termes L’histoire s’est toujours écrite de cette au même titre que les archives écrites d’images, ils correspondent à des manière-là et tous les historiens ont ou les archives sonores, orales. On récits classiques et traditionnels. souvent été des gens très engagés, vit dans un monde d’images, qui Par ailleurs, je suis partisan de qui se battaient politiquement, deviennent une source absolument travailler sur la fiction parce que les transgressaient des normes. Les décisive. Ce gisement de sources grands auteurs sont ceux qui se sont récits historiques s’ajustent au fur s’est imposé à moi. Sur ce travail à le plus approchés de la vérité du réel. et à mesure des combats politiques, partir des images, j’ai établi dans mon Tolstoï, dans Guerre et paix, nous a des nécessités démocratiques dans ouvrage, Imaginaires de guerre, une raconté l’épopée extraordinaire de les sociétés. Si les sociétés estiment comparaison à partir des films entre Napoléon et l’incendie de Moscou. qu’il faut plus de liberté ou plus de guerre française d’Algérie et guerre Stendhal nous a dépeint dans La nationalisme ou plus de patriotisme, américaine du Vietnam ; comment chartreuse de Parme ce tableau de on voit à chaque fois se produire un les images de guerres «démaquillent la France du 19ème siècle qui est ajustement des récits historiques. Il n’y les sociétés», en révélant les phénoménal. Plus près de nous, il y a pas de norme académique préétablie pulsions enfouies, les productions a certains auteurs au Maghreb qui sur les récits historiques. La seule, médiatiques exprimant en quelque ont décrit le Maroc, la misère, la c’est de s’approcher le plus possible sorte sur l’instant le refoulé collectif ; précarité sociale ou bien la violence, de la vérité. comment comprendre les modalités Le pain nu par exemple. Je pense au 124 CARTE BLANCHE CARTE BLANCHE La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 125

grand roman de Kateb Yacine, Nedjma il y a des survivances, il y a des ou Rachid Mimouni qui racontait à traces qui s’expriment à travers des travers son roman Tombeza la guerre comportements comme le racisme, d’indépendance algérienne. Je prends l’infériorisation, la sous-humanité de ces exemples parce qu’ils m’ont l’autre, le refus de l’altérité. énormément servi à comprendre à la fois les ambiances, les climats, les Les difficultés actuelles des élites angoisses, les peurs qui existent dans françaises à traiter des questions une société, et ce beaucoup mieux que d’immigration ne montrent-elles pas ne peuvent le donner des archives. colonial détermine-t-il encore le qu’elles sont, au mieux, héritières de Plus une fiction nous restitue un réel, rapport de la société française à l’idée d’un colonialisme de progrès ? plus elle peut servir aux historiens. l’immigration ? Il y a le problème du couple infernal Bien sûr, des fictions qui se veulent La frontière coloniale est présente «République et colonisation» puisque historiques nient le réel, et là il faut encore dans beaucoup d’imaginaires la grande expansion coloniale faire attention. Ces fictions sont de la société française dans la mesure française coïncide avec le retour des plus compliquées à utiliser pour les où le passé colonial a été enseveli ; il républicains au pouvoir (encore que, historiens. Mais les grandes fictions n’a pas été assumé pendant de très pour l’Algérie par exemple, il y a eu sont celles qui peuvent raconter le nombreuses années. Cette question des monarchistes en France qui ont réel. Dans Carnets de guerre : de a ressurgi récemment, elle est provoqué la conquête de l’Algérie, la Moscou à Berlin, 1941-1945 Vassili portée depuis une vingtaine d’années monarchie de juillet en 1830). Mais Grossman relate la guerre soviétique par les enfants et petits enfants de l’apogée, c’est effectivement ce couple contre l’Allemagne et il dit au lecteur l’immigration maghrébine en France République et colonialisme dans la : «je vais raconter ma guerre». A ce qui ont eu le sentiment de vivre au mesure où la République a fourni moment-là, on sait qu’il va énoncer présent ce qu’avaient vécu leurs l’arsenal théorique de légitimation un récit historique sous une forme parents ou leurs grands-parents dans de l’entreprise coloniale à travers les romancée qui est extraordinaire, le passé, c’est-à-dire la question idéaux de mission civilisatrice, de comme celle de Tolstoï. Ce sont des du racisme colonial. Il y a eu une progrès, de Lumières, de rationalité… récits de fiction sur lesquels on peut volonté d’établir des continuités, Cette imprégnation d’une idéologie de s’appuyer pour restituer un climat, une des passerelles mémorielles, mission civilisatrice par l’intermédiaire vérité historique. Les grands romans donc des exigences politiques de la colonisation a profondément universels - je pense à Mouloud ont été portées par ces nouvelles pénétré les élites françaises pendant Feraoun avec Le fils du pauvre ou à générations de Français issus des près d’un siècle. Le fait est que le Mouloud Mameri, aux récits de Driss immigrations maghrébines. C’est à nationalisme politique français, Chraïbi sur les conditions des ouvriers partir de là qu’on s’est aperçu qu’il pendant toute une grande partie du immigrés en France dans les années y avait deux possibilités de regarder 20ème siècle, s’est constitué sur 50 - sont en fait des plongées dans ces revendications nouvelles. Soit la base de la préservation de cet des univers réels mais avec un talent on expliquait qu’il s’agissait de empire - ce qui faisait l’importance d’écriture. Les historiens peuvent tirer revendications culturelles liées à du nationalisme français. Les beaucoup de bénéfices de ces romans. l’islam. Soit on pouvait expliquer, décolonisations ont porté un coup à Il y a une vérité dans la littérature, ce qui est mon cas, que c’étaient cette conception-là parce que d’autres dans la fiction, qui sert au travail de des revendications liées à l’histoire nationalismes se sont opposés au l’histoire. Aujourd’hui, les historiens ne coloniale et que la fracture était plus nationalisme français. Il est donc peuvent plus se passer du roman et de dans l’histoire de la colonisation que obligé de se repenser avec la perte la fiction, ce sont des matériaux très dans la distance infranchissable entre de l’Empire et en étant découplé du précieux. l’islam et la république française. Ma colonialisme. Cette tache s’accomplit position est plutôt de faire ressurgir sous nos yeux par les tentatives de IMMIGRATION ET ISLAM cette frontière coloniale enfouie. Ce redéfinition de ce qu’est une nation, qui ne veut pas dire que la société une république en France. Ce même Vous démontrez comment la 5ème française aujourd’hui est une société travail est à l’œuvre à propos de république en France s’est construite coloniale, ce serait absurde de dire l’entreprise coloniale, avec le problème sur les décombres de la guerre ça. Dans une société coloniale, les du découplage entre République et d’Algérie. En quoi le déni du fait gens sont privés de droits… Mais colonisation. 126 LES CAPITAUX D’ESCAMPETTE Catherine Alix-Mascart Ecrivain, Cesem-Hem

n France, la régularisation Suisse proviennent des seuls pots-de- E de la situation des POURQUOI vin payés à des dirigeants corrompus, évadés fiscaux dénoncés par un ex- et ce principalement en Afrique. employé de la banque HSBC devrait LA «POLICE» Difficile de chiffrer précisément générer 700 millions d’euros, soit les détournements, souvent par 30% de l’amélioration prévue pour FISCALE DES les mêmes, de fonds initialement les rentrées fiscales de 2010. En ETATS destinés au développement de leurs Allemagne, la Chancelière Angela économies... nationales, mais ils Merkel a donné son accord pour N’AURAIT- représentent environ 40 % de l’APD acheter à un informateur contre (Aide publique au développement). 2,5 millions d’euros, des données ELLE PAS Entre 1991 et 2004, une moyenne bancaires volées à une banque annuelle de 13 milliards de dollars suisse et mettant en cause 1500 de RECOURS À a «fui» de ce même continent, soit ses compatriotes. Elle espère ainsi DES INDICS ? 7,6% du PIB. L’hémorragie cumulée récupérer 100 millions d’euros de des capitaux depuis l’indépendance recettes fiscales supplémentaires, représente près du double de la dette soit 40 fois la mise de fonds... un vrai elle pas recours ? africaine. Voilà qui, selon Jamvier jackpot ! Et il faut reconnaître qu’avec une Nkuruniziza, économiste au CNUCED, La chasse aux fraudeurs est donc évasion fiscale annuelle mondiale fait objectivement de l’Afrique «un ouverte. A ceux qui clament, comme estimée entre 2200 et 2400 milliards créancier net vis-à-vis du reste du Volker Kauder, le chef du groupe de dollars en 2006 (dont 20% en monde». parlementaire CDU, qu’un vol est un provenance des PVD), les voleurs de A l’étude de ces chiffres, on se vol et que l’Etat ne devrait pas faire listings ont de beaux jours devant demande pourquoi courir après cause commune avec les criminels, eux et devraient facilement trouver les IDE, si versatiles par essence ? d’autres répondent que c’est le des acquéreurs, du moins au sein Pourquoi espérer en vain que les principe de l’arroseur arrosé, que le des gouvernements légitimement émigrés continuent à transférer criminel, c’est avant tout le fraudeur, désireux de s’attaquer à toute forme leurs économies jusqu’à la vingtième pas le chasseur de primes, et que ce de délinquance financière. Or, ce souci génération ? Pourquoi accumuler genre de discussion morale revient de lutter contre l’hémorragie des des dettes colossales auprès des à remettre en cause des pratiques richesses nationales vers les paradis organismes internationaux ? Pourquoi policières vieilles comme le monde. fiscaux ne motive pas tout le monde, attendre de l’extérieur une aide qui Les indics n’ont pas bonne réputation et pour cause : la Banque mondiale ne peut être désintéressée, alors qu’il mais aucune police n’envisage considère que 20 à 40 milliards de suffirait de lutter efficacement contre cependant d’y renoncer. Pourquoi la dollars des fonds placés sur des fraude et évasion fiscale... Même s’il «police» fiscale des Etats n’y aurait- comptes au Royaume-Uni ou en faut en passer par quelques listings... 67

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QUI GÈRE LACULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ )

En quête d’économie de la culture Amel Abou El Azm & Myriem Khrouz Au royaume des entrepreneurs de la culture Caroline Minialai avec Kenza Sefrioui, et Taoufik Benkaraache Le pragmatisme facilite la créativité Entretien avec Neila Tazi Le livre en mal de formalisation Kenza Sefrioui Le boom des entreprises de la musique Amel Abou El Azm & Myriem Khrouz La peinture : de l’ère des passionnés à celle des businessmen Laetitia Grotti Du ciné-club au multiplex Mini révolution dans l’audiovisuel Aïda Semlali La culture oui, mais où ? Kenza Sefrioui 68 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) CADRAGE EN QUÊTE D’ÉCONOMIE DE LA CULTURE

OÙ EN ÉTIONS-NOUS ? OÙ EN SOMMES-NOUS ? AFIN DE COMPRENDRE SI L’ÉVÉNEMENTIEL CULTUREL TIENT LIEU DE CACHE-MISÈRE, CET ARTICLE RETRACE L’ÉVOLUTION HISTORIQUE DU SECTEUR, AINSI QUE SES RÉCENTES TRANSFORMATIONS. UNE QUESTION NODALE MÉRITE ALORS D’ÊTRE POSÉE : L’ÉCONOMIE DE LA CULTURE DICTÉE PAR LE HAUT EST-ELLE VIABLE ?

Enquête de Amel Abou el aazm, spécialiste du domaine culturel au Maroc & Myriem Khrouz, journaliste

es dernières éditions du Festival International L du Film de Marrakech, du Festival , de celui des musiques sacrées de Fès, des musiques gnaoua d’Essaouira, des salons du livre de et de Tanger sont autant d’événements qui semblent indiquer l’existence d’une économie de la culture qui se structure et se professionnalise au Maroc (cf. : schéma «La galaxie de la culture»). Ces événements phares laissent à penser qu’un système économique culturel viable est en place. Or, afin que tous ces acteurs puissent réellement en vivre, celui-ci supposerait que des espaces culturels fonctionnent de manière régulière (salles de cinéma et de spectacles, bibliothèques, librairies…), que la production culturelle soit en adéquation avec la demande du consommateur, que des politiques publiques culturelles soient mises en place… bref qu’une économie de la LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 69

culture existe, tout simplement. Une ce marché culturel, dont l’accès lui conception de la culture reste étroite économie de la culture qui, réunissant est rendu ponctuellement accessible et limitée, bornée au divertissement la dynamique et le fonctionnement (quand on le veut bien), et par rapport et au folklore alors que sur le terrain des secteurs d’activités liés à la à sa consommation, pas toujours la vie culturelle est foisonnante et la EN QUÊTE D’ÉCONOMIE culture, permettrait aux biens encouragée. création abondante. De nombreuses culturels de circuler dans un marché, associations qui tiennent un trouvant l’équilibre entre l’offre et LES PRÉMICES D’UNE positionnement clair par rapport aux la demande, entre la créativité et ÉCONOMIE NATIONALE questions culturelles et identitaires, les impératifs liés à la gestion, la DE LA CULTURE sont créées et tentent de dépasser production, la distribution et aux le clivage imposé passé/modernité, DE LA CULTURE exigences du marché. Cette difficile En 1956, la priorité n’est pas à la arabe/occident. Au sein du secrétariat équation est-elle résolue au Maroc ? culture, mais à la construction d’Etat à la Jeunesse et aux Sports Existe-t-il une économie de la culture politique et économique du jeune (lui-même relié au ministère de nationale ? Depuis quand et comment Etat-Nation indépendant, et à celle l’Education nationale), les petites a-t-elle évolué ? Comment le produit d’un projet de société. Le référent «sections d’activités culturelles» culturel est-il géré ? Comment la national, clairement défini et à sont regroupées dans un bureau dimension économique et culturelle respecter, sera arabo-musulman, d’éducation populaire et perpétuent s’équilibrent-elles ? Quels sont les dénigrant les autres identités la folklorisation initiée sous le acteurs et les métiers de l’économie de la culture d’hier et d’aujourd’hui au Maroc ? Quelles sont l’offre et la demande culturelles au Maroc ? D’où devrait venir l’impulsion et d’où EST LE PROTECTORAT vient-elle aujourd’hui ? Quel rôle du C’ public et du privé ? FRANÇAIS QUI A De l’indépendance à aujourd’hui, INSTITUTIONNALISÉ l’agencement de l’économie de la culture demeure lié au projet LES ARTS DANS LE PAYS de société qui se construit, à la conception de la culture par l’Etat, et au rapport de la société à ses culturelles du Maroc, excluant de protectorat. A la mort de Mohammed artistes. Le modèle économique fait une partie de la population. Pour V, alors que le Maroc connaît des culturel d’un pays étant rattaché à enraciner son pouvoir et établir une turbulences politiques et que des voix son contexte politique, des éléments unité étatique, la monarchie s’appuie contestataires s’élèvent, le Bureau forts et des dates clés (1956, 1974, sur les composantes «langue arabe + d’éducation Populaire est confié à 1998, 2003, 2006, 2008) ont marqué Islam», tente de se forger une identité Housni Benslimane. sa structuration au Maroc. Au fil des homogène et plonge dans l’oubli les années, les acteurs privés (artistes, cultures populaires. Dans un élan En 1963, la section culturelle est entrepreneurs, associatifs) ont plus nationaliste, ce projet identitaire qui rattachée à un autre ministère, ou moins pu investir l’économie de cherche à effacer la politique coloniale celui du tourisme et de l’artisanat. la culture, des politiques publiques « acculturante, est imposé dans les Directement reliés au secteur culturelles » (ou des non-politiques) différentes institutions publiques. Le touristique, l’artisanat et les ont été esquissées, et des impulsions domaine culturel, craint par le pouvoir, arts populaires sont destinés à données. Malgré de nombreux n’échappe pas au cantonnement. accompagner son développement et blocages, un embryon d’économie A l’indépendance, l’Etat marocain deviennent «un produit touristique nationale de la culture s’est mis en hérite de la structure établie par pour clientèle étrangère»1. En place. La mondialisation, les schémas le colonisateur et la maintient. En 1968, le mot culture apparaît enfin qu’elle véhicule et ses acteurs ont effet, c’est le protectorat français dans l’intitulé d’un ministère : influé sur son évolution. Le public, qui a marqué le commencement Ministère d’Etat chargé des Affaires quant à lui, a, selon les périodes, de l’institutionnalisation des arts culturelles et de l’enseignement redéfini ses attentes par rapport à dans le pays. Sous Mohammed V, la originel. La conception - et l’action 70 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) En quête d’économie de la culture

création (par peur d’avoir à soutenir C8>8C8O@<;<CËy:FEFD@<;<C8:LCKLI< des artistes de gauche), on préfère la préservation et la sauvegarde. La succession de ministres de

:fddle`ZXk`fe la culture issus de l’Istiqlal et des vieilles familles du Makhzen, :i„Xk`fe ;`jki`Ylk`fe (Bahnini, ministre de 1974 à 1981 ; Belbachir, ministre de 1981 à 1985) accentue l’affirmation du caractère arabo-musulman donné à la culture :X[i\ali`[`hl\ =fidXk`fe marocaine, et l’action du ministère se c„^Xc Gif[l`k limite pendant longtemps au soutien Zlckli\c du livre (achat d’ouvrages aux auteurs et éditeurs, et dotations sous formes =`eXeZ\d\ek# de prix littéraires). Ce n’est qu’à la fin Gif[lZk`fe D„Z„eXk# des années 80 qu’il commence à être Jgfejfi`e^ question dans les textes officiels de «politique culturelle, de promotion @e]iXjkilZkli\j :fejfddXk`fe Zlckli\cc\j et de soutien à la création artistique et au théâtre», et des fonds publics sont débloqués par le ministère de la culture pour encourager la production à la fin des années 90.

LA CULTURE SOUFFRE D’UN DES EXCEPTIONS QUI MANQUE D’INFRASTRUCTURES, CONFIRMENT LA RÈGLE DE MOYENS, D’OUVERTURE Pendant 40 ans, l’action des acteurs publics en matière de culture est ET DE FORMATION donc très limitée. Les créateurs et les professionnels réagissent comme du gouvernement en la matière - de la culture est créé en 1974, la ils peuvent, avec les moyens à leur n’est plus limitée au domaine des période des années de plomb est déjà disposition et colmatent les brèches. beaux-arts ; elle s’ouvre au culturel bien entamée et la contestation de Dans ce contexte de non-politique mais reste néanmoins adossée la gauche à son comble. Le domaine culturelle de l’Etat, les structures à l’éducation. Parallèlement, les culturel subit les effets de la lutte parviennent à mettre en place productions cinématographique contre la gauche révolutionnaire. une petite économie de la culture et théâtrale reflètent une voix La contestation chantée par les Jil encadrant les quelques productions contestataire, une culture militante Jilala & Nass El Ghiwane, et écrite culturelles cinématographiques, de gauche menée par des artistes- dans les revues Souffles et Lamalif, théâtrales, musicales, littéraires, etc. étudiants qui tentent de se forger une marquent la difficulté de l’Etat à gérer L’activité professionnelle s’organise identité nationale. Jusqu’au début la création et l’expression culturelle. sommairement et en dehors de tout des années 70, les lois permettent un cadre. Les acteurs de cette économie tel foisonnement. Mais cette relative Dans ce contexte de répression, les de la culture, petites structures ou tolérance laisse la place à un tournant premières actions entreprises par le individus (réalisateurs, producteurs, sécuritaire (répression des émeutes ministère de la culture visent pendant distributeurs, éditeurs) tentent tant populaires et enlèvement de Mehdi longtemps à conserver le patrimoine bien que mal d’exister. Par exemple, Ben Barka en 1965, tentatives de culturel national, à défendre la pendant les années 60 et 70, il arrivait coups d’Etat en 1971 et 1972). Tant et langue arabe et à parfaire l’unité qu’un seul film marocain soit produit si bien qu’au moment où le ministère territoriale. On évite ce qui touche à la par an. Concernant le livre, il a fallu LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 71

attendre les 80’s pour voir naître se réalise à une échelle très petite. les premières maisons d’éditions, Il n’y a ni place ni moyens pour la tandis que la production théâtrale création. Ces fondations permettent était réduite à 3 ou 4 pièces par an. néanmoins la première étape de Coté musique (à l’exception de la la mise en place des conditions parenthèse «Ghiwane, Jilala» où d’existence d’une économie de la les artistes remplissaient les salles culture, et constituent un premier et vivaient de la billetterie) des pas vers la réalisation de la chose maisons de production et réseaux de culturelle marocaine dans son distribution de disques et K7 - Chaâbi, acception moderne. Un premier Amazigh, traditionnelle - se mettent pas aussi dans la bataille pour la en place et écoulent les cassettes définition d’une identité culturelle dans les circuits classiques (souks, moderne et un positionnement medinas, etc.) mais répondent à des par rapport aux modèles culturels enjeux exclusivement commerciaux. étrangers, réalités qui s’imposent Pour leur part, les médias sous constamment. tutelle ne diffusent que la culture «politiquement correcte» et conforme OUVERTURE POLITICO- au modèle identitaire, défini par l’Etat, ÉCONOMIQUE & DYNAMIQUE lors des interminables «saharates» CULTURELLE télévisées et sur les ondes radios. Une production globalement faible mais à Dans les années 2000, l’économie laquelle le public répond présent. de la culture dans son acceptation La culture souffre, alors, cruellement globale, qui interagit avec des du manque d’infrastructures, acteurs multiples et à différents d’espaces culturels et de moyens, stades (création – formation – la suite du discours d’Ajdir en 2000) mais aussi d’ouverture et de production – diffusion – distribution – débloque la création et permet au formation. Dans ce marché culturel communication – consommation) est patrimoine jusque-là folklorisé d’être anarchique et fragile, un des seuls stimulée par l’ouverture politique que valorisé (réappropriation des traditions encouragements à la créativité connaît le royaume. La libéralisation, culturelles régionales - gnawas, vient souvent des services culturels celle de l’économie, des ondes et amazigh…). L’enjeu est aussi national étrangers qui apportent un soutien des canaux d’expressions, permet à qu’international, avec la nécessité de financier et mettent à disposition de nouveaux acteurs d’entrer dans redorer l’image du Maroc affectée par leurs infrastructures. Le mécénat la danse de la gestion culturelle qui les attentats de mai 2003. En effet, marocain, quant à lui, s’organise s’organise progressivement autour l’économie marocaine de la culture au sein des fondations privées qui de règles redéfinies. Sous le règne se redéfinit aussi par rapport au commencent à voir le jour. La Villa de Mohammed VI, qui correspond à consommateur touristique choyé. des Arts de Casablanca est créée une ère de globalisation des modes en 1999 par la Fondation ONA avec d’expression et de communication, la Du côté des pouvoirs publics, l’heure pour but affiché «la volonté de production culturelle dispose d’outils est à la timide prise de conscience promouvoir les arts contemporains originaux qui se multiplient : de l’urgence d’injecter des fonds et le patrimoine marocain dans toute festivals, radios, presse écrite, dans le secteur de la culture afin sa diversité et de rendre accessible internet, NTIC, associations et que son économie décolle et puisse la culture à un plus grand nombre». agences de communications. La fonctionner. Les fonds du Centre Ces fondations mobilisent des fonds dynamique culturelle, mais aussi Cinématographique Marocain sont importants, mais répondent à des sociale et identitaire, révélée par revus à la hausse (en 2008, il atteint considérations bien souvent plus L’Boulevard par exemple, impose le montant de 60 millions de dirhams, politiques que culturelles. Au côté des l’existence d’un public, nombreux, soit 2 fois plus qu’en 2003 et 26 fois services culturels étrangers, elles réactif, qui fera l’objet d’un intérêt plus qu’en 1980). Le ministère de la compensent pendant longtemps les croissant. La reconnaissance de la culture vit aussi à l’heure des actions lacunes du secteur culturel... Pendant diversité de l’identité marocaine (avec concrètes et des subventions qui ces années, l’économie de la culture notamment la création de l’IRCAM à encouragent la création et donc la 72 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) En quête d’économie de la culture

production culturelle. Sous Mohamed Achaâri (ministre de la culture de 1998 DANS LA VILLE DE CASABLANCA, à 2008), le texte instituant le fonds de soutien à la production théâtrale IL Y A UNE VRAIE VOLONTÉ est voté (le nombre de productions POLITIQUE, LA CHOSE théâtrales annuelles s’élève d’un coup à plus de 25), le texte concernant CULTURELLE S’EST IMPOSÉE le fonds de soutien à la chanson est écrit, et des festivals sont créés dans différentes villes du Maroc. La auquel un intérêt soudain est porté est bien basse. La part de la dépense commune joue aussi un rôle croissant par l’élite politique et économique culturelle moyenne n’atteint pas dans le secteur. Le cas de la capitale qui en réalise les opportunités. les 170 dhs par mois et par ménage économique (Festival de Casablanca, Les événements culturels majeurs (HCP-2004). Rien d’étonnant quand Projet des Abattoirs, le Grand théâtre) sont organisés par des structures on sait qu’«un best-seller se vend est éloquent : «Pour Casablanca, il y spécialistes de l’événementiel (les autour de 5000 exemplaires sur 2 ou 3 a une vraie volonté politique, la chose nouveaux promoteurs culturels) ans, alors que nous avons plus de 300 culturelle s’est imposée», explique et sont initiés par des fondations 000 étudiants, 200 000 enseignants- Wafaa Skalli, chargée du département et associations dirigées par des chercheurs et 300 000 professeurs culture à la mairie de Casablanca. personnalités proches des autorités dans l’éducation nationale», regrette politiques (centrales ou locales). Mohamed Achaari. La faiblesse de la La multiplication de l’intervention des Pouvoirs qui orchestrent ce nouveau consommation, et l’inexistence de la acteurs publics et privés va de pair et balbutiant modèle d’économie de classe moyenne qui jouerait le rôle de avec le développement d’un marché la culture tout en capitalisant sur locomotive, handicape l’économie de potentiel, d’une offre culturelle qui se ces potentialités économiques et la culture, et n’incite pas le secteur diversifie et d’une demande croissante politiques. privé à investir le culturel, autrement du public. Le politique étant lié à que par le financement de festivals. l’économique, le consommateur du UNE ÉCONOMIE DE LA «Des festivals qui sont aussi une produit culturel étant un citoyen, CULTURE, DICTÉE PAR LE manière de masquer la faiblesse ces différents éléments s’inscrivent HAUT, POINTE SON NEZ de notre champ culturel», constate dans les enjeux identitaires, sociaux Mohamad Achaari. Mais si les et sociétaux du Maroc actuel. Visible Mais le financement basé uniquement professionnels restent récalcitrants lors des manifestations culturelles sur le sponsoring n’est pas suffisant à se lancer dans ce domaine, c’est gratuites, comme les festivals, qui pour consolider la chaîne de aussi parce que le cadre juridique attirent un large public. « L’explosion l’économie de la culture, en garantir qui entoure tous les métiers de la des festivals est une expression qui tous les maillons (création – formation culture est boiteux. La loi sur le statut a un caractère politique, et a été le – production – distribution – diffusion d’artiste n’a été promulguée qu’en produit direct de l’évolution politique – communication – consommation), 2003, la mutuelle des artistes n’existe du Maroc. L’élargissement des permettre à ses acteurs d’en vivre et que depuis 2008, les syndicats ne libertés et de la démocratie a fait que d’assurer une production culturelle fonctionnent pas tous de manière les gens voulaient s’exprimer et aller nationale honorable. Le produit transparente et ne représentent pas vers d’autres besoins qui n’étaient pas culturel ne peut rester financé par le tous les corps de métiers et formes à leur disposition avant. La présence mécénat (dont il est de fait dépendant) de culture, mais surtout la propriété de festivals à travers tout le Maroc et non par une activité professionnelle intellectuelle est piètrement protégée, est une véritable expression de bonne rentable et stable, «Il faut qu’il obéisse le Bureau Marocain des Droits santé socioculturelle marocaine», aux règles du marché et ne reste d’Auteurs ne jouant pas son rôle. explique Mohamed Achaâri. L’offre pas toujours un produit gratuit», culturelle est stimulée par des recommande Mohamed Achaari. Par ailleurs le manque de lieux nouvelles sources de financement Pour exister de manière durable, il de formation (voir p. 87) pour les dans ce marché (sponsors : doit également être consommé. Or professionnels de la culture et la opérateurs de téléphonie, banques…) les chiffres prouvent que la demande carence en équipements culturels, est LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 73

aussi un des facteurs qui bloquent le étrangers continuent de permettre à l’étranger pour s’assurer de réelles développement des professionnels de des projets originaux de fonctionner ouvertures et des débouchés l’économie de la culture. Des festivals de manière durable. A l’exemple convenables et durables, en termes sont certes créés chaque année, mais de la récente expérience du de normes, de qualité, d’audace et de le B.A.BA en termes d’infrastructures projet «Dabateatr Citoyen» qui, en rémunérations ? Et paradoxe de ces culturelles fonctionnant de manière s’appuyant sur une communication dix dernières années de «Nayda» : moderne et durable (complexes efficace, remplit les salles une alors que les principaux acteurs culturels, maison de la jeunesse, semaine par mois, attire un public de la «Movida marocaine» peinent bibliothèques, salles de spectacles, avide de consommation culturelle, encore à en vivre, les professionnels conservatoires, musées) n’est que depuis très récemment à l’ordre du jour. La Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc, le Théâtre National de Rabat, le Grand Théâtre de Casablanca, le Musée d’Art Contemporain de Rabat, le Conservatoire de Musique et de Danse…) sont autant de projets d’envergure, lancés «dans le cadre des grands chantiers culturels ordonnés par Sa Majesté le Roi Mohamed VI, destinés à enrichir le paysage culturel marocain», comme aime à le proclamer régulièrement la MAP dans ses dépêches. Le Roi Mohammed VI n’appose plus seulement son haut patronage aux festivals, mais offre des dons aux artistes de la nouvelle scène, soutient le Boulevard, booste le secteur de la peinture et rénove des salles de cinéma et de spectacle par le biais de sa nouvelle fondation Hiba. La LES SERVICES CULTURELS première initiative prise par cette ÉTRANGERS CONTINUENT Fondation est la rénovation de la salle de cinéma «La Renaissance» qui a DE FAIRE VIVRE DES PROJETS réouvert ses portes le vendredi 15 janvier 2010. «La salle Renaissance, ORIGINAUX située au cœur de Rabat, sera désormais une salle de théâtre, de spectacles, de concerts, d’expositions et garantit à des créateurs et de l’événementiel ont organisé, eux, ou autres, dédiée aux jeunes talents, artistes de travailler pendant au pour sa 2ème édition, le salon de pour leur faciliter l’accès au public moins 15 jours par mois. Nombreux l’événementiel (27-30 janvier 2010). lequel souffre également de la aussi sont les exemples d’écrivains Preuve s’il en faut de la vitalité du rareté des lieux et des occasions marocains qui sont contraints secteur de l’événementiel. A défaut pour apprécier la création artistique d’éditer à l’étranger, de peintres, d’une économie de la culture solide, marocaine», explique Faycal Laraïchi de réalisateurs ou de musiciens qui ne serait-ce pas une économie de président de la Fondation Hiba. y trouvent leur financement, des l’événementiel culturel qui se met en designers qui y vendent leur produit… place ? En attendant de pouvoir compter Les professionnels de la culture sur une véritable et solide économie marocains seront-ils inlassablement de la culture, les services culturels condamnés à devoir compter sur 74 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) ETUDE DE TERRAIN AU ROYAUME DES ENTREPRENEURS DE LA CULTURE

PARTANT D’UNE ÉTUDE STATISTIQUE INÉDITE, MENÉE PAR LE CESEM, CENTRE DE RECHERCHE DE HEM, CET ARTICLE RÉVÈLE LA PHYSIONOMIE DU SECTEUR CULTUREL, PARADOXALEMENT BALBUTIANT ET EN PLEIN BOOM ÉCONOMIQUE. IL EN RESSORT UNE TYPOLOGIE DÉTAILLÉE, DES DONNÉES EMPIRIQUES SUR LE MODE DE MANAGEMENT ET DES TENDANCES DE MUTATION ET DE CONTINUITÉ QUI SE PROFILENT DANS L’INCERTITUDE.

Par Caroline Minialai Avec Kenza Sefrioui, journaliste et critique littéraire Enseignant chercheur en sciences de gestion, Cesem-Hem et Taoufik Benkaraache, économiste, statisticien.

omme il est rappelé ambitions et responsabilités 3,1% des emplois (plus que le textile dans un rapport conduisent à s’interroger sur la ou l’immobilier par exemple). Les C de la Commission place de ce secteur dans notre spécialistes considèrent donc que le Européenne de Novembre 20091, économie nationale et sur les profils secteur des industries créatives est «l’économie de la connaissance et des dirigeants culturels. Lors d’une stratégique et pour la croissance et de la créativité est un des piliers conférence, l’auteur du rapport a pour le développement. fondamentaux pour un développement précisé que les industries créatives En menant à bien cette étude économique durable de l’humanité représentaient dans les pays de statistique, auprès de 164 entreprises, dans un futur proche». De telles l’Union Européenne 2,6% du PIB et nous avons cherché à esquisser un panorama des entreprises créatives, à «profiler» leurs entrepreneurs et à nous interroger sur les tendances d’un secteur en évolution.

DE LA PHYSIONOMIE DU SECTEUR…

«Chaque secteur d’activité culturelle est composé d’un ensemble d’activités reliées entre elles qui concourent et interagissent pour permettre à une création de l’esprit de se transformer en un bien ou un service pouvant être mis à disposition du «public- consommateur», (Jeretic, 2009). Au Maroc, la très faible structuration LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 75

du secteur, due pour partie à une réalisent plus de 2 millions de dhs de absence de politique publique chiffre d’affaires (graphe 1). Serait-ce volontariste, se traduit sur le terrain la taille optimale sur le marché ? Celle par des entreprises de petites tailles où le rapport entre les moyens mis en (96% des entreprises interrogées œuvre et les résultats obtenus est le ont moins de 50 salariés). Cette meilleur ? Probablement. A titre de caractéristique est d’autant plus comparaison, les données collectées marquée que 16% des entreprises par l’INSEE3 montrent que seulement sont individuelles et n’emploient donc 8,6% des entreprises du secteur aucun salarié, et 55% sont artisanales récréatif et culturel sont de petite employant de 1 à 9 personnes. Ces taille, mais qu’elles réalisent 19% du données sont à comparer au dernier recensement effectué par le HCP dans lequel les entreprises de moins 40% DES EN- de 10 personnes constituaient plus TREPRENEURS de 98% des effectifs recensés2. Dans les industries créatives, la taille des INTERROGÉS entreprises n’est en aucune manière corrélée au secteur d’activité de CONSIDÈRENT l’organisation, nous soulignerons simplement que toutes les moyennes QUE LEUR et grandes entreprises de l’échantillon PROJET (plus de 50 salariés) travaillent dans les secteurs du cinéma et de EST TRÈS l’audiovisuel. Si globalement le secteur est dominé RISQUÉ, VOIRE par des dirigeants masculins (81% des répondants), les disparités d’un «KAMIKAZE» domaine culturel à l’autre sont très importantes : la part des managers féminins dans le cinéma n’est que de 6% alors qu’elles représentent plus de >( I

Les petites structures recensées (' atteignent des niveaux de chiffres d’affaires relativement modestes puisqu’elles ne sont que 20% à réaliser plus de 2 millions de dhs de ' chiffre d’affaires et 37% à générer .''%''';? df`ej[\ [\;? ;?\kled`cc`fe \eki\[\.''%''' d`cc`fej[\;? \eki\le\k[\lo d`cc`fej[\;? \eki\[\lo\kZ`eh d`cc`fej[\;? \eki\[\Z`eh\k[`o [\;? Z`ehlXek\d`cc`fej \eki\[`o\k moins de 700 000 dhs par an. Les petites entreprises (de 10 à 49 salariés) tirent mieux leur épingle du jeu puisque 45% d’entre elles 76 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) Au royaume des entrepreneurs de la culture

chiffre d’affaires du secteur. Implantées principalement sur A LA RECHERCHE D’UNE TYPOLOGIE DES l’axe économique Casablanca-Rabat (66% des entreprises ENTREPRENEURS DE LA CULTURE interrogées contre 26% pour l’ensemble du Royaume4), elles choisissent d’abord (73%) comme cadre juridique la On peut parfois s’interroger sur l’intérêt d’établir SARL (y compris sa version unipersonnelle l’EURL), et ceci scientifiquement une nouvelle typologie d’entrepreneurs. conformément au tissu économique du Royaume. Dans Pourtant les objectifs sont clairs : une typologie des une moindre mesure, seulement 17,5% des entreprises entrepreneurs de la culture au Maroc permettra de interrogées choisissent de donner un cadre associatif à mieux comprendre les dynamiques de prise de décision leur activité. et de management (Filion5, 2000) tout en donnant aux acteurs des outils pour résoudre leurs problématiques La pérennité du secteur se traduit par une moyenne managériales et leur permettre de «vivre de la culture». d’âge de 16 ans et 4 mois ; l’entreprise la plus ancienne Alors qui sont ces entrepreneurs de la culture du de l’échantillon est une librairie créée à Rabat en 1945. Royaume? Cette moyenne mérite d’être affinée, puisque c’est dans le secteur du livre que les entreprises sont les plus «âgées» Avant de présenter une typologie, nous esquisserons (moyenne d’âge de 22 ans et 5 mois) et dans le secteur un portrait global de l’entrepreneur culturel marocain. des arts vivants qu’elles sont les plus récentes (13 ans Ce chef d’entreprise est un homme (81%), relativement et 2 mois). On doit cependant noter une accélération des jeune (65% ont moins de 45 ans) et diplômé (seulement créations d’entreprises culturelles LES ENTREPRENEURS SE à partir de l’an 2000, CONSIDÈRENT À PARTS ÉGALES puisque 42% de l’échantillon DES ARTISTES CRÉATEURS (40%) se compose d’entreprises OU DIRIGEANTS SALARIÉS (41%) ayant vu le jour à partir de cette date, en relation avec la dynamique 15% d’autodidactes). Son niveau de qualification est élevé culturelle et la libéralisation économique impulsées par les puisque plus des ¾ des diplômés atteignent bac + 4 et décideurs. au-delà, ceci conformément à une tendance mondiale Concernant leur mode de financement, les entrepreneurs d’élévation du niveau d’études. Les études commerciales se déclarent majoritairement autonomes vis-à-vis de l’Etat ont la part belle (52% des répondants) alors que le passage (pour 91% d’entre eux) et se financent d’abord par fonds par une école d’art est quant à lui secondaire pour pouvoir propres (49%), ce qui explique la modicité des moyens intégrer le secteur (26% seulement). Il est intéressant engagés. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’ils de remarquer que l’âge du dirigeant, et donc la période font appel aux banques pour obtenir des fonds (28%). Les à laquelle il a suivi ou non des études supérieures, 9% restants dépendent du Ministère de la Culture ou des n’influence ni le niveau ni la nature des études suivies. structures régionales pour obtenir des subventions. Mais Lorsqu’ils sont interrogés sur leur profession, les dans ce cas, l’aide de l’Etat n’est pas que directe, puisque entrepreneurs se considèrent à parts égales soit comme 65% de ces entreprises bénéficient d’un soutien indirect qui des artistes créateurs (40%) soit comme des dirigeants se traduit par la mise à disposition de biens ou de services salariés (41%) ; les autres sont les bailleurs de fonds publics. La principale source de revenus des entreprises, de l’industrie de la culture. Et si ce sont la volonté prises globalement, est la vente de produits culturels d’entreprendre et l’existence d’un projet professionnel qui (76% des entreprises) suivie mais de très loin (17% des sont principalement à l’origine des créations d’entreprise cas seulement) par les fonds apportés par les sponsors. (56%), la «diffusion et le partage de la culture» constituent Autrement dit, les entreprises culturelles s’accommodent une motivation première pour 51% des entrepreneurs du marché tel qu’il est. interrogés. Généralement pragmatique (45% se considèrent comme un entrepreneur comme les autres), l’entrepreneur culturel LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 77

est motivé par des considérations trois types d’entrepreneurs de la mercantiles, et non artistiques, telles culture : les créatifs, les conciliateurs que la volonté de répondre à un et les marchands. Cette typologie a été besoin, de se positionner par rapport construite en combinant les conditions à la concurrence ou de faire des dans lesquelles l’organisation est profits. Mais nous verrons par la suite née et les objectifs déclarés de que ces résultats généraux méritent l’entrepreneur (graphe 2). d’être affinés au travers du prisme typologique de cette étude. LES CRÉATIFS : En tant que managers, les interviewés PLAISIR, CRÉATION considèrent que leurs principales ET PROFESSIONNALISME qualités sont leur compétence en organisation et logistique (27%), en Artistes avant tout, les créatifs innovation (25%) et en communication se lancent dans l’entreprenariat (22%) alors que la gestion comptable, pour exister en tant qu’artistes. financière et administrative est ce Les objectifs annoncés sont qui leur fait le plus défaut (70%). artistico-hédonistes : créer et Ceci confirme l’image d’un dirigeant se faire plaisir. La recherche de tourné vers son «public», gérant son profit ou l’obtention d’un salaire entreprise du mieux qu’il peut avec les de subsistance ne sont pas ici moyens dont il dispose. considérés comme déterminants. La recherche d’autonomie créatrice Ces données générales ne suffisent est leur principale motivation (55% motivations citées en 2ème et 3ème pas, loin s’en faut, à refléter la des cas). En créant leur entreprise, rang sont respectivement la volonté complexité de ces industries créatives. ils cherchent à se donner les de participer «à la diffusion et au Le croisement de certaines données moyens d’une plus grande liberté partage de la culture» et la recherche et la recherche de corrélations entre artistique qui leur permettra de d’indépendance. Les considérations les différentes questions fait émerger s’exprimer dans leur domaine. Les relatives au marché, à l’identification des besoins ou à la concurrence, souvent chères aux entrepreneurs, sont ici reléguées aux oubliettes. >) C

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considérant d’abord comme un artiste LA RECHERCHE DE PROFIT et comme un entrepreneur par la N’EST PAS CONSIDÉRÉE force des choses). PAR LES CRÉATIFS COMME Ces créatifs savent donc aussi se transformer en managers DÉTERMINANTE professionnels dès lors qu’il est nécessaire de trouver des financements adéquats pour faire vivre leur structure et accélérer la création artistique. D’ailleurs leur >* I

culturelles qui se déclarent de l’entreprise (graphe 3). Ainsi, ils LES CONCILIATEURS : dépendantes de l’Etat pour leur reçoivent 53% de leurs financements PROFESSION «ARTISTE financement ont des dirigeants de mécènes et sont les premiers à ENTREPRENEUR» qui se définissent comme «artiste citer le sponsoring comme une de créateur». Ces dirigeants font appel leurs principales sources de revenus. Ils se définissent à la fois comme à des ressources spécifiques au Ces résultats sont somme toute des artistes et des entrepreneurs. secteur culturel et se démarquent logiques puisque les associations sont L’organisation qu’ils dirigent naît de des modes de financement classiques ici majoritaires (56% des dirigeants se la volonté d’entreprendre combinée à LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 79

celle d’exister en tant qu’artiste. Les objectifs sont eux aussi diffus, à mi- >+ I

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ordonnées de la même manière. place sur le marché. Le domaine Par ailleurs, ils sont les plus A vrai dire, non seulement leur culturel est de ce fait choisi parce sensibles à la notoriété personnelle représentation est différente de qu’il offre des opportunités de marché et à la visibilité sociale. D’ailleurs, celle des créatifs, mais l’étude nous et de développement professionnel. de l’ensemble des entrepreneurs ayant pour objectif la recherche d’un statut social, 81% se considèrent COTÉ FINANCEMENT, comme des entrepreneurs comme les autres. Dans le lot, ceux qui ont 91% DES ENTREPRENEURS SE suivi des études de commerce sont logiquement majoritaires, puisque DÉCLARENT AUTONOMES 68% des interviewés revêtent ce profil VIS-À-VIS DE L’ETAT de pragmatiques. En termes de management, l’autorité est citée comme le premier mode montre qu’ils dirigent en plus leurs D’ailleurs, les structures sociétales en vigueur (39%) suivie de près par entreprises de façon sensiblement sont très largement choisies par ces le «professionnalisme» (35%). Le différente. En effet, si le management dirigeants et répondent aux besoins charisme (16%) et le management professionnel est le premier mode de 93% d’entre eux. La recherche de informel (10%) sont ici très cité, et ce dans 50% des cas, ¼ création artistique est très secondaire secondaires. se considèrent des managers et les dirigeants déclarent chercher La recherche de profits conduit cette «autocrates» (ou autoritaires). Il à obtenir un salaire de subsistance, catégorie d’entrepreneurs à déclarer s’agit donc d’entreprises ayant un voire à s’enrichir. Bien sûr, la volonté que leur indépendance est une management traditionnel combinant de diffuser et faire partager la motivation essentielle de l’entreprise. autorité et méthodes scientifiques culture est affichée, mais elle est Ils tirent leurs profits majoritairement de management. Les conciliateurs suivie de très près par la recherche des ventes de produits culturels sont majoritaires chez les dirigeants d’indépendance financière. et dans une moindre mesure du de plus de 45 ans (ils représentent 48% de cette tranche d’âge) et se retrouvent fréquemment dans les >, I

LES MARCHANDS : «BUSINESS AS USUAL» )'

Ce sont majoritairement des entrepreneurs comme les autres, (' sans spécificité sectorielle, pour lesquels l’organisation est née d’une volonté d’entreprendre ou de '

l’existence d’un projet professionnel G\li`jhl„ Xjj\qi`jhl„ ki„ji`jhl„ bXd`bXq\ à mener à bien. L’objectif premier de l’entreprise est de se faire une I`jhl\[lgifa\k LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 81

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I`jhl\[lgifa\k sponsoring. Ces pragmatiques sont majoritaires dans la tranche d’âge la croissance s’est faite par à-coups de petite taille pour préserver leur des 36-45 ans où ils représentent au fur et à mesure des opportunités. indépendance et se concentrer sur la 55% de l’échantillon interrogé. Ils Il est donc difficile de planifier sa créativité. sont caractéristiques des domaines croissance et de déterminer dans culturels du livre et de l’audiovisuel. ce cas une stratégie à moyen terme. Les plus sceptiques face à l’avenir Et ce d’autant plus que le degré sont aussi les plus pragmatiques POUR DÉGAGER DES d’incertitude face à l’avenir, explicité (graphe 7). Ainsi, ceux qui se TENDANCES par la part des entrepreneurs ne perçoivent «entrepreneurs comme les sachant pas projeter leur organisation autres» n’anticipent une croissance La part relative de chaque type dans 5 ans, s’accroît avec le de leur activité à 5 ans qu’à hauteur d’entrepreneur présenté ci-dessus niveau de risques. Ainsi, 39% des de 30%, alors que 39% d’entre eux décrit un secteur en voie de entrepreneurs qualifiant leur projet espèrent être toujours ouverts et professionnalisation. En effet, les plus de «kamikaze» ne savent pas ce qu’il 14% ne savent pas se positionner. nombreux sont les marchands (45%), sera devenu dans 5 ans (graphe 6). Peut-on imaginer que leur évaluation suivis des conciliateurs, puis des Certains traduisent cette incertitude des risques est plus précise, ou créatifs. Pourtant, l’aventure n’est pas autrement, puisque 31% des qu’en raison de la crise financière sans risque. 40% des entrepreneurs entrepreneurs interrogés espèrent internationale ils sous-évaluent interrogés considèrent en effet que que leur organisation existera toujours directement les potentialités de leurs leur projet est très risqué, voire dans 5 ans alors qu’ils ne sont que projets ? Impossible de trancher, «kamikaze», et que le risque est 40% à anticiper une croissance de leur mais nous constatons que ceux qui principalement de nature financière. activité. L’incertitude est grande, mais se considèrent avant tout comme des Ce niveau de risque conditionne la volonté de croissance n’est pas artistes se voient grandis à hauteur d’ailleurs les modes de croissance toujours au cœur des préoccupations de 36%, et que ceux qui sont à la fois de l’organisation (graphe 5). Ainsi, des entrepreneurs culturels. artiste et entrepreneur anticipent une les entreprises les plus risquées Ainsi, un travail réalisé sur «The déclarent pour 28% d’entre elles Independants»6 en Grande Bretagne que l’organisation n’a pas grandi souligne que, même ambitieux, ils depuis sa création, et pour 34% que souhaitent que leur entreprise reste 82 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) Au royaume des entrepreneurs de la culture

croissance à moyen terme dans 62% >. I

' (67%) par les modes de production, flm\ikj d\d\kX`cc\ ^iXe[` [`m\iZ`ÔZXk`fe i\Zfelj e\jX`jgXj de gestion ou de distribution. Créatifs M`j`fe~,Xej et conciliateurs se retrouvent dans le même panier puisque tous innovent d’abord par les produits et les modes de production, et ce dans leur LES INDÉPENDANTS SOUHAITENT immense majorité (respectivement 89% et 96% d’entre eux). Les QUE LEUR ENTREPRISE RESTE DE marchands, en revanche, innovent PETITE TAILLE POUR SE CONCEN- d’abord dans les modes de distribution puis dans les modes de gestion, TRER SUR LA CRÉATIVITÉ qui sont les domaines auxquels ils attachent plus d’importance, étant par définition beaucoup moins concernés par la création.

Support de l’innovation, les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont jugées indispensables par 80% des répondants. Conformément aux innovations mises en avant, les NTIC sont d’abord utilisées dans le domaine de la production pour ceux qui innovent dans les produits et les modes de production ; les autres les utilisent d’abord dans la distribution et l’organisation de l’activité. Bien sûr, internet et les technologies mobiles figurent au premier plan. Pour finir, nous avons souhaité interpeller les entrepreneurs culturels marocains sur l’impact de la professionnalisation sur la créativité. En cela, notre objectif LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 83

est de se positionner de nouveau par rapport au mouvement des NOTICE MÉTHODOLOGIQUE indépendants britanniques qui se déclarent «market-driven» et qui En nous appuyant sur un récent rapport de la Commission Européenne considèrent que créer et gérer (Jeretic, 2009), nous avons retenu les domaines suivants : musique, son entreprise n’affecte pas la cinéma et audiovisuel, spectacles vivants, arts visuels et diffusion et créativité. Pour commencer, 97% évènements culturels. Nous nous positionnons ainsi dans le concept d’ affirment que se professionnaliser «industrie créative» (Flew, 2002) qui élargit la notion d’industrie culturelle ne nuit pas à la créativité ; business à des domaines tels que le cinéma ou les agrégateurs de spectacle… et création ne sont donc pas Pour chacun de ces domaines, nous avons essayé d’inclure toutes les incompatibles. Pourtant, seuls les organisations participant d’une manière ou d’une autre à la chaîne de conciliateurs considèrent, comme valeur des industries culturelles. A ce titre sont incluses les organisations nous l’avons dit précédemment, que productives, de distribution, de communication, de postproduction, de cette professionnalisation permet diffusion, de financement… d’accélérer la créativité. Pour les L’absence de statistiques officielles relatives au secteur des industries autres types d’entrepreneurs, se créatives a compliqué significativement le travail préparatoire et nous professionnaliser n’a pas d’impact sur a obligés à effectuer tout d’abord un recensement de la population. la créativité, soit probablement parce Nous avons identifié au cours de cette phase 369 acteurs de l’industrie que la créativité est jugée secondaire, créative en excluant, afin de conserver une relative homogénéité de la soit parce qu’elle est considérée population étudiée, les établissements publics. En effet, leurs dirigeants comme ne pouvant être que le travail d’un «pur» artiste.

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QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) ENTRETIEN AVEC Neïla Tazi* «LE PRAGMATISME FACILITE LA CRÉATIVITÉ» AFIN DE COMPLÉTER NOTRE ÉTUDE SUR LA TYPOLOGIE DES ENTREPRENEURS, ET EU ÉGARD À L’IMPOSSIBILITÉ DE CERNER LE PROFIL SPÉCIFIQUE DES PROFESSIONNELS DE L’ÉVÉNEMENTIEL CULTUREL, VU LEUR NOMBRE LIMITÉ, NOUS AVONS SOUMIS LES PRINCIPAUX RÉSULTATS À L’APPRÉCIATION DE L’UNE DES ENTREPRENEUSES LES PLUS EXPÉRIMENTÉES ET TALENTUEUSES DU SECTEUR.

Par Kenza Sefrioui, journaliste et critique littéraire & Caroline Minialai, chercheur en gestion, Cesem-Hem

u’est-ce que pour d’expression, pour l’évolution des vous une entreprise mentalités, pour le développement Q culturelle ? économique et celui du tourisme, pour C’est une entreprise comme une l’image de notre pays… autre, mais qui travaille dans le Mais cette prise de conscience est développement de projets dans le assez nouvelle. Elle est liée à une domaine culturel. époque, au nouveau règne, au besoin d’ouverture… Vous considérez-vous comme un Le festival Gnaoua est le projet qui entrepreneur culturel ? Dans quel est au cœur de notre métier. Nous domaine ? exerçons également notre profession Pendant longtemps, oui, je me suis cela comporte en termes de risques sur d’autres événements en qualité considérée comme un entrepreneur et d’engagements. Produire un de prestataires de services, comme le culturel. Nous avons été pionniers au événement gratuit, à l’échelle d’une festival de Casablanca ou Mawazine. Maroc en lançant en 1998 le Festival ville, c’est difficile, on ne peut pas en Et nous avons créé la revue Exit, Gnaoua et Musiques du Monde à vivre. dans le but de promouvoir la scène Essaouira, qui a été l’étincelle de La gratuité a longtemps été salutaire culturelle marocaine, mais après départ de beaucoup de projets que car elle a rendu la culture accessible 6 années nous avons suspendu sa nous voyons aujourd’hui. En tant au plus grand nombre ; les gens ne publication parce que ce n’était pas qu’acteurs du secteur privé, nous sont pas initiés, ils ne sont pas encore viable au niveau des ventes et des avons eu du mal à être reconnus. assez consommateurs de culture. annonceurs. C’est un secteur encore Nous étions constamment considérés Les festivals ont joué un grand rôle marginalisé… comme des prestataires de services, en démontrant l’importance qu’a la alors que nous sommes des culture dans le paysage quotidien des La culture se situe-t-elle au cœur de producteurs, des entrepreneurs des Marocains : pour l’émancipation des votre métier ? métiers du spectacle avec tout ce que jeunes, pour l’ouverture d’espaces Depuis 18 ans, on a beaucoup œuvré

* Administratrice du groupe A3/Rezo, spécialisée dans les métiers de l’événementiel, de la communication et des relations presse LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 85

dans le domaine de la culture.

Dans quelle proportion ? C’est facilement 80% de notre activité, entre les festivals, le cinéma, la musique et les relations presse dans le domaine culturel.

Pourriez-vous préciser quelle part de votre chiffre d’affaires et quelle part de vos profits représente la culture ? C’est difficile à dire, parce que c’est un domaine très compliqué. Il n’y a pas de profits dans le domaine de la culture au Maroc. Il est difficile d’installer ce métier comme une NOUS SOMMES DES PRODUC- activité économique à part entière. Il TEURS, DES ENTREPRENEURS faut arrêter de considérer la culture comme un domaine exclusivement DES MÉTIERS DU SPECTACLE associatif. Il faut parvenir à ce que les gens qui travaillent dans la musique, le cinéma, etc., aient une Est-ce que les autres activités de votre passion et qui font aussi, par la rémunération normale comme dans entreprise sponsorisent vos activités force des choses, de la prestation de n’importe quelle entreprise. Tous les culturelles ? service. Les villes ou les associations acteurs économiques, les artistes, Pendant longtemps, ce sont nos font de plus en plus appel à des les managers, les producteurs, les différentes activités culturelles ou agences pour des supports de diffuseurs aspirent à pratiquer leur autres (celles que nous réalisions en communication et des prestations métier dans des conditions normales. qualité de prestataires) qui nous ont techniques. Or, ni le livre, ni le cinéma, ni la permis de faire le festival Gnaoua. musique, ni les festivals ne sont au En principe, un festival est un projet Au cours de notre enquête, stade de réaliser des profits, parce qui se prépare sur une année avec nous avons dégagé trois types que le marché n’est pas structuré, des équipes qualifiées et des budgets d’entrepreneurs culturels, selon les parce qu’il y a du piratage... Par alloués. Ici, nous n’y arrivons pas origines de la création de l’entreprise exemple, pour le festival Gnaoua et encore : les ressources humaines et ses objectifs : d’une part, les Musiques du Monde d’Essaouira, un qualifiées sont rares et les moyens créatifs, dont l’objectif principal est des volets qui aurait pu être développé font défaut et sont trop aléatoires. d’exister en tant qu’artiste, de créer est celui des produits dérivés, mais Alors on s’organise pour y arriver et de se faire plaisir ; d’autre part, l’invasion de produits piratés rend la autrement. Nous avons développé les conciliateurs, qui se définissent chose impossible. d’autres activités. Le domaine à égalité comme artistes et comme culturel, c’est la galère. Il faut donc se entrepreneurs, mais dont les L’apport de la culture est-il plus diversifier et se créer des perspectives origines et les objectifs du projet sont symbolique que matériel ? de développement… opposés (volonté d’être artistes mais La culture commence à mobiliser recherche d’un positionnement sur le plus de moyens, mais pas assez par Est-ce, selon vous, un domaine marché, ou, à l’inverse, volonté d’être rapport à ce qui se passe dans des très oligopolistique, avec quelques entrepreneur, mais qui font de la pays développés, où la culture est un grandes entreprises et beaucoup de création) ; enfin, les marchands, qui se secteur économique à part entière. petites, voire de très petites ? définissent comme des entrepreneurs Au Maroc, ça reste symbolique. Mais Je ne connais que peu d’entreprises comme les autres, avec la recherche cette symbolique est forte ; dans notre qui font de la conception et de la d’un positionnement sur le marché cas, il y a un prestige certain dû au fait production culturelles. Le secteur et de profits. Selon quelle proportion d’avoir initié un projet populaire dont n’est pas assez porteur. Il y a classez-vous ces trois catégories dans la notoriété va bien au-delà de nos beaucoup de petites et moyennes le marché culturel marocain ? frontières. structures qui font ce métier par La catégorie dominante, c’est celle 86 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) «Le pragmatisme facilite la créativité»

LE DOMAINE CULTUREL, C’EST LA GALÈRE. IL FAUT DONC SE DIVERSI- FIER ET CRÉER DES PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT

comportements des entrepreneurs culturels ? C’est une évolution qui se fait progressivement lorsqu’on pratique ce métier. On ne le fait pas par hasard, mais parce qu’on se sent un peu artiste, donc on se lance. Par la force des choses, on joue de sa créativité et de son charisme, puis on gagne en assurance et on arrive à acquérir de l’autorité et du professionnalisme. Avec la pratique, le temps et l’expérience, on devient de plus en plus pragmatique.

La majorité des répondants ont des incertitudes quant à leur avenir principalement à cause du risque financier. Souscrivez-vous à ce constat ? C’est un secteur où on n’est jamais sûr du lendemain. des gens qui sont à la fois créateurs et promoteurs d’eux- mêmes. Cela vient du fait que le secteur n’est pas assez Est-ce que, dans l’avenir, la proportion entre les produits structuré. Mais c’est en train d’évoluer, heureusement. culturels et non culturels de votre entreprise va évoluer ? Dans les arts plastiques, par exemple, il y a eu un rebond, Je pense… On va dans le sens de la diversification. Nous dans la musique et le cinéma aussi. poursuivrons notre travail dans le domaine de la culture, mais nous avons aussi besoin d’explorer de nouvelles voies. Considérez-vous que la tendance est aujourd’hui au pragmatisme ? Pourquoi ? Estimez-vous que le marché de l’événementiel culturel Forcément ! Les choses doivent se structurer. Pendant arrive à saturation ? trop longtemps, les artistes ont été assistés, ils étaient Il est loin d’être saturé, il n’est tout simplement pas constamment dépendants du mécénat. Aujourd’hui, on structuré ! Il y a un manque de visibilité, de concertation et sent bien qu’il y a des métiers émergeants et que les de dialogue entre les acteurs, le secteur public, le secteur choses changent. privé…

Notre enquête a permis de dégager divers modes de Les conciliateurs considèrent que la professionnalisation management. Les créatifs insistent sur le caractère est un accélérateur de créativité. Comment expliquez-vous professionnel de leur mode de management, mais c’est cette appréciation ? dans cette catégorie que l’on trouve le plus d’acteurs Quand on se professionnalise, on permet à l’artiste de ne qui insistent sur le rôle de leur charisme personnel ; les plus s’encombrer de contraintes managériales, donc de conciliateurs insistent sur leur autorité ainsi que sur se concentrer sur ce qui est au cœur de son métier : la leur charisme ; les marchands insistent sur le caractère création. Il a plus de temps, d’inspiration. professionnel de leur mode de management ainsi que sur leur autorité. Quel commentaire feriez-vous sur ces Est-ce vrai dans votre cas ? modes de management à partir de votre connaissance des Bien sûr ! LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 87

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) FORMER À LA CULTURE Par Aïda Semlali, Journaliste

ombreux sont les Humaines de Mohammedia, ou encore l’ESAV (Ecole Supérieure des Arts acteurs du secteur le Master «Pédagogie de la Médiation Visuels) de Marrakech, les futurs N culturel certifiant s’être Culturelle et de l’Art et de la science» managers du cinéma étaient jusqu’à «formés sur le tas». Un cas répandu vu relevant de l’Université Mohammed V présent laissés pour compte. L’ESAV les particularités du milieu culturel en y remédie avec le lancement en la matière : un secteur qui s’appuie de 2010 d’un master en production, aux manière importante sur des ressources BIENTÔT DES côtés d’un master en réalisation. humaines bénévoles et autodidactes, Les futurs managers du cinéma dont le savoir-faire peut à terme PROFESSION- pourront aussi trouver leur bonheur les imposer à la tête d’une fonction sur les futurs bancs de l’ISMAC, dont rémunérée. Mais la tendance pourrait NELS FORMÉS l’ouverture est programmée pour toutefois s’inverser avec l’avènement octobre 2011. En attendant, la gestion des formations aux métiers de la AUX MÉTIERS culturelle spécialisée ès cinéma est culture. DE LA CULTURE dès cette année au programme de la filière professionnelle «Études Elles sont encore peu nombreuses cinématographiques et audiovisuelles» mais commencent à intéresser des Souissi de Rabat. D’autres structures fraîchement créée à l’Université étudiants aussi passionnés que spécialisées à l’instar de l’ISADAC Abdelmalek Essaadi de Tétouan prudents. Peu rassurés quant aux (Institut Supérieur d’Art Dramatique et et de son pendant à Marrakech, la aléas d’un secteur qu’on dit précaire, d’Animation Culturelle) proposent aussi licence «Études cinématographiques ils se laissent séduire par ces une formation continue à même de et audiovisuelles», proposée par formations publiques ou privées, qui former des managers de la culture. l’Université Cadi Ayyad. se donnent l’ambition de répondre Pour ce qui est des formations aux besoins du marché. La Faculté culturelles spécifiques, il aura fallu Enfin, la formation continue reste non des Lettres et Sciences humaines attendre la rentrée universitaire 2007 négligeable pour les gestionnaires de de Ben M’sik est une pionnière en pour que la faculté de Aïn Chock la culture : parce que les pionniers la matière, avec la mise en place accueille dans ses murs la licence du secteur ont aussi leur expérience dès les années 90 d’une licence professionnelle aux Métiers du livre, à partager, des synergies sont appliquée en médiation culturelle, et seule formation du genre. En revanche, occasionnellement créées par le fait encore des émules. Au Master il n’existe toujours pas de formation Ministère de la Culture, les institutions «Ingénierie culturelle et artistique» universitaire spécifiquement dédiée culturelles étrangères ou encore proposé aujourd’hui en son sein s’est aux managers du secteur musical. le SCAC (Service de Coopération et ajoutée la licence professionnelle en Côté cinéma, si de plus en plus de d’Action Culturelle) de l’ambassade médiation culturelle proposée par structures forment aux métiers de France, via des séminaires et des la faculté des Lettres et Sciences techniques du cinéma à l’instar de ateliers de formation ponctuels. 88 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) ZOOM SECTORIEL LE LIVRE EN MAL DE FORMALISATION

LE SECTEUR DU LIVRE A RATÉ SON DÉCOLLAGE. EN TRENTE ANS, L’ABSENCE DE POLITIQUE ÉTATIQUE COHÉRENTE L’A CONDAMNÉ À LA STAGNATION ET AU BRICOLAGE. ET LE RAFISTOLAGE N’A JAMAIS ACCOUCHÉ D’ENTREPRISES DU LIVRE VIABLES ET EFFICIENTES.

Par Kenza Sefrioui Journaliste et critique littéraire

e Salon international de l’édition et du livre IL Y A À PEINE UNE VINGTAINE L de Casablanca vient de D’ÉDITEURS ACTIFS, QUI FONT PLUS clore sa 16e édition. Cet événement, devenu assez populaire, est l’unique D’UNE DIZAINE DE LIVRES PAR AN vitrine de la production intellectuelle et littéraire marocaine. Piteuse vitrine : pour 30 millions d’habitants, la privée. Les professionnels se plaignent annuellement de moins de 100 avant production de livres culturels, toutes de la désaffection pour la lecture 1980 à près de 800 après 1990, les langues confondues, ne dépasse et déplorent un déplacement des années 1995 à 2000 ont connu un pas 1000 titres par an. En France, on valeurs de la culture vers les signes fort ralentissement. Des éditeurs qui en publie 60 000 pour 60 millions, matériels. Mais l’absence de politique publiaient 15 à 20 titres par an dans et en Iran, 30 000 pour 70 millions étatique responsable permettant le les années 1990 en sortent aujourd’hui d’habitants. Pas de quoi pavoiser. Or, développement d’un circuit sain est 6 ou 7. Ramant pour survivre, ils depuis 30 ans, avec l’augmentation la cause majeure de cette régression. sont à l’écart de tous les débats de la population et le recul relatif Editeurs, imprimeurs, distributeurs et internationaux actuels, notamment sur de l’analphabétisme, le nombre de libraires, chacun tente de s’en sortir l’édition numérique. Ces dix dernières lecteurs potentiels a explosé. Mais comme il peut. Au détriment du livre et années ont toutefois été marquées par ils sont restés potentiels. Le secteur de la culture... l’émergence de deux créneaux : la BD, du livre n’a pas suivi l’expansion que notamment historique, et la littérature lui ouvrait l’évolution démographique PRODUCTION jeunesse, spécialité de deux maisons et sociale. Du livre culturel s’entend, EN CHUTE LIBRE d’édition, Yomad et Yanboua Al-Kitab. puisque le livre scolaire, lui, a connu Mais ces créneaux ne représentent une fulgurante expansion, liée aux La production du livre culturel est en qu’une infime partie de la production. efforts en faveur de la scolarisation chute libre. S’il y a eu un bond faisant Pour s’en sortir, un nombre croissant et aux développements de l’école passer le nombre de titres publiés d’éditeurs font de plus en plus de LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 89

scolaire. Sans quoi certains auraient administratifs, et bien sûr du scolaire. pas à se placer sur le marché «de la peine à survivre», explique Ce qui a fait chuter la part du livre international. L’importation de livres, Amina Touzani, dans La Culture et culturel à 17% de l’activité totale. précise-t-elle, est encouragée par la politique culturelle au Maroc (La l’absence de droits et de taxes : la Croisée des Chemins, 2003), puisque Cette régression n’est pas palliée par tentative de taxer le livre importé avait tous sont restés de petites structures. les importations. Selon Bichr Bennani, suscité un tollé en janvier 1996. «C’est Publier du livre culturel devient une «on n’importe même pas 10% des plus rentable d’avoir 20% d’un livre activité occasionnelle. «Il y a à peine sorties littéraires en France». Les importé qui coûte en moyenne 300 DH une vingtaine d’éditeurs actifs, qui font 3000-4000 nouveaux titres importés le que 20% d’un livre marocain qui coûte plus d’une dizaine de livres par an», sont aujourd’hui au compte-gouttes, 50 DH», explique Bichr Bennani. Mais regrette Bichr Bennani, cofondateur de un ou deux exemplaires, alors que là encore, le scolaire domine. Tarik éditions. «dans les années 1970, il y avait une importation massive : 500 à Enfin, pas plus de dix librairies vivent Les tirages, en toutes langues, ont 1000 exemplaires». D’où ruptures aujourd’hui du livre culturel, et les fondu : «Il y a quelques années encore, de stock chez les distributeurs et bouquinistes, à l’origine d’un circuit du notre tirage moyen se situait entre répercussions sur le dynamisme du livre démocratique et très populaire, 3000 et 5000 exemplaires. Aujourd’hui, secteur marocain: «L’importation est sont en voie de disparition, car les on est plutôt entre 1000 et 2000 nécessaire», estime Bichr Bennani, qui ventes se sont effondrées. «Pour exemplaires», déplore Bichr Bennani. établit un lien direct entre la baisse des certains titres, il nous faudra cinq ou Du reste, le livre n’est plus du tout la importations et celle de la production six ans pour en vendre 500 ou 600 seule activité des imprimeurs. «Avant, locale : «De moins en moins d’offre, exemplaires !», déplore Bichr Bennani. il n’y avait que quelques imprimeries, donc moins de fréquentation des «Certaines publications fondamentales qui ne faisaient que du livre», se librairies, donc baisse des ventes». n’atteignent pas 200 exemplaires, souvient-il. «Aujourd’hui, il y a une Pourtant, les importations, faites par avant de disparaître totalement des vingtaine de bonnes imprimeries, de grandes et anciennes sociétés de librairies». Pour s’en sortir en effet, la mais aucune spécialisée dans le distribution (Sochepress, la Librairie plupart des librairies, toutes de petites livre». «Pour amortir les machines vu Nationale, la Librairie des Ecoles), structures, se sont mises à faire du le nombre limité de commandes en mais aussi par de nouvelles petites scolaire ou de la papeterie (parfois titres culturels», explique Hassan El structures, comme Chellah Livres jusqu’à 30% de leur chiffre d’affaire). Ouazzani, dans son enquête sur Le ou CDPS, n’ont cessé d’augmenter Pourtant, la dernière décennie a Secteur du livre au Maroc, état des depuis les années 1980 : son chiffre vu émerger quelques best-sellers, lieux et perspectives (Publications «s’est multiplié par dix», note Amina notamment Tazmamart, Cellule 10, du ministère de la Culture, 2006), Touzani, rendant le Maroc «dépendant d’Ahmed Marzouki (Tarik éditions, les imprimeurs se sont mis à faire à plus de 90 % de l’étranger, la France 2001), qui a atteint 60 000 exemplaires catalogues, dépliants, brochures, et le Moyen-Orient essentiellement», vendus en français et en traduction revues et journaux, travaux puisque les livres marocains n’arrivent arabe. Mais les succès restent très marginaux, au point qu’Ahmed Bouzfour a en 2004 refusé le grand prix Maroc du Livre pour dénoncer la faiblesse des ventes.

ABSENCE DE POLITIQUE DU LIVRE

Face à ce marasme, l’Etat, via le ministère de la culture, a brillé par son absence. Les rares initiatives étatiques se sont avérées insuffisantes ou inadaptées. Après trente ans de négligence de la lecture publique, les récentes ouvertures de bibliothèques et de médiathèques sont trop rares et ne portent pas encore leurs fruits. 90 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) Le livre en mal de formalisation

Quant au SIEL, de l’avis des éditeurs et des libraires, il n’a augmenter la sphère de diffusion et partager frais et pas permis d’accélérer les ventes. risques», explique Amina Touzani. Et surtout, le ministère de la culture joue parfois un rôle jugé L’imprimerie a connu un grand essor rappelle Hassan El néfaste par les professionnels. Sa politique de subventions Ouazzani, de 125 unités en 1974 à 426 unités en 2003. Son est vivement contestée. «Il faudrait donner des subventions chiffre d’affaires a nettement augmenté (2328 millions pour s’équiper aux libraires plutôt qu’à l’éditeur, qui, lui, de dirhams en 2002, 2551 millions de dirhams en 2003), doit assumer le risque», estime Bichr Bennani. Si Hassan de même que les investissements (4% en 2002, 33% en Najmi, directeur du département du Livre, est conscient 2003, avec 176 millions de dirhams), ce qui a permis de des limites de la subvention actuelle, rien n’a encore été moderniser les machines. Mais le secteur manque toujours, fait pour y remédier. Le fait que le ministère de la Culture selon Amina Touzani, de personnel suffisamment qualifié. s’improvise éditeur et publie des livres avec les fonds publics Et surtout, ce développement s’est fait en accentuant les est également brocardé : les professionnels critiquent la disparités régionales : depuis 1974, l’axe Rabat-Casablanca médiocrité des ouvrages publiés et déplorent le manque regroupe 94% des imprimeries, rappelle Hassan El d’encouragement aux éditeurs. Ouazzani. Idem dans la distribution, où l’absence de Par contre, ce qui incombe au ministère de la culture n’est couverture du monde rural n’a pas été endiguée. Pas de quoi pas fait : il n’a jamais fourni des statistiques fiables sur soutenir la création d’un marché à l’échelle nationale. l’activité réelle de l’ensemble du secteur, ce qui est vécu comme un frein : «L’éditeur ne dispose d’aucune donnée objective qui lui permet d’évaluer le marché et de faire des AUJOURD’HUI, IL Y A UNE prévisions», déplore Amina Touzani. Et surtout, en trente VINGTAINE DE BONNES ans, l’Etat ne s’est jamais fendu d’une législation appropriée pour encadrer le secteur et lui permettre de se développer IMPRIMERIES, MAIS sainement. AUCUNE SPÉCIALISÉE DIFFICILE PROFESSIONNALISATION DANS LE LIVRE Cette situation a largement nui à la professionnalisation du secteur. Les maisons d’édition, qui se sont créées à partir de la fin des années 1970, surtout à partir des années 1980, Enfin, la librairie s’est terriblement affaiblie ces dernières ont gardé un fonctionnement profondément artisanal, années. Dès les années 1990, et surtout après 2000, les voire amateur. «Ici, c’est plus sentimental, moins structuré créations ont régressé. «Entre 1980 et 2010, il n’y a pas eu qu’en France», confie Marie-Louise Belarbi, militante du l’ouverture de 10 librairies, alors qu’à Barcelone, ils en ont livre depuis plus de trente ans et cofondatrice de la librairie récemment ouvert 10 en 2 ans», regrette Bichr Bennani. Carrefour des Livres puis de Tarik éditions. Elle constate La tendance est à la fermeture et à la stagnation : «Les qu’«il y a beaucoup de gens qui ne sont pas du métier». librairies se reconvertissent en café-snack ou glaciers, Faute de moyens, ces sociétés n’ont pas pu développer de laissant des villes même universitaires comme Béni Mellal, pôles distincts pour prendre en charge la direction littéraire, Settat, El Jadida, etc., de 200 à 300 000 habitants sans une les aspects techniques, et commerciaux : l’éditeur est resté seule librairie !». La formation a longtemps été un problème un homme orchestre qui assume toutes les fonctions. : jusqu’en 1995, les libraires n’avaient aucune formation Hassan El Ouazzani relève qu’un quart seulement des spécifique pour renouveler les rayons, organiser des éditeurs interrogés déclare avoir un directeur littéraire, mais expositions thématiques, faire de l’animation et surtout du si 75% déclarent avoir un comité de lecture, «leur travail conseil. Marie-Louise Belarbi se souvient : «Quand je suis est inefficace vu la non clarté de leur organisation et des arrivée au Maroc, j’ai été horrifiée de voir le fonctionnement modalités de leur fonctionnement». 5% seulement ont un des librairies: les portes étaient toujours fermées, on vous attaché de presse. Bichr Bennani regrette également la disait de ne pas toucher aux livres !» La création de filières baisse de la prise de risque dans le métier : «Certains ne métiers du livre dans les universités à Rabat et Casablanca publient des livres que s’ils ont une subvention». Depuis les est encore trop récente pour qu’on en ressente les effets. années 1980, la pratique de la coédition, essentiellement S’il y a eu quelques progrès au niveau de l’animation, cela avec des sociétés étrangères, s’est répandue «pour reste encore trop rare et trop irrégulier. Pour Bichr Bennani, LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 91

«il faudrait que les librairies aient Phénomène accentué par la faible commande, le paiement du solde à la quelqu’un qui ne fasse que ça. Or, introduction des nouvelles technologies livraison, la publicité, l’obtention des personne n’en a les moyens». Pour aux différents niveaux, ce qui fait de commandes… Selon Amina Touzani, pallier l’effondrement des librairies, l’information une denrée rare. Hassan cela concerne «80% des publications Sochepress et les éditions Le Fennec El Ouazzani note que, faute de moyens, chez des éditeurs marocains et se sont mises à distribuer, depuis 2003, seuls 30% des éditeurs interrogés non des moins respectables», qui des livres de poche à 10 DH en kiosque, ont un site internet, et pas plus de «omettent en général de mentionner où l’on trouvait surtout des ouvrages 65% publient leur catalogue. «Il n’y a le fait sur l’ouvrage lui-même». Autre à compte d’auteur. Depuis quelques pas dix librairies qui se sont mises à pratique en vogue : le compte d’auteur années, les grandes surfaces vendent internet», constate Bichr Bennani. Pas déguisé. Plusieurs sociétés d’édition aussi des livres. Enfin, la librairie en dix abonnés à Electre, qui propose un récemment créées ne publient que les ligne a fait son apparition avec, depuis catalogue d’un million de références, œuvres de leur fondateur, qu’ils n’ont 2009, www.livremoi.ma ; mais cette la possibilité de passer commande et sans doute pas pu faire éditer selon société ne propose quasiment pas de de gérer les stocks, ni à Livre Hebdo, le circuit normal... De même, l’auto- livres édités au Maroc (lire p.92). magazine professionnel sur l’actualité distribution se répand. Hassan El du secteur. Electre et Livre Hebdo sont Ouazzani y voit le corollaire de l’édition Et surtout, depuis trente ans, il des produits français, dont il n’existe à compte d’auteur, mais elle est aussi manque toujours un maillon essentiel aucun équivalent arabe, ni marocain. pratiquée par 40% des éditeurs, pour de la chaîne du livre, le diffuseur. «Le Là non plus, aucune initiative n’est réduire leurs charges. diffuseur se charge de la promotion venue pallier ce manque. Enfin, Ces pratiques supposent un manque du livre auprès des libraires bien avant aucune association de professionnels de confiance généralisé qui dissuade la sortie et la mise en distribution. Ça n’a réussi à unifier le secteur, ce qui nombre d’écrivains de publier au permet de jouer sur les tirages et de les laisse dispersés et incapables de Maroc. Faute d’une législation faire des précommandes», explique défendre leurs intérêts. adéquate qui encadre et protège le Bichr Bennani. Cette absence est secteur, cette situation risque de regrettée par tous les professionnels, TENDANCE À L’INFORMEL mettre le point final à l’aventure du car elle empêche leur coordination. livre marocain… Ce qui s’est développé en revanche, ce sont des pratiques de contournement, faisant plonger une grande partie du secteur dans l’informel. Les maisons d’éditions ne produisaient entre 2002 et 2004 que 30,73% des livres parus, notait Hassan El Ouazzani. Or, la multiplication d’acteurs non professionnels (départements officiels, entreprises privées, associations, etc.) n’est pas une garantie de qualité. L’autoédition, surtout en arabe, a explosé : près du tiers de la production entre 2002 et 2004. En fait, beaucoup plus, puisque certaines maisons d’édition pratiquent du faux compte d’auteur, en imposant à l’auteur de prendre en charge l’avance à l’imprimeur au moment de la 92 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) CAS D’ENTREPRISE LIVREMOI.MA À TEMPS ET EN DIRHAMS

C’EST EN CHERCHANT À RÉCONCILIER SA PASSION POUR LES LIVRES, LES ENSEIGNEMENTS TIRÉS DE SON MBA À BERKELEY ET SON ENGOUEMENT POUR INTERNET, QUE MATHIEU MALAN A IMAGINÉ CRÉER AU MAROC UNE NOUVELLE STRUCTURE DE DISTRIBUTION DE LIVRES SUR INTERNET : LIVREMOI.MA

Par Caroline Minialai, Enseignant chercheur, Cesem-Hem

ivremoi.ma, cette SARL au capital de LE MAROC EST UN MARCHÉ L 10.000 dirhams, a vu le jour en mai 2009 après une phase DÉCEVANT QUE LES SPÉCIALIS- préparatoire qui a abouti à la rédaction TES NE COMPRENNENT PAS du business plan. Le leitmotiv des deux fondateurs (Caroline Dalimier est associée au projet dès le départ) est particularités auraient pu arrêter particuliers et d’institutionnels. le suivant : «Il n’y a pas de raison pour nos créateurs, mais au contraire, Les particuliers commandent sur que l’on trouve si peu de livres et de ils considèrent que la demande internet et paient par carte, alors que lecteurs dans un pays de 30 millions existe et que l’offre est insuffisante les institutionnels (établissements d’habitants en pleine croissance». et qu’ils peuvent donc se lancer sur scolaires, entreprises, instituts de Pourtant, ce sont justement les la distribution via internet sans être formation…) commandent souvent en particularités et le manque de dangereusement concurrencés ; direct. visibilité du marché marocain qui une situation de monopole au moins Le positionnement de Livremoi.ma est freinent les grands acteurs du secteur temporaire, sécurisante dans la phase clair : «Nous trouvons les livres qu’on tels que le Fnac.com ou Amazon.com. de démarrage. ne trouve pas et nous garantissons «J’ai appelé Google et Amazon pour un délai de livraison», deux axes que savoir pourquoi ils ne s’intéressaient QUEL AVANTAGE les libraires locaux délaissent pour se pas au Maroc, et ils invoquent le CONCURRENTIEL POUR concentrer sur la librairie scolaire et contrôle des changes et les problèmes LIVREMOI.MA ? la littérature de base. liés à la livraison internationale», Pour satisfaire une clientèle rappelle Mathieu Malan. Quant aux Sur un marché très étroit, le exigeante, Livremoi.ma a signé spécialistes de l’édition francophone, positionnement est stratégique et deux partenariats stratégiques : le «le Maroc est un marché décevant doit donc être très réfléchi. Livremoi. premier avec un prestataire français qu’ils ne comprennent pas». Ces ma s’adresse à une clientèle de qui édite un catalogue d’un million LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 93

de titres alimenté par les éditeurs entreprises culturelles ont été eux-mêmes, et le deuxième avec créés pour accroître le trafic sur Maroc Télécommerce pour le le site, l’animation d’un blog est à paiement sécurisé en ligne par carte l’étude, de même que la vente d’une de crédit. Reste la problématique bannière publicitaire qui «permettrait logistique qui va permettre de garantir de couvrir les frais fixes». Mais là le délai de 4 semaines promis par le encore, Livremoi.ma est en avance site. Là, les fondateurs doivent faire sur son marché puisqu’au Maroc preuve de souplesse et de créativité «la régie publicitaire sur internet est puisque l’activité, même à ses débuts, embryonnaire». nécessite de deux à trois livraisons par mois. Les circuits traditionnels LE BUSINESS-MODEL EST-IL de logistique ne sont rentables qu’à RENTABLE ? partir de 100kg de marchandises et ce afin d’amortir les frais fixes de «Je ne connais pas de libraire qui soit chaque livraison, et finalement il est millionnaire. C’est une passion, tant souvent beaucoup plus efficace d’aller mieux si on en vit». Les marges dans directement en France chercher le secteur restent faibles (autour de les ouvrages nécessaires. «Avec le 5%), et il faut atteindre une certaine élargie en intégrant directement sur low-cost en dessous d’un certain taille et donc un certain volume de le site des éditions locales d’ouvrages poids à transporter, c’est moins cher transactions pour pouvoir prétendre non intégrées au catalogue français. de faire un aller-retour en avion que avoir un objectif de rentabilité. La de payer un transport régulier». logique financière de l’entreprise est Des projets, Caroline Dalimier et Se fournir directement auprès des pour l’instant une logique de survie Mathieu Malan en ont plein leur sac. grossistes marocains n’est pas une et plusieurs fois les fondateurs ont La librairie en ligne ne «remplacera solution qui est envisagée car «la dû puiser dans leurs réserves pour jamais la librairie physique», les deux seule impression que j’ai est que je remettre des fonds dans l’aventure, types de distribution sont au contraire ne serai pas livré dans les délais». Et le financement initial ayant pour complémentaires et il serait judicieux le délai de livraison, c’est l’avantage origine exclusive leurs économies. Les de travailler à créer des synergies. concurrentiel clé ! investissements comme les frais fixes Mais sur le marché marocain, internet sont pourtant au plus bas : n’intéresse pas encore les libraires : UNE STRATÉGIE DE la formation d’ingénieur d’un des «on est face à des industries qui n’ont COMMUNICATION ET DE créateur lui a permis de développer pas évolué», le livre doit être mis en MARKETING POUR ASSURER la plateforme technique du site en avant, montré. «Le texte est aussi un L’AVENIR utilisant des logiciels open source, signe extérieur», et la bibliothèque les visuels ont été conçus par un ami idéale aura peut être bientôt sa place Une des questions qui se pose publicitaire, l’infographie est réalisée dans les intérieurs marocains. aujourd’hui à cette entreprise en en interne, il n’y a pas de salariés, pas D’ici quelques mois, Livremoi.ma devenir est celle de sa stratégie de de locaux. aura bouclé son premier exercice communication et de marketing qui Comme tous les libraires, Livremoi. comptable, ses premiers chiffres donnera au site une plus grande ma achète auprès de grossistes et seront disponibles et l’entreprise visibilité et qui permettra d’augmenter bénéficie d’une marge arrière par pourra alors bénéficier de conditions le chiffre d’affaires, celui-ci devrait rapport au prix public, mais pour de paiement plus avantageuses atteindre pour la première année améliorer les marges brutes : et même peut-être solliciter des d’activité un demi-million de dirhams. «l’idée est de remonter au-delà financements extérieurs. Mais Dans ce domaine, le e-marketing et des grossistes directement auprès «c’est quand même dangereux, la e-communication sont essentiels. des distributeurs. Là les marges un actionnaire», et même si des Ainsi une page Facebook a été augmentent de 10%». De même, la investisseurs ont été sollicités sans lancée : elle permet de faire vivre rentabilité pourrait être améliorée succès au départ, aujourd’hui la des discussions et d’envoyer à des grâce à des partenariats avec de décision d’ouvrir le capital n’a pas «amis» une newsletter mensuelle jeunes libraires locaux permettant été prise, loin s’en faut ! La passion mettant en valeur certains ouvrages. d’optimiser les coûts logistiques et les reste à ce stade le moteur principal de Des échanges de liens avec d’autres catalogues. Enfin, l’offre pourrait être Livremoi.ma. 94 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) ZOOM SECTORIEL LE BOOM DES ENTREPRISES DE LA MUSIQUE DEPUIS 2000, UNE NOUVELLE GÉNÉRATION D’ENTREPRISES DE MUSIQUE A VU LE JOUR. LES FONCTIONS DES STRUCTURES ONT MUTÉ POUR ACCOMPAGNER UN NOUVEAU CONTEXTE SOCIOCULTUREL ET MÉDIATIQUE ET POUR FAVORISER LA MONTÉE EN PUISSANCE DE GROUPES MUSICAUX AUX AMBITIONS INTERNATIONALES.

Par Amel Abou el aazm, spécialiste du domaine culturel au Maroc & Myriem Khrouz, journaliste

ctuellement, le société qui se questionne, participe secteur de la musique UNE NOUVELLE de cette évolution. Quelles sont les A au Maroc est en GÉNÉRATION manifestations de ces mutations ? pleine restructuration et ébullition. Comment les entreprises de la Autour des Najat Aatabou, Bigg, D’ARTISTES musique y font-elles face ? Quelles Daoudi, Hoba-Hoba Spirit, Rouicha en sont les conséquences sur leur et H-Kayne… (icônes musicales REVENDIQUE mode de gestion ? Induisent-elles marocaines toutes tendances la création de nouvelles formes confondues), gravitent des managers, SON PROPRE d’entreprises culturelles ? Quelles producteurs, distributeurs, LABEL sont ces entreprises aujourd’hui ? journalistes, organisateurs de Comment fonctionnent-elles et festivals…. Différents acteurs de la comment se portent-elles ? A quoi gestion musicale qui, au côté ou au doivent redéfinir leur management. correspond, en fin de compte, sein des entreprises de la musique, Les entreprises qui existaient, et les l’ébullition musicale actuelle ? structurent désormais cet espace. plus récentes, gèrent désormais les Au cœur de leurs actions se trouvent maillons successifs de la chaîne de MUTATIONS D’UN SECTEUR la gestion de l’artiste, la production l’industrie musicale et évoluent selon SUR LA DURÉE et la distribution de ses albums, des règles différentes. Mondialisation, l’organisation de ses concerts, la libéralisation, nouvelles technologies Après la génération «Jil Jilala - Nass promotion de son image et… la et ouverture politique du pays ont El Ghiwane» et son foisonnement, défense de ses droits et intérêts, modifié cette économie naissante. La les entreprises de la musique idéalement en tous cas. Aujourd’hui, volonté des artistes, comme du public, (structures embryonnaires) ont dû au Maroc, ces entreprises qui de redéfinir et de se réapproprier une faire face à une crise dans la création évoluent dans un contexte nouveau, identité musicale marocaine, dans une et la production musicale, à l’image LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 95

d’une identité culturelle mise à des relais médiatiques que sont les doit obligatoirement s’adapter et mal. La chanson marocaine s’est soirées télévisées (Les «saharates redéfinir de nouveaux modes de caractérisée pendant de nombreuses faniyates») et les ondes uniques de la gestion et de management. D’autant années par l’imitation de modèles radio RTM. plus que la nouvelle scène musicale occidentaux ou orientaux. La création Dans les années 80 et 90, l’offre et partage avec son public l’envie et le s’est inscrite dans des circuits où la demande musicales s’équilibrent besoin de se réapproprier la chanson l’artiste et sa production n’avaient plus ou moins, les entreprises de marocaine et de redéfinir son identité la musique y répondent. A partir musicale. Des entreprises de la des années 2000, le CD, nouveau musique sont créées, souvent par les support de musique, fait son artistes eux-mêmes, avec l’objectif de apparition, et chamboule l’ordre promouvoir la musique marocaine et établi en provoquant le piratage qui les nouveaux talents. «Lof Music» par oblige les entreprises à chercher de Oum, «Funky Noise» par DJ Key, ou nouvelles ressources et à réorienter encore «H-Kayne production» et «Don leurs activités. Trafics et magouilles Bigg Family Productions», sont autant prennent de l’ampleur dans les d’exemples d’artistes qui se prennent pratiques de cet univers de la musique en main et font le pari de gérer qui reste essentiellement illégal. eux-mêmes leurs productions, leurs distributions et finalement leur produit Autres chamboulements qui et leur image. Avec pour objectif aussi impactent l’activité des entreprises d’en faire bénéficier d’autres artistes de la musique : le bouillonnement quand ils le peuvent. médiatique, l’apparition d’internet et des NTIC, l’explosion des festivals UNE NOUVELLE VAGUE DE et, aussi et surtout ,les nouvelles PROFESSIONNALISATION attentes du public avide d’un produit qui lui parle. L’ouverture politique «Le secteur de l’industrie musicale du pays permet en effet l’apparition commence à émerger avec les d’une nouvelle génération de supports nouveaux mouvements musicaux, pas d’autre valeur que commerciale. écrits (Telquel, Le Journal, Al Jarida les groupes professionnalisent le La musique (populaire, chaâbi, al oula, Nichane…), la libéralisation domaine» constate Bigg, qui vient de amazigh, traditionnelle, moderne) des ondes en 2006 puis en 2009, le créer son propre label. Ces artistes était perçue comme un business, et développement d’Internet et des ont fait le choix de mettre sur pied leur gérée comme tel par ses producteurs NTIC… De nouveaux canaux de entreprise musicale, sur leurs propres et ses managers. «Dans l’industrie communication sont à la disposition fonds : un pari bien audacieux dans un musicale populaire, les producteurs des entreprises musicales. On assiste secteur particulièrement sinistré, que profitent beaucoup de l’artiste. dans la même période à l’évolution le piratage et les lacunes législatives Par exemple, lors des festivals exponentielle de festivals, produits par handicapent. Si ce constat est vrai traditionnels un groupe d’ahwash des entreprises de services qui font de ladite nouvelle scène musicale de 30 à 50 artistes peut toucher un leur apparition dans le circuit : marocaine, il est aussi valable pour cachet de 2000 dhs seulement ! En les fameuses «boîtes de com’» et les des artistes de l’ancienne génération plus, comme ces artistes ne sont ni professionnels de l’événementiel, qui évoluaient jusque-là dans des «9aryyne», ni «wa3yne», ils signent grands gagnants de l’évolution du circuits traditionnels : «Dans un des contrats à vie», explique Foulane, secteur musical. Ces événements secteur qui marche aussi peu, où les artiste amazigh à cheval entre changent la donne : ils révèlent de marges sont si petites et l’équilibre musique traditionnelle et nouvelle nouveaux artistes qui donnent un difficile, autant avoir sa propre scène. Pendant des années, le rôle de souffle à la création musicale et structure», nous explique l’artiste l’entreprise consiste à enregistrer les permettent au public de réinvestir amazigh Rouicha, également PDG artistes, produire leurs cassettes, et l’espace public. depuis un an et demi de «Master 1 les écouler dans les circuits «Souks/ production». Cette tendance répond à médinas/ boutiques». Dans le meilleur L’économie classique de la musique la volonté des artistes et des nouveaux des cas, elle peut espérer bénéficier marocaine est court-circuitée, elle professionnels de la musique de se 96 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) Le boom des entreprises de la musique

battre pour la reconnaissance de n’aurait-il pas droit à un CD aux et colmate les brèches, ces l’artiste et de s’adapter au contexte normes européennes qui utilise les manifestations ne permettent pas actuel du marché de la musique. Les mêmes technologies ? Une nouvelle pour autant la stabilité du secteur activités de ces entreprises tournent génération d’artistes, d’entrepreneurs musical : «Bien que les festivals aient essentiellement autour de deux axes : et de public est là, et aimerait avoir répondu à un besoin à court terme, le booking et la communication. un produit propre», explique Nabil, il est urgent de passer à des actions Elles restent très précaires et ne directeur commercial de Fassiphone. plus structurantes, qui s’inscrivent parviennent à trouver un équilibre que Autre nouvel élément dans cette dans la durée», s’impatiente Mehdi par la diversification de leurs activités donne, l’apparition récente d’un Benslim, directeur général de Clic (ex. : Platinium Music - cf. encadré nouvel acteur, et non des moindres, Agency. Des besoins fondamentaux continuent de faire cruellement défaut : des infrastructures culturelles (salles LES ENTREPRISES QUI de concerts, studios, locaux de ÉVOLUENT DANS UN CONTEXTE répétitions) et une formation adaptée, des producteurs en nombre suffisant, NOUVEAU DOIVENT REDÉFINIR des fonds injectés durablement, une réelle consommation du produit LEUR MANAGEMENT musical, un cadre législatif clair et en particulier la redéfinition du -), ou dans le cas des artistes-chefs amené à s’impliquer - enfin - dans la statut et des mesures concrètes et d’entreprises culturelles en sacrifiant production musicale : l’Etat. En effet, appliquées contre le piratage. «Il le gain en argent au profit d’un gain le ministère de la culture a voté en faudrait des mesures et des vraies en image : «Quand tu es artiste, janvier 2009 une loi qui crée un fonds sanctions. C’est un problème qui tu peux sacrifier sur le financier de soutien à la production musicale. ne peut être réglé qu’au niveau car tu travailles ton image et ton Longtemps absent du secteur du parlement», réclame Rouicha. existence, et le gain peut être en musical, l’Etat ne soutenait la chanson Même constat général pour Mehdi notoriété. On n’est plus dans des marocaine que par les conservatoires, Benslim : «Il n’y a pas d’industrie enjeux de rentabilité. On se bat pour dont les moyens étaient limités, et musicale, car une industrie ne peut la présence», explique Rouicha. Le où l’on n’enseignait que la musique exister sans encadrement politique CD, dont la non-rentabilité n’est plus classique (occidentale et orientale), et législatif». Le modèle économique à prouver, devient un élément de ou par l’organisation de festivals de l’industrie de la musique est promotion et de marketing. L’enjeu de musique traditionnelle et d’arts certes en mutation et puise dans la n’est plus de gagner de l’argent par populaires : «S’il n’a pas été facile de diversité des musiques marocaines, le CD mais de promouvoir l’image de mettre en place une véritable politique mais reste embryonnaire. L’artiste l’artiste. Les sources traditionnelles de soutien directe à la production, il et les professionnels n’en vivent de revenus de ces entreprises (vente faut aujourd’hui aller directement vers toujours pas. Par ailleurs, ce modèle de CD et de K7) sont dépassées et les groupes de jeunes et mettre à leur économique ne pourrait exister obligent à trouver d’autres activités. disposition des fonds pour les aider sans toute la dynamique culturelle à se produire», explique Mohamed identitaire et sociale actuelle. Modèle Aujourd’hui, deux types de Achaari (ministre de la culture de qui repose sur un public, certes avide structures et de modes de gestion 1998à 2008). d’expression et de divertissement, musicale se côtoient, même si des mais mauvais-consommateur, collaborations se mettent parfois en Toutes ces mutations ne suffisent et sur des bailleurs qui financent place («Fassiphone» distribue Oum, pourtant pas à répondre aux ponctuellement des événements «Box Music» l’a fait pour Darga, et différents besoins nécessaires au sans permettre de disposer de Platinium pour Aamouri Mbarek) bon fonctionnement des entreprises réels moyens à long terme… et qui et qu’un effort de modernisation de la musique (et du secteur dans répondent malheureusement trop est réalisé par les plus anciens. son ensemble). Si l’engouement qui souvent à d’autres considérations que «Il fallait moderniser les choses. entoure les festivals est réel - son rôle celles du secteur musical. Pourquoi le consommateur marocain de vitrine touristique rempli -, LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 97

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) CAS D’ENTREPRISE PLATINIUM, PRAGMATIQUE JUSQU’AU BOUT CONSIDÉRÉE COMME LA PREMIÈRE ENTREPRISE MODERNE DE PRODUCTION ET DIFFUSION MUSICALE AU MAROC, PLATINIUM NAVIGUE ENTRE LES CONTRAINTES DE PRIX ET DE DISTRIBUTION ET LES BESOINS DE NOTORIÉTÉ. VOICI COMMENT L’ENTREPRISE S’EN SORT.

Par Amel Abou et aazm spécialiste du domaine culturel au Maroc & Myriem Khrouz, journaliste

réée en 2003, mais une distribution illégale. Une des la préservation d’un patrimoine qui C officiellement premières aussi à avoir saisi le n’obéit pas forcément aux mêmes opérationnelle en potentiel de la «nouvelle» scène règles du marché. 2004, Platinium Music, installée urbaine marocaine/casablancaise dès à Casablanca, est une maison de ses débuts. Liée par une licence avec Universal disques, de production, d’édition et Music France et Emi Music Arabia, de distribution musicale. Dès son CHOIX D’ARTISTES PRUDENT cela leur permet d’avancer dans ouverture, la structure insiste sur ET POINTS DE VENTE leur catalogue l’honorable chiffre sa dimension militante : «Depuis DIVERSIFIÉS de 360 albums. Comme dans le le premier jour, le but de Platinium Music est d’aider les jeunes talents H-Kayne, Amarg Fusion, Ahmed et de lutter contre le piratage» Soultan, Nabyla Maan, Fnaïre, explique Assi Najmi, directrice certains grands noms de la «Nayda» artistique et production. But qui mais aussi des «classiques» de la est par ailleurs un vaste chantier musique marocaine comme Nass national dans l’air du temps et dans El Ghiwane, Najat Aatabou, Malek, lequel s’inscrit un certain nombre Amouri Mbarek, sont sur le tableau de d’acteurs. «Maison de disque n°1» au chasse de la maison… Une sélection Maroc, elle est en tout cas la première artistique «prudente» qui fait dire à à avoir fait le pari d’instaurer un certains que Platinium Music a fait le circuit de distribution différent des choix facile des artistes commerciaux. structures traditionnelles, après Pourtant, la production de l’album trente années de production nationale «Kssat Tager» des «Abidate R’ma» orientée quasi-exclusivement vers est un pari plus audacieux qui le commercial et reposant sur exprime la volonté de participer à 98 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) Platinium, pragmatique jusqu’au bout

choix de leurs artistes (traditionnels et modernes), leur réseau de distribution comprend les circuits «Souks-Medinas» sur l’ensemble du pays, mais aussi des points de vente novateurs avec l’antenne casablancaise de Virgin, les stations Ifrikiya, les hypermarchés dans tout le pays, ainsi que les supermarchés Label Vie pour Casablanca - Rabat - Salé, Comarit et les boutiques des aéroports. Des initiatives qui visent à mettre en place un réseau efficace et tentent de lutter contre le fléau du piratage.

RECOURS FORCÉ AU LE PRIX DU CD PASSE DE 50 DH, SPONSORING ET À À 30 PUIS 13 DH, C’EST LE MÊME L’ÉVÉNEMENTIEL PRIX QU’UN CD PIRATÉ Force est de constater que «cette révolution» n’est pas encore gagnée malgré les efforts financiers réalisés 1 directrice commerciale, 1 à Platinium Music (lequel avait pris par Platinium Music. «Après avoir responsable « B to B », 1 responsable en charge les frais de production sorti un produit fini dont les frais événementiel. A l’actif du nouveau de leur 2ème album «HK 1426»). d’enregistrement, de mixage et de département : la tournée «clé en Visiblement pas satisfaits de leur mastering coûtent très cher, on main» Attijariwafabank, celle de la collaboration avec le producteur, et est piraté à Derb Ghallef», regrette caravane «1200 ans d’histoire du sans doute pour rester indépendants, Assia Najmi. Un bilan très modeste Maroc»... Au secours de «la maison les membres du groupe ont «préféré donc : «On arrive à peine à vendre de disques n°1», mise à mal par le faire des économies sur les cachets 2000 CD correctement». Face à ces capricieux marché de la musique des concerts et rester propriétaires difficultés, le sponsoring de grandes marocaine, s’ajoutent le booking de [leurs] chansons pour cet album», entreprises (Coca-Cola, Akwa Group, et le management depuis un an et explique Othmane. Méditel) devient indispensable. Pour demi. «Le CD est juste un moyen de les mêmes raisons, le prix du CD est communication et de promotion de Le challenge d’établir un contrat win/ passé de 50 dhs, à 30, puis 13 dhs. l’artiste, c’est la scène le vrai gagne- win et un lien de confiance artiste/ «C’est le même prix qu’un CD piraté», pain pour le producteur et l’artiste, producteur au Maroc serait-il si déplore Assia, qui regrette aussi que sinon on ne gagne rien, ce qui marche difficile à atteindre ? Pas facile de le support du disque ait été sacrifié. actuellement, c’est l’événementiel». mettre en pratique le beau et noble Le box avec livret est troqué contre C’est à cette conclusion qu’en est slogan qu’on peut lire sur la page une simple pochette cartonnée. arrivée la structure au bout de six ans d’accueil de leur site internet www. d’existence. Côté distribution, le bilan platinium-music.com : «Le Maroc est Malgré ces mesures, cela reste semble donc mitigé. Quid de l’autre un pays riche en création : insuffisant et la jeune boîte se voit objectif, celui d’aider les artistes et nous souhaitons promouvoir sa dans l’obligation de diversifier les jeunes talents ? Côté artistes, le musique». Souhaiter est un premier ses activités en créant en 2008 groupe H-Kayne par exemple a choisi pas, mais dans le contexte de un département «événementiel» pour son 3ème album «Hkaynology» l’industrie musicale marocaine, c’est auquel est consacré l’essentiel (sorti en 2009) de ne pas renouveler visiblement plus compliqué que cela. du personnel : 4 commerciaux, le contrat de production qui les liait Et beaucoup s’y cassent les dents… LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 99

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) ZOOM SECTORIEL LA PEINTURE : DES PASSIONNÉS AUX BUSINESSMEN L’HISTOIRE ET L’ÉVOLUTION DU SECTEUR DES ARTS PLASTIQUES S’EST FAITE EN DENTS DE SCIE, PONCTUÉE PAR L’ENTRÉE EN JEU D’ACTEURS ÉCONOMIQUES DE TAILLES ET DE NATURES DIFFÉRENTES : GALERIES DE MORDUS, FONDATIONS BANCAIRES EN ÉMULATION, SALLES DE VENTES AUX ENCHÈRES PUIS RENOUVEAU DES GALERIES

Par Laetitia Grotti Journaliste, Cesem - Hem

e l’Indépendance à nos où ils peuvent donner à voir leurs jours, la situation de œuvres. Quelques galeries ont, depuis D l’artiste plasticien a la fin des années 40, pignon sur rue, à beaucoup changé. Entre un Jilali l’instar du Savouroux ou de la galerie Gharbaoui, retrouvé mort en 1970 à 41 Derch, mais leur choix «éditoriaux» ans sur un banc parisien, et un Mahi se portent essentiellement sur les Binebine exportant son art de son orientalistes (à l’exception notable vivant aux quatre coins du monde, de Venise Cadre, créée en 1948). «Il que s’est-il passé pour expliquer la y avait bel et bien une proposition frénésie qui semble s’être emparée d’œuvres d’art, explique Aziz Daki du marché de l’art marocain ? Depuis - critique d’art devenu aujourd’hui 2002, cinq maisons de ventes aux travail mené, au fil des générations, copropriétaire de la galerie enchères ont été créées à Casablanca, par des hommes et des femmes L’ Atelier 21 à Casablanca - mais elle ville qui compte dorénavant qui ont permis l’existence puis une marginalisait les artistes marocains» près d’une quinzaine de galeries professionnalisation croissante de qui, en guise de repli, investissent d’art. Tous les mois, de nouvelles tout un marché. Explications. les halls d’hôtels, les cafés et les expositions sont visibles dans les librairies. Reste que si l’offre est principales villes du royaume. Un 60 -70’S : essentiellement orientaliste, la musée d’art contemporain devrait DES ARTISTES ENGAGÉS…. demande l’est aussi, «A l’époque, être inauguré dans les prochaines les acheteurs sont principalement années…Pourtant, loin d’être Il faut attendre les années 70 pour les juifs et les chrétiens du Maroc, l’aboutissement de politiques que les peintres Marocains sortent de une clientèle qui achète surtout des publiques volontaristes, l’intensité la marginalisation dans laquelle ils orientalistes» assure Aziz Daki. Face de la période actuelle semblerait sont cloisonnés. Jusqu’alors, rares à l’absence de circuit, les artistes être le fruit d’un long et patient sont les lieux dédiés à la peinture décident alors de «se prendre 100 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) La peinture : des passionnés aux businessmen

en charge» eux-mêmes. La plupart ont effectué leur encore Farid Belkahia, éditées sous forme de livrets en formation à l’étranger (Paris, Varsovie, Rome, 1960 ne sont pas des productions nationales mais sont New-York…), et présentent une peinture moderne qui le fait…de Gaston Diehl, diplômé de l’Institut d’Art en s’arrime aux avant-gardes occidentales. Ils récusent archéologie et de l’Ecole du Louvre, alors attaché culturel les préjugés occidentaux selon lesquels les peintres au Maroc et qui s’était donné pour vocation de faire marocains ne seraient bons que dans les arts ethniques. connaître la création contemporaine dans les pays où il était en poste. «C’est par leur qualité que les peintres Au début des années 60, le trio Belkahia, Melehi et marocains vont créer un marché, avance Aziz Daki. On Chebâa, alors jeunes enseignants aux Beaux-arts de peut dire que ce sont les peintres marocains qui ont fait Casablanca, ne va pas hésiter à secouer le cocotier les acheteurs marocains car dès le début des années des valeurs esthétiques désuètes. D’abord au niveau 70, aux patronymes juifs ou chrétiens se succèdent des de l’enseignement. Comme le rappelle l’historienne et patronymes musulmans». critique d’art Toni Maraini1, témoin privilégié de cette époque, «En poste depuis deux ans à la direction des …AUX GALERIES MILITANTES DES 70’S Beaux-arts de Casablanca, Farid Belkahia voulait changer radicalement cette école qui datait du Protectorat. Les 1968 a soufflé sur le monde et les années 70 sont celles matières qui y étaient enseignées étaient classiques, des engagements politiques, des prises de position, c’est-à-dire académiques et occidentales. Il a voulu créer des oppositions. Le Maroc n’y échappe pas : des une nouvelle équipe tout de suite. C’est ainsi que je suis revues comme Souffles, Lamalif s’engagent de plus devenue professeur d’art, Mohamed Melehi, professeur en plus dans la cité où les artistes, poètes, peintres, de peinture et Mohamed Chebâa, enseignant des arts intellectuels considèrent qu’ils ont leur mot à dire. Il en graphiques». Mais loin de s’arrêter là, le groupe des est de même pour les galeries qui se créent et qui vont nouveaux peintres a fait peu après une déclaration que tenter d’afficher leurs convictions esthétiques. Les deux l’on peut considérer comme un manifeste. On y trouvait premières, La découverte (Josy Berrada, sa fondatrice, stigmatisées les carences des galeries, de l’aide à est celle qui a lancé Gharbaoui) et L’œil vont rapidement l’enseignement et des lieux de formation. En 1966, ils fermer (cette dernière sera reprise dans les années organisent eux-mêmes une exposition qui fera date à 80 par Abderrahmane Seghrini, un des plus grands Bab El Rouah. Pour Toni Maraini, celle-ci représentait collectionneurs du pays). Il faut attendre 1971 pour qu’une «une grande nouveauté, avec un accrochage normal, galerie marque de son empreinte, deux décennies durant, c’est-à-dire moderne, avec un espace autour des toiles, ce le domaine des arts contemporains : L’Atelier, créée par qui était tout l’opposé du Salon de printemps où les toiles Pauline de Mazières, rejointe deux ans plus tard par Sylvie étaient juxtaposées les unes aux autres». Pour s’élever Belhassan. Leur objectif est clair : exposer des peintres du contre ce dernier événement, le petit groupe d’artistes formule l’idée d’amener l’art dans les espaces publics et «fomente» le 9 mai 1969, une exposition-manifeste sur la DEPUIS 2002, CINQ place Jamâa El Fna, où sont explicitées les relations entre MAISONS DE VENTES l’art marocain et l’art moderne. AUX ENCHÈRES ONT ÉTÉ Aux côtés de ces artistes engagés, on peut relever le rôle important joué au cours de cette période par les CRÉÉES À CASABLANCA galeries placées sous la tutelle du ministère de la culture, en particulier de Bab El Rouah (Rabat), alors la plus monde arabo-musulman et méditerranéen que personne importante du pays. Des galeries2 qui donnent à voir au ne montre. Aux côtés des Marocains, elles dévoilent des public le travail des artistes marocains. Mais la politique peintres irakiens, syriens, italiens, tunisiens, présentent institutionnelle s’arrête à peu près là. «C’est vrai qu’au des expositions d’affiches palestiniennes… cours de mes recherches, je n’ai pas trouvé trace de « Belkahia et Melehi, avec qui nous étions très liés, avaient catalogue, témoigne Aziz Daki, il y avait des dépliants, des alors des contacts étroits avec le monde arabe. Leurs cocktails…mais guère plus». Les premières monographies œuvres étaient présentées à la Biennale de Bagdad, de Jilali Gharbaoui, Ahmed Cherkaoui, Lotfi Yacoubi ou un événement artistique d’importance», raconte P. de LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 101

les 700 références. Si au départ, les œuvres sont là pour «habiller» les étages des sièges sociaux, des agences commerciales de ces banques, très vite la nécessité de les montrer, de valoriser les collections va apparaître. C’est ainsi que des expositions ouvertes au public sont organisées, des livres édités. De leurs côtés, des maisons d’édition comme Al Manar, Marsam ou encore Le Fennec vont accompagner les artistes en développant de plus en plus de savoir-faire dans le livre Mazières, et nous exposions à Rabat lançant leurs fondations privées, d’artiste ou l’édition de sérigraphies. les artistes majeurs des autres entament leurs collections. Sous l’impulsion de Fouad Filali, la pays de la région». Mais tout cela Fondation ONA ira même plus loin, coûte cher et il n’y a pas de soutien FONDATIONS PRIVÉES ET avec la création de la Villa des Arts financier, public ou privé. Même en PREMIÈRES COLLECTIONS de Casablanca (puis celle de Rabat) vendant à crédit et en encaissant de INSTITUTIONNELLES dont il confie initialement le projet 30 à 40% de commissions sur les à Sylvie Belhassan. «En 1994, on ventes réalisées, difficile de vivre Dès le milieu des années 70, arrivent m’avait demandé de faire l’inventaire de l’art. D’autant que démarches et à la tête des institutions bancaires de toutes les filiales de l’ONA et de la taxes douanières à l’entrée et à la (mais pas seulement, l’OCP fait ainsi Fondation, se souvient S. Belhassan. sortie du territoire sont considérées figure de pionnière) des hommes Cela m’a pris un an. Puis, Fouad comme de véritables freins au comme Abdelaziz Alami (BCM), Filali m’a demandé de réfléchir à un développement de ce secteur. La Abdelaziz Tazi ou plus tard M’hamed futur musée d’art contemporain - qui TVA à l’importation est de 20% et Bargach (SGMB) qui vont contribuer deviendra la Villa des Arts». L’objectif l’autorisation du ministère de la au rayonnement des œuvres en était clair : montrer la collection culture est le sésame indispensable multipliant les achats auprès des permanente de la Fondation entre pour toute sortie du territoire des galeristes et surtout des artistes. deux ou trois expositions temporaires. œuvres marocaines3. «J’ai très vite «La promotion de la peinture est due Si ces institutions professionnalisent compris que je ne m’en sortirai pas à la politique menée par quelques la mise en valeur des œuvres avec la seule galerie, explique P. de individus à la tête d’institutions qui contemporaines, reste que les Mazières, alors j’ai fait un magasin de vont initier un travail de collection en politiques d’acquisitions et de décoration contemporaine attenant». leur sein», commente Aziz Daki qui médiations demeurent avant tout Pas de quoi rouler sur l’or mais assez précise : «ces initiateurs ont eu un une affaire d’hommes plus que pour autofinancer les expositions. rôle essentiel. C’étaient de véritables de politiques institutionnelles. En Dans leur sillage, d’autres galeries amateurs éclairés, voire des mécènes interne, les comités de réflexion sont vont occuper un espace laissé béant car en achetant les toiles, ils ont inexistants. «C’est le président de la dans la promotion et la visibilité permis à des artistes de vivre». banque qui détermine le budget et qui données à l’art contemporain. On peut Wafabank rejoint le mouvement dans choisit lui-même les pièces», explique citer la galerie Nadar à Casablanca, les années 80, suivie de près par la S. Belhassan. Partant, «quand il n’y a créée par Leïla Faroui ou encore Fondation ONA, mise en place par personne d’impliqué, une institution Alif-Ba de Houcein Talal. Mais toutes Fouad Filali à la fin de la décennie. ronronne. Aujourd’hui, hormis la ces structures restent isolées, peu La fondation SGMB compte SGMB, les grandes institutions rentables, rares sont celles qui vont aujourd’hui un peu plus de 1000 ont pratiquement toutes arrêté laisser trace de leurs années de œuvres ; celle née du rapprochement d’acheter» constatent, unanimes, les travail et d’engagement. La plupart de la BCM et de Wafabank en 1997, observateurs du secteur. vont survivre grâce à l’arrivée de la fondation Actua () Les années 80 et 90 sont donc structures institutionnelles sur le en compte près du double. Quant celles où les grandes collections marché de l’art. Structures qui, en à la Fondation ONA, elle approche institutionnelles se constituent. 102 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) La peinture : des passionnés aux businessmen

Ce sont également celles où les artistes Marocains pas aujourd’hui à prendre des risques, à accompagner de vont être de plus en plus présents dans des expositions nouveaux artistes, plus enclins à développer de nouveaux thématiques et collectives en Europe, notamment grâce à mediums : installations, art video, photographies... Mais l’entregent et aux convictions de personnalités agissant plus en profondeur, il semble que ce soit aussi la société dans le domaine de l’art : Nicole de Pontcharra et Pierre qui évolue. «Que les gens meublent leurs murs avec des Gaudibert4 sont de ceux-là. Ces nouveaux «passeurs» œuvres d’art va dans le sens de l’esthétisme, ajoute Aziz reprennent le flambeau de précurseurs comme Pierre Daki. Beaucoup à l’étranger ont commencé à spéculer Restany ou Monique de Gouvenain5 qui, «dans les années avant de devenir de grands collectionneurs. Reste qu’ils 60 vont découvrir puis écrire et informer sur une réalité doivent être conseillés. On n’achète pas un tableau différente de celle alors montrée dans les salons, galeries comme une voiture. Cela nécessite une connaissance ou salles de vente, réduisant la création marocaine au du contexte, une expertise». Aujourd’hui, tous attendent pittoresque ou néo-orientalisme»6. Ainsi peut-on évoquer «Présences artistiques du Maroc», une manifestation organisée au musée de Grenoble en 1985 dans laquelle était présentée la première rétrospective en France de la peinture contemporaine marocaine. En 1989, l’exposition «Magiciens de la terre» au centre Georges Pompidou où Farid Belkahia et Touhami Ennadre étaient présentés, a joué un rôle essentiel dans la transformation du regard porté par le public sur les créations des pays extra- européens. En 1999, dans le cadre du «Temps du Maroc», des artistes comme Hicham Benohoud ou Mounir Fatmi rencontrent le public parisien… Paradoxalement, les années 90 voient les galeries au Maroc se fermer les unes après les autres. En cause : les artistes eux-mêmes, qui n’hésitent pas à vendre leurs œuvres bien moins chères dans leur atelier que dans les galeries qui les exposent. «Malgré tout, même moribond, le marché a continué», beaucoup du futur musée national d’art contemporain, précise Aziz Daki. même si très peu d’informations circulent, notamment sur les budgets de fonctionnement, d’acquisitions... «Un LE BOOM DES ANNÉES 2000 musée est fondé sur un parcours cohérent, exhaustif, avec PAR LA COTATION D’ARTISTES les moments qui font sens dans l’histoire, rappelle notre galeriste. Aujourd’hui, les principales collections sont A l’atonie des années 90, succède la première décennie du chez les particuliers. J’espère qu’il sera suffisamment 21ème siècle qui apparaît comme une bulle effervescente. crédible pour que les gens fassent des dons car un musée De l’avis de tous les observateurs, ce regain d’intérêt national pose les vrais besoins culturels esthétiques et ce, s’explique en grande partie par l’arrivée sur le marché, en indépendamment de leur valeur marchande». 2002, de la Compagnie Marocaine des Œuvres et Objets

d’Art (CMOOA – cf. article). «Les acheteurs ont besoin de 1 Témoignage apporté lors du colloque «Quelle médiation pour l’art au Maroc se référer à quelque chose car très peu ont un avis ou s’y aujourd’hui ?» organisé le 19 décembre 2008 à la Fondation Dar Bellarej connaissent, explique S. Belhassan. En Europe, le public pendant la 1ère Biennale d’art contemporain à Marrakech. 2 A Rabat, on trouve aux côtés de la galerie Bab El Rouah, les galeries va aux musées, regarde des expositions, a des références, Mohamed El Fassi et Bab el Kébir et la galerie Bab Doukkala à Marrakech. peut apprendre à regarder, à faire la différence entre les 3 Ces données sont toujours d’actualité 4 En 1985, Nicole de Pontcharra est commissaire de la première rétrospective artistes. L’arrivée de la CMOOA qui, grâce à ces ventes aux en France de la peinture contemporaine marocaine dans le cadre de la enchères, a donné une visibilité aux cotes des artistes, a manifestation «Présences artistiques du Maroc» à Grenoble. Pierre Gaudibert était alors le directeur du musée de Grenoble. indéniablement servi à booster le marché». Un marché où 5 Le premier était responsable du foyer des étudiants maghrébins et la les différents acteurs ne cessent de se professionnaliser seconde directrice de la galerie Solstice où Ahmed Cherkaoui exposera. (certifications des œuvres, catalogues d’exposition, 6 Témoignage de Nicole de Pontcharra, apporté lors du colloque «Quelle médiation pour l’art au Maroc aujourd’hui ?», organisé le 19 décembre 2008 programmation annuelle), voire de se diversifier. Même si à la Fondation Dar Bellarej pendant la 1ère Biennale d’art contemporain à elles sont peu nombreuses, certaines galeries n’hésitent Marrakech. LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 103

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) CAS D’ENTREPRISE GÉRER L’ART PAR LES ENCHÈRES LA COMPAGNIE MAROCAINE DES ŒUVRES ET OBJETS D’ART, PLUS CONNUE PAR SON ACRONYME CMOOA, A JOUÉ DURANT LES ANNÉES 2000, LE RÔLE DE BOOSTER DU MARCHÉ DE L’ART. HISTOIRE D’UNE ENTREPRISE LOCOMOTIVE.

Par Laetitia Grotti Journaliste, Cesem - Hem

en croire artistes, Précurseur en la matière, Hicham «Tout simplement parce que j’ai eu la galeristes, journalistes… Daoudi, trentenaire fringuant, est chance d’assister à plusieurs d’entre A le regain suscité par aujourd’hui à la tête de la première elles en France et que j’aime leur le marché de l’art au début de la salle des ventes du Maroc : la rythme, certes stressant, mais très décennie 2000 s’expliquerait par Compagnie Marocaine des Œuvres prenant», raconte-t-il. Alors, quand il l’arrivée d’un nouvel intervenant : et Objets d’Art, plus connue sous son rentre au Maroc en 2001, qu’il réalise la salle de ventes aux enchères. acronyme CMOOA. S’il serait faux de ses premières ventes d’objets d’art dire que ses études de biochimie le dans la galerie maternelle, il se dit prédestinaient à pareille activité, il qu’il a l’âme du marchand d’art. Mais serait en revanche plus exact de dire décidément, le rythme de la galerie que son environnement familial y a n’est pas celui des enchères et c’est pleinement contribué . «Ma mère a indéniablement le second qui lui tenu pendant des années une galerie correspond le mieux. d’art dans l’ancien hôtel Hilton de Rabat (actuel Sofitel) et mon père DU FLAIR POUR UNIQUE était un passionné de livres et d’objets BUSINESS PLAN anciens. Ils nous ont inculqué l’amour des choses rares et belles», explique Hicham Daoudi jure par tous les H. Daoudi. Soit. Mais comment en grands dieux qu’il n’a pas fait d’études arriver à la vente aux enchères ? de marché, encore moins formalisé LA 1ÈRE VENTE AUX ENCHÈRES DE LA CMOOA PRÉSENTE 152 LOTS ET EN VEND… 55 104 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) La compagnie marocaine des œuvres et objets d’art

de business plan, «ce serait pure folie dans un domaine LA COMMERCIALISATION où on vend de l’envie et non un besoin», s’offusque-t-il DE L’ART SAUVE L’ART presque. Discret donc, sur les débuts d’une entreprise qui réalise en 2009 74 millions de dirhams de chiffre Pour Sylvie Belhassan, qui dirigea les premières années la d’affaires, soit près de 80% du chiffre d’affaires global de Villa des Arts de Casablanca, «la CMOOA a sorti le marché Art Holding , structure qui coiffe aujourd’hui 4 du marasme. Dans une vente aux enchères, le public est entités distinctes1. Au départ, avec Hakim Sahel, un ami devant des valeurs, les prix sont affichés, vous jouez sur d’enfance, ils réunissent 300 000 dhs, de quoi organiser les fantasmes». A la tête de l’Atelier 21, Aziz Daki ne dit leur première vente. Mais s’ils n’ont pas fait d’études pas autre chose : «Les maisons de vente aux enchères sont importantes car elles donnent de la visibilité aux cotes. Elles ne travaillent pas sur la carrière de l’artiste, LE MARCHE DE L’ART ne prennent pas de risque mais elles sont importantes MAROCAIN A DES car elles font plus de tapage que les galeries. On ne parle que de prix. Des prix qui permettent à des gens qui ne RAMIFICATIONS A s’intéressaient pas à l’art, d’y veni ». Hicham Daoudi, lui, perçoit plutôt ces 18 premiers mois d’activités comme L’ETRANGER «rock & roll» : «Il fallait vraiment y croire, avoir les nerfs solides, se battre pour y arriver». Mais à voir les résultats de la dernière vente aux enchères de l’année 2009 où de marché, ils le connaissent néanmoins et avec lui, plusieurs lots ont dépassé le million de dirhams (l’un quelques règles de base. Ils choisissent soigneusement d’entre eux, «Le Sultan du Maroc et son escorte» de Henri la date, le lieu pour créer l’événement. Ils communiquent Rousseau, s’est même envolé à 5 192 000 dhs ), notre autour de son organisation, collectent auprès des galeries homme a, semble t-il, eu raison. casablancaises et reçoivent en dépôt des tableaux de «La culture commence à devenir commerciale, c’est un particuliers qui ont vu les annonces. vecteur de progrès et de développement, explique H. Daoudi. Qu’aujourd’hui, des tableaux se vendent plus d’un «J’avais envie de faire ma première vente à la Mamounia, million de dhs et que ce soient des Marocains qui achètent, qui est l’endroit phare de Marrakech. Nous avons choisi prouve l’énorme progrès qu’a fait notre société». Car il en la date du 28 décembre qui me semblait idéale car tout le est convaincu, si la rumeur d’une passion royale pour la monde est là en même temps», raconte H. Daoudi. Et pour peinture a encouragé à acheter et a redonné confiance, donner confiance aux acheteurs comme aux vendeurs, ce sont surtout les Marocains qui ont changé, évolué, apporter d’emblée une crédibilité à la vente, éléments «vous avez vu leurs maisons ? demande-t-il, ce ne sont essentiels du secteur, nos deux compères affichent en plus les mêmes que dans les années 70. Ils ne conduisent toute transparence les conditions commerciales (de 11,5% plus les mêmes voitures non plus. On est sorti de l’esprit à 16,8% TTC de commissions prélevées sur le vendeur et de la médina fermée pour passer à autre chose». Une de 18 à 20,4% de commissions sur l’acheteur2), confient la analyse qu’il n’est plus le seul à partager puisque depuis réalisation du catalogue des ventes à des experts agréés 4 concurrents directs sont apparus : MemoArts, Maroc reconnus, de même que le marteau de commissaire- Auction, Tanger Auction et Eldon & Choukri. Mais il reste priseur à des professionnels de renommée. Entre objets serein, «Depuis le départ, nous affichons une totale d’art islamique et tableaux orientalistes, la 1ère vente aux transparence sur les résultats de nos ventes, et chaque enchères de la CMOOA présente 152 lots et en vend… 55. jour nous avons en moyenne une centaine de visites notre «Pour moi, c’était un beau résultat, raconte H. Daoudi. J’ai site internet.» Et d’ajouter non sans quelque fierté : vu le verre à moitié plein et mon partenaire, à moitié vide. «Malgré l’apparition de la concurrence, c’est chez Il n’est pas allé plus loin dans l’aventure ». Lui décide de réinvestir ce qu’il a gagné, ce qu’il fera à chaque fois. De cette première date jusqu’en février 2004, il organise 4 ventes, toujours dans des hôtels, toujours selon la même recette et avec le même succès. «Le public de curieux était venu nombreux à la Mamounia et par la suite, beaucoup ont continué à nous suivre, à nous faire confiance». LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 105

nous que se font les résultats de plaide-t-il simplement. Et là encore, il A ceux, nombreux, qui voient dans référence». Ce qui vaudra d’ailleurs s’appuie sur un mot clé : cette diversification une source à la CMOOA d’être citée dès 2006 par crédibilité. Il signe un partenariat possible de confusion, voire de différents supports spécialisés dont avec Art Price, premier système conflits d’intérêts, Hicham Daoudi rétorque que chacune des activités est organisée en filiale étanche, placée sous la coupe de Art Holding Morocco. «Les ventes aux enchères restent à Casablanca et ce sont les particuliers qui nous proposent leurs toiles et leurs œuvres en fonction des thématiques. Quant aux œuvres exposées dans la galerie, elles proviennent des artistes qui y sont invités et aucune ne passera par la salle des ventes» assure notre entrepreneur. Pour lui, son groupe «cherche à compléter l’offre des métiers artistiques». Ce qu’il LA CULTURE COMMENCE s’apprête à faire une fois encore avec l’organisation, en octobre 2010 de la À DEVENIR COMMERCIALE : Marrakech Art Fair dont il veut faire un rendez-vous annuel. Convaincu C’EST UN VECTEUR DE PROGRÈS que le marché doit avoir des ET DE DÉVELOPPEMENT connexions à l’international, il quitte cette fois son rôle de commercial pour mettre en relation professionnels la Gazette Drouot, qui se fait l’écho mondial d’informations des résultats et amateurs du monde entier, des ventes aux côtés de celles de de vente d’art. Ce sont eux qui préparant ainsi le terrain à de futurs Christie’s New. rédigent le cahier «marché de l’art» échanges entre galeries, artistes, du magazine. collectionneurs, acheteurs d’ici et STRUCTURATION ET S’il se défend d’être un expert, notre d’ailleurs. «Nous comptons sur 45 DIVERSIFICATION homme n’en a pas moins un œil galeries étrangères et 5 marocaines critique sur l’art. Alors, non content – nous avons déjà reçu 150 demandes Dès janvier 2004, Hicham Daoudi de faire la pluie et le beau temps sur internationales». Là encore, Hicham commence à mieux structurer son les cotes des artistes, il lance en 2009 Daoudi s’appuie, à travers une société activité. Finis les hôtels, il dote sa propre galerie, à Rabat cette fois. mixte, sur un partenariat prestigieux la CMOOA de sa propre salle de «Nous réfléchissions à la manière avec le groupe Art Paris, deuxième ventes, au cœur de Casablanca, où d’informer le public. Il y avait de plus organisateur de foires après la FIAC. se font expositions et adjudications. en plus de galeries, or l’excès de «Confronter l’offre et la demande, Il conseille particuliers et chaque chose est mauvais. J’ai voulu révéler les prix, c’est en ça, estime institutionnels pour évaluer, créer ouvrir à Rabat pour présenter ce qui Hicham Daoudi, que la CMOOA a joué ou composer leurs collections. se faisait de différent notamment un rôle prépondérant. Nous avons Mais notre homme, qui se définit dans l’art contemporain en montrant rempli un vide. Après, d’autres salles lui-même comme un entrepreneur les bouleversements à l’étranger, et galeries sont apparues. On a réussi de l’art, veut se diversifier et faire en en opposition à ce qui se passe au à montrer qu’on pouvait gagner sa vie sorte que le marché se développe. Il Maroc». En 2010, la galerie r’batie dans l’art». décide en 2008 de lancer Dyptik, le devrait donc présenter les meilleurs premier bimestriel marocain sur l’art artistes arabes et iraniens dont le contemporain et ses marchés. «Notre clou serait Shirin Neshat qui a obtenu objectif est de parler de ce qui se le Lion d’Or à la Mostra de Venise en passe tant au Maroc qu’à l’étranger» 1989 et celui d’Argent cette année. 106 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) ZOOM SECTORIEL DU CINÉ-CLUB AU MULTIPLEX

MALGRÉ UN RENFORCEMENT DE LA PRODUCTION CINÉMATOGRAPHIQUE, LE 7ÈME ART SOUFFRE D’UNE CRISE ÉCONOMIQUE ET MANAGÉRIALE, QUI SE MANIFESTE NOTAMMENT PAR LA FERMETURE DES SALLES, LA PRÉCARITÉ DES STRUCTURES DE PRODUCTION ET LE MANQUE À GAGNER EN TERMES DE DIFFUSION.

Par Aïda Semlali Journaliste

ttention, secteur en de production, le cinéma marocain se constat est alarmant, aucune solution péril. Malgré une porte globalement bien». Pourtant, ne parvient pour l’instant à enrayer ce A certaine dynamique difficile de ne considérer «que» la scénario catastrophe. Une toute autre insufflée à la production sous production et de faire l’impasse donne depuis l’âge d’or révolu des l’impulsion du CCM (Centre sur ce bastion essentiel du secteur ciné-clubs. Cinématographique Marocain), les qu’est l’exploitation. Qu’on en juge : salles de cinéma continuent de les salles étaient au nombre de 250 DU CINÉ-CLUB AU HOME fermer les unes après les autres. au début des années 80, 160 début CINÉMA Un déséquilibre qui, en décembre 2003, 75 début 2007. Aujourd’hui, il dernier, fit dire au directeur du CCM n’en reste que 36 selon l’association Les professionnels du secteur situent Nour-Eddine Saïl : «Si on ne parle que «Sauvons les salles de cinéma». Si le la belle époque du cinéma au Maroc dans les années 80. On dénombrait alors quelques 40 millions de spectateurs par an, contre un peu moins de 3 millions en 2008. On considère que les bons résultats en termes d’entrées étaient alors en partie imputables à la dynamique installée dès la fin des années 60 par les ciné-clubs, au sein des lycées, des universités et des maisons de jeunes. Mission : vulgariser et démocratiser le cinéma auprès des jeunes spectateurs. Si les années de plomb freineront la dynamique, c’est un autre outil qui se chargera assez LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 107

rapidement de démocratiser le 7ème cas. Dans les festivals d’abord. On Sauvons les salles de cinéma : «Il n’y art : le magnétoscope. en dénombre une quarantaine. Par a pas d’industrie du cinéma au Maroc. ailleurs, le cinéma marocain parvient Pour parler d’industrie il faudrait que L’arrivée de la vidéo accompagnée encore à attirer les foules et réalise la chaîne entière fonctionne. Prenons de la multiplication des chaînes de jolis scores. Surprise de l’année l’exemple du fonds d’aide. Comment satellitaires contribuent 2009, Casanegra de Noureddine voulez-vous qu’il soit récupéré sur les graduellement à ce que le film Lakhmari aura été vu sur grand écran entrées avec aussi peu de salles et se limite à une consommation par quelques 250 000 spectateurs. une fréquentation aussi basse ?». individuelle ou familiale. L’explosion Vu le nombre de salles encore en d’internet, du téléchargement activité, ce succès souligne toutefois Et les exploitants de salles ne sont ou du streaming, ainsi que le un manque à gagner conséquent. pas les seuls à souffrir de cette crise. développement du DVD et du piratage «La survie des distributeurs dépend finiront d’achever le modèle. Les Derb de celle des salles», martèle Najib Ghallef du royaume sont devenus les Benkiran, distributeur et Secrétaire ciné-clubs des années 2000, sans général de la Chambre marocaine le partage et le débat propres aux des distributeurs de films. Alors ciné-clubs originels. qu’une quarantaine de structures Pourtant, ceci ne saurait expliquer de distribution se partageaient le à lui seul la débâcle des salles au marché dans les années 90, seule une Maroc. Sous d’autres cieux, l’arrivée vingtaine est autorisée aujourd’hui, massive du magnétoscope puis dont 4 ou 5 seulement exercent une du lecteur DVD n’a pas eu autant activité régulière. Pour faire face à d’incidences sur les entrées en cette «déconfiture», Najib Benkiran salle. Au contraire, des observateurs souligne que les distributeurs ont nuancent par le constat suivant : dû consentir à des aménagements en France par exemple, la en termes de marketing. Si par le fréquentation des salles a connu peu passé le bouche-à-oreille suffisait de variations entre 1990 et 1998, à à mobiliser les Marocains vers un moment où la commercialisation le chemin des salles obscures, des films à domicile, en direct ou les distributeurs sont aujourd’hui sur cassette vidéo augmentait EXPLOITANTS ET DIFFUSEURS contraints d’investir dans la considérablement. Ceci confirmerait EN MAL DE MARCHÉ promotion de leurs films, via affichage que ces deux activités, loin d’être et actions de communication à systématiquement en opposition, Pour le directeur du CCM, le constat l’attention de la presse et des radios. entretiennent des rapports est sans appel : la déroute des salles Quant au piratage, les distributeurs complexes. Ainsi, aller au cinéma et est le résultat de la mauvaise gestion résistent tant bien que mal en utiliser un magnétoscope ne serait de leurs exploitants, coupables de ne important les films le plus rapidement pas antinomique mais irait plutôt de pas avoir investi dans la mise à niveau possible et au dernier moment, quitte pair. du parc existant. Sans compter qu’en à recevoir les films la veille de leurs matière de programmation, l’offre sorties en salles. Najib Benkirane Au Maroc, outre la généralisation de s’est considérablement appauvrie relève enfin qu’avec une quinzaine l’offre télévisuelle et du piratage, on au fil des années. De leurs côtés, les de longs-métrages produits chaque relève aussi une autre explication exploitants dénoncent une taxation année, seule la production semble sociologique à la désaffection des lourde et une aide insuffisante au bénéficier d’une certaine dynamique, salles : au fil du temps, bon nombre regard de l’importante enveloppe «mais une dynamique vouée à l’échec de ces lieux n’ont plus été considérés accordée en revanche à la production, en l’absence de marché». comme des espaces de culture le fameux fonds d’aide (14 millions mais comme des lieux de débauche, dhs en 2010). Un fonds pensé sur PRODUCTION EN HAUSSE ET totalement inconvenants aux familles le modèle français de l’avance PRODUCTEURS EN MASSE et au jeune public. Toutefois, l’action sur recettes, soit une subvention de se rendre dans un cinéma pour récupérable sur les entrées. Or là est Le marché vit aussi de ce qui est partager un film retrouve grâce le problème, comme l’explique Tarik injecté par les créateurs. Faisons aux yeux du public dans certains Mounim, président de l’Association le point d’abord sur l’évolution de 108 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) Du ciné-club au multiplex

la production : le catalogue des longs-métrages marocains 1958-1998 LES DERB GHALLEF DU ROYAUME recense 90 films, soit une moyenne de 2,25 films produits par an. SONT DE NOS JOURS LES CINÉ- Aujourd’hui, sous l’impulsion du fonds CLUBS DES ANNÉES 2000 d’aide, mis en place au début des années 80, 12 à 15 films sont produits chaque année. Un chiffre qui pourrait sur les structures de production En attendant peut-être l’ouverture bientôt passer à 20 longs-métrages marocaines : «C’est en réalité une d’un troisième Megarama à Rabat, par an, objectif annoncé par Nour- manne financière pour l’Etat, une le contrat-programme 2010-2012, Eddine Saïl en 2008. soupape pour l’emploi dans certaines vision stratégique défendue par le régions comme Ouarzazate ou Erfoud CCM, évoque déjà la création de 9 De la même manière, le nombre le temps que dure le tournage, multiplexes d’ici 2012. Le contrat de sociétés de production a aussi mais ça n’a jamais vraiment boosté prône également l’augmentation de augmenté, passant de 33 structures l’industrie locale». Et de conclure l’aide à la production à hauteur de agréées par le CCM en 1996 à près de : «Si l’on arrive à développer les 90 millions dhs pour le fonds d’aide 220 aujourd’hui. Un chiffre à prendre multiplexes et à juguler le piratage, à l’horizon 2012, la lutte contre le cependant avec des pincettes. Car c’est le début d’un cercle vertueux». piratage, la formation aux métiers création d’une société ne signifie pas du cinéma… Mais ce contrat n’a pas activité soutenue par la suite. A en LE MULTIPLEXE, THE SAVIOR? convaincu les exploitants et aucun croire les professionnels du secteur, consensus n’a pour l’instant mis au l’analyse livrée sur les particularités Le multiplexe, c’est justement le diapason les acteurs du secteur. de ces sociétés par Amina Tazi1, cheval de bataille du CCM, ce qui n’est publiée à la fin des années 90, reste pas pour rassurer les exploitants. Parmi les salles menacées de furieusement d’actualité : «On y Dans ce contexte de crispation sur tomber dans l’oubli, l’une des rares trouve essentiellement des petites fond de crise, pointé du doigt comme expériences réussies est celle de firmes, souvent éphémères, de un ogre commercial entièrement la Cinémathèque de Tanger, belle dimension modeste, faiblement dédié au profit, le multiplexe inquiète. reconversion du Cinéma Rif sous structurées au niveau administratif et Les seuls multiplexes pour l’instant l’impulsion de Yto Barrada. Depuis, financier et gérées généralement par en activité sont les Megarama de pas de petits frères à ce joli projet, un producteur réalisateur». Casablanca et Marrakech. Le premier mais des initiatives comme celle de Sarim Fassi Fihri, président de s’est lancé dans la course en 2002, l’association Sauvons nos salles de l’Association des métiers de la rejoint par son pendant marrakchi cinéma, qui souhaite ainsi redonner production audiovisuelle et du en 2007. Locaux et matériels vie au cinéma Eden de Marrakech. cinéma, parle lui de «sociétés à la flambants neufs doublés d’une «Nous voulons mettre en place une maison», sans salariés, créées pour palette diversifiée de films (14 salles logique originale, expérimentale et les besoin d’un film et sans réel à Casablanca, 9 à Marrakech), le novatrice, s’enflamme Tarik Mounim. impact sur la dynamique du secteur. Il multiplexe fait mieux face au piratage C’est pourquoi nous avons voulu souligne, par ailleurs, que «si on avait que ses concurrents, mais en souffre créer un lieu multiculturel, avec en eu le parc de salles d’il y a 20 ans, on néanmoins. Une donne qui contraint plus du cinéma un café littéraire et aurait pu produire 30 films par an». le Megarama à muscler son offre un café théâtre. Parce qu’il n’est pas En cause : des mécanismes commerciale : actions de fidélisation garanti que les Marocains retrouvent de financements insuffisants à l’attention du public, services de le chemin des salles de cinéma. Tout (comprenant le fonds d’aide et la proximité à l’instar de la confiserie ou simplement parce qu’ils ne savent télévision), pas de remontées de du parking, location des salles pour plus ce que c’est». Autrement dit, tout recettes au niveau des salles et des spectacles et des concerts, rien est à refaire pour créer les conditions l’inexistence d’un marché de la vidéo. n’est laissé au hasard pour que la de relance du secteur. Quant à la manne financière procurée structure demeure rentable malgré la par les tournages étrangers au Maroc, concurrence du DVD. 1 Amina Tazi ; La culture et la politique culturelle Sarim Fassi Fihri en conteste l’impact au Maroc, éd. La Croisée des chemins LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 109

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) ZOOM SECTORIEL MINI RÉVOLUTION DANS L’AUDIOVISUEL

SI LE SECTEUR AUDIOVISUEL A PROFONDÉMENT MUTÉ CES DEUX DERNIÈRES DÉCENNIES, IL EST CLAIR QUE LES ÉVOLUTIONS SONT PLUS D’ORDRE TECHNOLOGIQUE. CÔTÉ MANAGEMENT, CONTENUS ET RÉVOLUTION STRUCTURELLE, LE BILAN EST PLUTÔT FAIBLE.

Par Aïda semlali Journaliste

dans les foyers marocains (comme développement ces deux dernières est le 13 avril 1928, sous pour la radio, un décret établit cette décennies. Une évolution que l’on C protectorat français, que année-là le monopole absolu de doit notamment au renforcement du les premières ondes radio font l’Etat). Cette première expérience pôle public en 2003 avec l’apparition leur apparition au Maroc. 1962, la télévisée marocaine sera doublée de nouvelles chaînes thématiques télévision nationale fait son entrée plus de vingt ans plus tard d’une et régionales (, Arrabia, chaîne de télévision privée : 1989 , TV Laâyoune, la Radio marque l’arrivée de 2M, qui passera Coranique Mohammed VI et Radio dans le giron du public lorsque l’Etat 2M), à la libéralisation des ondes la sauvera de la faillite en 1996. Mais établie en 2006 sous le ministre le secteur s’emballe véritablement de la Communication, Nabil à partir des années 2000, sous Benabdellah, ou encore à l’avènement l’impulsion d’une politique de en 2007 de la TNT (Télévision modernisation de l’audiovisuel. numérique terrestre). Par delà cette Il faut se pencher sur l’historique énumération chronologique des de ce secteur longtemps figé pour données du secteur, il est nécessaire saisir la portée de son important d’appréhender les ruptures SUR PRÈS DE 1500 VOTANTS 86,68% CONSIDÈRENT LES DEUX CHAÎNES NATIONALES RTM ET 2M «MÉDIOCRES» 110 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) Mini révolution dans l’audiovisuel

permettant (ou pas) de transformer et du Cinéma, dont l’ouverture les candidats seront éconduits par une simple évolution chiffrée en des portes est programmée pour la HACA. Les sages de la HACA révolution des pratiques. octobre 2011. De quoi soutenir la évoqueront entre autres raisons demande croissante en matière l’importance d’accorder «plus de DAVANTAGE D’OFFRES POUR de profils qualifiés. Mais au vu de temps aux télévisions publiques pour PLUS D’INTERVENANTS cette évolution aussi récente que qu’elles se consolident». Preuve rapide, peut-on pour autant parler de s’il en est que le basculement vers Les incidences des nouvelles révolution audiovisuelle au Maroc ? le tout numérique n’est pas encore orientations étatiques sont d’actualité, sans compter que nombreuses, avec notamment MUTATIONS l’ouverture de l’espace télévisuel au l’arrivée de nouveaux acteurs. Aux TECHNOLOGIQUES EN DENTS privé piétine encore. Dernier exemple côtés des gestionnaires des chaînes DE SCIE en date : le passage de la chaîne radio et de télévision nouvellement privée Medi1Sat en septembre 2009 à créées, il faudra désormais compter Révolution oui, si l’on considère les un statut de chaîne public. avec les sociétés de mesures mutations technologiques qui, de Par ailleurs, on reste encore loin d’audience, baromètres indispensable l’arrivée de la TNT à la possibilité de la télévision à la demande ou pour la conception des grilles et la d’accéder à des programmes de l’explosion des offres télévisées répartition du marché publicitaire, télévisés locaux et internationaux via ADSL, qui demeurent fortement mais surtout avec la multiplication sur son téléphone mobile, ont concurrencées par les offres des sociétés de production, arrivée profondément modifié le paysage satellitaires piratées. Pourtant, massive favorisée par le cahier l’importante évolution dans le des charges imposé aux chaînes secteur des télécommunications nationales par la HACA (Haute 20% DES pourrait bénéficier à long terme Autorité de la Communication SOCIÉTÉS DE au marché. Elle se manifeste Audiovisuelle), qui stipule en 2005 que notamment par l’arrivée de la 3G 30% des programmes doivent être PRODUCTION au Maroc, qui permet désormais de sous-traités auprès de structures consulter une offre audiovisuelle sur externes. Si on compte aujourd’hui EXISTANTES son téléphone mobile. Et l’arrivée quelques 500 sociétés de production, massive du multimédia exhorte au seule une centaine est agréée par SONT AGRÉÉS développement de contenus, bien le CCM (l’agrément intervient après PAR LE CCM que cette niche ne soit pas encore un passage obligé par la production exploitée, précise Sarim Fassi Fihri. d’un long-métrage de fiction ou de Le téléphone comme nouveau trois courts-métrages) et seule une audiovisuel marocain. Mais média impliquera par ailleurs demi-douzaine aurait une activité cette «révolution» a ses limites. des aménagements au niveau du soutenue, selon Sarim Fassi Fihri, Concernant la TNT, le ministre de la régulateur du secteur audiovisuel, la président de l’Association des Métiers communication et porte-parole du HACA, dont le champ d’intervention de la Production audiovisuelle et du gouvernement Driss Alaoui Mdaghri pourrait s’élargir. Enfin, l’interaction cinéma. La majorité de ces structures évoquait déjà en 1997 l’urgence de entre audiovisuel et multimédia est évoluant de manière informelle ne s’aligner sur des pays comme les telle que certaines structures se seraient en fait que des coquilles Etats-Unis qui annonçaient alors pour lancent désormais à l’assaut du net, vides créées pour répondre à des l’année 2006 le basculement vers le comme la société Sigma Technologies offres ponctuelles. tout numérique. Au Maroc, le passage avec son projet de web télé, Zaama Les besoins du secteur soulignent à la TNT a en effet été amorcé en TV. par ailleurs un manque en termes de 2007 avec l’offre du bouquet TNT de la ressources humaines qualifiées. Un SNRT. Pourtant, on assistera l’année MUTATIONS MANAGÉRIALES diagnostic qui a conclu à l’urgence suivante à l’annonce de licence à de la création de l’ISMAC, Institut deux télévisions hertziennes… offre Les mutations technologiques Supérieur des Métiers de l’Audiovisuel déçue et non aboutie puisque tous imposent aussi aux dirigeants des LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 111

chaînes et des sociétés de production de tenir compte de nouveaux métiers, notamment dans le champ des images de synthèses, ou encore dans celui de l’animation sur lequel misent des sociétés comme Sigma ou Videorama. Bien qu’en développement, l’animation souffre aux dires des ses jeunes recrues de rémunérations inadéquates et d’un intérêt encore limité de la part des chaînes télévisées, la publicité étant le secteur qui y a le DE LA PRODUCTION de rappeler qu’est là toute la plus recours. Un autre métier qui NATIONALE ET DU problématique des industries devrait bénéficier de plus d’attention CONSOMMATEUR culturelles. est celui de scénariste, avec une Reste à souligner qu’en bout de prise de conscience progressive En ce qui concerne la télévision, tout chaîne se trouve un consommateur de l’importance de l’écriture et du reste à faire notamment en matière souvent déçu. Fait anecdotique, déploiement d’écuries de scénaristes de production nationale de fiction, la création d’un groupe sur le site au sein des structures de production. insuffisamment développée pour faire Facebook, qui a emporté l’adhésion face aux séries étrangères, qu’elles de près de 2000 membres, et dont Par ailleurs, on note une proviennent d’Asie, d’Egypte ou du le nom sonne comme un procès diversification de métiers au sein des Mexique. Celles-ci ont un tel poids vengeur : «Jugement virtuel du PDG structures de productions. Revenons (les séries mexicaines «Ayna Abi» de la SNRT pour mauvaise gestion à Sigma : au-delà de ses vues sur le et «Anna» caracolent en tête des des Télévisions», semble être un marché que représente internet, cette audiences de 2M en 2009) que l’on reflet significatif de la frustration des société a su investir de nouveaux assiste à l’arrivée dans le secteur de Marocains champs, enrichissant son expérience structures de doublage en darija. Une Autre coup de colère du public : à initiale en matière de production de manière peut-être de moins subir les l’appui un sondage de l’hebdomadaire films publicitaires et institutionnels, influences culturelles étrangères, La Vie Economique mené en août en s’attelant à la production de séries sans pour autant s’assurer une dernier, lors de la cathodique période télévisées, de documentaires ou proximité similaire à celle qu’ont de ramadan. Rivés à la télé et heureux encore de films d’animations. Même réussi à installer les radios. C’est à l’heure du ftour, les Marocains ? cheminement du côté de la société peut-être la raison qui explique que Pas si sûr… «Que pensez-vous des concurrente Videorama. les chaînes accordent désormais plus émissions TV proposées par nos d’intérêt à la production de fictions : deux chaînes marocaines, RTM et Du côté des radios, plus nombreuses avec 50 millions dhs en 2009, 2M y 2M, pendant le mois de ramadan ?», et plus concurrentielles, les intérêts investit deux fois plus qu’en 2008. interroge l’hebdomadaire. Sur près privés les acculent à se trouver Mais au-delà des efforts consentis à de 1500 votants, 6,45% déclarent des identités propres et à rivaliser la production nationale, c’est selon préférer la RTM, 4,96% déclarent d’ingéniosité, voire d’audace, dans les professionnels du secteur la fin préférer 2M, 1,91% considèrent que leur course aux auditeurs et aux d’une situation de monopole étatique les deux chaînes sont à la hauteur, annonceurs, à l’instar de Hit Radio qui pourrait exercer un véritable effet quand l’écrasante majorité 86,68% (lire focus). En 2009, les débuts de levier. Sarim fassi Fihri nuance par considèrent les deux chaînes de Radio Mars, en attendant Med le constat suivant : «Avec des publics médiocres. De quoi pousser les Radio et Luxe Radio courant 2010, exclusivement soit arabophones, gestionnaires de l’audiovisuel à faire annoncent déjà plus de concurrence francophones ou berbérophones, preuve de créativité pour continuer et donc plus d’enjeux pour ce média le marché est trop morcelé pour de s’engager dans cette nouvelle qui a réussi à devenir un véritable permettre la mise en place d’une ère audiovisuelle, afin de créer un média de proximité, contrairement à véritable logique économique. On contenu de proximité et conquérir en la télévision qui semble se chercher ne peut produire pour ces publics-là bout de chaîne le spectateur. encore. qu’avec de l’argent public». Et 112 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) CAS D’ENTREPRISE HIT RADIO, FRÉQUENCE AMBITION

ELLE AGITE LA BANDE FM DEPUIS L’ÉTÉ 2006 ET NOURRIT DE GRANDES AMBITIONS EN LA PERSONNE DE SON PATRON, YOUNES BOUMEHDI. ZOOM SUR HIT RADIO, SON ESPRIT, SON MANAGEMENT ET SES OBJECTIFS DE DÉVELOPPEMENT.

Par Aïda Semlali Journaliste

a radio 100% Hits» LA STATION FONDE ÉGALEMENT annonce la signature de L la station. «Un média SON IDENTITÉ SUR TROIS MOTS fait par les jeunes pour les jeunes» précise son site internet. Hit Radio, D’ORDRE : ÉCOUTE, PROXIMITÉ, la petite chaîne qui monte n’a pas fini de faire parler d’elle. À l’origine INTERACTIVITÉ de cette aventure radiophonique : son jeune patron, Younes Boumehdi. de l’Intérieur et de l’Information, Audiovisuelle), le succès ne tarde Avant la diffusion des premières d’une réponse sous forme de pas à accompagner l’éclosion de émissions en août 2006, il aura fallu convocation au commissariat de son la station. Hit Radio mise dès ses plus d’une décennie de patience. quartier et d’une foule de doutes et débuts sur une programmation Tout commence en 1993, bien avant d’appréhensions : «Comment assurer consacrée à 80% à la musique et à la libéralisation des ondes au Maroc. le déploiement technique rapidement 40% aux artistes marocains, à tel Younes Boumehdi se souvient de sa si le projet est accepté ? Comment point que la synergie établie avec demande alors déposée au ministère mobiliser les financements pour les acteurs de la nouvelle scène les investissements ? Est-ce que le devient rapidement l’«un des piliers marché publicitaire sera réceptif à un de l’identité Hit Radio». La station format de radio novateur... ?» fonde également son identité sur trois mots d’ordre : écoute, proximité, LA BONNE CIBLE, AU BON interactivité. Une combinaison qui MOMENT ne manque pas de séduire la cible de la radio 100% Hits : les 15-35 ans. Quand enfin la licence est accordée Une cible jusqu’alors délaissée dans en mai 2006 par le CSCA (Conseil un pays qui en 2006 ne comptait supérieur de la Communication que quatre radios (Rabat Chaîne LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 113

Inter, Medi1, Radio 2M et la radio de bons plans et de rappels quant coranique Mohammed VI) et où près à la grille de programmation ; le de 70% de la population est âgée de trio - écoute, proximité et interactivité moins de 30 ans. Avantagée par une - est ainsi on ne peut mieux observé, pyramide des âges jeune et portée même hors antenne. par un bouche-à-oreille positif, Hit Malgré ce potentiel, le développement Radio s’assure un démarrage réussi, de la chaîne ne s’est pas toujours fait conforté par un contexte publicitaire sans heurts et sans aménagements : HIT RADIO, propice au développement. En effet, si les ondes se libèrent, la parole c’est au moment de son lancement reste quadrillée. En novembre 2007, près de 40 personnes chapeautées que l’on note un regain d’intérêt l’émission «Libre antenne» subit par un management dosé entre des annonceurs pour la cible jeune, les foudres du CSCA, qui sanctionne la légendaire attitude «cool» du FRÉQUENCE AMBITION rejoignant les pionniers en la d’un avertissement et d’une amende maître des lieux et des qualités matière que sont les opérateurs et de 100 000 dhs la chaîne, invoquant managériales que revendique Younes les équipementiers de la téléphonie un «défaut de maîtrise d’antenne» Boumehdi : précision, implication, mobile. et «un débat, en interaction avec professionnalisme. Et si l’exigence Depuis, pour fidéliser ses auditeurs, un jeune public, sur des questions est constamment présente, il dit élargir son cœur de cible mais socialement et culturellement apprécier laisser à ses équipes une aussi convaincre les annonceurs, sensibles, comme la consommation grande autonomie : «Je crois que les Hit Radio n’hésite pas à jouer la de drogue et d’alcool, l’adultère, le gens grandissent quand on leur fait carte du marketing. D’importants viol, l’homosexualité, etc.». Un second confiance». investissements en «études rappel à l’ordre du CSCA et de la HACA Et l’équipe pourrait bien se développer consommateurs, analyse des goûts (Haute Autorité de la Communication encore davantage, vu les projets de musicaux de la cible, bilan d’images» Audiovisuelle) interviendra un an plus la chaîne. Projets d’expansion en complètent les directives dictées par tard, pour la même émission, à la termes de fréquences au Maroc (15 les mesures d’audience. Par ailleurs, différence que Hit Radio prendra cette nouvelles fréquences depuis l’été les actions de partenariats avec des fois-ci les devants via une suspension 2009, couverture prévisionnelle de marques commerciales s’avèrent provisoire de «Libre antenne», une 90% de la population début 2010) de plus en plus offensives : une mise à pied de l’équipe en charge de mais aussi dans les pays voisins et nécessité selon Younes Boumehdi l’émission et un mea culpa par voie de en Europe, «pour les communautés «pour tenter de rester toujours créatif communiqué : «Choisir de mettre en marocaines installées en France, et innovant, car les annonceurs place une émission de libre antenne Belgique, Pays-Bas…». Projets souhaitent aujourd’hui plus en fin de soirée était un challenge télévisuels également : le groupe Hit d’originalité et du sur mesure». S’y à relever pour offrir à la jeunesse Radio s’était d’abord porté candidat à ajoutent des partenariats noués avec marocaine un espace de débat sans l’une des deux licences de télévisions des événements culturels, musicaux tabous. Mais cette prise de risque hertziennes annoncées courant 2008, et sportifs pour s’assurer une bonne est liée à l’appréciation de la liberté avant de se retirer de la course en visibilité auprès de la cible. d’expression ; or, la liberté des uns annonçant vouloir se réserver pour la s’arrête là où commence celle des TNT (Télévision numérique terrestre), VISIBILITÉ + INTERACTIVITÉ autres». «Nous sommes toujours ce qui permettrait selon Younes = PROXIMITÉ prudents dans nos prises de risque, Boumehdi de «contribuer activement assure aujourd’hui Younes Boumehdi. à la migration programmée des Et qui dit visibilité dit aussi présence Hit Radio doit garder son petit côté foyers marocains vers le tout TNT sur internet, un média auquel, à impertinent tout en veillant en en offrant enfin une alternative aux l’instar de la radio et de la télévision, permanence au respect de sa propre chanes satellitaires étrangères». Le les jeunes sont particulièrement charte déontologique». projet de Nayda Hit Tv, «télévision attachés. Il était donc logique générationnelle et culturelle à qu’outre son site internet (qui inclut EN ATTENDANT NAYDA HIT essence musicale qui cible les un forum de discussion), Hit Radio jeunes et jeunes adultes», attend assure sa présence sur Facebook. L’esprit Hit Radio demeure donc donc son heure. «J’ai bien attendu Un outil largement exploité avec résolument impertinent, servi par plus de 15 ans pour faire une radio, un fil d’actualités nourri quasi une équipe jeune qui assure travailler donc patience…», conclut Younes quotidiennement d’infos exclusives, dans la bonne humeur. Une équipe de Boumehdi. 114 LE MANAGER

QUI GÈRE LA CULTURE ? ( DANS LE PRIVÉ ) CAS D’ENTREPRISE FESTIVAL DE MARRAKECH, CÔTÉ GESTION DEPUIS SES PREMIERS PAS EN 2001, LE FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE MARRAKECH CRISTALLISE AUTOUR DE LUI PASSIONS ET DÉBATS. GROS PLAN SUR L’ÉVOLUTION, L’ORGANISATION ET LA GESTION D’UN FESTIVAL VEDETTE.

Par Aïda Semlali Journaliste

vénement cinéphile producteur français Daniel Toscan ou people ? Outil de du Plantier. Le projet d’un festival E rayonnement culturel cinématographique prestigieux au ou instrument de promotion de la Maroc se dessine et prend corps avec destination Maroc ? Qu’on le porte une première édition tenue en 2001, aux nues ou qu’on le cloue au pilori, le Festival international du film de Marrakech (FIFM) ravive les passions «NOUS COORDONNONS AVEC au fil de ses éditions. Car le FIFM est au cinéma ce que Mawazine LES ÉQUIPES FRANÇAISES est à la musique : un événement EN PLACE ET NOUS BÉNÉFICIONS vedette mobilisant largement le public, bénéficiant tant au Maroc qu’à DE LEUR SAVOIR-FAIRE» l’étranger de retombées médiatiques conséquentes, mais sans grand impact sur l’industrie afférente. quelques semaines à peine après L’édition de l’année 2004 est Une lourde machine aux effets les événements du 11 septembre. une édition charnière, que éphémères? L’année suivante, le festival se dote les professionnels désignent d’une fondation, présidée par le comme étant l’année de la ORGANISATION : prince Moulay Rachid. Un signal fort professionnalisation. La veuve Melita WORK IN PROGRESS qui annonce un an à peine après son Toscan du Plantier hérite du titre démarrage une nouvelle ère. Mais de directrice du festival, tandis que Pour comprendre son l’organisation du FIFM telle qu’on sont nommés aux postes de vice- fonctionnement, l’évolution de la connaît aujourd’hui ne se mettra présidents délégués le directeur du l’événement renseigne. Le festival véritablement en place qu’après la Centre cinématographique marocain serait né de l’initiative du roi mort de Daniel Toscan du Plantier, en Nour-Eddine saïl et le président de la Mohammed VI, sous le conseil du 2003. SNRT Fayçal Laaraichi. Cette même LE MANAGER La revue ECONOMIA n°8 / février - juin 2010 115

partenariat en matière d’organisation PAR-DELÀ LES VEDETTES, entre ces deux festivals. Le ministre IL FAUT INVITER LES de la Communication et Porte-parole du gouvernement Nabil Benabdellah ACHETEURS INTERNATIONAUX avait reçu en 2006 Abdelhamid Joumaa, le président du festival année, l’agence événementielle émirati. Mais la tentative est restée française Le Public Système fait lettre morte. son entrée dans l’organisation du Reste que les projecteurs braqués festival, notamment aux commandes sur les paillettes auront beau faire de la direction artistique. Depuis, miroiter le succès du 7ème art au cette organisation quadricéphale Maroc, les sièges désespérément perdure. Jusqu’à la 8ème édition vides dans les salles de cinéma une en 2008, plusieurs membres de fois le tapis rouge du festival rangé, l’organisation déploraient des ne trompent pas les professionnels du tensions permanentes entre ces secteur. Comme le titrait en décembre différents pôles. D’où quelques marocaine (de 6 permanents jusqu’à 2007 le quotidien français Le Monde couacs au niveau de l’organisation et 450 personnes au fur et à mesure que : «Derrière le festival de Marrakech, de la logistique du festival. «Le FIFM a l’événement se rapproche, hôtesses des salles de cinéma qui agonisent». atteint en 2009 sa vitesse de croisière, d’accueil comprises), il apparaît En réalité, la formidable promotion indique un membre de l’équipe. à l’étude des postes stratégiques de cet événement semble pour S’il est vrai que la guerre des égos que l’équilibre entre profils locaux l’instant bien plus profiter au secteur a provoqué par le passé quelques et étrangers (essentiellement touristique et à la ville de Marrakech dysfonctionnements, la machine est hexagonaux) est quasiment atteint. en particulier, qu’au secteur du aujourd’hui beaucoup mieux huilée et cinéma. En cause : l’absence d’un la direction est mieux partagée : nous UN «FESTIVAL D’IMAGES» marché du film adossé au festival sommes obligés de composer les uns APPELÉ À DEVENIR UN à même de soutenir la production avec les autres». «FESTIVAL D’INDUSTRIE» marocaine et d’encourager les acheteurs étrangers à s’y intéresser. Par ailleurs, la gestion du festival a Côté positionnement, le FIFM s’est C’est ce que démontre ce témoignage longtemps été critiquée en raison attaché dès ses débuts à jouer d’un producteur québécois, Samuel de la prépondérance de profils dans la cour des grands festivals Gagnon, qui livrait en 2007 au étrangers dans l’organisation. internationaux de cinéma. Il s’est magazine Cinemag son diagnostic sur A cela, le directeur du Centre fait connaître à l’étranger, sans ce festival d’images qui doit d’urgence cinématographique marocain pour autant s’imposer dans le se muer en festival d’industrie : «Il ne Nour-eddine Saïl a longtemps opposé cercle fermé des grands festivals suffit plus d’inviter à grands frais les que peu importait la nationalité des cinématographiques, de Cannes vedettes, il faut inviter les acheteurs membres de l’équipe, tant que le à Venise, en passant par Berlin internationaux. Si les acheteurs festival progressait. Tout en relevant et Toronto. Peut-être parce que viennent, alors les vendeurs vont que si localement les compétences doté d’un budget beaucoup moins suivre. Si les vendeurs viennent, ils nécessaires à la bonne marche important : 5 millions d’euros pour vont vouloir montrer leurs films et du FIFM n’existent pas toujours, le FIFM (financement public et privé) la programmation du festival va être le festival sert de plateforme de contre par exemple 20 millions enrichie. Si les vendeurs sont là, ils formation et de transmission des d’euros pour le festival de Cannes. vont eux-mêmes payer pour faire compétences importées. Ce que Compte tenu de son jeune âge et venir les vedettes car ils en ont besoin confirme un membre marocain de sa localisation géographique, le pour leur promo. Je suis certain qu’en de l’équipe : «Chaque année nous seul véritable concurrent du FIFM trois ans, s’ils décident de créer un sommes tenus de coordonner semble être le festival de Dubaï, qui marché international, les acheteurs plusieurs tâches avec les équipes se déroule chaque année plus ou vont venir. Cela ne pourra qu’aider françaises en place et nous moins durant la même période. Avec aux échanges entre les producteurs bénéficions de leur savoir-faire. Nous ses 15 millions de dollars par an, marocains et internationaux et apprenons beaucoup ainsi». Si ce la concurrence est telle qu’il avait promouvoir le Maroc comme lieu de dernier ajoute que l’équipe est à 70% été envisagé en 2006 d’établir un tournage potentiel». A bon entendeur! 116 LA CULTURE OUI, MAIS OÙ ? Par Kenza Sefrioui Journaliste et critique littéraire

i vous avez envie d’aller exclues toutes les manifestations disparaître totalement, puisqu’il n’a voir un spectacle ou culturelles, qui portent, elles, sur pas de seconde vie sous forme de DVD un film, d’acheter le lien social et sur les valeurs - et quand c’est le cas, c’est sous le S un livre, d’assister à que nous partageons. A Paris, par manteau qu’il se diffuse. Les festivals une conférence ou de visiter une exemple, si vous prenez le métro sont par définition des événements exposition, bref, de suivre l’actualité pour vous rendre à votre travail, vous ponctuels. Mais la plupart sont des artistique et intellectuelle, mieux longez des couloirs sur les murs vitrines pour l’international, utiles vaut vivre en ville. Parce que les desquels vous prenez connaissance à une carrière politique, mais qui campagnes sont, de ce point de de toute l’actualité théâtrale, couronnent rarement un travail vue-là, complètement sinistrées. Et cinématographique, humoristique, artistique installé dans la durée. Rares encore, même dans les grandes villes, artistique. A Casablanca, vous sont d’ailleurs ceux qui ont une vraie la culture reste d’accès confidentiel, pouvez tourner pendant des heures audience populaire, puisque les prix faute d’une politique qui l’intègre dans la ville sans voir une seule pratiqués rendent la majorité hors réellement à l’économie locale. Elle affiche concernant un événement de la portée du plus grand nombre. est absente de la vie du quartier. culturel. Rien n’est fait pour informer C’est dans le domaine des arts Les maisons de jeunes, qui ont tant ceux qui s’intéressent à la culture, plastiques que l’élitisme est le plus fait pour l’éducation artistique dans encore moins pour inciter les gens marqué, puisqu’on ne peut les voir les années 1960 et 1970, ont fermé. à s’y intéresser. A l’école, aucun que dans des galeries où le commun La disparition des salles de cinéma enseignement artistique n’est assuré, des mortels ne mettra jamais les a atteint un rythme alarmant, au et la quasi disparition des activités pieds, et où l’on s’extasie sur la valeur point d’inspirer à Mostafa Ziraoui parascolaires ne permet plus au plus que prennent quelques peintres un court-métrage, Nostalgie, où il grand nombre possible d’enfants de marocains sur un marché dopé par énumère toutes ces pertes pour le s’initier au théâtre ou à la musique. des courtisans. Pour le commun des paysage des quartiers. Idem pour les mortels, le peintre, c’est le mendiant théâtres. Les bouquinistes ferment Vous aimez les émissions littéraires ? qui expose quelques toiles au coin un à un, et les rares résistants se Mieux vaut être nocturne… d’une rue… laissent envahir par la poussière. Les Dans les médias, la culture, reléguée librairies sont de plus en plus rares, aux dernières pages, est souvent Dans ce contexte, tout le monde même dans des villes universitaires, traitée sous forme d’agenda, se plaint : le public, parce que tout et se reconvertissent en glaciers. Les c’est-à-dire d’événement ponctuel. est trop rare ou trop cher ; les disquaires n’existent plus. Au final, la Justement, la culture, ça se déguste professionnels du secteur, parce qu’il culture disparait de la vie quotidienne ponctuellement : depuis quand une n’est assez structuré. Résultat : des gens. pièce de théâtre a tenu l’affiche les artistes peinent à trouver leur pendant au moins une semaine public, et le public, à s’ouvrir à ce que La ville est devenue un lieu d’échange ? Un film marocain reste à peine proposent les artistes… Et c’est la de biens et de services, dont sont deux semaines en salle, avant de culture qui paie les pots cassés.