La Passion Selon Lampiao. Le Roi Des Cangaceiros
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La passion selon Lampião Daniel Soares Lins La passion selon Lampiâo Le Roi des cangaceiros roman Éditions du Seuil OUVRAGE PUBLIÉ PAR NICOLE VIMARD ET EDMOND BLANC ISBN 2-02-019596-8 © ÉDITIONS DU SEUIL, SEPTEMBRE 1995 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles. L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. A Sylvie, qui m'a accompagné tout au long de cette aventure. A mes enfants Fabien et Térence. « Je sais que mon père est le symbole du peuple sertanejo châtié, victime des injustices sociales dont souffre jusqu'aujourd'hui le sertâo oublié et laissé à son sort. » Expedita Ferreira, fille unique de Maria Bonita et de Lampião*. « Lampiâo était un homme d'honneur et de parole. S'il était encore vivant, je ne laisserais personne toucher à un seul de ses cheveux. Aujourd'hui, je ne pense pas qu'il ait été un bandit. Il y a beaucoup de bandits en cravate et qui sont encore en liberté. » Confession de Bezerra, le « traître », rongé par le remords. * Ribeiro, de Souza, Ilda, « Sila », et Araújo Orrico, Israel, Si la, uma cangaceira de Lampião, São Paulo, Traço, 1984, p. 117. Introduction L'invention du cangaço Pratique ancienne, le banditisme sous sa forme géné- rale n'est pas un phénomène spécifique à un continent, à un pays ou à une région ; au contraire, il se présente plutôt comme un phénomène universel, qui a l'âge de la terre. Néanmoins, le cangaço est un phénomène propre au sertão. En effet, jusqu'au XVIII siècle, le brigandage se cantonnait surtout aux abords du littoral, la partie la plus peuplée du Nordeste brésilien. Il se développait sous des formes diverses au Brésil. Nous pouvons signaler, parmi les bandits du littoral, la présence de déserteurs des armées d'occupation, les plus représen- tatifs étant les Hollandais. Certains sont même devenus chefs, par exemple, Abraham Platman, né à Dordrecht, ou encore Hans Nicolaes, qui a semé la violence, vers 1641, dans l'État du Paraiba et qui a commandé un groupe de trente hors-la-loi. Les écrits hollandais de 1644 signalent, en outre, la présence de « Boschloo- pers », bandits des forêts, dont le célèbre Pieter Piloot fait partie C'est seulement à partir du XIX siècle que le brigan- dage s'étend jusqu'au sertâo, où il intègre la nomencla- ture non officielle de « cangaço ». Les cangaceiros ont formé, jusqu'au XIX siècle, des groupes armés au ser- vice des grands propriétaires fonciers et des élites patri- moniales. Ils vivaient sur les terres des grands fermiers et appar- tenaient au maître, qui leur donnait un lieu d'attache, en leur offrant parfois une situation relativement équili- brée leur permettant d'échapper à l'errance et au noma- disme. En 1900, cependant, les cangaceiros commencèrent à agir de façon indépendante, hors du contrôle des maîtres ou des colonels. C'est à partir de cette date que le terme de « cangaceiro » est couramment utilisé. Néanmoins, les cangaceiros agissaient dans les États constituant le « Polygone de la sécheresse », qui englobe les régions centrales des États du Piaui, du Rio Grande do Norte, du Paraiba, de Pernambouc, de l'Alagoas, de Sergipe et de Bahia, sur une surface d'environ 67 000 kilomètres carrés 2 Le mot « cangaço » peut recouvrir des significations contradictoires qui vont semer la confusion dans les esprits et court-circuiter le code de l'interprétation sociohistorique ou psychologique, qui ne propose sou- vent que des réponses trop générales ou, peut-être, trop usées, dans un cas aussi original. En fait, l'origine du vocable cangaço est relativement ancienne. En 1834, on pouvait dire de certains indivi- dus qu'ils « marchaient sous le cangaço », c'est-à-dire sous le joug - référence au joug de l'attelage des bœufs - et que, par la brutalité de leurs gestes, leur apparence hostile et leurs armes, ils représentaient l'image de la force brute oscillant entre la peur de l'autre et la fasci- nation quasi mythique du héros-bandit, celui qui vit par procuration la revanche des êtres sans signification, sans nom. En 1876, Franklin Tavora, romancier brésilien, explique le mot cangaço comme étant « la voix serta- neja », ajoutant que le cangaço est aussi l'ensemble des armes que les malfaiteurs portent habituellement Il est avéré que, pour les Sertanejos, cangaço ne signifie pas seulement l'armement des cangaceiros puisque, sous cette appellation en elle-même polysé- mique, se cache une cascade de signes et d'images, qui forment, au-delà de la syntaxe, un monde imaginai, un lien entre le symbolique et le réel. Il est également vrai que ces rapports iconographiques ne sont pas toujours linéaires et que, parfois, l'image idéale - cangaço/can- gaceiro : la violence qui a réussi - s'oppose à d'autres images « négatives » — cangaço/cangaceiro : vaine violence de l'arbitraire et de la frénésie, « contre la vio- lence calculée et limitée par le dessein même d'instau- rer un État durable » (Paul Ricœur). Par ailleurs, dans la nomenclature officielle ou propa- gandiste brésilienne, le terme de cangaceiro s'étend à toutes sortes de criminels, comme l'a souligné Roger Bastide, depuis le politique persécuté ou le vacher qui a vengé l'honneur familial en tuant l'amant de sa sœur «jusqu'au criminel de droit commun, peut-être né sur le littoral et qui est venu chercher un refuge dans les broussailles de la caatinga ». A la fois apologétique et pathétique, l'histoire du can- gaço et des cangaceiros déborde de loin le cadre de l'« objectivité » ou de la « raison » et donne aux acteurs sociaux — les cangaceiros - des configurations relevant davantage de l'invention imaginale, mystique, ou angé- lique - l'Ange étant, comme l'a souligné Nicolas Abra- ham 5 « une opération imaginale » ou encore « une symbolisation mettant en œuvre une nostalgie de l'in- accessible » - que du récit linéaire imposé par l'histoire officielle des « vainqueurs ». A l'opposé de cette histoire, émerge le regard imagi- naire des foules qui balaie parfois l'objectivité cri- minelle des cangaceiros et envoûte d'emblée les chercheurs ou les littéraires, en une sorte de volonté de réparation, par des images qui appellent d'autres images. En fait, derrière les mots de condamnation, d'admiration ou de culpabilité, se cachent, comme une malédiction, à l'intérieur de chacun, de sombres idées qui vont, dans un premier temps, se chevaucher, pour adhérer finalement au concept de violence, fondateur de toute loi. Ce qui correspond, dans le Brésil colonial, au « Cycle du bétail » aux États-Unis, à l'époque de l'épopée de l'Ouest, va faire émerger des configurations et des acteurs sociaux, éléments fondamentaux dans la sédi- mentation et la culture de la violence au sertão en parti- culier, et au Brésil en général. De cette profusion de personnages, nous signalons, parmi les plus importants : le valentão, le cabra, le pis- toleiro, le jagunço et, finalement, le cangaceiro. Cha- cun à sa façon joue un rôle essentiel dans la formation de l'histoire du Brésil. En effet, sous des appellations différentes, nous retrouvons partout au Brésil les mêmes personnages, les mêmes situations, adaptées, il est vrai, au moment historique, mais toujours liées au comportement et à la morale politiques d'un pays où le droit pénal n'existe, en général, que pour les pauvres, le droit privé constituant toujours la panacée et l'alibi aux pratiques et privilèges d'une « minorité de gens qui meurent de peur à cause de la majorité qui meurt de faim ». Le valentão peut avoir son origine dans toutes les classes sociales. Ses attributs sont la force et le cou- rage. Dans les fêtes de village, il est craint et respecté, défenseur de l'ordre établi, sa simple présence décou- rage les fauteurs de troubles. Bagarreur, il est prêt à se venger si son honneur est blessé, ou à venger ses amis. S'il est vrai que le valentâo fait souvent régner l'ordre pour son propre compte, il représente néanmoins l'instrument de la vengeance, le « bras vengeur » des familles importantes, souvent promptes à se quereller pour des questions liées à la politique, à la propriété ou à la morale... Un vrai valentâo doit être avant tout un bandit « sérieux », investi d'une éthique et d'une morale à toute épreuve. Équilibré, mesuré, il a le sens du danger et se garde de la violence gratuite. Il doit avoir, par ailleurs, un comportement chevaleresque et un sens aigu de l'autodéfense. Un autre personnage important dans le cadre serta- nejo est le capanga. Celui-ci joue plusieurs rôles en même temps. Il travaille pour un seigneur ou un homme politique. Mais il n'est pas seulement le fidèle exécuteur de ses ordres, il est également le garde du corps jouissant d'une totale confiance de son patron. La protection de son maître ne peut qu'accroître la confiance aveugle et paternelle que celui-ci lui porte. Pour son patron, il peut aller jusqu'à ignorer toute rai- son. Sa volonté passe toujours après le désir de son chef. Il cultive vis-à-vis de celui-ci une sorte de vertu aristotélicienne : la vertu en tant que « disposition acquise volontaire, consistant par rapport à nous dans la mesure définie par la raison, conformément à la conduite d'un homme réfléchi6 ». Le cabra, généralement noir ou de « sang mêlé », est un homme armé au service d'un colonel ou d'un maître.