Du défi à l’ordalie Nous avons entre aperçu un certain nombre des besoins auxquels répondent les réseaux sociaux, il n’est plus à démontrer leur puissance, tant dans les chaines de solidarité, que dans les mouvements politiques et sociaux, meetoo, manifestations algériennes, et avant révolutions arabes… Nous évoquions la dernière fois les Blue Whale Challenge, momo Challenge, en évoquant finalement qu’ils étaient plus de l’ordre des rumeurs urbaines que d’un vrai phénomène ; même si l’emballement médiatique n’est jamais de trop quand on évoque les potentialités suicidaires chez l’adolescent. (Les deux exemples de MAD et Sami). En tout cas cela ouvrait sur la difficulté de distinguer vrai faux, risques avérés/potentiels/ou phénomène médiatique hypertrophié par les écrans. Défis fb, mais s’étend à toutes les plateformes vidéos, et faire un lien avec les CR, voici quelques exemples des défis FB :

2009, planking

2014 (février) : La Neknomination

Dans ce jeu, il faut prendre une position originale, boire de l'alcool cul sec et se filmer. Après avoir mis la vidéo en ligne, il faut désigner trois amis qui ont 24 heures pour reproduire le geste. Au Royaume-Uni, cinq personnes sont mortes en relevant ce défi.

Julien, un Bordelais de 23 ans, désigné par un ami sur pour jouer à "Neknomination", a détourné les règles. Le 12 février 2018, il s'est filmé en train d'offrir dix sandwichs et deux bouteilles d'eau à un groupe de sans-abri. Mardi 24 juin, sa vidéo avait été vue plus de 912 000 fois sur YouTube.

2014 (juin) : A l’eau ou un resto

Ce défi est lancé après un autre jeu, "A l'eau ou un resto", qui consiste à se jeter à l'eau souvent déguisé ou muni d'un accessoire, puis à poster la scène sur Facebook. Ou, si on ne relève pas le défi, à payer un repas au restaurant à celui qui l'a lancé. Mais ce challenge s'est révélé dangereux. Un jeune homme de 21 ans s'est grièvement blessé dans le Pas-de-Calais le 1er juin. Un autre, âgé de 19 ans, est mort le 12 juin dans le Morbihan, tout comme une femme de 29 ans, dans le Maine-et-Loire, dimanche 22 juin, alors qu'ils relevaient ce défi. Transformation en – de 5 mois 1million de vues pour bordelais, sandwichs et boisson sdf

2014 (août) : Le

2014 (aout) : Le 2014 (septembre) : Le Bee Challenge

2015 (mars) :L’Underboobs Challenge

2015 (avril): Le Kylie Jenner Challenge

Kylie Jenner c’est une gamine de 17 ans qui a fait une télé-réalité aux US et que tout le monde accuse d’avoir fait de la chirurgie esthétique sur ses lèvres. Du coup pour se moquer les internautes se sont amusés à recréer les lèvres de Kylie en aspirant avec leurs lèvres dans un bouchon. Passionnant.

2018 (été): in my feeling challenge

"Sur Facebook, l'audimat intime devient important. Ainsi, un défi relevé acquiert de la valeur parce qu'il est relayé. »

"On est dans une société de l'image et on cherche beaucoup la reconnaissance extérieure de ses pairs, de ses communautés. Le fait qu'on cherche à se faire approuver par un certain nombre de personnes peut entraîner dans un mécanisme qui nous dépasse"

On évoquait la grande maitrise de ce que postaient les adolescents d’une manière générale, mais on connait surtout :

- la facilité de désinhibition que provoquent les écrans,

-sans mesure des conséquences,

-des considérations légales,

-et de la temporalité tant ils sont dans l’ici et Maintenant sans élaborer que les traces laissées puissent être utilisées plus tard à leur détriment.

Chez certaines personnes :

Une course effrénée peut se mettre en place, plus fragiles narcissiquement, une hyper vigilance des commentaires, une surenchère à la publication pour ne pas perdre la perfusion du regard/commentaire de l’autre. Notamment dans les souffrances narcissiques identitaires, prime la contrainte de répétition. C’est ce qu’on retrouve fréquemment dans l’univers du carentiel, où la frontière entre extimité et son point de bascule avec l’exhibition est très ténue. Où le corps ne devient qu’un appeau à la captation de l’autre ; en institution on passe notre temps à être alarmé/traité par des histoires de photos de nu (on le reverra quand on évoquera le cyberharcèlement). Dans ces situations, le corps avec les RS, ou dans la vraie vie, devient une monnaie d’échange pour un comblement/ colmatage du besoin affectif, avec une centration sur l’impératif interpersonnel plus que l’intersubjectif. De manière encore plus majorée que le traumatique, et l’effraction du sexuelle font partie de l’histoire. Les vidéos de conduite à risques suivent un chemin parallèle, où affirmation virile et où négation de la peur, dédain du danger, viennent suppléer une sécurité interne défaillante, jouer sa peau pour qu’elle retrouve sa fonction contenante.

Pour en revenir à nos histoires de défis, je voulais finir sur un point important, sur ces défis ils ne sont bien souvent que la réactualisation des « t’es pas cap », et autres mises en danger qu’on a toujours connues ; à ceci près que comme on vient de le voir, tout est démultiplié par la vidéo. Binge drinking Prise de stupéfiants, roulettes urbaines, conduites sexuelles à risques, parcours urbains…

Fantasme ordalique

L'ordalie, ou « jugement de Dieu », était une forme de procès à caractère religieux qui consistait à soumettre un suspect à une épreuve, douloureuse voire potentiellement mortelle, dont l'issue, théoriquement déterminée par une divinité ou Dieu lui-même, permettait de conclure à la culpabilité ou à l'innocence

La conduite ordalique peut être définie comme le fait, pour un sujet, de s'engager de façon plus ou moins répétitive dans des épreuves comportant un risque mortel :

Épreuve dont l'issue ne doit pas être évidemment prévisible et qui se distingue de ce fait tant du suicide pur et simple que du simulacre.

Le fantasme ordalique est le fait de s'en remettre à l'Autre, au hasard, au destin, à la chance :

Pour le maîtriser ou en être l'élu et, par sa survie, prouver tout son droit à la vie, sinon son caractère exceptionnel, peut-être son immortalité…

Mais aussi Acquérir reconnaissance prestige pour les pairs et maintenant à la face du monde.

Cette conduite ordalique est donc toujours à deux faces : abandon ou soumission au verdict du destin mais aussi tentative de maîtrise, de reprise du contrôle sur sa vie.

Elle implique donc une relation subjective très particulière au risque, qui peut nous permettre de donner les caractéristiques du « risque ordalique ». Celui-ci comprend :

• Un rapport subjectif positif au risque : il s’agit d’un risque choisi et non d’un risque subi et le sujet en attend consciemment ou non un mieux-être.

Expérience de résurrection.

• Une relation « animiste » à la chance, au hasard, au destin : fantasmatiquement, cette épreuve, bien que solitaire et auto-imposée, a toujours un juge, Puis un public.

• Un sentiment d’emprise sur la situation : le paradoxe de la conduite ordalique est de s’en remettre totalement à l’autre mais avec l’idée de le maîtriser et, à un niveau ultime et de façon magique, la mort-renaissance devient alors auto-engendrement. Plus banalement, il faut noter que l’impression de maîtrise, le sentiment intime d’emprise sur la situation, modifie radicalement la relation du sujet au risque,

• Un versant transgressif : la prise de risques, dans le mouvement ordalique, est une façon d’invalider tous les dépositaires de la loi, comme si le fait de risquer l’enjeu suprême plaçait le sujet au-dessus de toute règle et de toute convention.

L’usage de drogues interdites tente les jeunes par l’attrait même de l’interdit et l’exposition au danger se double de la transgression

Aux valeurs aujourd’hui sacrées que sont le corps, la santé, la jeunesse…

• Un appel à la loi : le refus de règles et l’invalidation des dépositaires de la loi se doublent d’un appel à une loi supérieure en quelque sorte plus légitime. Ce paradoxe apparent est commun à bien des conduites de risque des adolescents et aux transgressions de nombre de sujets psychopathes ou antisociaux

Toutes ces conduites, et YT regorge, de défis plus dangereux les uns que les autres, offrent une visibilité qui ne peut qu’aviver une surenchère des plus inquiétantes, pour les jeunes les plus fragiles, en difficultés, en impasse de construction dans leur structuration identitaire. (Encore une fois l’émulation de groupe, abaisse les limites de perception du danger et ne peut qu’inquiéter) Il est difficile de ne pas voir dans ces phénomènes une tentative auto maturative pathologique, un simulacre de rite de passage moderne dont nos sociétés occidentales sont désormais dépourvues.