La Peur [Cinéma] Sommaire La Raison De La Peur Édito
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La Revue du Ciné-club universitaire, 2020, hors-série La peur [cinéma] Sommaire La raison de la peur Édito ..................................................................................................................... 1 Une plongée dans les archives et les images Ma vie dans l’Allemagne d’Hitler ............................................................................2 La peur de l’invasion Winston Churchill, la rhétorique de la victoire ........................................................9 Dunkerque La peur sur tous les fronts.................................................................................... 14 Peurs collectives et anticommunisme La peste rouge ....................................................................................................22 La terreur comme arme de répression La nuit des crayons..............................................................................................29 Les vertus épistémiques de YouTube Le web au service de l’histoire? ...........................................................................32 Exorciser le martyre des prisonniers de la prison de Palmyre Tadmor, de Monika Borgmann et Lokman Slim .....................................................34 Plus vampire que moi tu meurs! Nosferatu, de Murnau ..........................................................................................40 Le raid formique Them! Terreur, horreur, épouvante, massacre ....................................................... 47 Cacher la bombe La réception de The War Game ..............................................................................57 Filmer la peur La séduction morbide de la caméra meurtrière .....................................................63 Hitchcock et le registre horrifique Les oiseaux ..........................................................................................................75 La collapsologie En bulles et sur le divan .......................................................................................82 Horreur à l’italienne ............................................................................................85 Une allégorie de la peur sur fond d’Apocalypse Les harmonies Werckmeister, de Béla Tarr ............................................................ 91 Exister à travers l’écriture La contre-enquête de Kamel Daoud ......................................................................98 Films au programme ............................................................................................99 La raison de la peur Édito Ambroise Barras, copie que le Ciné-club univer- Université de Genève sitaire a récemment produite ès son invention, le – jusqu’à l’hyperbolique Dun- cinéma a entretenu kerque (2017) de Christopher D une relation si étroite Nolan. avec la peur qu’on pourrait Il y a, dans l’urgence à repré- dire qu’elle – la peur – en est senter, la trace d’une peur la raison intime. Provoquer la fondamentale. À la question peur ou l’exorciser, la théma- que Peeping Tom (Michael tiser, la figurer ou la refouler Powell, 1960) pose emblé- hors cadre des modes de sa représentation filmique, ... matiquement «Can you see yourself in this picture?», l’histoire du cinéma peut sans doute être écrite comme chacune de ces œuvres varie les formes d’une même ré- celle, culturelle, des multiples traitements cinéscopiques ponse inquiétante. Les contributions qui composent cette de ce sentiment. La programmation cinéma du Festival édition [cinéma] de la revue du Festival Histoire et cité se Histoire et Cité 2020 en esquisse un plan panoramique risquent à en caractériser les matières, à en révéler les en 16 films, du court Frankenstein (1910) de J. Searle Daw- modalités, à en exemplifier les genres. À lire, pour angois- ley – dont il faut noter l’impeccable restauration de la ser à vue. Peeping Tom (Michael Powell, 1960). Crédits: Cinémathèque Suisse. 1 Une plongée dans les archives et les images Ma vie dans l’Allemagne d’Hitler Entretien de Jean-Leclerc avec Jérôme Prieur1 Jean Leclerc – Autant dire que Ma vie dans l’Allemagne d’Hitler, le film que vous avez réalisé, est une enquête au double sens du terme. C’est à la fois celle que vous avez menée et une enquête qui a réellement eu lieu. Jérôme Prieur – Tout part en effet d’une enquête lancée par trois professeurs de l’Université de Harvard à l’été 1939, enquête que j’ai découverte un peu accidentellement en lisant un recueil de témoignages réunis par Uta Gerhardt et Thomas Karlauf (2009) autour de la sinistre «Nuit de cristal» du 8 au 9 novembre 1938. Et là, grâce aux notes et à la préface de ce livre publié en Allemagne puis en France il y a dix ans, je m’aperçois que les récits publiés dans ce recueil proviennent d’une grande enquête qui a eu lieu à Harvard en 1939. Je regarde si cette enquête a été publiée, et je découvre avec étonnement que non. Aux États-Unis et en Allemagne, seule une vingtaine de textes a été éditée bien après-guerre, essentiellement à partir des années 90. Ainsi seul le récit du philosophe Karl Löwith (1988) qui avait répondu à cette enquête de Harvard a paru en France: un seul texte édité en français jusqu’à aujourd’hui! «Ma vie en Allemagne avant et après le 30 janvier 1933»: Harvard University – Houghton Library / Haynes, Edna. My life in Germany c’est le thème donné à tous ces auteurs, ces témoins contest papers, 1940. qui ont pour point commun d’avoir tous réussi à fuir 2 l’Allemagne, à un moment ou à un autre, entre 1933 Allemands ont décidé de partir, de tout abandonner, et début 1939. Quand on dit «enquête», on s’attend à leurs biens, leurs familles, leur vie, leur travail. C’est un ce que ce soit un questionnaire avec des réponses qui choix très radical, dès lors que l’on peut penser – comme occupent trois ou quatre pages. Or chaque «réponse» beaucoup d’autres – que la situation est grave mais fait de 50 à 300 feuillets, manuscrits ou dactylographiés, qu’elle ne va pas empirer. en allemand et parfois en anglais… Il y a eu finalement 261 manuscrits qui sont aujourd’hui pour l’essentiel Mais comment Harvard avec cette dissémination des toujours conservés à Harvard. Un matériel absolument exilés allemands a pu rendre public son appel d’offres? énorme, très peu exploré, sauf par un chercheur L’enquête se présentait sous la forme d’un concours. allemand installé à Mayence qui m’a beaucoup aidé Les sociologues américains, depuis les années 1910, dans mon travail d’investigation et de sélection, Detlef ont beaucoup pratiqué les enquêtes de terrain auprès Garz, probablement le meilleur connaisseur au monde de certains types de populations ou de populations de cette enquête. minoritaires. Souvenons-nous d’ailleurs du livre de Walker Evans et de James Agee Louons maintenant les grands hommes (1941), qui est issu d’une de ces enquêtes. Et donc Harvard offre de récompenser les meilleurs récits. Le premier prix est doté de 500 dollars, ce qui peut nous paraître modeste aujourd’hui, mais à l›époque cela permet de vivre plusieurs mois aux États-Unis, donc c’est un attrait matériel qui stimule les candidatures, en dehors du désir de la plupart de témoigner de l’état de l’Allemagne, et de raconter le tournant de leur existence. Il y a tout un système de relais qui est mis à contribution. Fuir l’Allemagne. Crédits AKH. Il y a des journaux, le New York Times publie notamment cet appel à concours, il y a des associations locales d’exilés qui le font connaître. C’est très émouvant de voir Cela laisse à entendre que ces Allemands étaient tous de ses yeux ces manuscrits, ces dossiers quand on se dit allés se réfugier aux États-Unis? que ces gens-là non seulement sont partis de leur pays, Beaucoup sont alors aux États-Unis, mais sinon ils sont ont tout abandonné, mais qu’ils livrent leur vie à des pour la plupart éparpillés à travers le chercheurs inconnus en leur racontant monde. Ceux qui partent en 1933 vont ce qui leur est arrivé depuis la prise du en Suisse, particulièrement à Zurich, Toute cette population pouvoir par les nazis. parce que c’est le pays le plus proche. qui a été forcée de Beaucoup de femmes répondent. Il D’autres vont à Paris, ce qui n’est partir compte pour y a évidemment des Juifs allemands, pas forcément la meilleure idée étant moi parmi les premiers ceux que les lois de Nuremberg donné ce qui va se passer à partir résistants au nazisme. vont considérer comme «juifs» ou de 1939 pour les Allemands qui se «demi-juifs»… enfin toutes ces croyaient à l’abri en France. Beaucoup comptabilités sordides, mais il y a encore des socialistes d’autres exilés vont essayer d’aller en Espagne puis de aussi bien que des conservateurs, des catholiques, partir en Amérique, en Afrique du Sud, en Palestine, au des protestants, y compris des citoyens qui sont sans Japon… aucune opinion politique. Ce sont des Allemands qui, Toute cette population qui a été forcée de partir compte pour différentes raisons, ne supportent plus de vivre en pour moi parmi les premiers résistants au nazisme: ces Allemagne et qui le racontent à leur échelle. 3 nous dit quelque chose de la manière dont l’Allemagne voit, à chaud, l’arrivée des nazis au pouvoir. Il y a une femme, Eva Wysbar – une jeune actrice qui va partir à Hollywood où elle n’a pas fait une carrière formidable – qui résume la situation d’une formule absolument extraordinaire: avec les nazis, dit-elle, on n’a «plus de livres, plus de lit, plus de casseroles». Elle veut dire par là que les nazis ont envahi – c’est le totalitarisme – toute la vie publique, mais aussi la vie privée. Un autre de ces témoins s’appelle