Publié le 29 août 2018(Mise à jour le 30/08) Par Laure Salamon

Qui était , icône du protestantisme ?

Pour commémorer les 250 ans de sa libération, Réforme revient sur le parcours de Marie Durand et les idées reçues véhiculées à son sujet, avec la professeure Céline Borello.

Marie Durand est née en 1711, dans le Vivarais, aujourd’hui situé en Ardèche. L’édit de Nantes a été révoqué en 1685, les se sont révoltés dans les Cévennes, le mouvement prophétique apparu dans la Drôme et l’Ardèche est en déclin. C’est un moment de formidable résistance et de désorganisation. et d’autres prédicateurs comme (à qui Marie Durand écrira certaines lettres) tentent de reconstruire les Églises protestantes. Ce dernier, opposé à la violence des camisards, défend une attitude de patience et de résignation en attendant des jours meilleurs, pour montrer au roi que les protestants sont respectueux de l’ordre afin que celui-ci revienne à l’édit de Nantes. Était-elle paysanne ?

Née en 1711, Marie Durand habitait au Bouschet-de-Pranles, un village près de en Ardèche (lire p.12). Elle vient donc d’un milieu rural. Mais son père est un expert local foncier qui fixe les prix des terrains agricoles. L’historien Patrick Cabanel précise qu’il existe une hiérarchie de classe entre les paysans riches et ceux qui sont pauvres, que tous n’ont pas le même statut. Marie Durand a-t-elle été à l’école ? On peut supposer que c’est son père qui l’a instruite. Il a éduqué ses deux enfants, Pierre, qui deviendra pasteur, et Marie. Elle sait donc lire et écrire, ses lettres en attestent.

Était-elle célibataire ?

Marie Durand a souvent été présentée comme célibataire. Pourtant un acte de notaire du 27 avril 1730 prouve qu’elle s’est mariée avec Matthieu Serre. Le frère de Marie n’était pas favorable à cette union, vraisemblablement car c’est un homme de quarante ans alors qu’elle n’en a que dix-neuf. Mariée au printemps, elle est arrêtée en août avec Matthieu Serre.

Son arrestation est-elle un cas isolé ?

De nombreux protestants qui se retrouvaient dans les assemblées religieuses clandestines étaient arrêtés lorsque les soldats les trouvaient. Il n’y a rien d’exceptionnel pour une protestante opiniâtre à participer aux assemblées. La mère de Marie Durand, Claudine Gamonnet, a été arrêtée en 1719 et n’est jamais revenue.

Est-elle enfermée à cause de son frère ?

La famille Durand est surveillée car son frère Pierre est prédicateur au Désert puis pasteur à partir de 1726. Il est actif dans les réseaux de reconstruction du protestantisme et passe ensuite à la clandestinité. Étienne, le père, est arrêté en 1729, puis Marie et Matthieu en 1730, sans doute pour faire pression sur le frère. Son père et son mari sont enfermés dans la même prison, au Fort de Brescou, près du Cap d’Agde. Le père y restera quatorze ans, le mari jusqu’en 1750. Elle ne les reverra pas. Son frère Pierre est finalement arrêté en 1732, puis exécuté à . Pourtant, Marie Durand, elle, reste enfermée.

Est-elle enfermée seule dans son cachot ?

Marie Durand n’est pas toute seule , elles sont entre une dizaine et une vingtaine de femmes. Au total, 91 femmes protestantes seront enfermées dans la Tour de Constance à Aigues-Mortes, entre 1718 et 1761. Elles ne sont pas coupées du monde extérieur, elles reçoivent des visites, de l’aide de l’extérieur pour agrémenter leur ordinaire, comme de l’huile. Elles s’occupent comme elles peuvent : elles discutent beaucoup et partagent de vraies ou de fausse informations. La libération est le sujet de prédilection et l’objet de tous les fantasmes. Elles organisent des offices religieux, ont des activités qui permettent de passer le temps, comme la couture. Une prison n’est jamais agréable, la Tour de Constance ne l’est vraiment pas. C’est un lieu très humide et froid, ces femmes reçoivent de la prison de l’eau, de la paille et du pain. Et rien d’autre.

Était-elle une femme exceptionnelle ?

Si Marie Durand n’avait pas écrit ses lettres, elle serait sans doute restée aussi méconnue que ses codétenues. Patrick Cabanel explique dans son ouvrage Itinéraires protestants en Languedoc que Marie Durand ne détenait pas le record de l’enfermement le plus long. C’est Marie Robert, dite Frésole ou la Frisole, qui est restée enfermée 40 ans et quatre mois. D’autres femmes auraient pu marquer la mémoire collective : certaines sont entrées avec leur bébé et les ont élevés en prison ; la jeune Catherine Falguière, elle, a passé les seize premières années de sa vie dans cette prison.

La correspondance de Marie Durand est- elle un formidable témoignage ?

48 lettres ont été écrites entre 1734 et 1776, envoyées de la Tour sauf les dix dernières. Certaines sont signées collectivement par « les prisonnières », d’autres individuellement par « La Durand ». Ces lettres écrites par Marie Durand – et non celles reçues par elle –, ont été retrouvées dans les archives d’Antoine Court, de Paul Rabaut, dans celles du Consistoire… D’autres ont disparu. Ces lettres donnent à voir le quotidien : les difficultés matérielles et le rôle de la spiritualité. Son attachement à la Bible ressort sans cesse. L’aspect spirituel vient nourrir cette résistance, c’est l’espérance en Dieu qui permet à ces femmes de tenir. Les lettres servent à demander de l’aide et sont aussi parfois plus personnelles. Ainsi quand elle s’adresse à sa nièce Anne, la fille de son frère.

Quel est son lien avec la Bible ?

Sa famille est protestante, elle a été élevée par son père dans cette foi. Il faut imaginer que l’univers biblique est une planche de salut quand on est emprisonné.

La lecture de la Bible permet de tenir et donne des raisons de croire, de patienter, d’espérer. Ces femmes vivent une telle souffrance qu’elles doivent trouver une manière de sortir d’un quotidien extrêmement violent pour voir des signes possibles d’un avenir meilleur. Et la Bible leur en offre un.

Est-elle à l’origine du « Register » ?

Le mot « Register », gravé sur la margelle du puits, qui signifie en patois du Vivarais « résister », lui a été attribué. Sans preuve. Son père gravait des mots dans la demeure familiale. Est-ce qu’elle perpétue une tradition ? On ne sait pas.

Quelle est la place de l’argent ?

Ces femmes n’ont rien, leurs biens ont été confisqués. Leurs familles leur envoient de l’argent. Elles vivent de l’entraide protestante via des Églises locales et étrangères, notamment les Églises d’Amsterdam. C’est plus difficile avec l’âge car elles sont malades et ne peuvent se soigner. Certaines se retrouvent seules, comme Marie qui a perdu son père, son frère et son mari. Sa nièce Anne Durand n’arrange rien en demandant des comptes sur l’héritage de Marie. Heureusement, cette dernière est aidée jusqu’à sa mort par le consistoire des Églises d’Amsterdam, même après sa libération. Pourquoi est-elle libérée au bout de 38 ans ?

Pour sortir, ces femmes n’avaient pas d’autre choix que d’abjurer. Certaines sont mortes dans la tour. Plus on avance dans le siècle et plus le sort de ces prisonnières émeut différents personnages qui cherchent à obtenir des lettres de grâce. Les idées des Lumières et de tolérance se diffusent. Dans les esprits éclairés de cette époque, la peine subie par ceux qui ne croient pas comme il faudrait croire n’est plus acceptable. Est-ce bien raisonnable qu’une femme soit enfermée toute une vie car elle ne croit pas dans les dogmes de l’Église catholique ? Leur libération a lieu peu de temps après l’affaire Calas (1765). Marie Durand est libérée le 14 avril 1768, la dernière prisonnière en décembre 1768. Marie rentre chez elle, au Bouschet-de-Pranles, et meurt en 1776.

Assemblée du Désert 2018

« Femmes du Désert », dimanche 2 septembre : culte à 10 h 30 suivi des allocutions de l’historienne Inès Kirschleger et de la théologienne Valérie Duval- Poujol, envoi par sœur Mireille, prieure des Diaconesses de Reuilly.

Au Musée du Désert, le Mas Soubeyran, Mialet, 30140 Anduze museedudesert.com

À lire

Marie Durand, Céline Borello, Éditions Ampelos, 2018, 160 p., 10 €. Publié le 29 août 2018(Mise à jour le 29/08) Par Denyse Muller

Cinéma : “BlacKkKlansman”, une histoire incroyable

La pasteure Denyse Muller d’Interfilm a vu et aiméBlacKkKlansman , de l’Américain Spike Lee.

Dans les années 1970 un officier de police afro-américain s’infiltre avec un complice blanc au plus haut niveau du Ku Klux Klan – l’un, par téléphone, l’autre, présent aux réunions, tentent d’enrayer les projets racistes envisagés. Spike Lee réalise un film militant, à la fois pour s’attaquer aux dirigeants du Klan et pour nous interroger. Il ose un film qui mélange les genres, humour, amour, comédie, drame, images d’archives… On rit du ridicule des responsables du Ku Klux Klan, rires interrompus par des scènes choquantes tel un lynchage raconté par Harry Belafonte ou bien quelques extraits du film ouvertement raciste Naissance d’une nation, de D.W. Griffith.

À peine croit-on que l’amour l’emportera sur la haine ou que les lois vont changer les mentalités que le réalisateur nous ramène à la politique et à l’actualité. Politique par le discours ahurissant du chef national du KKK, soutien de Donald Trump. Actualité par les images du rassemblement de Charlottesville en août 2017 où agresseurs (les membres du Klan) et victimes (manifestants pacifiques et antiracistes) sont présentés à égale responsabilité par le président des États-Unis.

Le scénario, le montage, la musique, les acteurs sont de très grande qualité et en font un grand film, récompensé au dernier Festival de Cannes.

La bande-annonce de BlacKkKlansman :

Publié le 29 août 2018(Mise à jour le 29/08) Par Laurent Gagnebin

Série “Wilfred Monod” (1/4) : Wilfred Monod, au service d’un Évangile intégral

Le professeur Laurent Gagnebin présente la vie et la pensée de Wilfred Monod qui a œuvré pour un christianisme qui soit à la fois spirituel et social, engagé dans la société et œcuménique.

Wilfred Monod (1867-1943), père de Théodore Monod (l’homme du désert, mort en 2000), est un théologien d’une belle envergure. Il a joué un rôle important dans le protestantisme français qu’il a marqué en profondeur. Il est un pionnier du christianisme social et de l’œcuménisme.

Il naît à Paris le 24 novembre 1867. Son père Théodore, pasteur, a fait ses études aux États-Unis. Il s’inscrit dans la mouvance méthodiste dont Wilfred gardera toute sa vie un certain style de piété. Le grand-père de sa femme Dorina est le pasteur Adolphe Monod, le célèbre témoin du Réveil et auteur de Les adieux. Après des études de philosophie à la Sorbonne, il fait de 1888 à 1891 des études de théologie à Montauban. Il épouse en 1891 (bénédiction nuptiale à l’Oratoire du Louvre à Paris) Dorina Monod. Sur leurs quatre grands-pères, trois étaient frères et le père de Wilfred a épousé sa cousine. En 1892, il est consacré pasteur. La cérémonie a eu lieu au temple de l’Oratoire, où il sera bientôt pasteur. Son père le fut, tout comme Adolphe Monod.

Condition ouvrière

De 1892 à 1898, Monod est pasteur à Condé-sur-Noireau, sa première paroisse. Cette étape va jouer un rôle décisif dans son parcours théologique. Centre de l’industrie cotonnière, cette ville de sept mille habitants « courbés sous la machine » connaît la dure condition ouvrière, un prolétariat misérable et, dans ce Calvados, les ravages de l’alcoolisme. Toute sa jeunesse s’était déroulée jusque-là dans un milieu très protégé : « Nous vivions en marge de l’effroyable problème de la misère. » L’expérience de Condé-sur-Noireau sera le berceau de son christianisme social. Adolescent, il fut déjà fasciné par l’idéal moral et social de l’Armée du Salut, mais c’est la lecture de la Bible, dont son père lui offrit un exemplaire pour ses sept ans, qui lui apporta une empreinte indélébile à travers, plus particulièrement, le message des prophètes et celui des Béatitudes.

De 1898 à 1907, Monod est pasteur à Rouen. C’est alors qu’il écrit et publie sa thèse de licence : L’espérance chrétienne : Le Roi ; puis, en 1901, sa thèse de doctorat en théologie soutenue à Paris : L’espérance chrétienne : Le Royaume. On peut retenir de ses deux titres le thème très englobant du Royaume de Dieu, qui est la référence privilégiée des témoins du christianisme social.

On en retiendra une théologie de l’espérance profondément novatrice et cela bien avant la fameuse Théologie de l’espérance (1964) de Jürgen Moltmann. La thématique de l’espérance arrimée à celle du Royaume de Dieu est centrale dans l’œuvre et la pensée de Monod. Le Royaume de Dieu est compris comme une réalité à la fois spirituelle et sociale. Il correspond à une transfiguration de la terre et non pas à une attente passive du retour du Christ. Rencontre du Ciel et de la terre, le Royaume de Dieu désigne non pas un ailleurs, mais plutôt un plus tard dont nous devons préparer la réalisation.

Inscrit au Parti socialiste

De 1907 à 1938, Wilfred Monod est pasteur de la paroisse de l’Oratoire à Paris. En 1907, il est nommé, et cela jusqu’en 1922, président du Comité général de l’Union nationale des Églises réformées de . Il a lutté pour l’union des diverses Églises réformées et travaillé à la création de la Fédération protestante de France. De 1907 à 1909, il donne un « cours libre » sur le christianisme social à la faculté de théologie protestante de Paris où il est nommé en 1909 professeur de théologie pratique. En 1915, il s’inscrit au Parti socialiste qui représentait alors le seul parti de gauche vraiment révolutionnaire, le parti communiste n’étant fondé qu’en 1920.

Deux entreprises remarquables ont survécu depuis cent ans à l’œuvre de Wilfred Monod. La création en 1911, dans le cadre de l’Oratoire, du centre social La Clairière (qui a depuis rejoint le CASP), aujourd’hui encore très florissant, en plein quartier, alors déshérité, des Halles. Et en 1923, à l’initiative de son fils Théodore, il fonde le « Tiers-Ordre » des Veilleurs, fraternité toujours vivante. On trouve là les expressions d’un christianisme à la fois spirituel et social propres à cette volonté de Monod de vivre un « Évangile intégral », comme il le souligna fréquemment.

Deux autres dates, décisives dans la vie de Monod, sont représentées par sa participation active aux conférences œcuméniques de Stockholm en 1925 et de en 1927. Les combats pour un chritianisme social et pour l’œcuménisme sont pour Monod une seule et même lutte permettant par des actions concrètes de dépasser le « je » d’un certain individualisme protestant et les oppositions cultuelles et dogmatiques des confessions chrétiennes.

Wilfred Monod meurt le 2 mai 1943. Il a refusé quatre fois la Légion d’honneur. Dans ses registres où il inscrivait ses activités heure après heure, les services funèbres sont désignés par l’intitulé « Affirmation de la vie ».

À lire

Wilfred Monod, pour un Évangile intégral Laurent Gagnebin éditions Olivétan, 2018, 120 p., 15 €.

Christianisme spirituel et christianisme social

« Le 8 juin 1893, pendant que je priais, le Christ me fut révélé spirituellement, dans la plénitude salvatrice de sa personnalité. Cette expérience, morale et religieuse, n’offrit pas le moindre caractère du phénomène audible ou optique ; la conviction intime ne fut pas, un seul instant, concrétisée en manifestation extérieure, en apparition. Mais je compris avec intensité que les cadres de la Religion étaient trop resserrés pour contenir le Héros des évangiles : le Fils de l’homme appartenait simultanément à tous les domaines de l’humanité qui prie, et pense, et agit. Il tenait la clé de tous les problèmes concrets qui se posent, politiques et sociaux, moraux et philosophiques… » (Après la journée, Grasset, 1938).

On trouve dans ces quelques lignes relatant un événement vécu à Condé-sur- Noireau le christocentrisme de Wilfred Monod, un dépassement du religieux, parce que le Christ, selon lui, n’appartient pas aux Églises, mais à la société tout entière et à l’humanité, il n’appartient pas à la religion, mais à la vie. Refusant toute monopolisation du Christ par les Églises, Monod ira jusqu’à parler à ce sujet d’un « crime d’accaparement ».

Ces lignes associent de manière infrangible un christianisme spirituel et un christianisme social. Publié le 29 août 2018(Mise à jour le 5/09) Par Florence Taubmann

Marc 7,1-23. La tension entre le rite et l’éthique

En redéfinissant les critères de pureté, Jésus remet en question les rites du judaïsme. Deux pasteures, Florence Taubmann et Florence Blondon, commentent ces versets.

Jésus ayant opéré des miracles, sa renommée s’étend et une grande foule le suit. Comment s’étonner qu’un tel succès inquiète les autorités, provoque remous et jalousies ? Alors viennent les grandes polémiques sur le sens de la pratique religieuse. Et c’est du cœur de sa foi juive que Jésus s’attaque au dévoiement d’un légalisme sans conscience.

Le thème de la grande dispute du chapitre 7 est celui de la purification et de la souillure. Que les disciples ne se soient pas lavé les mains avant de manger nous heurte pour des questions d’hygiène. N’allons-nous pas jusqu’à utiliser des baumes désinfectants afin d’éviter de transmettre des virus ou des bactéries ? Cependant, il ne s’agit pas d’hygiène pour les interlocuteurs de Jésus, mais de respecter la tradition des anciens.

Gestes et bénédictions

Dans une société traditionnelle, répéter les gestes et les rites des pères, c’est accomplir ce qui leur a permis de survivre et a donné un sens à leur existence. Les rites s’accompagnent de paroles et de bénédictions. Dans le judaïsme l’ablution des mains avant un repas s’accompagne de la bénédiction suivante : « Béni sois-tu Seigneur notre Dieu, roi du monde, qui nous as sanctifiés par tes commandements et nous as ordonné de nous laver les mains. » Il s’agit d’une prière de reconnaissance à l’égard du Créateur qui donne la vie et qui fait vivre.

Que critique Jésus avec tant de sévérité ? La tartufferie, la mauvaise langue et la perversité du cœur, qui poussent à utiliser la religion et le nom de Dieu pour dominer et accabler son prochain là où l’on devrait le servir et le soutenir.

Jésus s’inscrit dans la lignée de Moïse et d’Esaïe pour rappeler les exigences fondamentales et les interdits dont le respect se joue, non dans la démonstration extérieure, mais dans la droiture du cœur. « Il n’y a rien au dehors de l’être humain qui puisse le souiller en entrant en lui. C’est ce qui sort de l’être humain qui le souille. » Et Jésus évoque les raisonnements pervers qui conduisent à justifier toutes les turpitudes.

Relativisation du religieux

Ce renversement rappelant la primauté de l’éthique et relativisant le religieux est iconoclaste dans une société traditionnelle. Cela signifie-t-il qu’il faille abolir les rites ? Faut-il distinguer, sinon opposer la foi et la religion ? Jésus a bien dit qu’il était venu accomplir la loi, et non l’abolir, sans faire de distinguo entre le type des prescriptions. Il nous laisse responsables d’une question qui n’a pas fini de faire couler de l’encre : la pratique religieuse nous aide-t-elle à mieux nous conduire en nous rendant conscients que nous agissons devant Dieu à qui nous devons tant, ou bien au contraire nous sert-elle de prétexte et de cache-misère en masquant nos turpitudes sous des masques de dévots ? Et en quoi rejeter les rites pour demeurer au cœur d’une foi pure nous rendrait-il meilleurs ?

Pasteure Florence Taubmann, Défap, Paris

Qu’est ce que le pur et l’impur ?

Peut-on manger sans s’être lavé les mains au préalable ? Evidemment non, c’est même un des gestes que nous apprenons en premier à nos enfants, un principe d’hygiène fondamental. Alors comment comprendre l’attitude des disciples ? Déjà en déplaçant notre raisonnement. Ici, il n’est nullement question d’hygiène, mais de traditions, et c’est bien dans cette perspective que Jésus va répondre aux reproches qui lui sont adressés. Donc, pas besoin d’imiter les disciples, nous pouvons continuer à nous laver les mains avant de passer à table. Pourtant il faut tout de même entendre ce que Jésus dit, essayer de le suivre là où il veut nous conduire. La question reste, qu’est-ce qui est pur ? Qu’est-ce qui est impur ? De quelle nature est la vraie souillure ?

Jésus rebondit sur les critiques acerbes des scribes et des pharisiens qui se pensent seuls détenteurs de la loi pour préciser le juste rapport à cette loi reçue de Moïse.

En effet les rites, la tradition ne sont pas à rejeter, tant qu’ils ne deviennent pas des obstacles dans nos relations aux autres. Et en tenant ce raisonnement Jésus met en adéquation son discours avec une intention missionnaire. En invitant au dépassement des règles de pureté qui régissent une société particulière, il va permettre l’intégration de ceux qui sont extérieurs à cette société. C’est le mouvement de l’Evangile, son universalité. Cette universalité est aujourd’hui encore d’une vive actualité. Nos traditions, nos règles et jusque nos lois sont bousculés par la question de l’accueil des étrangers.

Nous protéger de la contamination

Jésus va aller encore plus loin, il va inverser la vision sur le pur et l’impur. Et sa réflexion impacte notre corps humain, comme notre corps social. En effet les rites seraient là pour nous protéger de la contamination. En se focalisant non sur ce qui entre en nous, mais sur ce qui en sort, Jésus modifie les rapports de force. Ce qui nous souille, ce n’est pas ce qui vient de l’extérieur, mais le mal qui sort de nous. Pour autant, nous ne sommes pas condamnés à produire de l’impur, bien au contraire. Et, cette distinction est une véritable révolution, désormais l’impureté n’est plus contagieuse. Seule la piété du cœur importe. L’impureté perd son pouvoir de nuisance devant la pureté, la bonté du cœur. Nous sommes donc invités non plus à mettre en place des stratégies défensives pour nous protéger de ce qui vient de l’extérieur, mais à développer l’offensive de la bienveillance, qui maintenant est l’élément contagieux, celui qui se propage. Cette bonté nous est offerte par Jésus lui-même. C’est à chacun.e de la recevoir au cœur de son être pour partir à l’offensive.

Pasteure Florence Blondon, EPUdF, Paris

L’évangile du dimanche : Marc 7,1-23

Les pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem se rassemblent autour de lui. Ils voient quelques-uns de ses disciples manger avec des mains souillées, c’est-à-dire non lavées…

Les pharisiens et les scribes lui demandent : Pourquoi tes disciples mangent-ils avec des mains souillées, au lieu de suivre la tradition des anciens ?

Il leur dit : « Ésaïe a bien parlé en prophète sur vous, hypocrites, comme il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est très éloigné de moi. » Vous abandonnez le commandement de Dieu, et vous vous attachez à la tradition des humains…

Il appela encore la foule et se mit à dire : Écoutez-moi tous et comprenez. Il n’y a rien au dehors de l’être humain qui puisse le souiller en entrant en lui. C’est ce qui sort de l’être humain qui le souille.

Lorsqu’il fut rentré à la maison, loin de la foule, ses disciples l’interrogèrent sur cette parabole.

Il leur dit : Êtes-vous donc sans intelligence, vous aussi ? Ne comprenez-vous pas que rien de ce qui, du dehors, entre dans l’être humain ne peut le souiller ? Car cela n’entre pas dans son cœur, mais dans son ventre, avant de s’en aller aux latrines. Ainsi il purifiait tous les aliments. Publié le 29 août 2018(Mise à jour le 30/08) Par Rédaction Réforme

Hommages au pasteur Paul Viallaneix, ancien directeur de Réforme

L’ancien directeur de Réforme Paul Viallaneix, qui vient de mourir, a marqué l’histoire du journal par sa grande culture. Réactions.

“Il avait découvert l’Évangile et adhéré au protestantisme grâce au ministère du pasteur Alphonse Maillot. Je l’avais rencontré à la Commission de réforme des études de théologie, dans l’ERF des années 70. Puis, à la direction deRéforme , quand je devais lui succéder en 1991. Il y aurait tant à dire sur le registre de la reconnaissance et même de l’admiration. Car Viallaneix, “prince des lettres” à sa façon, fut un enseignant chercheur spécialiste de la littérature française du XIXe siècle, notamment de Jules Michelet. Il étudiait l’histoire de France, tandis que son épouse Nelly, philosophe, écoutait Kierkegaard. Ce spécialiste reconnu de Michelet avait un style parfait, original mais non recherché, agréable sans ostentation, avec des lettres légèrement courbées pour la politesse et des mots reliés sans peine. Un style, en somme.

De plus, il écrivait toujours à la main, au stylo plume et à encre. Il m’avait même confié son objection à la photocopie ! Car on ne retenait vraiment que ce qu’on avait pris la peine de recopier « à la main », sur une feuille de papier ou une fiche de travail.

Chaque semaine, il écrivait un copieux éditorial pour la Une de notre hebdomadaire protestant. Et, le plus souvent, il achevait son propos avec l’appui d’une citation biblique ou d’une référence christologique.”

Pasteur Michel Leplay

“Reprenant ce qui avait été écrit dansRéforme il y a treize ans lors de la disparition de Nelly Viallaneix, comment ne pas se souvenir ici de la place toute particulière occupée par son mari Paul qui dirigea notre journal de 1984 à 1991? Pendant toute cette période, il vécut davantage sur la montagne Sainte- Geneviève, qui lui rappela ses années d’étudiant rue d’Ulm, que dans sa Corrèze à laquelle il resta fidèle sa vie durant. Né en ce pays le 4 juillet 1925, il y est mort le 3 août dernier. Dans sa thébaïde familiale de Seilhac, c’était un enchantement de l’y rencontrer, disert et chaleureux, raconter la Résistance en Limousin. Au sortir du maquis, la voix aussi intraitable qu’honnête de Camus l’attira et il fut un des premiers à témoigner de sa pensée. Après Michelet, il travaillera les œuvres de Calvin, de Pascal, de Marot, de Vigny, de Musset et de Supervielle.

À Réforme, son éditorial à la plume inspirée était attendu. Il maintenait, par son abnégation à “faire” cet hebdomadaire, une sorte d’état de grâce. Avec son regard perçant et synthétique, avec son esprit libre et rebelle, il manifestait son penchant fraternel pour le peuple. Ainsi qu’il le proclama lors de l’Assemblée du Désert du 5 septembre 1993, “c’est le peuple protestant confessant qui compte, et lui seul”. Puissent ces mots résonner aujourd’hui et demain !”

Jean-Hugues Carbonnier (CA de Réforme) Publié le 29 août 2018(Mise à jour le 29/08) Par Sarah Cohen

Daniela Di Carlo, pasteure, vaudoise et féministe

Depuis 30 ans, Daniela Di Carlo se veut le porte-voix des femmes pasteures en Italie et de toutes les victimes.

C’est à la librairie Claudiana de Milan que Daniela Di Carlo nous a donné rendez- vous. Au milieu des livres consacrés aux différents cultes, aux différentes cultures, la pasteure est dans son élément. Son sourire a le don d’être communicatif et elle se prête au dialogue, comme si nous nous connaissions depuis longtemps. Sa vocation, choisie il y a 30 ans, semble être une évidence. Croyante et pratiquante depuis l’enfance, elle fréquente avec ses parents l’Église vaudoise de Rome. « Un parcours religieux traditionnel », dit-elle. Pourtant, malgré le souhait de ses parents de la voir devenir un jour pasteure, elle choisit la faculté d’architecture pour donner libre cours « à ma créativité, pour projeter, construire et inventer ».

Lors de sa seconde année d’études, en 1980, un fort tremblement de terre frappe le sud de l’Italie, en Irpinia. « La Fédération des Églises évangéliques italiennes a fait beaucoup pour les sinistrés. Immédiatement, elle s’est rendue sur place et a créé des cantines, amené des roulottes et petit à petit a construit un village avec des maisons en bois préfabriquées. On m’a demandé d’aller aider l’architecte chargé du projet. Là, j’ai connu de nombreux habitants qui avaient tout perdu : leurs proches, leurs maisons mais aussi leurs souvenirs. »

Cette expérience, difficile voire violente, remet en question sa conception de la vie. « Plus que construire des maisons, je voulais construire des relations. » À 21 ans, elle laisse alors tomber l’architecture pour étudier la théologie à l’université vaudoise de Rome. S’ensuivent quatre années d’études, « très classiques, seulement avec des enseignants hommes ». Un cursus « intéressant et dur à la fois car étant quelques femmes parmi les hommes, il fallait démontrer que nous étions très intelligentes ».

Sa vie prend un autre tournant quand elle obtient une bourse pour aller étudier à l’Union Theological Seminary de New York. « Pour compenser, j’ai suivi des cours seulement avec des femmes. Je voulais comprendre si elles avaient une approche différente de la théologie, si elles mettaient l’accent sur d’autres questions. » Une année enrichissante qui lui « ouvre un monde ». « Avant ce voyage, je ne savais pas que des femmes avaient écrit des livres de théologie, qu’elles avaient influencé les Églises protestantes. Pour moi, ce fut la rencontre avec les théologies de la libération et féministe. »

Mais aussi la rencontre avec celles qui deviendront ses mentors. Dorothee Sölle, Beverly Harrison, Phyllis Trible ou encore Chung Hyun Kyung lui transmettent leurs savoirs et leurs regards sur la Bible. « Cette expérience a été une manière d’apprendre qu’il existe différentes façons d’être Église. En devenant, par exemple, des Églises où toutes les personnes sont accueillies sans distinction, sans discrimination. »

Créer des communautés

Une philosophie qui ne la quittera pas et qu’elle mettra en pratique dès sa première affectation à son retour en Italie. Un souvenir d’ailleurs assez « traumatisant ». Première femme pasteure au sein de son Église, elle ne se sent pas « désirée ». Mais Daniela ne se laisse pas abattre et met toute son énergie dans son travail, notamment en lien avec les femmes de la ville souffrant de dépression. Résultat ? « Au bout de sept ans, ma mission touchait à sa fin. Un homme m’a, par la suite, remplacée. Eh bien, les habitants m’appelaient pour me dire qu’ils me regrettaient. » Car Daniela Di Carlo est ainsi, la connaître, c’est finir par l’adopter. « Ma fille, assistante sociale, me dit souvent que nous faisons le même métier, l’Église en moins. »

Écouter, faire preuve d’empathie mais par-dessus tout démontrer que les choses peuvent changer, voilà ce qu’elle s’efforce de transmettre chaque jour. « Être pasteur, c’est porter l’espoir dans le monde, c’est le regarder d’un œil amoureux. »

Ses prédications ne s’enrichissent pas uniquement de savoirs mais sont ancrées dans la vie quotidienne. « Une qualité qui, je pense, distingue les pasteures femmes des hommes. » Porteuse d’une mission – « celle de créer des communautés, des lieux où les personnes se sentent à la maison » –, elle désire « restituer la vie aux celles et ceux qui croient que leur existence n’a pas de sens ».

Certaines histoires la marquent encore. « J’ai beaucoup souffert lorsque j’ai rencontré des femmes subissant des violences conjugales mais aussi des abus sexuels au sein de leur propre famille. Ce fut important pour moi de les aider à quitter leur domicile mais encore à cesser d’être victimes, d’avoir peur. » Il y a aussi des épisodes positifs. Notamment lorsque, grâce à elle, des jeunes filles chinoises sans permis de séjour réussissent à s’inscrire à un cours de couture. « C’est beau de pouvoir leur ouvrir un petit bout de chemin. »

Demandez-lui si elle « change la vie », elle vous répondra, le sourire aux lèvres : « J’essaye du moins ! » En plus d’être pasteure, Daniela Di Carlo fut pendant quatre ans et demi directrice du Centre œcuménique au cœur des vallées vaudoises, dans le nord de la péninsule. Aujourd’hui, dans la capitale lombarde, elle se dit heureuse.

Un projet de livre, « avec d’autres collègues pasteures », est en préparation. La figure féminine sera au centre de cet ouvrage. « C’est important pour moi de mettre en lumière toutes les catégories de personnes qui, pendant des années, ont été tenues à l’écart de l’Église, de mettre au centre de mes prédications que l’Église de Jésus-Christ est une Église pour toutes et tous. » Daniela di Carlo ne s’essoufflera jamais de le répéter, de le marteler. Aux récentes déclarations du pape François suggérant le recours à la « psychiatrie » lorsqu’un jeune enfant présente « des tendances homosexuelles », elle se dit consternée et ne cache pas sa colère. « Les Églises ne peuvent prêcher l’Évangile seulement pour certains et non pour d’autres. » Une hypocrisie qui se retrouve, selon elle, dans les différents scandales de pédophilie, qui ont amené le pape François a demandé pardon aux victimes d’abus sexuels commis par des prêtres. Pour une fois, « un pas a été franchi », dit-elle. « Ces prêtres pédophiles doivent subir une longue peine de prison et pas seulement une remontrance ou, pire, être couverts comme trop souvent… »

Publié le 29 août 2018(Mise à jour le 29/08) Par Nathalie Leenhardt

Coups de tonnerre – l’édito de Nathalie Leenhardt

“Chacun décidément préfère voir midi à sa porte et profiter de ses vacances, sans se soucier des lendemains.”

L’été fut chaud, parfois même caniculaire. Et peu importe que la température de l’océan Atlantique ait atteint plus de trois degrés en moyenne : pour les estivants, l’eau était « bonne » et le temps magnifique. Pourquoi alors jouer les oiseaux de mauvais augure et s’inquiéter des conséquences des changements climatiques, parler de la canicule exceptionnelle en Suède et des incendies en Grèce ? Chacun décidément préfère voir midi à sa porte et profiter de ses vacances, sans se soucier des lendemains. Que faudra-t-il donc pour convaincre et faire changer les modes de vie, pour qu’ils deviennent vraiment moins énergivores et plus respectueux de l’environnement ?

À cet égard, la démission, tout à la fois soudaine et prévisible, de Nicolas Hulot sera-t-elle autre chose qu’un coup d’épée dans l’eau ? Aura-t-elle quelques conséquences à long terme, au-delà de la crise politique et du ramdam médiatique qu’elle va forcément entraîner dans les jours qui viennent ? Si, sur le plan personnel, on ne peut que comprendre qu’il est un moment où « se mentir à soi-même » tous les jours que Dieu fait devienne psychologiquement dangereux, le message politique est clair. Les urgences du gouvernement d’Édouard Philippe ne sont pas climatiques, mais bien fondées sur un modèle vieux comme le monde, celui du progrès, de la croissance et de la confiance en une technique toute- puissante, susceptible de résoudre tous les défis. Où cela nous mènera-t-il ?

L’autre coup de tonnerre dans nos ciels bleus fut la découverte du scandale des 300 prêtres accusés de pédophilie en Pennsylvanie. La lecture des témoignages, des actes posés ne pouvait qu’amener les larmes aux yeux et la nausée aux lèvres. L’Église catholique va-t-elle prendre enfin toutes les mesures qui s’imposent pour que cesse l’inimaginable ? Comment ces hommes peuvent-ils encore lire « ce que vous faites aux plus petits d’entre les miens c’est à moi que vous le faites » ?

Publié le 28 août 2018(Mise à jour le 17/09) Par Rédaction Réforme

Démission de Nicolas Hulot : réaction de protestants

Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, a annoncé sa démission mardi 28 août. Réactions de deux protestants engagés sur les questions écologiques. Martin Kopp

Président de la commission écologie et justice climatique de la Fédération protestante de France (FPF)

“J’ai ressenti une forme de soulagement lorsque j’ai appris cette nouvelle. Ce n’est bien sûr pas vraiment une surprise, car tout le monde faisait part d’un même diagnostic, celui d’un écart entre la politique écologique menée par le gouvernement, portée par une communication soignée, et ce qu’il faudrait faire tant les enjeux sont immenses.

Dans son interview sur France Inter, Nicolas Hulot parle d’acte de sincérité avec lui-même, de ne plus se mentir à lui-même, d’une clarification nécessaire. De fait, il ne pourra désormais plus servir de “caution verte”, d’élément de communication pour un gouvernement pas à la hauteur des enjeux écologiques.

C’est d’ailleurs une interview très complète, il n’y est pas seulement question de politique gouvernementale, mais de thèmes plus larges : Nicolas Hulot rappelle qu’il est tout autant question de responsabilités individuelle, collective et sociétale sur les questions écologiques. Dans cette interview, il aborde d’ailleurs les racines du problème : la primauté donnée au libéralisme, le dogme de la croissance à tout crin, le modèle agricole productiviste… bref, de la nécessité d’une refonte de notre paradigme et de notre façon de penser.

Nicolas Hulot aborde aussi la question de la démocratie, à travers la présence des lobbies dans les prises de décision politiques sur l’environnement. On peut dès lors vraiment se demander où se situe la souveraineté aujourd’hui, et qui prend réellement les décisions.

Il est également question de temporalité, du court terme qui l’emporte trop souvent face au long terme. Édouard Philippe cite ainsi fréquemment le livre Effondrement, de Jared Diamond, un ouvrage qui fait référence dans le milieu de la collapsologie (concept désignant l’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle et ses conséquences possibles). Dans le même temps pourtant, il prend des décisions de court terme qui vont à l’encontre des grands enjeux écologiques. Il y a un vrai conflit de temporalité à ce sujet.

Sur un plan politique, il est certain qu’il y a une forte dimension politique à cette démission, c’est un camouflet au gouvernement sur les questions écologiques. Au sein du gouvernement, Hulot était un “îlot écologiste”. Isolé, il ne disposait pas d’équipe, personne ne le soutenait réellement, et il était en conflit permanent avec Stéphane Travert, le ministre de l’Agriculture.

Cette démission a le mérite de clarifier les choses : dans le programme de Macron, l’écologie était un thème mineur. Nicolas Hulot avait espoir de convaincre le président qu’il fallait en faire plus et urgemment, mais il a fini par prendre acte de son échec. Car il y avait une dissension, dans le gouvernement Philippe, entre, d’une part, des diagnostics et clairs et des discours ambitieux, et, de l’autre, une incapacité à prendre des décisions d’envergure.

Je vois néanmoins une forme d’espérance dans cette décision, puisqu’on ne peut que souhaiter que cette nouvelle servira d’électrochoc. Sans doute pas pour le gouvernement actuel, qui semble appliquer un logiciel consumériste, mais peut- être au sein de la société, pour les individus que nous sommes, une prise de conscience qui découle sur une mobilisation. De toute façon, les questions écologiques ne relèvent pas de l’action d’un homme providentiel mais d’un changement sociétal. Essayons de faire en sorte que ce soit une opportunité pour agir.

Et agir est plus urgent que jamais. Ce qui me frappe, c’est qu’à la lumière des nombreuses catastrophes écologiques qui se sont abattues sur notre planète cette année, certains disent que l’on va bientôt “basculer dans la catastrophe”. Mais la catastrophe a commencé ! Elle n’advient pas soudain, du jour au lendemain. On pourrait penser au syndrome de la grenouille qui, si elle est jetée dans une casserole d’eau bouillante, s’échappe tout de suite mais qui, si l’on augmente lentement la température de l’eau, finit par cuire à petit feu, sans s’échapper. Or le changement climatique est en cours, l’effondrement de la biodiversité aussi. Quand on dit que la fenêtre pour agir est en train de se fermer, elle a entre-temps la taille d’une tête d’épingle ! L’écologie n’est pas un enjeu parmi d’autres ; il conditionne tous les autres, il devrait être la porte d’entrée à la réflexion politique.

Pour en conclure sur Nicolas Hulot, je suis convaincu, pour l’avoir côtoyé lors de la préparation de la COP21, que c’est un homme intègre, authentiquement animé par ces questions. C’est un converti, il est devenu écologiste à la suite d’un cheminement personnel, et on peut imaginer que sa décision a été dure à prendre, tant il était tiraillé entre sa volonté d’agir et les réalités de l’exercice du pouvoir.”

Silvère Lataix

Coordinateur du réseau Bible et Création de l’ÉPUdF

“Je n’ai pas été vraiment surpris, car Nicolas Hulot avait annoncé il y a trois mois qu’il annoncerait après l’été s’il restait au gouvernement. Et à sa place, je serais parti aussi ! Il a bien résume la situation dans son interview sur France Inter : rester au gouvernement, avec ses convictions, cela aurait été du cynisme. C’est un constat assez terrible.

Il faut dire que ce gouvernement n’a pas laissé beaucoup de place aux questions écologiques. Il y a pu avoir un petit peu d’espoir, au début, avec quelques dossiers comme Notre-Dame-des-Landes, où Emmanuel Macron et Édouard Philippe ont fait preuve de sagesse et de pragmatisme, sur un dossier politiquement chaud. D’autres décisions, en revanche, qui aurait été soutenues par la société civile, comme l’interdiction du glyphosate, n’ont pas suivi. Quant à la “prime à la conversion” pour l’acquisition de nouvelles voitures, elle me rappelle la prime à la casse d’Alain Juppé et Édouard Balladur ! Sur certains sujets, on change l’étiquette sur la bouteille mais on garde le même vin.

Aujourd’hui, l’écologie est un sujet à la mode, et de ce fait ne semble pas réellement pris au sérieux. Certes, pour les politiques et les entreprises, on met un petit peu de vert parce que c’est joli, mais cela s’arrête là. Il existe bien sûr quelques personnes très convaincues sur le sujet, comme Nicolas Hulot, mais elles se retrouvent rapidement seules. Il y a certes une prise en compte progressive des questions écologiques par les élus locaux ou nationaux, ils nous écoutent plus qu’avant. l’écologie devient progressivement un sujet, mais il n’est pas prioritaire.

Bien souvent, politique et écologie ne raisonnent pas sur la même temporalité. Les décisions en matière d’écologie portent rarement leurs fruits immédiatement, ce sont des visions à 25 ou 30 ans minimum. Le problème est que lorsqu’un texte propose une vision à moyen terme, il peut être retoqué dès la mandature suivante, comme ce fut le cas pour la Loi de transition énergétique de 2015.

Au sein de la société, l’écologie n’est pas un sujet passionnel, comme ont pu l’être la peine de mort ou le mariage pour tous. Je m’en désole car qui dit passion dit débats ! Et il y a matière à débattre sur les questions écologiques, car les solutions proposées aux défis actuels sont fort différentes, entre les tenants de la décroissance et ceux du progrès technique et scientifique.

J’espère que la démission de Nicolas Hulot servira à quelque chose, c’est un élément supplémentaire pour une prise de conscience plus générale. Car la réponse aux défis écologiques ne pourra jamais être le travail d’un seul homme, d’un homme providentiel. En tant que chrétien le Sauveur je le connais déjà, et j’attends que l’on puisse préparer sa venue dans un monde viable. C’est bien une prise de conscience collective qui permettra de faire bouger les lignes.”

Propos recueillis par Louis Fraysse

Publié le 27 août 2018(Mise à jour le 30/08) Par Sébastien Fath Aretha Franklin, la voix qui franchissait les murs

La chanteuse américaine Aretha Franklin s’en est allée à 76 ans, le jeudi 16 août 2018. Le culte d’actions de grâce aura lieu ce vendredi 31 août à Detroit, dans le Michigan.

Combien ont pleuré la “reine de la Soul” ! L’expression peine à cerner cette artiste d’exception, inoubliable interprète de R-E-S-P-E-C-T, reprise adaptée d’Otis Redding. Son immense talent lui ouvrait presque toutes les portes. Détentrice de 18 Grammy Awards, elle avait reçu la prestigieuse Médaille présidentielle de la liberté des mains de George W. Bush en 2005.

Artiste aux 75 millions de disques vendus, Aretha Franklin était capable de briller en jazz, soul, blues, rock n’roll. Première femme à avoir été introduite dans le Rock n’ Roll Hall of Fame, en 1987, elle bénéficiait d’un crédit presque illimité. Elle en a profité, cédant volontiers au bling-bling quasi réglementaire qui entoure les têtes d’affiches d’un show biz américain largement gouverné par l’argent.

Chanter du Gospel

Mais Aretha Franklin n’a jamais renié pour autant ses racines chrétiennes, protestantes, ni son amour viscéral pour la musiqueGospel , qu’elle a servi jusqu’au bout. Cette croyante enracinée en milieu baptiste a non seulement commencé par chanter du Gospel, mais a interprété cette musique toute sa vie, à l’extérieur et à l’intérieur des églises. Elle avait beau apprécier modérément le contrôle social des églises, elle savait magnifier, dans les Gospels de son enfance, une spiritualité de la délivrance. Son albumAmazing Grace (Atlantic Records, 1972) est considéré comme l’album Gospel le plus vendu au monde… Aaron Cohen a même consacré un livre à ces enregistrements, en 2011, dans lequel il rappelle combien la chanteuse s’est toujours définie par sa relation à Dieu et à la spiritualité chrétienne.

Cette musique Gospel a accompagné les luttes des droits civiques dont Aretha Franklin fut une jeune égérie. L’église de son père et pasteur, la New Bethel Baptist Church à Detroit, était un foyer militant très actif dans la longue marche initiée par le pasteur Martin Luther King en faveur de l’égalité des droits. Une des choses qui distingue Aretha Franklin, dans sa relation avec la société américaine dans son ensemble, est qu’elle n’a pas connu ce parcours en “aller simple” du religieux vers le séculier. En d’autres termes, elle n’a pas évolué comme Ray Charles, passé du Gospel aux chansons d’amour. Aretha Franklin vivait sa relation entre le Gospel et le séculier sur le mode d’une circulation permanente, d’un va-et-vient. Ou d’une route à double sens. Du spirituel au séculier, et du séculier au spirituel. Cette voix des droits civiques est toujours revenue au Gospel, n’a jamais abandonné le lien avec les églises et la foi, qu’elle comprenait comme des moteurs de changement. Se jouant des barrières, Aretha Franklin témoigne d’une époque où les murs cédaient place aux ponts. Sa disparition laisse un grand vide, dans une société américaine hantée par le retour de vieux clivages.

Publié le 10 août 2018(Mise à jour le 28/07) Par Floréal Melgar

La chanson est-elle un art majeur ?

L’ancien animateur du Forum Léo Ferré, salle de spectacle qui défend, depuis 2001, des artistes français exigeants, estime que la chanson est un art majeur.

Lors d’une émission de télévision restée célèbre, à laquelle participait aussi Guy Béart, Serge Gainsbourg déclarait à propos de la chanson, de façon péremptoire, qu’elle était un art mineur.

Pour unique argument, l’auteur du Poinçonneur des Lilas affirmait que les arts majeurs – parmi lesquels il rangeait la peinture, l’architecture et la musique classique – exigent une initiation, ce qui selon lui n’était pas le cas de la chanson– « nos conneries », disait-il.

La question de savoir si la chanson est un art majeur ou mineur méritait assurément beaucoup mieux que la triste prestation offerte par notre provocateur professionnel. Sans doute s’expliquait-elle par le peu de sympathie éprouvée par Gainsbourg envers son vis-à-vis.

Béart n’ignorait bien sûr rien du côté tricheur de Gainsbourg, dont les « emprunts » avaient parfois pu être assimilés à du plagiat, et sans doute ce dernier fut-il blessé dans son narcissisme par le seul fait de devoir s’exprimer devant un auteur-compositeur-interprète à qui on ne pouvait certes pas reprocher la même chose.

Peut-être convient-il également d’ajouter que l’habitude prise à cette époque par Gainsbourg d’apparaître sur le petit écran dans… comment dire… un « état second » a-t-elle compté dans cette attitude immature et difficilement supportable.

Surpris par les propos de Gainsbourg, Bernard Pivot s’étonna auprès de lui de son insistance à qualifier de mineure une activité à laquelle il consacrait tout son temps, non sans beaucoup de talent quelquefois d’ailleurs. N’y a-t-il pas parfois des œuvres qui échappent à ce verdict sévère ?, semblait vouloir dire l’animateur de l’émission Apostrophes. C’était là une belle occasion offerte à Gainsbourg de nuancer son propos et de mettre en avant le formidable patrimoine dont nous disposons en matière de chansons françaises, où nichent d’innombrables chefs- d’œuvre. Un autre que lui en eût certainement profité également pour mettre en avant quelques-uns de ses confrères en chanson qui ont porté cet art jusque sur des sommets. Lui qui fut le contemporain de Brassens, Ferré, Brel, Caussimon, Nougaro, Fanon et bien d’autres n’avait que l’embarras du choix.

Hélas, Gainsbourg ne vit alors modestement qu’un seul auteur à citer, ayant « frôlé, approché Rimbaud » : lui-même. Savoir si la chanson est un art majeur ou art mineur me semble une préoccupation purement générationnelle. Il ne m’a jamais semblé que ce débat pouvait entraîner autant de passions que parmi les bataillons du baby-boom, nés à la chanson avec l’apparition au grand jour des quelques noms célèbres cités plus haut.

Cette nécessité de qualifier la chanson d’art majeur est apparue avec ceux qui ont porté la chanson à son âge d’or. C’était là une façon de rendre hommage aux incontestables qualités littéraires et poétiques des chanteurs à texte les plus en vue, et aussi peut-être, inconsciemment, de s’assurer d’un bon goût en une époque où le yé-yé s’ingéniait plutôt à tirer la chanson vers le bas. Comme l’écrivait Brassens dans une lettre adressée à son ami libertaire Roger Toussenot, « il y a des chansons mineures ».

Mais avoir été nourri dans sa jeunesse à la poésie des Leclerc et Brassens, des Ferré, Brel et compagnie – Béart se situant d’ailleurs dans ladite compagnie – ne prédisposait pas à admettre qu’on vienne régulièrement contester ce qui était pour nous une évidence, que cette contestation fût prononcée de manière provocatrice et vulgaire à la façon de Gainsbourg ou pensée plus sérieusement comme un Malraux, ministre de la Culture qui, aux dires de Brassens, « comptait la musique pour moins que zéro ».

Un art moyen ?

Mais les temps ont changé, et à vrai dire, s’il n’est plus contestable que les années 50 et 60 du siècle dernier ont consacré une certaine chanson en tant qu’art majeur, la question ne peut plus se poser dans les mêmes termes. Aujourd’hui, le show-biz, devenu industrie culturelle, ne permet plus l’émergence et encore moins la diffusion à large échelle d’une chanson à texte qu’on pouvait autrefois découvrir à la télévision ou à la radio.

Sa quasi-disparition des scènes nationales où seuls la danse, le théâtre et les « gavés crétinisants du show-biz » ont droit à l’existence n’a fait qu’aggraver le problème. Reste bien sûr la chanson condamnée à rester en marge, où des jeunes gens pleins de mérite tentent de maintenir à flot une production digne de leurs respectables aînés.

Mais l’accès de plus en plus en plus aisé à l’informatique (qu’il s’agisse des instruments de musique, claviers divers, ordinateurs programmés ou matériel d’enregistrement, la possibilité de jouer et graver des CD) a fait connaître à la chanson ce qu’a connu avant elle la photographie. Le nombre de personnes qui aujourd’hui écrivent des chansons et les interprètent est phénoménal. Cela permet bien sûr à chacun de s’exprimer, ce qui est une bonne chose, mais, comme dans toute activité artistique en expansion, le phénomène, s’il ne devrait pas empêcher l’éclosion d’artistes majeurs, aura sans doute davantage tendance à faire de plus en plus de la chanson un art moyen.