Histoire De La Tour De Constance À Aigues-Mortes,Qui
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Publié le 1 septembre 2018(Mise à jour le 30/08) Par Gwenaël Cadoret L’histoire de la Tour de Constance à Aigues-Mortes Ancien port des croisades, Aigues-Mortes a été une geôle pour les protestants cévenols entre les XVIIe et XVIIIe siècles. Il est des passés plus complexes à assumer que d’autres. La cité gardoise d’Aigues-Mortes a longtemps peiné à regarder en face son histoire tumultueuse, constellée de tensions religieuses. « Le sujet était sans doute trop sensible, concède l’historien Patrick Florençon, chargé d’action culturelle au sein des Tours et remparts d’Aigues-Mortes. Cela correspond à une période trouble et sanglante de l’histoire de France : plusieurs siècles de massacres réciproques, sous couvert de religion. » Mais depuis une décennie, la situation évolue. « Le débat s’est dépassionné, permettant aux historiens de se concentrer sur les faits. » Ce n’est que justice pour la cité fortifiée, qui fut un épicentre de l’histoire des religions, depuis que Louis IX décida, au XIIIe siècle, d’assécher cet ancien marais pour créer le port royal de départ des croisades. Le roi séjournera ainsi régulièrement dans le château d’Aigues-Mortes. S’il a été détruit lors des guerres de Religion, la Tour de Constance, son ancien donjon de 30 mètres de haut, perdure et permet de deviner l’immensité du site. « Cette tour est devenue le symbole de la ville », sourit Patrick Florençon. Elle servit même de phare, la nuit. Le statut du port royal a perduré. En 1538, c’est ici que François Ier, roi de France, et le puissant monarque Charles Quint poseront les bases d’une trêve après des décennies de conflit. « Charles Quint s’était lancé dans la lutte contre la Réforme, qui s’étendait au nord de l’Europe, signale Patrick Florençon. Il va entraîner François Ier dans son combat. À peine aura-t-il quitté la ville que le roi allumera à Lyon les premiers bûchers de martyrs protestants. » Devenue une prison De son côté, la cité va néanmoins embrasser, comme une grande partie du Midi, la Réforme. En 1574, elle sera même prise par les protestants. « Déguisés en pêcheurs, des hommes sont entrés dans la ville, un jour de fête, et ont fait exploser les portes. » Envahie, la commune sera confiée officiellement aux protestants par l’édit de Beaulieu, signé par Henri III en 1576, leur conférant « des droits rares : avoir une armée, exercer leur culte, diriger politiquement la ville… ». Une parenthèse de 46 ans qui prendra fin à la mort d’Henri IV. Son successeur, Louis XIII, descend dans le Midi, avec pour objectif de mater les cités « rebelles » et restaurer le catholicisme. Le siège d’Aigues-Mortes ne durera pas : le gouverneur protestant remet les clés de la ville au roi, pour éviter un massacre. En quelques années, le cours de l’histoire va s’inverser. À la suite de la révocation de l’édit de Nantes, Aigues- Mortes devient en 1686 une prison pour les protestants du Midi et des Cévennes, notamment les familles de pasteurs, et les personnes capturées lors des cultes clandestins au Désert. En 1705, Abraham Mazel, considéré comme « le premier des camisards », s’échappera de la tour avec une dizaine de compagnons. Le site est progressivement réservé à la détention de femmes : les historiens ont identifié 292 prisonnières détenues, souvent pendant plusieurs décennies, entre ses murs. On peut citer Anne Saliège de Vebron, Anne Soleyrol, Isabeau Menet… « Mais la plus célèbre, c’est bien sûr Marie Durand, constate Patrick Florençon. Elle est devenue un symbole de cette époque, car elle fut enfermée près de 40 ans sans jamais avoir été condamnée. » (lire p. 8-9). Il faudra attendre la fermeture de la prison, en 1768, pour qu’elle recouvre la liberté. Un comble, alors que depuis 1750 les arrestations de protestants cévenols se raréfient, et que les cérémonies au Désert sont de plus en plus tolérées. « Elle fut l’une des dernières détenues de la tour, ce qui accentue encore son caractère de symbole. » Un symbole qui, par son abondante correspondance, détaille le quotidien des prisonnières. Et le sens de leur « résistance spirituelle ». « Les femmes se soutenaient pour refuser la tentation de l’abjuration : renier le protestantisme pour retrouver la liberté. » La légende lui attribuerait même le fameux « Register ». Cette histoire fait actuellement l’objet d’une exposition sur place, à l’occasion des 250 ans de la libération de Marie Durand. L’occasion pour les visiteurs de découvrir le quotidien des femmes prisonnières, et leur lutte intérieure. Une salle, dédiée à Marie Durand, présente également ses nombreux courriers. Et même s’il assure que le monument n’a aucun caractère sacré, Patrick Florençon reconnaît qu’il est devenu un « passage obligé » pour les touristes curieux. « On reçoit régulièrement des groupes au moment de l’Assemblée du Désert, à Mialet. On propose une visite thématique plus ciblée sur l’histoire des religions et du protestantisme. »Et les passionnés peuvent réserver la date du 4 octobre. À l’occasion d’une journée d’étude, universitaires et historiens disserteront sur l’histoire de Marie Durand et des résistances au féminin. Un rendez-vous unique en terre d’histoire. www.aigues-mortes-monument.fr Publié le 29 août 2018(Mise à jour le 30/08) Par Laure Salamon Qui était Marie Durand, icône du protestantisme ? Pour commémorer les 250 ans de sa libération, Réforme revient sur le parcours de Marie Durand et les idées reçues véhiculées à son sujet, avec la professeure Céline Borello. Marie Durand est née en 1711, dans le Vivarais, aujourd’hui situé en Ardèche. L’édit de Nantes a été révoqué en 1685, les camisards se sont révoltés dans les Cévennes, le mouvement prophétique apparu dans la Drôme et l’Ardèche est en déclin. C’est un moment de formidable résistance et de désorganisation. Antoine Court et d’autres prédicateurs comme Paul Rabaut (à qui Marie Durand écrira certaines lettres) tentent de reconstruire les Églises protestantes. Ce dernier, opposé à la violence des camisards, défend une attitude de patience et de résignation en attendant des jours meilleurs, pour montrer au roi que les protestants sont respectueux de l’ordre afin que celui-ci revienne à l’édit de Nantes. Était-elle paysanne ? Née en 1711, Marie Durand habitait au Bouschet-de-Pranles, un village près de Privas en Ardèche (lire p.12). Elle vient donc d’un milieu rural. Mais son père est un expert local foncier qui fixe les prix des terrains agricoles. L’historien Patrick Cabanel précise qu’il existe une hiérarchie de classe entre les paysans riches et ceux qui sont pauvres, que tous n’ont pas le même statut. Marie Durand a-t-elle été à l’école ? On peut supposer que c’est son père qui l’a instruite. Il a éduqué ses deux enfants, Pierre, qui deviendra pasteur, et Marie. Elle sait donc lire et écrire, ses lettres en attestent. Était-elle célibataire ? Marie Durand a souvent été présentée comme célibataire. Pourtant un acte de notaire du 27 avril 1730 prouve qu’elle s’est mariée avec Matthieu Serre. Le frère de Marie n’était pas favorable à cette union, vraisemblablement car c’est un homme de quarante ans alors qu’elle n’en a que dix-neuf. Mariée au printemps, elle est arrêtée en août avec Matthieu Serre. Son arrestation est-elle un cas isolé ? De nombreux protestants qui se retrouvaient dans les assemblées religieuses clandestines étaient arrêtés lorsque les soldats les trouvaient. Il n’y a rien d’exceptionnel pour une protestante opiniâtre à participer aux assemblées. La mère de Marie Durand, Claudine Gamonnet, a été arrêtée en 1719 et n’est jamais revenue. Est-elle enfermée à cause de son frère ? La famille Durand est surveillée car son frère Pierre est prédicateur au Désert puis pasteur à partir de 1726. Il est actif dans les réseaux de reconstruction du protestantisme et passe ensuite à la clandestinité. Étienne, le père, est arrêté en 1729, puis Marie et Matthieu en 1730, sans doute pour faire pression sur le frère. Son père et son mari sont enfermés dans la même prison, au Fort de Brescou, près du Cap d’Agde. Le père y restera quatorze ans, le mari jusqu’en 1750. Elle ne les reverra pas. Son frère Pierre est finalement arrêté en 1732, puis exécuté à Montpellier. Pourtant, Marie Durand, elle, reste enfermée. Est-elle enfermée seule dans son cachot ? Marie Durand n’est pas toute seule , elles sont entre une dizaine et une vingtaine de femmes. Au total, 91 femmes protestantes seront enfermées dans la Tour de Constance à Aigues-Mortes, entre 1718 et 1761. Elles ne sont pas coupées du monde extérieur, elles reçoivent des visites, de l’aide de l’extérieur pour agrémenter leur ordinaire, comme de l’huile. Elles s’occupent comme elles peuvent : elles discutent beaucoup et partagent de vraies ou de fausse informations. La libération est le sujet de prédilection et l’objet de tous les fantasmes. Elles organisent des offices religieux, ont des activités qui permettent de passer le temps, comme la couture. Une prison n’est jamais agréable, la Tour de Constance ne l’est vraiment pas. C’est un lieu très humide et froid, ces femmes reçoivent de la prison de l’eau, de la paille et du pain. Et rien d’autre. Était-elle une femme exceptionnelle ? Si Marie Durand n’avait pas écrit ses lettres, elle serait sans doute restée aussi méconnue que ses codétenues. Patrick Cabanel explique dans son ouvrage Itinéraires protestants en Languedoc que Marie Durand ne détenait pas le record de l’enfermement le plus long.