PRINTEMPS 2009 FRANCE MÉTROPOLITAINE €5 / DOM €5,80 / ALL €6,50 / BEL €5,80 / CH 10 FS / CDN $ 9,75 / ESP €5,80 / GB £ 4,5 / GR €5,80 / ITA €5,80 / JPY 2000 / LUX €5,80 / PORT €5,80 / USA $ 9,75 P H O T O : B E N L O W Y # 4 SARAH CARON MARIE-LAURE DE DECKER CEDRIC GERBEHAYE LAUREN GREENFIELD DIANE GRIMONET DIANE GREENFIELD LAUREN GERBEHAYE CEDRIC DECKER DE MARIE-LAURE CARON SARAH DEREK HUDSON ANTONIN KRATOCHVIL ANTONIN HUDSON DEREK BRUNO BARBEY JEAN-GABRIEL BARTHELEMY MARCUS BLEASDALE BLEASDALE MARCUS BARTHELEMY JEAN-GABRIEL BARBEY BRUNO CHANGER DE REGARD REGARD DE CHANGER SUR LE MONDE LE SUR Bagdad vu de la fenêtre d’un blindé américain blindé d’un fenêtre la de vu Bagdad BEN LOWY BEN

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PHOTOJOURNALISME LA REVUE DU DU REVUE LA S L L ’ e o

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Parlez-moi d’images ...... 10 Rencontre avec Alain Genestar CHARLOTTE RAMPLING PRINTEMPS 2009 ISABELLE HUPPERT www.polkamagazine.com Le mur ...... 12 email: [email protected] LES PHOTOGRAPHES DE POLKA #4 Editorial par Alain Genestar 17 Derek Hudson ...... 18 LE PHOTOGRAPHE ET LES CRÉATEURS par Jean-Kenta Gauthier VII : Morris, Greenfield, Kratochvil, Bleasdale ...... 30 AU PAYS D’OBAMA par François de Labarre Ben Lowy ...... 40 FENÊTRE SUR GUERRE par Jean-Pierre Perrin Sarah Caron ...... 46 LES TALIBAN SONT PARMI NOUS par Dimitri Beck

MARIE-LAURE DE DECKER Cédric Gerbehaye ...... 52 Tchad du sud, Woodabé en tenue LE CONGO SOUS UNE PLUIE D’ACIER de cérémonie, 2003 par Cyril Bensimon LE TRIMESTRIEL DU PHOTOJOURNALISME Bruno Barbey ...... 60 «Polka Magazine», 27, rue Jasmin, 75016 . Tél.: 01 43 14 27 72. PÊCHEUR D’ICÔNES Directeur de la publication: Alain Genestar. [email protected] Editeur: Edouard Genestar. [email protected] par Joëlle Ody Directrice éditoriale: Adélie de Ipanema. [email protected] Rédacteur en chef: Dimitri Beck. [email protected] Diane Grimonet ...... 74 Secrétaire générale: Brigitte Bragstone. HÔTEL SANS ÉTOILE Grands sujets: Joëlle Ody. par Alban Denoyel Direction artistique: Michel Maïquez assisté de Ludovic Bourgeois. Editing: Tania Gaster Jean-Gabriel Barthélemy ...... 78 Comité éditorial: Christian Caujolle, Jean Cavé, Jean-Jacques Naudet, Didier Rapaud, Reza, LA CITÉ INTERDITE Marc Riboud, Sebastião Salgado. Développement: Alban Denoyel. par Brigitte Bragstone Opérations spéciales: Victor Genestar et Gwendoline de Spéville. Publicité: Polka Régie. Tél.: 06 22 76 27 72 / 06 76 80 97 05. Marie-Laure de Decker ...... 86 ODE AUX WOODABÉS POUR UN SOIR OU POUR LA VIE Les photographes Bruno Barbey, Jean-Gabriel Barthélemy, Marcus Bleasdale, Sarah par Dimitri Beck Caron, Marie-Laure de Decker, Cédric Gerbehaye, Lauren Greenfield, Diane Grimonet, Derek Hudson, Antonin Kratochvil, Ben Lowy, Christopher Morris et Marc Riboud Marc Riboud ...... 94 Et Martin Argyroglo, Jérôme Baboulène, Kishanthi Bandara, Karyn Bauer, Cyril Bensimon, LE COMPAS DANS L’IL Christian Caujolle, Matthieu Charon, Annick Cojean, Chantal Comemale, Alice Fras, Victoire Garnier, par Adélie de Ipanema Jean-Kenta Gauthier, Manoel de Ipanema, Anaïs Jumel, François de Labarre, Eric Larrouil, Jean-François Leroy, Astrid Merget, Alain Mingam, Patricia Morvan, Mario et Véronique Ordonez, Polka rubriques Pascal Payen-Appenzeller, Sebastien Passedouet, Bernadette Pelletier, Jean-Pierre Perrin, Enquête ...... 106 Catherine Riboud, Catherine Roger, Pascale Sarfati, Muriel Simottel, Dominique Viger PHOTOS À VENDRE Remerciements à Magnum Photos, Agence VII, Agence NOOR, Agence VU’, la Fondation Henri par Laura Marzouk Cartier-Bresson. Et à Elliott Erwitt. Art ...... 110 Laboratoires de photographies: Central Color, Picto, Dupon. « L’ALLIANCE DU RÉEL, DU POÉTIQUE ET DU SPONTANÉ » Fabrication: Le Révérend Imprimeur - Valognes, Manche ( 50) - Tél.: 0145364000. Un entretien avec Guillaume Piens, par Edouard Genestar Printed in U.E / Imprimé en U.E Livres ...... 112 Commission paritaire: 1210K89693. Dépôt légal: 1er trimestre 2009. ISSN: 1962 - 3488. Revue de presse ...... 114 Droits de reproduction textes et photos réservés pour tous pays. SARAJEVO ENTRE RAGE ET BEAUTÉ «Polka Magazine» est une publication de Polka Image. Siège social: 27, rue Jasmin 75016 Paris. par Colum McCann SARL au capital de 34000 euros, RCS de Paris 497659094 Expo...... 115 ABONNEZ-VOUS A POLKA MAGAZINE L’ « INSURGENCE » DE LAURENT VAN DER STOCKT GAGNEZ DES REFLEX ET DES CYBER-SHOT AVEC SONY par Jean-François Leroy Tous les détails en page 113. Prise de vues ...... 118 ET SI OBAMA PROPOSAIT UN «DEAL» AUX PHOTOGRAPHES... Prochain numéro: été 2009, en vente fin mai par Christian Caujolle

printemps 2009 I 9 Parlez-moi d’images RENCONTRE AVEC ALAIN GENESTAR

ISABELLE HUPPERT “OUVRIR EN GRAND LA PORTE SUR SOI-MÊME”

« e ne m’y connais pas en «porte » qu’elle a ouverte pour eux. photo. » Au moins, c’est Résultat: un livre remarquable et une clair. Isabelle Huppert exposition, « La Femme aux portraits ». aime la netteté et les pho- «Oui, j’adore poser. J’aime être tos floues. « La photogra- regardée avec une forme de tolérance phie, c’est fait pour mon- et de curiosité. Chaque photo est un trer, mais c’est beau point d’interrogation. On ne sait pas ce quand ça montre ce que ça cache. » qu’elle va donner. Il n’y a aucune ré- J ponse immédiate. J’aime aller à la re- D’où cette photo floue d’elle, prise par Sara Moon. D’où cette autre, de dos, cherche de ce mystère. » Mais pour- signée Dominique Issermann. D’où quoi avec les « grands » photographes ses yeux fermés saisis par Michel et pas les autres, de taille plus petite ?... Comte. Par « grands », il faut entendre «bons», Pendant deux heures, à La Close- et « respectueux », ceux que vous inté- rie des Lilas, nous avons parlé ensem- ressez et qui sont attentifs à vous, ce ble de ce qu’elle appelle « le mystère qui exclut tous ceux qui « vous harcè- de la photo ». Et elle en parle bien, lent ou vous enferment ». Jeune comé- avec ce mélange de franchise et de dienne, elle se révoltait contre ces complication! Exemple de sa fran- séances photo où l’on demandait aux chise : « Je suis une amatrice de tout actrices de prendre des poses de star- ce que je fais, au cinéma comme en lettes pour calendrier. « C’était dimi- photo. » Exemple de complication : nuant. » «J’aime poser car c’est une expérience Souvenir des plus grands, des sur le vide. » Voilà, en deux phrases un meilleurs, des plus respectueux?... Elle portrait raccourci d’Isabelle, actrice cherche. Parle de Boubat et Doisneau : merveilleuse qui joue naturellement « On allait dehors, je ne posais pas. des rôles compliqués. J’étais un élément de leur promenade. » «Mais je ne joue jamais devant De Lindbergh : « Avec lui, je me sens l’objectif d’un photographe. Isabelle Huppert, photographiée en 1994 par Henri Cartier-Bresson/Magnum un peu allemande. » De Roni Horn : – Allons, quand vous posez, votre attitude amateur. L’amateurisme, selon elle, est la grâce, «Pour elle, j’ai retrouvé le sentiment intérieur de change, votre regard s’éclaire, votre visage at- le naturel, le vide, cette « expérience de vide », “La Dentellière” et bien d’autres films. » De Lise trape la lumière. Chaque fois, on assiste à une c’est-à-dire plus clairement : « L’ouverture en Sarfati : « Elle m’a photographiée dans la maison métamorphose. grand de la porte sur soi-même ; assez vite, j’ai de mes parents. » Et de Cartier-Bresson: « Je me – Oui, mais, c’est toujours mon regard. La compris que les grands photographes feraient souviens. Il est venu à la maison. On a parlé tout photo, c’est beaucoup plus qu’un rôle, c’est surgir de moi quelque chose de vrai, de simple. le temps. Il regardait comment je disais les choses même le contraire d’un rôle. C’est une forme de » Et Isabelle sait de quoi elle parle. Pas moins de et non pas ce que je disais. La séance a duré une vérité qui, bien sûr, peut être maquillée, travestie, 75 photographes, immenses, Robert Frank, Car- demi-heure. Henri a pris six photos. » mais, au-delà, il y a cette vérité qui passe. » tier-Bresson, Avedon, Doisneau, Lindbergh, Elles étaient toutes nettes. Newton, Boubat, Nan Goldin ont franchi cette Ainsi parle Isabelle de la photographie. En A.G.

10 I polka magazine #4 La Française est présidente du prochain Festival de Cannes. L’Anglaise est jurée aux Oscars. Deux actrices exceptionnelles, amoureuses de la photographie. Mais différemment.

CHARLOTTE RAMPLING “L’IMAGE ARRÊTÉE, TU NE PEUX PAS LA NIER”

lle évite la lumière. nus, d’elle. C’est la première fois, Plutôt étrange, pour comme en amour. « Nous étions no- une star élevée sous vices l’un et l’autre. Moi nue, assise les sunlights. Je sur la table de la chambre, lui photo- l’avais installée de- graphiant. Trois ou quatre rouleaux, vant la grande baie, pas plus. Et j’ai commencé à compren- dans ce restaurant du dre autre chose de moi, ce côté animal Trocadéro ouvert sur l’esplanade, et justement. C’était l’image arrêtée de ECharlotte Rampling a préféré tourner “Portier de nuit”. Cette image célèbre le dos à la vue. « Trop de lumière a symbolisé la force du film. » Et ces blanche, on ne voit plus les lignes, les mots de Charlotte Rampling qui en nuances. » Elle s’exprime comme disent plus que tous les livres sur une photographe. Ce qu’elle est. l’impact de la photographie : « L’image Charlotte, qui a les plus beaux yeux arrêtée, tu ne peux pas la nier. » du cinéma, a l’œil. Initiée par Lartigue, déshabillée par C’est Jacques-Henri Lartigue Newton, anoblie par la Maison euro- qui lui a tout appris. « Mon amour de péenne de la photographie dont elle est la photo est né avec notre rencontre. devenue « la mascotte » du conseil d’ad- Il photographiait avec élégance, ministration, l’actrice a poursuivi sa liai- comme si de rien n’était, par magie. son avec les photographes qu’elle re- Un jour, il m’a filé un petit Olympus, garde en experte. La distinction de Marc et il m’a dit: “Vas-y, va prendre des Riboud. La délicatesse de Marie-Laure photos.” » Lartigue les a regardées. de Decker : « Elle dégage une belle in- Sans doute les a-t-il trouvées pas vulnérabilité. Face à elle, on a envie de mal. Un Nikon F3 a remplacé s’ouvrir. » Le romantisme organisé de l’Olympus, et Charlotte Rampling est Juergen Teller. La détermination de devenue une actrice de cinéma qui Salgado : « J’imagine sa patience, son fait de la photo. « J’entraînais mon dévouement, sa tolérance dans le non- œil. Je photographiais ce qui était au- Charlotte Rampling, photographiée en 1974 par Marie-Laure de Decker jugement. » Quant à Henri Cartier- tour de moi : mes enfants, les fleurs, l’architec- même. Devant l’objectif du photographe, je Bresson et Martin Parr : « L’un est le Français ture. La lumière donne le vide. J’attends qu’il joue un rôle, j’utilise ce qui est visuel. La photo qui montre ce que c’est qu’être français. L’autre, se passe quelque chose, une personne qui n’est pas pour autant un mensonge, mais une ré- l’Anglais qui montre ce que c’est qu’être anglais. passe, l’ombre d’un arbre. Il faut que ce soit vélation de vérités successives sur ce que l’on – Que voulez-vous dire ? habité. Mes images sont assez graphiques. » veut dire de soi. » Charlotte Rampling ne – Que l’Anglais dissimule son jeu alors que Passionnée, donc. Et passionnante quand contrôle jamais le travail du photographe. le Français veut être votre ami. elle raconte comment la photographe qu’elle est «Je lâche tout, je veux fusionner, c’est lui – Et vous, êtes-vous une Anglaise devenue devenue se laisse photographier. « Pour moi, la qui mène la danse. » Elle fait confiance. D’abord française ? photo a un côté animal. Il n’y a pas de parole. à Helmut Newton. Charlotte a 26 ans. Arles. Hô- – Je navigue entre les deux. » Non, je ne crois pas que ce soit le miroir de soi- tel Nord Pinus. Helmut veut faire des photos de A.G.

printemps 2009. I 11 LE MUR DE POLKA MAGAZINE #4 EST EXPOSÉ AU 104 RUE OBERKAMPF, PARIS XIe “Chaque photo a son histoire” JEUDI 5 FÉVRIER 2009 22H15 Heures d’ouverture de 11h Le «mur» du #4 n’est pas terminé. Il manque quelques papiers et légendes ainsi que les à 19h30, sauf le samedi de14h à 18h. rubriques: nous n’avons affiché que la partie «magazine». Des changements déjà décidés ne Fermé le dimanche et le lundi. sont pas encore intégrés. Dans quelques jours les premiers cahiers partiront pour la Pologne, où Renseignements: 0676809705 Polka est imprimé à 75000 exemplaires. Et vous trouverez ce numéro 4, daté «printemps 2009» et [email protected] dans vos boîtes aux lettres, dans les kiosques et chez vos marchands de journaux.

DEREK HUDSON BEN LOWY Originaire d’une petite bourgade jouxtant la royale Windsor On prononce «seven». L’agence a été fondée en septem- «Photographier la guerre a un côté captivant, soutient Ben et la noble Eton, Derek Hudson a découvert enfant le photo- bre 2001 par sept grands reporters: Alexandra Boulat Lowy. On se sent dans la peau de Schwarzenegger. On fonce journalisme dans la rubrique Photo News de l’édition locale (1962-2007), Ron Haviv, Gary Knight, Antonin Kratochvil, dans le danger, ce qui est excitant. Et on a aussi l’extraordi- du «Daily Express» que lisaient ses parents. Un jour de 1970, Christopher Morris, et John Stanmeyer. naire privilège de pouvoir témoigner de l’Histoire en au sortir de la gare de Paddington, une pluie diluvienne le fait Deux jours après sa création annoncée à Perpignan, les marche.» Ce photojournaliste né en 1979, diplômé de l’uni- se réfugier dans un cinéma. A l’affiche: «Blow Up» d’Anto- tours du World Trade Center s’effondraient et Jim Nacht- versité Washington de Saint Louis, a débuté en 2003 avec nioni. Le jeune Derek wey, rentré la veille à New York, signait le plus saisissant ses reportages sur la est fasciné par les cli- des actes de naissance pour la jeune agence photogra- guerre d’Irak. Il a aussi chés qui nourrissent phique. Au fil des ans, de nouveaux membres ont été inté- travaillé en Afghanis- l’intrigue. Ces photos, grés: Lauren Greenfield, Joachim Ladefoged, Eugene tan, Haïti, Indonésie, Antonioni les avait Richards, Marcus Bleasdale, Franco Pagetti... Deux Libye, au Darfour (pro-

commandées à Don nouvelles branches ont été créées: VII Network et VII jeté à Perpignan dans y w o L

McCullin, la légende Mentor. Avec «4 times America» la FNAC donne la parole le cadre de Visa pour n e B

du reportage de à quatre membres de l’agence. Antonin Kratochvil, né en l’Image en 2005), au © y n

g guerre. Derek Hudson République Tchèque en 1947, témoigne dans «In God’s Vietnam, en Inde – entre autres! Ses photos ont été publiées i t u o

B s’inscrit alors au club Country» de la place de la religion. Christopher Morris, dans «Time», «Newsweek», «Fortune», «Rolling Stone», «Na-

n n A photo amateur de son Californien né en 1958 a couvert pour «Time» les deux man- tional Geographic», «Stern»... Il fait maintenant partie de © village, s’installe à Londres et devient un pilier de Fleet dats de George W. Bush. Lauren Greenfield, diplômée de l’équipe VII Network dans laquelle l’agence VII distribue éga- Street, le district historique de la presse britannique où il ren- Harvard en 1987, scrute l’image de la femme américaine lement le travail de photographes non membres. Ses images contre son mentor, Terry Fincher, photojournaliste maintes obsédée par son corps et documente les jeunes. L’Anglo- aux couleurs intenses ont obtenu de nombreuses récom- fois primé. Plus tard, Derek Hudson se rend à New York pour Irlandais Marcus Bleasdale a travaillé pendant plus de penses, dont le 2e prix du World Press photo, en 2007. A la soirée de renaissance de «Life Magazine». Il restera près huit ans en RDC. Avec «Oil in America», il enquête sur la New York, son point d’attache, Ben Lowy vit avec la photo- de vingt ans aux Etats-Unis. Aujourd’hui, il vit à Paris. voiture dans une société qui en use sans modération. graphe Marvi Lacar, sa femme, et leurs deux teckels nains.

de la Thaïlande» et, du Moyen-Orient, un reportage sur les brigades des martyrs d’Al-Aqsa en SARAH CARON Palestine. «Quand je pars en reportage, je m’investis émotionnellement. J’en ai besoin pour « Trimballer mes yeux derrière un appareil photo me donne transmettre.» Résultat, à chaque histoire, Sarah revient toujours plus forte, changée. Pour l’impression d’avoir le droit de fourrer mon nez dans ce qui Polka Magazine, elle a passé tout le mois de novembre dans la zone tribale pakistanaise a priori ne me regarde pas, un prétexte merveilleux pour qu’elle appelle cet «endroit oublié de Dieu». «Parce que je suis une femme, cette histoire est r e i

essayer de comprendre un monde incertain.» C’est en n celle qui m’a le plus marquée depuis le début de ma carrière.» Dans ce monde plutôt masculin, n o M

cherchant son sujet pour son mémoire de maîtrise que Sa- n être une femme photographe est souvent plus difficile «mais cela peut être parfois un a i t s i rah Caron trouve sa voie. Raconter des histoires en images, r véritable atout, comme pour parler de la condition de la femme. Pour ce sujet, un homme h C

partir à la quête du monde, des gens et de la vie ailleurs. © n’aurait pu avoir accès qu’à une partie de l’histoire». Récompensée par de nombreux prix, Depuis douze ans, la photographe passe en moyenne neuf mois par an à travers le monde. notamment celui de la Fondation Jean-Luc Lagardère en 2000, le Master Class du World Press D’Afrique, elle revient avec une enquête remarquée sur l’immigration clandestine subsaha- et, plus récemment, en 2007, le Getty Grant de la Fondation Getty, Sarah Caron a exposé rienne avec le livre «Odyssée moderne», de ses années en Asie naissent plusieurs docu- l’année dernière à New York, à la galerie de la Fiaf, une rétrospective de ses années de vaga- ments, notamment, «Les Ames errantes au Cambodge» et «La révolte des musulmans au sud bondage photographique à travers le monde.

12 I polka magazine #4

CÉDRIC GERBEHAYE BRUNO BARBEY DIANE GRIMONET « Je fais de la photo, dit-il, parce que j’ai des convictions.» «La photographie, dit-il, est le seul langage qui peut être C’est en arrivant à Paris, en 1990, à 30 ans, que Diane Grimo- A l’école de journalisme, Cédric Gerbehaye s’est vite rendu compris dans le monde entier.» Français né en 1941 au Ma- net découvre la photo, qui deviendra la passion d’une vie. Par compte que le format de l’audiovisuel ou de la presse écrite roc où il a passé son enfance, Bruno Barbey a suivi les cours le biais de portraits de comédiens, elle devient photographe ne correspondait pas à ce qu’il souhaitait faire : des repor- de l’Ecole des arts et métiers de Vevey, en Suisse. Nominé de théâtre et parcourt toutes les scènes de la capitale pen- tages pour documenter ce dont on ne parle pas, rendre en 1964, associé en 1966 (à 25 ans), il devient en 1968 mem- dant sept ans. Son travail prend un tournant décisif lorsque, compte, témoigner en prenant le temps, en analysant, bre de l’agence Magnum Photos dont il va être vice-prési- passant devant la Maison des ensembles, un squat, elle dé- en assumant sa dent pour l’Eu- couvre le milieu des pré- subjectivité. A rope en 1978 et caires et des sans-pa- peine diplômé 1979 et prési- piers. Elle commence à –après un mé- dent pour l’inter- suivre le mouvement des moire consacré national de 1992 chômeurs qui prend une au conflit israélo- à 1995. Son en- ampleur considérable et r e palestinien–, ce trée dans la célè- le quotidien «Libération» k c n u I

Belge né en 1977, bre coopérative lui demande de couvrir e v e y e r t

basé à Bruxelles, de photographes l’événement. Ses clichés e S l

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a commencé sa le propulse dans en noir et blanc seront e i l a h

carrière de photographe free-lance. Il est retourné en Israël le tourbillon du publiés dans la presse t a N g

n i © et dans les Territoires palestiniens, s’est intéressé à la ques- l photojourna- française et étrangère. d u R

tion kurde en Turquie et en Irak. En 2007, son sujet « Gaza: a lisme, au contact Dès lors, Diane se spécialise dans les sujets de société. En w E

Pluie d’été » a été récompensé par le deuxième prix dans la © des convulsions 2000, elle s’intéresse aux femmes en errance et réalise catégorie jeunes reporters du Prix Bayeux-Calvados des de la planète, dont de nombreux conflits. Mais il aime tra- «Paris Ville lumière» qui sera exposé en 2002 à Perpignan correspondants de guerre. Il a reçu en 2008, pour son travail vailler seul, sans précipitation, et sur des thèmes personnels. lors du festival Visa pour l’Image. Festival où elle se voit sur le Congo (objet d’un livre, «Le Congo dans les limbes», Ce pionnier de la couleur a ainsi constitué une œuvre où se nommée au Visa d’or dans la catégorie «magazine» en 2007. aux éditions E Center) sept prix, dont un World Press Photo croisent reportages à chaud et patientes recherches de sens Le choix de Diane est de montrer la souffrance des sans voix: (3e prix «stories»), l’Olivier Rebbot Award de l’Overseas et d’intensité. Son sujet fétiche : le Maroc, où il retourne «Je m’assois parmi eux et ne dis rien. Je capte les vies qui Press Club of America et l’Amnesty International Media photographier sans cesse. En ce moment, il expose en Corée ont basculé, les naufrages intimes, je guette les petits riens.» Award. Cédric Gerbehaye est membre de l’agence VU’. du Sud, au Brésil, en Europe... Des petits riens qui disent tant. Aujourd’hui, elle travaille sur LE CHOIX DE LA PHOTO D’ACTUALITÉ - FRANCE INFO un projet de longue haleine, entrepris depuis 2007 à partir de “Hôtel sans étoile” de Diane Grimonet page 74 ses archives photographiques et qui devrait durer dix ans, A retrouver dans la chronique PHOTOS PHOTOGRAPHES de Pascal Delannoy «100 photos pour sans droits» et continue de faire œuvre de tous les samedis 5h12 - 6h42 - 10h13 - 22h43 - 00h43 et sur france-info.com témoin de la misère ordinaire.

printemps 2009 I 13 La Fnac présente

4 photographes 4 expositions 4 regards sur les Etats-Unis

Avec l’élection de Barack Obama, les Etats-Unis se retrouvent plus que jamais au centre des enjeux po- litiques, économiques et même écologiques, de la planète. Une fois de plus l’Amérique nous surprend, affichant une incroyable faculté à rebondir et à innover. A l’aube d’un mandat qui inaugurera forcément une nouvelle époque, la Fnac présente le regard inédit que quatre photographes de l’Agence VII, deux Américains et deux Européens, portent sur un pays toujours en quête de son identité. I I I I V

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LAUREN GREENFIELD CHRISTOPHER MORRIS « GIRLS AND AMERICAN BODY » « AMERICA » Fnac Toulon 13/01 - 7/03/2009 Fnac Montparnasse 13/01 - 7/03/2009 Fnac Forum des Halles 14/04 - 6/06/2009 Fnac Toulon 17/03 - 16/05/2009 I I V

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ANTONIN KRATOCHVIL MARCUS BLEASDALE « OIL IN AMERICA: OUR LOVE AFFAIR WITH CARS » « IN GOD’S COUNTRY » Fnac Perpignan 13/01 - 7/03/2009 Fnac Strasbourg 13/01 - 7/03/2009 Fnac Clermont-Ferrand 17/03 - 16/05/2009 Fnac Aix-en-Provence 17/03 - 16/05/2009 JEAN-GABRIEL MARIE-LAURE MARC BARTHÉLEMY DE DECKER RIBOUD Il est une exception dans le photojournalisme. Paparazzi de La passion chevillée au corps depuis 1966 –son année «dé- «C’est la réalité qui est au bout de la ligne de mire, la réalité renom international, à l’agence Sipa pendant trente ans, clic» – Marie-Laure de Decker s’est rendue bien souvent là que le cadrage peut transformer en rêve.» Pour la première Jean-Gabriel Barthélemy a puisé dans son enfance de poul- où s’écrivait l’histoire contemporaine. Au Vietnam, d’abord, fois, en 1953, Marc Riboud est publié: la photo du peintre bot du quartier des Halles, au cœur de Paris, un sens inné de de 1970 à 1972, au Tchad du Nord ensuite en 1975, puis en de la tour Eiffel trône en pleine page dans «Life». Le point la débrouillardise entre Prévert et Tintin. URSS, en Chine, au Mozambique et en Afrique du Sud en commun de la plupart de ses photos: la géométrie. Robert L’histoire serait trop longue de ses liens tissés avec Caroline 1985 «à une époque où l’on se demandait si l’apartheid al- Capa et Henri Cartier-Bresson le remarquent, le premier lui de Monaco, le prince Charles, Diana, la Callas et Onassis... lait tomber un jour». Pour s’occuper de ses deux fils, la pho- apprend «à s’approcher de son sujet», tandis que le second De Gstaad à Saint-Tropez tographe de Gamma passe remarque son côté ou au Palace des années du grand reportage au gla- matheux et lui en- 80, ses photographies vo- mour. C’est le temps des cli- seigne «la discipline lées ou posées ponctuent chés de mode pour «Vogue», de la composition de les temps forts d’un photo- celui des portraits de person- l’image». De ses journalisme du « people » nalités artistiques comme longues années d’ap- s e avant l’heure. Jacques Prévert, Marguerite prentissage, Marc u g u a S

Curieux de tout, son œil ai- Yourcenar et Duras, Orson Riboud constate: «Ce e R c D n e r guisé le conduit en avril Welles, Gainsbourg ou Char- n’est pas le sujet qui © o l R F D

© 2002 à Beaubourg pour lotte Rampling... mais aussi compte, c’est l’approche visuelle. Une surprise visuelle avec © découvrir les tirages géants d’Andreas Gursky. C’est le début celui des photos sur les tournages de «Van Gogh» et de une certaine organisation de la forme.» Après avoir parcouru d’un tournant radical dans sa vie professionnelle. Travaillant «Sous le soleil de Satan», films de Maurice Pialat. Marie- le monde: l’Inde, l’Iran, l’Afghanistan, de longues années en à la chambre 20 x 25, il réalise sur les barres d’immeubles Laure se sent pourtant comme un diable en boîte. Le goût Chine ou en Afrique, le photographe prendra plus de plaisir de la Cité des 4000 des œuvres détonantes d’une banlieue de l’aventure lui manque. « Quand mes fils ont été assez à saisir des paysages, des instants de vie. Suivre des gens en ébullition. Un travail similaire sur le château de grands, je suis retournée à mes premières amours. Je n’ai pour raconter des histoires l’intéresse beaucoup moins, au Versailles est publié dans «Geo». Exposé à Visa pour pas de plus grand bonheur que de découvrir et photogra- grand désarroi de ses parrains. «Photographier un beau l’Image et à la BNF, le célèbre paparazzi des années 80 a fait phier un peuple que je n’ai jamais vu. C’est comme mettre paysage, explique-t-il cependant, c’est comme écouter de place à un artiste original. la main sur une pépite.» la musique ou lire de la poésie, cela aide à vivre.» QUELLE COUVERTURE AURIEZ-VOUS CHOISIE?

Pour ce numéro de Polka, quand il s’est agi de décider quelle photo allait «monter» en couverture, nous avions l’embarras du choix. Une dizaine de projets ont été selectionnés puis débattus avant d’arrêter notre décision. Et vous, auriez-vous fait le même choix ? Vous pouvez donner votre avis sur le site www.polkamagazine.com

printemps 2009 I 15 Derek Hudson LE PHOTOGRAPHE ET LES CRÉATEURS Hockney, Koons, Pietragalla, Saint Laurent, Tennessee Williams, Bacon, Patti Smith, Soulages, Starck, Galliano, Gilbert & George, Westwood, Matisse “Créer c’est divin, reproduire c’est humain” Man Ray Burinées et soignées, comme lestées par une œuvre monumentale, les mains de Pierre Soulages sont à elles seules une leçon de création, un chapitre de l’histoire de l’art; photographiées, elles se métamorphosent en un puissant portrait du maître. Le corps de l’artiste est un absolu, il est la genèse de la création, il est aussi son ultime intimité. Photographier le corps d’un artiste, c’est comme le mettre à nu ; c’est aussi la preuve de la persévérance de Derek Hudson, ce photographe qui a su gagner la pleine confiance de son modèle. DEREK HUDSON PARIS, 2006 Les mains de Pierre Soulages Quatre photographes de l’agence VII, Chris Morris, Lauren Greenfield, Antonin Kratochvil, Marcus Bleasdale livrent un portrait de l’Amérique d’aujourd’hui AU PAYS D’OBAMA Ils témoignent des obsessions d’un empire affaibli mais prêt à rebondir, et qui croit en son 44e président. Leurs images font partie de l’exposition « 4 times America » présentée dans le réseau des Galeries photo de la Fnac jusqu’à fin 2009. CHRISTOPHER MORRIS WASHINGTON D.C., NOVEMBRE 2008 Au Lincoln Memorial, Jerome Jacob, 6 ans, contemple le discours de Gettysburg, prononcé par Abraham Lincoln le 19 novembre 1863, quatre mois après la bataille de Gettysburg. C’est ici que Barack Obama a été investi président le 20 janvier dernier. Ici, qu’en 1963, Martin Luther King Jr. a prononcé son célèbre: «I have a dream...» (Je fais un rêve). Benjamin Lowy IRAK, FENÊTRE SUR GUERRE Comme on découvre une ville à travers les vitres d’un bus, le jeune photographe américain Ben Lowy regarde Bagdad derrière le hublot d’un blindé. De jour ou de nuit, son objectif fixe les images de la cité des Mille et Une Nuits où « la cruauté a défié l’imagination ». Dans ces conditions extrêmes, la vie quotidienne continue. «Quelques signes annoncent qu’un printemps est peut-être possible », écrit Jean-Pierre Perrin. C’est sur ce constat que va pouvoir s’appuyer le nouveau président Barack Obama pour amorcer le retrait des troupes américaines.

BENJAMIN LOWY ABOU GHRAIB, BAGDAD-OUEST, 2007 «Le niveau de violence en Irak est tel qu’il est suicidaire de se balader dans la rue pour prendre des photos, raconte le photographe. Comme les soldats américains, je me suis retrouvé bien souvent à découvrir un pays ravagé à travers l’épaisse fenêtre blindée d’un Humvee de l’armée.» Benjamin Lowy a commencé ce travail en 2005 et le poursuit actuellement.

SARAH CARON RÉGION DE DERA ISMAËL KHAN, DÉCEMBRE 2008 A la frontière entre le Waziristan- Sud et la province de la frontière du nord-ouest, les autorités pakistanaises font appel à des miliciens tribaux pour veiller sur cette région menacée par les taliban. «Ces miliciens sont parfois eux-mêmes d’anciens repris de justice. Ils s’achètent facilement», confie Sarah. L’ouest du Pakistan est devenu le sanctuaire des taliban et Sarah Caron des combattants étrangers d’Al-Qaida. Plus qu’un refuge pour aller frapper les troupes étrangères dans l’Afghanistan “A DERA ISMAËL KHAN, voisin, la région est elle-même une poudrière où les armes sont partout. Forces gouvernementales, miliciens tribaux, LES TALIBAN SONT taliban, tout ce monde d’hommes armés menace au quoti- dien la société civile. Seul refuge pour les femmes, l’espace PARMI NOUS” privé de leur maison derrière de hauts murs aveugles. De là, elles entendent le bruit de la rue et celui des armes. La pho- tographe Sarah Caron y a été invitée et a rapporté les images de cette intimité, à l’abri du regard des hommes. Cédric Gerbehaye LE CONGO SOUS LA PLUIE D’ACIER

CÉDRIC GERBEHAYE RDC, NYANZALE (NORD-KIVU) JUILLET 2008 Le camp de réfugiés de Nyanzale, dans le Nord-Kivu, au nord de la capitale provinciale, Goma, se trouve dans une zone où s’affrontent régulièrement les factions ennemies.

52 I polka magazine #4 Un conflit lointain, complexe, hors de vue, dans l’est de la République démocratique du Congo déjà ravagé par l’interminable guerre interafricaine. Alors qu’une nouvelle fois, mi-janvier, l’arrêt des combats a été annoncé, la situation reste dramatique. Fin août, la reprise de l’offensive par les troupes du général rebelle tutsi Nkunda, arrêté le 22 janvier, a lancé sur les chemins de l’exode de nouveaux civils terrifiés. Chassés de chez eux par les exactions et les meurtres, les déplacés sont plus de 1million. Ils survivent dans les camps de réfugiés. Seul mais aussi avec l’aide de plusieurs ONG, Cédric Gerbehaye a photo- graphié cette tragédie. Il a déjà séjourné trois fois, depuis 2007, en Ituri et au Kivu où il continue son travail documentaire.

printemps 2009 I 53 CORÉE DU SUD, SÉOUL, BERGE DU FLEUVE HAN, 2007 «Cette jeune femme, explique le photographe, se protège à la fois de la pollution et du soleil. Dans ce pays de tradition et de modernité, la bourgeoisie et l’aristocratie considèrent toujours que seuls les paysans sont bronzés. Le filet a été posé par un acrobate qui avait tiré un câble au-dessus du fleuve.» BBrunoruno BBarbeyarbey PÊCHEUR D’ICÔNES «Je suis plus attiré par la beauté, l’humain, le positif. Je ne me plais pas dans le sordide. Je refuse l’esthétisme de la folie et de l’horreur. » Entré tout jeune à Magnum, Bruno Barbey sillonne le monde depuis plus de quarante ans et, s’il a longtemps couvert crises et conflits, préfère depuis toujours le reportage au long cours, le temps de la réflexion, la distance qui permet l’analyse. Et l’harmonie des couleurs, dont le Maroc, le pays de son enfance, sa terre d’élection en photographie, lui a donné le goût. De la Corée au Brésil, ou déjà dans l’Italie de son premier reportage, Bruno Barbey signe des icônes toujours riches de sens. PARIS, 7 JANVIER 2008 RAYAN ET MAROUAN «J’ai fait peu de photos hors des chambres. J’ai saisi ce moment où Rayan et Marouan, les enfants de Malika, jouaient au foot dans le couloir, alors que dans cet hôtel c’est interdit, tout comme mettre de la nourriture au frais sur le bord de la fenêtre ou cuisiner. Du coup, le budget des familles est grevé car elles doivent acheter de la nourriture toute prête. » Diane Grimonet HÔTEL SANS ÉTOILE Elle a passé dix ans à photographier les différents visages de la précarité en France. Aujourd’hui, le sujet défraie la chronique, mais la situation ne semble pas près de s’améliorer pour autant. Diane Grimonet continue malgré tout, et vient de terminer un reportage sur la vie des familles à l’hôtel. Un univers clos, où il ne fait bon ni vivre ni photographier. Jean-Gabriel Barthélemy LA CITÉ INTERDITE Quand, en 2002, Jean-Gabriel Barthélemy photographie les A travers un réseau associatif, la population agit plus qu’elle ne barres et les habitants de la Cité des 4000, l’insécurité est le parle. L’horizon s’ouvre et les barres tombent. Celle du Mail de thème majeur de l’élection présidentielle. A la surprise géné- Fontenay restera, témoin d’une époque qui est passée de para- rale, Jean-Marie Le Pen arrive au second tour face à Jacques dis en enfer. Entre la décision de démolir et l’émergence des Chirac. Symbole pendant plusieurs décennies de la crise des nouveaux logements, il faut bien dix ans. C’est long mais l’en- banlieues, la Cité des 4000 est lasse de sa mauvaise réputation. vie de s’en sortir donne à La Courneuve un élan incontestable. LA COURNEUVE, 2002 La grande barre Presov, une des murailles bleues de la Cité des 4000 sortie de terre comme un champignon dans les années 60. On la fera imploser en 2004. Avec elle, une succession d’autres bâtiments de 165 mètres de large, hauts de 15 étages, ferme l’horizon d’une population qui a doublé en moins de dix ans. Cette cité pourrait s’appeler, quarante-cinq ans, plus tard la Cité des 2000. La majorité des barres comme Presov est tombée. La cité se redessine lentement en petits quartiers. Des arbres poussent. Mais le quartier Nord, qui abrite le tiers de la population, n’a pas encore tous les crédits pour sa rénovation. Marie-Laure de Decker ODE AUX WOODABÉS... POUR UN SOIR OU POUR LA VIE

Chaque année, un peuple nomade du Tchad, les Woodabés, BALTHAZAR LEVY TCHAD DU SUD, 2007 se retrouve pour un grand rassemblement. Lors de ce ren- Marie-Laure de Decker réalise une série de portraits de femmes. Cette photo est prise dez-vous au cœur de la savane africaine où bat le pouls des par Balthazar, le cadet, de la photographe. C’est la Peuls, le concours de beauté est le point d’orgue de la fête. première fois qu’il faisait partie du voyage. Son frère Pendant quatre jours et quatre nuits, les hommes en âge de aîné, Pablo,accompagne leur mère depuis le début en 2002. se marier rivalisent de beauté et d’artifices pour séduire Page de droite MARIE-LAURE les femmes. Chants, poèmes, danses et parades amou- DE DECKER TCHAD DU SUD, 2007 reuses, les prétendants jouent leur va-tout. Les femmes, Comme sur le visage de Maba Adaraï, le maquillage des elles, n’ont plus qu’à choisir l’élu de leur cœur. La photo- prétendants au worso change chaque année. graphe Marie-Laure de Decker est tombée sous le charme des Woodabés et de leurs coutumes ancestrales. Depuis plusieurs années, elle écrit en images une ode à l’amour destinée à ce peuple pacifique malheureusement en sursis.

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Marc Riboud LE COMPAS DANS L’ŒIL Depuis 1953, Marc Riboud se promène de pays en pays, photographie les gens, les paysages, la vie. Partout, il voit des ronds, des lignes et des courbes. Dès ses premières photos, il calcule. Le peintre de la Tour Eiffel, sa première publication, est aujourd’hui une de ses plus belles icônes et l’un de ses meilleurs exercices. Le secret de l’ancien élève d’Henri Cartier-Bresson : « Pour bien voir, il faut être rapide et précis. C’est un entraînement quotidien, c’est un réflexe qui se cultive tous les jours. Ne dit-on pas : Bon pied, bon œil ! »

MARC RIBOUD PLANCHES-CONTACTS TOUR EIFFEL, 1953 «Il faut un centième de seconde pour un coup d’œil, pour un déclic, mais, ensuite, des heures de patience pour choisir la bonne photo sur nos planches-contacts », confie Marc Riboud. Cette planche-contact, devenue célèbre, est une des premières du photographe. C’est Robert Capa lui-même qui fit le choix. Une seule sera sélectionnée par le maître: « Le peintre de la tour Eiffel ».

94 I polka magazine #4 printemps 2009 I 95 polkaenquête PHOTOS À VENDRE Multiplication des galeries, des photographes, des techniques, des prix... Le marché, en pleine évolution, résiste à la crise par Laura Marzouk

lors qu’il y a une quinzaine économique actuelle mais ne s’en inquiète pas: Un constat, cependant, fait l’unanimité: le d’années seulement, la pein- «Ce qui est de très bonne qualité et très bien marché s’est transformé du fait de la multiplication ture était seule reine des en- conservé se vend très cher.» des galeries. Il en est même apparu d’un nouveau chères, la photographie s’est Marc Héraud, le secrétaire général du Syn- type, qui vendent des clichés moins chers. Le pro- doucement installée comme dicat des entreprises de l’image, de la photo et de cédé: faire baisser les prix, qui reposent sur la ra- une valeur sûre du marché de la communication, estime, lui, que les prix vont reté, en augmentant les tirages. Comme Yellow l’art. Et ne rompt point sous continuer à grimper car, pour acquérir une photo- Korner, créée en 2005 par Alexandre de Metz et Ala bourrasque économique. A preuve, la dernière graphie d’art, «on n’est pas dans le rationnel: on Paul-Antoine Briat, qui a trouvé son public. Devant vente Jammes à Paris. André Jammes et sa femme achète par coup de cœur». Tous ne partagent pas le succès, les deux hommes ont ouvert une Marie-Thérèse comptent parmi les passion- deuxième galerie à Bruxelles et la troisième nés qui ont fait monter les prix des clichés est prévue à Paris, rive gauche cette fois. au cours de la dernière décennie. Ce couple Dans le même esprit, derrière sa devanture avait constitué une immense collection de rose foncé, L’Œil ouvert, tenu par Julien Fayet photographies anciennes: dès les années et Magali Bru, propose des clichés entre 50, André, fils de libraires, alors âgé d’une 70 et 1500 euros pour des tirages entre 25 et vingtaine d’années, se penche sur l’histoire 200 exemplaires par format. Bien sûr, on de la photo et commence à engranger. Un n’y trouve pas de grands noms de la photo, pari risqué à l’heure où ce type d’œuvre est mais la démarche plaît. «On a des fidèles, encore déprécié. Mais un pari gagné dès la souvent des premiers acheteurs mais aussi première vente Jammes en 1999 chez So- des collectionneurs», se réjouit Julien Fayet. theby’s à Londres: elle rapporte près de Propriétaires de la galerie Chambre 11 millions d’euros. En novembre 2008, la avec vues, Agnès Voltz et Bernard Derenne quatrième – et dernière – vente s’est très s’insurgent. Pour ce dernier, la distinction bien passée, selon Simone Klein, la spécia- est nette: «Ces personnes ne vendent pas liste en photographies chez Sotheby’s Eu- des œuvres d’art mais des photographies rope, qui précise: «75% des œuvres ont été d’art en plus de 30 exemplaires.» En effet, vendues.» Avant d’ajouter, comme pour ex- il a été défini qu’en dessous de 30 exem- pliquer le bilan de «seulement» 2 millions plaires, la photographie peut bénéficier du d’euros: «En ce moment, vu la crise finan- taux réduit de TVA à 5,5% applicable aux cière, la situation n’est pas évidente.» Le re- œuvres d’art, au lieu de 19,6 %. Agnès cord: 216750 euros pour un daguerréotype Voltz et Bernard Derenne sont d’autant plus du baron Jean-Baptiste-Louis Gros réalisé hostiles au principe de tirer en grand nom- vers 1850-1857. Les pièces vendues ont bre qu’ils proposent une gamme de prix presque toutes dépassé leurs estimations, serrés, d’une centaine à quelques milliers parfois largement. Et ce constat n’est pas d’euros, pour des tirages limités de 7 à isolé. Même si les évolutions ne sont pas 10 exemplaires. Agathe Gaillard, la proprié- identiques sur tous les marchés. taire et directrice de la prestigieuse galerie C’est la photographie dite classique qui porte son nom, spécialisée dans la pho- qui est aujourd’hui sur le devant de la scène. tographie à Paris depuis 1975, est encore GIANCARLO BOTTI ROMY SCHNEIDER, 1974 En noir et blanc, réalisés par des artistes renommés La photo a été prise chez l’actrice à Paris, juste avant plus sévère. Pour elle, à moindre coût on ne vend e le tournage de «L’important c’est d’aimer». Elle existe en plusieurs du XX siècle comme Henri Cartier-Bresson ou An- formats. Les prix vont de 900 à 2000 euros selon la taille rien d’autre que des posters. Même réaction de Gi- dré Kertész, ses «vintages» (tirages d’époque) sont à la Galerie de l’Instant. lou Le Gruiec, directrice de VU’ espace ouvert de- largement appréciés. Recherchés, ils peuvent at- cet avis. Quentin Bajac, historien de la photogra- puis dix ans dans le IVe arrondissement de Paris: teindre des prix très élevés. Vient ensuite le marché phie et conservateur au Centre Georges-Pompi- «C’est une initiative dommageable alors que la historique, avec des œuvres du XIXe siècle, lui aussi dou, envisage avec optimisme une prochaine photographie a eu du mal à s’installer sur le mar- en bonne santé. Seule la photographie contempo- baisse. Pour lui, les prix trop élevés empêchent ché de l’art.» Pourtant, avec la crise économique, raine, en couleur, «jeune», semble baisser, toujours les institutions de faire des acquisitions. Il voit l’initiative de baisser les prix peut sembler perti- selon Simone Klein qui voit là un signe de la crise dans la crise la fin de cette dérive. nente. « Il y a eu beaucoup >>suite page 108

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polkaprisedevues Et si Obama proposait un “Deal” aux photographes

par Christian Caujolle*

videmment, et même s’ils sont tentants, il faut se méfier des à manger et de la santé pour tous, donc de la force et de la grandeur, cela nous parallèles historiques. Encore plus lorsque, à leur manière, rappelle une autre figure tutélaire de la politique américaine, celle de les acteurs de l’actualité les utilisent, les mettent en scène ou Roosevelt. Et, donc, en photographie, cette exemplaire aventure de l’une des en perspective de façon symbolique. plus impressionnantes commandes d’Etat, destinée à dresser l’état du Prudence, donc, par rapport à tout ce qui va suivre et désastre, lorsque la Farm Security Administration (FSA) demanda en 1935 à qui concerne ce qui, de toutes façons, demeurera l’événe- Roy Striker d’engager les photographes Walker Evans, Dorothea Lange, ment majeur de la première décennie du XXIe siècle: l’élec- Arthur Rothstein, Ben Shahn, Jack Delano, Marion Post Wolcott, Gordon tion de Barack Obama comme 44e président des Etats-Unis d’Amérique. S’il Parks, John Vachon et Carl Mydans pour qu’ils documentent la situation. On Efait naître un immense espoir, dans son propre pays comme dans le monde sait à quel point cette campagne mythique de prise de vues a été essentielle, entier, il serait tout à fait naïf d’oublier certains points qui se révèleront qui a généré tant d’icônes parmi les 18000 négatifs aujourd’hui conservés à essentiels dans les années à venir. Il est, certes, la Librairie du Congrès (1) à Washington. un métis afro-américain, il défend, certes, des Ce n’est pas vraiment une provocation, idées généreuses de justice sociale, de protec- mais ce pourrait être un rêve, même si les condi- tion sociale, il veut, certes, en finir avec les er- tions ont radicalement changé et la photographie reurs dramatiques et choquantes, meurtrières et également: que Barack Obama décide d’une irresponsables de Georges W. Bush en Irak, en nouvelle campagne photographique mettant à Afghanistan, mais également en direction de plat et révélant une Amérique qu’il faut à l’évi- l’Iran et dans la gestion du conflit sans fin entre dence rénover et changer. A quoi pourrait-elle Israël et Palestine. Pourtant il serait dangereux bien ressembler? Elle aurait certainement des d’oublier qu’il est avant tout américain, qu’il est similitudes avec ce que nous avons en mémoire, profondément attaché à des valeurs patriotiques ne serait-ce que parce que, en dehors de toute qui veulent restaurer, développer et imposer à commande, certains photographes, militants, en- ELLIOTT ERWITT/Magnum Photos nouveau sur la scène internationale l’influence WASHINGTON, 20 JANVIER 2009. gagés, déterminés, explorent depuis des années déterminante des Etats-Unis. Après le Président, photographié comme une star au soir de son investiture, une Amérique des marginalisés. Je pense entre l'Amérique en crise dans l'objectif de tous les photographes, pourquoi pas ? Sa vision, ambitieuse et audacieuse de la autres à un Eugene Richards dont les prochaines rénovation de l’économie de son pays au moyen d’un plan d’investissement Rencontres d’Arles nous proposeront une grande rétrospective. Je pense massif qui s’accompagne d’une prise en compte des réalités écologiques également à un Stanley Greene, à un Gilles Peress, mais aussi à un Michael ouvre de réelles perspectives de modernisation en profondeur. Ackerman, à de nouvelles écritures. Tout cela peut installer à nouveau l’Amérique aux commandes. Une La grande différence, évidemment, ce serait la couleur, devenue essen- Amérique plus juste, plus respectable, mais toujours aussi soucieuse de son tielle. Celle d’un Eggleston (dont le Whitney Museum de New York propose influence et fondée sur des valeurs qui ne sont pas toujours en phase avec les une rétrospective avec un catalogue impeccable et qui exposera bientôt sa vi- évolutions de la société. Et, quelque émouvantes que puissent apparaître les sion de Paris à la Fondation Cartier pour l’Art contemporain), celle d’un Phi- accumulations de symboles, de la prestation de serment sur la Bible de Lin- lip-Lorca diCorcia, entre instantané et mise en scène, documentaire rigoureux coln au parcours en train vers Washington, il serait dangereux de se mépren- et suspicion par rapport au réalisme, celle aussi de Nan Goldin poursuivant sa dre: la générosité des idées et la volonté sincère de paix seront balisées par «Ballade», celle d’un Roberto Polidori dont l’approche des architectures vi- une forme de réalisme fondé sur l’intérêt supérieur de la Nation. bre d’ambiances et d’étrangeté. On pourrait en citer des dizaines d’autres, Elégant, brillant, charismatique, Barack Obama a su, également, s’en- dans des styles toujours différents, des Nachtwey et des Alec Soth, des sala- tourer de conseillers qui ont géré, de façon parfaite, sa communication et son riés de quotidiens locaux qui voient leur emploi menacé par l’effondrement image. Sans se laisser enfermer. Reste à transformer l’essai. Et, puisqu’il de la presse, mille autres peut-être. On pourrait rêver que Robert Frank re- s’agit d’image et que la symbolique est au rendez-vous, nous pouvons tenter prenne du service, tout comme William Klein, et que l’on rende leurs images des comparaisons, même si elles relèvent de la fiction. accessibles, sur Internet, au côté de celles d’amateurs qui témoigneraient avec Comme en 1929, crise économique et bancaire, chômage, pauvreté, leur téléphone portable. Et Wendy Ewald demanderait aux enfants de travail- désespoir sont au rendez-vous. On se dit alors que le projet économique du ler encore à regarder l’Amérique d’aujourd’hui. nouveau président, s’il vise à moraliser (et à surveiller) le système, ce qui est «I have a Dream», «We can do it». Qui sait? • louable, s’apparente également, avec son injection massive de milliards de dollars pour relancer la machine, à un véritable New Deal. Il est destiné à re- * Fondateur de l’agence VU’. construire physiquement le pays, des ghettos noirs qui n’ont pas vu leur si- 1. Les amateurs peuvent acheter des tirages, à prix coûtant, tuation s’améliorer depuis trois quarts de siècle jusqu’à La Nouvelle Orléans sur le site de la Librairie du Congrès: www.loc.gov où les dégâts de Katrina n’ont toujours pas été pansés. A lire: le PhotoPoche consacré à la FSA. «Les photographes de la FSA», Du travail pour le plus grand nombre en rêvant que cela soit pour tous, par Gilles Mora et Beverly W. Brannan, publié aux éditions du Seuil.

118 I polka magazine #4 Blouson en agneau velours. Pantalon droit en coton. Espadrilles en toile de coton. LA BELLE É V A S I O N Hermes.com *de quoi êtes-vous fait ? Information :0155 80 0910