Là Où La Route Mène : Une Entrevue Avec Daniel Lavoie Par Jean-Sébastien Ménard
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Là où la route mène : une entrevue avec Daniel Lavoie Par Jean-Sébastien Ménard Le 24 mai 2018, Daniel Lavoie était de passage au Théâtre de la ville afin d’y présenter le dernier spectacle de sa tournée Mes longs voyages. Je l’ai rencontré dans le cadre de la campagne de valorisation de la langue française Le français s’affiche et grâce à l’aimable intervention des gens du Théâtre de la Ville. Daniel Lavoie, comment vous présenteriez-vous? Je suis un aventurier des temps modernes, quelqu’un qui a choisi, à un moment donné, de faire de la Photo de Richard Baltauss musique plutôt que de retourner aux études. On dit souvent qu’une carrière artistique, c’est un plan B. Pour moi, ce n’était ni un plan A, ni un plan B, ni un plan C. Ce n’était même pas un plan. J’aimais beaucoup la musique et j’en faisais pendant mes études. C’était un passe-temps et un gagne-pain, parce que je gagnais ma vie avec ça, mais je ne pensais pas devenir un professionnel de la musique, je voulais poursuivre mes études. Ceci dit, après mon cours classique, alors que j’avais 21 ans, j’ai décidé de prendre une année sabbatique pour faire de la musique. Ça fait maintenant plus de 50 ans de ça… Au début de votre carrière, vous n’étiez pas chanteur, mais musicien. J’étais d’abord musicien. J’étais accompagnateur. J’accompagnais les autres. Au départ, mon but, dans ce métier, c’était d’être musicien, parce que j’aimais beaucoup la musique, parce 1 que je composais beaucoup. Je ne me voyais pas vraiment comme un auteur, même si j’avais écrit beaucoup de chansons – tout le monde écrivait des chansons –, parce que je ne me voyais pas du tout de la trempe de ceux que j’admirais beaucoup. Je me disais que mes chances de réussir comme auteur n’étaient pas énormes. Je me voyais surtout comme compositeur parce qu’à ce niveau-là, je savais que je savais faire. Un jour, ça m’a rattrapé. On m’a demandé si j’écrivais des chansons, j’ai dit : « Bien oui, j’en écris ». On m’a alors demandé si je voulais les montrer. J’ai dit : « OK. » On m’a proposé de faire un disque et j’ai dit : « Bien oui, pourquoi pas? » Alors, finalement, c’est un peu le jeu du hasard et celui de la chance, et probablement aussi un peu de talent, qui m’ont mené à faire un premier album en 1973 et c’est cela qui fait que je suis toujours dans ce domaine. Quand vous faisiez vos études, vous dites avoir terminé votre cours classique, vers quel domaine vous dirigiez-vous à l’époque? J’avais vraiment envie de faire médecine. J’avais un oncle qui était médecin. J’avais travaillé pendant trois étés dans un hôpital comme aide-infirmier pour un peu voir si ce milieu-là m’intéressait et je m’étais aperçu que, non seulement il m’intéressait, mais j’avais beaucoup de talent pour la compassion. J’étais bon avec les gens. J’étais bon avec la souffrance. J’étais bon avec la vie et avec la mort. Je savais faire. Je sentais que je pourrais, si j’avais le courage de travailler assez fort, éventuellement devenir un médecin qui pourrait apporter quelque chose. Cela dit, ce n’est pas arrivé. Quel est votre rapport à la langue française? La langue française, c’est la langue de ma mère. C’est la langue que j’ai apprise dans ma maison, chez moi, quand j’étais petit. C’était la langue de mon grand-père et de mes grands- parents, qui étaient proches de moi quand j’étais petit parce qu’on habitait dans un tout petit village. J’étais donc en contact continuel avec mes parents et avec mes grands-parents. Le français, c’est donc la langue que j’ai apprise en premier. Dans mon village, il y avait aussi des anglophones. C’était un village qui était moitié francophone et moitié anglophone dans une population d’environ 200 personnes. C’était un environnement hybride où tout le monde connaissait tout le monde. À partir de l’âge de deux ans, mes amis anglophones me parlaient en anglais, et – ne posons pas de jugement là-dessus 2 –, au lieu qu’eux apprennent le français, j’ai appris l’anglais. Va donc savoir pourquoi? J’ai donc appris l’anglais très, très jeune. Je me suis toujours un petit peu considéré comme un bilingue, un biculturel, un bicéphale tout en étant plus proche de cœur de la langue française. Est-ce que votre anglais a influencé votre français et votre français influencé votre anglais, comme chez Patrice Desbiens1? C’est certain. Je comprends et je lis Patrice Desbiens avec plaisir parce qu’il parle la même langue que moi. L’anglais et le français, pour nous, c’est pareil dans notre cerveau, mais ce n’est pas pareil dans notre cœur. Personnellement, j’ai autant de facilité en anglais, sinon plus, qu’en français. En fait, je lis toujours autant en anglais qu’en français. J’écoute les films autant en anglais qu’en français. J’écoute peut-être même plus l’anglais et je lis peut-être même plus en anglais parce qu’il y a plus de produits qui sont diffusés en anglais. Il faut reconnaître qu’il y a énormément de films et de livres assez remarquables qui paraissent chaque année en anglais. La quantité de produits de qualité fait qu’on est un peu attiré par ce genre de choses. Cela dit, ça ne m’empêche pas d’aussi chercher ce qui se fait de bien en français. Au cours de votre carrière, vous avez écrit beaucoup de chansons en français et quelques-unes en anglais 2. Est-ce qu’écrire une chanson en anglais, c’est la même chose que de l’écrire en français? Oui. C’est sensiblement la même affaire. C’est tenter d’écrire une idée, de transcrire une émotion, une vision de la vie et d’en faire une chanson, que ce soit en français, en anglais ou en serbo-croate, je pense que ça sera toujours à peu près la même affaire. Après ça, ça dépend des teintes de culture que tu peux y mettre. Quand je suis arrivé au Québec, j’avais tendance à écrire mes chansons en anglais parce que j’avais grandi étrangement plus en anglais qu’en français, même si j’avais fait mon cours 1 Patrice Desbiens est un poète franco-ontarien connu, entre autres, pour son recueil L’homme invisible/The invisible man, paru en 1981 aux éditions Prise de parole. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrice_Desbiens 2 Ne pensons qu’aux albums Woman to man, paru en 1994, Here in the heart, paru en 1992, Tips, paru en 1986, et Cravings, paru en 1981. 3 classique en français. Le souvenir que je garde, c’est que dans la cour de récréation, entre nous, les collégiens, on se parlait plus en anglais qu’en français. L’anglais était premier partout au Manitoba. Même chez les francophones, on se parlait en anglais. Il suffisait qu’il y ait un anglophone parmi douze francophones pour que l’on passe tous à l’anglais. Quand je suis arrivé au Québec, j’écrivais d’abord mes chansons en anglais, puis je les traduisais ou je les adaptais en français, et ça, j’ai fait ça jusqu’à l’album Tension Attention3. Je trouvais la langue anglaise plus musicale, plus facile à mettre en mélodie. Rythmiquement, je trouvais la scansion en anglais peut-être plus moderne. Je préférais donc écrire les paroles d’abord en anglais pour ensuite les traduire ou les adapter en français. Ceci dit, je savais, dès le départ, que c’était des chansons qui ne deviendraient jamais des chansons anglaises, elles étaient destinées à devenir, avant tout, des chansons en français. C’est comme ça que je procédais. Qu’est-ce qui a fait en sorte que vous avez cessé d’utiliser ce procédé d’écriture là pour écrire directement en français? Un jour, j’ai décidé que c’était assez. Je me suis rendu compte que c’était un peu de la paresse de ma part. Je me suis dit qu’il fallait que je commence à écrire directement en français. Je me suis obligé à écrire en français. En choisissant le français, en traduisant et en écrivant vos chansons dans cette langue, vous en avez composé de magnifiques qui ont trouvé un écho aux quatre coins du monde et qui ont fait rayonner le français bien au-delà des frontières du Manitoba et du Québec. (Rires) Vous êtes bien gentil. (Rires) 3 Cet album est paru en 1983. 4 C’est vrai, non? Ne pensons qu’à la chanson « Ils s’aiment » qui a été traduite et chantée dans plusieurs langues, elle a été élue « chanson du siècle4 » en 1999 par les Français. Avant les chansons de Brel et celle de Brassens… C’est tout un honneur. Oui, mais c’était en 1999. Je suis certain que si on avait repris le vote en 2002 ou en 2003, elle n’aurait pas été la « chanson du siècle ». (Rires) En fait, comment avez-vous vécu le succès? Certains artistes composent mal avec le succès. Ils deviennent un peu effrayés par le succès et ils le vivent mal alors que d’autres le vivent bien. Vous, est-ce juste de penser que vous avez bien vécu avec le succès, puisque vous vous êtes constamment renouvelé, vous avez fait plein de projets, que ce soit de la chanson, de la radio, du cinéma ou de la poésie… Quel est votre rapport au succès? Je vous dirais que je ne l’ai pas très bien vécu, les premières années, pas aussi bien que vous pensez… C’est certain que, lorsqu’on fait ce métier, on espère toujours qu’un jour, ça va marcher.