Publié le 1 septembre 2018(Mise à jour le 29/08) Par David Chareyron

Visite de la maison de Marie Durand, devenue musée

Visite guidée au musée du Vivarais protestant qui est l’ancienne maison de Marie Durand, près de (Ardèche).

Nichée dans le massif des Boutières en Ardèche, l’accès à Pranles se mérite. La vallée du Rhône, pourtant toute proche, paraît bien loin dans ce cadre calme et préservé. Les maisons en pierre, les petites parcelles bordées de châtaigniers, les murets et la pente omniprésente forment aujourd’hui un paysage reposant et enchanteur. Autant d’éléments qui sont le reflet des contraintes et des dures exigences de la vie locale d’hier comme d’aujourd’hui, que ce soit en termes de travail agricole, de déplacement ou de vie sociale. Située à l’entrée du hameau du Bouschet-de-Pranles, la demeure de Pierre et Marie Durand est une maison forte du XVe siècle, remarquablement restaurée. Sa visite permet de mieux saisir le contexte local et historique dans lequel Marie vécut et grandit.

La visite menée par Danièle, la guide, débute par des repères chronologiques clairement exposés dans une frise. Ils permettent de restituer de façon synthétique mais parlante l’avènement du culte protestant. On peut s’étonner des moyens disproportionnés mis en œuvre pour réprimer les huguenots et corollairement de la peur qu’ils inspirèrent à un État tout-puissant malgré leur nombre relativement restreint.

La demeure offre des témoignages de la résistance à cette oppression à travers les inscriptions que le père de Marie a fait graver, malgré les risques encourus, sur le linteau de la porte d’entrée « Miserere mei domine Deus » (Aie pitié de moi seigneur Dieu) et sur la magnifique voûte de la cheminée de la cuisine « Loue soy dieu ». Plusieurs cachettes dans l’épaisseur des murs pouvant dissimuler une bible voire un humain soulignent encore l’ingéniosité et la volonté farouche de ses occupants à faire face à la menace des armes.

L’évocation puissante du parcours de Marie rendue par ces murs et ce qu’ils contiennent ne manquent pas d’émouvoir et de renvoyer à des questionnements très actuels : chaque époque n’a-t-elle pas eu ses « protestants » ? Quels sont les nôtres aujourd’hui ? À quoi, à l’instar de Marie, devons- nous résister ? Jusqu’où serais-je prêt à aller pour défendre ma liberté d’opinion ? Une des forces de ce lieu est d’interpeller à travers un message de non-violence et de conviction d’une grande stabilité. www.museevivaraisprotestant.org

Publié le 14 juillet 2011(Mise à jour le 16/07) Par Bernadette Sauvaget Foi et mémoire : 300 ans de la naissance de Marie Durand

Parce qu’elle avait un frère pasteur clandestin, parce qu’elle a refusé obstinément d’abjurer, Marie Durand, née en 1711, il y a trois cents ans, est l’une des figures de la résistance protestante.

Mains croisées derrière le dos, Marcel gravit lentement les ruelles escarpées. « Ici, il y a mes parents, ma sœur. Bientôt, ce sera mon tour », dit l’octogénaire. Aux visiteurs, près du potager un brin en friche, Marcel montre volontiers le petit cimetière familial, discret et protestant. Le vieil homme habite le bout du monde, La Pizette, l’un des hameaux de Pranles, en Ardèche. De là, la vue est à couper le souffle. Quelques solides maisons ardéchoises dont la pierre attrape si joliment la lumière menacent un peu ruine. « Dans le passé, tout le hameau était protestant, raconte Marcel, sans nostalgie toutefois. Il y avait un épicier, un maréchal- ferrant. Le facteur faisait sa tournée à pied. » Sur le plateau des Boutières, cœur du Vivarais protestant, la vie n’a jamais était facile. « C’est un pays rude, peu facile à apprivoiser. Ses habitants sont à cette image, peu faciles aussi à apprivoiser. En même temps, ils sont très chaleureux », souligne Nadine Heller, pasteur depuis six ans de l’Église réformée de pour Pranles, Les Ollières et Saint-Fortunat.

« Le lundi de Pentecôte, nous allions au Bouschet-de-Pranles pour le culte. Oui, bien sûr, je connais l’histoire de Marie Durand, poursuit Marcel, à La Pizette. C’était l’époque où Louis XIV ne voulait qu’une religion, le catholicisme. » Désormais, Marcel est trop âgé. Il ne se rend plus au culte du Bouschet. La date a d’ailleurs changé ; on ne sait plus trop si le lundi de Pentecôte est férié et les habitudes de vie ont évolué. Pour évoquer la lutte de Marie Durand et de sa famille, les protestants d’ici et d’ailleurs – ils viennent parfois de très loin, de Suisse, des Pays-Bas – se retrouvent maintenant le dernier dimanche de juin.

Cette année, le 26 juin, toutes générations confondues, ils étaient plus de cinq cents sous la séculaire châtaigneraie. 2011 est l’occasion de célébrer le trois centième anniversaire de la naissance de Marie Durand. « Célébrer cette date n’est pas fétichiste, argumente Jacqueline Cook, la présidente de l’association du Musée du Vivarais protestant. C’est l’occasion de rappeler à un public large l’engagement et la foi de la famille Durand. »

Deux « otages »

Moins connue sans doute que l’épopée cévenole des , l’histoire de la famille Durand raconte, elle aussi, la résistance protestante face à la persécution religieuse d’État. Née en 1711, baptisée catholique comme l’imposaient les rigueurs de l’époque, Marie Durand fut arrêtée à l’âge de dix-neuf ans avec son mari, Matthieu Serre, à la ferme familiale du Bouschet, puis incarcérée à la tour de Constance à Aigues-Mortes pour y être détenue pendant trente-huit ans. Un an auparavant, Étienne, son père, avait été arrêté, transféré au fort de Brescou, au large du cap d’Agde. Malgré son grand âge, il y demeura quatorze ans. En fait, l’un et l’autre étaient des otages. Les autorités cherchaient à faire pression pour que Pierre Durand, le fils d’Étienne et le frère de Marie, se rende. Il était l’un des pasteurs clandestins qui réorganisaient les communautés protestantes en Vivarais. Arrêté en 1732, il mourut en martyr à .

Malgré sa capture et son exécution, son père et sa sœur ne furent pas libérés. Obstinémement, Marie refusa d’abjurer pour devenir catholique, ce qui lui aurait pourtant ouvert les portes de la liberté, bataillant, comme elle l’écrit souvent, pour les droits de la conscience. Prisonnière parmi d’autres, son souvenir a été conservé grâce à ses lettres (lire page 8). Au cours de sa captivité, Marie Durand correspondit avec sa nièce, Anne, avec les huguenots installés à Amsterdam qui envoient des secours aux prisonnières de la tour de Constance, avec le pasteur , l’une des grandes figures de l’époque qui longtemps batailla pour que toutes recouvrent la liberté…

Mais le souvenir de Marie Durand, c’est aussi aujourd’hui le Musée du Vivarais protestant. « Ici, les pierres parlent », aime à dire Jacqueline Cook. La route, celle construite pour que les dragons aillent… « dragonner » sur le plateau, serpente longuement jusqu’au Bouschet-de-Pranles, havre de silence. Entourée de majestueux châtaigniers, la propriété familiale des Durand, une belle ferme fortifiée du XVe siècle, magnifiquement restaurée et entretenue, devenue musée, raconte le protestantisme ardéchois, la résistance. Ou les résistances ? Avant son arrestation, Étienne, le père, avait choisi, lui, de jouer un double jeu, catholique le jour et protestant le soir, chez lui. En témoignent, au Bouschet, les caches pour le pasteur de passage et les bibles, les inscriptions sur les pierres… La notoriété de Marie Durand, oubliée après sa mort, s’est affermie au XIXe et au XXe siècle (voir ci-contre). Au-delà du symbole, la figure, en 2011, intrigue, peut- être. « C’était impensable, pour cette femme, d’abjurer, plaide l’historienne Marianne Carbonnier-Burkard. Ce n’était pas n’importe quelle prisonnière ! Elle était la sœur de Pierre Durand. De ce fait, elle se savait une responsabilité particulière. » Quelle image alors ? « Derrière le côté austère et intransigeant, je perçois de la fragilité et beaucoup de tendresse, souligne, pour sa part, Jacqueline Cook. Cela m’apparaît à la lecture des lettres que Marie Durand adressait à sa nièce. »

« Ce qui me frappe chez Marie Durand, c’est son opiniâtreté. Presque jusqu’à l’absurde, pointe pour sa part Nadine Heller. Était-il utile de rester ainsi enfermée pendant trente-huit ans ? C’est vrai, la question peut se poser. Son père, Étienne avait choisi, lui, de mener une double vie, d’apparence catholique mais protestant chez lui, transmettant sa foi à ses enfants. Valait-il mieux ce choix ? Pour ma part, j’admire les gens entêtés. Face à Marie Durand, je suis à la fois perplexe et admirative. »

La tombe… inconnue

Mais que peut-on faire aujourd’hui de cette histoire ? « J’espère que ce combat-là est encore compréhensible, poursuit Marianne Carbonnier-Burkard. Sa radicalité est celle de l’Évangile. » Lors du dernier synode national de l’ERF, son président, Laurent Schlumberger, plaidait pour que les protestants ne se fixent pas sur le passé, source parfois d’une posture d’élitisme. Marie Durand, figure protestante ? Ou demain figure universelle ? « Le passé est parfois pesant, concède Nadine Heller. On en oublie que l’Évangile est à vivre ici et maintenant. »

« Le combat de Marie Durand garde son actualité, répond Jacqueline Cook. Aujourd’hui, il y a encore des persécutés pour des motifs religieux. »

Ancien président de la Fédération protestante de France (FPF), Jacques Stewart vit aux Ollières, dans la maison de Matthieu Serre, l’époux de Marie Durand. Lui aussi évoque, pour faire mémoire de Marie Durand, les combats actuels pour les réprouvés, les persécutés, les sans-papiers…

Au Bouschet, les visiteurs demandent souvent où est enterrée Marie. « Elle est là quelque part mais nous ne savons pas où, répond Jacqueline Cook. Sans doute est-ce mieux ainsi ! Nous ne sommes pas tentés d’en faire un lieu de pèlerinage. » Publié le 14 juillet 2011(Mise à jour le 16/07) Par Bernadette Sauvaget

Marie Durand, « une figure de la foi et de la non-violence »

Au fil du temps, Marie Durand va supplanter son frère Pierre, le pasteur martyr dans la mémoire protestante. De quoi est-elle devenue aujourd’hui le symbole ?

Questions à Yves Krumenacker, historien du protestantisme, université Jean-Moulin-Lyon III sur Marie Durand.

Pourquoi Marie Durand demeure-t-elle enfermée si longtemps à la tour de Constance ?

La première raison, bien sûr, est qu’elle n’a jamais voulu abjurer. Cependant, à partir des années 1750-1760, certaines de ses compagnes ont été délivrées sans qu’elles-mêmes n’aient au préalable renié leur foi protestante. Leur détention devient intolérable pour l’opinion. C’est l’époque des Lumières. Les galériens commencent, eux aussi, à être libérés. On ne sait pas trop pourquoi Marie Durand est détenue, elle, jusqu’en 1768. Avait-on oublié les dernières captives de la tour de Constance ? Voulait-on faire de Marie Durand un exemple ? Nous ne pouvons que nous en tenir à des hypothèses.

Mais sa mémoire va peu à peu s’estomper après sa mort ?

Aujourd’hui, Marie Durand est très connue dans les milieux protestants. Cela n’a pas toujours été le cas. Daniel Benoît, qui écrit sa biographie en 1884, s’est rendu au Bouschet-de-Pranles. Sa grande déception a été de constater que personne n’avait en mémoire l’histoire de Marie Durand. Les historiens du protestantisme savaient qu’elle avait existé. Certaines de ses lettres étaient connues. Mais Marie Durand était un nom parmi d’autres… C’était son frère Pierre que l’on connaissait surtout.

Pourquoi sa mémoire ressuscite-t-elle au XIXe siècle ?

La biographie de Daniel Benoît joue là un rôle important. Pourquoi s’intéresse-t-il à cette figure ? Au sein même du protestantisme, il y a, à l’époque, des oppositions. D’un côté, un protestantisme libéral et, de l’autre, un protestantisme évangélique revivaliste qui met l’accent sur la piété. D’une certaine manière, Marie Durand tombe bien. Elle est restée fidèle à sa foi dans des conditions extrêmes. Elle le fait sans se révolter contre les autorités, à l’inverse des camisards. Nous sommes après la guerre contre l’Allemagne de 1870. À cette occasion, les protestants sont considérés comme de mauvais Français, à la solde de l’ennemi. Marie Durand prouve que l’on peut demeurer fidèle à sa foi protestante tout en restant sujet du roi et en ne se révoltant jamais.

En 1968, on célèbre fastueusement l’anniversaire des deux cents ans de sa libération. C’est une date qui compte également dans l’activation de cette mémoire ?

Des cérémonies importantes sont organisées à ce moment-là. Cela l’avait déjà été au lendemain de la Première Guerre mondiale et de la Seconde Guerre mondiale. Après des souffrances, on a besoin sans doute d’insuffler à nouveau une certaine foi, une certaine piété. En 1968, on est déjà entré dans une période où le protestantisme – et le christianisme en général – commence à être contesté. Marie Durand est un bon exemple de la vigueur de la foi protestante. Cette figure incarne aussi la résistance non-violente, celle qui est persécutée est capable de résister sans violence. C’est peut-être pour cela qu’elle passe définitivement devant son frère, Pierre, qui, lui se révolte contre les autorités.

D’une certaine façon, son frère Pierre tombe dans l’oubli et sa sœur Marie prend la place ?

Pierre Durand n’a pas été complètement oublié ! Il paraît moins intéressant que sa sœur qui montre sa foi et qui ne fait rien d’autre… Il y aurait d’autres figures possibles de la résistance protestante : les camisards mais ils sont trop violents, les pasteurs du « Désert » mais, eux aussi, en révolte quand même contre les lois du roi. Avec Marie Durand, c’est uniquement les droits de la conscience qui sont affirmés. Le roi interdit le protestantisme ; elle résiste par sa conscience. C’est tout. Elle ne commet pas d’actes publics en opposition avec la loi.

Que représente-t-elle dans la mémoire protestante ?

Pour les protestants aujourd’hui, Marie Durand est une figure qui allie la non- violence, l’affimation des droits de la conscience, une foi appuyée sur la Bible. C’est une résistante avec des convictions réformées profondes.

Est-ce une « sainte » protestante ?

On pourrait presque le dire ! Cela a d’ailleurs été évoqué à demi-mot par des auteurs protestants qui la compare aux saintes catholiques pour expliquer justement qu’il n’y a pas de saintes dans le protestantisme. Elle apparaît au moins comme un modèle, un exemple.

Propos recueillis par Bernadette Sauvaget