Collège Roquepertuse, Velaux
Cette activité a été menée avec deux classes de 4e en 2014, dans le cadre d'un projet sur le bagne de Toulon avec deux enseignants de Français, Mme Massot et M. Pairault. Les images extraites des œuvres étudiées sont la propriété des compagnies distributrices (citées dans le texte) et sont utilisées ici exclusivement dans un but pédagogique.
Comparaison de trois adaptations cinématographiques des « Misérables »
EDUCATION A L'IMAGE HISTOIRE DES ARTS
Le roman de Victor Hugo a connu de nombreuses adaptations cinématographiques. Comme dans toute œuvre de fiction, il est intéressant de distinguer ce qui est fidèle à la réalité historique et ce qui relève des choix du réalisateur en fonction de ce qu'il veut exprimer.
On comparera donc la séquence d'introduction de trois de ces adaptations pour comprendre comment le bagne et Jean Valjean y sont présentés. Cet exercice peut se faire avec d'autres adaptations, mais les scènes clés ne se trouvent pas toujours en ouverture du film. Le sélection a été déterminée par les importantes différences de traitement choisies par le réalisateur.
Une grille d'analyse est utilisée pour identifier l'oeuvre, l'extrait, la façon dont les éléments sont présentés. La partie sur les choix du réalisateur correspond à l'analyse proprement cinématographique des extraits.
Identification de l'oeuvre Titre : Date de sortie, nationalité: Réalisateur : Acteurs principaux Jean Valjean : Javert : Edition vidéo Description de la séquence Comment le bagne est-il présenté ? Comment Jean Valjean est-il présenté ? Quels sont les rapports entre Valjean et Javert ? Conclusion : les choix du réalisateur Analyse cinématographique : techniques utilisées et interprétation Qu'apprend-t-on sur le bagne ? Éléments historiques
S. Satory, Professeur Documentaliste Collège Roquepertuse, Velaux
Adaptation n°1 Titre : Les Misérables Date de sortie : 1958, France Réalisateur : Jean-Paul Le Chanois
Acteurs principaux Jean Valjean : Jean Gabin Javert : Bernard Blier
Edition vidéo Les Misérables, en deux époques, coffret 2 DVD, collection Les Années Cinquante, Éditions René Chateau, 2002. (Couleur. Version ramenée à 180 min) Description de la De 00 min 00 s à 04 min 02 s. séquence Scène 1 : Une chaîne de forçats traverse un village provençal - Plan large - Commentaires en voix off : « Nous sommes en 1802... »
Scène 2 : Une carrière où travaillent les forçats – plan d'ensemble Voix off : « Les galères du roi avaient depuis longtemps pourri dans les eaux des ports, mais les forçats restaient pour tous des galériens ». « On les occupait à des travaux pénibles, souvent inutiles. C'est ce qu'il appellent aller à la fatigue »
S. Satory, Professeur Documentaliste Collège Roquepertuse, Velaux
Scène 3 : Jean Valjean annonce l'arrivée de Javert. Javert (père) montre Jean Valjean à son fils.
Deux prisonniers qui tentent de s'évader sont pris sous les rochers que l'on vient de faire sauter. Jean Valjean se libère de sa chaîne et soulève le rocher pour dégager un blessé. Javert s'aperçoit que Valjean s'apprêtait lui aussi à s'évader.
Comment le bagne On ne voit qu'une carrière où les prisonniers effectuent des est-il présenté ? travaux pénibles : casser et traîner des rochers.
Les forçats portent tous la même tenue : bonnet et veste rouge, chemise et pantalon blancs.
Comment Jean Calme, il réagit à l'accident alors que personne ne bouge : il prend Valjean est-il ses décisions seul. présenté ? Il soulève à lui seul un énorme rocher : sa force est exceptionnelle. Il sauve un prisonnier en sacrifiant sa propre tentative d'évasion : c'est un homme généreux.
Quels sont les Ils se connaissent (bien qu'il s'agisse de Javert père) ; chacun rapports entre présente l'autre : Valjean à un compagnon, Javert à son fils (et Valjean et Javert ? donc au spectateur). Javert se méfie de la bonhommie apparente de Valjean.
S. Satory, Professeur Documentaliste Collège Roquepertuse, Velaux
Conclusion : les C'est une séquence d'exposition classique. choix du réalisateur Le décor (naturel) est bien mis en place par des plans d'ensemble.
Les deux personnages, bien identifiés par les dialogues, sont au premier plan, en plan américain lorsqu'ils sont seuls, en plan moyen s'ils sont ensemble mais ils occupent alors des places équivalentes à l'écran. Jean Valjean bénéficie toutefois d'un plan rapproché en légère contre-plongée (valorisation) où il est quasiment seul à l'écran (individualisation) lorsqu'il décide d'intervenir.
La transition entre les scènes se fait par fondu enchaîné.
Il n'y a pas de musique. L'ambiance sonore est donnée par la chanson des forçats au début, et les bruits des outils sur les rochers dans la carrière. Le silence suit l'accident.
Qu'apprend-t-on La voix off donne des indications : la date (1802), l'appellation sur le bagne ? « galériens » et les travaux dits de « grande fatigue », qui sont exactes. A l'image, le décor est méditerranéen (Ces passages du film ont été tournés sur la côte varoise). Or il s'agit du bagne de Toulon Les habits des forçats sont très reconnaissables, notamment le bonnet et la veste rouges. Ils sont enchaînés. Ceci est également vérifié historiquement :
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Habits de forçat :
Garde-chiourme (Alhoy 1845)
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Adaptation n°2 Titre : Les Misérables Date de sortie: 1982, France Réalisateur : Robert Hossein
Acteurs principaux Jean Valjean : Lino Ventura Javert : Michel Bouquet
Edition vidéo Les Misérables, DVD, LCJ Editions, 2004. (Couleur. 180 min) Description de la De 00 min 15 s à 02 min 03 s. séquence Des prisonniers enchaînés marchent dans la boue et l'obscurité. On ne voit pas leurs visages.
L'un d'eux s'écroule, un gardien le retourne du pied et le laisse. D'autres files de prisonniers se croisent, traînant de lourdes charges. La seule lumière vient d'un grand passage à l'arrière plan. Un homme en uniforme s'avance vers la caméra, bien éclairé. Il appelle : « Valjean ! »
Un forçat avance courbé, tirant seul un chariot de pierres. « Vous êtes libre » dit l'homme en uniforme. Le forçat relève alors la tête.
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Arrêt sur image - début de la musique et du générique.
Comment le bagne Lieu indistinct totalement obscur. On devine des murs à l'arrière est-il présenté ? plan. Un large passage au fond, envahi de lumière. Sol boueux.
Comment Jean Il tire seul un chariot de pierres semblable à celui que l'on voit Valjean est-il traîné et poussé par plusieurs hommes : sa force est présenté ? exceptionnelle. C'est le seul forçat dont on voit distinctement le visage : son expression montre une froide détermination.
Quels sont les Bien qu'on devine que l'homme en uniforme soit Javert, le seul rapports entre personnage identifiable est Valjean, puisqu'il est appelé par son Valjean et Javert ? nom. Javert est impassible, Valjean en colère et déterminé ; mais rien ne relie les deux personnages dans cette scène.
Conclusion : les Tout repose sur la mise en scène : décor unique très sobre, dans choix du lequel se déplacent tous les personnages : réalisateur - Les prisonniers sans identité (on ne voit pas leurs visages, sauf celui qui s'écroule mais il semble mort) en files qui se croisent
- Javert qui vient de la lumière (l'extérieur, la liberté) en arrière plan et s'avance de gauche à droite (sens de lecture, de l'ordre) jusqu'au premier plan, toujours éclairé.
- Valjean, qui émerge de l'obscurité parmi les forçats et s'avance de droite à gauche (à contre-sens, résistant) jusqu'au premier plan, alors éclairé.
Le réalisateur de ce film, Robert Hossein, est également acteur mais aussi metteur en scène de théâtre et de grands spectacles.
Cette scène débute par un plan séquence (de 00 min 15s à 01
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min 41 s): gros plan sur les pieds enchaînés d'une file de prisonniers, panoramique sur la gauche et zoom arrière pour montrer les forçats en plan moyen, puis c'est Javert qui s'avance vers la caméra jusqu'à être en gros plan. Le déplacement de Valjean est exactement symétrique de celui de Javert : il s'avance jusqu'à être lui aussi en gros plan, mais Javert vient de la lumière alors que Valjean sort de l'obscurité. Lorsqu'il retrouve son identité (l'appel de Javert) avec sa liberté, la caméra zoome sur son visage : c'est lui le personnage central du film.
Qu'apprend-t-on Rien de précis car la mise en scène très épurée, théâtrale, est sur le bagne ? symbolique : le bagne c'est la nuit où on perd son identité.
Cette simplicité donne toute la force de cette scène d'ouverture : elle renvoie à toutes les formes de négation de l'individu, des esclaves de l'antiquité jusqu'aux camps de concentration.
S. Satory, Professeur Documentaliste Collège Roquepertuse, Velaux
Adaptation n°3 Titre : Les Misérables Date de sortie : 2012, USA Réalisateur : Tom Hooper
Acteurs principaux Jean Valjean : Hugh Jackman Javert : Russel Crowe
Edition vidéo Les Misérables, DVD, Universal Pictures, 2013. (Couleur – 158 min) Description de la De 00 min 40 s. à 05 min 25 s. séquence Un trois-mâts couché sur le côté est tiré, en pleine tempête, dans un bassin de radoub par des forçats.
Les prisonniers se plaignent de leur condition.
Un homme en uniforme, qui les surveille d'en haut, descend pour arrêter un des condamnés et lui demander de ramasser un
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drapeau dans le fond du bassin.
S'ensuit un face à face où chacun dit qui il est, Valjean expliquant pourquoi il a fait autant d'années de bagne. Javert lui dit qu'il est libéré et lui donne le passeport jaune des bagnards. Valjean se hisse en haut du bassin, la tempête est passée.
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Comment le bagne On voit un immense chantier naval où des navires sont alignés. est-il présenté ? La scène se déroule dans un bassin de radoub où un vaisseau est tiré par les forçats. Leur habillement est divers mais on reconnaît assez fréquemment la veste rouge. Les coiffures sont aussi diverses (cheveux inégalement rasés, barbe...)
Comment Jean Il soulève et ramène seul le lourd drapeau attaché à un morceau Valjean est-il de mât : sa force est exceptionnelle. présenté ? Il affirme son individualité en rappelant son nom alors que Javert persiste à le désigner par un numéro (24601). Son expression est dure, il semble habité par une rage contre l'injustice du traitement qu'il a subi.
Quels sont les C'est un affrontement direct : rapports entre - Valjean relève le défi que lui lance sans raison Javert (ramasser Valjean et Javert ? le drapeau) - Dans le dialogue chacun s'affirme par rapport à l'autre : rappel de leur statut, de leur identité, promesse de ne pas oublier. - Valjean libéré sort par le haut du bassin, il va vers la lumière, il est prêt à changer. Il se retourne vers Javert qui, lui, reste dans le bassin : il ne changera pas.
Conclusion : les C'est une question d'identité des personnages. choix du réalisateur La scène débute sous l'eau, dans la tempête, et s'achève en hauteur, dans le soleil. C'est tout le chemin de Valjean, qui au milieu des autres forçats est libéré comme à contre-coeur par Javert. La caméra est très mobile : de grands travellings avant permettent de survoler le décor agrandi par les effets numériques (les projections d'eau masquent les transitions), elle s'approche des personnages (chaque forçat est différent, bien identifiable), leur tourne autour lorsque Javert et Valjean s'affrontent comme s'ils s'évaluaient durant un combat singulier.
Le passage du drapeau contient un message symbolique : alors qu'un texte incrusté au début du film rappelle qu'après la période révolutionnaire le roi vient d'être rétabli (1815), le drapeau que Javert demande à Valjean de ramener est tricolore : Valjean, à lui seul, porte le symbole de la République.
La mise en scène est là aussi porteuse de sens : Ils échangent leurs positions. Javert qui est en haut descend trouver Valjean dans le bassin, alors que Valjean sort, libre, par en haut (les autres prisonniers utilisent une porte en bas) en laissant Javert au fond, prisonnier de ce qu'il est. Dans la suite du film, en effet, le leitmotiv de Valjean sera « who am I ? » (qui suis-je?) : il cherche son identité, en change par
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choix ou par nécessité, Javert cherchant toujours à reconnaître l'ancien bagnard. Javert qui, lui, ne doute jamais de la sienne, aura ainsi une fin tragique.
Qu'apprend-t-on On reconnaît l'habit caractéristique des bagnards (voir adaptation sur le bagne ? 1). Les bagnards étaient régulièrement rasés (cheveux et barbe), pour des raisons d'hygiène mais aussi pour qu'on puisse les reconnaître. Ils n'avaient le droit de les laisser repousser qu'en prévision de leur libération.
Les bassins de radoub existaient sur le chantier naval de Toulon (bassins Vauban). Ils servent toujours à placer en « cale sèche » un bateau à réparer.
Bassin de radoub à Rochefort (image wikipedia)
On voit les trois bassins de radoub près du bâtiment du bagne sur cette carte de Toulon en 1840 :
En réalité, les bateaux entrent seuls dans les bassins remplis d'eau. Inventés en Angleterre où la marée haute permet de placer le navire et la marée
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basse de vider le bassin (il est alors fermé par des portes étanches), cette manœuvre n'était pas possible en Méditerranée où la marée n'est pas suffisante. Après la mise en place des portes bassin plein, il fallait pomper manuellement l'eau pour le vider, d'où l'utilité de la main d'oeuvre fournie par le bagne.
Toutefois, les bagnards pouvaient avoir à tirer des navires comme l'illustre cette gravure :
Vous pouvez poursuivre la comparaison entre d'autres séquences, mais on peut voir que les choix de réalisation sont souvent posés dès le début d'un film.
Vous pouvez également essayer d'imaginer comment vous, vous adapteriez ces séquences à votre façon...
S. Satory, Professeur Documentaliste