Revue d’

143 | 2017 Protestants et protestantisme en Alsace de 1517 à nos jours

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/alsace/2569 DOI : 10.4000/alsace.2569 ISSN : 2260-2941

Éditeur Fédération des Sociétés d'Histoire et d'Archéologie d'Alsace

Édition imprimée Date de publication : 7 novembre 2017 ISSN : 0181-0448

Référence électronique Revue d’Alsace, 143 | 2017, « Protestants et protestantisme en Alsace de 1517 à nos jours » [En ligne], mis en ligne le 01 septembre 2019, consulté le 25 septembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/alsace/2569 ; DOI : https://doi.org/10.4000/alsace.2569

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SOMMAIRE

Protestants et protestantisme en Alsace de 1517 à nos jours

Introduction Matthieu Arnold

La Réformation en Alsace Marc Lienhard

Le « Psautier de » Musique et chant pendant la Réforme protestante Beat Föllmi

Les sacristies, victimes collatérales de la Réforme ? Benoît Jordan

« La cité de Dieu sur terre » Strasbourg en 1616 Claude Muller

De l’intérêt de connaître l’allemand et le droit public allemand au XVIIIe siècle Claude Muller

Le parcours de sécularité d’un protestant au siècle des Lumières : Philippe Frédéric de Dietrich (1748-1793) Daniel Fischer

Les instituteurs alsaciens et la bataille du catéchisme sous la Révolution Chantal Vogler

« Dieu soit loué que je suis luthérien » Introspection du milieu des pasteurs protestants alsaciens au XIXe siècle Claude Muller

Le schisme luthérien de 1883 : orthodoxes contre libéraux Bernard Vogler

L’Église territoriale dans l’ère de l’État-nation La création d’une Église luthérienne pour l’Alsace-Lorraine (1870-1918) Anthony J. Steinhoff

Les protestants d’Alsace et la Séparation des Églises et de l’État de 1870 à 1940 : éléments de contexte Catherine Storne-Sengel

Protestantisme entre modernité et traditions Approche ethnologique Freddy Sarg

Patrimoine et mémoire protestants Jérôme Ruch

« Nun Danket Alle Gott » : Médailles et Réforme protestante Paul Greissler

Aujourd’hui et demain : quel avenir pour les protestants d’Alsace ? Marc Lienhard

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Mélanges

La « Chronique strasbourgeoise » de Johannes Sta edel Un témoignage sur la réception de la chronique de Twinger de Königshofen au début de l’époque moderne Christine Stöllinger-Löser

Le syndicalisme dans le Bas-Rhin après 1918 jusqu’à la veille du Front populaire : du modèle allemand au modèle français ? Recherches sur une typologie Michel Roth

La vie démocratique et l'opinion de l'Alsace

Les élections présidentielles et législatives du printemps 2017 en Alsace Richard Kleinschmager

Positions de thèse

Objets et ornements liturgiques en Alsace, de la Réforme à la Révolution Benoît Jordan

L’enseignement secondaire des filles en Alsace-Lorraine et dans l’académie de Nancy de 1871 à 1940 Eric Ettwiller

Réintégrer les départements annexés : le gouvernement et les services d’Alsace-Lorraine, 1914-1919 Joseph Schmauch

Comptes rendus

Sources et ouvrages de référence

WILSDORF (Christian), Le terrier du comté de Ferrette (vers 1324 ‑ vers 1340) : un complément inédit au Habsburgisches Urbar Altkirch, Société d’histoire du Sundgau, 2016, 96 p. Olivier Richard

KASSER-FREYTAG (Doris), Manuel de paléographie alsacienne du XVIe au XXe siècle Paris, Archives et Culture, « Guides de généalogie », 2015, 210 p. Élisabeth Clementz

Alsace, Espace, Identité, Frontière Colloque organisé par l’Institut d’histoire d’Alsace sous la direction de Claude MULLER, textes réunis par Valentin KUENTZLER, Strasbourg, Éditions du Signe, 2016, 264 p. Nicolas Lefort

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Les périodes de l'histoire

Moyen Age et Temps modernes

NOGUES (Julien), La commanderie hospitalière du Saint-Esprit de Stephansfeld (1216-1774) Strasbourg, Société académique du Bas-Rhin, 2016, 130 p. Georges Bischoff

LEUCK (Jessica), Le Blatterhaus de Strasbourg. Son histoire, son fonctionnement et ses malades de la fin du XVe siècle à 1686 Strasbourg, Société savante d’Alsace, « Recherches et documents », tome 87, 2017, 148 p. Paul-André Befort

RUCH (Ralph A.), Kartographie und Konflikt im Spätmittelalter : Manuskriptkarten aus dem oberrheinischen und schweizerischen Raum Zürich, Chronos, 2015, 200 p. Olivier Richard

RUTZ (Andreas), dir., Krieg und Kriegserfahrung im Westen des Reiches 1568-1714 Göttingen, V&R unipress, 2016, 392 p. Gilles Muller

BETZINGER (Claude), Le tribunal révolutionnaire de Strasbourg (25 octobre - 13 décembre 1793) Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2017, 279 p. Claude Muller

XIXe - XXe siècles

DUNLOP (Catherine Tatiana), Cartophilia, Maps and the Search for Identity in the French- German Borderland Chicago, Chicago University Press, 2015, 257 p. Benjamin Furst

CHEVALIERAS (Mathieu), L’asile d’aliénés de Stephansfeld (Bas-Rhin). Étude de la prise en charge sociale et médicale de la folie au XIXe siècle Strasbourg, Société académique du Bas-Rhin, « Bulletin 137 », 2017, 127 p. Dominique Lerch

IGERSHEIM (François), L’Alsace politique 1870-1914 Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2016, 232 p. Claude Muller

OLIVIER-UTARD (Françoise), Une université idéale ? Histoire de l’Université de Strasbourg de 1919 à 1939 Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 548 p., ill., index des noms de personnes, 2016 Georges Bischoff

SCHNITZLER (Bernadette), HAEGEL (Olivier) et GRANDHOMME (Jean-Noël), Mourir pour la patrie ? Les monuments aux morts d’Alsace-Moselle Lyon, Éditions Lieux Dits, « Clefs du patrimoine , no2 », 2016, 112 p. Nicolas Lefort

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Première Guerre mondiale

EVERS (Markus), Enttäuschte Hoffnungen und immenses Misstrauen. Altdeutsche Wahrnehmungen des Reichslandes Elsaß-Lothringen im Ersten Weltkrieg Oldenburg, BIS-Verlag, 2016, 211 p. Christian Baechler

EHRET (Thierry), Hartmannswillerkopf 1914-1918 Paris, Bernard Giovanangeli, 2015, 176 p. Jean-Noël Grandhomme

BECK (Christophe), Hartmannswillerkopf. Vestiges du passé Wittelsheim, Les Amis du Hartmannswillerkopf, 2015, 90 p. Jean-Noël Grandhomme

DRULANG-MACK (Jean-Pierre) avec le concours de HAGE (Silvia) et BERTINOTTI (Thierry), éd., Du Württemberg au Bois-le-Prêtre 1914-1918 / Aus Württemberg in der Priesterwald Moyenmoutier, Edhisto, 2016, 407 p. Jean-Noël Grandhomme

PEROZ (Anne), Vivre à l’arrière du front. Vosges 1914-1918 Moyenmoutier, Edhisto, 2015, 447 p. Jean-Noël Grandhomme

L’Autre guerre. Satire et propagande dans l’illustration allemande (1914-1918) Strasbourg, Musées de la Ville de Strasbourg, 2016, 250 p. Jean-Noël Grandhomme

Seconde Guerre mondiale

FINGER (Jürgen), Eigensinn im Einheitsstaat. NS-Schulpolitik in Württemberg, Baden und im Elsass 1933-1945 Baden-Baden, Nomos, Historische Grundlagen der Moderne: Moderne Regionalgeschichte, 2016, 603 p. Eric Ettwiller

STROH (Frédéric) et QUADFLIEG (Peter M.), dir., Incorporation de force dans les territoires annexés par le IIIe Reich Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2016, 228 p. François Igersheim

COLLEY (David), Decision at Strasbourg, Ike’s strategic mistake to Halt the Sixth Army Group at the Rhine in 1944 Annapolis, Naval Institute Press, 2008, 252 p. François Igersheim

PREFER (Nathan N.), Eisenhower’s Thorn on the Rhine, The battles for the Pocket 1944-1945 Philadelphia & Oxford, Casemate Publishers, 2015, 350 p. François Igersheim

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Les lieux et les hommes

Histoire de villes

1115-2015, Haguenau, 900 ans d’histoire. Actes du colloque organisé par la Société d’histoire et d’archéologie de Haguenau et l’Institut d’histoire d’Alsace à l’Université de Strasbourg, les 16 et 17 janvier 2015 par Elisabeth Clementz, Claude Muller, Richard Weibel Haguenau, Société d’Histoire et d’Archéologie de Haguenau, 2015, 336 p. Benoît Jordan

Vies et écrits d'Alsaciens

Alter ego : amitiés et réseaux du XVIe au XXIe siècle Strasbourg, Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, 2016, 213 p. Christine Esch

MARXSEN (Patti M.), Helene Schweitzer. A Life of Her Own Avant-propos de Sylvia Stevens-Edouard, Syracuse University Press, « Albert Schweitzer Library », 2015, XXVII + 207 p. Matthieu Arnold

FONTANA (Raniero), André Neher, philosophe de l’Alliance Paris, Éditions Albin Michel, 2015, 260 p. Claude Muller

LAZARE (Lucien), Le tapissier de Jérusalem. Mémoires Paris, Seuil, 2015, 238 p. François Igersheim

Arts et techniques

Archéologie

GOUBET (Francis), JODRY (Florent), MEYER (Nicolas), WEISS (Nicolas), Au « grès » du temps. Collections lapidaires celtes et gallo-romaines du Musée archéologique de Société d’histoire et d’Archéologie de Saverne et Environs, 2015, 372 p. Bernadette Schnitzler

KILL René (et collaborations de Florent FRITSCH et Henri SCHOEN), Le château du Haut- Koenigsbourg et l’eau. Sources, puits et citernes du Moyen Âge à l’époque actuelle Le Verger éditeur et Ligne à Suivre, « Les cahiers du Haut-Koenigsbourg, vol. 2 », 2015, 94 p. Christian Remy

LOHRUM (Burghard), WERLÉ (Maxime), RAIMBAULT (Jérôme), FRITSCH (Florent), HAEGEL (Olivier), La maison en pan-de-bois Lyon, Lieux Dits, « Clefs du patrimoine d’Alsace, no1 », 2015, 112 p. Marc Grodwohl

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Histoire de l'art et des collections

BOTT (Gerhard), Graf Friedrich Casimir von Hanau (1623-1685). Der «König vom Schlaraffenland» und seine Kunstschätze Hanau, Städtische Museen Hanau, CoCon-Verlag Hanau und Autoren, 2015, 240 p. Fanny Kieffer

MUSÉE NATIONAL JEAN-JACQUES HENNER, De la maison d’artiste au musée Préface de Marie-Cécile Forest, Paris, Somogy éditions d’Art, 2016, 160 p. Gabrielle Claerr Stamm

Histoire des techniques

CLAERR STAMM (Gabrielle), DUBAIL (André), EHRET (Jürgen), MUNCH (Paul-Bernard), VOGEL (Roland), Voies ferrées du sud de l’Alsace Riedisheim, Société d’Histoire du Sundgau, « Découvrir le Sundgau », 2017, 196 p. Bertrand Risacher

Autres ouvrages reçus ou signalés

Autres ouvrages reçus ou signalés

In memoriam

In memoriam, Louis Châtellier (1935-2016) Francis Rapp

La Féderation des sociétés d'histoire et d'archéologie d'Alsace

Chez nos voisins d’Outre-Rhin Olivier Richard

Rapport d’activité de la commission d’histoire transfrontalière Gabriel Braeuner

La collection Alsace-Histoire est née il y a dix ans Paul Greissler

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Dictionnaire Historique des Institutions de l’Alsace Fascicules I et J

Les publications des sociétés d'histoire

Publications des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace (année 2016)

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Protestants et protestantisme en Alsace de 1517 à nos jours

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Introduction

Matthieu Arnold

1 Dès le mois de décembre 1517, soit deux mois après leur première impression, les 95 thèses de Martin Luther sur le pouvoir des indulgences sont réimprimées à Bâle. Dès 1518, sans doute, les Strasbourgeois peuvent en prendre connaissance. Ainsi, très rapidement, les idées du moine augustin de Wittenberg gagnent l’Alsace, même s’il faut attendre 1519 pour que, à Strasbourg et à Haguenau, on imprime ses ouvrages. En 1523, Matthieu Zell, le pléban de la cathédrale qui prêche en sens luthérien, reçoit le renfort de Martin Bucer, venu de Wissembourg, et de Wolfgang Capiton. En quelques années, leurs idées provoquent dans la ville libre d’Empire de profonds bouleversements (ainsi, les couvents masculins se vident), et, en 1529, Strasbourg passe officiellement à la Réformation.

2 La défaite de la Ligue de Smalkalde par Charles Quint en 1547 ne met pas un terme à la présence protestante en Alsace, loin s’en faut : grâce à la Paix d’Augsbourg (1555), qui laisse aux autorités civiles le choix de décider de la religion de leurs sujets, le protestantisme s’établit durablement, depuis le comté de La Petite Pierre jusqu’à celui de Horbourg. Ce n’est qu’en 1575 que Colmar est acquise à la Réformation. Moins de cent ans après la dispute convoquée par Luther, un tiers de l’Alsace est protestante.

3 Mais ces chiffres – qui témoignent également de la forte résistance du catholicisme – sont insuffisants pour exprimer l’ampleur du bouleversement provoqué par l’apparition puis l’implantation d’une confession nouvelle. Les idées de Luther entraînent des transformations dans le domaine de l’Église et de la piété, mais aussi de la famille et de la société. L’insistance sur l’égalité de tous les croyants devant Dieu, auquel ils ont accès sans la médiation d’un prêtre (sacerdoce universel), la valorisation des laïcs et du mariage – y compris pour les clercs –, l’accent mis sur l’instruction des garçons et des filles, l’emploi de la langue vernaculaire pour le débat d’idées théologiques, ou encore les fonctions reconnues aux autorités civiles dans le domaine religieux ont modifié le visage de l’Europe jusqu’à nos jours. Être protestant ne signifie pas seulement adhérer à des convictions religieuses spécifiques, mais implique – ou en tout cas a impliqué jusqu’il y a peu – un rapport particulier à la vie et à la mort1.

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5 Aussi, que la Revue d’Alsace consacrât sa livraison de 2017 au protestantisme allait de soi, même si le présent numéro n’entend pas remplacer les synthèses qui ont été consacrées à ce thème2. Il s’agit bien plutôt, sans souci d’exhaustivité3, de faire ressortir la variété des domaines dans lesquels s’est exercée l’influence du protestantisme en Alsace, en sollicitant à la fois des auteurs confirmés et de jeunes historiens. De la sorte, à côté des revues théologiques ou consacrées plus spécifiquement à l’histoire du protestantisme4, la Revue d’Alsace apporte une contribution spécifique à la commémoration de 2017.

6 Ce numéro s’ouvre sur un article synthétique5 qui met en évidence les moyens (l’imprimé, la prédication) par lesquels les idées réformatrices ont été diffusées en Alsace, ainsi que les acteurs du changement, la réception du message évangélique et ses effets concrets, à la ville comme à la campagne. Comme le montre une autre contribution6, les transformations liturgiques – avec une nouvelle compréhension de l’eucharistie et la disparition du culte des saints – affectent nécessairement les objets et les ornements cultuels. Une étude consacrée à la musique et au chant7 met d’une part en évidence l’importance des cantiques pour la transmission des idées protestantes, mais aussi, de manière plus spécifique, la place particulière prise, durant le deuxième quart du XVIe siècle, par Strasbourg entre la Réforme de type luthérienne et la Réforme de type calvinien : c’est le « Psautier de Strasbourg » qui, dès les années 1520, accorde une place de choix au chant des psaumes sous forme de paraphrases versifiées – une pratique dont Jean Calvin, qui séjourne à Strasbourg de septembre 1538 à septembre 1541, s’inspire pour la diffuser à Genève puis à l’échelle mondiale. Dans la deuxième moitié du XVIe siècle, la ville passe à l’orthodoxie luthérienne, et l’Ordonnance ecclésiastique de 1598 pèse de tout son poids sur la vie de la cité8. À côté de la prédication et du chant, le catéchisme, appris par cœur, constitue le moyen privilégié pour l’inculcation de la religion chrétienne dans sa version luthérienne. Son rôle reste essentiel jusque dans la seconde moitié du XXe siècle.

7 La Révolution a constitué, à côté de la Réformation du XVIe siècle, une autre grande période de bouleversement religieux en Alsace. Dans certains cas, les protestants, marqués par la philosophie des Lumières, ont cru bon de joindre leurs forces à la Révolution9 ; dans d’autres cas, ils résistent aux idées et aux mesures révolutionnaires, en particulier dans le domaine de l’instruction, lorsque la politique de francisation s’est alliée à celle de laïcisation10. Dans le prolongement des Lumières, le libéralisme devient le courant théologique dominant au sein du luthéranisme alsacien11. Il prône notamment la réconciliation avec le progrès scientifique, le libre examen et l’étude historique et critique de la Bible. Sa prépondérance ne doit toutefois pas masquer la présence du courant piétiste et de l’orthodoxie luthérienne. Le conflit entre orthodoxes et libéraux conduit en 1883 à un schisme dont il subsiste encore des traces de nos jours, puisque l’Église libre en Alsace a quatre postes pastoraux.

8 Autre césure importante après la Révolution, la guerre de 1870 et l’annexion de l’Alsace (et d’une partie de la Lorraine) à l’Allemagne. Cette annexion a non seulement des conséquences démographiques (avec un afflux de protestants venus de l’autre côté du Rhin, en particulier dans la capitale du Reichsland), mais encore institutionnelles, puisqu’est créée une Église territoriale luthérienne d’Alsace-Lorraine12. La question du rapport aux autorités civiles, qui constitue du reste l’un des fils conducteurs de ce volume, se pose d’ailleurs avec acuité pour la période qui va jusqu’en 194013, avec en arrière-fond le problème de la séparation entre l’Église et l’État. Cette séparation a été

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introduite en en 1905 avec l’assentiment de nombreux protestants, souvent par anticatholicisme, mais en Alsace, les protestants considèrent dans leur très grande majorité que l’État doit soutenir l’exercice des cultes.

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10 On aurait pu traiter le protestantisme alsacien par le biais de ses grandes figures, qui vont de Martin Bucer (1491-1551) jusqu’à Albert Schweitzer (1875-1965), en passant par Jean Frédéric Oberlin (1740-1826). Tel n’a pas été le choix des contributeurs à ce volume, même si un article14 met l’accent sur l’historiographe et diplomate Jean Daniel Schoepflin (1694-1771) et un autre15 brosse le parcours de Philippe Frédéric de Dietrich (1748-1793), figure emblématique des Lumières et de la Révolution ; les sources sont discrètes sur sa foi, mais l’activité maçonnique du premier chanteur de la Marseillaise est attestée et il fait le choix d’élever ses fils dans la religion catholique. Relevons en tout cas l’attention portée, dans l’iconographie (notamment les vitraux) des églises luthériennes d’Alsace à partir de l’Annexion, aux grandes figures de la Réformation16. On fait également mémoire de ces dernières et des principaux événements associés à la Réformation par le biais d’objets plus modestes, mais dont l’étude est fort évocatrice17 : les médailles.

11 La question des sources constitue un autre angle d’approche et sous ce rapport aussi, le présent volume ne vise en rien l’exhaustivité. Ainsi, la prédication, dont on a souligné l’importance pour la percée des idées réformatrices et qui a fait l’objet d’études récentes en lien avec la Première Guerre mondiale18, est peu traitée. Elle a pourtant été centrale pour le protestantisme, occupant dans le culte la fonction dévolue à la célébration de la messe chez les catholiques, même si nombre de pasteurs – sans doute plus que les fidèles, et à tort – lui accordent aujourd’hui un poids moindre que par le passé. Une étude met en lumière l’importance des testaments ou inventaires après succession des pasteurs19 – des sources souvent utilisées, depuis les travaux de Pierre Chaunu sur la mort, pour mesurer le sentiment religieux et ses évolutions, mais assez peu étudiées pour les ministres protestants au XIXe siècle. Testaments et inventaires nous renseignent non seulement sur l’aisance des défunts, mais encore sur leur rapport à la musique et sur leurs lectures. Mais l’étude des journaux personnels ou des écrits de nature autobiographique laissés par les pasteurs permettrait sans doute d’apporter bien des nuances au tableau que l’on peut brosser à partir des testaments.

12 Parmi les thèmes qui traversent le présent ouvrage, on a déjà évoqué le rapport du protestantisme au pouvoir politique. Il faut mentionner aussi la question de la langue : ainsi, c’est grâce à leur compétence de l’allemand que, vers le milieu du XVIIIe siècle, les luthériens alsaciens sont présents au ministère des Affaires étrangères, et surtout, c’est pour des raisons linguistiques que, durant plus de deux siècles, les rapports entre l’État français et la plupart des protestants alsaciens se caractérisent par la défiance et l’incompréhension. Étudier le protestantisme en Alsace c’est, on le voit, toucher aux questions les plus profondes et les plus sensibles liées à l’identité alsacienne. On évoquera pour finir la question de la coexistence religieuse entre protestants et catholiques, souvent conflictuelle, qui transparaît dans mainte contribution au présent volume. À lire ces études, nous mesurons mieux le chemin parcouru, grâce notamment aux progrès de l’œcuménisme au XXe siècle, même si, dès l’époque de Lumières, les esprits éclairés jugeaient sévèrement les querelles de simultaneum. Pareille évolution caractérise, au sein même du protestantisme, les relations entre les luthériens et les réformés.

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14 Même si le présent ouvrage est de nature historique, le regard des contributeurs ne se tourne pas seulement vers le passé et les commémorations. En effet, une contribution20 traite de l’avenir des protestants d’Alsace (les luthéro-réformés alsaciens constituent près d’un tiers des protestants français). Les églises protestantes en Alsace ne sont pas uniquement des objets patrimoniaux et des lieux de mémoire21, mais le protestantisme dit « historique » est appelé à évoluer dans un contexte où les Églises dites évangéliques ou libres sont en très forte croissance, où, malgré une forte féminisation de la profession de pasteur, les départs à la retraite des ministres sont très insuffisamment compensés par les vocations nouvelles, et où l’individualisme et la sécularisation n’épargnent pas la société alsacienne.

15 Puisse ce volume, dont nous remercions vivement les contributeurs, stimuler les études sur notre région voire susciter des vocations de chercheur, car on l’aura compris, la moisson est abondante.

NOTES

1. . Voir l’étude de Freddy S ARG, « Le protestantisme entre modernité et tradition. Approche ethnologique ». 2. . Voir ainsi Henri STROHL, Le protestantisme en Alsace, Strasbourg, 1950 ; Marc LIENHARD, Foi et vie des protestants d’Alsace, Strasbourg, 1981 ; Marc LIENHARD et Gustave KOCH, Les protestants d’Alsace : du vécu au visible, Strasbourg, 1985. 3. . Si, sur le plan de la chronologie, la plupart des grandes périodes qui vont du XVIe siècle à nos jours ont été traitées, il n’en va pas de même de la géographie, le protestantisme à Strasbourg occupant une place privilégiée dans ce recueil. De même, la question économique, que l’on traite généralement en rapport avec le protestantisme réformé (ainsi, à ), n’est guère évoquée, mais il est vrai qu’elle a déjà fait l’objet de nombreuses recherches. 4. . Voir ainsi le numéro spécial de la Revue d’histoire du protestantisme (anciennement : Bulletin de la société de l’histoire du protestantisme français), « Le Luther des Français » (Paris, mars 2017), ainsi que les numéros spéciaux consacrés au 500e anniversaire de la Réformation par Études théologiques et religieuses (Montpellier, mars 2017), par la Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses (Strasbourg, septembre 2017) et par la revue Positions luthériennes. Théologie - Histoire - Spiritualité (Paris, septembre 2017). 5. . Voir l’étude de Marc LIENHARD, « La Réformation en Alsace ». 6. . Voir l’étude de Benoît JORDAN, « Les sacristies, victimes collatérales de la Réforme ? » 7. . Voir l’étude de Beat FÖLLMI, « Musique et chant pendant la Réforme protestante ». 8. . Voir l’étude de Claude MULLER, « La cité de Dieu sur terre. Strasbourg en 1616 ». 9. . Voir l’étude de Daniel F ISCHER, « Le parcours de sécularité d’un protestant au siècle des Lumières : Philippe Frédéric de Dietrich ». 10. . Voir l’étude de Chantal VOGLER, « Les instituteurs alsaciens et la bataille du catéchisme sous la Révolution ». 11. . Voir Bernard VOGLER, « Le schisme luthérien de 1883 : orthodoxes contre libéraux ».

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12. . Voir l’étude d’Anthony J. S TEINHOFF, « L’Église territoriale sous l’ère de l’État-nation : la création d’une Église luthérienne pour l’Alsace-Lorraine (1870-1918) ». 13. . Voir l’étude de Catherine STORNE-SENGEL, « Les protestants d’Alsace et la Séparation des Églises et de l’État de 1870 à 1940 : éléments de contexte ». 14. . Voir l’étude de Claude MULLER, « De l’intérêt de connaître l’allemand et le droit public au XVIIIe siècle ». 15. . Voir l’étude de Daniel F ISCHER, « Le parcours de sécularité d’un protestant au siècle des Lumières… ». 16. . Voir l’étude de Jérôme RUCH, « Patrimoine et mémoire protestants : ruptures et nouvelles perspectives ». 17. . Voir l’étude de Paul GREISSLER, « “Nun danket alle Gott” : médailles et Réforme protestante ». 18. . Nous nous permettons de renvoyer à : Matthieu ARNOLD, Irene DINGEL, éd., Predigt im Ersten Weltkrieg. La prédication durant la « Grande Guerre », Göttingen, 2017. 19. . Voir l’étude de Claude MULLER, « “Dieu soit loué que je sois luthérien.” Introspection du milieu des pasteurs protestants alsaciens au XIXe siècle ». 20. . Voir l’étude de Marc LIENHARD, « Aujourd’hui et demain : quel avenir pour les protestants d’Alsace ? ». 21. . Voir l’étude de Jérôme RUCH, « Patrimoine et mémoire protestants… ».

AUTEUR

MATTHIEU ARNOLD Professeur d’histoire du christianisme à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg (EA 4378), membre honoraire de l’Institut universitaire de France

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La Réformation en Alsace Reformation in Alsace Die Reformation im Elsass

Marc Lienhard

1 Les conceptions de Luther sont diffusées en Alsace à partir de 1518/19 grâce à l’imprimerie et à travers l’action de quelques prédicateurs, bientôt soutenus par un certain nombre d’autorités civiles.

Les imprimés

2 Un premier texte de Luther – une préface à la Theologia deutsch, écrit d’édification du XVe siècle – avait paru à Wittenberg et à Leipzig en 15161. En 1517, les 95 thèses contre les indulgences sont réimprimées (en latin) à Bâle2. En 1518, Pamphilius Gengenbach et Adam Petri publient à Bâle le Sermon sur l’indulgence et la grâce3, imprimé 23 fois. C’est seulement en 1519 que les imprimeurs strasbourgeois4, bientôt suivis par quelques imprimeurs de Haguenau – Thomas Anshelm et Amandus Farckall relayés, à partir de 1523, par Johann Setzer5 – publient à leur tour des écrits de Luther et de ses partisans. Mais, dès 1518, selon certaines sources, les Strasbourgeois peuvent prendre connaissance des 95 thèses de Luther contre les indulgences, affichées sur les portes de certaines églises et monastères6.

3 Miriam Usher Chrisman7 a relevé que, à la veille de la Réforme, il existe à Strasbourg huit officines typographiques de grande et de moyenne importance ; le nombre des ateliers grands et moyens double entre 1517 et 1560. Sept premiers textes de Luther sortent en 1519 des presses de Matthias Schürer, Johann Knobloch et Martin Flach II. Ce sont des officines bien établies à Strasbourg, unies d’ailleurs pas des liens de parenté. Mais seuls trois de ces sept imprimés indiquent le nom de l’imprimeur et le lieu d’impression.

4 En 1520, un nouvel imprimeur s’établit à Strasbourg, Wolfgang Köpfel, neveu de Capiton, l’un des futurs prédicateurs protestants de Strasbourg. Cet imprimeur est particulièrement attaché au mouvement évangélique. Il publie aussi bien des écrits

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favorables à ce mouvement, comme le pamphlet Karsthans, que des écrits de Luther même. Mentionnons encore Johann Prüss, Johann Herwagen, arrivé à Strasbourg en 1522, et Johann Schott. Ce dernier imprime non seulement des écrits de Luther mais aussi ceux d’Ulrich von Hutten et d’auteurs dissidents tels que Carlstadt. Entre 1519 et 1525, Strasbourg se situe au premier rang de la diffusion des écrits de Luther aux côtés de Wittenberg, Augsbourg, Bâle et Leipzig. Un seul imprimeur strasbourgeois, Grüninger, a résisté à la vague luthérienne en publiant des écrits hostiles à Luther, dont ceux de Thomas Murner. Entre 1519 et 1525, 168 impressions d’écrits de Luther ont été réalisées à Strasbourg8. Mais le nombre de titres proprement dits est inférieur dans la mesure où certains, comme le traité De la liberté du chrétien, ont été imprimés plusieurs fois.

5 Selon Miriam Usher Chrisman, « entre 1519 et 1529, 81 auteurs protestants sont publiés sur les presses strasbourgeoises. Luther et ses disciples en représentent 25 ; 8 sont des chefs de file de la Réforme strasbourgeoise, 12 sont des réformateurs suisses ou du moins des auteurs qui ne sont pas associés au luthéranisme orthodoxe, 10 sont des spiritualistes et des anabaptistes, 20 sont des laïcs ou des femmes9 ».

6 Cette diversité reflète, du moins durant la première moitié du XVIe siècle, l’ouverture de Strasbourg à plusieurs orientations théologiques.

7 La grande majorité des publications strasbourgeoises sont écrites en allemand, 10% sont en latin entre 1519 et 1525. Il faut y ajouter quelques traductions en français10. Pour une période plus longue, Miriam Usher Chrisman note que « sur un total de 818 livres protestants imprimés de 1519 à 1560, il n’y en a que 158 (19%) en latin, alors que 78% sont en allemand et 3% en français. Cela signifie que l’objectif principal de l’édition protestante de Strasbourg est de mettre de la documentation entre les mains des laïcs lettrés, ceux qui lisent la langue vernaculaire, en opposition avec les éditeurs bâlois qui visent un public plus cultivé et plus international11 ». Pourtant, la diffusion des écrits d’orientation protestante imprimés à Strasbourg ne s’est pas limitée à l’espace du Rhin supérieur. L’usage du latin a permis aux imprimeurs strasbourgeois d’atteindre des milieux cultivés du royaume de France. Des versions françaises, par exemple du traité De la liberté chrétienne, allaient dans le même espace.

Les divers genres littéraires

8 À côté du traité De la liberté du chrétien, les textes de Luther de l’année 1520 (Manifeste à la noblesse, De la Captivité babylonienne de l’Église, De la papauté de Rome) sont repris une ou plusieurs fois par les imprimeurs strasbourgeois. Ajoutons certaines instructions et petits traités du Réformateur sur divers aspects de la vie chrétienne, des prédications isolées et des sermonnaires, divers écrits d’édification ainsi que plusieurs commentaires bibliques. Des écrits polémiques tels que Contre la bulle de l’Antichrist ou le traité Des vœux monastiques ont également retenu l’attention, de même que le traité de 1523 sur L’autorité temporelle et les prises de position au moment de la guerre des Paysans.

9 À côté de Luther, d’autres théologiens prennent la plume pour combattre les conceptions romaines et pour préciser et diffuser les doctrines de la nouvelle Église. Zell est l’auteur de la première publication des théologiens réformateurs de Strasbourg, la Christliche Verantwortung ( Responsabilité chrétienne), imprimée chez Köpfel ; Bucer publie quelques écrits, dont le premier est le traité L’amour du prochain (1523) ; son

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Résumé des prédications prononcées à Wissembourg et bien d’autres écrits ont fait l’objet d’une réédition moderne. D’autres théologiens strasbourgeois tels que Capiton, Brunfels, François Lambert, Hédion défendront le mouvement évangélique.

10 Miriam Chrisman a souligné la place de l’eucharistie dans les publications strasbourgeoises. Elle a dénombré 24 traités sur la question12. Elle relève encore « l’autre trait important de l’édition protestante, constitué par les livres liturgiques. Joints aux ouvrages de dévotion destinés aux laïcs, ils atteignent 20% du total. Avec 20 éditions différentes du catéchisme et des nouveaux recueils de cantiques et des livres liturgiques, les nouvelles Églises sont bien pourvues13 ».

11 Les imprimeurs strasbourgeois ne publient pas seulement les écrits des théologiens patentés, mais aussi des prises de position de laïcs. L’épouse du pasteur de la cathédrale, Catherine Zell, publie cinq écrits14. Quand son époux et six autres prêtres mariés sont mis en accusation par l’évêque, elle envoie à ce dernier une « chaude épître » dans laquelle elle défend le mariage des clercs qu’elle juge préférable au concubinage. Elle publiera également des écrits de réconfort, dont l’un est destiné à un sénateur strasbourgeois atteint de la lèpre.

12 Il faut encore rappeler la grande production de pamphlets en tout genre entre 1520 et 1525. On a pu parler à ce propos de « guerre des pamphlets15 ». Ils prennent en général la défense de Luther et du mouvement évangélique, mais suscitent aussi des réactions indignées de la part des fidèles de l’Église traditionnelle tels que Murner, qui répond par des pamphlets violents.

Les lecteurs

13 De rares informations nous sont parvenues au sujet des lecteurs. En un premier temps, c’étaient surtout des clercs. Une apologie adressée par le lecteur des carmes, Tilman von Lyn, en août 1522, au Conseil de la ville de Strasbourg16, montre qu’il a lu plusieurs des écrits de Luther imprimés à Strasbourg. Avec Luther (82e thèse sur les indulgences), il s’étonne que « le pape ne vide pas le purgatoire pour l’amour de la très sainte charité 17 ». Comme Luther, il affirme que « ce n’est pas le pape qui est le fondement sur lequel est bâtie l’Église chrétienne, mais Jésus-Christ18 ». Il demande aussi que les moines et les moniales puissent quitter les couvents et que les clercs puissent se marier19. Reprenant un thème du Manifeste à la noblesse de Luther, il affirme que, par le baptême, la foi et l’appartenance au corps du Christ, tous les croyants sont prêtres20. La doctrine évangélique est fondée sur l’Écriture. Elle doit être transmise par la prédication21. Les autorités civiles doivent œuvrer en faveur de la réunion d’un concile. Le pléban de la cathédrale, Matthieu Zell, s’inspire largement, dans ses prédications, du message de Luther22. C’est le cas encore d’autres clercs tels que Bucer ou Brunfels.

14 Mais les écrits de Luther sont également lus par des laïcs, comme l’attestent les écrits de Catherine Zell23 et ceux de deux chevaliers, Matthias Wurm et Eckart zum Drübel24. Le premier combat dans la ligne de Luther les vœux monastiques et proclame la justification par la foi. Le second s’élève contre la simonie et la vénalité pratiquées dans l’Église et revendique la liberté de prêcher l’Évangile. En 1540, le stettmeister strasbourgeois, Jacques Sturm, dit à Jean Eck que c’est par la lecture des écrits pro- luthériens, qu’il a comparés à ceux qui s’y opposent, qu’il a été convaincu de rejoindre le camp évangélique25. Mais il n’indique pas les écrits qui l’ont particulièrement influencé.

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Les prédicateurs évangéliques et leur message

15 L’écrit n’atteint qu’une minorité. La majorité de la population est touchée par des prédications inspirées du message de Luther. Mais, se heurtant à l’opposition, soit des autorités ecclésiastiques, soit des autorités civiles, les premiers à prêcher dans un sens luthérien apparaissent puis disparaissent. Ainsi on perd la trace à Strasbourg du premier d’entre eux, Pierre Philippi Meiger, à l’œuvre à Saint-Pierre-le-Vieux en 152026. Un lecteur inconnu chez les augustins agit dans le même sens, ainsi que le lecteur des carmes Tilman von Lyn27. À Colmar, un bénédictin, un certain Hans, prêche dans un sens luthérien en 1524, mais il est démis de ses fonctions par les autorités28. C’est le cas aussi de Michael Wendelin Hilspach, en 1525 à Haguenau29. À Wissembourg, Heinrich Motherer, acquis très tôt aux idées luthériennes, bénéficie pendant quelques mois de l’aide de Martin Bucer. Mais en 1523, les deux hommes sont obligés de quitter la ville30.

16 Un certain nombre de prédicateurs prêchent dans un sens luthérien à Mulhouse et à Strasbourg à partir de 1520/1521. À Mulhouse, il s’agit du prieur des augustins Nikolaus Prugner et du chapelain augustin Gschmus31, et à Strasbourg de Matthieu Zell, pléban de la cathédrale depuis 151832. Ce dernier commence à prêcher selon l’orientation luthérienne à partir de 1521/1522, suivi par d’autres prédicateurs évangéliques, choisis en 1524 par les paroissiens malgré l’opposition des autorités de la ville. Ce sont Theobald Schwarz à Saint-Pierre-le-Vieux, Wolfgang Capiton à Saint-Pierre-le-Jeune, Symphorien Altbiesser à Saint-Etienne et Martin Bucer à Sainte-Aurélie33.

17 À la campagne apparaissent à partir de 1522 des prédicateurs laïcs auto-proclamés. On y trouve Hans Maurer, prédicateur itinérant entre Bâle et Wissembourg34. Plus connu est le maraîcher strasbourgeois Clément Ziegler35 qui prêche dans la région de Boersch et d’Obernai.

18 Des paysans, notamment ceux des villages placés sous l’autorité de Strasbourg, peuvent entendre des prédicateurs luthériens venus de Strasbourg. Ils demandent et obtiennent des autorités strasbourgeoises l’envoi de pasteurs acquis aux idées luthériennes. Andreas Keller est ainsi envoyé fin 1524 à Wasselonne. Au printemps 1525, Gervasius Schuler prêche à Bischwiller, Andreas Preunlin à Dorlisheim, Johannes Seitz à Lampertheim, Dionysius Datt à Wolfisheim36.

Le message

19 Rares sont les prédications conservées. Mais certains des prédicateurs mentionnés ont laissé des écrits qui donnent un aperçu sur leur prédication. Matthieu Zell s’est exprimé par écrit dans sa Christliche Verantwortung, publiée en 152337. On y retrouve les grands thèmes de Luther. Zell y affirme l’autorité unique et suffisante de l’Écriture sainte, alors que les papes et les conciles peuvent se tromper. La prédication de l’Évangile est le seul moyen dont dispose l’Église pour conduire les hommes à la foi. Zell proclame la justification par la foi et la liberté qu’elle donne à l’homme intérieur. Il souligne l’obligation d’accomplir les œuvres exigées par Dieu et non pas celles choisies par les hommes ou imposées par l’Église. L’affirmation du sacerdoce universel de tous les croyants implique pour lui la capacité de porter un jugement sur la doctrine. Enfin, Zell est d’avis que l’Évangile doit jouer un rôle critique vis-à-vis des institutions ecclésiastiques en écartant les ajouts humains et en supprimant tout ce qui brime

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injustement les consciences : le droit canon, les bulles du pape, le célibat des prêtres, le monachisme. Dans cette perspective, il critique sévèrement un certain nombre d’abus : la chasse aux prébendes, le concubinage, la vie mondaine des évêques, le manque de formation des prêtres.

20 La même année, Bucer résume les prédications qu’il avait faites à Wissembourg38. Convaincu de vivre à la fin des temps, il est d’avis qu’il faut, soit se décider pour le Christ et vivre selon son Esprit, soit rester dans le camp de l’Antichrist. La vie chrétienne se fonde sur la Bible qui contient la loi divine. Elle est norme et guide pour le croyant. La Bible annonce le Dieu révélé en Jésus-Christ en qui le chrétien mettra toute sa confiance. Cette foi s’accompagne du don de l’Esprit saint qui conduit le croyant non seulement à aimer Dieu de tout son cœur, mais aussi son prochain. L’Église est pour Bucer la communion de ceux qui mettent leur confiance en Dieu et qui aiment le prochain. La messe n’est plus comprise comme un sacrifice, mais, par elle, les croyants reçoivent, avec le corps et le sang du Christ, le pardon des péchés. Bucer ne manque pas de polémiquer contre l’Église traditionnelle, il s’en prend en particulier aux ordres et leur reproche de falsifier la Parole de Dieu et de remplacer les règles bibliques par des cérémonies et des institutions humaines.

21 Dans un autre écrit de 1523, le traité De l’amour du prochain39, Bucer expose, non sans une certaine proximité de l’ancien dominicain qu’il a été avec Thomas d’Aquin, comment le christianisme restaure l’ordre fondamental de la création où chaque créature est encline à servir les autres créatures. Ainsi le chrétien sera au service des autres. Il n’y a pas de foi qui ne se manifeste dans l’amour. C’est l’amour qui doit marquer la vie de la communauté chrétienne, dans l’Église et dans la société. Les cérémonies et les institutions qui séparent les hommes au lieu de favoriser la vie communautaire doivent être supprimées.

22 Avant d’arriver à Wasselonne, le pasteur Andreas Keller publie des prédications qu’il avait faites à Rottenburg et à Strasbourg. Tout en proclamant la justification par la foi, il souligne la nécessité de crucifier le vieil Adam et de combattre le péché. La Parole de Dieu ne doit pas seulement être dite, mais appliquée dans la vie. Keller s’en prend violemment aux clercs en place qu’il qualifie de « meurtriers de l’âme », en condamnant leur vie et leur enseignement, auxquels il oppose les gens peu cultivés qui connaissent mieux la Bible que les clercs. Il encourage les adeptes de l’Évangile à confesser courageusement leur foi, même si l’autorité civile s’y oppose, car celle-ci n’a pas de pouvoir sur les âmes.

23 Les prédicateurs laïcs reprennent et souvent radicalisent le message des prédicateurs évangéliques. Maurer40 se dit inspiré par l’Esprit de Dieu en vue d’annoncer la Parole de Dieu. Il s’en prend à la hiérarchie ecclésiastique, en particulier au pape, il nie le purgatoire et l’enfer, et rejette la vénération des saints et la confession. Il défend la communion sous les deux espèces.

24 Auteur de divers écrits imprimés, Clément Ziegler41 s’attaque au clergé en place, auquel il reproche d’enseigner une fausse voie vers le salut qui attribue une valeur salutaire à l’invocation des saints, au culte des images et aux sacrements, au lieu de s’en remettre à la foi en Christ pour parvenir au Père. Il stigmatise l’immoralité du clergé ainsi que l’illusion des riches qui pensent parvenir au salut en achetant des messes. Le croyant doit invoquer l’Esprit de Dieu, qui révèle à l’homme ses vices et lui confère la capacité de comprendre l’Écriture sainte. C’est la loi biblique qu’il faut observer dans la vie

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quotidienne. Dans un écrit de 1524 sur la manducation du corps et du sang du Christ, il prophétise par toutes sortes de métaphores la fin prochaine des impies.

L’accueil du mouvement évangélique42

25 C’est d’abord dans les villes que le mouvement trouve ses premiers sympathisants, voire adhérents. C’est là qu’on imprime et qu’on lit et que les premiers prédicateurs touchés par le message luthérien sont à l’œuvre.

Le clergé

26 C’est chez les augustins, l’ordre de Luther, que les premières sympathies se manifestent, à Mulhouse comme à Strasbourg. À partir de 1524/1525, les sorties de couvents se multiplient à Strasbourg ainsi que les mariages des clercs. Était-ce toujours par adhésion aux idées de Luther ou parce que le magistrat de la ville exerçait des pressions sur les couvents pour les dissoudre ? Trois couvents féminins revenus à l’observance, Saint-Nicolas-aux-Ondes, les pénitentes de Sainte-Madeleine et les dominicaines de Sainte-Marguerite résistent farouchement à la vague luthérienne. Parmi les communautés masculines, les chartreux résistent jusqu’en 1591. La Commanderie de Saint-Jean et la Commanderie Teutonique, elles aussi, restent fidèles à la foi traditionnelle43.

27 Le nouveau message trouve une certaine résonance au sein du Grand Chapitre de la cathédrale, dont le doyen Sigmund von Hohenlohe favorise le mouvement évangélique. Mais seul le Chapitre de Saint-Thomas se rallie dans sa grande majorité au nouveau mouvement.

28 En un premier temps, le clergé séculier se montre plutôt réticent. C’est pourquoi un pamphlet pro-luthérien, que nous avons réédité44, le prend à parti de manière sévère : si les prêtres n’adhèrent pas aux idées évangéliques, ce n’est pas seulement par attachement à la religion traditionnelle, mais par crainte de perdre leur gagne-pain ou de ne pas se sentir capables de répondre aux nouvelles attentes des fidèles. Mais seul le curé Minderer de Saint-André résistera encore quelques années.

Les laïcs des villes

29 Leur soif religieuse et l’attachement à l’Église sont attestés de bien des manières, mais ils critiquent les immunités et le mode de vie du clergé. Toutes sortes de raisons les poussent à s’ouvrir au message luthérien. Les artisans pauvres et les journaliers apprécient la revalorisation du travail manuel par Luther, qui le jugeait aussi agréable à Dieu que la prière ou l’activité intellectuelle. Mais, comme le montre une source de 1529, ils s’inquiètent de la diminution des jours fériés et de l’obligation de travailler davantage. Pourtant, l’insistance des prédicateurs évangéliques sur l’amour et sur la solidarité et leur critique de la vie du clergé leur plaisent, ainsi que la réorganisation de l’assistance publique, intervenue en partie sous l’influence de la Réforme. Tout en adhérant, pour l’essentiel, au nouveau message, certains fidèles semblent pourtant déroutés par la spiritualisation de la religion et l’abandon des formes traditionnelles de la vie religieuse.

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30 C’est dans la couche moyenne des villes que le mouvement évangélique trouve ses partisans les plus fervents. Ses représentants apprécient le rejet de la mendicité et la valorisation du travail ; ils répondent volontiers à l’incitation à prendre en mains les affaires de l’Église puisqu’ils sont, selon Luther, à même de juger de la doctrine et donc d’appeler et de destituer des pasteurs. Ce qu’ils vont faire allègrement à Strasbourg en 1523/1524. La sécularisation des couvents et de leurs biens rencontre leur adhésion, soit que ces possessions sont affectées au bien commun (écoles, assistance publique), soit que les locataires de maisons ou de jardins peuvent devenir propriétaires pour une somme relativement accessible45.

31 En un premier temps, notaires, juristes et fonctionnaires se divisent face au mouvement évangélique. Certains le saluent avec enthousiasme, d’autres le rejettent. La même division apparaît dans les couches supérieures de la ville qui exercent le pouvoir. De fervents adeptes du mouvement y côtoient des hommes qui, rétifs aux bouleversements introduits par la Réforme, restent fidèles à l’Église traditionnelle46.

À la campagne

32 Les suppliques de dix communes alsaciennes du territoire de Strasbourg pour obtenir un prédicateur évangélique ont été conservées. Elles révèlent l’accueil fait par les habitants de la campagne au message luthérien, et ce qu’ils en retiennent. Certes, des théologiens ont pu participer à la rédaction, ce qui se manifeste notamment dans la présence de citations bibliques, ou même de citations d’autres sources. Mais il apparaît aussi que les communautés elles-mêmes et leurs représentants laïcs ont pris une part active à la rédaction de ces suppliques. Francisca Conrad47 a dégagé ce que les auteurs, c’est-à-dire les paysans, entendent pas « réformation ». L’Évangile est pour eux le moyen d’acquérir le salut. C’est pourquoi ils sollicitent l’envoi d’un prédicateur annonçant l’Évangile. Mais qu’entendent-ils par « Évangile » ? Selon Francisca Conrad, un déplacement s’est opéré par rapport aux positions des théologiens réformateurs. La Parole de Dieu n’est pas perçue comme une libération salutaire des consciences, mais comme une instruction en vue d’un agir agréable à Dieu. Il s’agit de promouvoir l’amélioration de la vie selon des normes fournies par l’Évangile. Le Christ est exemple plutôt que sauveur. Le salut de l’âme n’est pas ressenti comme un don de Dieu, mais plutôt comme un but à atteindre par l’agir humain. Et le pasteur doit être un modèle et pas seulement un orateur. Ces suppliques reprennent l’insistance de Bucer sur les œuvres et sur l’amour, fruits de la foi, mais l’enseignement de Luther sur la puissance justifiante de l’Évangile est absent. Les paysans se disent prêts à œuvrer pour la gloire de Dieu, mais craignent d’en être empêchés si un prédicateur ne leur annonce pas l’ « Évangile ». Là encore, ils reprennent un thème du message de Bucer, mais sans prendre en compte ce que ce dernier disait de l’action salutaire de Dieu comme fondement d’une vie vécue à sa gloire. Comme Bucer et d’autres, les suppliques issues de la campagne estimaient qu’on vivait un temps décisif, et qu’il fallait choisir : être enfants de Dieu ou partisans de l’Antichrist. Le temps présent est un temps de grâce, dans la mesure où la Parole de Dieu est annoncée clairement.

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Ce qui change

33 Relevons d’abord le rôle accru des autorités civiles en matière de religion. Certes, la tendance s’était manifestée de plus en plus dès la fin du Moyen Âge. Certaines autorités avaient créé des postes de prédicateurs dans les villes. Elles contrôlaient les couvents et nommaient certains clercs, notamment grâce à des concordats. Avec la Réforme luthérienne qui rompait avec l’autorité du pape, cette tendance s’accélère. Ce sont maintenant les autorités civiles qui décident de l’adhésion à la Réforme et de l’organisation de l’Église. Après que les paroissiens de diverses églises de Strasbourg eurent remplacé de leur propre chef, en 1524, les anciens curés par des pasteurs évangéliques, le Conseil de la ville s’arrogea, avec l’accord des échevins, le droit de nomination, tout en tenant compte des propositions du Convent ecclésiastique et de l’avis de la paroisse concernée. C’est l’autorité civile qui réunit le synode, présidé par ses représentants. Le premier synode protestant de Strasbourg se réunit en 1533. Il adopte les confessions de foi fixant la doctrine de la ville, sur proposition des théologiens. C’est le Magistrat, le Conseil des villes ou les seigneurs qui promulguent les diverses Ordonnances ecclésiastiques qui voient le jour au cours du XVIe siècle et qui réglementent la vie ecclésiale48 : Strasbourg en 1534 et surtout 1598, Riquewihr- Montbéliard en 1560, Oberbronn en 1566, le Hanau-Lichtenberg en 1573, La Petite Pierre en 1574 et 1605, Munster en 1575, Sarrewerden en 1576. Les autorités civiles font surveiller les pasteurs, leur enseignement et leurs mœurs, et font inspecter régulièrement les paroisses.

34 Dans des villes comme Strasbourg, les autorités civiles tiennent compte de l’opinion publique. À la campagne, surtout après le soulèvement des paysans, elles agissent de leur propre chef. Dans le comté de Hanau-Lichtenberg, le comte Philippe IV convoque, le 14 mai 1545, les quelque 25 prêtres du comté pour les informer par ses représentants ainsi que par le surintendant Blasius « de la manière dont il fallait dorénavant administrer l’enseignement et les sacrements dans l’Église ». Les 21 prêtres présents purent exprimer leur avis. Cinq d’entre eux affirmèrent avoir été convaincus depuis longtemps de la vérité de la doctrine évangélique. Sept autres demandèrent et obtinrent un délai de réflexion de deux mois après lequel deux d’entre eux se rallièrent à l’Église évangélique. Enfin six des 21 présents le 28 mai à Bouxwiller déclarèrent qu’ils voulaient rester fidèles à l’Église traditionnelle. Il semble qu’ils aient pu rester en place.

35 Le passage à la Réforme a modifié le statut et la vie des pasteurs49. Ils sont le plus souvent mariés et davantage intégrés dans la vie de la société que les anciens prêtres, qui constituaient un corps social à part. Ils doivent acquérir le droit de bourgeoisie. Vingt-deux le font à Strasbourg en 1523, 112 en 1525, date à laquelle ils y sont obligés. Ils paient des impôts, mais sont dispensés de monter la garde et ne sont pas éligibles à des fonctions municipales.

36 Mais les relations entre les autorités civiles et les pasteurs ne seront pas toujours en harmonie parfaite. Ainsi, lorsqu’il sera question en 1548 d’introduire l’Intérim, c’est-à- dire la réintroduction du catholicisme dans plusieurs églises de la ville, Bucer et les autres pasteurs protestent vigoureusement du haut des chaires contre la politique de conciliation du Conseil de la ville. Quand les autorités civiles veulent promulguer en 1560 dans le comté de Horbourg-Riquewihr une nouvelle et très luthérienne Ordonnance ecclésiastique, qui prescrivait en particulier l’usage du surplis, le chant

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d’hymnes latins et la célébration des fêtes mariales, le surintendant Mathias Erb, suivi par la majorité de ses collègues, protesta et refusa de l’accepter.

37 À côté des autorités civiles existent des autorités ecclésiastiques. À Strasbourg, un Convent réunit régulièrement l’ensemble des pasteurs. Son président exerce une certaine autorité sur les paroisses et les pasteurs. Dans les territoires, un surintendant ou inspecteur nommé par l’autorité civile est à l’œuvre. Un grand soin est apporté à la formation des pasteurs qui fréquentent en général les universités environnantes de Bâle, de ou de Tübingen, ou, à partir de 1538, la Haute École de Strasbourg qui devient Académie en 1566 puis Université en 1621.

38 La Réforme protestante change la manière de célébrer les cultes50. Les lieux de culte deviennent plus dépouillés. Des statues et des images sont enlevées, mais le crucifix demeure en place. La table de communion remplace souvent l’autel. Dans la seconde moitié du siècle, au temps de l’orthodoxie luthérienne, on remet des images dans les églises.

39 Le culte est célébré dans la langue du peuple. L’eucharistie, appelée désormais sainte cène, n’est plus célébrée quotidiennement, mais seulement le dimanche, et à un rythme variable selon les lieux et les époques. Les deux espèces sont données aux communiants. Au centre du culte se trouve la prédication, pratiquée avant tout comme un commentaire d’un passage biblique et comme une instruction doctrinale ou morale. Les pasteurs ne célèbrent plus de vigiles ou de messes pour les morts. Certains rites traditionnels disparaissent, tels que l’utilisation d’huile, de sel et de cierges lors du baptême. On abandonne les processions, et le jeûne n’est plus observé au moment du carême.

40 En un premier temps, les prédicateurs strasbourgeois ne suivent plus l’année liturgique. Tous les dimanches se ressemblent, sauf Pâques et Pentecôte. Par la suite cependant, on en revient aux distinctions traditionnelles des divers dimanches et fêtes.

41 Soulignons la place du chant de l’assemblée lors des cultes. Entre 1525 et 1560 paraissent à Strasbourg treize recueils de chants allemands et quatre recueils de chants français. L’exemple de Luther, auteur de 36 chants, est suivi par beaucoup d’autres. On ne chante pas seulement les psaumes versifiés et mis en musique, notamment par les compositeurs strasbourgeois Mathias Greiter et Wolfgang Dachstein, mais aussi des cantiques qui ne s’appuient pas forcément sur des textes bibliques.

42 Il faut souligner aussi la place de la Bible dans la vie de l’Église et des fidèles51. Son autorité est invoquée pour introduire les changements. Elle est commentée dans les prédications. Sous forme écrite, elle est mise à la disposition des lisants. Sur plus de 800 œuvres protestantes imprimées à Strasbourg au XVIe siècle, Miriam Usher Chrisman a compté 298 éditions de la Bible ou d’extraits bibliques52. La traduction de Luther est rééditée à Strasbourg quatre fois par Köpfel et deux fois par Rihel.

43 La Bible n’est pas seulement commentée, elle est aussi illustrée, notamment dans la Laien Bibel de 1540. Elle fait l’objet aussi de représentations théâtrales. Trente-six pièces bibliques en langue allemande sortent des presses strasbourgeoises entre 1538 et 1621. Elle est illustrée encore par des cantiques.

44 L’effort catéchétique de la Réforme protestante a souvent été relevé. En 1526/1527 est introduite à Strasbourg la leçon dominicale du catéchisme pour les enfants. Entre 1527 et 1538 paraissent une dizaine de catéchismes rédigés par Capiton, Brunfels, Bucer et Zell53. Par la suite, c’est l’usage du Petit Catéchisme de Luther qui se généralise. En 1545,

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celui-ci est imposé dans le troisième des huit articles réformateurs du Hanau- Lichtenberg54. Il s’impose aussi ailleurs.

45 Les pasteurs catéchisent aussi les adultes. Vers 1540, à Saint-Pierre-le-Jeune de Strasbourg, des adultes, sans doute des domestiques55, participent au catéchisme dominical. D’après l’Ordonnance ecclésiastique de Montbéliard-Riquewihr de 1560, le pasteur doit lire chaque dimanche après la prédication les dix commandements, la foi et le Notre Père, et les faire répéter à sa suite par l’assistance. Une pratique analogue est prévue par l’Ordonnance de La Petite Pierre en 1574. En recevant des fiancés pour la préparation d’un mariage, certains pasteurs leur font réciter ces mêmes articles du catéchisme.

Un bilan

46 Jusqu’en 1530, la Réforme n’est introduite qu’à Strasbourg et dans une partie des villages qui en dépendent, ainsi qu’à Mulhouse. D’autres lieux tels que Wissembourg et Bischwiller avaient été touchés par le mouvement évangélique, mais la situation demeurait ouverte. La guerre des Paysans avait refroidi les sympathies favorables au mouvement. D’aucuns craignaient de réveiller les forces révolutionnaires et de contrevenir aux lois de l’Empire, hostiles à la Réforme luthérienne. D’autre part, des forces de conservation sont présentes, notamment au sud de l’Alsace, aux mains des Habsbourg, et, en Basse Alsace, où l’évêque, les monastères et la plupart des chapitres résistent à la pénétration du mouvement dans leurs territoires. Le bailli de l’empereur à Haguenau s’y oppose également.

47 Mais, après 1530, le mouvement évangélique s’impose dans de nombreux autres territoires, en particulier en 1545 dans le comté de Hanau-Lichtenberg, réunifié en 1570. Les autorités du Palatinat introduisent également la Réforme dans leurs territoires, notamment à Bischwiller à partir de 1542, lorsque la ville devient fief héréditaire du duc Wolfgang de Deux-Ponts. Les stipulations de la paix d’Augsbourg de 1555, autorisant les autorités civiles à décider de l’appartenance confessionnelle de leurs sujets, facilitent l’introduction de la Réforme.

48 En 1546 la Réforme est introduite dans le comté de La Petite Pierre qui échoit en 1553 au duc de Deux-Ponts. La Réforme est encore introduite dans les seigneuries de Fleckenstein avec ses 35 villages (1543), de Schoeneck (1554), de Diemeringen (1555). Dans le sud de l’Alsace, où certains territoires relevaient du comté de Montbéliard et du duché du Wurtemberg, la Réforme s’affirme à partir de 1534 à Riquewihr et dans le comté de Horbourg. Jusque vers 1580, les chevaliers d’Empire, essentiellement implantés en Basse Alsace, font passer à la Réforme près de la moitié des 90 villages qu’ils détiennent. En ce qui concerne les villes, des paroisses protestantes s’établissent à Munster et à Wissembourg, alors qu’à Haguenau, Sélestat et Obernai la Réforme ne connaît que des succès temporaires. Vers la fin du XVIe siècle un tiers de l’Alsace est devenu protestant.

Le profil confessionnel

49 Le mouvement évangélique qui pénètre à partir de 1520/21 à Strasbourg se divise à partir de 1524 en plusieurs tendances. À côté de ceux qui se réclament du message luthérien émergent les anabaptistes56, qui refusent le baptême des enfants. Refusant de

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prêter serment aux autorités et de monter la garde, ils se réunissent en petits groupes et n’attendent pas l’aval des autorités pour s’organiser. Ils s’opposent aux prédicateurs des paroisses en place dont il leur arrive d’interrompre les prédications. Une tendance plus radicale, nourrie de prédications apocalyptiques, veut établir le Royaume de Dieu par la force57, ce qu’elle réussira à faire passagèrement en 1534 à Munster en Westphalie. Enfin, les spiritualistes prennent leurs distances à l’égard de toutes les institutions ecclésiastiques en prônant une foi purement intérieure.

50 Vers la fin des années 1520, les autorités de la ville de Strasbourg commencent à s’opposer à ces tendances dont les représentants, déjà réprimés ailleurs, sont nombreux à affluer dans la ville58. Ils en seront expulsés tout au long des années 1530, à moins de baptiser les enfants dans les six semaines après la naissance et d’accepter les lois de la ville59.

51 Une autre clarification s’opère. Elle concerne la division qui avait opposé Luther à Zwingli, le réformateur de Zurich60. Ce dernier donnait à la cène un sens symbolique : les croyants y faisaient mémoire du Christ dont seul l’esprit était présent, ou la divinité, alors que pour Luther, le Christ en son corps et son sang, c’est-à-dire en son humanité, était présent dans les éléments de la cène. En un premier temps, les théologiens strasbourgeois penchaient vers une conception plutôt symbolique, mais, après 1530, ils se rapprochent de Luther et trouvent un accord avec lui par la Concorde de Wittenberg de 1536. L’orientation luthérienne de Strasbourg se poursuit et s’accentue avec l’orthodoxie luthérienne de la seconde moitié du siècle61. Les autres territoires et villes, à part Mulhouse et les terres palatines, rejoignent le camp luthérien. Ainsi, en 1577, tous les pasteurs et maîtres d’école du comté de Hanau-Lichtenberg doivent signer la Confession d’Augsbourg et la Formule de Concorde qui sont les chartes du luthéranisme orthodoxe.

La société protestante

52 Au cœur de cette société se trouve la paroisse, c’est-à-dire une réalité locale. Les autres formes de vie religieuse, celle des monastères et celle des pèlerinages, ont disparu. Dans cet espace, le pasteur est une figure centrale, autorité à la fois doctrinale et morale. Avec son épouse, il exerce un rôle culturel et, lorsque l’occasion se présente, diaconal. Dans la société protestante, le travail n’est pas seulement perçu comme un gagne-pain, mais comme une vocation divine. L’obéissance aux autorités est soulignée. L’ordre et la discipline sont de rigueur. De nouvelles écoles sont créées un peu partout. La plus célèbre voit le jour à Strasbourg en 1538, une Haute École qui deviendra Académie puis Université. Les autorités civiles promulguent de multiples prescriptions relatives aux jurons et aux blasphèmes, aux rixes, aux jeux, aux beuveries, aux festivités, à la vie conjugale, à l’habillement. Entre 1522 et 1533 cinq réglementations générales sont édictées à Strasbourg, alors qu’il n’y en avait eu que six pendant les 53 années précédentes62. La célébration des noces est réglementée. De sévères prescriptions cherchent à réglementer le comportement sexuel et à protéger la famille. Une grossesse hors mariage entraîne l’emprisonnement des deux coupables. Un tribunal matrimonial laïc remplace l’officialité pour traiter des divers problèmes liés au mariage.

53 Même si les pasteurs se plaignent de l’ignorance de leurs ouailles, il semble que les connaissances religieuses des fidèles aient progressé tout au long du siècle, à la ville

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sans doute davantage qu’à la campagne. En 1574, le surintendant Marbach relève que, dans plusieurs paroisses strasbourgeoises, on comptait plus de 400 membres qui savaient réciter les articles du catéchisme.

54 L’empreinte protestante se manifeste aussi dans le choix des prénoms donnés aux enfants. Selon un relevé établi par Jean-Pierre Kintz pour la période de 1561 à 1567, les noms des saints semblent avoir cédé la place, à Strasbourg, à des prénoms bibliques. On trouve, certes, des prénoms traditionnels tels que Marguerite (137 fois), Ursule (76), Catherine (102) et Barbara (107). Mais on ne relève plus que 8 Antoine, 10 Bernard, 2 Benoît, 1 Claire et 30 Odile. En revanche, on trouve 33 André, 36 Daniel, 33 Abraham, 15 David, 239 Jean, 86 Jacob, 17 Samuel, 57 Michel, 18 Esther, 33 Sara, 200 Anne, 43 Élisabeth et 161 Marie. La part assez élevée de prénoms vétérotestamentaires est frappante.

55 Ainsi, de bien des manières, une société protestante spécifique se met en place en Alsace. Elle traversera les siècles, même si la proportion des protestants d’Alsace passe, au cours des temps, de 30% au XVIe siècle à 17% aujourd’hui.

NOTES

1. . Josef BENZING, Lutherbibliographie, Baden-Baden, Librairie Heitz, 1966, no69-70. 2. . Ibid., no89. 3. . Ibid., no102 et no107. 4. . Josef BENZING, Bibliographie strasbourgeoise, tome 1, Baden-Baden, Valentin Koerner, 1981. 5. . Josef BENZING, Lutherbibliographie, op. cit. 6. . Andreas JUNG, Beiträge zu der Geschichte der Reformation, 2. Abteilung, Strasbourg-Leipzig, Levrault, 1830, p. 66. 7. . « L’édition protestante à Strasbourg, 1519-1560 », in Jean-François GILMONT, dir., La Réforme et le livre. L’Europe de l’imprimé (1517-v. 1570), Paris, Cerf, 1990, p. 217‑238. 8. . Josef BENZING, Bibliographie strasbourgeoise, t. 1, no1 078‑1 246. 9. . Myriam U. CHRISMAN, « L’édition protestante à Strasbourg, 1519-1560 », in Jean-François GILMONT, dir., La Réforme et le livre, Paris, Cerf, 1990, p. 227. 10. . Rodolphe PETER, « Les premiers ouvrages français imprimés à Strasbourg », Annuaire des Amis du Vieux Strasbourg, 1974, p. 63‑108 et 1979, p. 11‑75. 11. . Myriam U. CHRISMAN, « L’édition protestante à Strasbourg, 1519-1560 », art. cit., p. 237. 12. . Ibid., p. 236. 13. . Ibid., p. 234. 14. . Marc L IENHARD, « Répertoire bio-bibliographique des écrits et de la correspondance de Catherine Zell et des études qui lui furent consacrées », in André SÉGUENNY, dir., Répertoire des non- conformistes religieux des XVIe et XVIIe siècles, t. I, p. 97‑125 ; Elsie MCKEE, Katharina Schütz-Zell, t. 2, The Writings. A critical edition, Leyde, Brill, 1999. 15. . Marc LIENHARD, « Strasbourg et la guerre des pamphlets », in Grandes figures de l’humanisme alsacien. Courants, milieux, destins, Strasbourg, Istra, 1978 (Société Savante d’Alsace et des régions de l’Est, coll. Grandes Publications, t. XIV), p. 127‑134.

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16. . Jean ROTT et Marc LIENHARD, ”Die Anfänge der evangelischen Predigt in Strassburg und ihr erstes Manifest: Der Aufruf des Karmeliterlesemeisters Tilman von Lyn (Anfang 1522) „, in Marijn de KROON et Friedhelm KRÜGER, Bucer und seine Zeit, Wiesbaden, Franz Steiner, 1970, p. 54‑73 ; reprint in Marc LIENHARD, Un temps, une ville, une Réforme, Aldershot, Variorum, 1990. 17. . Ibid., p. 69. 18. . Ibid. 19. . Ibid. 20. . Ibid., p. 70. 21. . Ibid., p. 72. 22. . Marc LIENHARD, « La percée du mouvement évangélique à Strasbourg. Le rôle et la figure de Matthieu Zell (1477-1548) », in Georges LIVET et Francis RAPP, dir., Strasbourg au cœur religieux du XVIe siècle, Strasbourg, Istra, 1977 (Société Savante d’Alsace et des régions de l’Est, coll. Grandes Publications, t. XII), p. 85‑98. 23. . Voir note 14. 24. . Pour Wurm, voir Jean R OTT, « De quelques pamphlétaires nobles. Hutten, Cronberg et Mathias Wurm », in Grandes figures de l’humanisme alsacien. Courants, milieux, destins, Strasbourg, Istra, 1978 (Société Savante d’Alsace et des régions de l’Est, coll. Grandes Publications, t. XIV), p. 135‑144 ; pour Eckart zum Drübel, voir Gustave KOCH, Eckart zum Drübel, témoin de la Réforme en Alsace. Biographie, textes et traductions (travaux de la Faculté de théologie protestante de Strasbourg 1), Strasbourg, 1989. 25. . Thomas A. BRADY, Zwischen Gott und Mammon. Protestantische Politik und deutsche Reformation, , Siedler, p. 101 ; Marc LIENHARD, « Jacques Sturm et la ville de Strasbourg. Religion et politique au XVIe siècle », Revue d’Histoire du Protestantisme I (mai-juin 2016), p. 149‑163. 26. . Voir note 16. 27. . Ibid. 28. . Johann ADAM, Evangelische Kirchengeschichte der elsässischen Territorien bis zur französischen Revolution, Strasbourg, Heitz, 1928, p. 460 ; Kaspar von GREYERZ, The Late City Reformation in Germany. The Case of Colmar 1522-1628, Wiesbaden, Steiner, 1980, p. 45‑50. 29. . Johann ADAM, Evangelische Kirchengeschichte der elsässischen Territorien…, op. cit., p. 437. 30. . Ibid., p. 382-385. 31. . Ibid., p. 551-552. 32. . Marc LIENHARD, « La percée du mouvement évangélique à Strasbourg… », art. cit., p. 85‑98 ; Michel WEYER, « Zell », in Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, no41, 2003, p. 4 352‑4 358. 33. . Johann ADAM, Evangelische Kirchengeschichte der Stadt Strassburg bis zur französischen Revolution, Strasbourg, Heitz, 1922 ; pour Bucer voir : Martin GRESCHAT, Martin Bucer (1491-1551). Un Réformateur et son temps, Paris, PUF, 2002. 34. . Franziska CONRAD, Reformation in der bäuerlichen Gesellschaft. Zur Rezeption reformatorischer Theologie im Elsass, Wiesbaden, Steiner, 1984, p. 77‑78. 35. . Rodolphe PETER, « Le maraîcher Clément Ziegler. L’homme et son œuvre », RHPhR, no34, 1954, p. 255‑282 ; Franziska CONRAD, Reformation in der bäuerlichen Gesellschaft..., op. cit., p. 78‑80. 36. . Franziska CONRAD, Reformation in der bäuerlichen Gesellschaft..., op. cit., p. 80‑85. 37. . Voir note 32. 38. . Summary, Bucers Deutsche Schriften 1, p. 69‑147. 39. . Das ym selbs niemant […] leben soll, ibid., p. 29‑67. 40. . Franziska CONRAD, Reformation in der bäuerlichen Gesellschaft..., op. cit. 41. . Rodolphe PETER, « Le maraîcher Clément Ziegler. L’homme et son œuvre », RHPhR, no34, 1954, p. 255‑282.

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42. . Marc L IENHARD, « La société strasbourgeoise et la Réformation au XVIe siècle », Études théologiques et religieuses, no54, 1979, p. 89‑97 ; reprint in Marc LIENHARD, Un temps, une ville, une Réforme, op. cit. 43. . J. P. VIERLING, Das Ringen um die letzten dem Katholizismus treuen Klöster Strassburgs, Strasbourg, 1914. 44. . Marc LIENHARD, « Mentalité populaire, gens d’Église et mouvement évangélique à Strasbourg en 1522-1523 : le pamphlet « Ein brüderlich warnung an meister Mathis » de Steffan von Büllheim », in Horizons européens de la Réforme en Alsace, Mélanges offerts à Jean Rott pour son 65 e anniversaire, Strasbourg, Istra, 1980 (Société Savante d’Alsace et des régions de l’Est, coll. Grandes Publications, t. XVII), p. 37‑62. 45. . Jean ROTT, « Artisans et mouvements sociaux à Strasbourg autour de 1525 », in Artisans et ouvriers d’Alsace, Strasbourg, Istra, 1965 (Publications de la Société savante d’Alsace et des régions de l’Est, t. IX), p. 137‑170. 46. . Marc LIENHARD, « La Réforme à Strasbourg », in Georges LIVET et Francis RAPP, dir., Histoire de Strasbourg, t. II, p. 389. 47. . Franziska CONRAD, Reformation in der bäuerlichen Gesellschaft..., op. cit., p. 92-102. 48. . Deux volumes récents des Ordonnances ecclésiastiques de la collection créée par Emil Sehling doivent être relevés ; le tome XX, Elsass 1 (Strasbourg), Mohr-Siebeck, 2011 ; Elsass 2, Die Territorien und Reichsstädte, 2013. 49. . Marc LIENHARD, « La Réforme à Strasbourg », in Georges LIVET et Francis RAPP, dir., Histoire de Strasbourg, op. cit., p. 383 ; 438‑439 ; 473‑477. 50. . René BORNERT, La Réforme protestante du culte à Strasbourg au XVIe siècle (1523-1598), Leyde, Brill, 1981. 51. . Marc LIENHARD, « La Réforme à Strasbourg », in Georges LIVET et Francis RAPP, dir., Histoire de Strasbourg, op. cit., p. 487‑488. 52. . Miriam USHER-CHRISMAN, « L’imprimerie à Strasbourg de 1480 à 1599 », in Georges LIVET et Francis RAPP, dir., Strasbourg au cœur religieux du XVIe siècle, op. cit., p. 539‑550, l’indication des chiffres p. 540. 53. . August ERNST et Johann A DAM, Katechetische Geschichte des Elsasses bis zur Revolution, Strasbourg, Friedrich Bull, 1897. 54. . Die evangelischen Kirchenordnungen des XVI. Jahrhunderts, t. XX, Elsass 2, Tübingen, 2013, p. 37. 55. . Voir Johann ADAM, Evangelische Kirchengeschichte der elsässischen Territorien, op. cit. 56. . Voir Quellen zur Geschichte der Täufer, Elsass I-IV, Stadt Strassburg 1522-1552, Gütersloh, Gütersloher Verlagshaus, 1959-1988. 57. . Klaus DEPPERMANN, Melchior Hofman. Soziale Unruhen und apokalyptische Visionen im Zeitalter der Reformation, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1979. 58. . Marc LIENHARD, « La Réforme à Strasbourg », in Georges LIVET et Francis RAPP, dir., Histoire de Strasbourg, op. cit., p. 392, 526. 59. . Thomas A. BRADY, « Architect of Persecution: Jacob Sturm and the fall of the sects at Strasbourg », ARG, no79, 1989, p. 262‑281. 60. . Marc LIENHARD, « Controverses et dialogues entre luthériens et réformés », in Marc VENARD, dir., Histoire du Christianisme, t. VIII, p. 283‑285. 61. . Marc LIENHARD, « L’établissement de l’orthodoxie luthérienne à Strasbourg au XVIe siècle », RHPhR, no94, 2014, p. 381‑405. 62. . Jean ROTT, « Le Magistrat face à l’épicurisme terre à terre des Strasbourgeois. Note sur les règlements disciplinaires municipaux de 1440 à 1599 », in Marc LIENHARD, dir., Croyants et sceptiques au XVIe siècle. Le dossier des épicuriens, Strasbourg, 1981, p. 57‑71.

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RÉSUMÉS

Le message de Luther est diffusé d’abord par la réimpression d’un certain nombre de ses écrits. Entre 1519 et 1525, des textes de Luther sont publiés 168 fois à Strasbourg, ainsi que d’autres émanant d’auteurs proches de Luther tels que ceux Bucer. Un seul éditeur, Grüninger, résiste à la vague luthérienne. Touchés par ces publications, des clercs mais aussi des laïcs se rallient au mouvement évangélique. Mais c’est surtout à travers la prédication d’un certain nombre de pasteurs adhérant aux idées de Luther, tels que Matthieu Zell, que la grande majorité des fidèles va être convaincue par le message luthérien, dans les villes d’abord, puis à la campagne. Tout en reprenant les conceptions des réformateurs de Wittenberg au sujet de la justification par la foi, de l’autorité de l’Écriture sainte, de la messe et du sacerdoce de tous les fidèles, les prédicateurs en place ainsi que d’autres, autoproclamés, tels que Clément Ziegler, mettent surtout l’accent sur les fruits de la foi, en particulier l’amour et exigent la suppression d’un certain nombre d’institutions et de pratiques. De larges couches de la population des villes se rallient au mouvement ; l’opposition, représentée en particulier par de nombreux clercs dont le fougueux franciscain Thomas Murner, va être marginalisée. À la campagne, le message luthérien est souvent associé aux revendications paysannes qui vont conduire au soulèvement de 1525. De manière générale, la réception du mouvement évangélique entraîne des changements qui concernent le culte, le statut des pasteurs, la fermeture des couvents et une plus grande implication des autorités civiles dans l’organisation et la vie des Églises. (Marc Lienhard).

Luther’s message was first conveyed by the republishing of a certain number of his printed texts. Between 1519 and 1525 some of them were printed 168 times in Stras-bourg. The same goes for authors closely related to Luther, such as Bucer. One publisher only, Grüninger, could withstand the wave of Lutheranism. Showing an interest for such publications, both clerics and lay people joined the evangelical movement. But is is mainly the sermons of Luther partisans, such as Matthieu Zell, that managed to convince most of the faithful, first in cities, then in smaller places. While propa-gating the doctrine of the Wittenberg theologians concerning the justification through faith, the authority of the Bible, the mass and the priestly ministry of any faithful, the official clergymen or self-appointed ones like Clément Ziegler would underscore the benefits of faith, mainly that of love, and required that certain institutions and religious practices be abandoned. The movement rallied a high percentage of the urban population; the opponents, in fact many clerics, among them the passionate Francis-can Thomas Murner, were to be marginalized. In the countryside the Lutheran mes-sage would frequently merge with the peasants’ claims which were to foster the 1525 revolt. As a rule, the way the evangelical movement was received was to entail changes concerning the form of worship, the status of the clergy the closing down of convents and a more deliberate involvement of civil authorities in the organisation of Church life. (trad. Pierre Boulay).

Luthers Botschaft verbreitet sich durch die Druckerzeugnisse einen Teil seiner Schriften. Zwischen 1519 und 1525, werden Texte von Luther 168 mal und andere, die von seinen Mitstreitern, wie z.B. Bucer, stammen, in Straßburg veröffentlicht. Ein einziger Verleger, Grüninger, wiedersteht der lutherischen Flut. Beeindruckt von diesen Schriften, schließen sich Kleriker und auch Weltliche der evangelischen Bewegung an. Jedoch, sind es die Predigten einer gewissen Anzahl von Pfarrern, die die lutherischen Ideen vertreten, wie Matthias Zell, die die große Mehrheit der Gläubigen, zuerst in den Städten und dann auf dem Land, für die lutherische Botschaft gewinnen. Die einheimischen, und auch andere selbsternannte, Prediger, wie Clemens Ziegler, übernehmen die Auffassungen der Wittenberger, was die Rechtfertigung durch den Glauben, die Autorität der Heiligen Schrift, der Messe und des heiligen Amtes aller Gläubigen

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betrifft. Sie heben aber die Früchte des Glaubens hervor, besonders die Liebe, und verlangen die Abschaffung gewisser Institutionen und Praktiken. Breite Schichten der städtischen Bevölkerung schließen sich der Bewegung an; die Opposition, überwiegend durch Kleriker vertreten, wie dem ungestümen Franziskaner Thomas Murner, wird zur Randerscheinung. Auf dem Land wird die lutherische Botschaft oft mit den Forderungen der Bauern verbunden, was zu den Aufständen von 1525 führen wird. Das Annehmen des evangelischen Glaubens hat verschiedene Veränderungen zur Folge. Sie betreffen den Gottesdienst, den Status der Pfarrer, die Schließung der Klöster und eine viel größere Einbindung der zivilen Macht in die Gestaltung und das Leben der Kirchen. (trad. René Siegrist).

AUTEUR

MARC LIENHARD Professeur émérite de la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg

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Le « Psautier de Strasbourg » Musique et chant pendant la Réforme protestante The “Strasbourg psalter”: music and hymns during the Protestant Reformation Der „Straßburger Psalter”: Musik und Gesang in der Reformationszeit

Beat Föllmi

1 Le 18 mai 1561, le premier culte protestant est célébré à la cathédrale de Strasbourg, après dix ans d’interruption durant lesquels l’autorité de l’empereur Charles Quint a contraint la Ville de tolérer la messe catholique. Strasbourg est dès lors une ville exclusivement luthérienne, et ce jusqu’en 1681, année durant laquelle Louis XIV impose la réintroduction du catholicisme. Les recueils de chants imprimés et utilisés dans la ville durant ce siècle protestant témoignent de l’existence de pratiques cultuelles et hymnodiques adoptant fidèlement l’orthodoxie luthérienne. Ils contiennent le même répertoire qu’en Allemagne outre-Rhin, les mêmes chants de Martin Luther et de ses collaborateurs, et sont organisés de la même manière.

2 Or cette adhésion de Strasbourg à l’orthodoxie luthérienne fait oublier que la Ville connaissait pendant les premières décennies de la Réforme, des pratiques particulières dans le domaine de la liturgie et du chant, à mi-chemin entre celles des Suisses et celles des luthériens allemands. Nous allons essayer de retracer les particularités hymnodiques du début de la Réforme. Elles se caractérisent par la prédominance de psaumes versifiés et rimés et par une grande ouverture aux divers répertoires du protestantisme naissant. En outre, contrairement aux Suisses alémaniques – et plus tard aussi aux réformés calvinistes –, les protestants strasbourgeois n’ont jamais envisagé de supprimer l’orgue, bien que l’usage liturgique de cet instrument ait été considérablement limité.

3 Rappelons le contexte historique de l’évolution liturgique des églises protestantes naissantes. Martin Luther rédige sa première publication portant sur des questions liturgiques dès 15231, sans doute pressé par les charismatiques autour de Müntzer qui avaient déjà traduit des psaumes et hymnes. En 1526 paraît la Messe allemande qui, entre autres, définit la place liturgique des chants – désormais en allemand – au sein du culte. Parallèlement, Luther écrit ses premiers chants, d’abord pour la propagation de la nouvelle foi comme Ein neues Lied wir heben an (Un nouveau chant nous entonnons) en

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mémoire de l’exécution de deux jeunes moines qui, pour avoir épousé les idées de Luther, avaient été brûlés vifs à Bruxelles. Dès 1524 paraissent les premiers recueils de chants contenant des psaumes et cantiques versifiés et destinés au culte, comme l’ Achtliederbuch (Livre de huit chants)2 ou l’Enchiridion d’Erfurt3. Dans ces nouveaux recueils, des partitions accompagnent les chants afin que les fidèles puissent apprendre les mélodies inconnues. Luther attache beaucoup d’importance au fait que des mélodies qui respectent la prosodie de la langue allemande soient associées aux nouveaux textes allemands : « Il faut que les deux, texte et musique, c’est-à-dire accent, mélodie et geste, émanent de la langue maternelle et de sa diction, sinon tout n’est qu’imitation à la manière des singes4. » Luther rédige lui-même plus de 40 chants5, dont le célèbre Ein feste Burg ist unser Gott ou encore le chant de Noël non moins renommé Vom Himmel hoch da komm ich her. De nombreux auteurs suivent son exemple. Le nombre de chants augmente ainsi rapidement.

4 Chez les protestants suisses, la question de la musique liturgique fait débat. À Berne et à Bâle, le chant de psaumes est admis à condition d’être à l’unisson et sans accompagnement instrumental. À Zurich, toute pratique musicale durant le culte – chant et musique instrumentale – disparaît dès 1525 sous l’impulsion de Huldrych Zwingli. Trois ans plus tard, les orgues sont démontés. Après la mort prématurée du réformateur zurichois sur le champ de bataille à Kappel en 1531, son successeur Heinrich Bullinger continue de bannir la musique du culte. La prédication est au centre d’un culte désormais simple et dépouillé. Le chant des psaumes apparaît timidement à la fin du XVIe siècle ; mais la réintroduction des orgues à Zurich attendra le milieu du XIXe siècle.

5 L’hymnologie allemande, depuis ses origines, s’est principalement intéressée aux pratiques et aux répertoires luthériens, en dévalorisant parfois l’apport d’autres traditions. Cette préférence a été motivée par une idéologie nationaliste, après 1871, visant à démontrer que le luthéranisme était un des fondements culturels et spirituels de la nation allemande. D’autres traditions confessionnelles, comme le catholicisme et la tradition réformée, n’y avaient pas de place.

6 Or Strasbourg occupe au XVIe siècle une place non négligeable dans l’histoire du chant d’Église, d’une part pour l’originalité de son apport textuel et musical, d’autre part pour son rôle prédominant dans la diffusion des nouveaux répertoires. En effet, Strasbourg connaît, pendant les premières décennies de la Réforme, des pratiques de chants différentes de celles des luthériens allemands6. En outre, la présence de nombreux ateliers d’imprimeurs exercés dans la publication de documents musicaux – Wolfgang Köpfel, Georg Messerschmidt, Jacob Frölich et d’autres – fait que la ville devient une plaque tournante pour la diffusion des nouveaux chants issus de presque tous les courants du protestantisme naissant.

Le « Psautier de Strasbourg »

7 C’est la pratique du chant des psaumes sous forme de paraphrases versifiées qui est l’apport original de l’Église de Strasbourg, des années 1520 jusqu’à la fin de l’Intérim. Quand les réformateurs – Luther, Karlstadt, Müntzer et d’autres – s’apprêtent à créer un nouveau répertoire en langue vernaculaire, il semble évident que les psaumes y occupent une place de choix. Le roi et prophète David passe pour le garant de

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l’orthodoxie des textes : les Israélites ont chanté les psaumes au temple, à la synagogue et en privé, Jésus même meurt en citant un psaume.

8 Or si l’utilisation des psaumes durant le nouveau culte protestant fait l’unanimité, il n’en est pas de même pour d’autres types de chants. La tradition luthérienne est la plus ouverte. Dès 1524, Luther a traduit des pièces de l’Ordinaire de la messe du latin vers l’allemand – notamment le Kyrie, le Gloria et le Credo – suivant un modèle grégorien (en huitième ton par exemple dans la Messe allemande). Il récupère les hymnes de l’Ancienne Église, comme le Te Deum (en allemand : Herr Gott, dich loben wir) et des séquences (Victimae paschali laudes, en allemand : Christ lag in Todesbanden). Finalement, il crée aussi des chants spirituels nouveaux qui s’inspirent librement de la Bible sans s’appuyer sur un texte biblique précis. Pour d’autres courants du protestantisme par contre, ces deux dernières catégories de chants – hymnes et poésie libre – posent des problèmes car elles n’ont pas de fondement biblique.

9 Pour cette raison, les Strasbourgeois limitent le chant liturgique aux psaumes et aux cantiques bibliques seuls. Leurs versifications de psaumes constituent un répertoire au profil théologique et hymnodique particulier. Le « Psautier de Strasbourg » se caractérise par une grande ouverture aux différents répertoires à travers l’Allemagne protestante – luthérien, anabaptiste, suisse-réformé –, mais aussi par une hétérogénéité au niveau stylistique, musical et théologique.

10 Les Strasbourgeois commencent la transcription du psautier dès le début de la Réforme. Ainsi le Straßburger Kirchenampt de 1525 7 renferme les psaumes 1-8 versifiés par Ludwig Oeler. Ce dernier, d’origine strasbourgeoise, est attesté comme prédicateur à Fribourg-en-Brisgau ; en 1522, suite à une mise en accusation par le chapitre cathédral, il s’enfuit à Strasbourg8. Les versifications d’Oeler suivent un modèle très précis : il paraphrase généralement deux versets bibliques dans une strophe (sauf pour le psaume 3 pour lequel ce sont trois versets). Toutes les versifications présentent le même schéma rythmique (8 7 8 7.8 8 7) et le même schéma de rimes (A b A b.C C d). Ainsi les huit psaumes se chantent sur la même mélodie, en occurrence celle de Luther Ach Gott, vom Himmel sieh darein. Il n’est pas exclu qu’Oeler ait eu l’intention de continuer la versification au-delà du huitième psaume, mais aucun autre psaume versifié de sa plume nous est connu. Ses huit psaumes se retrouvent par la suite dans la plupart des recueils strasbourgeois jusqu’en 15579. Ce qui distingue fondamentalement les psaumes d’Oeler – et par la suite les psaumes d’autres auteurs strasbourgeois – des paraphrases de Luther, c’est leur fidélité au texte biblique. Les paraphrases d’Oeler transcrivent tout le psaume, du premier au dernier verset, suivi d’une strophe avec la F0 doxologie (par exemple Ps 1 : « Eer sei dem vater vnd dem s 47 n/ vnd auch dem heilgen geiste »). Si on compare cette pratique aux paraphrases de Luther, on mesure la différence : ce dernier, dans sa versification de Ps 46 par exemple (Ein feste Burg ist unser Gott), ne traduit qu’une petite partie du psaume biblique et, qui plus est, introduit des thèmes christologiques : « Fragst du, wer der ist? / Er heißt Jesus Christ, / der Herr Zebaoth » (« Tu demandes qui est-ce ? Il se nomme Jésus Christ, c’est le Seigneur des armées »).

11 Les pratiques liturgiques à Strasbourg évoluent rapidement. La première messe allemande sous les deux espèces (communion du pain et du vin) est célébrée le 19 février 1524 dans la cathédrale, mais ce n’est qu’en 1529 que les échevins votent l’abolition définitive de la messe. Dans le recueil Psalmengebett vnd Kirchenübung de 1526, les nouvelles pratiques liturgiques sont prescrites. Dans la semaine se tiennent quatre cultes de prédication par jour : la prière du matin dans toutes les églises

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paroissiales (à quatre heures l’été, et une heure plus tard l’hiver), la prédication matinale à sept heures, à tour de rôle dans l’une des églises paroissiales, puis une autre prédication matinale à la cathédrale et finalement le culte du soir (à quatre heures dans l’après-midi ou plus tard). Le dimanche, six cultes sont même prévus. Martin Bucer précise que toutes les prédications de dimanche étaient obligatoires pour tous – car le dimanche est un jour sans travail qui appartient exclusivement à l’écoute de la parole de Dieu.

12 Dès le début, les psaumes occupent une place importante au sein du culte. Ils sont surtout chantés pendant les cultes secondaires, notamment les Vêpres. Celles-ci commencent par le chant de psaume (« celui qu’on veut10 »). Puis, on chante les psaumes 67 et 12 de Luther, ainsi que psaume 13 du Strasbourgeois Matthias Greiter ; après le sermon, on entonne le Magnificat de Symphorianus Pollio.

13 Le nombre de psaumes ne cesse d’augmenter durant les années 1530. En 1537 et 1538 paraissent chez Wolfgang Köpfel deux recueils volumineux qui contiennent ce que l’on appelle généralement le « Psautier de Strasbourg ». De la première partie de 1537 est conservé un seul exemplaire incomplet sans page de titre ; mais selon les éditions ultérieures, il s’agit de : Psalmen, vnd Geystliche lieder, die man zu Straßburg, vnd auch die man inn anderen Kirchen pflägt zu singen11 (Psaumes et chants spirituels chantés à Strasbourg et aussi dans d’autres églises). Ce recueil contient 70 chants liturgiques suivis de 60 psaumes dans l’ordre biblique (avec 9 psaumes en doublon). Les psaumes proviennent des origines les plus diverses : de Strasbourg (Wolfgang Dachstein, Johannes Englisch, Matthias Greiter, Hubert Konrad, Ludwig Oeler, Symphorianus Pollio, Johannes Schwintzer, Heinrich Vogtherr), de Wittenberg, Nuremberg, Augsbourg, Constance, Bâle et Zurich.

14 L’année suivante, 1538, l’imprimeur Köpfel publie un recueil complémentaire : Psalter. Das seindt alle Psalmen Dauids, mit jren Melodeien, sampt vil Schönen Christlichen liedern, vnnd Kyrchen übungen12 (Psautier. Ce sont tous les psaumes de David, accompagnés de leurs mélodies, ainsi que de nombreux beaux chants chrétiens et des exercices ecclésiastiques). Mais contrairement à ce qu’indique le titre, le recueil ne contient que 128 psaumes : ceux qui, à une exception près, ne figurent pas dans l’édition de 1537 ; y s’ajoutent 8 cantiques bibliques et 12 autres chants spirituels. Dans cette seconde édition, on ne trouve aucun psaume d’auteur autochtone, tous ont été versifiés par trois anabaptistes augsbourgeois, Sigmund Salminger, Jacob Dachser et Joachim Aberlin. Les deux parties réunies contiennent, avec les doublons, presque 200 chants de psaumes ainsi que 33 cantiques bibliques.

15 Les deux parties du « Psautier de Strasbourg » ont été rééditées séparément jusqu’en 1544. L’imprimeur Köpfel réunit les deux recueils en un seul volume qu’une seule fois, en 1539, mais cette édition ne contient pas de partitions, un fait singulier parmi les recueils strasbourgeois.

16 Mis à part ces recueils officiels, utilisés pour le culte des églises strasbourgeoises, d’autres publications émergent d’initiatives privées. Catherine Zell, la femme du prédicateur Matthieu Zell, publie, entre 1534 et 1536, un recueil en quatre parties13 contenant un répertoire dissident : 187 chants d’un recueil de chants des Frères moraves (publié pour la première fois en 1531 par Michael Weiße à Jungbunzlau, aujourd’hui Mladá Boleslav en République tchèque). Ces quatre recueils ne sont pas à l’usage du culte, mais destinés à la dévotion privée. Dans la préface, Catherine Zell s’adresse aux laïcs, et notamment aux maîtresses de maison : « Alors il faut chanter :

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l’apprenti ouvrier pendant son travail, la servante en faisant la vaisselle, le paysan et le vigneron en labourant la terre et la mère quand elle console son enfant qui pleure dans le berceau. Pour la louange, on a besoin des chants de prière et de catéchèse. Ce sont les psaumes ou des chants similaires qu’il faudra14. »

Martin Bucer et la musique

17 Le répertoire strasbourgeois ne se caractérise pas seulement par la fidélité des paraphrases au texte biblique et par son organisation métrique, mais également par son profil théologique. Contrairement à Luther qui s’exprime à plusieurs reprises sur la musique et le chant liturgique, les réformateurs strasbourgeois sont moins bavards à ce sujet.

18 Martin Bucer s’est prononcé dans deux ouvrages sur la musique : dans Grund und ursach de 1524, au début de son œuvre réformatrice, et dans la préface du Grand recueil de chants de 154115.

19 Pendant l’été 1524, Bucer rédige un rapport étendu pour justifier l’orthodoxie de la doctrine de Luther, texte qui n’a été jamais publié de son vivant16. Parmi les douze points évoqués dans lesquels Luther se démarque de la doctrine traditionnelle pour être conforme à l’Évangile, le dixième point traite du chant et de la prière. Bucer rejette l’observation des heures monastiques parce que cette pratique était sans fondement biblique. Il demande également que les prières et les chants soient accessibles à tous les fidèles présents, soit en langue du pays ou en latin suivi d’explications. Tous les textes lus et chantés doivent être strictement conformes à l’Écriture17.

20 En décembre 1524 paraît chez Wolfgang Köpfel Grund und ursach. Bucer résume et justifie en neuf chapitres les nouvelles mesures que l’Église de Strasbourg venait de mettre en place. L’argument principal est la conformité aux Écritures. L’écrit traite de la Cène, de la célébration liturgique en général, du baptême, de l’abolition des fêtes, de la suppression des images, des nouveaux usages concernant la prière, les vêtements liturgiques, les gestes et l’autel. Démontrant que la messe romaine est, sur tous ces points, en contradiction avec la Bible, Bucer présente la vraie forme du culte évangélique comme le pratiquent désormais les Strasbourgeois. Le chant d’assemblée est prévu à plusieurs endroits : après la confession de péchés avec absolution (un psaume ou un chant d’action de grâce), après la lecture de l’épître avec explications (chant des Dix commandements ou autres), après la prédication (chant de la confession de foi), après la communion (un chant d’action de grâce)18.

21 Bucer justifie ces pratiques cultuelles et musicales par le verset de Paul dans 1 Cor 14,26 : « Quand vous vous réunissez, chacun a un psaume, il a un enseignement, il a une prophétie, il a une interprétation19 ». Pendant chaque culte, on chante « des psaumes et des chants d’action de grâce pour louer Dieu et pour fortifier sa foi20 ».

22 Le dernier chapitre de l’ouvrage est consacré à la question : « Pour quelle raison nous avons changé les chants et les prières dans les églises21 ? » C’est là que Bucer définit quel sera le vrai chant de l’Église et comment il est justifié. Il réitère que toutes les paroles chantées et priées devraient être tirées des Écritures afin que l’assemblée les comprenne. Il rejette désormais définitivement l’usage de la langue latine « qui avait nuit à la messe romaine plus qu’elle avait été utile ». Pour Bucer, le chant

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incompréhensible se range dans la même catégorie d’actions superstitieuses que les indulgences22.

23 Par contre, il prête peu d’importance à la forme concrète du culte : le dimanche, on célèbre la Cène avec quelques brèves prières et des chants, un psaume avant et un après la prédication ; vers le soir pendant les Vêpres, on chante deux ou trois psaumes et on lit et explique un chapitre de l’Écriture. Il est important pour Bucer qu’il n’y ait rien de superflu, pas de cérémonies pompeuses qui rappelleraient l’Église romaine.

24 Sa justification du chant cultuel est exhaustive et non sans apologie à l’adresse des Zurichois (sans qu’il les nomme explicitement). Il leur reproche de ne pas connaître les Écritures ni les coutumes des premiers chrétiens. Bucer avait connaissance de la cause car il entretient, à la fin de 1524, une correspondance épistolaire avec Zwingli et Œcolampade portant sur la question comment célébrer correctement le culte23. Dans Grund und ursach, Bucer s’appuie exclusivement sur le Nouveau Testament (l’exemple de Jésus) et sur les coutumes des premiers chrétiens – sans jamais recourir à l’Ancien Testament, même pas à David le psalmiste. Cela faisant, il voulait certes éviter d’affronter les arguments de Zwingli qui, dans son refus de la musique cultuelle, se réfère au prophète Amos24. Bucer par contre considère les prescriptions cultuelles des Israélites, avec l’arrivée du Christ, comme caduques. C’est dans le Nouveau Testament où il trouve la base du culte réformé, dans l’épître aux Colossiens 3,16 (avec l’occurrence parallèle en Éphésiens 5,19 sq.)25 : « Que la parole de Christ habite parmi vous abondamment ; instruisez-vous et exhortez-vous les uns les autres en toute sagesse, par des psaumes, par des hymnes, par des cantiques spirituels, sous l’inspiration de la grâce, chantant à Dieu dans vos cœurs. » Il rejette l’interprétation que le chant « dans vos cœurs » serait une musique inaudible car un chant muet ne pourra jamais instruire et exhorter le prochain.

25 Pendant presque deux décennies, Bucer ne revient plus à la question du chant liturgique. La forme du culte à Strasbourg évolue peu pendant ces années, mais le nombre de psaumes versifiés ne cesse d’augmenter : à la fin des années 1530, tout le psautier est mis en musique sous forme de paraphrases rimées. Le recueil de chants, paru en 1541 dans l’atelier de Georg Messerschmidt, marque une étape importante dans l’histoire du chant d’Église à Strasbourg. De format exceptionnel et imprimé avec beaucoup de soin en deux couleurs, ce recueil était destiné au chant choral, à l’église et à l’école. Le fait qu’il contienne l’unique préface de la plume de Bucer lui confère un statut quasiment officiel.

26 Par contre, le nombre de chants a considérablement diminué : on ne recense que 66 chants, contre 148 chants dans le psautier de 1538 et 276 chants dans celui de 1539. Le plus surprenant est la diminution du nombre de psaumes au profit d’une augmentation des cantiques de Luther et de ses collaborateurs. En ce qui concerne l’organisation du recueil de 1541, celui-ci s’aligne également sur les usages luthériens. La catégorie la plus importante est désormais celle des cantiques spirituels de poésie libre (35 chants) suivis des psaumes (27) et des chants d’action de grâce (4).

27 La préface de Bucer est précédée de deux pages de citations. On lit : « Chanter des psaumes, des chants d’action de grâce et des cantiques spirituels dans l’assemblée de Dieu est bon, édifiant et agréable à Dieu. Il est recommandé, suivant l’exemple des chers prophètes et rois de l’Ancien Testament, par saint Paul dans le Nouveau Testament qui dit… » – suivent les citations connues tirées du premier Corinthiens (14,12.15 et 26), de Colossiens 3,16 sq. et d’Éphésiens 5,18-20.

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28 La préface, signée par Bucer26, est un éloge exhaustif du rôle de la musique au sein de la vie chrétienne. Elle dément à elle seule le préjugé que Bucer n’aurait pas eu d’affinités avec la musique27. Le fondement biblique du chant n’est plus explicité dans la préface étant donné qu’il figure déjà en tête, avant la préface même. Par contre, Bucer avance un argument nouveau, anthropologique : le pouvoir de la musique sur l’homme – un topos bien connu tout au long du Moyen Âge jusqu’à la Renaissance dans le cadre de la théorie de l’éthos héritée du néoplatonisme28. Les deux, la musique et le chant, sont ordonnés par Dieu. Ils ne sont pas seulement joyeux et doux, mais également prodigieux et puissants. Alors la nature et le caractère de l’homme sont faits de sorte qu’il n’y ait rien qu’il n’incite avec plus de force à toute sorte de passions – soit la joie, le chagrin, l’ire, la dévotion spirituelle, la rage irréfléchie, et d’autres affects et émotions – que les sons harmonieux du chant et de la musique de cordes produits avec un vrai talent pour susciter tels émotions et affects29.

29 Or, pour Bucer, le pouvoir de la musique est hautement ambigu, car la puissance de la musique pourra inciter l’homme à des actions à la fois positives et négatives. Il recommande néanmoins de s’en servir pour susciter et consolider la foi chrétienne : « Pourrait-on également se réjouir et se divertir par ces chants saints et divins afin qu’ils nous rendent sensiblement meilleurs, alors on devrait y goûter la véritable joie et réjouissance30. » Or, ce n’est pas l’Église seule qui se sert du pouvoir de la musique, l’« ennemi malin » aussi s’est saisi de la musique, ce qui est doublement grave : d’un côté, celle-ci est détournée de sa véritable destinée d’être don de Dieu, et d’autre part, l’immense pouvoir de la musique servirait des fins condamnables. Sans doute, Bucer vise des chansons avec des paroles immorales, très appréciées, selon lui, par la jeunesse et les gens simples. Ce danger justifie pourquoi un répertoire de chants bien circonscrit s’impose à l’église : Alors celui qui a les moyens et la volonté doit y recommander et nous aider afin que ces chant luxuriants et diaboliques soient abolis et interdits et que les saints psaumes et les chants qui plaisent à Dieu soient appréciés par tous les chrétiens, jeunes ou âgés, et qu’ils soient toujours pratiqués31.

30 Le chant n’est pas seulement admis à l’église, il est même nécessaire car il rend l’homme réceptif à la parole divine et, au même temps, il l’éloigne des actions immorales. Mais pour être bonne, la musique doit toujours s’adresser à Dieu32.

31 Les mesures qu’a prises Bucer à Strasbourg dans le domaine du chant liturgique correspondent à ses réflexions théologiques. Dans ses premiers écrits, le réformateur s’attaque surtout au manque d’intelligibilité des paroles en latin, mais il ne demande la suppression ni de l’orgue ou d’autres instruments de musique ni du chant polyphonique. Bucer est rapidement dépassé par les événements : l’introduction du chant d’assemblée et du chant des psaumes versifiés et rimés en allemand. Il a approuvé ces pratiques tant qu’elles étaient conformes aux Écritures, simples et sans accessoires inutiles.

32 Contrairement à d’autres prédicateurs strasbourgeois – tels Capiton, Pollio et Hubert –, Bucer n’a pas contribué au répertoire naissant de chants et de psaumes. Il semble donc très probable que les autres prédicateurs, avec le concours des musiciens locaux tels Greiter et Dachstein, aient développé le nouveau modèle liturgique et hymnodique pour l’Église de Strasbourg. L’instigateur principal des recueils de chants parmi les prédicateurs n’était donc pas Bucer mais plutôt Capiton. Bucer n’a que peu légiféré sur les pratiques musicales ; pour la plupart, il s’agit de restrictions face à des pratiques

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jugées trop lascives. Dans Form und Gebet (1537-1538), il décrète : « Puis, il est ordonné que les fiancés viennent à l’église avec discipline et recueillement, sans musique de cordes ni autres frivolités et abus comme c’était avant33. »

33 En comparant la justification du chant au culte dans Grund und ursach de 1524 et celle dans la préface du recueil de 1541, on constate que Bucer ajoute à son principal argument biblique un autre, anthropologique. En cela, il se rapproche davantage de la position de Luther qui avait une vision fondamentalement positive de la musique. Mais Bucer se distingue du réformateur de Wittenberg car, pour lui, le pouvoir qu’a la musique, en provoquant les affects dans l’âme humaine, est ambigu. Pour éviter l’abus de la musique, Bucer limite les pratiques musicales à la louange et à la proclamation de la parole afin de réveiller et de réconforter la foi. Cette attitude bucérienne – étant entre celle de Zwingli et celle de Luther – est très proche de la position de Calvin, et on ne s’étonne pas que le réformateur de Genève ait suivi, en ce qui concerne la majorité des options musicales, les pratiques de l’Église strasbourgeoise – à la différence près que Bucer, en 1541, a admis au culte les chants spirituels libres, alors que Calvin à Genève limite le chant aux paraphrases de textes bibliques seules (psaumes et cantiques bibliques).

34 Notons la différence des mesures qu’a prises Bucer dans le domaine des images et de la musique. Alors qu’il demande de supprimer les images dans les églises pour protéger les « faibles » (qui ont besoin des images), il demande – en invoquant le même argument – de maintenir le chant au culte.

La survie du répertoire strasbourgeois

35 Le répertoire de l’Église strasbourgeoise ne survivra pas longtemps. Le recueil de 1541 témoigne déjà d’un rapprochement des pratiques strasbourgeoises de celles en Allemagne. Il s’agit d’un livre liturgique de taille exceptionnelle qui est posé sur un lutrin afin d’enseigner aux écoliers – de la Haute école de Sturm par exemple – le chant pour le culte à l’église34. Sur les 66 chants que contient ce recueil, plus de la moitié sont de Luther et des auteurs de son entourage. Les chants se présentent dans l’ordre de l’année liturgique et des thèmes théologiques, exactement comme les recueils luthériens en Allemagne.

36 Or, ce sont surtout les événements politiques au milieu du XVIe siècle qui sonnent le glas de l’exception strasbourgeoise. Après la défaite de la ligue de Smalkalde, l’empereur Charles Quint impose en 1548 la réintroduction du culte catholique dans la cathédrale ainsi que dans deux autres églises de la ville. Bucer est contraint de s’exiler en Angleterre. L’Intérim prend fin en 1559 et le culte protestant est rétabli en 1561 dans toutes les églises strasbourgeoises. Sous l’influence de Jean Marbach (1521-1581), la Ville adhère au luthéranisme orthodoxe, mettant fin aux traditions particulières. Le chant des psaumes perd de sa prédominance en faveur des cantiques luthériens, comme en témoignent les nombreux recueils de chants imprimés après la fin de l’Intérim. La plupart des chants du « Psautier de Strasbourg » n’y sont pas repris et seront oubliés, excepté quelques mélodies qui accéderont, avec de nouveaux textes, à une notoriété remarquable.

37 Wolfgang Dachstein (vers 1487-1553), ancien dominicain originaire du pays de Bade et organiste d’abord à Saint-Thomas et à partir de 1543 à la cathédrale, écrit le texte et la mélodie de plusieurs chants pour l’Église protestante de Strasbourg. Parmi eux se

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trouve la paraphrase du psaume 137, An Wasserflüssen Babylon (Aux bords des rivières de Babylone), publiée pour la première en 1525 à Strasbourg. Ce chant devient rapidement très populaire et sera intégré au célèbre Babstsches Gesangbuch (Recueil de l’imprimeur Babst, Leipzig, 1545), et par la suite il apparaît dans la plupart des recueils luthériens. Miles Coverdale (vers 1488-1569) qui vivait pendant ses deux exils à Bergzabern non loin de Strasbourg en réalise même une traduction anglaise. Avec les vers de Paul Gerhardt (1607-1676), Ein Lämmlein geht und trägt die Schuld (Un petit agneau s’en va en portant notre péché), ce cantique devient un chant de Passion très apprécié en Allemagne luthérienne. Jean-Sébastien Bach utilise la mélodie de Dachstein pour un des Leipziger Choräle (BWV 653).

38 Parmi les mélodies strasbourgeoises, celle de Matthias Greiter prévue pour le psaume 119 connaît le plus grand succès : Es sind doch selig alle die35 ( Ils sont tous bienheureux). Dans la tradition réformée, la mélodie accompagne des paraphrases de psaumes : Ambrosius Blarer (1492-1564) pour le psaume 36 en 1533 et Matthias Jorissen (1739-1823) pour le psaume 68. Les luthériens allemands ont repris la mélodie de Greiter pour accompagner de nouveaux textes. En 1530, le Nurembergeois Sebald Heyden l’utilise pour son chant de Passion : O Mensch, bewein dein Sünde groß (Bach le reprendra pour clore la première partie de la Passion selon saint Matthieu). Le superintendant luthérien Valentin Ernst Löscher (1673-1749) de Dresde la transforme en Ich grüße dich am Kreuzesstamm (Je te salue, suspendu à la croix).

39 Mais c’est surtout grâce à Calvin que la mélodie de Greiter connaît une diffusion à l’échelle mondiale. Le réformateur de Genève utilise la musique dans son petit recueil de chants paru à Strasbourg en 153936 pour accompagner sa propre paraphrase du psaume 36 : En moy le secret pensement. Dans les éditions genevoises, la mélodie apparaît avec le psaume 68 de la plume de Théodore de Bèze : Que Dieu se montre seulement – psaume qui sera utilisé, pendant les conflits des guerres de religions, comme le cri de rassemblement des protestants, connu sous le nom de « psaume des batailles ».

40 Le plus important est sans doute le modèle de la paraphrase de psaume pratiqué par les Strasbourgeois jusqu’à l’Intérim. Calvin s’en est inspiré lors de son séjour à Strasbourg (1538-1541) et le Psautier de Genève en porte la marque : la paraphrase fidèle du texte biblique intégral, de tous les versets du psaume, sans introduire d’autres thèmes (christologiques, ecclésiologiques, historiques) ; le chant d’assemblée à l’unisson sans accompagnement instrumental.

41 Le « Psautier de Strasbourg » disparaît ainsi pendant la seconde moitié du XVIe siècle. Seules les mélodies les plus populaires survivent en Allemagne luthérienne et chez les réformés. Le modèle strasbourgeois, par contre, continue à prévaloir chez les réformés jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.

NOTES

1. . Formula missae et communionis pro ecclesia Vuittembergensi, Wittenberg, 1523 (WA 12,218).

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2. . Etlich Cristlich lider Lobgesang, vnd Psalm, dem rainen wort Gottes gemeß (Répertoire International des Sources Musicales, série B/VIII : Das deutsche Kirchenlied, 2 vol., Kassel, éd. Bärenreiter, 1975-1980 = DKL 152412-14). 3. . Eyn Enchiridion oder Handbüchlein, Erfurt, Johann Loersfeld (DKL 152403-04). 4. . Martin LUTHER, Wider die himmlischen Propheten, 1525 (WA 18,123). 5. . Cf. par exemple l’édition d’Yves KÉLER, Les 43 chants de Martin Luther, Paris, Beauchesne, 2013 (Guide musicologique). 6. . Une étude récente sur ces pratiques a été publiée par Daniel TROCMÉ-LATTER, The Singing of the Strasbourg Protestants, 1523-1541, Surrey, Ashgate Publishing, 2015. 7. . Le seul exemplaire connu, conservé à la Stadtbibliothek de Strasbourg, a péri dans l’incendie de 1870. Nous possédons une description dans : Friedrich HUBERT, Die Straßburger liturgischen Ordnungen im Zeitalter der Reformation, nebst einer Bibliographie der Straßburger Gesangbücher, Göttingen, éd. Vandenhoeck & Ruprecht, 1900, no14. 8. . Des informations biographiques dans : G.H.A. Rittelmeyer, Die evangelischen Kirchenliederdichter des Elsasses. Entwurf des ersten Buches einer Geschichte des evangelischen Kirchenliedes und Kirchengesanges im Elsass, Jena, éd. Friedrich Mauke, 1856, p. 27‑29. 9. . Le dernier recueil est : Alle Psalmen, Hymni, vnd Geystliche Lieder, die man zu Straßburg vnd andern Kirchen pflägt zu singen, Strasbourg, Paul et Philipp Köpfel, 1557 (DKL 155708). 10. . Ainsi dans : Teütsch kirchenampt de 1524 (DKL 152416). 11. . DKL 1537 03. Le seul exemplaire est conservé à la BNU, cf. le catalogue de l’exposition : Madeleine ZELLER, Matthieu ARNOLD, Benoît JORDAN, éd., Le vent de la Réforme : Luther 1517, Strasbourg, BNU, 2017, p. 122. 12. . DKL 153806. Cf. également le catalogue de l’exposition de la BNU, p. 122. 13. . Von Christo Jesu unserem säligmacher, Strasbourg, Jacob Frölich, 1534, 1535, 1536, 1536 (DKL 153402, 153505, 153601/1-2). 14. . Catherine ZELL, préface à Von Christo Jesu unserem säligmacher, Strasbourg, Jacob Frölich, 1534. 15. . Sur Bucer et la liturgie cf. René BORNERT, La Réforme protestante du culte à Strasbourg au XVIe siècle (1523–1598). Approche sociologique et interprétation théologique, Leiden, E. J. Brill, 1981, p. 91-93 ; et l’ouvrage de Daniel Trocmé-Latter (2013), cité en note 6. 16. . Publié dans : Martini Buceri Opera Omnia, series I: Deutsche Schriften, sous la direction de Robert STUPPERICH et al., Gütersloh et Paris, éd. Gütersloher Verlagshaus Gerd Mohn et Presses Universitaires de France, 1 : Frühschriften 1520-1524, 1960 = BDS 1,310-344 (annexe 6). 17. . BDS 1, 340. 18. . BDS 1,246 sq. 19. . BDS 1,247. 20. . BDS 1,247. 21. . BDS 1,274-278. 22. . BDS 1,262. Plus loin, il parle de « ablaß, heülen und plerren in den templen » (« les indulgences, hurler et brailler dans les temples »), BSD 1,265. 23. . Lettre aux Bâlois et aux Zurichois de la mi-décembre 1524, publiée dans : Correspondance de Martin Bucer, tome I (jusqu’en 1524) (= Martini Buceri Opera auspiciis Ordinis Theologorum evangelicorum Argentinensis edita, Series III, tome I / Studies in medieval and Reformation Thought, XXV), présenté par Jean ROTT, Leiden, éd. E.J. Brill, 1979, p. 281-287 (no 83), en particulier p. 285. 24. . « Ainsi dans l’Ancien Testament, Amos 5,23 a rejeté le chant. Éloigne-moi le bruit de ton chant, je ne veux pas entendre les sons de tes lyres. Que ferait ce prophète revêche (Amos 7,4), de nos jours s’il entendait toutes ces musiques dans les temples, tous ces rythmes de passacailles, ces tourdions et danses rapides et tous les autres rythmes ? » Interprétation de l’article 46, Zurich,

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1523 (traduction française de Beat Föllmi) ; cf. Beat FÖLLMI, Das Weiterwirken der Musikanschauung Augustins im 16. Jahrhundert (= Europäische Hochschulschriften, coll. XXXVI Musicologie, vol. 116), Berne etc., éd. Peter Lang, 1994 p. 137‑139. 25. . BDS 1,275 sq. 26. . Reproduit dans : BDS 7,577-582 (Schriften der Jahre 1538-1539, sous la direction de Robert STUPPERICH, 1964). 27. . Bucer lui-même se qualifie d’« amousos » dans une lettre adressée à Ambrosius Blaurer, reproduite dans : Traugott Schiess, éd., Briefwechsel der Brüder Ambrosius und Thomas Blaurer, 3 vol., Fribourg/Br, éd. Ernst Fehsenfeld, 1908-1912, vol. 2, p. 121. Mais ce terme désigne son manque de talent pour la poésie et non la musique. 28. . Cf. Frederick W. Sternfeld, « Music in the Schools of the Reformation », Musica Disciplina, 1/2, 1948, p. 99-122 ; et Beat Föllmi, Weiterwirken, p. 143-146, cf. note 24. 29. . BDS 7, 78. Le terme « musique » désigne ici sans doute la musique instrumentale par opposition au chant vocal. 30. . BDS 7,579. 31. . BDS 7,580. 32. . BDS 7,579. 33. . Publié dans : Hubert, Ordnungen, p. 12, cf. note 7. 34. . Gesangbuch, darinn begriffen sind, die allerfürnemisten vnd besten Psalmen, Geistliche ieder, vnd Chorgeseng, aus dem Wittembergischen, Strasburgischen, vnd anderer Kirchen Gesangbüchlin zusamenbracht, vnd mit besonderem fleis corrigiert vnd gedrucket, Strasbourg, Georg Messerschmidt, 1541 (DKL 154106). 35. . Publié pour la première fois dans la troisième partie du Straßburger Kirchenampt, Strasbourg, Wolfgang Köpfel, 1525 (DKL 152518). 36. . Aulcuns pseaulmes et cantiques mys en chant, Strasbourg, Johannes Knobloch le Jeune, 1539.

RÉSUMÉS

La musique joue un rôle non négligeable dans la diffusion de la Réforme et dans la création des identités confessionnelles. Les protestants strasbourgeois avaient, dès 1524, mis en place leur propre répertoire musical pour le culte. Ce répertoire de chants qui est connu sous le nom de « Psautier de Strasbourg », est composé de chants venant de tous les coins de l’Allemagne, mais il diffère des pratiques des luthériens outre-Rhin. C’est notamment le chant des psaumes qui occupe la première place dans le culte strasbourgeois. On trouve, à côté des chants bien connus (comme ceux de Martin Luther), également des paraphrases très fidèles au texte biblique, écrites par des musiciens locaux tels Matthias Greiter et Wolfgang Dachstein. Quand Strasbourg, après la fin de l’Intérim, rejoint l’orthodoxie luthérienne, ces pratiques hymnodiques autochtones sont abandonnées au profit d’un répertoire luthérien. Seuls certains textes et mélodies survivent, grâce à leur notoriété, et connaissent par la suite un succès remarquable, par exemple dans le Psautier huguenot ou encore dans l’œuvre de Jean-Sébastien Bach. (Beat Föllmi).

Music played an essential role in the popularisation of the Reformation and in the setting up of denominational identities. The Protestants in Strasbourg had published their own Church music repertoire as early as 1524, known as the “Strasbourg Psalter”, a collection of hymns from all

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over Germany and yet differing from the German Lutheran ritual. It is mainly the psalms that came first in the Strasbourg worship service organisation. Next to popular hymns (like Martin Luther’s) were to be found passages from the Bible faithfully rendered by local composers such as Matthias Greiter and Wolfgang Dachstein. When, after an interim period, Strasbourg decided to comply with the Lutheran orthodoxy, the former compositions were abandoned and replaced by a strictly Lutheran repertoire. Only few texts and melodies survived due to their popularity and gained a remarkable notoriety, for instance in the Huguenot Psalter or in Johann Sebastian Bach’s compositions. (trad. Pierre Boulay).

Die Musik spielte eine nicht zu unterschätzende Rolle bei der Verbreitung der Reformation und der Ausbildung konfessioneller Identitäten. Die Straßburger Protestanten begannen ab 1524, für den Gottesdienst ein eigenes musikalisches Repertoire zusammenzustellen, das unter der Bezeichnung „Straßburger Psalter” bekannt ist. Seine Gesänge stammen aus dem gesamten deutschsprachigen Raum. Doch bestehen auch Unterschiede zu der Gesangspraxis jenseits des Rheins. In erster Linie ist hier der wichtige Platz zu nennen, den das Psalmsingen innerhalb des Straßburger Gottesdienstes einnimmt. Man findet neben allseits bekannten Gesängen (wie den Kirchenliedern von Martin Luther) auch Bibel treue Psalmparaphrasen, die von den in der Stadt wirkenden Musikern wie Matthias Greiter und Wolfgang Dachstein geschaffen worden sind. Als Straßburg nach dem Ende des Interims die lutherische Orthodoxie übernimmt, verschwindet die eigenständige Gesangspraktik zugunsten eines lutherischen Repertoires. Nur einige wenige Texte und Melodien überleben dank ihrer Popularität und erfreuen sich in der Folge eines beachtlichen Erfolgs, sei es im Hugenottenpsalter oder in der Musik von Johann Sebastian Bach. (trad. Beat Föllmi).

AUTEUR

BEAT FÖLLMI Professeur de musique sacrée et d’hymnologie à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg

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Les sacristies, victimes collatérales de la Réforme ? Were vestries colleteral victims of the Reformation? Wurden die Sakristeien zu kollateralen Opfer der Reformation?

Benoît Jordan

1 Les sacristies strasbourgeoises semblent fort bien garnies à la veille de la Réforme. Le Donationsbuch de l’Œuvre Notre-Dame, étudié par Marie-José Nohlen1, montre la variété des dons faits par des fidèles qui ne manquent pas d’offrir des objets du culte à la chapelle Notre-Dame de la cathédrale. À la chapelle de l’hôpital des bourgeois, les inventaires dressés à intervalles rapprochés montrent également des placards bien achalandés. Ces inventaires, dressés pour garantir la préservation du patrimoine public, sont aussi les témoins d’une attention apportée à la qualité du culte à travers les objets.

2 La suppression de la messe latine et son remplacement par la messe allemande va de pair avec une redéfinition du rituel, en premier lieu de la conception théologique des rites : le culte revisité est essentiellement spirituel. Les ornements et les objets n’ajoutent rien2.

3 Fin 1524, le pas est franchi, même si la forme nouvelle de la liturgie n’est de loin pas encore fixée : Thiebaut Schwartz a dit la première messe en allemand et Antoine Firn, puis Martin Bucer se sont mariés, affirmant une nouvelle forme sociale du sacerdoce. Après 1531, la scission est consommée : la publication de la Confession d’Augsbourg et de la Confession tétrapolitaine marquent la fin de l’unité avec une conception du culte singulièrement différente de la tradition. Pourtant, les objets anciens restent un enjeu.

4 À Strasbourg, ville où le rôle du Magistrat est prépondérant dans les affaires religieuses (alors que l’évêque ne semble pas s’impliquer particulièrement dans l’analyse des sermons de Matthieu Zell, c’est le conseil qui convoque ce dernier pour lui demander de s’expliquer), une courte crise d’iconoclasme survient en 1524 et se prolonge épisodiquement jusque dans les années 1530. Pour Frank Muller qui analyse le mouvement3, une minorité agissante mène la danse, motivée par un sentiment religieux visant à épurer les rites.

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5 Changement de rites, certes, et une autre conception des objets et des ornements. Mais on constate, au vu d’inventaires dressés au milieu du XVIe et encore en 1592-1593, que les sacristies des églises conventuelles ou paroissiales sont encore, pour certaines, pleines d’objets utilisés pour le rite romain. La liquidation des sacristies constitue donc une affaire qui dure plusieurs générations.

1525 - La guerre des Paysans

6 Les paysans révoltés s’en prennent aux caves, aux greniers, aux archives, aux bibliothèques. Les objets du culte sont incidemment cités dans les récits et les plaintes qui émanent des monastères et des couvents. Voici ce que rapporte Ulrich de Ribeaupierre, présent à Ribeauvillé au moment des événements4 : Pendant le même temps, les paysans du Val de Villé et du Ban du Comte [partie antérieure du Val de Villé] se sont réunis et pendant les jours des fêtes de Pâques, ils ont pénétré dans le couvent de Honcourt et l’ont aussi occupé, et, après avoir également chassé l’abbé [Paul Voltz], ils ont pris la direction de Sélestat. Ils en sont revenus, et alors ils ont dévasté le petit couvent, démoli le clocher, emporté les cloches, volé les calices et les ornements d’église, ils ont aussi déchiré tous les livres qu’ils ont trouvés dans le couvent ; ils ont cassé les fenêtres et détruit les toitures. […] De la même manière, les habitants de la vallée d’Orbey mirent au pillage le couvent de Pairis. Ils en ont enlevé tout le mobilier qu’ils ont vendu. Ils ont emporté à Orbey les ornements d’église et les ont placés dans leur église […] Ainsi, entre Scherwiller et Châtenois, en rase campagne, la bataille eut lieu […] Ainsi, six mille paysans environ ont trouvé la mort, ils ont perdu leurs fanions, leur artillerie et tout ce qu’ils avaient volé dans les couvents et que l’on a retrouvé sur eux et avec eux : des calices, des croix, des ostensoirs, des ornements d’église, de l’argent etc. (kelch, kritz, mostrantzen, kirchenzierd, gelt und anders).

7 D’autres éléments sur les pillages sont à glaner dans les actes des procès menés après les évènements. La plupart du temps, les institutions se plaignent du pillage des celliers et des caves à vin, ainsi que de la destruction des archives. Mais à Niedermunster, on note que les quatre cloches ont été brisées, et que les ornements liturgiques ainsi que les linges d’autel ont été détruits5. Pas un mot n’est écrit sur l’orfèvrerie de ce monastère : la grande croix reliquaire de l’époque carolingienne, objet majeur du culte dans cette église, a été mise à l’abri (et subsistera jusqu’à la Révolution). On peut penser que les calices, ciboires et autres reliquaires en métal ont été soustraits aux mains rebelles.

8 Dans une longue lettre adressée à Beatus Rhenanus le 6 septembre 1525, l’abbé de Honcourt6, petite abbaye du Val de Villé, raconte qu’il s’est fait voler sa crosse par le bailli de Bergheim chargé par la Régence d’Ensisheim d’administrer l’abbaye en son nom : « le bailli a pris ma crosse ainsi que d’autres vases en argent et, au jour d’hier, a donné comme gage ma crosse pour 40 pièces d’or qu’a payées, je pense, le sire Georg von Rathsamhausen ». L’abbé est également en querelle contre son prieur, un Lorrain qu’il décrit comme assoiffé de pouvoir. L’abbaye elle-même avait été pillée par les paysans le 16 avril 1525. Même scénario à la collégiale de Saint-Léonard, près de Boersch, qui est prise d’assaut7. Le prêtre réussit à mettre l’hostie consacrée à l’abri, mais doit livrer l’ostensoir ; l’armoire eucharistique est démolie. Quant aux églises paroissiales, elles semblent avoir échappé aux pillages. Les revendications des paysans portaient surtout sur la prédication et réclamaient la fin des couvents, mais ne semblent pas avoir eu les églises paroissiales en ligne de mire. Cette préservation

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s’explique : les églises appartenaient mentalement à l’univers quotidien des paysans dont les notables étaient aussi les financeurs et les gestionnaires des fabriques. Pour Jean Wirth8, les crises d’iconoclasme touchent les images, avant tout, ainsi que les représentations saintes de type reliquaire. Une gravure publiée dans le Lutheranische Narr de Thomas Murner montre des hommes extrayant des reliquaires anthropomorphes d’une église, ces reliquaires caricaturés en fou, en tête d’âne, ou bien faisant un geste obscène. Le culte autour des reliques des saints constitue un des axes de la Réforme.

1525-1618 : disparition ou conservation

9 Strasbourg est un véritable laboratoire de changement de culte avec le problème des objets et des ornements. La nouvelle liturgie n’a cure de ces fastes anciens, encore moins quand il s’agit de reliquaires et d’ostensoirs. Le culte des saints – qui ne sont plus considérés comme des intercesseurs, mais comme des exemples – disparaît et les reliques ne sont plus vénérées. On les supprime même : à Hunawihr, les ossements de sainte Hune sont dispersés. Quant à l’Eucharistie, la présence réelle est limitée à la célébration communautaire. Plus de réserve eucharistique, donc plus de pyxide ni de ciboire, mais des boîtes à hosties contenant le pain avant la célébration de la cène.

10 Cependant, les objets du culte catholique sont bien là et la ville aurait tendance à les confisquer pour en tirer des liquidités. On en arrive à gratter l’or des retables et des statues9 ! Mais ce serait un cas de conflit, car les ordres et les institutions anciennes sont protégés par l’autorité impériale. Sont concernés : la Chartreuse, les deux collégiales Saint-Pierre-le-Vieux et Saint-Pierre-le-Jeune, le grand chapitre, ainsi que des couvents qui continuent à survivre après 1529, date de la suppression de la messe latine : Saint-Nicolas-aux-Ondes, Saint-Étienne (pour quelques années seulement), Sainte-Madeleine.

11 La paroisse Saint-Étienne est un cas particulier, à la fois paroisse et abbaye. En 1525, le jour des Rameaux, les paroissiens demandent à dresser un inventaire10, ce qui est fait immédiatement. Ils espèrent ainsi éviter le détournement des biens communautaires au cas où les chanoinesses quitteraient les lieux précipitamment.

12 Quant au chapitre cathédral, ses membres ne sont plus présents, mais ils ont laissé derrière eux quelques belles pièces dans la salle du trésor, dont une statue-buste de la Vierge et des reliquaires, divers objets du culte ainsi qu’un évangéliaire avec couverture en métal. Deux ornements sont encore présents. Mais, d’une manière générale, il semble qu’il ne s’agit ici que d’un reliquat11.

13 En revanche, l’inventaire dressé au couvent des Dominicains12 montre que cette institution était « en ordre de marche », la sacristie pleine autant que le cellier où l’on trouve orge et froment en quantité. Le ton de cet inventaire est exceptionnellement précieux : le scribe parle latin à l’occasion, qualifie les chasubles de inful (il aurait dû écrire infula). La simple mention de chasubles dans les armoires, sans détail, montre également que le but est de repérer les objets précieux, le tout-venant n’ayant pas d’intérêt. On note la présence d’objets en cristal ou en verre (cristallin). Ce matériau apparaît rarement. On peut supposer qu’il s’agit d’objets de belle qualité. Le nombre de calices (vingt-trois) dénote une communauté de prêtres qui a été nombreuse, de même que les quinze boîtes de corporaux. Autre particularité : une monstrance « pour le Saint-Sacrement à l’autel » : cet ostensoir ne devait servir qu’à l’adoration. Un Agnus Dei

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contenant des reliques attire l’attention et fait penser au petit reliquaire conservé par les Dominicaines d’Unterlinden à Orbey. Un objet désigné comme Bettstein, serti dans une monture en argent, pourrait être un baiser de paix.

14 L’église Saint-Thomas a été rapidement touchée par la Réforme. Un inventaire13 de 1546 montre un trésor et des ornements encore nombreux. On relève de nombreux ouvrages en tapisserie (heidischwerck). De toute évidence, le passage à une nouvelle forme liturgique ne s’est pas accompagné de la destruction des objets et ornements dévolus à la forme ancienne.

15 Le cas de Saint-Pierre-le-Jeune, collégiale de Strasbourg de rang égal à celle de Saint- Thomas et celle de Saint-Pierre-le-Vieux, est intéressant à plus d’un titre14. D’une part, l’édifice est affecté dès 1529, comme les autres églises de la ville, au culte en langue vernaculaire. D’autre part, le chapitre reste en partie catholique et son maintien dans la cité ne se fait pas sans difficulté15. Deux inventaires16 sont dressés en 1584 et en 1593, décrivant la fortune du chapitre dans ses murs : pièces d’orfèvrerie et ornements ainsi que rentes et réserves dans les celliers. Il s’agit de pièces relatives au départ du chapitre resté catholique qui compte emporter avec lui les biens et le trésor de l’église. Dans la ville devenue un bastion de la réforme protestante, on s’étonne de voir, dans l’une des principales églises de la ville, les reliques et objets du culte traditionnel : le buste- reliquaire de sainte Colombe notamment figure en bonne place.

16 Un troisième inventaire17 est dressé par le gouvernement de la ville en 1597, en présence des plus hautes autorités, par un notaire. Les objets et les ornements sont bien conservés dans les locaux du chapitre et dans des armoires munies de portes. La plupart semblent en état de servir à la liturgie, sauf les derniers items qui décrivent de vieux ornements ou des éléments détachés. Avec les ornements sont conservés des antependia (Voralthartuech). L’un d’eux porte les armoiries de la famille Vollmar.

17 Quelques descriptions interpellent, telle la mention de corporaux en velours noir ou rouge : on s’attend à un tissu en lin blanc. Sans doute le notaire n’a-t-il plus la notion des choses et s’agit-il d’un voile de calice. La mention d’un mors de chape en argent doré montre cependant que ce notaire a été précis. Enfin les couleurs sont sans surprise : noir, brun, rouge, vert, bleu ; le jaune est peu présent. Plusieurs ornements sont qualifiés de geblumbt, c’est-à-dire « fleuris ». Le terme atlas qui revient à plusieurs reprises indique une mise en œuvre d’un tissu de soie à la manière du satin : selon le dictionnaire des frères Grimm, il s’agit de « ein glattes, rauschendes seidenzeug, pannus subsericus. Atlas arabice glaber et cinereus, seu ad nigrum colorem vergens. Eodem nomine denotatur tramoserica vestis propter glabritiem. » Autre terme technique : schmalott. Toujours d’après le dictionnaire Grimm, ce terme désigne « camelottin, schamelottin, geblumet kleid mit kreisen oder schilt, scutulata vel undulata vestis. » Le décor de fleurs dans le tissu remplace la broderie, au final rare. Pour les tissus, deux façons dominent : le velours et le satin.

18 La situation de l’ancien équipement de l’église Saint-Pierre-le-Vieux est assez proche. L’inventaire18, dressé en 1598 dans les mêmes conditions qu’à Saint-Pierre-le-Jeune, est cependant bien moins long. Si on retrouve le velours et le damas, le taffetas est également cité ainsi que le camelot. Un ornement de couleur blanche semble avoir été particulièrement décoré : deux chapes de chœur, deux chasubles et quatre dalmatiques, avec crucifix et figures brodées en fils d’or et perles. Les pièces d’orfèvrerie remarquables ont été préservées et ont échappé à toute destruction.

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19 Le grand chapitre de la cathédrale était propriétaire d’un trésor à la cathédrale. Voici qu’en 1588, on retrouve de fort belles pièces dans un poulailler du Bruderhof19, le centre administratif du grand chapitre. Cet inventaire est dressé par les autorités de Strasbourg sous l’autorité du conseil des XV. Le chanoine Hermann Adolf, comte de Solms, se fait remettre tous ces ornements et pièces d’orfèvrerie, sauf « ein silbern kän übereinander, so unden am fues, Bockh unnd Andlaw wappen hatt. Item ein anter kleiner silbern kän, mit Böckhlins wappen, Item ein silberne grosse ganze vergultte kän mit Bockh unnd Andlaw wappen. Item ein altte silber, kän, mit Milnheim und Andlaw wappen. Item eilff silbere hoffbecher mit vergultten rauffen. »

20 La qualité des pièces mises à l’abri par les chanoines ou leurs clercs est exceptionnelle : ce sont des croix, des reliquaires, un seul calice, mais aussi trois grands écus en argent doré à placer sur des chasubles. Les statues sont également en métal précieux. Mais sans doute la mise à l’abri a-t-elle été motivée par la volonté de protéger les reliques. La destinée des objets – hormis les objets profanes laissés à la ville – s’arrête à leur remise entre les mains d’un chanoine, le comte Hermann-Adolphe de Solms.

21 L’attention portée aux objets précieux se retrouve dans la liste des pièces20 confiées le 20 octobre 1610 par le chanoine François de Créhange (Criechingen), doyen du grand chapitre, au château de Barr (et donc sous la garde des autorités de la ville de Strasbourg) et restituées à l’évêque suffragant Adam Peetz le 16 novembre suivant. La note signée de Peetz indique que ces pièces proviennent du chapitre Saint-Pierre-le- Jeune et de Saint-Pierre-le-Vieux. Leur valeur totale s’élève à 7 000 gulden selon l’estimation de la commission pour la défense du pays21. Il est évident que ces pièces sont d’une qualité telle qu’il s’agit d’éléments exceptionnels qu’on ne retrouvera pas dans les églises paroissiales. Elles correspondent au niveau supérieur du clergé que représente le grand chapitre. Quelques pièces sont à relever du point de vue typologique : un petit tableau en cristal qui pourrait correspondre à un baiser de paix ; un autel portatif avec décor en nacre et une relique de la croix ; des statuettes en argent doré ; un bras-reliquaire.

22 Autre lieu qui voit une confrontation directe entre le protestantisme et le catholicisme : la ville de Munster, ville impériale, et l’abbaye qui survit. En 1554, à la mort de l’abbé de Munster, Pierre d’Apponex, les bourgeois de la ville de Munster font réaliser un inventaire du monastère. Celui-ci n’est plus que l’ombre de lui-même22.

23 La Ville de Strasbourg avait, après 1524, accepté nolens volens que quelques institutions religieuses continuent de fonctionner selon l’ancien culte. Mais, en 1592, on assiste à une offensive (dans le contexte de la guerre de succession au trône épiscopal de Strasbourg). Saint-Nicolas-aux-Ondes et la Chartreuse sont en ligne de mire.

24 La Chartreuse de Strasbourg, dans le faubourg extérieur de Koenigshoffen, est une épine dans la chair de la protestante ville de Strasbourg. Après quelques escarmouches23, la Chartreuse subit une véritable attaque de la part de la ville. En quelques heures, les chartreux sont mis dehors et les bâtiments détruits24. On prend le temps, cependant, de dresser un court inventaire. Si le crucifix composé d’un corpus fixé sur bois et avec le titulus ne pose pas question, la description du Corporal permet de comprendre qu’il s’agit d’une bourse pour corporal, ici brodée de perles. Le trésor de la Chartreuse comprend également des voiles d’autel à suspendre autour de l’autel ; ces pièces de tissu intéressent le pasteur de Saint-Pierre-le-Vieux pour le décor de son église. Reste à définir ce qu’est la oschgen häuslein : s’agirait-il d’un petit tabernacle ? La mention de plusieurs cuillers liturgiques est exceptionnelle. Il semblerait que les

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chartreux aient utilisé cet ustensile devenu rare dans les paroisses ou les collégiales. On relève également la distribution de calices à différentes églises : Saint-Pierre-le-Vieux et la cathédrale de Strasbourg, mais aussi Wasselonne et Zehnacker, paroisses de territoires appartenant à Strasbourg.

25 Le couvent de Saint-Nicolas-aux-Ondes accueille des sœurs dominicaines. À leur tête, la prieure Suzanne Braun fait montre d’un esprit pragmatique et se révèle une bonne administratrice. Elle tient registre25 de 1576 à 1592 des objets réalisés et offerts aux visiteurs (dont travaux de broderie, civils ou religieux). Les objets décorés de broderie, certains en perle, montrent que le couvent avait sinon un atelier, du moins les aptitudes nécessaires à la réalisation de tels ornements. Ces cadeaux consistent essentiellement en petits objets de dévotion, non pas en objets liturgiques.

26 Mais en 1592, les sœurs sont menacées d’expulsion. Elles cherchent à évacuer dans un coffre en fer des pièces de prix, dont des pièces d’orfèvrerie venant de Saint-Nicolas ou de Sainte-Marguerite : deux calices dont l’un est orné de pierres, quatre calices en argent doré, un calice en argent blanc, une douzaine de gobelets en argent, trois paires de burettes en argent, une patène en argent, une grande patène et une petite, deux boîtes en argent (des pyxides) dans des étuis, un encensoir en argent dans un étui, une monstrance en argent pour l’autel. De plus, venant de Sainte-Marguerite, un drap d’autel avec décor en perles, un ornement pour la messe avec décor brodé en perles et pierres, d’autres pièces liturgiques appartenant à Saint-Nicolas. Les autorités de Strasbourg leur contestent la disposition de ces pièces26. Le couvent de nonnes de Saint- Nicolas-aux-Ondes de Strasbourg contient encore après 1648 des reliquaires et des objets de dévotion27. Cette année 1592 semble avoir été un temps particulièrement dur, de renforcement de l’hostilité entre les Églises. La guerre des évêques en est l’expression politique.

27 En 1604, alors que le conflit tend vers sa conclusion, est dressé l’inventaire des objets et des vêtements liturgiques conservés à Strasbourg, au Gürtlerhof, à l’usage du grand chœur en charge de la liturgie à la cathédrale, restitués à l’autorité épiscopale en application du traité de Haguenau28. On y trouve un trésor vestimentaire avec des ornements en soie, en velours, des broderies réalisées en soie et en perle. Le service de la cathédrale demandait des ornements de belle apparence.

28 En 1670, l’église Saint-Nicolas-aux-Ondes est victime d’une tentative de vol. Les autorités décident de vider la sacristie de ses effets, ornements et objets, et de les transférer à l’abri chez le schaffner. Après les soubresauts de la fin du XVIe et du XVIIe siècle, on peut constater, à la lecture de la liste des objets, que les placards étaient encore bien pleins. Par ailleurs, la description est assez précise. Malgré la rédaction rapide et truffée d’abréviations de cet inventaire, on distingue nettement, grâce à la précision des notices, un ensemble coloré et dont certaines pièces portent des armoiries de familles strasbourgeoises : les Bock et les Haberer. Les croix portées au dos des chasubles sont brodées, sauf un cas où le motif est composé de galons cousus. Une pièce semble avoir été bigarrée : une chasuble de tissu doré, avec une croix « étroite » et appliquée, dorée et de toutes les couleurs. Les croix dorsales sont le plus souvent brodées. Surtout, des matériaux autres que le taffetas, le satin ou le velours de soie sont cités : laine, coton (Baumwollen), Sarrasin. In fine sont regroupés des objets de dévotion : paternoster, représentation des saintes femmes au matin de Pâques. Les pièces d’orfèvrerie sont, pour la plupart en cuivre ou en argent doré. Évidemment, leur origine de fabrication n’est pas précisée. On note que les pasteurs protestants sont

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intéressés par les calices. Les monstrances sont bien là, mais en petit nombre et désormais inutiles. Quant aux autres objets, les reliquaires notamment, ils ne manquent pas à l’appel, mais semblent placés à part. Leur forme est sans doute celle de pièces traditionnelles, comme la main de sainte Attale ou la châsse de la sainte, connue d’après les dessins de Jean-Jacques Arhardt des années 1640. Ces objets sont encore en place, au même titre que la main de sainte Attale qui, elle, est parvenue jusqu’à nous.

Conclusion

29 Destructions et dispersions se rapportent-elles à un cycle de vie et de mort des objets ? Quelques dates ressortent, de différentes natures. Tout d’abord l’année 1525 qui voit la guerre des Paysans éclater et exprimer une violence forte contre les abbayes et les biens ecclésiastiques, de même que contre la dévotion traditionnelle. Les années 1524-1530, correspondant au grand basculement liturgique, n’ont pas vu de destructions massives : lors du changement de rites, on s’est contenté de tirer la porte sur les objets. Leur dispersion n’intervient que tardivement. Les années 1590 sont marquées par une seconde vague contre l’institution catholique : les derniers séquestres interviennent au moment où la reconquête catholique est lancée. Si la guerre de Trente Ans et notamment l’épisode suédois ont marqué les campagnes, Strasbourg a alors dépassé le stade de règlement de la question. Quant à l’édit de Ferdinand II (du 15 décembre 1627) ordonnant la restitution des lieux et des objets au culte catholique, il n’a pas d’impact dans la capitale rhénane.

30 Le fait de vendre, détruire les ornements et objets constitue-t-il une transgression ? C’est, au sens canonique du terme, une profanation. Sans doute l’anticléricalisme et le prosélytisme des premiers temps de la Réforme ont joué à plein. Par la suite, il s’agit sans doute, d’un point de vue plus politique, de liquider une situation de cohabitation gênante, voire dangereuse. Revenons à l’iconoclasme, perçu dans le sens d’un renversement des autels, des statues, de tout ce qui concourt à la vie cultuelle héritée du Moyen Âge. Les ornements et les vases sacrés ne sont pas au centre de ce tumulte, mais bien plus les statues. L’usure des pièces, notamment des tissus, le changement du goût, l’abandon de l’usage et finalement l’œil des amateurs d’antiquités comme Daniel Specklin (qui dessine le buste de saint Arbogast29) ou Jean-Jacques Arhardt (découvrant la châsse de sainte Attale, après 164030) indiquent la fin de ces objets dont si peu de témoignages nous sont parvenus.

NOTES

1. . Marie-José NOHLEN, « Das „Donationsbuch“ des Frauenwerks im Straßburger Münster. Erste Untersuchungsergebnisse», in Laurence BUCHHOLZER-REMY et al., Neue Forschungen zur elsässischen Geschichte im Mittelalter, Freiburg/München, Verlag K. Alber, 2012, p. 73‑84. 2. . René BORNERT, La Réforme protestante du culte à Strasbourg au XVIe siècle, 1523-1598 : approche sociologique et interprétation théologique, Leiden, Brill, 1981, p. 485.

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3. . Frank M ULLER, « L’iconoclasme à Strasbourg, 1524-1530 », in Iconoclasme (catalogue d’exposition), Strasbourg, 2001, p. 84‑89. 4. . Lina BAILLET, « La guerre des paysans. Un cas de conscience dans la famille de Ribeaupierre », Bulletin philologique et historique (actes du 92e Congrès national des Sociétés savantes tenu à Strasbourg et Colmar), vol. 1, 1967, Paris, 1969, p. 403 et 433. 5. . Archives départementales du Bas-Rhin (ADBR), 3 B 900, paragraphes 20 et 22. 6. . Sabine de RAGUENEL, « La guerre des paysans à Sélestat : le témoignage de Paul Voltz, abbé de Honcourt », Annuaire de Sélestat, 2007, p. 105‑120. 7. . ADBR, G 1526/15. 8. . Jean WIRTH, Luther, étude d’histoire religieuse, Genève, Droz, 1981, p. 51‑53. 9. . Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg (AVES), 1 AH 159, fol. 24 ro. Merci à Louis Schlaefli pour cette indication. 10. . AVES, II 70a/1. 11. . AVES, II 49/10. 12. . AVES, II 61/3. 13. . AVES, 1 AST 16/70. 14. . François-Joseph FUCHS, Histoire de la paroisse Saint-Pierre-le-Jeune : le Chapitre Saint-Pierre-le- Jeune (1031-1791), éd. de la paroisse, 1993. 15. . Le chapitre Saint-Pierre-le-Jeune continue d’exister et ses membres ont le droit de résider en ville s’ils acquièrent le droit de bourgeoisie. Ils peuvent célébrer les offices catholiques mais sans aucune action pastorale, donc en privé, selon un accord passé à Sélestat entre le chapitre et le gouvernement de la ville. 16. . AVES, II 18/2. 17. . AVES, II 18/3. 18. . AVES, II 13b/9. 19. . AVES, V 91/1. 20. . AVES, II 11/7. 21. . Au début de la guerre de Passau, les troupes levées par Léopold d’Autriche pour aller aider l’empereur Rodolphe menacé par son frère l’archiduc Matthias, traversent et malmènent l’Alsace. 22. . Archives départementales du Haut-Rhin (ADHR), 1 C 8656 : inventaire de l’abbaye de Munster en 1554 (dressé à la mort de Pierre d’Apponex). 23. . AVES, IX 3/2. En 1540, un procès est intenté par les prieurs des Chartreux de Mayence et de Strasbourg contre la ville de Strasbourg au sujet de mesures de coercition prises contre les Chartreux et de la saisie par Daniel Mueg de 1600 florins et d’objets du culte (ciboires, argenterie, ornements). 24. . AVES, II 29a/3. 25. . AVES, II 39/20. Thomas LENTES, « Mit Bildgeschenken gegen die Reformation: Das ‚Geschenkbuch‘ der Dominikanerinnen von St. Nikolaus in undis aus Straßburg (1576 - 1592). Ein Editionsbericht », in Jean- Claude SCHMITT, dir., Femmes, art et religion au Moyen Âge, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2004, p. 19‑33. 26. . AVES, II 39/10. 27. . AVES, II 43/9. 28. . ADBR, G 3112. 29. . AVES, 6 R 23. 30. . Dernière mise au point sur les dessins de Jean-Jacques Arhardt : Louis SCHLAEFLI, « Un dessin inconnu de Jean-Jacques Arhardt : l’intérieur de l’église Saint-Étienne de Strasbourg en 1670 », Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire, no59, 2016, p. 117‑123.

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RÉSUMÉS

La décennie 1525-1535 est marquée par l’abandon des rites catholiques traditionnels et par l’adoption d’une forme cultuelle nouvelle, marquée par la simplicité. Quelles destinées ont connu les objets présents dans les sacristies alsaciennes au moment de la Réforme ? On soupçonne volontiers les crises iconoclastes d’avoir vidé les placards et les autels. Cependant, à la lecture des inventaires, on perçoit tout d’abord une importance certaine du nombre des objets et des ornements au moment de l’irruption de la Réforme, mais un long processus de désagrégation de ces collections, selon l’histoire particulière de chaque institution prise en compte. (Benoît Jordan).

During the 1525-1535 decade traditional Catholic rites were replaced by new, deliberately more sober celebration patterns. What happenend to ceremonial objects in Alsatian church vestries during the Reformation? Some iconoclastic episodes may have emptied closets and altars. However, when reading church inventories, one can notice the large number of liturgical objects and vestments presen at the time of the Reformation, but also that these collections gradually disappeared, depending on local situations. (trad. Pierre Boulay).

Das Jahrzehnt 1525-1535 ist gekennzeichnet durch die Aufgabe der traditionellen katholischen Riten und durch eine neue Gestaltung des Gottesdienstes, die sich durch ihre Einfachheit auszeichnet. Was ist aus den Gegenständen geworden, die in den Sakristeien zur Zeit der Reformation vorhanden waren? Der Verdacht liegt nahe, dass bei bilderstürmerischen Ereignissen die Altäre und Schränke geleert wurden. Beim näherem Hinschauen auf die Inventare, stellt man fest, dass bei Beginn der Reformation, eine große Anzahl von Objekte und Ornamente vorhanden waren und, dass diese Sammlungen einen langsamen Prozess der Auflösung über sich ergehen lassen mussten, je nach Einzelschicksal der verschiedenen Institutionen. (trad. René Siegrist).

AUTEUR

BENOÎT JORDAN Docteur de l’EPHE, mention « religions et systèmes de pensée », conservateur aux Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg

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« La cité de Dieu sur terre » Strasbourg en 1616 “The city of God on earth”: Strasbourg in 1616 „Gottlob das ich lutherisch bin”: Straßburg im Jahre 1616

Claude Muller

1 Lorsque Thomas Coryat (1577-1617), un voyageur anglais originaire du Somerset, passe à Strasbourg en 1608, deux monuments l’interpellent particulièrement : la flèche de la cathédrale et l’horloge astronomique, œuvre des frères Habrecht et du mathématicien Conrad Dasypodius. « Ce sont les fabriques les plus incomparables et non pareilles de toute la chrétienté, aucune cité en Europe n’offrant leurs semblables », s’extasie-t-il. Il poursuit allègrement : Je commencerai par la tour considérant qu’elle est la plus belle des deux. À coup sûr, elle est, et de beaucoup, le plus exquis ouvrage de ce genre aussi bien pour sa hauteur que pour la rare curiosité de son architecture, si bien que ni la France, ni l’Italie, ni aucune cité de Suisse ou de la vaste Germanie, ni d’aucune province dans les limites du monde chrétien n’en peuvent montrer de pareille... J’attribue tant de prix à cette tour que je l’estime une des principales merveilles de la chrétienté1.

2 Quant à la description, beaucoup plus longue et plus détaillée, qu’il donne de l’horloge de la cathédrale, elle se termine de la sorte : « C’est le Phénix de toutes les horloges de la chrétienté, car elle passe d’autant toutes les horloges que j’avais pu voir auparavant. » Thomas Coryat décrit encore l’arsenal, armoury, le plus beau de toute la Germanie après celui de Dresde, selon lui. Il note que « la plupart des maisons sont bâties de bois, leurs deux pignons sont pourvus de créneaux qui donnent aux demeures bien de la grâce et de l’ornement » et que sur la façade d’une maison privée « quinze des premiers empereurs romains sont peints fort galamment. » Passons rapidement sur l’abattoir, l’un des plus beaux rencontrés pendant son voyage et terminons par les Strasbourgeoises : « Les femmes tressent leurs cheveux en deux longues tresses pendantes sur leurs épaules. La plupart d’entre elles, surtout les matrones, portent de longs chapeaux de velours noirs. »

3 Douze ans plus tard, en 1620, le diplomate futur homme d’État néerlandais Constantijn Huyghens (1596-1687) passe par Strasbourg dans le cadre de son Cavalierstour.

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Strasbourg est une des plus belles, riches et magnifiques villes de l’Allemagne, voire des plus grandes et des mieux aérées, à force belles rues, larges et droites, qui, par la suite de grandes maisons de gentilhommes, riches marchands et autres, se rendent aucunement pareilles à celle d’Anvers2. »

4 Les deux voyageurs, le premier anglais, le second hollandais, partagent, un peu avant 1616 et un peu après 1616, le même enthousiasme pour la découverte de l’urbanisme et des monuments strasbourgeois, mais ils n’en soulignent pas l’étrange, généralement consigné par un étranger, car ils ont quelque chose de commun avec cette ville, qu’un Français, par exemple, ne saurait partager. Tous deux sont protestants et, parce qu’ils sont de cette confession, n’insistent pas sur cette particularité. Or c’est bien cette spécificité qui marque la ville.

Le poids de l’ordonnance ecclésiastique, Kirchenordnung, de 1598

5 Au même titre qu’Augsbourg ou Genève, Strasbourg doit en effet être considéré comme un épicentre de la Réforme naissante au XVIe siècle. Le protestantisme, plutôt luthérien que calviniste, a bientôt droit de cité dans la ville ou, mieux écrit, devient l’identité de la ville. Le symbole de ce bouleversement confessionnel consiste en la suppression du culte catholique dans la cathédrale et son remplacement définitif par le culte luthérien en 1561. L’ordonnance ecclésiastique3 de 1598, succédant à d’autres, régit désormais la ville, vingt mille personnes et quatre mille maisons, où s’impose un ordre céleste sur terre4.

6 L’organe spécifique, créé en 1534 et repris en 1598, chargé de régler les questions relatives au fonctionnement de l’Église protestante de la ville ainsi que des paroisses du territoire rural de Strasbourg – car la ville est seigneur –, se nomme le Convent. Il se réunit chaque jeudi pour traiter les questions ecclésiastiques comme la liturgie, les questions d’actualité ayant une incidence religieuse, les conflits, les problèmes liés à la politique du Magistrat, la répartition des offices particuliers, les affaires disciplinaires et celles concernant la formation religieuse de la jeunesse5.

7 Le Convent, collégial, est composé de trois laïcs, appelés Kirchenpfleger issus des sept paroisses urbaines (cathédrale, Saint-Thomas, Saint-Pierre-le-Vieux, Saint-Pierre-le- Jeune, Saint-Guillaume, Saint-Nicolas, parfaitement délimitées) à tour de rôle, de sept Oberkirchenpfleger, issus des Conseils des XIII et des XV, de sept Kirchenpfleger échevins et des sept issus des bourgeois les plus estimés de chacune des sept paroisses. Chaque église utilise trois administrateurs, dont l’un est tiré de la Magistrature perpétuelle, le deuxième du collège des échevins, le troisième des notables de la paroisse.

8 Ce même Convent fixe les tâches pastorales, auxquelles le pasteur 6, un kirchendiener, ministre du culte, doit se conformer impérativement et scrupuleusement : la prédication ou annonce de la Parole, la pédagogie soit l’enseignement des bases de la doctrine, ainsi que le réconfort des fidèles et la surveillance des mœurs. À chaque vacance de poste, le Convent propose trois ou quatre candidats qu’il juge qualifiés. Le Magistrat accepte ou non les candidats proposés, puis ceux-ci font un culte d’essai, où le sermon constitue l’épreuve principale, semblable à un examen. Les notables procèdent ensuite à l’élection en présence des délégués du Magistrat, des trois Kirchenpfleger paroissiaux et du président du Convent. L’élection est alors ratifiée par le

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Magistrat (élection de Schaller à la cathédrale en 1612, 160 votants, de Cottler à Saint- Pierre-le-Jeune en 1618, 175 votants).

9 Non seulement le Convent se charge de recruter les pasteurs, mais il règle leur service7. Il fixe les grandes lignes des prédications à prononcer le dimanche suivant, afin de les rendre concordantes dans les diverses paroisses, ce qui témoigne d’une volonté d’unité malgré la diversité des lieux de culte. Chargé de maintenir la discipline dans le corps pastoral, il transforme quelque peu les pasteurs en fonctionnaires orthodoxes et zélés. Au total, le Convent devient peu à peu un groupe de pression sur le Magistrat, organe politique de la ville, mais il serait exagéré de dire qu’il prend le pas sur lui.

10 La vie à Strasbourg s’appuie en premier lieu, en 1616, sur la paroisse – au nombre de sept, rappelons-le. La paroisse8 constitue pour la Strasbourgeoise ou le Strasbourgeois le cadre de vie normal et journalier. On naît, travaille, vit en principe à l’ombre de l’église qui accueille la communauté des fidèles les dimanches et jours de fête. L’accueil à l’église ressemble d’ailleurs plus à une invitation pressante, à laquelle il paraît difficile de se dérober, parochial zwang. Parmi leurs missions, les Kirchenpfleger, aussi curateurs, se doivent de faire respecter le culte paroissial. Les pasteurs ne se fient pas trop à ceux qu’ils ne voient jamais. Celui de Saint-Thomas, après la visite d’un journalier, note : « Je l’ai interrogé sur la pratique de la Cène. Il a reconnu ne plus l’avoir reçue depuis plusieurs années par légèreté, mais il a promis de la recevoir. Il affirme se rendre à la cathédrale, ce que j’admets volontiers, ne serait-ce que pour qu’il entende la parole de Dieu avec envie et ardeur et l’accepte pour s’améliorer. » Appliquant par là un usage admis en contradiction avec la règle écrite dans l’ordonnance : « Chacun sera libre d’aller au prêche, de recevoir les sacrements là où ils le trouveraient plus agréable et plus profitable. »

11 Intéressons-nous plus particulièrement à la cathédrale9, dont la paroisse, la plus riche, donne le tiers des sommes à l’Église luthérienne strasbourgeoise. Le service paroissial y est assuré par trois pasteurs. Les prédications sont faites par le prédicateur titulaire de la chaire de Geiler10 et deux prédicateurs suppléants. Notons qu’en 1616, aucun des ecclésiastiques n’a franchit la ligne du temps, l’histoire n’ayant retenu que Johann Marbach11 (1521-1581) et Johann Pappus 12 (1549-1610) antérieurement et Johann Schmidt13 (1594-1658) qui accompagne en France en 1616 le fils du Stettmeister Buob et Johann Conrad Dannhauer14 (1603-1666) postérieurement.

12 À la cathédrale, les pasteurs suivent la même liturgie que dans les six autres paroisses strasbourgeoises. Proche de celle du Wurtemberg, elle est plus simple que celle en usage dans d’autres Églises luthériennes. Elle prévoit, au début du culte principal, la confession des péchés et l’absolution. Le dimanche matin sont célébrés d’abord deux cultes : le Frühgebet, à quatre ou cinq heures selon la saison, destiné surtout aux domestiques, puis la Amtpredigt, à sept ou huit heures, avec célébration de la Cène. Dans ces deux offices, la prédication porte sur l’Évangile du jour. Le troisième office, la Mittagpredigt, est célébré à onze heures ou midi. Vers quinze ou seize heures, selon la saison, se déroule un dernier office présidé à tour de rôle par l’un des pasteurs de la ville. La prédication y porte sur les Épîtres.

13 Notons une particularité strasbourgeoise. Le texte de l’ordonnance de 1598 réfute l’opinion selon laquelle « le chant et le jeu d’orgue ne seraient que du levain papiste. » Il affirme que la Bible incite à chanter : « Quant à la musique figurée et au jeu d’orgue, l’expérience nous apprend qu’ils encouragent et rafraîchissent le cœur et les âmes des auditeurs, incités à louer Dieu joyeusement avec leur bouche et leur chant. » Si l’orgue

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doit préparer le chant, après le culte l’organiste peut exécuter d’autres pièces et faire jouer des motets, même en latin.

14 Insistons sur le cantor et compositeur strasbourgeois Christoph Thomas Walliser 15 (1568-1648), la personnalité musicale marquante de la ville dans la première moitié du XVIIIe siècle. Chargé de la direction des chœurs pour le culte du dimanche après-midi à la cathédrale, il déploie une belle activité qui connaît son apogée dans les années 1610. Il introduit des instruments et de la polyphonie vocale, malgré une opposition de fidèles. Le chant monodique de l’assemblée alterne avec le chant d’un chœur avec ou sans instrument. Ainsi les paroles sont entendues et le contenu du psaume n’est pas amputé d’une partie de son sens.

15 Terminons par le catéchisme16. Il est toujours lu en entier. Ensuite on examine les enfants sur ce qu’ils ont appris pendant la semaine avec leurs parents ou à l’école. Pour cet examen, les enfants sont répartis selon leur âge en quatre groupes, dans lesquels ils récitent leur leçon à des étudiants boursiers, chargés de ce service. Les plus jeunes apprennent le Décalogue, le Credo et le Notre Père. Les explications de Luther viennent s’ajouter dans le deuxième groupe. Dans le troisième, les catéchumènes apprennent en plus les versets bibliques et les devoirs de tous les membres de la communauté familiale et civique. Dans le quatrième, les enfants doivent pouvoir réciter les psaumes et les périscopes des Évangiles et des Épîtres pour les cinquante deux dimanches de l’année.

16 Le premier dimanche du trimestre, les enfants doivent réciter le catéchisme d’un bout à l’autre, ce qui donne aux plus zélés d’entre eux l’occasion de briller et d’être notés pour une récompense. La distribution des prix a lieu à Noël, où les lauréats sont appelés à réciter des versets bibliques concernant la fête et reçoivent une pièce d’argent ainsi qu’un petit livre. L’exigence tend à l’excellence.

Servir Dieu et la Cité

17 En 1616, le personnage politique le plus important de Strasbourg se nomme Christoph Staedel17. Il est l’Ammeister ou ammeistre en place pour une année, succédant à Peter Storck en fonction en 1614 et à Ulrich Mürsell en place en 1615. Rappelons rapidement son curriculum vitae ou Lebenslauf. Né à Strasbourg en 1560, fils d’un membre du Conseil des XV, époux en premières noces d’une fille d’un membre du Conseil des XV et en secondes noces d’une veuve d’un membre du Conseil des XIII, il étudie au Gymnase, puis part en voyage en Allemagne, en France et en Italie. Après son retour à Strasbourg, il est élu échevin en 1585, membre des XV en 1593, membre des XIII en 1596. Puis il devient Ammeister en 1604, 1610 et 1616. Administrateur de la chartreuse, de l’abbaye Saint-Étienne et de l’hospice des pauvres passants, il est chargé, à plusieurs reprises, de missions diplomatiques auprès de l’administration épiscopale à Molsheim en 1600, à la diète de Spire en 1600, à Worms en 1601, 1602 et 1606, à Fribourg en Brisgau en 1611.

18 Le parcours de Staedel nous indique la composition du millefeuille institutionnel strasbourgeois au début du XVIIe siècle18. À la base de la pyramide, vingt corporations de métiers élisent trois cent échevins, d’où sont issus les Conseils. Le Conseil des XXI s’occupe de la vie quotidienne. Celui des XV, Funfzehnte, se charge des questions relatives à la justice et aux finances. Celui des XIII, Dreizehnte, veille sur les affaires diplomatiques et militaires. Il est composé de douze membres et de l’Ammeister. L’ensemble des trois conseils et de l’Ammeister19 forment le Magistrat, gouvernement plus oligarchique que « républicain », en tout cas non monarchique. Cette organisation

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pyramidale permet aux grandes familles patriciennes strasbourgeoises de détenir les pouvoirs.

19 Si la Réforme induit de nouvelles relations entre l’Église et le pouvoir civil, les ministres du culte avaient écrit en 1584 au Magistrat qu’ils le reconnaissait non seulement comme autorité, mais comme père. En 1591, le débat est clos : le Magistrat est le surintendant de son Église, ce qui n’empêche pas que l’Église ne devienne la conscience morale de la cité. Les membres du Magistrat et ceux de l’Église luthérienne partagent la même idée que tout pouvoir trouve sa source en Dieu. La fidélité à la tradition paulinienne et la reconnaissance du rôle historique des laïcs dans l’avènement de la Réforme expliquent que le clergé n’ait pas contesté les fondements de l’autorité politique20. Néanmoins tout est question, comme toujours, d’équilibre.

20 Sans cesse les faux dieux de l’argent, de la chair et de l’idolâtrie sont combattus par les constructeurs de la cité divine, en s’appuyant sur Paul, Corinthiens I, 6 et Galates, 5-19. Le pasteur de Saint-Pierre-le-Vieux était même allé jusqu’à dénoncer, comme jadis les prophètes, l’inconduite du Magistrat en 1582. Les usuriers et les spéculateurs sont honnis, par l’ensemble du corps pastoral, entre 1602 et 1605. La police des mœurs, ici comme ailleurs, suscite une abondante réglementation. Dès 1570, mais sans succès, l’É glise luthérienne préconise la fin de l’immoralité, de la prostitution, de la fornication et de l’inceste, sinon Strasbourg subirait le châtiment de Sodome et Gomorrhe (Genèse, 19, 1-29). Mais elle ne fait pas, curieusement, le lien entre les chertés et les soucis évoqués.

21 Bien entendu, le Convent ne cesse de se prononcer pour une rigoureuse sanctification du dimanche, ce qui explique, les très sévères et récurrentes condamnations, suivant la tradition biblique, de l’ivrognerie, des ripailles, des jeux et des danses. Maintes fois, le pasteur tonne contre les cris des jeunes gens ou le bruit du tombereau qui perturbe le silence indispensable au recueillement, ou plus encore à l’écoute du prêche. La présence des saltimbanques, au moment des foires, dérange aussi le catéchisme. Le corps pastoral constate avec amertume l’attrait des loisirs, tels la baignade, le jeu de quilles et les rondes. Cette dernière activité, bien qu’interdite en 1580, ne s’arrête jamais. Au moment de juin 1615, environ quatre à six cents jeunes hommes et jeunes femmes folâtrent sur les prés devant les portes de la ville. Le clergé réclame souvent un rigorisme moral lors des fêtes et des mariages. Déjà, en 1616, et avant la Kleiderordnung, il est question de fixer les règles de l’habillement et de combattre l’orgueil vestimentaire, comme à Francfort ou Nuremberg.

22 Le remodelage de la société profane prépare, aux yeux de pasteurs, l’avènement de la cité céleste. Tous les Kirchendiener restent convaincus que les principales difficultés disparaîtraient le jour où la communauté des habitants vivrait dans l’unité de la foi. Beaucoup d’historiens du XIXe siècle ont souligné que la publication de l’Ordonnance ecclésiastique de 1598, correspond à la phase d’un luthéranisme triomphant devenant intolérant. Cette Église, définitivement établie, ne cesse alors de combattre les autres formes vivaces du protestantisme. La fermeture d’établissements religieux en 1592 paraissait signifier que « l’idolâtrie papiste » était définitivement moribonde.

23 Malgré cette suite de tracas, l’unité entre l’État et l’Église est affirmée à l’occasion des cérémonies traditionnelles de l’installation du nouveau Magistrat21. La Kirchenordnung de 1598 réitère et rappelle à tout un chacun que, chaque année, au lendemain du Schwoertag, c’est-à-dire le serment de fidélité des bourgeois, les autorités politiques et tous les employés de la ville se rendent en procession de la Pfalz, autrement dit la

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chancellerie, à la cathédrale pour assister à la grosse Rathspredigt, soit le prêche solennel pour le Magistrat. La présence au culte, où l’on rend grâce à Dieu d’avoir préservé la ville de tout mal, est obligatoire.

24 Le président du Convent prononce le sermon, si important qu’il est porté dans les procès-verbaux du Conseil des XXI. Un thème permanent est la fin de l’idolâtrie et de l’immoralité. Le prédicant, dans son homélie, choisit son sujet dans les récits des rois bibliques, des psaumes et des épîtres de saint Paul. Le songe de Nabuchodonosor et son interprétation par le prophète Daniel inspirent aussi bien Johann Pappus que Johann Christoph Carolus ou Johann Schmidt. En règle générale, le thème de la vertu caractérise les sermons de l’installation du Magistrat.

25 Ouverture et fermeture de cette cité céleste sur terre se retrouvent dans quelques points de société. Les débats font rage à cette époque entre mendicité mal vue et charité nécessairement évangélique22. En 1616, par exemple, les responsables strasbourgeois proposent l’admission à l’orphelinat des enfants qui accompagnent les mères malades ou enceintes. Ils désapprouvent la réforme de l’auberge des pauvres, Elendenherberg, qui ne garde plus les femmes accouchées – une centaine –, ni les enfants misérables, nackende Buben. Dans le même temps, les Kirchenpfleger veulent empêcher les enfants pauvres de mendier, les aubergistes sont tenus de faire parvenir la liste de leurs hôtes chaque soir à l’Ammeister et l’étranger doit solliciter le droit de séjour. Et lorsque le passementier Triponet, sollicite, toujours en 1616, le droit de bourgeoisie après quatorze ans de présence dans la ville, le Magistrat, bien que reconnaissant qu’il est un compagnon « zélé et pieux », refuse provisoirement la bourgeoisie à « ce calviniste ».

26 Un mot encore pour évoquer l’imprimerie typographique. On en comptait 61 à Strasbourg en 1458, 106 à Cologne en 1464, 86 à Nuremberg en 1470. Strasbourg occupe donc, à la fin du XVe siècle, le troisième rang urbain dans les pays de langue germanique23. Un siècle et demi plus tard, la situation s’est un peu détériorée. Dix imprimeurs seulement emploient vingt‑trois compagnons, mais seulement six fonctionnent à Francfort et quatre à Bâle24. À côté des imprimeurs, citons des éditeurs- libraires, dont le plus important est Lazare Zetzner25, né à Strasbourg le 3 mai 1551, héritier pour un tiers de la succession de son oncle l’ingénieur Daniel Specklin26, décédé à Strasbourg le 10 février 1616, au moment où paraît l’un de ses derniers ouvrages Les Noces Chymiques de Christian Rosenkreutz.

27 Au moment du décès d’un homme et de la naissance d’une œuvre, Strasbourg apparaît encore comme la clef du Rhin, où sont publiés « les plus beaux ouvrages de l’Allemagne ». La ville fête, en 1617, le jubilé, autrement dit le centenaire de l’affichage des 95 thèses de Martin Luther. Le chroniqueur des dominicains de Guebwiller note à ce propos27 : « Messieurs les luthériens ont célébré leur première année jubilaire avec des manifestations de joie. Car il y a juste cent ans que leur grand prophète et patriarche Martin Luther, parjure ou renégat, a quitté le couvent et renié l’Église catholique. »

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NOTES

1. . André KOSZUL, « Crudités de Thomas Coryat, hâtivement avalées, au cours de cinq mois de voyages en France, Savoie, Italie, certaines parties de Haute Allemagne et de Néerlande », La vie en Alsace, 1929, cité par Roland RECHT, « La vie artistique à Strasbourg », in Georges LIVET et Francis RAPP (dir.), Histoire de Strasbourg, Strasbourg, Éditions Istra, 1981, t. II, p. 607. 2. . Rodolphe REUSS, L’Alsace au XVIIe siècle, Strasbourg, 1897, t. I, p. 418, note 1. On peut aussi consulter Paul FRITSCH, Die Strassburger Chronik des Johannes Stedel, Strasbourg, 1934, p. 146-161. 3. . Kirchen Ordnung wie es mit der Lehre Göttliches Worts und der Ceremonien auch mit andern dazu nothwendigen Sachen. In der Kirche zu Straßburg bis hieher gehalten worden und fürhin mit Verleihung Göttlicher Gnade gehalten werden soll, Jost MARTIN, 1598. Édition remaniée en 1670. Voir Emil SEHLING, Die evangelischen Kirchenordnungen des XVI Jahrhunderts, t. XX, Strassburg et Elsass, 1899. 4. . Jean-Pierre KINTZ, « Église et société strasbourgeoise du milieu du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle », Annuaire de la Société des Amis du Vieux Strasbourg, 1983, p. 33-67. 5. . Bernard VOGLER, « Convent », in Dictionnaire historique des institutions de l’Alsace (DHIA), no4, 2011, p. 456. 6. . Bernard VOGLER, « Corps pastoral », in DHIA, no4, 2011, p. 463. 7. . Bernard VOGLER, Le clergé protestant rhénan au siècle de la Réforme (1555-1619), Strasbourg, 1976. 8. . Jean-Pierre KINTZ, La société strasbourgeoise (1560-1650), Strasbourg, 1981, p. 103-108. Voir aussi Thimotheus RÖHRICH, Mitteilungen, Strasbourg, 1855, p. 258-261. Description de 1570 et Thimotheus RÖHRICH, Geschichte der Kirche Sankt-Wilhelm, Strasbourg, 1856, p. 57‑58. 9. . Marc LIENHARD, « La cathédrale de la Réforme », in Joseph DORÉ (dir.), Strasbourg, la grâce d’une cathédrale, Strasbourg, Éditions La Nuée Bleue, 2007, p. 357-367. 10. . Francis RAPP, « Jean Geiler », in Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne (NDBA), no12, 1988, p. 1136-1139. 11. . Bernard VOGLER, « Johann Marbach », in NDBA, no25, 1995, p. 2 514. 12. . Bernard VOGLER, « Johann Pappus », in NDBA, no29, 1997, p. 2942. 13. . Jean-Pierre KINTZ, « Johann Schmidt », in NDBA, no33, 1999, p. 3478. 14. . Werner WESTPHAL, « Johann Conrad Dannhauer », in NDBA, no7, 1985, p. 576. 15. . Beat A. FÖLLMI, « Christoph Thomas Walliser », in NDBA, no39, 2002, p. 4 079‑4 080. 16. . Henri STROHL, Le protestantisme en Alsace, 2e édition, Strasbourg, 2000, p. 92‑93. 17. . Jacques H ATT, « Une famille d’Ammeister strasbourgeois : les Staedel », in La bourgeoisie alsacienne : études d’histoire sociale, Strasbourg-Paris, 1954, p. 225-231 ; François Joseph FUCHS, « Christoph Staedel », in NDBA, no35, 2000, p. 3 719. 18. . Paul GREISSLER, La classe politique dirigeante à Strasbourg (1650-1750), Strasbourg, 1987, 302 p. 19. . Paul GREISSLER, « Ammeister », in DHIA, no1, 2010, p. 43. 20. . Jean-Pierre KINTZ, « Église et pouvoir politique dans les territoires protestants de l’Alsace (1525-1650) », in Églises, États, Nations : XVIe-XVIIIe siècle. 2 (= Actes du 3e colloque Poznań- Strasbourg, 1983), Strasbourg, 1985, p. 105-134. 21. . Jean-Pierre KINTZ, « Élites et pouvoirs politiques à Strasbourg au milieu du XVIIe siècle », Annuaire de la Société des Amis du Vieux Strasbourg, 1981, p. 25-48. 22. . Jean-Pierre KINTZ, « Strasbourg cité refuge : mendiants, fugitifs, exilés », in Jean-Pierre KINTZ et Georges LIVET (éd.), 350e anniversaire des traités de Westphalie (1648-1998) : une genèse de l’Europe, une société à reconstruire (= Actes du colloque international, Strasbourg, 1998), Strasbourg, 1999, p. 467-515. 23. . Jean-Pierre KINTZ, La société strasbourgeoise…, op. cit., p. 420.

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24. . Jean-Pierre KINTZ, « XVIIe siècle : du Saint-Empire au Royaume de France », in Georges LIVET et Francis RAPP (dir.), Histoire de Strasbourg…, op. cit., t. III, p. 44. 25. . François Joseph FUCHS, « Lazarus Zetzner », in NDBA, no41, 2003, p. 4368. Voir aussi W. LIST, « Zur Strassburger Buchdrucker Geschichte Lazarus Zetzner und seine Familie », Zentralblatt für Bibliothekwesen, 4, 1887, p. 299-301. 26. . Bernhard , « Daniel Specklin », in NDBA, no35, 2000, p. 3 685-3 687. 27. . Philippe LEGIN (dir.), Chronique des dominicains de Guebwiller, Guebwiller, 1994, p. 229. Traduit du latin. Notons qu’à Strasbourg, en 1616, les actes des conseils sont rédigés en allemand. Le français est enseigné au Gymnase dès la dixième, « afin de rendre les élèves capables d’écrire couramment et de s’exprimer avec aisance dans cette langue. » Johan Ludwig Hauenreuther, physicien de la ville, écrivait en 1603 au sujet du français : « Celui qui l’ignore devra ou bien se taire ou se résigner à passer pour barbare. » Georg Dietrich, fait remarquer, en 1609, qu’il lit, écrit, parle le français et peut être chargé de la fonction de tonnelier de la ville. Daniel Martin, arrivé à Strasbourg vers 1616, ouvre une école française deux ans plus tard, voir Jean‑Pierre KINTZ, « XVIIe siècle : du Saint-Empire au Royaume de France », in Georges LIVET et Francis RAPP (dir.), Histoire de Strasbourg…, op. cit., t. III, p. 63‑65.

RÉSUMÉS

Un an avant le grand jubilé de 1617, à quoi ressemble Strasbourg ? La ville se caractérise certes comme une cité fière et indépendante, prospère de son commerce rhénan qui irrigue toute l’Europe septentrionale. Toutefois l’identité strasbourgeoise du XVIIe siècle est aussi et surtout religieuse. Le protestantisme a chassé définitivement le catholicisme de la ville et y règne sans partage. Le culte protestant est célébré dans la cathédrale magnifique quoiqu’un peu dépouillée, la morale protestante irrigue toute la société, depuis la naissance des gens jusqu’à leur mort. Strasbourg n’est pas seulement un laboratoire des idées et des convictions luthériennes, elle est encore « la cité de Dieu sur terre ». (Claude Muller).

One year before the great 1617 jubilee, what was the image of Strasbourg? No doubt it was a proud, independent, affluent city with its prosperous commerce on the Rhine spreading to the north of Europe. However, in the 17th century Strasbourg was first and foremost a religious city. Protestantism had successfully done away with Catholicisme and was reigning as an undisputed master. The cathedral, still as beautiful as before, though in a more sober way, was a Protestant worship place and the Protestant ethos had penetrated social life from the cradle to the grave. Not only was Strasbourg a model of Lutheran convictions, it was litterally the “city of God on earth”. (trad. Pierre Boulay).

Wie sieht Straßburg aus ein Jahr vor dem großen Jubiläum von 1617? Die Stadt ist gewiss eine stolze unabhängige Metropole, deren Wohlstand auf den rheinischen Handelsbeziehungen, die ganz Nordeuropa einbeziehen, gründet. Sollte man jedoch die Identität der Stadt im 17. Jhdt. zu charakterisieren versuchen, so treten vor allem die religiösen Merkmale in den Vordergrund. Der Protestantismus hat endgültig den Katholizismus aus der Stadt vertrieben, und herrscht ohne Einschränkung. Der protestantische Gottesdienst wird in der wunderschönen, obwohl zum Teil seiner Kunstschätze beraubten, Kathedrale gefeiert. Die protestantische Ethik prägt die ganze Gesellschaft, von Geburt an bis zum Tode. Straßburg ist nicht nur ein Laboratorium der

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lutherischen Ideen und Überzeugungen, sie ist wohl auch „die Stadt Gottes auf Erden”. (trad. René Siegrist).

AUTEUR

CLAUDE MULLER Professeur et directeur de l’Institut d’histoire d’Alsace de l’Université de Strasbourg

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De l’intérêt de connaître l’allemand et le droit public allemand au XVIIIe siècle Why it was essential to know Germany’s language and public law in the 18th century Von der Notwendigkeit im 18. Jhdt. die deutsche Sprache und das deutsche Recht zu beherrschen

Claude Muller

À la mémoire de Frédéric North (1905-1992), inspecteur laïc à Saint-Guillaume Strasbourg.

C’est sur le bénéfice du traité d’Osnabrück [en 1648]1 qu’on ne donne aucune inquiétude aux luthériens d’Alsace. Comme ils sont tous très attentifs et très défiants, il serait dangereux de les détromper là-dessus. Le seul moyen de tenir l’Alsace peuplée et florissante et en état de fournir au roi les secours qu’on est obligé de lui demander en temps de guerre est de continuer à suivre la conduite qu’on a tenue jusqu’ici de laisser les choses comme elles sont2.

1 Les propos du modéré et compétent intendant d’Alsace, catholique, Nicolas Bauyn d’Angervilliers3, en fonction de 1716 à 1724, datent du 25 août 1722, quelques temps après la guerre de Succession d’Espagne. Ils rappellent une situation spécifique de l’Alsace au sein de l’espace monarchique français. Les protestants alsaciens, tant luthériens que calvinistes, peuvent y exercer leur religion, grâce aux garanties données par les traités de Westphalie. Ils ne sont donc pas concernés par la révocation de l’édit de Nantes, imposée par Louis XIV en 1685.

2 Alors que le catholicisme constitue la religion d’État et que le protestantisme en vieille France se doit de disparaître, ce dernier subsiste en Alsace, ce qui ne cesse de compliquer la tâche des divers administrateurs qui se succèdent dans la province. Lorsque la question confessionnelle touche les calvinistes d’Oberseebach4 et de

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Schleithal en 1754, l’intendant Jacques Pineau de Lucé5, en fonction de 1752 à 1754, catholique, ose : La disposition du traité de Munster s’applique aussi bien à la religion luthérienne qu’à la calviniste. Mais je pense, en même temps, que cette réflexion, quoique bonne, serait fort dangereuse à rendre publique. Il ne faudrait ne jamais écouter les calvinistes de toutes leurs demandes sur le fait de l’exercice de leur culte6.

3 Tout est dit, par cette réflexion risquée, sur la politique française en Alsace au XVIIIe siècle : d’un côté respecter tant bien que mal le droit, de l’autre faire avancer les intérêts – y compris confessionnels – de la monarchie au gré des circonstances7.

4 Mais pour respecter le droit, encore faut-il le connaître. Et l’État français, qui, en ce doux siècle, lorgne encore beaucoup le Saint-Empire romain germanique en vue d’une hypothétique expansion, doit utiliser des gens compétents, tant en allemand qu’en droit public allemand. D’où la nécessité d’employer au ministère des Affaires étrangères à Versailles, des luthériens alsaciens, au mieux une curiosité, au pire une anomalie8. La présence de ces personnes qualifiées au sein de l’administration n’est pas sans conséquences sur le contexte régional9.

Jean Daniel Schoepflin, l’historiographe du roi

5 « Le département [des Affaires étrangères] n’est occupé que par des luthériens comme Schoepflin10 », fulmine, le 3 juin 1751, François Joseph de Klinglin11, le très catholique préteur royal de Strasbourg. L’homme du roi dans la ville ne trouve pas de mots assez durs pour critiquer l’illustre historiographe du roi, l’accusant même de « fomenter une sorte de petite république, indépendante et récalcitrante dans l’université de Strasbourg12 ». Qui est donc cet homme vilipendé par Klinglin ? Né à Salzburg, dans l’actuel Bade-Wurtemberg, Schoepflin devient professeur d’histoire rhétorique à l’université [luthérienne] de Strasbourg, acquérant très rapidement un renom dans la république des lettres. Il est aussi appelé à résoudre des questions politiques et diplomatiques en étant médiateur entre la ville de Strasbourg et le margrave de Baden- Baden en 1738 ou entre le prince-évêque de Strasbourg et la cour impériale la même année. Pour avoir soutenu par un traité, Les Armes du Roy, les positions de Versailles dans la guerre de Succession de Pologne en 1734, il est nommé, en 1740, conseiller et historiographe du roi.

6 Le 24 avril 1751, Jean Daniel Schoepflin rend compte à Versailles de manœuvres contre l’université de Strasbourg13 : Ce corps [l’université protestante] a pourvu à la religion dominante [le catholicisme] en établissant dans la même ville une université catholique réunie au collège des jésuites. Depuis ce temps là les deux universités vivent jusqu’ici dans la plus heureuse union. Elles n’ont rien de commun entre elles. Au milieu de ces circonstances, le magistrat catholique de Strasbourg s’élève aujourd’hui contre nous et prétend que nonobstant qu’il y ait un professeur de droit canon à l’université, la nôtre doit aussi recevoir de ses mains un professeur catholique du même droit. Ce magistrat vient de nous faire cette déclaration par la bouche de celui que le roi a constitué gardien de nos privilèges. C’est le préteur royal lui- même qui nous l’a annoncé après que nous avions réclamé en vain sa protection et le prier enfin de rester neutre.

7 Schoepflin glisse discrètement14 :

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L’auteur responsable de troubles est un abbé ex-jésuite [non cité] qui vient de se faire relever par la Cour de Rome de ses derniers vœux, méprisé de ses anciens confrères et de tout le public par la vie scandaleuse qui lui a attiré l’interdiction du suffragant.

8 La lettre de Schoepflin précède de peu la protestation du magistrat protestant le 26 avril 175115, une supplique catholique16 et une première lettre de Klinglin 17. Ce dernier supplie Versailles de favoriser le magistrat catholique « pour le bien de la religion dominante ». Une deuxième missive suit. C’est un brûlot.

9 Le 3 juin 1751, le préteur de Strasbourg, François Joseph Klinglin rend compte à Versailles18 du « départ précipité et irrégulier que Jean Daniel Schoepflin, professeur d’histoire et d’éloquence à l’université de Strasbourg, a fait depuis quelques jours d’ici pour Paris ». Le préteur fustige aussitôt le caractère, le génie et « les apparences illusoires du mérite de ce sujet ». Il dit ensuite son désamour. Klinglin affirme qu’il a d’abord soutenu Schoepflin : « Je l’ai fait combler de biens par la multiplication des postes que le magistrat lui a départi. » Puis débute la charge : « Schoepflin s’est livré à des dissipations de toutes espèces notamment en des repas […] avec des supposés beaux esprits, mais au fond fainéants. » Les calomnies se poursuivent : « Pendant les guerres, Schoepflin s’est manifesté [comme] le plus grand partisan de la maison d’Autriche. »

10 Les coups pleuvent drus désormais : Il s’est échappé plusieurs fois dans des voyages en Allemagne sans avoir prévenu […] Il a invité à sa table tout ce qu’il a pu réunir d’Autrichiens […] Ses ouvrages sont tombés dans une insuffisance et une incapacité, si on compare ses écrits avec son prédécesseur Kuhn […] Sa harangue au roi lors de l’entrée de Sa Majesté en cette ville [en 1744] avait essuyé une critique anonyme et très humiliante […] Son discours à la louange du roi, en 1745, s’est aussi trouvé pitoyable.

11 François Joseph de Klinglin évoque alors un « différend qui s’est élevé depuis peu entre les magistrats catholiques et luthériens pour raison de l’introduction de la règle d’alternative dans l’université de cette ville telle qu’elle s’observe dans le corps de la magistrature ». Il affirme que Schoepflin se propose enfin à présenter le premier volume de son histoire d’Alsace, « annoncé depuis plus de dix ans », précise de manière acide qu’il n’a « pas jugé à propos de rien communiquer [au préteur] de ce travail » et s’interroge sur l’identité de l’imprimeur. Le coup de grâce arrive enfin : Les partisans de Schoepflin et même tous les luthériens se prévalent hautement du crédit et des accès qu’il s’est vanté avoir acquis à la cour et particulièrement auprès de Votre Grandeur, des services inutiles et très agréables qu’il prétend avoir rendus à l’État dans la partie des Affaires étrangères et que sa bienvenue à la Cour lui vaut au moins son indépendance ici.

12 La suite de l’épisode est connue. Schoepflin réussit, en 1751, à contrer Klinglin. Non seulement il contribue à faire tomber le préteur, mais il peut créer, en 1752, l’école diplomatique de Strasbourg avec une organisation particulière, soutenue par le ministre Choiseul, centre unique en France de formation des élites politiques européennes. Le 9 octobre 1763, Jean Daniel Schoepflin écrit au ministre des Affaires étrangères19 : « L’électeur palatin va établir une académie de belles lettres à Mannheim et m’en a nommé président pour la diriger par correspondance. » Il demande l’agrément de Versailles : « Ma qualité d’historiographe du roi et professeur d’histoire à Strasbourg ne sera point en souffrance. » L’académie obtient vite une considération internationale. Huit ans plus tard, Schoepflin décède à Strasbourg.

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Hennenberg ou une correspondance privée au milieu d’une correspondance publique

13 Le 4 septembre 1755, François Henri Hennenberg20, de confession luthérienne, propose depuis Strasbourg sa candidature pour un poste aux Affaires étrangères. Il rappelle qu’il a suivi son oncle Bischoff de 1736 à 1741 dans les différentes commissions dont il était chargé tant à Londres qu’à Strasbourg et en Lorraine, et qu’il ne l’a quitté que pour travailler en 1739 à Paris. « En 1741, le maréchal de Belle Isle ayant bien voulu l’admettre au nombre de ses secrétaires, il fut sous ses ordres jusqu’en 174321. » Puis il sert Sechelle, intendant des armées. En 1745, le voici attaché à l’intendance d’Alsace par la commission de « secrétaire interprète » et à la ville de Strasbourg par celle « d’archivaire. » Appuyé par Belle Isle22 et par Regemorte 23, il obtient le poste laissé vacant par la mort de son oncle Bischoff, mais seulement la moitié de la pension, l’autre moitié étant récupérée par le catholique Schwendt.

14 Jurisconsulte du roi pour le droit germanique, travaillant aux Affaires d’Allemagne de 1757 à 1768, le juriste luthérien François Henri Hennenberg correspond régulièrement avec le premier commis du ministre des Affaires étrangères, le Masopolitain catholique Conrad Alexandre Gérard24, en place de 1766 à 1776. Hennenberg envoie assez régulièrement des notes depuis Strasbourg, où il mélange allègrement données publiques et propos mondains, ce qui fait à la fois le charme et la difficulté d’exploitation de ses missives. Présentons chronologiquement certains thèmes abordés.

15 Une note du 18 mars 1770 évoque Jean Daniel Schoepflin : « Schoepflin, depuis deux mois, est retenu dans sa chambre par un gros rhume. La volonté ne lui manque pas, mais les forces de corps et d’esprit l’abandonnent. En été, il prévoit de courir la province, la Suisse et le Palatinat25. » Un peu plus loin, il relève « la hauteur, la raideur et l’inflexibilité de caractère du premier président », catholique, du Conseil souverain d’Alsace, François Henri de Boug26. Les informations se font plus précises le 22 mars27 : Il a une dizaine de conseillers qui rendront la vie si dure [à Boug] qu’il sera obligé de déguerpir. C’est un grand malheur pour lui et sa famille nombreuse. Heureusement qu’il a un beau-père [Jean Georges Kieffer] qui a amassé de l’argent. Les avocats veulent interdire la plaidoirie à la première chambre où son gendre préside. On s’est déjà aperçu plus d’une fois de la complaisance du gendre pour le beau-père.

16 Puis, sans transition aucune : « Nous avons depuis huit jours un froid excessif et un demi-pied de neige dans les rues. »

17 Retour sur Boug le 28 mars28 : « On prétend que Boug ne fait rien de ce qu’il devrait faire pour regagner l’amitié et la confiance de ses confrères. » Hennenberg évoque aussi Louis Henri Nicolaï29 : « Il a accepté le poste en Russie que parce qu’il a mangé son bien à Vienne et contracté des dettes qu’il n’aurait jamais pu acquérir (sic) comme professeur à l’université de Strasbourg. » Se profile bientôt la venue de Marie- Antoinette à Strasbourg, de passage dans la ville avant de se marier avec Louis XVI. « Le temps contrarie les préparatifs pour les fêtes. Il ne cesse de pleuvoir. Si cela continue, je ne sais pas comment on fera pour les décorations de l’arc de triomphe, toutes les peintures n’étant que détrempées30. » Le jurisconsulte évoque encore « une disette d’argent furieuse » et conclut : « J’ai employé une matinée à vous écrire au lieu d’aller à l’église. » Gérard vient en personne à Strasbourg les 7 et 8 mai, en qualité de

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commissaire du roi, aux côtés du comte de Noailles pour accueillir la Dauphine. Il y rencontre Hennenberg.

18 Le 20 mai 1770, Hennenberg évoque la terre d’Odratzheim que Falkenhayn a vendue à Prat : Le village est partie sans ban et les habitants en sont pauvres. Il rapportait environ 1900 livres et a été vendu 50 000 avec le petit château qui y était. Mais Prat a acquis depuis un moulin et acheté quelques terres et masures pour agrandir son enclos. Il y a bâti une très jolie maison et le jardin est grand et beau, donnant d’un côté sur le ruisseau de Mutzig (sic) [Mossig] par lequel il est clos. Le seigneur n’a pas la chasse, qui appartient à la ville de Strasbourg. Les habitants payent 200 livres pour accommodement pour les corvées. Il y a quelques vignes qui donnent un vin passable. Enfin, en premier aperçu, je ne pense pas que cette petite terre puisse vous convenir31.

19 Le propos courtisan perce dès l’entame de la lettre du 9 août 177132 : « Je ne suis nullement étonné de la manière dont le nouveau ministre vous traite. C’est un homme de génie. J’ai toujours pensé et dit que, quand il aura travaillé deux fois avec vous, il ne pourrait plus s’en passer. » Hennenberg évoque ensuite le problème du moment : « Il se passe peu de jours que je n’entende dire qu’il est arrivé un bateau à Kehl et que cet entrepôt va détruire le commerce de transit et la navigation de notre ville. » La météorologie s’invite dans l’échange33 : « Il fait depuis quelques jours une chaleur excessive. Les vignes en profitent. » Suivent des potins mondains : « D’Autigny est attendu ici pour le 20 [août]. Il descendra à Dachstein, sa maison n’étant pas encore habitable. On enterre aujourd’hui Schoepflin à Saint-Thomas. C’est une perte pour la ville et pour l’Université. »

20 Les nouvelles, en provenance de Strasbourg le 14 octobre 1772, sont multiples34 : J’ai passé une partie du mois de septembre à Barr soit pour tenir des plaids, soit pour faire des adjudications, soit enfin pour prendre des informations sur une infinité d’abus qui s’étaient introduits sous le défunt bailli. À mon retour en cette ville, j’y ai trouvé votre frère [Jean Claude Gérard35] qui était venu sur les instances du prince et de la princesse Sapieha qui y sont depuis six semaines. Il est reparti avant-hier. Je vais demain chez mon frère à Blaesheim pour faire voir au prince des vignes et des vendanges36.

21 Le propos courtisan perce encore : « Il paraît que le prince et la princesse sont singulièrement attachés à vos frères ? Elle appelle celui de Dantzig37 son meilleur ami. » Reste le souci récurrent du vin : « On fait en Alsace un tiers de vin de plus qu’on avait espéré, mais la qualité ne sera pas bien supérieure à celle de l’an passé. N’importe pourvu que nous puissions remplir les tonneaux. On ménagera d’ailleurs bien des grains qui étaient employés à la fabrication de la bière. »

22 L’échange de correspondance va de pair avec celui des services rendus comme le suggère la lettre du 26 octobre 1772 : Ne croyez pas que j’ai oublié vos commissions. Vous aurez le Sauerkraut [choucroute] en temps marqué et la garniture de queue de maître précède cet envoi. Strohl qui est le mieux fourni en pelleterie m’a demandé quartier pour quelques jours, étant très pressé d’acheter une garniture de robe pour Madame la Dauphine qui part aujourd’hui. Aussi je compte que jeudi ou samedi au plus tard la vôtre partira38.

23 Le fourre-tout se profile immédiatement : « La princesse Sapieha a été très contente de son excursion, ayant vu tout ce qu’il y avait à voir à une vendange [...] Le Rhin est

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aujourd’hui si bas que les gens tirent les bateaux. » Surtout apparaît enfin un avis sur la situation politique européenne : On craint ici que le partage de la Pologne et la rupture des conférences de Forzani entraînent une guerre générale. Pour moi je n’en vois pas la possibilité tant que les trois cours resteront unies et leur partie paraît trop bien liée. Pour leur opposer une digue, il faudrait que la France, l’Espagne et l’Angleterre fassent accord, ce qui est difficile à croire39.

24 Le 13 novembre 1772, Hennenberg reprend la chronique mondaine : « Le mariage de [Frédéric de] Dietrich40 avec [Sybille] Ochs de Bâle a été célébré avant-hier 41. » Une allusion à sa situation d’archiviste transparaît le 9 décembre 1772 : « J’ai gagné un bon rhume dans les voûtes de nos archives en faisant la recherche des pièces dont j’avais besoin pour la rédaction du mémoire42. » Suivent les méandres familiaux : Mon neveu [Jean de] Turckheim43 compte aller à Paris à la fin de ce mois. Il ne sait pas trop encore ce qu’il voudra faire. Tantôt il veut courir la carrière politique, tantôt la carrière académique. Je lui donnerai une lettre pour vous et une pour [Théophile Conrad] Pfeffel. Il a des talents. Je dirai presque du génie. Mais sa vivacité et sa pétulance ne lui permettent pas encore de se fixer [...] La longueur de cette épître vous fera bien voir que je suis obligé de garder la chambre.

25 Rappel de l’essentiel, le 25 octobre 1772 : « Vous savez mieux que personne que l’Alsace et notre ville [de Strasbourg] dépendent plus particulièrement du département de la guerre44. » Suit à nouveau le carnet rose : « Le mariage du prince Max que l’abbé de Lorraine a divulgué partage les opinions. Les uns le louent, d’autres le blâment. Pour moi qui ne connaît pas le dessous des cartes, il surprend mon jugement. » Les affaires d’Allemagne percent le 24 janvier 1773 : « Mon frère [Philippe Jacques Hennenberg45] pense qu’il serait bon que nous ayons quelqu’un à Nuremberg pour veiller aux vues du roi de Prusse46. » Retour à Strasbourg le 18 février : « Boug est venu voir la bibliothèque de l’Université et le cabinet de Schoepflin [...] La semaine passée, nous avons pensé perdre Franck d’une espèce de fluxion de poitrine. Il va mieux mais il n’est pas tout à fait hors de danger47. » François Henri Hennenberg se rend alors à Mannheim pour des négociations quant au Rhin. « À mon retour », écrit-il le 29 août 177348, « j’ai trouvé le magistrat en vacances et d’Autigny à Reichshoffen chez Dietrich [...] J’ai quitté Mannheim avec plaisir. C’est un pays d’horreur depuis la mort de l’Électeur, le fanatisme y règne au plus haut degré. On augurait que Mayence deviendrait un bureau de Vienne. Peut-être se trompe-t-on, je le désire. » C’est aussi Hennenberg qui signale une rencontre entre Louis de Rohan et Jean Treitlinger49 recteur de l’université luthérienne de Strasbourg à Mutzig le 18 avril 178050.

Des employés catholiques laissés pour compte ?

26 Schoepflin, Bischoff et son neveu Hennenberg, ne sont pas les seuls luthériens gravitant dans le monde des Affaires étrangères. À la mort de Bischoff, l’intendant Jacques Pineau de Lucé avait proposé, le 24 août 1755, sans succès, la candidature de Treitlinger : « Treitlinger est beaucoup plus jeune que Schwendt [qu’il propose aussi], mais un puits de science. Je le regarde comme le premier professeur de cette université [de Strasbourg]. Il est on ne peut plus fort sur le droit public et ne demande que d’autre grâce pour lui que d’être connu de vous51. »

27 Si Treitlinger n’est pas choisi, en revanche Chrétien Frédéric Pfeffel, frère aîné du poète aveugle, joue à partir du moment où il est employé, un rôle fondamental. Né à Colmar

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le 3 octobre 1726, Pfeffel fait d’abord des études de droit à Strasbourg sous la direction de Schoepflin qu’il seconde pour la réalisation de l’Alsatia Sacra. Entré au service de la Cour de Saxe, il séjourne à Paris, où il entre en relation avec la dauphine Marie Josèphe de Saxe. Par son entremise, il entre au service de la France au moment où l’ambassadeur français à la Diète de Ratisbonne cherche un secrétaire bilingue. En 1763, il lui est permis de rejoindre une Cour étrangère, le duc de Deux Ponts l’accréditant auprès de l’électeur de Bavière. En 1768, le ministre des Affaires étrangères, Choiseul, l’appelle à Versailles en qualité de jurisconsulte du roi. Il est vrai que tous ses rapports à la Cour avaient séduit et qu’on cherchait à le garder depuis plusieurs années.

28 Follard avait ainsi noté, le 6 novembre 1762 : « Je ne dois pas vous laisser ignorer le refus que Pfeffel vient de faire d’un poste de six mille livres par an, honorable, solide, tranquille qui ne lui aurait pas permis de continuer le droit public52. » Follard transmettait à son supérieur un rapport de Pfeffel, que le Colmarien concluait en ces termes : Je finis ce mémoire par une réflexion générale qui servira en même temps de récapitulation des principes que je viens de détailler. Il n’y a que la Cour impériale qui puisse se servir de la Diète pour faire pencher entièrement de son côté la balance politique de l’Empire. Or s’il est de l’intérêt de la France que cette balance reste toujours dans une juste et parfaite égalité, il est aussi de son intérêt de soutenir à tout événement les droits du seul corps qui puisse faire l’équilibre et qui ne peut le faire qu’à la faveur de ses droits53.

29 Enthousiaste, le duc de Praslin, lecteur assidu du rapport, écrivait dans la marge : Je ne puis que donner l’approbation la plus entière tant à la forme que le sieur Pfeffel a donné à ce mémoire qu’aux principes juridiques et politiques qu’il y a établi pour faire connaître qu’il est de l’intérêt de la France de veiller non seulement au maintien du système germanique en général, mais encore en particulier à la conservation des droits du corps des protestants en vertu des traités de Westphalie. Ces principes sont si sages et si conformes au véritable intérêt du roi et à la dignité de la couronne que je suis très persuadé qu’un ministre de France qui les suivrait de point en point ne pourrait manquer de se concilier la confiance générale des ministres de la Diète54.

30 Nommé principal commis aux Affaires étrangères en 1774, Chrétien Frédéric Pfeffel55 rédige encore d’autres textes, dont le fameux Mémoire concernant la province d’Alsace, vers 178056. Il est remarquable qu’un jurisconsulte se soit substitué à un intendant pour un tel travail à la fin de l’Ancien Régime.

31 Dernier protestant à citer, et non des moindres, Christophe Guillaume Koch57, né à Bouxwiller le 9 mai 1737, disciple de Jean Daniel Schoepflin comme secrétaire et assistant. Il devient bibliothécaire de la ville de Strasbourg, s’occupant de la bibliothèque de son maître dès 1766, lui succède en 1771 dans la direction de l’école diplomatique de Strasbourg. Professeur extraordinaire en 1772, docteur en philosophie en 1775, docteur des deux droits en 1776, il lui est proposé une chaire de droit public à l’université protestante de Göttingen en 1779. « Vous avez pensé que pour conserver ici un sujet aussi utile qu’est Koch il serait convenable de lui accorder une pension de 1200 livres jusqu’à ce qu’il soit pourvu d’un canonicat à Saint-Thomas », lit-on dans une note anonyme des Affaires étrangères du 8 janvier 178058. Koch, lui-même, informe le service le 28 janvier 1780 : « Le prince de Hesse Darmstadt est arrivé avec son épouse et se propose de continuer sa route pour Paris pour se présenter au ministre59. » Plus tard, en 1790, Koch réussit à faire maintenir aux protestants alsaciens leurs droits acquis.

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32 Au risque d’un hors sujet, il nous faut sortir de la sphère luthérienne. Parmi tous les juristes alsaciens employés par le ministre des Affaires étrangères très peu sont catholiques. Dans cette catégorie confessionnelle figure Jean François Spon60. Il apparaît dans les documents consultés, pour la première fois en 1728, avec une remarque autant lapidaire qu’élogieuse : « Le cardinal de Fleury ne compte pas que vous vous attardiez au service d’un prince étranger61. » Dès lors Spon envoie régulièrement ses travaux au ministère, sans qu’il soit possible de savoir s’ils lui ont été demandés ou s’il les rédige de sa propre initiative. Lors de l’affaire de la succession impériale de 1740 à 1742, le nouvel empereur Charles VII le garde à ses côtés comme secrétaire intime et lui confère le titre de baron. Il l’envoie ensuite comme résident impérial à Paris en janvier 1743, puis à Berlin en août 1743. Après la mort de Charles VII en 1745, Spon reste à Berlin comme ministre de la Bavière. À ce titre, il participe en 1748 à la conférence de la paix d’Aix-la-Chapelle.

33 Tout en assurant ces fonctions, le « baron de Spon » informe régulièrement le bureau des Affaires étrangères, sans perdre une occasion de rappeler à la fois son existence et son excellence. Rappelant, le 13 septembre 1746, qu’il est employé par le duc de Wurtemberg « qui a quelques fois honoré ma table de sa présence lors que j’étais ministre impérial à Berlin », il ajoute « avoir refusé les offres d’une fortune brillante qui [lui] ont été faites par les ministres d’Angleterre ». Spon conclut : « Étant dans tout le royaume le seul sujet catholique de Sa Majesté qui connaisse à fond les constitutions, ainsi que toutes les cours souveraines de l’Empire, si je sollicite quelques grâces du roi, ce n’est point sans les avoir mérité62. »

34 Spon rédige alors quelques mémoires concernant Parme et Plaisance, les difficultés de l’ordre de Malte, et les divers États d’Allemagne. Il n’omet pas l’Alsace, évoquant ses limites, sa végétation, mais aussi les mariages entre catholiques et protestants63. Le 14 janvier 1749, le cardinal Gaston de Rohan recommande Spon à Puyzieulx64. Ce dernier répond de Versailles, le 20 janvier : Je connais Spon, ses talents et son mérite. Vous me rendez assez de justice pour être persuadé que votre recommandation est bien puissante auprès de moi. Mais j’espère que vous trouverez juste que des Français qui ont servi uniquement le roi et qui ont les talents nécessaires soient employés de préférence à Spon. Il y a actuellement peu de postes à remplir et s’il s’en trouve par la suite qui peut être donné à Spon (sic) votre protection lui serait très avantageuse65.

35 Depuis Strasbourg, où il est désormais établi, Jean François Spon adresse au bureau, le 14 septembre 1749, une traduction d’un nouveau corps de droit que le roi de Prusse vient de faire publier en allemand. « Il me paraît mériter d’autant plus d’attention que la politique d’État n’y a pas moins de part que la justice » justifie-t-il. Avant de marteler : « Je désire être employé en France66. » La réponse du 30 ne varie pas : « Je suis très mortifié de ce qu’il n’est pas en mon pouvoir de vous accorder aucune demande que vous me faites67. » Une nouvelle tentative d’embauche a lieu le 18 septembre 1754. Depuis Forbach, dans « la Lorraine allemande », Spon sollicite un emploi indiquant que la sœur de l’électrice de Bavière l’a recommandé auprès de Mme la Dauphine et en précisant : « Languissant depuis quelques années dans une obscure oisiveté, j’étais résolu à reprendre du service en Bavière, mais le marquis de Paulny m’a engagé à suspendre ce projet68. »

36 Spon reprend sa plume, depuis Forbach, le 27 juillet 1755 : « Le duc régnant de Wurtemberg faisait le séjour à Berlin lorsque j’y occupais le poste de ministre de l’empereur près de sa Majesté. Je lui ai rendu des services essentiels. C’est de lui que j’ai

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acquis, par contrat, le comté de Forbach, fief relevant du duché de Lorraine69. » Le baron candidate70 une nouvelle fois le 29 août 1755 à la mort de Bischoff, employé à la Diète de Ratisbonne, mais c’est son neveu Hennenberg qui est choisi. Spon ne désespère pas, revenant à la charge le 20 octobre 1757 : « Pour payer mes dettes, j’ai vendu au duc régent de Deux Ponts le comté de Forbach dont la régie formait mes amusements. Je languis dans un désœuvrement qui ne se concilie point avec mon inclination pour le travail71. » Le baron finit par être directeur de la Chancellerie municipale de Strasbourg en 1759 et se fait immatriculer en 1760 au Corps de la noblesse immédiate de Basse Alsace. Deux ans avant sa mort, il obtient, le 18 octobre 1770, la recommandation de Toussaint Duvernin, le suffragant du diocèse de Strasbourg, pour devenir grand bailli de Rigel chez la princesse de Baden-Baden, mais en seconde position seulement, après Wackerzap « sujet très méritant tant par sa conduite que par sa capacité72 ».

37 Outre Spon, il faut aussi citer Étienne Schwendt73, apparenté par sa mère au clan des Menweg, l’un des plus importants réseaux familiaux œuvrant au Conseil souverain d’Alsace. Le nom de Schwendt apparaît, pour la première fois, au moment du décès de Bischoff. Lucé propose deux noms : Treitlinger, vite éliminé, et Schwendt. Si Schwendt est engagé, Hennenberg l’est aussi, les deux hommes se partageant la pension de deux mille livres dont jouissait Bischoff. Voici comment l’intendant Jacques Pineau de Lucé le dépeint le 24 août 1755 : Schwendt est un homme d’un travail infatigable, d’une expédition prodigieuse ayant l’esprit de réduction et arrivant à la plus grande netteté. Il est entièrement instruit du droit féodal d’Allemagne, connaît parfaitement les privilèges et prétentions de la noblesse, non seulement d’Alsace, mais des autres directoires. Il connaît très bien les maisons et a des notions fort étendues sur le droit public. C’est un homme sûr et dans la probité, [en qui on peut avoir] la plus grande confiance. Depuis trente ans qu’il exerce la subdélégation, il y a peu de genres d’affaires dans lesquelles il n’ait pas travaillé par les ordres de mes prédécesseurs. Il a été souvent chargé de commissions dans les cours d’Allemagne voisines à cette frontière. Il en est allé à la cour du margrave de Baden Durlach pour lui notifier les ordres du roi pour la démolition du chemin de Schweick. Il s’est toujours conduit, dans ces commissions, avec toute la sagesse et toute l’intelligence possible74.

38 L’intendant de Lucé demande alors pour Schwendt « sinon la totalité, du moins la moitié de la pension ». Il pense que si le syndic l’obtenait, « il redoublerait son activité et son zèle ». De fait, Schwendt est honoré le 7 juillet 1756 du titre de jurisconsulte du roi mais avec seulement mille livres d’appointement75. Une de ses lettres courtisanes, du 26 octobre 1758, s’adresse au cardinal de Bernis : « La promotion que Sa Sainteté vient de faire en vous revêtant, Mgr, de la pourpre sacrée et en vous mettant au sublime rang des cardinaux de la Sainte Église était une justice due à cette haute vertue et à ces rares incomparables qualités qui ont acquis à Votre Éminence l’estime et la confiance du plus grand des rois76. »

39 Au terme de cette présentation, l’on se rend bien compte de l’importance du facteur confessionnel, constitutif de l’identité alsacienne, au même titre que le facteur linguistique. La présence de luthériens au ministère des Affaires étrangères pourrait constituer un paradoxe, dans la mesure où le catholicisme est religion d’État. Elle s’explique pourtant par la Realpolitik, obligeant à utiliser les compétences de ceux, dont a priori on ne voudrait pas. Dans le même domaine, rappelons l’emploi de troupes protestantes, commandées par des officiers protestants (Maurice de Saxe, le plus célèbre ; le prince Max, « bourreau d’argent » selon la baronne d’Oberkirch), avec tous les problèmes annexes (« l’esprit républicain » des protestants).

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40 Signe de l’évolution du temps et du siècle des Lumières, citons un mémoire anonyme sans date, mais de l’époque de Choiseul vers 1760, particulièrement significatif. L’auteur pose problème : s’agit-il d’un employé, protestant ou catholique, des Affaires étrangères ou d’un interlocuteur étranger au service ? Toujours est-il que les arguments avancés paraissent bien neufs77 : Le gouvernement devrait porter ses réflexions sur la province d’Alsace dont l’âme languissante ne laisse plus apercevoir qu’un corps en agonie. Si l’Alsace doit conserver une distinction, ce ne sera que par la tolérance constitutionnelle des trois religions chrétiennes. C’est cet établissement des trois églises chrétiennes qui fait aujourd’hui l’intérêt particulier que doit avoir l’État français qui doit se mettre en rivalité avec les autres États puissants de l’Europe [...] Les puissances ont des succès rapides par la tolérance [...] Le gouvernement français n’emploie dans les charges et offices du royaume que des catholiques romains et empêche que le culte religieux des protestants soit public. Mais la province d’Alsace fournit à la France les moyens de se mettre en rivalité avec les puissances voisines par l’existence actuelle des trois églises catholique, luthérienne et calviniste.

41 Le scribe conclut avec le rappel « des calvinistes opprimés ». Il évoque l’émigration en Hollande. La chute mérite que l’on s’y attarde : « La province d’Alsace offre tous les avantages à ces étrangers que l’esprit mercantile conduit. » Peux-t-on ajouter que ces idées sont partagées par Choiseul, le pourfendeur du parti dévot ?

42 Terminons par les propos de Latour, peut-être informateur, peut-être espion. De Strasbourg, il écrit, le 19 octobre 1780, aux Affaires étrangères :

43 L’on observe que bien des Français se permettent de dire assez librement et assez hautement que l’attachement des Alsaciens et particulièrement des protestants et surtout ceux de Strasbourg pour la France n’est pas d’une sûreté bien reconnue. Quant à l’Alsace en général, il est constant qu’il n’y a pas de province qui, proposition gardée, fournisse au roi plus de militaires et d’autres serviteurs zélés. L’on ne remarque pas que la religion cause, à cet égard, de différences78.

44 Puis Latour évoque Christian Louis baron de Wurmser, second commandant de la province d’Alsace, de confession luthérienne : « Le baron de Wurmser79 a été mal conseillé s’il a conclu assister de sa propre autorité à des processions catholiques. L’assistance à la procession de Notre Dame au mois d’août n’est pas regardée comme faisant nécessairement partie des fonctions de l’officier général commandant. »

NOTES

1. Gaston Z ELLER, « La réunion de l’Alsace à la France et les prétendues lois de la politique française », Revue d’Alsace, no84, 1929, p. 768-778 ; Jeanine SIAT, Histoire du rattachement de l’Alsace à la France, Strasbourg, 1987 et surtout Georges LIVET, L’intendance d’Alsace sous Louis XIV, Paris, 1956, réédition 1991. De manière générale, voir Lucien BELY, Jean BERENGER, André CORVISIER, Guerre et paix dans l’Europe du XVIIIe siècle, Paris, 1991, 455 p. ; Lucien BELY, L’Europe des traités de Westphalie : esprit de la diplomatie et diplomatie de l’esprit, Paris, 2000, 624 p. ; Olivier CHALINE, La France au XVIIIe siècle (1715-1787), Paris, 2004, 328 p.

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2. . Archives du Ministère des Affaires Étrangères (AMAE) à Paris, Section Mémoires et Documents, fonds Alsace, t. 37, folios (désormais fs.) 271-278. Sur cette période avec la documentation issue du même fonds, voir Claude MULLER, « Les affaires de religion en Alsace sous Philippe d’Orléans (1715-1723) », Revue d’Alsace, no136, 2010, p. 101‑139 et « Diplomatie et religion en Alsace au temps du cardinal Fleury (1726-1743) », Revue d’Alsace, no132, 2006, p. 129‑173. 3. . Georges L IVET, « Les intendants d’Alsace et leur œuvre (1648-1789) », Deux siècles d’Alsace française, Strasbourg, 1948, p. 79-131 et Claude MULLER, « Nicolas Bauyn d’Angervilliers », Nouveau Dictionnaire de Biographie Alsacienne (NDBA), no43, 2004, p. 4 474. 4. . Jean-Claude STREICHER, « L’obstination des réformés d’Oberseebach : un siècle de persécution et de pétitions pour retrouver la liberté de culte », L’Outre-Forêt, no14‑15, 1976, p. 75‑83 et Georges LIVET, « Sur l’empoisonnement de quatre paysans d’Oberseebach », L’Outre-Forêt, no25, 1995, p. 13‑16. 5. . Georges LIVET, « Intendant », L’Encyclopédie de l’Alsace, no7, 1984, p. 4 280‑4 281 et « Jacques Pineau de Lucé », NDBA, no25, 1995, p. 2 446. 6. . AMAE Paris, t. 45, f. 156. 7. . Claude MULLER, « En Alsace, le Saint-Esprit est aux ordres du roi. Réalité et limites de la politique monarchique française au XVIIIe siècle », Revue d’Alsace, no142, 2016, p. 299‑314. 8. . A. SALOMON, « Les Alsaciens employés au ministère des Affaires étrangères à Versailles aux XVIIe et XVIIIe siècles », Revue d’Histoire Diplomatique, oct.-déc. 1931, p. 516 sqq. 9. . Claude MULLER, « Le beau jardin de la France », L’Alsace au XVIIIe siècle, Nancy, Éditions Place Stanislas, 2008, 242 p. 10. .Jürgen VOSS, Universität, Gesichteswissenchaft und Diplomatie im Zeitalten der Aufklärung: Johann Daniel Schöpflin (1694-1771), , 1979 et « Jean Daniel Schoepflin », NDBA, no34, 1994, p. 3 527-3 528. Bernard VOGLER et Jürgen VOSS, dir., Strasbourg et l’Europe au XVIIIe siècle, Bonn, 1996 ; Jürgen VOSS, Jean Daniel Schoepflin (1694-1771), un Alsacien de l’Europe des Lumières, Strasbourg, Publications de la Société savante d’Alsace et des pays de l’Est, « Recherches et documents, 63 », 1999, 386 p. 11. . Camille SCHWARTZ, « L’affaire François Joseph de Klinglin », La Vie en Alsace, 1927, p. 227‑236 ; Jean-Jacques HATT, « Mœurs au XVIIIe siècle. Le préteur royal Klinglin et Andrieux, agent de la ville de Strasbourg », Revue d’Alsace, 1948, p. 167‑180 ; Georges LIVET, « François Joseph de Klinglin », NDBA, no21, 1993, p. 2 007‑2 008. François Joseph de Klinglin, fastueux préteur de Strasbourg fait de multiples séjours à la Cour. Le 25 décembre 1750, il écrit de Paris au ministre : « Ma santé étant de nouveau altérée par deux accès de fièvre et par des attaques subites réitérées de la même colique hépatite qui m’a réduit à l’extrémité et qui m’a retenu longtemps en langueur il y a environ deux ans, je me vois obligé de précipiter mon départ pour tâcher de me rendre chez moi et de prévenir les risques d’être arrêté, ici ou en route par une maladie sérieuse et longue. D’ailleurs ma présence devient nécessaire à Strasbourg pour y exécuter les ordres dont la Cour m’a honoré touchant les cérémonies funèbres de réception de sépulture du corps de feu le maréchal de Saxe », AMAE Paris, t. 45, f. 281. Le clan des Klinglin utilise son catholicisme pour s’élever dans la hiérarchie judiciaire en monopolisant les sièges au Conseil souverain d’Alsace, voir Claude MULLER et Jean-Luc EICHENLAUB, Messieurs les magistrats du Conseil souverain d’Alsace au XVIIIe siècle, Riquewihr, 1998, p. 121‑131 et Claude MULLER, « Mgr Simon Nicolas de Montjoie, les Klinglin et les Gobel (1762-1775) », Revue d’Alsace, no128, 2002, p. 281‑313. 12. . AMAE Paris, t. 44, f. 26. 13. . AMAE Paris, t. 47, f. 9. 14. . AMAE Paris, t. 47, f. 11. 15. . AMAE Paris, t. 47, fs. 13-17. 16. . AMAE Paris, t. 47, fs. 44-51. 17. . AMAE Paris, t. 47, f. 54.

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18. . AMAE Paris, t. 47, fs. 25-35. 19. . AMAE Paris, t. 44, f. 138. 20. . François Henri Hennenberg naît à Strasbourg le 1 er juillet 1776, fils de Jean Bernard Henneberg secrétaire du Conseil des XV jusqu’à son décès et de Marguerite Salomé Bischoff. Licencié en droit en 1736, il devient le secrétaire de son oncle François Henri Bischoff employé par le roi dans diverses commissions. En 1739, il est appelé à Paris au « bureau des limites » puis en 1741, emmené par le maréchal de Belle Isle, ambassadeur extraordinaire en Allemagne comme secrétaire. De 1745 à 1757, il est, à Strasbourg, secrétaire interprète de l’intendance d’Alsace, puis archivaire de la ville. Après la mort de son oncle Bischoff, il obtient de Louis XV de lui succéder dans sa charge de jurisconsulte du Roi pour le droit germanique grâce à l’appui de Belle Isle et de Moreau de Séchelles. La même année 1757 il entre au Conseil des XV. Le 1er août 1757, le cardinal de Bernis, ministre des Affaires étrangères, fait appel à ses compétences « pour travailler aux Affaires d’Allemagne qui se multiplient tous les jours dans ces circonstances », au début de la guerre de Sept Ans. Mais en 1768, François Henri Hennenberg demande au duc de Choiseul « la permission de se retirer chez lui à Strasbourg » pour raisons de santé. Une pension de quatre mille livres lui est alors accordée. En Alsace, où il revient début 1769, il cumule les charges : membre du Conseil des XIII jusqu’à la Révolution, scolarque de l’université luthérienne de Strasbourg, commissaire du Roi en 1773 pour régler la question des péages sur le Rhin. Il décède à Strasbourg le 18 avril 1796, presqu’octogénaire, voir Jean REUSSNER, « François Henri Hennenberg », NDBA, no16, 1990, p. 1 515. 21. . AMAE Paris, t. 44, f. 61. 22. . AMAE Paris, t. 44, f. 65. 23. . AMAE Paris, t. 44, f. 66 et f. 82 : « Il connaît la jurisprudence et le droit public d’Allemagne. Il a surtout le talent de faire au mieux les traductions des actes allemands en français », aux dires du catholique Regemorte le 6 janvier 1756. 24. . Conrad Alexandre Gérard, naît à Masevaux le 12 décembre 1729, fils d’un procureur fiscal des villes et seigneuries de Masevaux et Rougemont. Après avoir soutenu sa thèse en 1749, il entre en 1753 dans les services diplomatiques, devient secrétaire de légation du baron de Zuckmantel à Mannheim, puis secrétaire d’ambassade à la Cour de Vienne en 1761. Il obtient en 1763 des lettres de provision en qualité de préteur royal de Sélestat, mais ne s’intéresse guère à cette fonction dont il se démet treize ans plus tard. Il devient surtout en 1766 premier commis du ministre des Affaires étrangères et reçoit, les 7 et 8 mai 1770, à Strasbourg, en qualité de commissaire du roi, aux côtés du comte de Noailles, la dauphine Marie-Antoinette. Cette année, il acquiert du prince de Nassau-Sarrebruck pour 210 000 livres les deux villages de Munster et d’Insviller en Lorraine allemande. Nommé syndic royal de Strasbourg en 1776, il est anobli pour services rendus en 1778. Après une période américaine, il rentre en France. Le 10 mars 1781, nommé conseiller d’État, il reçoit les provisions de la charge de préteur royal de Strasbourg et un traitement de 17 000 livres payé par la ville. Après avoir obtenu, le 30 juin 1789, un congé de longue maladie, il quitte l’Alsace. Le roi nomme à sa place, en qualité de commissaire de Sa Majesté Frédéric de Dietrich. Il décède à Paris le 16 avril 1790, voir Georges LIVET, « Conrad Alexandre Gérard », NDBA, no12, 1988, p. 1 149. 25. . AMAE Paris, t. 38, f. 16. 26. . François Henri Boug, fils d’un avocat au Conseil souverain d’Alsace, bailli de Delle, Seppois, Bartenheim, Banvillars, naît à Delle le 29 juillet 1722, neveu de deux chanoines et de deux jésuites, l’un de la province de Champagne, l’autre de la province de Bavière. Il épouse à Colmar le 26 février 1748 Anne Barbe Kieffer, la fille d’un avocat au Conseil souverain. Conseiller au Conseil souverain d’Alsace de 1747 à 1768, il est appelé en 1764 et en 1765 à Paris par Choiseul, qui le considérait comme « un homme fort distingué d’esprit et de manières, savant juriste, magistrat intègre, entièrement dévoué à la province, dont il défendait les intérêts et les droits avec une obstination toute alsacienne. » Boug est chargé de l’établissement des collèges,

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succédant à ceux des jésuites en dépit de l’opposition de Christophe Klinglin. Avec l’appui de Choiseul, Boug devient premier président du Conseil souverain d’Alsace le 5 mars 1768 et le reste jusqu’au 5 septembre 1775, date de son décès à Colmar. Dès sa nomination connue, les Salomon communiquent la nouvelle à leurs parents Cointoux à Haguenau le 18 mai : « Son beau père Kieffer vient d’acheter une maison qui sera certainement un bel hôtel de premier président », voir Claude MULLER et Jean Luc EICHENLAUB, Messieurs les magistrats du Conseil souverain d’Alsace au XVIIIe siècle, op. cit., p. 36‑41. 27. . AMAE Paris, t. 38, f. 24. 28. . AMAE Paris, t. 38, f. 26. 29. . Louis Henri Nicolaï naît à Strasbourg le 25 décembre 1737, fils de l’archiviste de la ville. Après ses études à l’université de Strasbourg couronnées par un doctorat en droit, ce luthérien, recommandé par Jean Daniel Schoepflin, se rend à Paris où il rencontre Diderot et d’Alembert. Il devient, en mai 1761, secrétaire privé du prince Galitzine, nommé ambassadeur à Vienne, où il reste deux ans. Entre 1763 et 1765, il est employé dans les bureaux du préteur royal. En 1748, il est chargé d’un cours semestriel à l’université de Strasbourg. Selon Hennenberg, le 28 mars 1770, « Gayot fils songeait à le faire nommer professeur. » Mais Nicolaï préfère devenir précepteur d’Alexis Rasumowski qu’il suit dans ses voyages en Europe. En 1769, il est nommé précepteur du grand duc Paul de Russie. Dès lors son destin est lié au futur Paul Ier. Le comte Golovkine prétendait qu’il possédait la meilleure cave de l’Europe. Il décède à Viborg, en Finlande, le 18 novembre 1820, voir Georges LIVET, « Louis Henri Nicolaï », NDBA, no28, 1996, p. 2 837-2 839. 30. . AMAE Paris, t. 38, f. 67v. 31. . AMAE Paris, t. 38, f. 66v. 32. . AMAE Paris, t. 38, f. 209. 33. . AMAE Paris, t. 38, f. 210. 34. . AMAE Paris, t. 38, f. 348. 35. . Jean Claude Gérard naît à Masevaux le 25 mai 1732. Après avoir obtenu sa licence de droit à l’université de Strasbourg en 1753, il devient bailli de la ville et du comté de Ferrette, subdélégué de l’intendant pour le Sundgau en 1760. Il décède à Belfort le 13 février 1802, voir Georges LIVET, « Jean Claude Gérard », NDBA, no12, 1988, p. 1 149. 36. . Autre mention du vin dans cette lettre du 8 octobre 1699 de l’intendant Pelletier de la Houssaye au marquis de Puisyeux : « Le prince Louis de Baden m’ayant envoyé deux petits tonneaux de vin de tokay et ne sachant en France que le vin de Sillery qui puisse aller de pair avec celui de tokay, je voudrai bien, en revanche, lui envoyer aussi de nos pièces s’il se trouvait bon cette année », AMAE Paris, t. 31, f. 40. 37. . Jean Mathias Gérard né à Masevaux le 24 février 1736. Licencié en droit à l’université de Strasbourg, il suit son frère aîné Conrad Alexandre Gérard en qualité d’interprète à la cour palatine, puis part comme secrétaire de légation à Dresde. Il devient chargé d’affaires à la Diète de Ratisbonne puis en Pologne en 1768 en qualité de président et consul de Dantzig où il reste cinq ans. Le 1er janvier 1774, il est appelé à Versailles en qualité de premier commis pour seconder son frère. À partir de ce moment, il signe « Gérard de Rayneval ». Aux côtés de Hennin, il remplace son frère au ministère des Affaires étrangères pendant son absence, négocie la paix avec l’Angleterre en 1783. Il avait fait paraître quatre ans plus tôt avec Conrad Pfeffel une traduction de la Géographie universelle de Burching. Après avoir négocié le traité franco-anglais de commerce en 1786 et cherché un accommodement dans les affaires de Hollande en 1787, il se retire du ministère en 1792 et décède le 31 décembre 1812, portrait dans NDBA, no30, p. 3 105. 38. . AMAE Paris, t. 38, f. 351. 39. . AMAE Paris, t. 38, f. 359. 40. . Philippe Frédéric de Dietrich, naît à Strasbourg le 14 novembre 1748, fils d’un maître de forges anobli luthérien. Il épouse à Strasbourg, le 11 novembre 1772 Sybille Louise Ochs la fille d’un négociant banquier calviniste et membre du Conseil de la République de Bâle. Avec son

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beau-frère Pierre Ochs, Georges Schlosser futur beau-frère de Goethe et le poète colmarien Théophile Conrad Pfeffel, il devient, en 1782, membre de la société secrète politique des « Illuminaten Orden », alors qu’il faisait déjà partie de la loge « La Candeur ». Commissaire du roi à la visite des mines, forêts et bouches à feu du royaume en 1784, il est nommé « commissaire royal » car luthérien – et non préteur – le 28 juin 1789 pour suppléer Gérard. Il est élu maire de Strasbourg en février 1790 et joue un rôle essentiel dans la vie politique strasbourgeoise – voire alsacienne – jusqu’à l’époque de la Terreur. Il décède à Paris, guillotiné, le 29 décembre 1793, voir Hélène GEORGER-VOGT, « Philippe Frédéric de Dietrich », NDBA, no8, 1985, p. 653‑654. 41. . AMAE Paris, t. 38, f. 389. 42. . AMAE Paris, t. 38, f. 392. 43. . Jean de Turckheim naît à Strasbourg le 10 novembre 1749, fils du banquier Jean de Turckheim et de Marie Madeleine Hennenberg. Après des études au gymnase, puis à la Faculté de droit, achevées par une licence en 1771, il renonce à reprendre le négoce de son père, malgré son mariage à Francfort le 2 février 1778 avec Jeanne Claire Dorothée de Seuferheld, la fille d’un banquier. Il devient franc-maçon, comme son frère et Frédéric Rodolphe Saltzmann. Dédaignant une chaire de professeur à l’université, il veut se destiner aux Affaires étrangères. Le 24 février 1789, il est élu député de la ville de Strasbourg aux États généraux. En 1793 il représente plusieurs princes allemands à la Diète de Francfort. Ministre plénipotentiaire du grand duc de Hesse à Francfort en 1806, il est envoyé à Rome en 1816 par les princes protestants d’Allemagne pour y négocier, sans succès, un concordat avec le pape. Il décède à Altdorf, dans le pays de Bade, le 28 janvier 1824, voir Jules KELLER, « Jean de Turckheim », NDBA, no37, 2001, p. 3 922‑3 923. 44. . AMAE Paris, t. 38, f. 400. 45. . Né à Strasbourg le 2 juin 1719, Philippe Jacques Hennenberg, luthérien, fils de Jean Bernard Hennenberg, secrétaire du Conseil des XV, et de Marguerite Salomé Bischoff, épouse le 24 octobre 1771 à Blaesheim Catherine Adam, dont il a cinq filles et un fils. À partir de ce moment, il réside au château de Blaesheim, puis à Westhoffen vers 1780. Comme son frère aîné, François Henri Hennenberg, il fait ses humanités au gymnase, inscrit en 1725. Il entre à l’université de Strasbourg en 1733. Docteur en philosophie en 1737, il étudie encore le grec et l’hébreu. Après un passage aux universités de Leipzig, Iéna et , il revient à Strasbourg en 1743 pour entamer une carrière diplomatique comme commis auprès de son oncle François Henri Bischoff, interprète du roi auprès de la Diète d’Empire à Francfort. Il devient secrétaire du ministre de France, Malbran de La Noue, lorsque celui-ci revient à Francfort en 1745. Après la signature du traité d’Aix-la-Chapelle en octobre 1748, Philippe Jacques Hennenberg accompagne La Noue à Paris où il est présenté au ministre des Affaires étrangères, le marquis de Puyzieulx qui l’adjoint à Blondel, ministre chargé des affaires de Sa Majesté auprès de la Cour d’Autriche. Au début de 1751, il est envoyé auprès du ministre de France de Folard, auprès de la Diète générale d’Empire, siégeant à nouveau à Ratisbonne. Il y demeure de mars 1751 à février 1754. Puis il devient, avec l’autorisation de la Cour de France, secrétaire du margrave de Brandebourg- Bayreuth, beau-frère de Frédéric II de Prusse. Il gagne Bayreuth en février 1754, effectue un voyage en France qu’il débute par Strasbourg en octobre 1754. Le margrave le nomme chargé d’affaires à la Cour de France à partir du 1er janvier 1760, un poste dans lequel il est confirmé par le successeur du margrave en février 1762. En novembre 1764, il est nommé ministre du roi de France auprès du landgrave de Hesse Cassel. Mais ce poste ne l’intéresse pas. Il obtient le 12 septembre 1766 une pension annuelle de 3 300 livres, augmentée en 1779. Il se retire alors en Alsace, d’abord à Blaesheim, puis à Westhoffen. Il décède à Strasbourg le 7 novembre 1795, voir Jean REUSSNER, « Philippe Jacques Hennenberg », NDBA, no16, 1990, p. 1 516‑1 517. 46. . AMAE Paris, t. 50, f. 18. 47. . AMAE Paris, t. 50, f. 23. 48. . AMAE Paris, t. 50, f. 316.

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49. . Jean Chrétien Treitlinger, naît à Strasbourg paroisse Saint-Nicolas le 11 septembre 1717, fils d’un diacre à Saint-Nicolas et petit-fils d’un pasteur. Élève au gymnase à partir de 1724, il suit les cours de rhétorique en 1731, de métaphysique, d’histoire, de philosophie, de grec et d’hébreu chez le professeur Lederlin. Avec le consentement de son père qui aurait préféré qu’il étudiât la théologie, il choisit le droit féodal et institutionnel, le droit canonique et le droit public du Saint- Empire romain germanique. En 1737, il devient licencié. En 1739, il entreprend un voyage d’étude à Paris. Après s’être rendu à Colmar auprès du Conseil souverain d’Alsace, il officie à Strasbourg de 1742 à 1745 au service du Directoire de la Noblesse immédiate de Basse Alsace et remplace temporairement Jean Daniel Schoepflin, tombé malade. Le Conseil des Treize nomme Treitlinger professeur extraordinaire de droit en 1748. Il enseigne le droit public impérial en 1754 et le droit canon en 1755, les pandectes et le droit civil en 1775. Partisan de la philosophie politique des « droits de l’homme et du citoyen », il avance, en 1787, que « la loi est l’expression de la raison » et non pas celle de « la volonté du souverain ». Il décède à Strasbourg, paroisse Saint-Thomas, le 19 août 1792, voir François Joseph FUCHS et Marcel THOMANN, « Jean Chrétien Treitlinger », NDBA, no37, 2001, p. 3 899‑3 900. 50. . AMAE Paris, t. 54, fs. 36-37, voir Claude MULLER, Le siècle des Rohan, Strasbourg, 2006, p. 355. 51. . AMAE Paris, t. 44, f. 57. 52. . AMAE Paris, t. 45, f. 233. 53. . AMAE Paris, t. 45, fs. 234-243. 54. . AMAE Paris, t. 45, f. 244. 55. . Gabriel BRAEUNER, « Chrétien Frédéric Pfeffel », NDBA, no29, 1997, p. 2 982‑2 983. 56. . Georges LIVET, « La situation de la province à la veille de la Révolution d’après le mémoire de Chrétien Frédéric Pfeffel jurisconsulte du roi », L’Alsace au cœur de l’Europe révolutionnaire, Revue d’Alsace, no116, 1989-1990, p. 9‑21 et surtout Élodie GODIÉ, Mémoire concernant la province d’Alsace de Chrétien Frédéric Pfeffel, Strasbourg, Société académique du Bas-Rhin pour le progrès des Lettres, des Arts et de la Vie économique, « Bulletin CXXXIII-CXXXIV », 2013-2014, 155 p. 57. . Jürgen VOSS, « Christophe Guillaume Koch », NDBA, no21, 1993, p. 2 036‑2 037. 58. . AMAE Paris, t. 54, f. 4. 59. . AMAE Paris, t. 54, f. 10. 60. . Jean François Spon naît à Strasbourg le 10 octobre 1696, épouse à Strasbourg cathédrale le 17 juillet 1732 Anne Marie Françoise Gelb, fille d’un membre du grand sénat de Strasbourg et décède à Strasbourg le 6 avril 1773, cf. S. SPON, « Les barons de Spon d’Alsace », Annuaire de la Société d’histoire et d’archéologie de Colmar, 1976-1977, p. 49‑56 et Jean-Marie SCHMITT, « Jean François Spon », NDBA, no35, p. 3 708. 61. . AMAE Paris, t. 39, f. 230. Les lettres adressées par Spon entre 1728 et 1740 dans Claude MULLER, « Diplomatie et religion en Alsace au temps du cardinal Fleury (1726-1743) », art. cit., p. 159‑162. 62. . AMAE Paris, t. 44, f. 9. 63. . AMAE Paris, t. 44, f. 10. 64. . AMAE Paris, t. 44, f. 20. 65. . AMAE Paris, t. 44, f. 21. 66. . AMAE Paris, t. 44, f. 22. 67. . AMAE Paris, t. 44, f. 24. 68. . AMAE Paris, t. 44, f. 45. 69. . AMAE Paris, t. 44, f. 56. 70. . AMAE Paris, t. 44, f. 60. 71. . AMAE Paris, t. 44, f. 107. 72. . AMAE Paris, t. 44, f. 255.

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73. . Étienne Schwendt naît à Strasbourg le 6 septembre 1748, fils du syndic du Directoire de la noblesse immédiate de Basse Alsace et subdélégué de l’intendant. Après des études de droit commencées à Strasbourg en 1763, il prend la succession de son père comme syndic de la noblesse de Basse Alsace. Il devient membre de l’Assemblée provinciale en 1787, et est élu le 8 avril 1789, au second tour de scrutin, contre Maymo, négociant, et Klinglin, lieutenant du roi, comme député aux États généraux, bientôt transformés en Assemblée nationale. Il est en relation épistolaire intense avec Frédéric de Dietrich dont il partage bon nombre d’idées. Plus souple que Jean de Turckheim, il ne recule pas devant les concessions. Après la démission de Turckheim, il reste seul comme député de Strasbourg. Bien que catholique, il prend parti contre l’abbé d’Eymar dans la question des biens ecclésiastiques. Élu juge à la Cour de cassation, suspendu sous la Terreur, au contraire de Dietrich guillotiné, réintégré sous le Directoire, il le demeure sous tous les régimes politiques successifs jusqu’à sa mort, survenue à Paris le 5 juillet 1820, voir Georges LIVET, « Étienne Schwendt », NDBA, no34, 1999, p. 3 591‑3 592. 74. . AMAE Paris, t. 44, f. 57. 75. . AMAE Paris, t. 44, f. 299. 76. . AMAE Paris, t. 44, f. 116. 77. . AMAE Paris, t. 44, fs. 96-97. Le texte pourfend « les nouveaux zélateurs » des années 1750 à 1765, ce qui permet de le dater approximativement. 78. . AMAE Paris, t. 54, f. 69. 79. . Alphonse HALTER, « Christian de Wurmser », NDBA, no40, 2002, p. 4 318.

RÉSUMÉS

Le XVIIIe siècle constitue, dans le domaine religieux en Alsace, une période de tous les paradoxes confessionnels. Comme ailleurs, le catholicisme est certes religion d’État et les exactions des catholiques envers les protestants ne manquent pas. Le pouvoir royal encourage ses abus, voire les provoque. Pour autant, rien n’est simple dans cette région-frontière. Parce que la monarchie française a besoin, pour des motifs diplomatiques, de juristes connaissant à la fois le droit public et l’allemand, elle engage et rétribue des Alsaciens luthériens pour remplir ces fonctions, à contre-courant de politique officielle d’hostilité connue. (Claude Muller).

The 18th century harbours one of many paradoxical religious situations. Like in other countries Catholicism was actually the official religion and, as such, committed many exactions against the Protestant population. The royal policy entailed these attitudes and was probably responsible for them. That being said, nothing was simple in this territory wedged between two countries. For diplomatic reasons the French monarchy needed lawyers who were familiar with both public law and the German language, As a consequence Lutheran Alsatians were hired and paid to play this role, although in full contradiction with the well-known official anti Protestant stance. (trad. Pierre Boulay).

Das 18. Jahrhundert ist im religiösen Bereich im Elsass der Ort aller Widersprüche. Wie wo anders (in Frankreich) ist der Katholizismus die Staatsreligion und nicht selten gibt es Ausschreitungen von Katholiken gegenüber Protestanten. Meistens werden diese Vergehen noch von der königlichen Macht angezettelt und unterstützt. Es ist jedoch Nichts einfach in dieser Grenzregion. Die französische Monarchie braucht, aus diplomatischen Gründen, Juristen die

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gleichzeitig das deutsche und das französische Recht beherrschen. Sie stellt deshalb, entgegen der offiziellen feindseligen Politik, elsässische Lutheraner für dieses Amt ein. (trad. René Siegrist).

AUTEUR

CLAUDE MULLER Professeur et directeur de l’Institut d’histoire d’Alsace de l’Université de Strasbourg

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Le parcours de sécularité d’un protestant au siècle des Lumières : Philippe Frédéric de Dietrich (1748-1793) The secular itinerary of a Protestant in the century of enlightment: Philippe de Dietrich (1748-1793) Der säkulare Werdegang eines Protestanten im Zeitalter der Aufklärung: Philippe Frédéric de Dietrich (1748-1793)

Daniel Fischer

1 Rationalité vs. révélation. Liberté par la connaissance vs. fidélité à une foi. La question de la relation des Lumières avec les religions est souvent réduite à un rapport de force entre deux visions du monde qui s’opposent frontalement, enfermant les croyants dans une posture de défenseurs de citadelle assiégée par un parti philosophique peuplé d’incroyants qui auraient l’exclusivité de s’autoproclamer « éclairés ». La part chrétienne dans l’avènement des Lumières, qui ne sont pas partout aussi anticléricales et antireligieuses qu’en France, a été réévaluée par les philosophes et les historiens, à l’image de Carl Schmitt qui considérait que tous les concepts de la pensée moderne relèvent en définitive de concepts chrétiens « sécularisés ».

2 Cette sécularisation, initiée au XVIIIe siècle, relève d’un « processus de recul de l’influence des Églises et de leurs doctrines sur la société1 », tout en laissant entrevoir le résultat de ce processus : « un changement de statut d’institutions régies jusque-là par des lois religieuses et qui passent sous règlementations laïques, séculières2 ». Cependant, l’existence et la justesse de ce schéma, propre au christianisme dans un monde occidental en voie de « désenchantement3 », n’est pas vérifiable car il est unique et impossible à transposer dans d’autres temps et d’autres espaces4. Il est surtout le fruit d’une écriture téléologique de l’histoire qui, pressée de donner une cohérence à l’histoire des trois derniers siècles, chercherait à dépeindre les modalités de cette sortie inéluctable, définitive et complète du religieux.

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3 Nous ne chercherons donc pas à déterminer si Philippe Frédéric de Dietrich (1748-1793), figure strasbourgeoise emblématique des Lumières et de la Révolution, mérite d’être considéré comme un précurseur de cette sécularisation, ce qui en dirait plus long sur nos attentes contemporaines vis-à-vis du siècle des Lumières que sur les enjeux qui l’ont réellement traversé, et que les sources disponibles nous permettent de saisir. Dietrich est rattaché à la paroisse luthérienne du Temple Neuf, où trois de ses fils ont été baptisés. La paroisse, y compris en monde urbain, continue de structurer au XVIIIe siècle la géographie des quartiers et de rythmer le quotidien de ses habitants. Il est vrai que ce n’est pas la seule communauté à laquelle Dietrich se sent lié. Franc- maçon, il est initié à la Loge de « La Candeur » à Strasbourg en 1767. Correspondant et membre de plusieurs sociétés savantes d’Europe, il est élu à l’Académie des sciences de Paris en 1786. Quand éclate la Révolution au printemps 1789, il est un membre actif de la Société des Amis des Noirs, avant de regagner Strasbourg où sa carrière politique le ramène. Ces adhésions multiples, qui isolément ou combinées ont pu être interprétées par ses détracteurs comme des marqueurs d’incroyance, en font-ils pour autant un libre-penseur, qui serait indifférent à la place du religieux dans la société, et capable de bannir toute foi du « socle [sur lequel] bâtir un parcours existentiel5 » ? La philosophie, les sciences et l’occultisme sont-ils au XVIIIe siècle les « appuis6 » d’une possible irréligion ?

Absence de religion ou foi insaisissable ?

4 « Je suis condamné, je mourrai demain dans des sentiments de religion dont mon cher Papa m’a toujours donné l’exemple », écrit Biron depuis sa cellule avant de monter sur l’échafaud7, recommandant à Dieu son âme de libertin repenti de la dernière heure.

5 Rien de tel dans la dernière lettre de Dietrich, maire déchu, adressée à ses fils, les exhortant en décembre 1793 à ne pas chercher à venger sa mort et à trouver du réconfort dans la nouvelle de sa condamnation et de la fin des tourments endurés par sa famille depuis plus d’un an : « J’attends ma fin avec un calme qui doit vous servir de consolation ; l’innocent peut seul l’envisager ainsi. […] Mes chers enfans […]. Je vous dis adieu pour la dernière fois8 ». Si l’argument ab silentio n’est pas suffisant pour établir un détachement de la religion, force est de constater que Dietrich a à cœur de se justifier devant les hommes plutôt que devant Dieu, et, contrairement à Biron, ne livre dans ses derniers écrits aucune référence évoquant une mort chrétienne, Dieu ou l’autre monde qu’il s’apprête à gagner. Mais cette absence de formules pieuses dans les écrits du for privé et les documents testamentaires de protestants n’est pas rare9.

6 L’étude des 28 dernières lettres envoyées par le condamné à son épouse10 donne cependant le même résultat. Une seule mention religieuse apparaît dans ce corpus, par le biais indirect d’une expression : « Dieu veuille que ta santé supporte tous les coups qui ne cessent de nous frapper11 ». Le reste du temps, Dietrich évoque des préoccupations terrestres et le regret d’être séparé de son épouse dans ce monde-ci. Il l’assure de son moral « sans secours de thériaque12 », un somnifère qu’il parvient à se procurer. Il tient à rester digne dans l’adversité13, mais songe en même temps au suicide si ses forces venaient à lui manquer face au bourreau : « mon Etat n’empire pas et je conserve mes forces. Sois sûre que je prendrois mon remède si je les voiais m’abandonner14 ». Les jours plus gais, Dietrich évoque les partitions de Gluck, de Haydn et des chansons de Rousseau qu’il recopie et échange avec les membres de sa famille 15,

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et le réconfort qu’il trouve à disposer d’un piano et à partager sa cellule avec son chien Coco, devenu la mascotte de la prison.

7 Dietrich peut être considéré comme un « esprit fort ». Peu préoccupé de religion à la veille de sa mort, son œuvre et ses travaux sont marqués par une « manière de raisonner […] omettant de glorifier la création divine », comme l’écrit Jean Dagen, attentif aux écrits de Fontenelle16. S’il lui arrive de nommer Dieu ou d’invoquer la Providence, ce « n’est que simple courtoisie et prudence dans la société qu’il fréquente et envers ses lecteurs : la moins compromettante des concessions17 ». Cela n’en fait pas pour autant un libertin irréligieux ou un athée militant. Est-il déiste ou agnostique ? Rien ne permet de l’établir avec certitude. Sa bibliothèque comporte de nombreux livres religieux, qui sont des classiques du protestantisme, mais comme dans toutes les bibliothèques bourgeoises et aristocraties du XVIIIe siècle, la part d’ouvrages religieux a tendance à se réduire de décennie en décennie18.

8 Si les sources restent muettes sur la réalité de la foi de Dietrich ou un possible détachement vis-à-vis d’elle, elles ne passent pas sous silence son appartenance confessionnelle. Philippe Frédéric de Dietrich est, comme tous les membres de sa famille, luthérien. Sa femme, Sybille Louise Ochs, est issue d’une famille franco-bâloise installée à Hambourg, et qui fréquente la paroisse française réformée d’Altona, ville voisine. Or, être protestant en France au XVIIIe siècle n’est pas anodin. Jusqu’à l’Édit de tolérance du 17 novembre 1787, le protestantisme ne jouit d’aucune existence légale, et ses options religieuses sont combattues par l’Église, à l’image de l’abbé Pluquet qui publie en 1762 dans son Dictionnaire des hérésies une notice sur le luthéranisme qu’il considère comme un égarement de l’esprit humain.

9 Plusieurs projets pour faire des protestants français de loyaux sujets du Roi sont à l’étude, « dont le plus singulier n’était point la naturalisation alsacienne de tous les réformés français, ainsi admis à la tranquillité dont jouissait cette province19 ». En effet, la coexistence religieuse entre catholiques, luthériens y est organisée. À Strasbourg, dès 1681, Louis XIV instaure la parité et l’Alternative pour y rétablir le catholicisme. Lorsque Philippe Frédéric de Dietrich, descendant de l’Ammeister Dominikus Dietrich qui, en 1685, avait refusé d’abjurer le protestantisme malgré deux exils ordonnés par Louvois, abandonne en 1790 sa carrière scientifique à Paris pour briguer la mairie de Strasbourg, la ville compte 49 948 habitants, dont plus de la moitié sont catholiques depuis les années 177020.

10 En Alsace comme sur toute la rive gauche du Rhin, la coexistence religieuse entre catholiques et protestants est institutionnalisée. Christophe Duhamelle et Laurent Jalabert ont montré que des frontières confessionnelles, matérielles et identitaires, séparent ou traversent les villages21. La coexistence des catholiques et des protestants, plus pacifique dans la deuxième moitié du siècle22, est difficile à appréhender, car les archives ignorent une majorité de contextes apaisés et ne conservent que les traces de heurts23. En Alsace, elle est marquée par l’exercice partagé de la religion dans de nombreux villages : le simultaneum, reposant « sur l’alternance du culte pour chacune des confessions en vertu d’un calendrier fixé à l’avance […] ou d’un règlement fixant les jours et heures de culte de chacun24 » et le partage de l’espace public.

11 Une querelle de simultaneum est portée en 1784 à la connaissance de Dietrich par Georges Jacques Eissen (1740-1825), pasteur de Niederbonn. Le jour du Vendredi saint, le nouveau pasteur d’Oberbronn, Vierling, entend remettre au goût du jour une tradition luthérienne tombée en désuétude, à savoir une heure de prière en fin d’après-

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midi, annoncée par sonnerie de cloches, ce qui remet en cause le fragile équilibre trouvé entre son prédécesseur et le clergé catholique25.

12 Ce dernier avait obtenu du pasteur Oertel que les cloches ne sonnent pas ce jour plus important pour les protestants que pour les catholiques, à tel point qu’Eissen se plaint de ce que « ce jour là nos gens ne savent jamais quand ils doivent s’assembler à l’eglise, ils arrivent souvent au milieu du sermon, et d’autres qui demeurent loin, à sa fin26 ». Cette fois, les protestants sont convoqués par sonnerie de cloches, si fort que « le curé cathol. à l’instigation de quelques personnes, s’avise de signifier un acte au ministre Vierling pour lui défendre d’entrer à l’église. On cherchoit à animer et aigrir les esprits, mais les notres ont montré beaucoup de modération et se sont retirés tranquilement27 ». Eissen recommande à son collègue la plus grande prudence et de s’en remettre au seigneur du lieu, compétent pour les questions religieuses : Jean III de Dietrich. Cette affaire embarrasse les autorités des deux confessions : Mgr Duvernin, évêque suffragant de Strasbourg, auxiliaire du cardinal de Rohan sous le titre d’évêque d’Arath, indigné par l’attitude irresponsable du curé, étouffe l’affaire sans en parler au prince-évêque28, et fait sermonner le curé par l’abbé de Neubourg, au même moment où Dietrich père exhorte le pasteur Vierling à davantage de prudence. Eissen fait à Dietrich fils le récit des troubles en ces termes : « Je crois donc qu’il vaut mieux de laisser reposer cette affaire odieuse, qui a jetté beaucoup d’animosité dans les esprits. Mr. l’Eveque d’Arrath a trouvé fort ridicule, que dans nos tems eclairés, comme il disoit, les catholiques forçoient les protestants d’ici à ne pas sonner les cloches pour le service divin le jour du Vendredi Saint : il promit même de donner ses ordres pour que cela n’arrive plus29 ». Pour ces correspondants, de telles disputes, occasion de troubles à l’ordre public, sont jugées archaïques, et leurs responsables considérés comme des esprits étriqués.

La silhouette de Georg Jakob Eissen

Coll. de l’auteur.

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13 Mais en dehors de cette convergence de vues sur la nécessaire coexistence harmonieuse entre chrétiens, les questions religieuses ne sont pas au centre de la relation privilégiée qu’entretient Dietrich avec le pasteur Georges Jacques Eissen (1740-1825), qu’il considère comme son « ami30 », et dont le fils est son filleul31. Aumônier du régiment Royal-Suédois en 1766, Eissen est nommé pasteur à Niederbronn en 1774 par Dietrich père32. Eissen et Dietrich entretiennent une correspondance scientifique, conservée aux Archives de Dietrich pour la période 1784-1789. En début d’année, Eissen transmet à Dietrich un tableau des relevés météorologiques de Niederbronn, dressés d’après deux thermomètres : un thermomètre de mercure « réglé d’après le système de l’Académie » des sciences, et un autre thermomètre d’esprit de vin « fort sensible », dit de « Réaumur33 ». En plus d’indiquer « la variation des vents et l’exacte observation des différents changements de temps pendant chaque mois34 », le pasteur évoque les modalités de relevé des températures et les manifestations de leurs variations dans la région de Niederbronn. Ce relevé et ces observations sont transmis à Dietrich pour qu’il les présente à l’Académie des sciences35, ainsi qu’au Père Cotte, qui centralise toutes les données pour le compte de la Société royale de médecine36.

14 Lorsqu’Eissen est nommé diacre au Temple Neuf en 178737, il doit quitter Niederbronn et revenir à Strasbourg38, où il emménage à regret dans une rue à l’abri de tous les vents39, ce qui ne lui permet plus d’effectuer tous les relevés exigés : « Je m’imagine qu’il y a differentes personnes à Strasbourg qui fournissent de journaux meteorol. au Rev. Pere Cotte, et qu’il seroit superflu de lui en envoyer un incomplet, vu que mes frequentes occupations hors de la maison, ne me permettent pas d’être plus exact40 ». Malgré les obstacles, le pasteur souhaite poursuivre ces échanges savants avec le Père Cotte, dont le travail est reconnu et estimé bien au-delà de son ordre. Dietrich met également le pasteur à contribution pour des travaux de traduction : il lui fait parvenir des cahiers du Göttingisches Magazin der Wissenschaften und Litteratur, dont certains articles ou pièces de correspondance sont à traduire de l’allemand au français en vue d’une parution dans le Journal de Physique de l’abbé Mongez41. Le pasteur met au service de son exercice de traduction sa connaissance des langues testamentaires mais aussi le syriaque42 et le maniement de quelques mots arabes43, en ayant pris soin de demander au baron de Dietrich si l’abbé Mongez pouvait tolérer dans ses articles de physique l’insertion de caractères non latins. Le pasteur Eissen n’est pas en contact direct avec l’abbé Mongez, génovéfain et minéralogiste, directeur du Journal de Physique depuis 1779, mais Eissen s’intéresse à la carrière savante de ce religieux, dont il apprend le départ pour l’expédition de La Pérouse autour du monde44.

15 Dietrich et Eissen font partie, à des degrés différents, d’une république des sciences qui les met en lien avec d’autres savants, en restant tout à fait indifférents aux appartenances religieuses de leurs correspondants. En 1792, Eissen ne voit aucun mal à baptiser le 29 mai 1792, au Temple Neuf, le dernier-né du maire, Georges Gabriel Paul É mile Dietrich45, auquel on donne pour parrains et marraines des amis, des alliés politiques, des militaires de haut rang… dont tous ne sont pas protestants.

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Le plafond de verre d’un luthérien et la tentation d’une conversion au catholicisme

16 Avant de regagner Strasbourg, Dietrich menait à Paris une carrière de minéralogiste. Ses mérites savants sont de notoriété publique, comme en témoigne le journal du marquis de Bombelles, qui voit en lui dès avril 1785 un candidat solide pour une élection prochaine à l’Académie des sciences46. Évoqué lors d’un dîner chez le baron de Mackau le 14 avril 1785, ce projet soulève notamment la question de la religion de la famille. Comme le rappelle le marquis de Bombelles : « quoique les statuts de nos Académies ne spécifient pas de quelle religion il faut être, on n’a pas encore vu de protestants être membres et surtout pensionnaires de ces sociétés47 ». Aucun obstacle formel ne s’oppose donc à la candidature de Dietrich, même si Bombelles prend soin de signaler la nouveauté de cette tolérance, notamment défendue par le baron de Breteuil, académicien et ministre de la Maison du Roi, qui a « cherché constamment à adoucir le sort des Protestants du royaume et à effacer cette barbare distinction qu’un culte différent établissait entre les sujets du Roi48 ». Une fois élu le 2 août 1786, plusieurs correspondants de Dietrich, comme le pasteur de Rothau, Kolb, ne manquent pas de le féliciter en saluant le caractère inédit de l’élection d’un protestant49. La nouvelle parvient à Berlin, où elle est interprétée comme une victoire de la tolérance sur les blocages confessionnels : la Société des Curieux de la Nature de Berlin, à laquelle Dietrich appartient, se réjouit d’apprendre que son élection « a eu raison de tous les préjugés50 ».

17 Paradoxalement, l’appartenance confessionnelle représente en Alsace, où le protestantisme n’était pas clandestin tout au long du XVIIIe siècle, un obstacle plus important qu’à Paris. Le Directoire de la Noblesse immédiate de Basse Alsace, composé d’une majorité de catholiques, hormis 4 conseillers luthériens, n’autorise pas la réception de syndics et d’assesseurs protestants avant 1788. De même, les titulaires d’offices de judicature au Conseil souverain d’Alsace sont forcément catholiques, en raison d’un serment à prêter. La nomination de Dietrich au prétorat51 royal de la ville de Strasbourg en 1789 bouscule le fragile équilibre confessionnel. Dietrich, au premier semestre de l’année sans pareille, brigue ce poste qui ferait de lui le représentant de Louis XVI auprès du Magistrat et le gardien des intérêts de la Couronne à Strasbourg, jusqu’alors occupé par un officier malade, Gérard. Dans une lettre au ministre de la Guerre, dont dépend toujours Strasbourg, le Conseil souverain d’Alsace demande à ce que soient respectées les lois qui interdiraient à un protestant d’être élevé au prétorat. L’intendant de la province, Chaumont de la Galaizière, ne ménage pas son soutien à Dietrich, expliquant au ministre que seul Dietrich serait en mesure de dénouer de nombreuses tensions, réunissant « à des talents distingués une grande douceur de mœurs, une aménité qui concilie, qui rapproche, qui ramène les esprits […] ; il connaît parfaitement les intérêts de la ville, et a surtout l’avantage d’être appelé à sa tête par le vœu unanime du Magistrat […]. M. de Dietrich est l’homme de la chose52 ». Pour l’intendant, ces qualités et la tolérance nouvelle justifient que le roi choisisse cette fois un luthérien plutôt qu’un catholique : « le temps et le progrès des lumières amènent nécessairement des changements dans les principes, et la loi récente sur les protestants, en admettant une tolérance légale qui n’existait pas auparavant, permettrait au Gouvernement d’adopter de nouvelles dispositions53 ». Pour faire taire les oppositions quant au luthéranisme de l’impétrant, Dietrich propose, en solution de

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compromis, la délivrance d’« un simple brevet, qui l’autorise d’exercer, en l’absence du préteur royal et en qualité de commissaire de Sa Majesté, les fonctions d’administration confiées à celui-ci […] Par ce moyen, l’office et les appointements resteront au titulaire, la religion ne formera pas d’obstacle, et la Cour souveraine de Colmar ne saurait avoir aucune prise sur lui54 ». Le 28 juin 1789, Louis XVI signe le brevet le nommant Commissaire du Roi à Strasbourg, où il est solennellement installé dans l’une des salles de l’hôtel de Ville le 6 juillet 1789. Le Conseil souverain d’Alsace marque sa satisfaction au ministre de la Guerre : on n’a dérogé à aucune règle, et le mérite personnel de Dietrich est reconnu55.

18 Au début des années 1780, Philippe Frédéric de Dietrich, alors en déplacement à Hambourg, a sérieusement songé à donner à ses enfants une éducation catholique, afin qu’ils ne subissent pas le poids du même plafond de verre qui semblait peser sur sa propre carrière. Dès le 29 octobre 1781, Dietrich confie à sa marraine de cœur, Mme Douet, son « désir […] d’assurer la religion de [s]es enfants après [s]a mort56 ». Le registre de copies de lettres adressées depuis Hambourg indique « affaire de famille », et, pour cette raison, ne fait pas l’objet d’un recopiage in extenso du courrier envoyé.

19 Il n’est pas question d’une conversion personnelle ou de celle de ses enfants, mais d’une éducation catholique. Ce choix a fortement déplu au grand-père des intéressés, comme en témoigne une lettre adressée par Dietrich à son père à l’occasion de la Noël 1781, pour tenter d’apaiser son courroux57, et comme le confie le marquis de Bombelles à son journal : Le baron de Dietrich […] a pensé mourir de colère et de chagrin en voyant qu’un de ses fils […] s’est déterminé à faire élever ses enfants dans la religion catholique ; peu s’en est fallu qu’il ne le déshéritât. Pourtant le mérite de ce jeune homme, la considération qu’il s’est acquise ont désarmé le courroux de son père, et sous peu de jours un gouvernement plus tolérant, plus éclairé, va permettre que l’Académie des Sciences agrée pour un de ses membres le baron de Dietrich fils […]. Ce sera le premier religionnaire qui ait été académicien ordinaire, quoique les statuts de l’Académie ne fassent pas mention d’eux58.

20 C’est effectivement à un catholique que Dietrich confie l’éducation de ses enfants : Alexis Gloutier, un Haut-Marnais promis à l’état ecclésiastique, mais qui préfère les mathématiques à la théologie. Élève de l’abbé Joseph-François Marie, professeur de mathématiques au Collège Mazarin et sous-précepteur des enfants du comte d’Artois, il devient à son tour professeur de Mme de Condorcet, puis précepteur des enfants de M. d’Arbouville. « Véritablement religieux » mais détestant « l’obligation de célibat59 », Gloutier, ne souhaitant pas rentrer dans les ordres, se retrouve sans emploi en 1787, et est recommandé à Dietrich par l’abbé Marie en 178760. Il devient à Paris le précepteur de ses deux fils, Fritz et Gustave Albert, et l’homme de confiance de la famille.

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Philippe Frédéric et Sybille de Dietrich, qui font le choix d’élever leurs fils (ici Fritz, à sa naissance, en 1773), dans la religion catholique

Collection particulière – château de Ja egerthal

21 La sincérité de ce choix de précepteur, recruté pour ses qualités et par affinité, contraste avec l’opportunisme que les détracteurs de Dietrich dénoncent au sujet du changement d’éducation religieuse de ses fils. Il se murmure que Dietrich cherche à jouer sur les deux tableaux confessionnels, portant à Strasbourg à sa boutonnière la médaille du mérite militaire au bandeau bleu, décernée aux protestants qui ont servi le roi de France, qu’il lui arrive de porter avec un bandeau rouge à Paris, comme s’il s’agissait d’une décoration remise à un sujet de la religion établie. Un détracteur répondant au pseudonyme de « J. F. Bouail » adresse à une date qui n’est pas connue à la Société des Amis de la Constitution une dénonciation en vers de cette duplicité confessionnelle :

22 Profession de foy de M. D.61

23 Luthérien à Strasbourg, catholique à Paris Flatteur auprès des grands, fourbe avec les petites L’on ne distingue en moi nulle délicatesse J’ai très peu de talens mais beaucoup de souplesse Intriguant consommé, par cent mille détours Je suis Maire et voudrai le demeurer toujours L’a(…) mes (…) l’autre s’en émerveille He(…) pour pla(…)ons ce que j’ai fait la veille Je le dément le jour. Catholique trop doux Reconnoissez D… D… se f… de vous.

24 J. F. Bouail

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25 Ce libelliste appelle ses coreligionnaires catholiques à ne pas se laisser abuser par les manœuvres du maire, et dénonce son identité confessionnelle floue comme une preuve de la malhonnêteté de l’édile et de ses mœurs peu recommandables.

Dietrich défini par ses détracteurs : révolutionnaire parce que franc-maçon, partial parce que protestant

26 L’abbé Barruel, dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, parus à partir de 1798, cite Dietrich comme un homme clef du complot des francs-maçons et des illuminés pour renverser l’ordre ancien et propager la Révolution en France et en Europe. Ces accusations sont postérieures aux faits, n’ont de cohérence que pour ennemis de la Révolution, et ne reflètent en rien la réalité de l’activité maçonnique de Dietrich, qui d’ailleurs n’a jamais fait partie de la société secrète des Illuminés de Bavière62, même s’il était en lien avec plusieurs Illuminaten aujourd’hui démasqués. En revanche, il a été sensibilisé à l’illuminisme bien représenté à Strasbourg dans les loges suivant les rites de la maçonnerie templière allemande63. Car Dietrich est bel et bien franc-maçon. Il est membre de la loge de « La Candeur » à Strasbourg, comme son père, membre de cette loge aristocratique depuis sa création en 1763, et son frère aîné. Le père et les fils Dietrich sont d’ailleurs parfois difficiles à différencier dans les sources64. Le futur maire de la ville est reçu à « La Candeur » en 1767, l’année où il soutient sa licence de droit à l’Université de Strasbourg. Les registres attestent de sa présence en 1769, mais il semble s’éloigner de la loge après 1770, probablement en raison de voyages en Suisse, en Italie et en Angleterre, et le 25 janvier 1775 déclare ne plus pouvoir assister aux travaux de la loge65. Ce cas n’est pas isolé : pour les fils de la noblesse, l’entrée dans la loge importe souvent davantage que la participation réelle aux travaux. Pourtant, les liens de Dietrich avec la maçonnerie ne sont pas rompus pour autant : en 1791, un certain Le Maire, en mission de renseignement sur le Rhin, écrit à son supérieur : Mon général, depuis votre départ, M. Dietrich, maire de Strasbourg, a fait imprimer en allemand une couple de milliers d’exemplaires d’un imprimé de la Loge de Saint- Jean d’Ecosse du Contrat social à Paris, mère Loge du rite écossais en France que j’ai fait traduire en bon allemand et j’y ai ajouté à la fin un petit discours pour les frères des pays étrangers […]. Vous verrés, mon général, que cet écrit, surtout en allemand, fera des merveilles à l’étranger : j’ai été assés heureux de passer en lieu de sûreté toute cette pacotille à la rive droite du Rhin et je joins aussi une liste de 44 villes épiscopales de l’Allemagne et des Pays-Bas autrichiens où j’en ferai passer directement à tous les Vénérables des Loges de chacune de ces villes66.

27 La maçonnerie, née en monde anglo-saxon anglican ou presbytérien, est à Strasbourg essentiellement protestante à ses débuts. Mais contrairement à la société urbaine qui voit deux communautés séparées coexister67, au mieux en s’ignorant et en se surveillant, les loges offrent une possibilité de contact entre notabilités catholiques et protestantes. Selon les estimations de Bertrand Diringer, laissant de côté les frères de passage, sur 380 maçons ancrés à Strasbourg dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, 159 sont protestants et 221 sont catholiques68. Le phénomène de la maçonnerie n’est donc plus spécifiquement protestant à la veille de la Révolution française.

28 L’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, sur la liberté des opinions religieuses, abolit les distinctions entre l’ancienne religion établie et les religions qui n’étaient jusqu’alors que tolérées. Cette mesure, censée ravir les

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protestants dont le destin changeait à la faveur d’une Révolution qu’ils ne pouvaient dès lors que soutenir, remet en cause en Alsace l’équilibre des mesures trouvées tout au long du XVIIIe siècle pour favoriser la paix confessionnelle. La vente des biens du clergé ravive les tensions entre communautés. Un décret du 1er décembre 1789 excepte provisoirement les biens protestants de la vente des biens du clergé69. Une assemblée d’une centaine de notables protestants dépêche à Paris Christophe-Guillaume Koch pour défendre les droits acquis des luthériens de la ville, et mettre en avant l’argument selon lequel les biens des protestants avaient cessé d’appartenir à l’Église au moment de la Réforme, et seraient donc pour cette raison déjà sécularisés. Un décret du 17 août 1790 accepte le vœu des protestants70, mais ce traitement de faveur empoisonne le mandat de Dietrich, bâti sur la destruction des privilèges anciens de la ville et la construction d’une municipalité sans distinctions et conduite dans l’intérêt général. Dans son livre sur L’Alsace et la Révolution, Claude Muller cite les avertissements que Dietrich lance à l’été au duc de la Rochefoucauld : « Nos ministres ne doivent pas être traités par d’autres principes que votre clergé. Celui-ci aurait de justes plaintes à former qu’on le favoriserait plus que lui71 ». Au nom de l’égalité, il cherche à convaincre Victor de Broglie de mettre fin à cet avantage qui pourrait être mal interprété : « Si le clergé protestant conservait ses biens, les catholiques auraient à se plaindre d’être plus maltraité que lui. L’Assemblée doit être juste. Elle ne doit pas faire de faveur72 ». Dietrich souhaite que l’Assemblée rende un décret dans l’intérêt général, mais il songe aussi à l’égalité de traitement des ministres du culte protestant, qui doivent être logés à la même enseigne que le clergé catholique : « Il faut le dépouiller comme le vôtre et comme fonctionnaires publics d’un et l’autre. Ils sont tous deux payés par la Nation73 ». Mais, aux yeux des Strasbourgeois, l’action du maire chargé de veiller à faire appliquer la vente des biens du clergé et la Constitution civile du clergé ne relève pas d’une attitude légaliste, mais d’une opportunité saisie, voire orchestrée par le parti protestant, pour affaiblir durablement le catholicisme. Le protestantisme du maire devient la raison des tourments dont se sentent victimes les catholiques, encouragés en cela par la presse contre-révolutionnaire qui décrit Dietrich dès 1790 comme un démon : « Ce luthérien de religion, zélé révolutionnaire par principe, à ces deux titres ennemi naturel du clergé catholique […] a les yeux de la prévention et de la haine74 ».

Improvisé ou conscient ? L’exemple d’un parcours de sécularité

29 Il n’est pas possible de partager dans son intégralité l’opinion d’un curé en poste dans une paroisse du Maine en 1787, Beucher, convaincu qu’« aujourd’hui, tous les grands et les personnes en place n’ont absolument aucune religion75 ». Aucune source n’a permis de démontrer clairement l’athéisme ou l’agnosticisme de Philippe Frédéric de Dietrich, même si ses lectures philosophiques, ses travaux scientifiques, son activité maçonnique sont sans doute à articuler à des conceptions déistes ou théistes. C’est au sujet de la place des religions en société et des enjeux de l’appartenance confessionnelle que le parcours de Dietrich est le plus riche d’enseignements. Dietrich n’est pas hostile aux religions et se réjouit de les voir coexister en paix dans un esprit de tolérance qui rend l’altérité religieuse de moins en moins suspecte. Mais il refuse de subir le moindre déterminisme confessionnel qui obscurcirait son jugement ou limiterait son horizon. La religion ne doit pas primer sur l’intérêt général et la reconnaissance de mérites

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personnels, surtout lorsque l’on est soi-même candidat à une nomination. En cela, les choix de Dietrich relèvent d’un parcours de sécularité. Même s’il est moins attaché à la Confession d’Augsbourg que son père, protestant de tradition et de conviction, il ne nie pas l’importance des religions dans l’organisation des sociétés humaines. C’est finalement dans un discours public, le 18 mars 1790, au moment de son investiture, après des solennités à la cathédrale de Strasbourg et au Temple Neuf, que Dietrich invoque le plus clairement une puissance supérieure : Dieu de paix, d’union et de fraternité ! Souverain des nations que nous adorons tous ! C’est devant toi que nous apportons notre première offrande sur l’autel de la patrie. Fais que nous répondions à l’attente de nos concitoyens ; fais que nous méritions leurs bénédictions et celles de la génération future ! C’est en osant t’adresser ces vœux sacrés que nous allons jurer : de maintenir de tout notre pouvoir la Constitution du royaume, d’être fidèles à la Nation, à la Loi et au Roi ; de bien remplir nos fonctions76.

30 La recherche de la protection tutélaire d’un être suprême et la volonté d’associer les deux communautés religieuses de Strasbourg à son mandat sont manifestes. L’humilité de sa prière l’est un peu moins.

NOTES

1. . Catherine MAURER, Religion et culture dans les sociétés et dans les États européens de 1800 à 1914, Paris, Bréal, 2001, p. 206. 2. . Yves L EDURE, Sécularisation et spiritualité. Approche anthropologique du christianisme, Bruxelles, Lessius, 2014, p. 61. 3. . Marcel GAUCHET, Le désenchantement du monde, Paris, Gallimard, 1985. 4. . Abdennour BIDAR, Comment sortir de la religion, Paris, La Découverte, 2012. 5. . Yves LEDURE, Sécularisation et spiritualité, op. cit., p. 8. 6. . Lucien FEBVRE, Le problème de l’incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais, Paris, Albin Michel, 2003. 7. . Benedetta CRAVERI, Les derniers libertins, Paris, Flammarion, 2016, fig. 20. 8. . Honoré-Jean Ri OUFFE, Mémoires d’un détenu pour servir à l’histoire de la tyrannie de Robespierre, 2de éd., Bapaume, Danel & Héancre, 1795, p. 184‑185. 9. . Yves KRUMENACKER, Des protestants au siècle des Lumières. Le modèle lyonnais, Paris, Honoré Champion, 2002, p. 96-97, 266‑267. 10. . Archives de Dietrich (ADD) 96/I/1 à 28. Lettres de Philippe Frédéric de Dietrich à son épouse Sybille, à Besançon. 11. . ADD 96/1/19. Lettre du 22 frimaire an II (12 décembre 1793). 12. . ADD 98/I/8. Lettre du 4 frimaire an II (24 novembre 1793). 13. . ADD 96/I/9. Lettre du 8 frimaire an II (28 novembre 1793). 14. . ADD 96/I/17. Lettre du 20 frimaire an II (10 décembre 1793). 15. . ADD 98/I/3. Lettre du 6e jour du 2e mois de l’an II (27 octobre 1793). 16. . Jean D AGEN, « Fontenelle “esprit fort” », ThéoRèmes [en ligne], 9/2016, mis en ligne le 20 décembre 2016, [consulté le 30 décembre 2016]. 17. . Ibid.

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18. . La liasse ADD 61/3 renferme tous les inventaires de sa bibliothèque. 19. . Émile G. LÉONARD, Histoire générale du protestantisme, t. 3, Déclin et renouveau, Paris, PUF, 1988, p. 29. 20. . Jean-Frédéric H ERMANN, Notices historiques, statistiques et littéraires sur la ville de Strasbourg, Strasbourg, Levrault, t. 2, 1819, p. 106. En 1778 : 52,2% de catholiques, 44,5% de luthériens et 3,3% de calvinistes à Strasbourg. 21. . Christophe DUHAMELLE, La frontière au village, une identité catholique allemande au temps des Lumières, Paris, Éditions de l’EHESS, 2010 ; Laurent JALABERT, Catholiques et protestants sur la rive gauche du Rhin. Droits, confessions et coexistence religieuse de 1648 à 1789, Bruxelles, Peter Lang, 2009. 22. . Claude MULLER, « «Wir haben den selben Herrgott». Luthériens et catholiques en Alsace au XVIIIe siècle », in Dominique DINET et François IGERSHEIM, Terres d’Alsace, chemins de l’Europe, mélanges offerts à Bernard Vogler, Strasbourg, PUS, 2003, p. 423‑445. 23. . Jean-Michel B OEHLER, « Appartenance religieuse et vie quotidienne : protestants et catholiques dans la campagne alsacienne (1648-1789), Résultats, hypothèses, controverses », in Dominique DINET et François IGERSHEIM, Terres d’Alsace, chemins de l’Europe, op. cit., p. 121‑148. 24. . Laurent JALABERT, Catholiques et protestants sur la rive gauche du Rhin, op.cit., p. 394. 25. . HOEPFFNER, Der Pfarrer Georg Jakob Eissen, seine Freude und seine Zeitgenossen. Ein strassburger Zeitbild aus dem 18. Jahrhundert, Strasbourg, Heitz & Mündel, 1906, p. 28‑29. 26. . ADD 64a/133. Lettre d’Eissen à Dietrich, 9 juin 1784. 27. . ADD 64a/132. Lettre d’Eissen à Dietrich, 19 avril 1784. 28. . Ibid. 29. . ADD 64a/133. Lettre d’Eissen à Dietrich, 9 juin 1784. 30. . ADD 64a/128. Lettre de Dietrich à Eissen, 15 mars 1784. 31. . ADD 64a/136. Lettre d’Eissen à Dietrich, 6 janvier 1787. 32. . HOEPFFNER, Der Pfarrer Georg Jakob Eissen, op.cit. 33. . ADD 59/9/45. Lettre d’Eissen à Dietrich, 10 février 1784. 34. . ADD 63/97. Lettre d’Eissen à Dietrich, 13 février 1789. 35. . ADD 64a/128. Lettre de Dietrich à Eissen, 15 mars 1784 ; ADD 64a/136. Lettre du pasteur Eissen à Dietrich, 6 janvier 1787. 36. . Le Révérend Père Louis Cotte (1740-1815), supérieur de l’Oratoire de Montmorency, est auteur de plusieurs mémoires et traités d’histoire naturelle, d’astronomie, de physique et de météorologie. 37. . Christian WOLFF, « Eissen Georges Jacques », in Jean-Pierre KINTZ, dir., Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, t. 9, Strasbourg, Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, 1986, p. 783. 38. . ADD 64a/139. Lettre d’Eissen à Dietrich, 16 janvier 1788. 39. . AVES AA2005b. Lettre d’Eissen à Dietrich, 20 janvier 1789. 40. . ADD 64a/139. Lettre d’Eissen à Dietrich, 16 janvier 1788. 41. . ADD 64a/131. Lettre d’Eissen à Dietrich, 26 février 1784. 42. . ADD 64a/132. Lettre d’Eissen à Dietrich, 19 avril 1784. 43. . ADD 64a/133. Lettre d’Eissen à Dietrich, 9 juin 1784. 44. . ADD 64a/134. Lettre d’Eissen à Dietrich, 1er janvier 1786. 45. . Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg (AVES). Registre de la paroisse protestante du Temple Neuf BN 1790-1792, p. 32, consulté sur Adeloch le 31 mars 2017. 46. . BOMBELLES, Journal, t. 2 (1784-1789), Genève, Droz, 1982. 47. . Ibid., p. 131. 48. . Ibid. 49. . ADD 13/9/2. Lettre de Kolb à Dietrich, 16 octobre 1786.

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50. . ADD 62/332. Lettre de la Société des Curieux de la Nature de Berlin à Dietrich, 23 avril 1787. 51. . Les archives évoquent un « prétorat » plutôt qu’une « préture ». 52. . Archives nationales (AN), F 1C, III, 13, Bas-Rhin. Lettre de l’intendant d’Alsace à Puységur, ministre de la Guerre, 30 mars 1789. 53. . Ibid. 54. . AN F1C, III, 13, Bas-Rhin. Lettre de Dietrich à Puységur, juin 1789. 55. . AN F1C, III, 13, Bas-Rhin. Lettre du Conseil souverain d’Alsace à Puységur, 7 juillet 1789. 56. . ADD 64/I, p. 29. Lettre de Dietrich à Mme Douet, 29 octobre 1781. 57. . ADD 64/I, p. 45-46. Lettre de Philippe Frédéric à Jean de Dietrich, Noël 1781. 58. . Ibid., p. 49. 59. . ADD 60a/15/1. Notice sur la vie d’Alexis Gloutier rédigée par Jean-Albert-Frédéric de Dietrich, vers 1800. 60. . J.-B. MATHIEU (abbé), « Alexis Gloutier », in Biographie du département de la Haute-Marne, Chaumont, Veuve Bouchard, 1811, p. 221-223. 61. . AVES, fonds des Jacobins, 205 MW7/175. Document (troué en deux endroits) aimablement signalé par Élisabeth Messmer-Hitzke. 62. . Hermann SCHÜTTLER, Die Mitglieder des Illuminatenordens, 1776-1787/93, Munich, Deutsche Hochschuledition, 1991. 63. . Pierre-Yves B EAUREPAIRE, dir., Dictionnaire de la franc-maçonnerie, Paris, Armand Colin, 2014, p. 113‑118. 64. . Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNUS), Ms 5437. Registre des procès- verbaux de « La Candeur » et Bibliothèque nationale de France (BNF), FM2 423 fo11 au sujet des responsabilités maçonniques du frère aîné de Dietrich, Hansel. 65. . BNUS Ms 5437. 66. . AN F7 4396, document cité par Albert Mathiez, Annales révolutionnaires, t. 6, no 1, janvier- février 1913, p. 102. 67. . Les mariages mixtes ne sont autorisés qu’à partir de 1774, écrit Louis CHÂTELLIER, « Religion et esprit des Lumières à Strasbourg vers 1770 », Revue d’Allemagne, t. 3, no1, « Goethe et l’Alsace », janvier-mars 1971, p. 73. 68. . Bertrand DIRINGER, Franc-maçonnerie et société à Strasbourg au XVIIIe siècle, mémoire de maîtrise sous la direction de Georges Livet et de Louis Châtellier, Strasbourg, 1980, p. 150. 69. . Henri STROHL, Le protestantisme en Alsace, 1950, rééd. Strasbourg, Oberlin, 2000, p. 291. 70. . Ibid., p. 292. 71. . ADD 64/I/2. Copie de la lettre de Dietrich à La Rochefoucauld, 23 août 1790. 72. . ADD 64/I/2. Copie de la lettre de Dietrich à Broglie, 23 août 1790. 73. . ADD 64/I/2. Copie de la lettre de Dietrich à Broglie, 2 septembre 1790. 74. . AN D XXIX, 77. L’Ami du Roi du 19 octobre 1790. 75. . Cité par François BLUCHE, La vie quotidienne au temps de Louis XVI, Paris, Hachette, 1980, p. 150. 76. . Procès-verbal d’installation de la municipalité de Strasbourg, Strasbourg, Ph. J. Dannbach, 1790.

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RÉSUMÉS

Le protestantisme alsacien a été marqué à plusieurs époques par des grandes figures de la famille de Dietrich, tels Dominikus Dietrich, Ammeister de Strasbourg refusant à la fin du XVIIe siècle de se convertir au catholicisme, ou encore Suzanne de Dietrich, ingénieure devenue théologienne, co-fondatrice de la Cimade et cheville ouvrière de l’Institut œcuménique de Bossey après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, la figure centrale de la famille, Philippe Frédéric de Dietrich, premier maire de Strasbourg, n’est pas aujourd’hui retenue pour son exemplarité religieuse. Le premier chanteur de la Marseillaise serait plutôt un homme nourri de sociabilités mondaines, académiques et maçonniques, désireux de se jouer des barrières confessionnelles. Mais peut-on pour autant faire de Dietrich le témoin, l’acteur voire le précurseur ou le promoteur conscient d’un processus de sécularisation, dont la linéarité, l’irrémédiabilité et l’irréversibilité sont d’ailleurs aujourd’hui controversées ? Cet article donne l’occasion de démontrer que Dietrich, sans cesse confronté à la question de la place du religieux en société, n’a été ni le protestant déterminé à réduire l’influence du catholicisme à Strasbourg à la faveur de l’application des décrets révolutionnaires, ni le protestant indigne mis en avant par ses détracteurs à partir de la campagne électorale de 1790 à Strasbourg. (Daniel Fischer).

The history of the Protestant Church in Alsace has been marked repeatedly by the notable presence of members of the Dietrich family, such as Dominikus Dietrich, Ammeister of Strasbourg, who, in the late 17th century, refused to convert to Catholicism or, in later centuries, Suzanne de Dietrich, an engineer who had studied theology and become the co-founder of the Cimade (an organisation for the protection of refugees during World War II) and later the main artisan of the Bossey Oecumenical Institute. However, the leading figure of this family, Philippe Frédéric de Dietrich, the first of Strasbourg, is not being recorded nowadays as a religious model. The man who first sang La Marseillaise was rather known for his socializing as an academic and a free mason, frowning on religious division. But would this encourage to see de Dietrich as the witness, the main actor or even the deliberate promoter of an uninterrupted process of secularisation as such, when all of this is being questioned nowadays? This article offers a chance to demonstrate that de Dietrich, although confronted with the place of religion in society, has been, neither a staunch Protestant, determined to reduce the influence of Catholicism in Strasbourg by the possible enforcement of revolutionary decrees, nor the shameful Protestant as described by his opponents in the 1790 electoral campaign. (trad. Pierre Boulay).

Der elsässische Protestantismus wurde maßgeblich beeinflusst durch Persönlichkeiten aus der Familie de Dietrich, wie Dominikus Dietrich, Ammeister von Straßburg, der sich weigerte, Ende des 17. Jahrhunderts zum Katholizismus zu konvertieren, oder auch Suzanne de Dietrich, Ingenieurin, die zur Theologin, Mitbegründerin der CIMADE und nach dem 2. Weltkrieg treibende Kraft des ökumenischen Instituts von Bossey wurde. Die zentrale Figur der Familie Philippe Frédéric de Dietrich, erster Oberbürgermeister von Straßburg, wird allerdings nicht als religiöses Vorbild von der Nachwelt verehrt. Er, der als erster die Marseillaise sang, war vielmehr dem mondänen, akademischen und freimaurerischen gesellschaftlichen Leben zugewandt und war dazu geneigt die konfessionellen Barrieren eher locker zu überwinden. Aber berechtigt uns das de Dietrich zum Zeugen, ja sogar zum Antreiber, zum Vorreiter, zum bewussten geistigen Urheber eines Prozesses der Säkularisierung zu machen, dessen Gradlinigkeit, Unabwendbarkeit und Unumkehrbarkeit heute übrigens umstritten sind? Anhand

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dieses Artikel soll gezeigt werden, dass Dietrich, der sich immer mit der Frage konfrontiert sah, welchen Platz das Religiöse in der Gesellschaft einnehmen sollte, auch nicht der Protestant war, der anhand der Anwendung der revolutionären Erlasse entschlossen den Einfluss des Katholizismus in Straßburg zu reduzieren versuchte. Noch weniger war er der «unwürdige» Protestant, als der er von seinen Verleumdern ab Beginn des Wahlkampfes 1790 in Straßburg bezichtigt wurde. (trad. Daniel Fischer).

AUTEUR

DANIEL FISCHER Doctorant en histoire moderne à l’Université de Strasbourg et professeur agrégé à l’ESPE de Lorraine

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Les instituteurs alsaciens et la bataille du catéchisme sous la Révolution Alsatian primary school teachers and the battle of the catechism during the French Revolution Die elsässischen Grundschullehrer und die Schlacht um den Katechismus zur Zeit der Revolution

Chantal Vogler

1 La Révolution française a créé un choc violent sur les anciens maîtres d’école, appelés instituteurs par décret de la Convention du 12 décembre 17921. Au départ le serment de fidélité à la Constitution ne touche que les catholiques, mais la République de 1792 a ensuite exigé un « certificat de civisme » et a voulu une politique de déchristianisation. Les catholiques n’ont pas supporté le remplacement du catéchisme par la récitation de la Déclaration des Droits de l’homme, mais du côté protestant on a tenté d’appliquer la loi. La crise a été aggravée par la volonté d’imposer« la francilisation ». Aucun financement d’État n’a été créé. En 1800 le premier préfet du Bas-Rhin, Laumond, rétablit une école primaire dans chaque village.

2 Dans son ouvrage, Notes sur l’instruction primaire en Alsace pendant la Révolution (1910), Rodolphe Reuss a travaillé sur une quantité d’archives, surtout les procès-verbaux du directoire du département du Bas-Rhin et ceux de la municipalité de Strasbourg. Sur le Haut-Rhin, il n’a dépouillé que les archives de Colmar, très laconiques sur le sujet, pour la période 1790-1792, car son travail de recherche à Colmar a été interrompu par la guerre2. Il a aussi utilisé surtout Charles Hoffmann, L’Alsace au XVIIIe siècle, vol II, 1906, M. Sorgius, Volksschulen im Elsass von 1789-1870, Strasbourg, 1902, à qui il reproche de s’être trop borné à l’aspect législatif, Véron-Réville, Histoire de la Révolution dans le département du Haut-Rhin, Colmar, 1865, mais il regrette que ce conseiller à la cour de Colmar n’ait pas indiqué de références précises à ses sources, si bien que Rodolphe Reuss n’a pas pu les vérifier.

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La situation antérieure

3 Au XVIIIe siècle, l’enseignement primaire dépend des paroisses, et l’antagonisme entre les confessions religieuses fait qu’il est plus développé que dans le reste de la France3. Les écoles privées et les précepteurs particuliers ne se rencontrent que dans les villes4. Les maîtres d’école sont sous la tutelle du clergé ou des pasteurs ; dans l’église elle- même ils sont chantres, organistes et sacristains, ils sonnent les cloches et balaient. Le curé ou le pasteur ont voix prépondérante dans leur nomination dans les villages. Dans les villes, c’est le Magistrat qui décide. Dans le comté de Hanau-Lichtenberg, c’est le consistoire de Bouxwiller qui nomme au nom du landgrave de Hesse-Darmstadt. La durée des contrats est variable, un à trois ans normalement, avec renouvellement ou par tacite reconduction. Ils sont rémunérés normalement par les parents d’élèves et leur situation matérielle est précaire, d’où leur peu d’instruction. Ils exercent parfois une autre profession, comme tailleur ou cordonnier.

4 Il n’y a aucune obligation scolaire et l’absentéisme des élèves est courant. Les élèves ne viennent en général qu’en hiver. Dans certains villages, les instituteurs sont congédiés de Pâques à la Saint-Martin (11 novembre)5.

5 L’enseignement primaire est en allemand, sauf dans les régions francophones, comme Belfort, ou de parler roman, tel le Ban de la Roche où le pasteur Jean Frédéric Oberlin, en poste sous la Révolution, a innové en matière d’enseignement.

Catéchisme de Luther, page de couverture dans une édition ancienne

6 Tous les livres de lecture sont confessionnels, catholiques, protestants ou juifs. On apprend la lecture et l’écriture, mais très peu le calcul. Chaque classe commence et finit par la prière ou le chant d’un cantique. Les livres de lecture, apportés par les élèves, sont l’Abécédaire et le catéchisme. Du côté protestant la Bible s’y ajoute. À Strasbourg,

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le plan d’études des luthériens est conservé pour 1784 : les enfants viennent deux heures le matin et trois l’après-midi, sauf le jeudi et le samedi où ils n’avaient classe que le matin6 : la Bible, l’histoire biblique et le catéchisme de Luther tiennent une place essentielle.

7 Les élèves étaient groupés en alphabétaires (Abschüler), commençants (Buchstabierende) et plus exercés (Lesende)7. Les châtiments corporels étaient d’usage ordinaire et la Révolution les interdit. Quant à l’enseignement des filles, il était d’abord consacré au tricotage8.

L’obligation du serment et le schisme catholique

8 La confiscation des biens d’Église, mis à la disposition de la Nation le 2 novembre 1789, a touché le financement des maîtres d’école catholiques salariés par les églises ou les chapitres. Dès septembre 1792, ceux de Saint-Pierre-le-Vieux, Saint-Pierre-le-Jeune et Saint-Marc à Strasbourg, rémunérés par les chapitres, ne sont plus payés : ils demandent à l’administration départementale de leur verser leur traitement. Celle-ci décide que les biens sous séquestre serviront à les payer et le receveur du clergé est chargé de le faire.

9 La Constitution civile du clergé adoptée le 12 juillet 1790, rejetée par le clergé réfractaire, conduit la Constituante à exiger de tous les prêtres le serment civique en novembre 1790 et de tous les instituteurs un serment de fidélité à la constitution9. D’où un schisme très grave entre assermentés et réfractaires. L’Alsace est une province où le refus de serment a été massif : le Bas-Rhin a enregistré près de 85% de réfractaires, sauf dans la région de Belfort. Les prêtres constitutionnels sont généralement très mal accueillis. Les maîtres d’école catholiques se rangent en majorité du côté des prêtres réfractaires : ils refusent de servir la messe des constitutionnels. L’abbé Kaemmerer, un prêtre constitutionnel venu d’outre-Rhin pour enseigner au séminaire de l’évêque Brendel, écrit dans son journal Die neuesten Religionsbegebenheiten in Frankreich du 30 septembre 1791 « les maîtres d’école alsaciens sont généralement des êtres grossiers, vaniteux, opiniâtres et stupides » (« Knorzige, aufgeblæhte, unbeugsame und erzdummne Geschœpfe »), qui savent se faire admirer du peuple grâce à leur fanatisme religieux, et qui lui inculquent leur ignorance crasse et leurs invectives terrifiantes contre les prêtres constitutionnels. La conviction que la nouvelle Constitution, si sage, si humaine, ne veut plus de convertisseurs, qu’on ne doit plus insulter les chrétiens protestants, mais les traiter en frères, que tous les pèlerinages, mômeries et actes de prestidigitation doivent être bannis de la chrétienté catholique les révolte ». À Oberlauterbach, l’instituteur cache les ornements d’église au nouveau curé et l’empêche de dire la messe, avec la complicité du maire qui refuse de se revêtir de l’écharpe tricolore10.

10 Le conflit entre « cléricaux » et « patriotes » s’aggrave avec la révocation systématique des instituteurs insermentés décidée après la nuit du 10 août 1792 qui met fin à la monarchie. L’administration du Bas-Rhin envoie dès le 25 janvier 1792 un rapport alarmiste à l’Assemblée Nationale : elle a été obligée de destituer plusieurs instituteurs qui ont refusé d’assister les prêtres constitutionnels. Mais les assermentés nommés d’office ne connaissent pas « les premiers éléments de l’instruction » selon un nouveau rapport du 2 août 179111.

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11 Les jureurs affrontent la grève des écoliers. Les communes cherchent à s’en défaire et quelquefois les expulsent de force. C’est le cas à Kuttolsheim12, Kirchheim13 et Ingwiller où l’instituteur catholique assermenté de cette ville à majorité protestante est privé d’élèves14. À Mertzwiller, les paysans se ruent sur la maison de l’instituteur, saccagent sa maison et son jardin et le blessent, ainsi que sa femme et ses enfants, dès juillet 1792. Il est contraint à partir15.

12 À Strasbourg, la municipalité tente de réorganiser les écoles catholiques entre 1791 et 1793.Le 31 janvier 1792. Le département l’autorise à créer dans chacune des six paroisses catholiques de la ville un instituteur et une institutrice. Le traitement sera de 800 livres pour l’instituteur et 450 livres pour l’institutrice, à la charge de la commune, sans aucune autre rétribution que le traitement fixe. On nommera des aides si le nombre d’élèves l’exige16.Le 1er avril 1792 on fermera toute école où le maître ne serait pas assermenté. La prestation de serment de tous les maîtres d’école nommés a lieu le 4 juin 1792 ; l’école Sainte-Barbe est fermée le même jour pour refus de serment17.

13 À Colmar, en mai 1790, la municipalité fait appel aux sœurs de la Providence pour diriger les écoles de filles : trois en allemand, une en français, avec enseignement de la lecture et de l’écriture, outre les travaux manuels. Le règlement est approuvé par l’évêque de Bâle. Les sœurs enseignent jusqu’à septembre 1791, mais leurs écoles sont fermées pour refus de serment18. Le 29 octobre 1791, la municipalité ouvre un concours pour les places de maîtres et maîtresses d’école catholiques, concours auquel assiste l’évêque constitutionnel Arbogast Martin : une école de filles en français dont l’institutrice a 440 livres de traitement, mais pas de logement officiel, une école allemande de jeunes filles confiée à un maître sans logement officiel, deux maîtres pour l’école de garçons, avec un salaire de 340 livres et un logement officiel. L’enseignement est gratuit pour les enfants pauvres, mais les parents aisés doivent payer 10 sols par trimestre19.

Les réactions protestantes

14 Les protestants acceptent le serment dans leur immense majorité. Le 1er mai 1791, tous les professeurs, pasteurs et maîtres d’école protestants de Strasbourg prêtent le serment20. Cependant tous les instituteurs protestants n’ont pas eu le même entrain qu’à Strasbourg : le journal radical Geschichte der gegenwaertigen Zeit du 30 juillet 1791 écrit : « Il y en a qui ont des têtes tellement envasées que pas un rayon de liberté n’y a encore pénétré ». Ainsi l’instituteur réformé de Bischwiller refuse le serment pour la raison qu’il était de Deux-Ponts et qu’il ne pouvait pas prêter un serment civique aux Français21.

15 Les protestants sont parfois touchés dans le mode de nomination, car « les droits féodaux sont abolis » : dans la seigneurie de Hanau-Lichtenberg, le consistoire du landgrave de Hesse-Darmstadt à Bouxwiller perd son droit de nommer les maîtres. À Niederottersbach, l’élection du nouveau maître d’école de 20 ans élu le 28 septembre 1791 par les citoyens de la commune est contestée par le pasteur, qui rappelle les droits du consistoire de Deux-Ponts. L’administration départementale hésite pendant un an avant de décider que le consistoire de Deux-Ponts n’a plus de pouvoir de nommer l’instituteur22.

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16 Certaines paroisses protestantes cherchent à profiter de la situation pour se débarrasser des instituteurs catholiques qu’elles avaient été contraintes de financer. C’est le cas en 1790 au Ban-de-la-Roche, à Kutzenhausen, dans les paroisses d’Eckartswiller et Sparsbach (six familles catholiques seulement à Sparsbach) et à Lampertheim. Elles n’obtiennent pas satisfaction, mais seuls les arriérés de gages sont exigés23. À Wolfisheim, la municipalité demande la suppression du maître d’école catholique, « trop onéreux » pour trois à quatre familles catholiques, mais le directoire du département ordonne de payer cet instituteur comme par le passé24. Une autre astuce des municipalités protestantes pour chasser l’instituteur catholique est de le dénoncer comme réfractaire au serment, ce qui est le cas à Lampertheim, Olwisheim et Rohr, destitutions annulées par les administrateurs du Bas-Rhin, car ils ont prêté le serment25. À Hattmatt, la commune réclame la suppression de l’instituteur catholique, car il n’y a plus que cinq catholiques, mais le directoire refuse26. À Roppenheim, le directoire n’accepte pas de modifier le mode de financement : l’instituteur catholique est payé par tous les citoyens, le protestant par les seuls protestants, ce qui est senti comme une injustice27. Ce même refus est opposé à Pfulgriesheim, Schwindratzheim et Hangenbieten28.

17 Par ailleurs la législation antérieure de Louis XIV est maintenue, qui prévoyait que tous les enfants illégitimes fussent élevés dans la religion catholique : certains parents envoient leurs enfants à l’école luthérienne, alors que le curé constitutionnel les réclame, ce qui est le cas à Geudertheim, à Candel et à Kirrwiller. Le directoire du département s’appuie sur une lettre de l’abbé Grégoire, président du comité de la constitution, à l’abbé Keguelin, curé de Dettwiller, pour ordonner aux récalcitrants d’envoyer leurs enfants illégitimes à l’école catholique29.

18 À Strasbourg, Jean Friesé30, petit-fils de pasteur et ancien ouvrier tisserand qui a suivi des cours à l’université protestante, ouvre au Temple-Neuf une école gratuite pour jeunes apprentis, où l’enseignement est en allemand ; elle fonctionne les dimanches matin dans la grande cour du Gymnase. Son travail est bénévole, il demande des livres de lecture et des cartes de géographie par la voix des journaux31. L’école fonctionne pendant deux ans, puis Friesé est proscrit par la Terreur pour hostilité aux Sans- Culottes, d’abord banni puis emprisonné au séminaire, malgré son enthousiasme révolutionnaire de départ. Il rouvre son école en 1795 et y enseigne à l’école de la paroisse du Temple-Neuf32. Friesé est un des premiers à élaborer un manuel de calcul arithmétique à partir du nouveau système métrique.

La politique de laïcisation et francisation

Suppression de l’enseignement confessionnel par la Convention

19 La Terreur se met en place progressivement à partir de la chute de la royauté le 10 août 1792 et l’exécution du roi le 21 janvier 1793, dans un contexte de défaites militaires.

20 Pendant l’an II, la Convention montagnarde promulgue une série de décrets et lois sur l’enseignement. Elle crée un comité d’instruction publique le 2 octobre 1792, décide le 30 mai 1793 une école primaire pour tous les lieux de 400 à 1 500 habitants, en incluant les agglomérations plus petites dans un rayon de 2 km autour du village central33.

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21 Le 27 janvier 1794, le Comité de Salut Public veut imposer la langue nationale pour vaincre les résistances : « le fédéralisme et la superstition parlent bas-breton ; l’émigration et la haine de la République parlent allemand ; la contre-révolution parle italien et le fanatisme parle le basque : cassons ces instruments de dommage et d’erreur », s’écrie Barère, rapporteur qui propose de combattre les « idiomes barbares et contre-révolutionnaires » en répandant « dans les campagnes la plus belle langue de l’Europe ». La Convention décide : « les élèves apprennent à parler, lire, écrire la langue française34 ».

L’école dans le presbytère

Illustration d’Yves Bisch dans Mon école, éditions du Rhin, 1989, p. 27.

22 On prononce l’exclusion des nobles et des ministres des cultes : « Aucun ci-devant, aucun ecclésiastique, aucun ministre d’un culte quelconque ne peut être membre d’une commission ou devenir instituteur public ». Il s’y ajoute la fermeture de toutes les églises et lieux de culte à partir du 22 novembre 1793. Les anciens locaux des presbytères catholiques sont assignés aux instituteurs et institutrices « nationaux », mais les pasteurs protestants conservent leurs presbytères, qui ne sont pas confisqués, même si en pratique on a essayé de les leur prendre, ce qui a été le cas à Strasbourg35, à Weinbourg36 à Bouxwiller37, où les deux instituteurs réclamaient un presbytère chacun pour leur logement, ce qui est refusé pour le protestant38.

Introduction des certificats de civisme en décembre 1793

23 La Convention introduit le 19 décembre 1793 l’obligation de certificats de civisme pour les enseignants (29 frimaire an II), signés au moins par la moitié du conseil de la commune et par deux membres du comité de surveillance du district39. Toute personne

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chargée de l’instruction publique doit présenter un certificat de civisme sous quinzaine, et à Strasbourg sous huitaine. Dans le Bas-Rhin il est imposé aux membres du corps enseignant par l’arrêté du département du 1er janvier 1794, qui ordonne de créer une école gratuite de langue française dans les communes du département40. Le catéchisme en allemand est remplacé dans l’enseignement par la Déclaration des Droits de l’homme en français. Les livres prescrits sont les Droits de l’homme, la Constitution, le Tableau des actions héroïques et vertueuses. L’obligation scolaire fait son apparition, avec une amende pour les parents qui n’envoient pas leurs enfants à l’école pendant trois ans de suite, ce qui dans la pratique ne pouvait guère être mis en vigueur, vu l’absence de financement41.

24 À partir du 1er juin 1793 apparaissent de longues listes d’instituteurs dans les procès- verbaux du directoire du département, qui accepte ou rejette les certificats. Parmi les premiers mentionnés figurent le maître d’école de la religion des juifs de Weiterswiller, Mayer Levy (PV du 1er juin 1793) et Jean-Pierre Zwilling, « maître d’école de la religion protestante à Gottesheim42 » (PV du 6 juin 1793).

Après la chute de Robespierre

25 La chute de Robespierre le 9 thermidor an II (28 juillet 1794) a été accueillie comme la fin d’un « régime terroriste », mais elle n’a eu aucune incidence sur l’enseignement primaire. Le directoire du département du Bas-Rhin maintient l’obligation de l’enseignement en français et la suppression des anciennes écoles.

26 Le 18 novembre 1794 (28 Brumaire an III), Lakanal donne lecture de la nouvelle loi qu’il vient de faire voter à la Convention : elle prévoit une école pour 1 000 habitants. « L’enseignement se fera en langue française, l’idiome du pays ne pourra être employé que comme moyen auxiliaire ». Les instituteurs seront nommés par un jury de trois membres désignés par les administrateurs des districts. L’enseignement sera obligatoire et gratuit. Mais le problème du salaire continue de se poser : 1 200 livres de salaire en assignats, c’est maigre.

27 La Convention thermidorienne n’interdit pas les écoles privées, qui doivent être sous la surveillance des autorités, mais sans obligation de passer devant un jury d’examen. Les Montagnards prétendent « que les petits messieurs riches allaient être endoctrinés » et que les écoles publiques ne seraient plus fréquentées que « par les enfants des sans- culottes43 ».

28 Puis on renonce progressivement à l’enseignement obligatoire et gratuit voulu par la loi Lakanal du 27 brumaire an III (17 novembre 1794). En août 1795 Lakanal fait diminuer le traitement annuel et établit un écolage de 10 livres annuels par élève, les indigents en étant dispensés, et 15 jours après, le traitement est supprimé44.

Après le coup d’état de fructidor le serment de haine à la royauté

29 Après le coup d’État du 18 fructidor an V (4 septembre 1797), le Directoire durcit la politique scolaire à la fois pour les écoles publiques « nationales » et les écoles privées. Les prêtres réfractaires qui sont pris sont envoyés en déportation. On maintient l’obligation d’enseigner en français les Droits de l’homme et de respecter le calendrier républicain, avec interdiction de se servir du calendrier ancien et de donner l’équivalence des deux dates, même chez les notaires. La célébration du dimanche est

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interdite, remplacée par celle du décadi tous les dix jours. On impose l’obligation de respecter les fêtes républicaines, telles celles de la Jeunesse, des Époux, de l’Agriculture et aussi les fêtes politiques : Juste punition du dernier roi des Français le 2 pluviôse, fête de la Liberté le 10 thermidor (exécution de Robespierre), fête de la prise de la Bastille le 26 messidor. Une surveillance des écoles est prescrite45.

30 Suivant l’arrêté du 16 septembre 1797, les instituteurs ne doivent pas diriger des offices religieux ni y emmener leurs élèves. En effet des laïcs présidaient aux offices, car les prêtres réfractaires ne pouvaient pas se montrer46.

31 Le certificat de civisme est maintenu pour l’école publique, mais il est modifié en serment de haine à la royauté et à l’anarchie, d’attachement et de fidélité à la République de l’an III. Dans le Haut-Rhin, ce serment est imposé à titre individuel : les instituteurs sont convoqués à la première séance municipale. Tous ceux qui auront refusé perdront leurs émoluments, salaires et logements s’ils sont publics, et l’enseignement privé est aussi supprimé en cas de refus47. Mais il n’y a eu aucun arrêté de ce type dans le Bas-Rhin48.

32 Le Directoire ordonne aussi de surseoir à toute vente de collèges, presbytères et de maisons d’école, afin de les réserver pour les écoles primaires49.

Absence d’écoles normales et pénurie de manuels scolaires

33 L’absence de formation des maîtres aggrave le problème d’ignorance du français. En Alsace, certains cahiers de doléances avaient réclamé une meilleure formation des maîtres50. En automne 1792, le député du Bas-Rhin Arbogast, professeur à l’école d’artillerie de Strasbourg, fait décider au nouveau comité d’instruction publique51 « de faire venir d’Allemagne des ouvrages sur l’organisation des écoles normales, les universités et les gymnases52 ».Toutes les tentatives ont échoué, en particulier le projet de Jean-Frédéric Simon de créer une école normale d’instituteurs à Strasbourg. Il obtient en mars 1794 un immeuble appartenant à un général émigré, M. de Klinglin, qu’il sous-loue en partie. Le directoire du département refuse de lui allouer des fonds en septembre 1794 car il n’a pas d’élèves en formation. Simon est expulsé de son logement53. La première École normale sera créée en 1810 à Strasbourg.

34 L’absence de nouveaux manuels scolaires encourage le maintien du catéchisme : on ne dispose que du Syllabaire républicain, des Dix commandements de la République française, des Six commandements de la Liberté et d’un Manuel des enfants contenant les éléments de la langue française. Le ministère de l’Intérieur fait publier trois manuels dont l’un intitulé Cathéchisme français ou principes de philosophie, de morale et de politique républicaine, à l’usage des écoles primaires54. Ces ouvrages restent inconnus dans les écoles rurales d’Alsace.

La résistance catholique

35 Les communes catholiques résistent, sous l’influence des prêtres réfractaires revenus et ensuite à nouveau bannis. Elles préfèrent souvent rester sans instituteur plutôt que d’accepter un « patriote55 » et font tout pour faire partir les instituteurs « nationaux ». À Houssen, dans le district de Colmar, l’instituteur « national » est mis dans un réduit

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sans chauffage avec sa famille56. Dans certaines communes du Haut-Rhin, comme à Thann, les parents boycottent les instituteurs laïcs en refusant d’envoyer leurs enfants parce qu’on leur fait réciter les Droits de l’homme.

36 La suppression en bloc de tous les maîtres d’école paroissiaux aboutit à laisser la plupart des communes rurales sans instituteur. Le district de Benfeld ouvre une école française et y nomme un jacobin, Marc Probst, en février 1794 comme inspecteur des futures écoles. Mais il reçoit une semonce car ce Prost est l’ancien curé constitutionnel de Benfeld. Il ne fait alors plus rien57.

La modération protestante

37 Les protestants, plus mesurés, consentent à appliquer la loi s’ils trouvent des candidats, surtout à Strasbourg.

Les nominations d’instituteurs protestants officiels

38 À partir de 1795, les anciens instituteurs et institutrices ont dû passer les nouvelles épreuves, pour éliminer les jacobins excessifs. Dès janvier 1795, les admissions par les jurys sont plus larges : les exclusions de certaines catégories de personnes, dont les prêtres constitutionnels et les pasteurs, disparaissent. Les pasteurs dont les églises restent fermées en profitent, car ils sont toujours acceptés par les jurys. Mais les anciens prêtres constitutionnels admis par les jurys sont systématiquement refusés par les communes catholiques. Ils ne peuvent ouvrir que des écoles privées58. Cependant Frédéric Antoine Welcker, prêtre allemand devenu vicaire constitutionnel à Bouxwiller, puis commissaire près de l’armée du Bas-Rhin, est admis comme instituteur public à Bouxwiller, ville à majorité protestante59.

39 Entre janvier et septembre 1797, il n’y a qu’une douzaine de nominations, la plupart du temps dans les communes à majorité ou exclusivement protestantes. On y remarque la proportion importante de pasteurs protestants60 ; René Ehrenpfort, ci-devant ministre à Oberhoffen, est nommé par le département instituteur primaire dans cette commune, après avoir subi les épreuves du jury de Haguenau61 ; Jean Jacques Kreiss, « homme de lettres » de Strasbourg, est nommé instituteur primaire à Bischheim, alors qu’il est officiellement depuis 1791 le pasteur luthérien de Bischheim, d’où il passera en 1802 à la chaire de Saint-Pierre-le-Vieux à Strasbourg62. Jean Beck, de Strasbourg, demande et obtient la place d’instituteur à Schiltigheim. Georges Albert Lucius, de Wissembourg, est nommé instituteur des trois communes réunies de Weinbourg, Weiterswiller et Wimmenau ; il est ensuite nommé pasteur à Sessenheim63.

La réorganisation à Strasbourg

40 La ville de Strasbourg, à majorité protestante, essaie de mettre en application la loi : le 22 ventôse an II (12 février 1794), on arrête que les anciennes écoles cesseront d’exister dès que les nouvelles pourront fonctionner et le 25 ventôse (15 février) on stipule que les nouvelles n’enseigneront à lire et à écrire qu’en français64. Le corps municipal fait consigner sur ses registres le décret sur le mode de paiement des instituteurs, à qui il est interdit de prendre des élèves en pension et de donner des leçons particulières65.Le 12 mars 1794, la Ville ouvre un registre pour l’inscription des citoyens et citoyennes qui

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voudront enseigner ; les candidats doivent se munir d’un certificat de civisme et de bonnes mœurs. Un second registre est créé pour l’inscription des noms des enfants à scolariser et le nom de l’instituteur ou de l’institutrice dont ils font le choix. Les parents qui négligeraient cette obligation seront traduits au tribunal de police correctionnelle. La ville vote l’achat d’exemplaires de Droits de l’homme pour les distribuer aux élèves66. Les nouvelles écoles sont organisées le 29 avril 1794, mais il n’y a que cinq noms sur la liste des instituteurs agréés en avril, puis neuf en mai67.

41 Il en résulte un nombre énorme d’élèves par instituteur, puisque l’inscription est obligatoire, sans distinction de sexe ou de religion. L’école du citoyen Wolff, la moins chargée, a 298 élèves des deux sexes le 19 mai et 518 le 24 octobre68 ; la liste du citoyen Dorn passe de 558 à 700 entre mai et août. Seules les trois institutrices ont moins d’élèves, entre 20 et 116. On manque de locaux, car les presbytères protestants ne peuvent pas être affectés aux écoles. Dans les listes, il y a des élèves de tous âges, la majorité a huit ans au début de ses études et il y a beaucoup de jeunes filles de 16 à 20 ans. La mixité religieuse est pour la première fois une réalité et le luthérien Dorn a aussi des élèves catholiques et juifs. En avril 1795, le nombre d’arrondissements scolaires est porté à 15, dont 12 au lieu de 9 intra muros, un à la citadelle, un au Neuhof et un à la Robertsau (qui ne sera pas créé).

La multiplication des écoles privées

42 Les écoles privées se multiplient. Bottin, dans son Annuaire de l’an VIII (1799-1800), a publié un tableau statistique des écoles qu’il a pu recenser. À Strasbourg, 11 écoles publiques et 32 écoles privées ; dans le faubourg de la Robertsau, il n’y a aucune école publique et trois privées ; à Saverne, il y a 10 écoles privées et aucune publique69.

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Tableau statistique des écoles primaires du Bas Rhin par Bottin en 1799

On constate le petit nombre d’écoles officielles face à la multiplication des écoles privées.

43 Mais ces écoles sont surveillées70. Pour avoir raison de la « résistance cléricale », le département du Bas-Rhin ordonne de fermer les écoles où l’on n’observerait pas les décadis et fêtes républicaines, où les manuels ne contiendraient pas les Droits de l’homme et la Constitution de l’an III et où on n’enseignerait pas le français. Un cas a été étudié en détail par Reuss : celui d’un instituteur catholique badois de la Robertsau, Jean Martin Schwoerer, dénoncé pour jouer du violon dans des fêtes publiques ou privées (prétendues « orgies ») et pour présider le culte catholique. Le procès-verbal de l’enquête est rédigé en français, mais on le lui a traduit car il ne sait pas le français. Il a des élèves de 6 à 11 ans. Il ignore le premier article des Droits de l’homme et utilise les manuels que les enfants apportent, c’est-à-dire l’Abécédaire et le catéchisme. Il se fait appeler « Monsieur le maître d’école » et non « citoyen ». Il n’utilise que le calendrier républicain, mais les enfants ne viennent pas le dimanche. La fermeture de son école est ordonnée par le bureau de l’instruction publique le 3 septembre 1798 comme « dirigée par les principes de l’ancien régime » et comme « animant la jeunesse à des actes indécents »71.

La résistance du catéchisme

44 Un rapport de l’administration du Bas-Rhin, datée du 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799)72, jour du coup d’État de Bonaparte, envoie au gouvernement le tableau des écoles publiques et particulières. Le rapport, qui répond à un questionnaire73, donne un bilan mitigé et signale que le principal remède serait de mieux payer les instituteurs. Selon ce rapport, les instituteurs n’ont pas de bons livres, les écoles particulières « sont presque toutes associées à l’étude des catéchismes », mais « vouloir empêcher l’étude

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des catéchismes de culte dans les écoles privées, ce serait fermer ces écoles et alors l’étude de la lecture et de l’écriture cesserait d’avoir lieu. On ne peut pas les fermer toutes, car ce serait renoncer à la lecture et à l’écriture. Nous nous sommes bornés jusqu’à présent à ordonner la clôture de celles de ces écoles où on enseignait la contre- révolution74 ». Les écoles publiques sont en nombre restreint : 69 en tout pour tout le département, les plus fréquentées sont à Strasbourg ; dans les autres communes elles sont désertées ou n’ont que de 12 à 20 élèves. Il est difficile de recruter des maîtres à cause des certificats, du serment, de la mauvaise paye (il y a quelquefois plus du quart des élèves qui ne payent pas pour cause d’indigence) et aussi de l’hostilité des parents. Les maîtres officiels enseignent quelquefois quand même le catéchisme pour ne pas perdre leurs élèves. Il y a six jurys chargés de la nomination des instituteurs, mais ils se bornent aux fonctions d’examen des candidats et surveillent très peu les écoles, faute de traitement suffisant75. Les élèves ne récitent guère la Déclaration des droits et des devoirs non plus que l’Acte constitutionnel. « La principale cause s’en trouve dans la misère des instituteurs, de la campagne surtout, qui n’ayant qu’un petit nombre d’élèves et étant obligés, pour les conserver, de ménager les préjugés des parents, étaient obligés d’y substituer l’enseignement du catéchisme religieux76 ».

Les décisions du premier préfet du Bas-Rhin

45 Le premier préfet du Bas-Rhin nommé par Bonaparte, Laumond, envoie un rapport à Paris sur l’état du Bas-Rhin, intitulé Statistique du Département du Bas-Rhin, daté de juillet 1801 et publié sur ordre du ministère de l’Intérieur. Pour l’enseignement primaire, divisé entre les quatre sous-préfectures, il y a en l’an VIII 115 instituteurs publics, contre 105 en l’an VII. Celle de Wissembourg, avec 102 arrondissements d’écoles primaires (dont Berg-Zabern, Billigheim, Landau, Candel et Dahn annexés) n’a que 14 instituteurs, dont 3 à Wissembourg. Celle de Saverne,avec 71 arrondissements, n’a que 6 instituteurs, dont 1 à Saverne et 1 à Bouxwiller, 1 à Hochfelden. Celle de Strasbourg, avec 108 arrondissements, a 57 instituteurs, dont 11 à Strasbourg, 8 à Bischwiller, 8 à Molsheim, 6 à Wasselonne. Celle de Barr, ville à majorité protestante, avec 64 arrondissements scolaires, a 38 instituteurs, dont 8 à Barr, 8 à Rosheim, 8 à Sélestat, 4 à Obernai et 3 à Erstein. Le rapport note l’importance du nombre des écoles privées (374 contre 115 officielles)77.

46 Laumond décide de supprimer les 345 arrondissements scolaires du Bas-Rhin, qui imposaient de gros trajets aux enfants de certains villages. Il maintient les six jurys d’instruction primaire et le jury central de cinq membres à Strasbourg. Il ordonne l’établissement d’au moins un instituteur dans chaque commune rurale, choisi par élection dans la commune, puis examiné par le jury d’arrondissement et confirmé par le préfet. « Ces instituteurs seront tenus d’enseigner à lire, à écrire, à calculer et à expliquer les éléments de la morale républicaine. Ils enseigneront aussi la langue française, autant que les localités le permettront ». Il suffit de s’efforcer de propager la connaissance du français, même si « la langue allemande est véritablement celle du pays78 ». En clair, l’enseignement se fera en allemand si l’instituteur ne sait pas le français ; les Droits de l’homme ne sont plus imposés et le catéchisme n’est plus interdit.

47 Le préfet souligne la nécessité d’améliorer la condition matérielle des instituteurs, victimes à la fois de l’incertitude de la durée de leur fonction et du mauvais entretien

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des bâtiments fournis79. Mais il n’est pas question d’un financement d’État. C’est aux parents de payer l’écolage et aux communes de fournir les locaux.

48 Comme du côté catholique, le corps pastoral protestant est soucieux après 1800 de rétablir ses prérogatives de suprématie sur l’enseignement primaire : « C’est le pasteur qui seul instruit le peuple80 ».

Conclusion

49 Ainsi le bilan de l’enseignement primaire sous la Révolution est largement négatif. La tentative d’école laïque en français a heurté violemment les convictions religieuses en Alsace et aussi la volonté de conserver l’allemand comme langue d’enseignement. Le catéchisme a été un brandon de discorde, car les parents recourraient à la grève scolaire et n’envoyaient pas leurs enfants chez l’instituteur « patriote », au moins chez les catholiques. Les protestants ont été plus accommodants, mais leur volonté de maintenir les instituteurs sous la tutelle des pasteurs est manifeste après le coup d’État du 18 brumaire. L’échec s’explique aussi par un manque de financement. Les instituteurs agréés, accablés par l’obligation de serments et de certificats de civisme, étaient mal payés, souvent même n’avaient pas d’élèves. Quant à l’obligation scolaire, c’était une utopie dans un contexte de banqueroute de l’État français.

NOTES

1. . Recueil des lois et règlements concernant l’instruction publique, Paris, 1814, I, 2e section, p. 1. Rodolphe REUSS, Notes sur l’instruction primaire en Alsace pendant la Révolution, Paris-Nancy, Berger-Levrault, 1910, p. 106. 2. . Rodolphe REUSS, Notes sur l’instruction primaire en Alsace pendant la Révolution, op. cit., p. 4 et p. 207, n. 1. 3. . L’étude de l’enseignement primaire antérieur a été fait par Rodolphe Reuss dans L’Alsace au dix-septième siècle, II, p. 369-395 et par Charles Hoffmann, L’Alsace au dix-huitième siècle, Colmar, II, 1906, p. 1‑76. 4. . Sur les écoles privées, Rodolphe REUSS, Notes sur l’instruction primaire en Alsace pendant la Révolution, op. cit., p. 12‑14. 5. . Sur l’absentéisme scolaire, Rodolphe REUSS, op. cit. p. 8-9. 6. . M. Sorgius, Die Volksschulen im Elsass von 1789-1870, 1902, p. 4-5. 7. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 7, n. 1. 8. . Ibid., p. 7-8 et n.1 de la p. 7. 9. . Ibid., p. 52, n. 1. Claude MULLER, L’Alsace et la Révolution, Éditions place Stanislas, 2009, publie p. 77 une peinture du révolutionnaire de Colmar Jean Jacques Kraft illustrant la prestation de serment civique en 1793 (Musée d’Unterlinden à Colmar). 10. . PV du 18 mai 1792. Rodolphe REUSS, op. cit., p. 61 et n. 1. 11. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 59 et n. 2. 12. . Ibid., p. 57.

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13. . Ibid., p. 62-63. 14. . Ibid., p. 65. 15. . Ibid., p. 65. 16. . Ibid., p. 100. 17. . Ibid., p. 101 et n. 3 et 4 ; Délibérations du conseil municipal, III, p. 293 et 365. 18. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 36‑37 et n. 1 de la p. 37. 19. . Ibid., p. 104-105, d’après le Journal de Colmar. 20. . Ibid., p. 52. 21. . Ibid., p. 52, n. 1. 22. . PV du 21 septembre 1792, Rodolphe REUSS, op. cit., p. 87. 23. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 30‑32. 24. . PV du 27 juillet 1791 ; Rodolphe REUSS, op. cit., p. 85. 25. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 68‑70. 26. . PV du 9 juin 1793 ; Rodolphe REUSS, op. cit., p. 86. 27. . PV du 20 février 1793. 28. . PV du 5 octobre 1792, du 20 février 1793 et du 4 mars 1793. Rodolphe REUSS, op. cit., p. 86-87. 29. . PV du directoire du 19 août 1790. Rodolphe REUSS, op. cit., p. 32‑33. 30. . Sur Friesé, Jean-Pierre K INTZ, « Friesé », Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, no12, 1988, p. 1 053-1 055. 31. . Geschichte der gegenwaertigen Zeit du 9 novembre 1791 et Strassburgische Zeitung du 15 mars 1793. 32. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 102‑103. 33. . Ibid., p. 106-110. 34. .Op. cit., p. 118-119. 35. . Délibération du corps municipal, VI, p. 768. Rodolphe REUSS, Notes sur l’instruction primaire en Alsace pendant la Révolution, op. cit., p. 158‑159. 36. . Rodolphe REUSS, Notes sur l’instruction primaire en Alsace pendant la Révolution, op. cit., p. 223 n. 3 (PV du 13 floréal an V-2 mai 1797). 37. . PV du 25 thermidor an III (12 août 1795). Rodolphe REUSS, op. cit., p. 176, n. 3. 38. . PV du département du Bas-Rhin du 5 messidor an III (23 juin 1795), Rodolphe REUSS, op. cit., p. 176, n. 3. 39. . PV du département du 22 avril 1793, Rodolphe REUSS, op. cit., p. 94. 40. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 117. 41. . Recueil des lois et règlements concernant l’instruction publique, 1814, I, 2e section, p. 20‑22. Rodolphe REUSS, op. cit., p. 114‑115. 42. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 94 et n. 2. 43. . Ibid., p. 167-168. 44. . Séance du comité du 6 septembre 1795, le texte modifié a été voté le 25 octobre. Rodolphe REUSS, op. cit., p. 180‑181. 45. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 227‑230. 46. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 230‑231 à propos de Colmar. 47. . Ibid., p. 231. 48. . Ibid., p. 232. 49. . Recueil des Lois, I, 2e section p. 84 et p. 85‑86 ; Rodolphe REUSS, op. cit., p. 228. 50. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 138. 51. . Ce comité d’instruction publique a été constitué le 2 octobre 1792 par la Convention, cf. Rodolphe REUSS, op. cit., p. 106. 52. . Citoyen Guillaume, Procès-verbaux du comité d’instruction publique, I ; Rodolphe R EUSS, op. cit., p. 139.

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53. . PV du directoire du département du 6 prairial an II (25 mai 1794), Rodolphe REUSS, op. cit., p. 140‑141. 54. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 211‑213. 55. . Ibid., p. 131-134. 56. . Lettre du 15 Brumaire 1794 (sic) (5 novembre) adressée par Michel Edendoerfer au district de Colmar. Rodolphe REUSS, op. cit., p. 133. 57. . PV du directoire du département du 17 pluviôse An II (5 février 1794). Rodolphe R EUSS, op. cit., p. 122. 58. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 228‑221. 59. . PV du 4 prairial an V (23 mai 1797). Rodolphe REUSS, op. cit., p. 220. 60. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 218-219. 61. . PV du 10 pluviôse an V (29 janvier 1797). 62. . PV du 1er ventôse an V (19 février 1797). Sur Johann Jacob Kreiss (1764-1841), Marie-Joseph BOPP, Die evangelischen Geistlichen in Elsass und Lothringen, I, 1959, no 2932, p. 310. 63. . PV du 25 ventôse an V (15 mars 1797). Sur Georg-Albert Lucius (1755-1825), Marie-Joseph BOPP, op. cit., no 3271, p. 346. 64. . Délibérations du corps municipal du 12 mars 1794, V, p. 1960 et du 15 mars 1794, V, p. 1 985. Rodolphe REUSS, op. cit., p. 123. Strassburgische Zeitung du 4 prairial an II (23 mai 1794). Rodolphe REUSS, op. cit., p. 129‑130. 65. . Strassburgische Zeitung du 20 ventôse an II (10 mars 1794). 66. . Délibérations du corps municipal du 16 février 1794, V, p. 1 528. Rodolphe R EUSS, op. cit., p. 123. 67. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 130‑131 et 156‑157. 68. . Délibérations du corps municipal, VI, p. 610. Rodolphe REUSS, op. cit., p. 155. 69. . BOTTIN, Annuaire du département du Bas-Rhin, an VIII, p. 211‑215. 70. . Rodolphe R EUSS, op. cit., p. 254‑277, chapitre sur « Le Directoire et les écoles libres (1798-1799) ». 71. . Rodolphe REUSS, Les Tribulations d’un maître d’école de la Robertsau pendant la Révolution, Fischbach, Strasbourg ,1879 et Notes sur l’instruction primaire en Alsace pendant la Révolution, op. cit., p. 263‑269. 72. . PV du 17 brumaire an VII. 73. . Rodolphe Reuss cite in extenso les questions et réponses de ce long rapport, op. cit., p. 278‑285. 74. . Cité par Rodolphe REUSS, op. cit., p. 278. 75. . Ibid., p.279. 76. . Ibid., p. 281. 77. . CITOYEN LAUMOND, PRÉFET, Statistique du département du Bas-Rhin, An X (1801-1802), p. 224‑228. 78. . Ibid., p. 237-239 et p. 282-284. 79. . Ibid., p. 239-240. 80. . Rodolphe REUSS, op. cit., p. 299‑300.

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RÉSUMÉS

Rodolphe Reuss a fait une étude approfondie d’archives sur les instituteurs sous la Révolution, étude peu connue. L’enseignement primaire a été fortement désorganisé sous la Révolution, car il était jusqu’alors basé sur le catéchisme qui servait de livre de lecture. La Révolution a exigé des maîtres d’école, devenus les instituteurs, un serment de fidélité à la constitution, qui a été le plus souvent refusé par les catholiques, mais accepté par les protestants. Ces derniers ont cherché alors à se débarrasser des maîtres catholiques qu’on imposait à des communes protestantes de financer. La situation s’aggrave après la chute du Roi le 10 août 1792. La Convention exige des « certificats de civisme » et veut imposer l’enseignement en français en remplaçant le catéchisme par la récitation de la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen. La crise touche alors les protestants aussi, mais ils y résistent mieux. Les parents d’élèves retirent leurs enfants et certains instituteurs agréés enseignent quand même le catéchisme pour ne pas perdre leurs élèves. Les écoles privées sont fermées si elles ne respectent pas le décadi. L’enseignement en français butte sur l’absence de maîtres compétents. C’est le premier préfet du Bas-Rhin Laumond qui va rétablir l’enseignement primaire dans les communes, sans intervenir sur le contenu. (Chantal Vogler).

Rodolphe Reuss has published an extensive – though little known – study of the archives con- cerning primary school teachers during the Revolution. Primary school teaching was completely disrupted during the Revolution, mainly because it was based on the catechism used as a reading textbook. During the Revolution schoolmasters, now teachers, were expected to sign a loyalty oath of allegiance to the Constitution, which most Catholics refused to do, contrary to Protestant masters. As a consequence, the latter tried to get rid of Catholic teachers whose salary was being paid by the Protestant village authorities. Things became even worse after the abolition of monar-chy on August 10th, 1792. The Convention made both an “act of citizenship” and the replacement of the catechism by the reciting of the Declaration of the Rights of man and of the citizen compulsory. This critical situation also applied to Protestant teachers, although to a lesser extent. Certain parents decided to take their children out of school and certain certified teachers decided to nevertheless teach the cathechism so as to make sure their pupils would not walk out. Private schools refusing to submit to the “decadi” system were closed down. The teaching of the French language was jeopardized by the lack of competent masters. The first Prefect of the Bas- Rhin, Laumond, first restored primary schools everywhere, without interfering in their ways of teaching. (trad. Pierre Boulay)

Rodolphe Reuss hat eine tiefgründige aber wenig bekannte Untersuchung von Archivmaterial über die Lehrer in Zeiten der Revolution geliefert. Die Organisation des Grundschulwesens war in der Revolution stark durcheinandergebracht, da sie auf einem Katechismus basierte, der als Lesebuch diente. Die Revolution verlangte von den Schulmeistern, die nun staatliche Lehrer geworden waren, einen Treueschwur auf die Verfassung, der in der Mehrheit von den Katholiken abgelehnt wurde, zu dem sich aber die Protestanten bekannten. Diese versuchten dann katholische Lehrer, deren Bezahlung man protestantischen Gemeinden aufgezwungen hatte, loszuwerden. Die Situation verschlechterte sich noch nach der Abschaffung der Monarchie am 10 August 1792. Die Konvention verlangte „Gemeinsinn-Zertifikate“, will den Unterricht in französischer Sprache zur Pflicht machen und den Katechismus durch das Vorlesen der Allgemeinen Menschenrechtserklärung ersetzen. Die Krise trifft dann auch die Protestanten, aber diese wiederstehen ihr besser. Eltern ziehen ihre Kinder zurück und manche zugelassene Lehrer unterrichten den Katechismus trotzdem um nicht ihre Schüler zu verlieren. Private Schulen werden geschlossen, wenn sie nicht den décadi (10. und freier Tag im

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Revolutionskalender) respektieren. Der Unterricht in französischer Sprache gestaltet sich schwierig mangels Sprachkompetenzen der Lehrer. Schließlich bringt der erste Präfekt des Unterelsass Laumond den Grundschulunterricht wieder in den Gemeinden in Gang, ohne auf den Inhalt einzuwirken. (trad. René Siegrist).

AUTEUR

CHANTAL VOGLER Maître de conférences honoraire, Université Lumière Lyon 2

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« Dieu soit loué que je suis luthérien » Introspection du milieu des pasteurs protestants alsaciens au XIXe siècle “Thank God, I am a Lutheran!” Scrutinizing the world of 19th century Alsatian Church ministers ”Gott sei Dank bin ich Lutheraner„: Selbstbeobachtung im Umfeld der lutherischen Pfarrer im Elsass des 19. Jahrhunderts

Claude Muller

C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras ton pain.Genèse, 3, 10

1 « Gottlob, dass ich lutherisch bin. » Cette affirmation tonitruante de sa foi, véritable propos identitaire, se proclame à l’église protestante et se trouve dans un recueil de cantiques de 1854, œuvre de Frédéric Weyermuller1, né à Niederbronn le 21 septembre 1810, décédé à Niederbronn le 24 mai 1877. Ce poète religieux, fils d’épicier, lui-même épicier, bien évidemment luthérien, épouse à Niederbronn, le 6 février 1834, Catherine Kayser, la fille d’un vigneron de Mittelbergheim, dont il a quatre enfants.

2 N’ayant pu devenir pasteur parce que son père en avait décidé autrement, Frédéric Weyermuller se lie d’amitié avec Michel Huser de Weiterswiller qui, étudiant la théologie, lui fait partager ses découvertes spirituelles. Par ce biais, Weyermuller entre d’abord en contact avec le Réveil piétiste de François Haerter2, puis surtout avec le Réveil luthérien de Frédéric Horning3. Gagné par ce dernier courant, il prend désormais part aux débats qui traversent son Église et la sert activement, en étant l’initiateur de la fête annuelle du lundi de Pentecôte et le fondateur du Evangelisch-lutherischer Friedenbote aus Elsass-Lothringen.

3 « Gottlob, dass ich lutherisch bin. » La formule interpelle bien évidemment l’historien et le lecteur. Elle provoque aussi un questionnement, celui de l’identité protestante au XIXe siècle4. Pour tenter de répondre à la question posée, il nous est possible de recourir aux archives notariales, ce miroir sociétal, pour relever quelques testaments ou

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inventaires après succession de pasteurs. S’il existe des recherches pionnières pour le XVIIIe siècle5, rien de tel pour le XIXe siècle, d’où cette inédite présentation6. L’analyse d’une quinzaine de ces documents apporte des éclairages multiples. Présentons ces documents et ces personnages par ordre chronologique.

Entre langue allemande et langue française

4 Preuve de l’importance accrue du culte protestant depuis le début de la Révolution, sa présence à toutes les manifestations publiques. Ainsi, lorsque le maréchal Lefèbvre vient à Colmar le 20 avril 1804, il écoute le toast de l’évêque, suivi immédiatement de celui du pasteur Engel7 : « Puissent toutes âmes se fondre en une seule sans aucune distinction. Puissent tous les cœurs enchaînés par l’amour paternel se concentrer dans un même sentiment, celui de la gloire au même chef divin qui gouverne l’univers ; celui de la vénération et d’une sincère affection au chef illustre qui préside à la République aux armées, aux généraux, aux autorités qui ont si bien mérité de la paix. » Allégeance à Bonaparte, certes, mais rappel du nouveau statut des protestants avant tout.

5 Après le discours du toast, débutons par la lecture d’un premier document, un testament de Jean Frédéric Strauss8, « ci-devant ministre du culte à Heiligenstein ». L’ecclésiastique réside cependant au 6, rue des Chandelles à Strasbourg au deuxième étage d’une maison. Le notaire Chrétien Geoffroi Mossenius9, protestant, se déplace chez lui, où il le trouve assis dans un fauteuil dans sa chambre, malade de corps, mais « sain d’esprit, jugement et entendement », selon la formule rituelle. Strauss dicte au notaire son codicille, lequel le rédige en français10. Lisons-le ensemble : Premièrement. Le codicillant révoque tous les codicilles, legs et autres dispositions de dernière volonté, qu’il a ou pourrait avoir fait ci-devant, voulant qu’ils soient cassés et annulés par ce présent et qu’ils demeurent sans effet. Deuxièmement, le codicillant donne et lègue au sieur Jean Chrétien Hengel, père, tailleur à Strasbourg, et à son défaut à ses héritiers, la somme de cinq cent francs. Puis il donne et il lègue à Anne Marie, née Monert, femme dudit Jean Chrétien Hengel et à son défaut à ses héritiers, la somme de cinq cent francs. Puis, il donne et il lègue, à Jean Chrétien et Marie Salomé Hengel, fils et fille du premier lit dudit Jean Chrétien Hengel, tailleurs, et à défaut de l’un ou de l’autre à ses héritiers, ensemble cent francs, faisant à chacun d’eux cinquante francs. Puis, il donne et lègue à Jean Jaquel, et Anne Marie Hengel, fils et fille dudit Jean Chrétien Hengel, tailleur, et de sa femme Anne Marie Monert susdite et à défaut de l’un et de l’autre. Jean Jaquel, et Anne Marie Hengel, à ses héritiers, ensemble cent francs, faisant à chacun cinquante francs. Puis le codicillant, donne et lègue à Eve Monert, femme de Jean Jacques Weiner, bûcheron à Strasbourg, et à son défaut à ses héritiers, la somme de cent francs. Puis, il donne et lègue au sieur Jacques Frédéric Kolb, ministre du culte à Ingweder (sic), la somme de trois cents francs et à défaut, à ses héritiers. Puis il donne et il lègue, à l’épouse du sieur Winter, instituteur à Strasbourg et à défaut à ses héritiers, la somme de deux cent francs. Puis à Marie Madeleine Cornarius, fille majeure à Strasbourg, à son défaut au sieur Jean Jaquel Cornarius, son frère, pelletier à Strasbourg et à défaut du dernier, au sieur Jean Daniel Cornarius, aussi frère, pelletier en ladite ville, la somme de deux cent francs. Puis au sieur Jean Jaquel Freyss, cordonnier à Strasbourg ou à défaut à ses héritiers, la somme de cent francs. Puis à dame Marie Salomé, née Kolb, femme dudit Jean Jaques Freyss ou à son défaut à ses héritiers, la somme de cent francs.

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Enfin aux pauvres honteux du culte protestant de la paroisse du Temple Neuf de Strasbourg la somme de deux cents francs, laquelle somme sera remise au confesseur du codicillant pour la répartir, ainsi qu’il jugera à propos. Toutes les dites sommes, seront payées sans déduction, ni retenue, aux légataires ci-dessus dénommés plus tard, durant les trois mois après la mort du codicillant ou celle de son héritier, en bonnes espèces d’or ou d’argent, valeur de cent de six livres. Et après avoir lu, relu et interprété en langue allemande tout ce qui est dessus au codicillant, il a dit et déclaré que telle est sa dernière et précise volonté, voulant qu’elle soit exactement suivie et exécutée après sa mort.

6 Disons-le tout de suite, un tel acte, distribuant généreusement les legs plutôt que de les concentrer sur la famille, est unique dans la collecte proposée dans le cadre de cet article. Toutefois il fait apparaître le réseau amical dans lequel se meut Jean Frédéric Strauss. Remarquons son legs aux pauvres du culte protestant de la paroisse du Temple Neuf de Strasbourg, alors que Heiligenstein paraît bien absent.

7 Restons à Strasbourg. Trois ans plus tard, un autre ministre du culte exerçant au fond d’une vallée vosgienne y produit un acte notarié. Prenons la mesure de ce que fait le pasteur Jean Théophile Fuchs11, né à Strasbourg le 11 décembre 1775, marié trois fois, dont la troisième à Dorothée Salomé Mühlschlegel. Pasteur de Rothau de 1803 à 1808, il est appelé à un nouveau poste à Gertsheim où il reste de 1808 à 1816. Le changement d’affectation entraîne la vente par adjudication12 de différents meubles appartenant à Fuchs devant la maison du marchand de vins Barthélémy, sise rue de l’Alsace à Strasbourg le 22 juin 1808. Sont vendus à la criée par Jacques Diemer, commissaire priseur, un habillement, un autre d’indienne, un mouchoir de madras, un autre vieux de soie, une commode de noyer, deux tables de nuit, un matelas de toile, un lit de plume et de traversins, deux oreillers, un fauteuil garni de drap vert, un chapeau de velours noir, une paire de souliers, un manteau de taffetas, mais aussi un jupon de taffetas, six chemisiers pour femme, douze mouchoirs de poche, une jupe et casaquin de mousseline. Le produit de la vente s’élève à 311 francs, desquels il faut retrancher 60 francs. Toutefois le document n’indique pas la raison de cette vente.

8 Lisons maintenant le testament du 3 août 1810 de Jean Daniel Mall, troisième du nom, pasteur à Westhoffen 13. Il connaît apparemment très peu le français, mais prévoit une clause « au cas où une de ses filles serait obligée de quitter sa mère pour apprendre le français ». Dans un autre testament, celui du 8 juillet 1812, rédigé par Jean Frédéric Schweighaueser14, pasteur d’Eckbolsheim, frère de l’helléniste et oncle d’un médecin de l’armée du Rhin, il est question du partage de ses livres de piété. Ceux en allemand reviendront à sa sœur. Ceux en français seront incorporés à la bibliothèque charitable de la paroisse évangélique du Ban de La Roche près de Rothau15. Indices tangibles d’une société germanophone – la langue de Luther – en passe d’intégrer un bilinguisme de fait et de raison.

9 Retrouvons maintenant Philippe Jacques Engel, l’homme du toast, « diacre protestant de l’église Saint-Thomas16 ». À la requête de sa veuve Marie Madeleine Ehrmann17, demeurant place Saint-Thomas à Strasbourg et de sa fille unique Madeleine Louise Salomé Engel18, l’inventaire de ses biens est dressé le 13 septembre 182519. Sa longueur atteste d’une aisance financière certaine : 138 objets de garde-robe, une bibliothèque composée de 750 livres, des meubles pour 2 227 francs, 20 404 francs en liquide, 16 165 francs en titres, 1 400 en deniers comptants.

10 Quittons Strasbourg et rendons-nous à Neuwiller. L’inventaire du pasteur Geoffroi Nicolas Elles a lieu le 10 novembre 182620. Fils du pasteur Jean Nicolas Elles21, en poste à

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Imbsheim de 1755 à 1783, Geoffroi Elles22 est né à Imbsheim le 29 novembre 1758, est pasteur à Neuwiller de 1794 à 1826 et décédé à Neuwiller le 8 octobre 1826. L’inventaire fait apparaître neuf enfants dont deux pasteurs : Charles Elles23 pasteur à Prinztheim de 1826 à 1864 et Frédéric Elles24 pasteur à Weiterswiller de 1851 à 1860 en fin de carrière. L’inventaire a été interprété en allemand.

Une aisance financière sous la Monarchie de Juillet

11 Quelques exemplaires d’inventaires de succession sous la Monarchie de Juillet attestent d’un niveau de vie aisé. Évoquons d’abord Geoffroi Jacques Schaller25, né à Obermodern le 17 juin 1762, fils d’un pasteur et petit-fils d’un pasteur26. Après avoir étudié à de 1762 à 1785 – il possède donc la langue allemande –, il est pasteur à Pfaffenhoffen de 1785 à 1831 et président du consistoire d’Ingwiller. De son mariage avec Wilhelmine Reuss, il a sept enfants. L’inventaire après décès27 du 31 mars 1831 par le notaire Ott à Pfaffenhoffen – qui évalue sa fortune à 70 000 francs – les nomme ainsi, un avoué près le tribunal de première instance, un autre émigré à Philadelphie, un ministre du culte à Phalsbourg28, une fille épouse de Jean Philippe Fischer29, ministre du culte protestant à Weinbourg, etc. Schaller, connu pour avoir recherché un accord entre science et religion, raison et foi, dont le rationalisme se transforme peu à peu en libéralisme, avait composé une ode à Bonaparte en français, mais aussi une élégie à l’occasion de la mort du théologien Blessig en allemand et des chants, aussi en allemand, à l’occasion du jubilé de la Réformation en 1817 et 1830.

12 De Pfaffenhoffen allons à Oberbronn, autre haut-lieu du protestantisme alsacien. Louis Schwenpenhaüser30, né le 26 septembre 1795, est pasteur du lieu du 1821 à 1836 et décède à Oberbronn le 17 septembre 1836. Époux de Guillemette Jaeger, il est le fils de Louis Schwenpenhaüser31, pasteur à Hangweiler de 1807 à 1829, le neveu de deux autres pasteurs du côté paternel, le petit-fils de Henri Guillaume Schwenpenhaüser32, pasteur de Sessenheim de 1757 à 1760. Son inventaire après décès du 23 novembre 183633 fait apparaître, entre autre, un tableau représentant Jésus Christ et sept autres tableaux, un fusil, une gibecière, 150 livres dans la bibliothèque, quelques tonnelets, un tas de fumier évalué à 10 francs, 4 hectolitres de vin (48 francs), 30 hectolitres de froment (416 francs), 18 hectolitres de seigle (180 francs). Sa fortune est évaluée à 5 000 francs, mais l’inventaire reproduit une liste extrêmement détaillée de tout ce que doit encore payer la communauté d’Oberbronn, détail qui montre que le pasteur tient scrupuleusement ses comptes, tout en restant indulgent sur d’hypothétiques paiements.

13 Une plus grande aisance financière se décèle chez Guillaume Jean Herbst34, décédé pasteur de Tieffenbach, canton de La Petite Pierre. L’acte de liquidation de la communauté des biens35 du 20 mars 1837, passé détenant le notaire Jean Frédéric Heyler, et demandé par sa veuve Madeleine Rapp, domiciliée à Bouxwiller, fait apparaître sept enfants, dont un est commis négociant à Colmar et un autre étudiant en théologie protestante. Herbst laisse la somme importante de 16 423 francs [un ouvrier gagne 432 francs annuellement], soit trois fois plus qu’un notable de Bouxwiller, Jean Chrétien Goetz. Il a prêté plus de 6 000 francs à des particuliers de Tieffenbach donc ses paroissiens, ainsi que 1 313 francs à son beau-frère, des sommes à recouvrer. Preuve qu’il est bien ancré dans le monde rural, il possède une vache et un veau, vendus 116 francs.

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14 La même ruralité apparaît dans l’inventaire après décès36 du 18 avril 1837 de Charles Louis Nessler37, né à Lichtenau le 1er mai 1779, pasteur de Kirrwiller de 1803 à 1837, mort à Kirrwiller le 9 février 1837. D’un premier mariage avec Jeannette Flurer, il a un enfant ; d’un second mariage avec Élisabeth Vogt, il en a neuf, dont l’aîné est Charles Ferdinand Nessler38, pasteur à Barr de 1848 à 1883, preuve qu’il en est que l’enfant est un don de Dieu et que le malthusianisme, limitation volontaire du nombre de naissance, n’a pas forcément cours dans le monde des pasteurs alsaciens. Au moment de son mariage, Nessler avait apporté des meubles et une bibliothèque, estimés à 3 000 francs. Dans l’inventaire après décès sont recensés 220 ouvrages sur les matières théologiques, un clavecin, mais aussi une paire de pistolets, un sac de chasse et un fusil, ce qui suppose une activité cynégétique et, symbole de la ruralité, une vache et une génisse, un cheval et deux brebis, deux pièces de terres.

15 Des bords des Vosges transportons-nous à ceux du Rhin. L’inventaire des biens39 de Simon Frédéric Hollaender40, pasteur de Geudertheim, époux de Louise Schulmeister, est dressé le 28 février 1839. Il indique que sa fille est l’épouse du pasteur Charles Frédéric Britt41, les deux domiciliés à La Robertsau et qu’un de ses deux fils Gustave Adolphe Hollaender est pasteur à Goersdorf42. Le même acte énumère les habits du défunt, entre autres un habit de drap noir et un autre de drap bleu le tout à 16 francs, une redingote vieille à 5 francs, deux redingotes d’été à 3 francs. Des livres, comprenant des titres de Rousseau et Voltaire, sont évalués à 20 francs, mais l’inventaire doit être traduit à la veuve en allemand.

16 Examinons avec plus de détail l’inventaire après décès43 du 4 septembre 1841, d’un pasteur célèbre, Philippe Frédéric Dannenberger44. Né à Kauffenheim le 2 décembre 1776, il est pasteur à Mundolsheim de 1791 à 1825, puis à Schiltigheim de 1825 à 1841. Dannenberger avait été nommé chevalier de la Légion d’honneur le 2 juin 1819 par le roi Louis XVIII pour son dévouement envers les habitants de Souffelweyersheim lors du siège de Strasbourg en 181545. L’inventaire fait apparaître sa veuve Marie Marguerite Körnmann qui produit un contrat de mariage du 7 mai 1827, ce qui montre que le pasteur s’est marié tardivement, ainsi que leurs quatre enfants, âgés de huit à douze ans. L’acte comprend une cinquantaine de pages et connaît plusieurs continuations du 5 mai au 4 septembre 1841.

17 Déchiffrons ce qui est énuméré pour la seule journée du 5 mai, en commençant par le mobilier propre de la veuve : deux bois de lit en noyer (60 francs), une commode en bois de noyer (30 francs), une autre (15 francs), deux tables de nuit en noyer (12 francs), deux lits de plumes avec taies (30 francs), une armoire en noyer avec deux battants (80 francs), un buffet à chêne à quatre battants (30 francs), vingt chaises (42 francs), deux couvertures en coton blanc (10 francs), un bar buffet en sapin à deux battants (3 francs), une table ronde en sapin (10 francs), deux paillassons (10 francs), quatre matelas en futaine (200 francs), deux traversins en futaine (20 francs), deux oreillers en futaine (8 francs), deux plumons (36 francs), une presse à linge (6 francs), dix-huit draps de lit en toile (126 francs), six autres à raies blanches (15 francs), treize serviettes à raies blanches (15 francs), treize serviettes à raies blanches (10 francs). Autrement dit, le trousseau de la mariée comprend la chambre à coucher.

18 Le défunt apporte lui-aussi au moment de son mariage des éléments pour une chambre à coucher (poursuite de l’inventaire le 6 mai) : une toilette de merisier (12 francs), douze chaises en canne (15 francs), un matelas (18 francs), un autre en toile à carreaux bleus (24 francs), un lit de plumes (25 francs), un plumon (12 francs), un matelas à toile

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à panneaux (30 francs), un lit de plumes (28 francs), un traversin (8 francs), deux oreillers (8 francs). Mais Dannenberger possède aussi sa propre argenterie : six cuillères en argent, pesant 360 grammes, valant 61 francs, cinq cuillères, valant 50 francs ; une cuillère à ragoût en argent, valant 15 francs. Cessons là cette énumération trop fastidieuse. Le pasteur, possédant de nombreux biens, les cède non seulement à sa famille et à sa veuve, mais encore à la communauté des fidèles de Schiltigheim.

19 Un des actes les plus intéressants concerne toutefois le père d’un pasteur. Par testament du 27 octobre 1845, dicté en allemand et traduit par le notaire Jean Georges Rinck, Jean Reeb, cultivateur à Zutzendorf, ancien maire, membre laïc du consistoire d’Ingwiller, « veut et ordonne que son fils aîné Jean Georges Reeb46, ministre du culte protestant, rapporte à sa succession une somme de 3 500 francs qu’il a employée et déboursée sur sa sollicitation de sa fortune privée pour lui faire faire ses études et le mettre en état de le recevoir pasteur du culte évangélique47 ». Non seulement le père respecte le choix de son fils de devenir pasteur, mais il l’encourage, vraisemblablement avec l’accord de ses quatre autres enfants, deux fils cultivateurs, une fille mariée à un cultivateur, un mineur. Jean Georges Reeb ayant remboursé cette somme, le testament est révoqué le 11 mars 1853. À sa mort, Jean Reeb, le père, donne 600 francs à sa femme en secondes noces Anne Barbe Heitz, ainsi que des terres. De plus il lui lègue « en toute propriété sa part indivise des recettes engrangées, blés, maïs, denrées et autres victuailles, sans exception, qui pourraient se trouver dans la grange, aux greniers ou dans la cave pour qu’elle en dispose sans gêne comme elle avisera ».

Les splendeurs du Second Empire

20 Intéressons-nous maintenant au pasteur Jean Frédéric Fischer48, né à Bischwiller le 24 mai 1801, époux de Caroline Zahn, pasteur de Weitbruch de 1840 à 1858, décédé à Weitbruch le 23 novembre 1858. L’inventaire après décès49 du 28 janvier 1858 collationne la garde-robe du défunt, de nombreux habits estimés à 167 francs dont quatre redingotes en drap (40 francs), un manteau en drap (30 francs), deux chapeaux en soie noire (12 francs). Fischer possède quatre parcelles de vignes, chacune d’environ cinq ares. En outre une literie assez conséquente dont deux matelas neufs recouverts en toile de Cologne (100 francs), deux lits, le dessous en coutil (80 francs), deux plumons avec taies (50 francs), deux couvertures piquées en indiennes (36 francs), vingt quatre draps de lit en toile de chambre (132 francs), vingt-cinq serviettes en toile de lin. Notons encore un secrétaire en noyer (30 francs), un piano, une bibliothèque [mais les livres ne sont pas nommés], valant 100 francs, douze cuillères à café en argent (10 francs), une passoire en argent (12 francs), un tapis pour le piano et un autre pour la table (16 francs), douze draps de lit (60 francs). La fortune est évaluée à 2 000 francs.

21 Évoquons maintenant Charles Jean Chrétien Blaesius50, né à Lohr le 20 novembre 1788, pasteur de Wasselonne de 1818 à 1863, donc pendant quarante-cinq ans, décédé à Wasselonne le 15 avril 1863, à l’âge de 74 ans. Fils de Jean Blaesius (1760-1836), pasteur à Brumath51, il épouse, alors qu’il est instituteur, à Brumath, le 2 mai 1815, Salomé Kablé, la fille du riche maître de la poste locale. Son contrat de mariage précède un inventaire des apports respectifs. Les apports de Salomé Kablé se composent de meubles essentiellement en noyer (armoire, lits, tables, commodes, chaises), de linges de table (nappes, essuie-mains en toile ouvrée), de literie (taies et draps), ainsi qu’une batterie de cuisine (cafetière) et de la vaisselle (assiette en faïence, soupières, plats,

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cuillères en argent). Le tout est estimé à 3 351 francs, soit une somme trois fois supérieure à ce qu’apporte l’époux.

22 Les apports de Charles Jean Chrétien Blaesius se composent de meubles (une commode, un secrétaire), dont un piano avec un pupitre à musique estimé à 150 francs et une bibliothèque de 100 volumes estimés à 150 francs. Par ailleurs il apporte quelques gravures à caractère religieux (représentation de la Sainte Cène, de la Sainte Famille, du voyage d’Emmaus) ou historique (costumes suisses et représentation de monuments de Paris). L’ensemble est évalué à 1 100 francs. Le pasteur rédige son testament olographe le 26 juillet 1855. Il commence par : « Au nom du Seigneur qui commande à la vie et à la mort », une mention rarissime jusqu’à présent. Il exprime ses remerciements à l’égard de son épouse de « toute la fidélité et de tout l’amour, de toute l’indulgence et de la patience dont elle a fait preuve ».

23 Chose intéressante et nouvelle par rapport aux documents antérieurs, il prévoit plusieurs legs. D’abord à l’église protestante évangélique de Wasselonne à qui il attribue 5 000 francs placés dont les intérêts doivent être distribués aux indigents et enfants pauvres ; un tiers de cette somme doit pourtant être réservé pour l’entretien de deux monuments funéraires de lui et de son épouse. Ensuite au sacristain Michel Bierbrauer et à son ancienne servante Christine Stumpf. Enfin à la caisse de secours pour les veuves et orphelins d’ecclésiastiques de la Confession d’Augsbourg en France, à la caisse des veuves de pasteurs de Bouxwiller et à la société d’éméritat d’ecclésiastiques protestants. Tout le reste doit revenir à son seul héritier, son neveu Daniel Blaesius, meunier à Obermodern. Il termine son testament en faisant part de sa fierté d’avoir été élevé et formé au sein de l’Église protestante. Malgré ses péchés, il évoque sa confiance « en un Dieu miséricordieux, gracieux et indulgent ». Il exprime le souhait, le moment venu, de retrouver Dieu au Paradis.

24 Son inventaire après décès52 du 15 avril 1863 énumère les meubles et objets mobiliers de la communauté. Dans les neuf chambres de la maison sont répertoriés les meubles (chaises, tables, buffets, lits, tables de nuit, commodes, armoire, canapés, fauteuils), les objets du quotidien (un pistolet, plusieurs glaces, une pendule, des pots en porcelaine, un baromètre, des rideaux, des chandeliers, quatre tapis), la literie (oreillers, sommiers, duvets et couvertures) et plusieurs tableaux de faible valeur. Dans la cave sont mentionnés sept tonneaux de contenance différente, ainsi que plusieurs hectolitres de vin. Dans la remise et la cour, une voiture estimée à 200 francs, plusieurs plantes comme deux lauriers roses, quatre grenadiers, des arbustes, ont été trouvés. À cela s’ajoute une batterie de cuisine, de l’argenterie, des poêlons, une marmite en fonte, des plats en faïence, des couverts ordinaires, du linge en grande quantité – 26 draps de lit, 79 serviettes, 12 nappes, 46 taies pour deux personnes ! –. L’ensemble est estimé à 3 048 francs.

25 Pour ce qui concerne les meubles et objets propres au défunt, il s’agit essentiellement de vêtements, ainsi des chemises en toile de Hollande, des bas, des caleçons, des gilets, mouchoirs, cravates, redingotes, pantalons et chaussures. Le notaire relève aussi une montre et deux boutons de manchette en or. Pour le reste, il s’agit de meubles dont le fameux piano déjà mentionné dans le contrat de mariage, une commode et un secrétaire, du linge de table, de la literie, mais aussi un fusil, un sabre, un télescope, un globe et des tableaux de peu de valeur. Enfin la bibliothèque a pris de l’ampleur depuis le mariage. Elle contient, à la fin de la vie du pasteur 2 225 volumes, dont 400 acquis

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avant son mariage, 647 hérités de feu son père, 900 achetés pendant le mariage et 278 sans valeur, le tout évalué à 2 793 francs.

26 La communauté possède des créances. Il s’agit de prêts consentis à Jacques Kablé, agent général d’assurance demeurant à Strasbourg, à Hoffmann pasteur à Wangen et désigné exécuteur testamentaire par Charles Blaesius, à Michel Brierbrauer le sacristain, à quelques artisans. D’autres créances portent sur des obligations passées devant notaire et onze obligations au porteur sur la Compagnie de fer de l’Est. Le total des créances s’élève à 54 469 francs. Non seulement la communauté possède des créances, mais elle accumule les immeubles ; 80 lots de terre, certes de taille modeste, mais tout de même, répartis sur les bans de Schwindratzheim, Minversheim, Waltenheim, Dossenheim et Brumath, d’où vient Salomé Kablé, l’épouse du pasteur. Ajoutés aux remplois, le tout est chiffré à 27 426 francs.

27 Par comparaison, l’inventaire après succession53 de Philippe Frédéric Mehl54, « ministre du culte protestant », du 17 mars 1864, paraît plus sobre. Né à Alteckendorf le 27 mars 1793, fils du pasteur Jean Michel Mehl55, Philippe Frédéric Mehl épouse Louise Pfeffinger, contrat de mariage à Saverne le 28 décembre 1824, dont il a sept enfants. Deux étant morts en bas-âge, il reste cinq héritiers, un garçon et quatre filles qui se partagent la moitié des biens de la communauté, la veuve recevant l’autre moitié de la succession.

28 Un document intéressant émane de Jean Philippe Fischer56, né à Ingwiller le 15 mars 1797 d’un père vitrier, époux d’Éléonore Schaller (1805-1878), fille du pasteur Geoffroi Jacques Schaller. Personnage important et influent de l’Église de la Confession d’Augsbourg, Jean Philippe Fischer est pasteur à Pfaffenhoffen, où il succède à son beau-père de 1831 à 1865, un tiers de siècle par conséquent, président du consistoire d’Ingwiller de 1843 à 1852, puis président du consistoire de Pfaffenhoffen de 1853 à 1865.

29 Le 31 mars 1865, il fait venir chez lui le notaire Pierron qui le trouve « couché dans son lit dans une chambre donnant par une croisée sur le petit jardin du presbytère protestant de Pfaffenhoffen, malade de corps, mais sain d’esprit ». Le pasteur dicte en allemand son testament au notaire qui le traduit57 : J’avais destiné une somme de 500 francs à titre de part contributive aux frais de la construction qui avait été projetée d’une église protestante à Pfaffenhoffen. Cette construction ne se faisant pas, je veux néanmoins que la dite somme soit employée dans l’intérêt de l’Église. Conséquemment je déclare et ordonne ce qui suit. Je lègue à la commune de Niedermodern une somme de 200 francs pour l’aider à faire face aux frais de construction de l’église protestante que l’on est intentionné d’y bâtir. Cette somme sera à payer par ma succession et après qu’il aura été légalement constaté par l’architecte de l’arrondissement ou par tout autre fonctionnaire compétent de ladite église est sous toit. Je lègue le restant de 300 francs à la caisse spéciale existant depuis plusieurs années sous l’autorité du Directoire de notre Église et dont le but est de faire face à des frais de construction d’églises destinées au culte protestant. J’adresse au Directoire ma prière instante d’employer les 300 francs pour les payer à la commune de Pfaffenhoffen si dans un délai de dix ans à compter de ce jour cette commune peut néanmoins construire une église protestante.

30 Après cet engagement envers son Église, le pasteur termine son testament en donnant et léguant tous ses biens à son épouse Julie Éléonore Schaller. Deux jours après avoir dicté ses dernières volontés, le 2 avril 1865, le pasteur Jean Philippe Fischer décède.

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31 Poursuivons notre énumération avec Jean Georges Baumann58. Né à Puberg le 25 juillet 1810, fils d’un cultivateur, il obtient son baccalauréat théologique le 10 août 1838 et présente une thèse sur Le sens du mot alèthéia dans le Nouveau Testament. Professeur à Mulhouse en 1838, vicaire à Bischwiller en 1839, puis à Niederbronn en 1842, il est pasteur de Niederbronn de 1843 à 1866 et en même temps président du consistoire de Niederbronn59. Il décède le 8 mars 1866 à Niederbronn. L’inventaire après décès60 est réalisé le 21 mai 1866.

32 Il énumère d’abord la garde robe du défunt évaluée à 87 francs, dont trois redingotes estimées à 30 francs, trois pantalons et autant de gilets (10 francs), une robe de chambre (10 francs), deux chapeaux (3 francs), une montre et une tabatière (30 francs). Parmi les meubles de communauté à conserver on trouve notamment une commode, un canapé, des tables, douze chaises, une console, une glace, des tableaux, trois lampes, deux baromètres, un tapis, un piano et son tabouret, un secrétaire, un buffet, une pendule, deux armoires, un buffet de cuisine, une batterie de cuisine, 1875 grammes d’argenterie, trente-six tabliers de cuisine, vingt-quatre nappes, six matelas, quatre couvertures, dix-sept oreillers, quatre tables de nuits, soixante-douze draps de lit, cent trente-deux serviettes, soixante-douze essuie mains, cinq portes manteaux, deux fauteuils, un pupitre, des livres et quatre chandeliers et d’autres biens estimés pour l’ensemble à 2 147 francs. La présence d’un même objet en plusieurs exemplaires ainsi que d’objets non indispensables au quotidien donne une idée de la richesse du pasteur. De plus la présence de tableaux, de livres et d’un piano illustre un intérêt de la famille pour la culture et la musique. Pas de mention de bible.

33 Les objets à vendre aux enchères publiques sont hétéroclites. On distingue notamment quatre oreillers, six traversins, un lit, un fusil, cinq baignoires, une voiture d’enfant, un trépied, cinq cadres, six commodes, quatre tables de nuit, vingt-deux chaises, un fauteuil, une cuve à lessive, un pétrin, une marmite, deux pioches, deux arrosoirs, une cloche et différents balais. L’ensemble des objets était estimé à 939 francs. Jean Georges Baumann est propriétaire de vingt-trois sections de terres sur le territoire de Puberg, commune de naissance, ainsi que sur le ban de Niederbronn. Il est aussi propriétaire d’une maison avec grange et dépendances à Puberg. On doit à Baumann près de 20 000 francs dont 3 400 par Dietrich et Compagnie.

34 Au terme de la présentation de ses échantillons, ne visant pas à l’exhaustivité, d’actes notariés concernant des pasteurs alsaciens, une première remarque vient spontanément à l’esprit : les actes de droit ne sont pas des actes de foi, comme les mêmes documents produits au XVIIIe siècle pour le clergé catholique. Est-ce le reflet d’une société plus sécularisée ? En même temps, la présentation chronologique tend à montrer une sorte d’affirmation de la foi au milieu du XIXe siècle, au moment du Second Empire, régime politique peu apprécié par les luthériens, « Gottlob, das ich lutherisch bin », n’est donc pas seulement une formule ou un chant. L’affirmation traduit une réalité au moment où elle est conçue.

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NOTES

1. . Ernest M ULLER, « Frédéric Weyermuller » dans Bernard VOGLER, dir., Dictionnaire du monde religieux de la France contemporaine (DMRC), Alsace, Paris, Beauchesne, 1987, p. 462 ; M. SIEGWALD, « Gottlieb, dass ich lutherisch bin. Vor 150 Jahren entstand die Lutherische Gesellschaft », Almanach évangélique luthérien, 1998, p. 37-48. Paul GREISSLER, « Frédéric Weyermuller », in Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne (NDBA), no40, 2002, p. 4 214. Sur le contexte confessionnel de l’époque, voir Bernard VOGLER, Histoire des chrétiens d’Alsace, Tournai, Éditions Desclée, 1994, p. 248. 2. . René VOELTZEL, « François Haerter », DMRC, p. 182-183. 3. . Jean BRICKER, « Frédéric Horning », DMRC, p. 212. 4. . De manière générale, voir particulièrement Henri S TROHL, Le protestantisme en Alsace, Strasbourg, Éditions Oberlin, 1950, 508 p. et surtout les nombreux travaux de Bernard Vogler et de Marc Lienhard. Voir aussi André ENCREVÉ, Les protestants de 1800 à nos jours, Histoire d’une réintégration, Paris, Stock, 1985. 5. . Bernard VOGLER, dir., Les testaments strasbourgeois au XVIIIe siècle, Strasbourg, Publications de la Société Savante d’Alsace et des Régions de l’Est, « Recherches et documents, t. 25 », 1978, 183 p. 6. . Dans le cadre d’une recherche en licence et en master en 2015-2016, les étudiants inscrits en histoire régionale ont été invités à découvrir dans les Archives départementales du Bas-Rhin à Strasbourg un ou plusieurs testaments de pasteur et à en présenter un commentaire. Les documents découverts sont présentés avec leur cote et entre parenthèses le nom de l’étudiant(e) l’ayant repéré et commenté. 7. . Joseph WIRTH, « Une fête patriotique à Colmar en 1804 », Revue d’Alsace, 1904, p. 113‑133. 8. . Jean Frédéric Strauss, né à Strasbourg le 12 avril 1726, épouse au Temple Neuf Strasbourg le 27 septembre 1773 Catherine Scherer, pasteur à Lingolsheim de 1761 à 1776, puis de Heiligenstein de 1776 à 1785, poste qu’il résilie pour cause de cécité, voir Marie-Joseph BOPP, Die evangelische Geistlichen und Theologen in Elsass und Lothringen, Neustadt, 1959, (709 p.), ici p. 535, no5117. 9. . Toutes les biographies dans François LOTZ, Le notariat alsacien de 1800 à nos jours, Kaysersberg, 1989. 10. . ADBR, 7E57.9/28, n o 82 (Romane Breton), acte du 18 Germinal an XIII. Pour une conceptualisation des résultats obtenus par les glanes dans les inventaires de succession, voir Daniel ROCHE, Histoire des choses banales, Paris, Éditions Fayard, 1997. 11. . Marie-Joseph BOPP, Die evangelische Geistlichen und Theologen in Elsass und Lothringen, op. cit., p. 171, no1 537. Fuchs est encore pasteur de Bischheim de 1816 à 1846. Il décède à Strasbourg le 28 août 1855. 12. . ADBR, 7E57.9/28 (Salomé Imboden). 13. . Jean Daniel Mall, peut-être né à Lembach, épouse Catherine Rolle, immatriculé à Iéna en 1783, à Giessen en 1785, diacre à Westhoffen de 1791 à 1795, puis pasteur dans la même localité de 1795 à 1817, décédé le 27 janvier 1817, voir Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 352, no3334. 14. . Jean Frédéric Schweighaueser, né à Strasbourg le 3 septembre 1736, épouse le 27 avril 1768 Marie Ruland, immatriculé à Tübingen en 1761. Il est à Paris en 1767, pasteur de Rothau de 1768 à 1780, d’Eckbolsheim de 1780 à 1812, résilie à cause de son âge, Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 503, no4821. Son frère Jean Schweighaueser (1766-1842) est médecin accoucheur, voir Jean-Pierre KINTZ, « Jacques Frédéric Schweighaueser », NDBA, no34, 1999, p. 3 584. Jean Frédéric Schweighaueser est lui-même fils de pasteur, voir Jean-Pierre KINTZ, « Jean-Georges Schweighaueser », NDBA, no34, 1999, p. 3 581.

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15. . Claude MULLER, « Vive l’Empereur ! » L’Alsace napoléonienne (1800-1815), Bernardswiller, ID L’É dition, p. 503, no4821. On saisit là toute l’influence du pasteur Oberlin, voir Malou SCHNEIDER, « Jean Frédéric Oberlin », NDBA, no28, 1996, p. 2 872‑2 875. 16. . Philippe Jacques Engel, né à Strasbourg le 5 juin 1741, épouse le 8 avril 1782 Marie Madeleine Ehrmann, fille d’un joaillier de Mannheim, immatriculé à Göttingen en 1768, ordonné en 1769, prédicateur du soir à Saint-Guillaume Strasbourg de 1769 à 1780, pasteur à Neuwied de 1783 à 1788, docteur en théologie de 1789, diacre à Saint-Thomas Strasbourg de 1788 à 1802, pasteur à Saint-Thomas de 1802 à 1825, décédé le 8 juillet 1825, Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 136, no1 183. 17. . Son testament, lapidaire, du 31 mars 1818 dans ADBR, 7E57.9/29 (Geoffrey Diebold). 18. . Louise Salomé Engel épouse à Strasbourg le 1 er mai 1811 Philippe Jacques Bloechel, né à Strasbourg le 27 janvier 1780, premier étudiant à soutenir une thèse de doctorat à la faculté de droit de Strasbourg nouvellement créée. En 1820 il succède au doyen Hermann dans la chaire de droit civil. Il prend sa retraite, résidant au 6, rue du Bouclier, à Strasbourg et meurt à Strasbourg le 23 mai 1860, voir Marcel THOMANN, « Philippe Jacques Bloechel », NDBA, no4, 1984, p. 259. 19. . ADBR, 7E57.9/56 (Thomas Brosset). 20. . ADBR, 7E32/45.1 (Michael Kolinski). 21. . Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 134, no1 156. 22. . Ibid., no1 159. 23. . Ibid., no1 161. 24. . Ibid., p. 135, no1 164. 25. . Ibid., p. 469, no4 509 et surtout François SCHALLER, « Geoffroi Jacques Schaller », NDBA, no33, 1999, p. 3 401. 26. . Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 469, no4 508 (Jean Jacques Schaller père lequel a épousé Sophie Petri, fille de pasteur). 27. . ADBR, 7E23.1/50 (Viktoria Tatschl). 28. . Frédéric Auguste Schaller, né à Pfaffenhoffen le 8 novembre 1802, suit des études à Giessen en 1824, épouse à Bouxwiller le 18 février 1830 Louise Rosalie Schlössing, ordonné en 1829, pasteur à Phalsbourg de 1829 à 1835, à Soultz-sous-Forêts de 1835 à 1839, à Colmar de 1839 à 1881, président du consistoire de Colmar de 1853 à 1876, décédé le 3 août 1881, voir Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 469, no4 511 et François SCHALLER, « Frédéric Auguste Schaller », NDBA, no33, 1999, p. 3 402. 29. . Jean Philippe Fischer, né à Wissenbourg le 22 avril 1827, épouse le 24 novembre 1863 Sophie Schaller, vicaire à Barr en 1851, à Muttersholtz en 1852, à Pfaffenhoffen en 1853, à Harskirchen en 1854, pasteur à Sarre Union de 1855 à 1859, à Offwiller de 1859 à 1874, à Rittershoffen de 1851 à 1886 et de 1890 à 1902, président du consistoire de Hatten de 1890 à 1902, décédé le 7 mai 1902, voir Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 157, no1 397. 30. . Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 507, no4 845. 31. . Ibid., no4 844. 32. . Ibid., no4 841. 33. . ADBR, 7E36/82 (Michael Kolinski). 34. . Guillaume Jean Herbst, né à Pirmasens dans le Palatinat, vicaire à Schweighouse de 1795 à 1805, pasteur à Durstel de 1805 à 1810, puis à Tieffenbach de 1810 à 1829, voir Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 228, no2 116. 35. . ADBR, 7E8.1/20 (Arthur Chabot). 36. . ADBR, 7E8.2/66 (Michael Kolinski). 37. . Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 393, n o3 771. 38. . Ibid., no3 772 et Yves KILLIAN, « Charles Ferdinand Nessle », NDBA, no28, 1996, p. 820. 39. . ADBR, 7E9.2183 (Amandine Favre).

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40. . Né à Bouxwiller le 11 juin 1759, Simon Frédéric Hollaender épouse Louise Schulmeister, soutient sa thèse de théologie en 1789, est pasteur de Kirrwiller de 1759 à 1799, de Balbronn de 1799 à 1807, de Geudertheim de 1807 à 1838. Il décède le 18 décembre 1838, voir Marie-Joseph BoPP, op. cit., p. 251, no2 351. 41. . Ne figure pas dans le répertoire de Marie-Joseph Bopp. 42. . Gustave Adolphe Hollaender, né à Balbronn le 29 mars 1805, pasteur de Goersdorf de 1836 à 1875, décédé le 10 février 1875, voir Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 251, no2 353. 43. . ADBR, 7E50/25 (Élisa Heinis). 44. . Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 113, no918. 45. . Claude MULLER, « Vive l’Empereur ! » L’Alsace napoléonienne (1800-1815), op. cit., p. 229. 46. . Jean Georges Reeb, né à Zutzendorf le 9 mai 1804, bachelier en théologie le 25 juillet 1836, pasteur à Wimmenau du 12 novembre 1845 au 30 avril 1855, pasteur de Hohwiller de 1856 à 1888, décédé le 20 février 1888, voir Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 429, no4 124. 47. . ADBR, 7E23.2/63 (Sophie Heitz). 48. . Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 157, no1 395. 49. . ADBR, 8E523/32 (Catherine Braesch). 50. . Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 64, no425. 51. . Ibid., p. 424, no 424. De manière générale, voir Claude MULLER, L’Alsace du Second Empire (1852-1870), Pontarlier, Éditions du Belvédère, 2015, 282 p., notamment p. 111-118. 52. . ADBR, 7E621/158, no11 588 (Laura Zeitler). 53. . ADBR, 7E12/114 (Marie Groppenbächer). 54. . Philippe Frédéric Mehl, né à Alteckendorf le 27 mars 1793, épouse à Dettwiller le 29 décembre 1824 Louise Pfeffinfer dont il a sept enfants. Il est professeur à Ribeauvillé de 1813 à 1820, pasteur à Weinbourg de 1820 à 1823, puis à Dettwiller de 1823 à 1824, président du consistoire de Dettwiller de 1854 à 1864. Il décède le 15 janvier 1864, voir Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 361, no3 420. 55. . Jean Michel Mehl, né à Bouxwiller le 22 décembre 1755, épouse à Lembach le 27 mai 1783 Christine Mall. Après des études à Giessen et Iéna, il est pasteur à Krautwiller de 1782 à 1786 puis à Alteckendorf de 1786 à 1794. Il décède le 3 mars 1794. Voir Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 361, no3 419. Entre 1850 et 1870, un pasteur sur deux est fils ou petit-fils de pasteur, voir François Georges DREYFUS, René EPP, Marc LIENHARD et Freddy RAPHAËL, Catholiques, protestants et juifs en Alsace, Colmar, Éditions Alsatia, 1992, p. 124. 56. . Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 157, no1 394. 57. . ADBR, 7E41/27 (Viktoria Tatschl). 58. . Marie-Joseph BOPP, op. cit., p. 44, no231. 59. . En 1865, Niederbronn compte 3 203 habitants, dont 1 685 luthériens, 1 217 catholiques, 296 juifs, 3 calvinistes et 2 « dissidents ». L’église Saint-Jean, érigée grâce à Jean de Dietrich en 1763, sert aux protestants et aux catholiques dans le cadre du simultaneum, qui cesse en 1886, date de la construction de l’église catholique Saint-Martin, voir Claude Muller, Le partage de Dieu, Saisons d’Alsace, no102, 1988, p. 9‑129. 60. . ADBR, 7E33/53 (Ségolène Deswarte et Éric Richert).

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RÉSUMÉS

Un dépouillement des archives notariales conservées aux Archives départementales du Bas-Rhin à Strasbourg, pour la période allant de 1800 à 1870, fait apparaître dans cet immense fonds la présence notable et intéressante de testaments et d’inventaires après décès de pasteurs protestants. Leur analyse montre que l’affirmation de la foi luthérienne s’accroît au fur et à mesure que l’on se rapproche du Second Empire, connaissant même une sorte d’apogée entre 1852 et 1870. Faut-il dès lors poser comme hypothèse une affirmation de plus en plus affichée publiquement d’un particularisme religieux, minoritaire à partir de la Révolution, proclamant l’égalité entre les cultes, jusqu’à l’annexion de l’Alsace ? (Claude Muller).

The study of notaries’ archives (1800-1870) stored in the Archives Départementales du Bas-Rhin in Strasbourg offers an insight into this extremely rich lot of particularly representative and interesting testaments and inventories published after the death of Protestant Church ministers. It makes it clear that, the closer you get to the Second Empire, the stronger the Lutheran convictions, with a sort of climax between 1852 and 1870. Can we therefore conclude that, before the annexion of Alsace, there is an ever stronger public assertion of a local religious particularism – in fact the opinion of a minority after the French Revolution – claiming an equal treatment of all religious denominations? (trad. Pierre Boulay).

Eine Auswertung der Notariats-Archivalien im Archivs des Départements des Unter-Elsass in Straßburg, für den Bereich zwischen 1800 und 1870 bringt in diesem immensen Bestand eine wahrlich interessante Anzahl, nach dem Ableben protestantischer Pfarrer, von Testamenten und Inventare zu Tage. Ihre Analyse bringt zum Ausdruck, dass die Selbstbestätigung des Lutherischen Glaubens zunimmt je mehr man sich dem zweiten Kaiserreich nähert. Eine Art Höhepunkt scheint zwischen 1852 und 1870 erreicht zu werden. Kann man daraus schließen, dass sich hier ein religiöser Partikularismus im öffentlichen Raum versucht zu behaupten, obwohl er seit der Revolution in die Minderheit geraten ist, mit dem Ziel eine Gleichstellung der Konfessionen zu erreichen, und dies bis zur Annektierung des Elsasses? (trad. René Siegrist).

AUTEUR

CLAUDE MULLER Professeur et directeur de l’Institut d’histoire d’Alsace de l’Université de Strasbourg

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Le schisme luthérien de 1883 : orthodoxes contre libéraux The 1883 Lutheran schism: orthodoxy vs liberalism Die Spaltung der Lutheraner 1833: Orthodoxe gegen Liberale

Bernard Vogler

1 Au cours du XIXe siècle, le protestantisme luthérien d’Alsace est dominé par le courant libéral, qui détient le pouvoir au Directoire, au chapitre Saint-Thomas et à la Faculté de théologie. Il préconise le libre examen, le rejet d’une confession de foi et la réconciliation avec les progrès scientifiques, en particulier sur le problème de la création du monde et les théories évolutionnistes de Darwin. Le courant libéral radical maintient que le Christ n’a jamais dit qu’il était le Messie.

La prépondérance du libéralisme à Strasbourg au XIXe siècle

2 Le libéralisme est représenté à Strasbourg au début du XIXe siècle par Jean-Laurent Blessig (1747-1816) : il a été à partir de 1795 le grand réorganisateur du culte public dans l’Alsace luthérienne après les dégâts de la Révolution et la transformation du Temple Neuf en étable à cochons, et aussi l’animateur de plusieurs œuvres caritatives dont les « Pauvres honteux ». Son cadet Isaac Haffner (1751-1831) symbolise le rationalisme moralisateur, dépourvu de chaleur spirituelle. La prépondérance du libéralisme à Strasbourg a été accentuée par le premier président du Directoire de l’É glise luthérienne nommé par Bonaparte en 1802, Philippe Kern, ancien conseiller de la Régence de Bouxwiller. Après 1830, ils sont relayés par Jean-Frédéric Bruch (1792-1874), doyen de la Faculté de théologie pendant 38 ans, et Jean-Guillaume Baum (1809-1878) animateur du courant libéral. Le grand théologien et spécialiste d’exégèse, professeur à la Faculté de théologie, Édouard Reuss (1804-1891) était aussi un libéral, comme son fils l’historien Rodolphe Reuss (1841-1924). Ainsi, la direction d’Église, la Faculté de théologie protestante à Strasbourg et le chapitre protestant Saint-Thomas

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sont passés au XIXe siècle sous le contrôle des libéraux. En 1883, les deux tiers du corps pastoral font partie de ce courant libéral.

3 Les deux autres courants, le piétisme et l’orthodoxie, sont marginalisés, mais restent quand même importants chez les fidèles et ils résistent. Le piétisme est dirigé par François Haerter (1797-1874), un grand prédicateur qui s’investit dans une « religion du cœur » (« le cœur du Christ, les mains du prochain »), c’est-à-dire dans la diaconie et l’évangélisation.

4 L’orthodoxie est incarnée par Frédéric Horning (1809-1882), principal initiateur et animateur du réveil luthérien orthodoxe qui demande un retour à la piété luthérienne : justification par la foi et retour à l’hymnologie du XVIe siècle, ce qui s’oppose au moralisme libéral et à l’activisme piétiste. Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg devient une paroisse orthodoxe dynamique sur le plan liturgique, catéchétique et pour le diaconat ; elle organise en outre des fêtes missionnaires et la diffusion de la Bible. Jusqu’en 1870, Strasbourg diffuse près de 100 000 bibles. Un vicaire de Horning, Frédéric Ihme (1834-1915), n’a jamais pu être nommé à Strasbourg et se trouve relégué pendant toute sa carrière à Baerenthal en Moselle actuelle (Lothringen à l’époque), car il est luthérien de stricte obédience, comme sa femme et ses trois fils pasteurs. Il s’est fait connaître comme spécialiste d’hymnologie en publiant un recueil de cantiques, Gesangbuch für Christen Augsburgischer Confession (Recueil de cantiques pour les chrétiens de la Confession d’Augsbourg), paru à partir de 1863 et qui avait été conçu comme strictement luthérien, par contraste avec le Gesangbuch für die evangelischen Gemeinden Frankreichs (Recueil de cantiques pour les communautés évangéliques de France), paru en 1850. Puis son livre d’orgue Halleluja, publié en 1873‑1875, connut jusqu’en 1923 au moins quatre éditions. Il reprit les mélodies de chants d’église classiques des XVIe et XVIIe siècles, et cela sous leur forme rythmique, non sous la forme rythmiquement homogénéisée dont l’usage s’était répandu depuis le XVIIIe siècle. Il utilisa pour ce livre d’orgue une série de ses propres compositions, même là où il existait déjà pour les chants en question des mélodies « classiques », qu’il jugeait sans doute trop difficiles, comme par exemple Sie ist mir lieb, die werte Magd (Elle est mon amour, la vraie servante) (Martin Luther) ou Sollt ich meinem Gott nicht singen? (Ne devrais-je pas chanter pour mon Dieu ?) (Paul Gerhardt). Ihme publia aussi une édition française à 2 ou 3 voix (Alléluia). Au total, il publia environ 30 mélodies de sa composition, la dernière en 1907.

5 Ces trois partis se combattent au moment des vacances pastorales en vue d’y placer leurs partisans. Mais c’est dans le monde rural que le conflit entre libéraux et orthodoxes explose. Il est aggravé par le problème d’appartenance nationale. Les libéraux sont francophiles dans leur majorité. En particulier Charles Théodore Gerold (1837‑1928), pasteur à Saint‑Nicolas à Strasbourg et professeur de religion au Gymnase, crée en 1871 « l’Union protestante libérale » dont l’influence est considérable par ses conférences et ses brochures. En 1872, il refuse un poste dans la nouvelle université allemande et contribue par ses prédications à des cérémonies organisées par le Souvenir français ; en 1915, à 78 ans, il est mis à la retraite d’office par les autorités allemandes à cause de sa francophilie. À l’arrivée des Français, il reprend son poste en 1918 jusqu’à sa mort. Les orthodoxes au contraire sont plutôt germanophiles, car ils voulaient enseigner et prêcher dans la langue de Luther. Ils sont très bien vus des autorités allemandes, car ils ont accepté le rattachement de l’Alsace au Reich.

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La crise à Schillersdorf et le conflit avec le village de Mülhausen

6 Le brandon de la discorde a éclaté dans un village du pays de Hanau, anciennement intégré dans le comté de Hanau-Lichtenberg. La paroisse luthérienne est composée des deux villages de Schillersdorf et Mühlhausen ; une seule paroisse pour deux villages au tempérament très différent, c’était de nature à engendrer un conflit.

Les tensions antérieures

7 La crise éclate après la mort du pasteur Jean-Frédéric Schaeffer le 18 avril 1882. Il avait dirigé la paroisse depuis 1835, avec un esprit de conciliation qui le faisait apprécier, malgré ses tendances libérales. Des tensions étaient apparues avant sa mort, avec la préférence de certains habitants pour le pasteur Michel Huser de Rothbach, un orthodoxe qui a introduit en 1851 la fête des Missions, qui existe toujours dans l’Église libre. Le conseiller presbytéral de Schillersdorf Jacob Kuhm a déclaré en 1883 que depuis 15 ans il allait au culte à l’extérieur. En 1864 un père de famille refuse le baptême de son enfant parce que le pasteur Schaeffer refuse de poser la question relative à l’exorcisme (« Renonces-tu au diable et à ses œuvres ? ») contenue dans l’ancienne liturgie de Hanau et il le fait baptiser par Huser1. En 1869, une fillette est retirée du catéchisme et confirmée à Rothbach2, malgré les 6 kilomètres d’éloignement. La mort du pasteur Huser en 1881 a laissé un vide et favorisé le schisme à Schillersdorf, mais pas à Rothbach, car ce village, associé à Bischholtz dans une même paroisse, s’entendait avec ce dernier pour élire un pasteur orthodoxe. Le successeur de Huser à Rothbach a été son vicaire, le pasteur Théodore Weyermüller, jusqu’à 1911.

Le conflit entre orthodoxes et libéraux

8 La crise, d’une ampleur considérable, est provoquée par la volonté du Directoire luthérien et de son président Kratz d’installer un pasteur libéral. Le Directoire a sous- estimé la détermination des habitants de Schillersdorf à aller jusqu’au schisme, menace qu’il a toujours considérée comme un simple chantage, déclarant en particulier que les « geizigen Bauern » (« les paysans avares ») ne payeraient pas l’entretien d’un pasteur.

9 Le village de Schillersdorf est associé à celui de Mühlhausen pour ne former qu’une seule paroisse, mais il y a une différence de tempérament religieux entre les deux villages : alors que la population de Schillersdorf, agricole et conservatrice, tient en majorité à l’orthodoxie, celle de Mühlhausen, où l’artisanat est plus important, s’intéresse moins aux questions religieuses et n’est pas hostile au libéralisme. Les recueils de cantiques ont joué leur rôle. Schillersdorf a conservé l’ancien Gesangbuch für Christen Augsburgischer Confession, recueil de la Confession d’Augsbourg de 1779, réédité en 1818, alors que Mühlhausen a adopté le recueil de 1808 inspiré par Blessig (Gesangbuch zür Beförderung der öffentlichen und häuslichen Andacht), où les cantiques du XVIe siècle ont disparu, sauf un unique cantique de Luther.

10 Le conflit éclate entre les deux maires, Schweyer à Schillersdorf et Schnepp à Mühlhausen. Ce dernier profite d’une dissension entre le maire en exercice à Schillersdorf et son prédécesseur pour gagner à sa cause une petite minorité. Mais le

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maire Schweyer bénéficie d’une grande audience auprès des autorités locales, en particulier auprès du Kreisdirektor de Saverne.

11 La crise fait grand bruit et Schillersdorf devient le village le plus choyé dans les brochures, pamphlets et journaux de 1883, en particulier la Strassburger Post et le Zaberner Wochenblatt, de sorte que le détail de la crise est bien connu.

La crise provoquée par l’élection du cinquième conseiller en 1882

12 L’élection du nouveau pasteur est faite par le conseil presbytéral, composé de cinq membres, dont les deux maires : trois voix pour Schillersdorf et deux pour Mühlhausen. Mais un des conseillers de Schillersdorf, Michel Merckling, donne sa démission. Le maire Schnepp demande que l’élection soit faite par les quatre conseillers restants, où il aurait eu voix prépondérante car il est le doyen d’âge3. Le Directoire propose le 10 juin de procéder à une élection complémentaire avant le choix du pasteur, mais demande que celle-ci soit faite par l’ensemble des électeurs de la paroisse, alors qu’en 1877 le conseil avait décidé un vote par village : il s’agit d’obtenir un conseiller libéral pour Schillersdorf, alors qu’avec le seul vote de ce village, c’est un orthodoxe qui aurait été élu.

13 Le 19 juin, par deux voix pour, dont celle prépondérante de Schnepp en tant que doyen d’âge, et deux voix contre, le conseil presbytéral donne un avis favorable à une élection complémentaire par les deux communes. Le consistoire d’Ingwiller rejette cette décision par 9 voix contre 7, mais elle est transmise le 26 juin avec avis favorable par l’inspecteur ecclésiastique Kunlin, qui affirme qu’il existe à Schillersdorf une forte minorité favorable à une élection commune. Le 1er juillet, les deux conseillers de Schillersdorf, le maire Schweyer et le conseiller municipal Jacob Kuhm, adressent une lettre au Directoire, où ils affirment qu’ils ont une église luthérienne confessante et qu’à ce titre ils ont droit à une prédication, une administration des sacrements et une ordonnance ecclésiastique luthériennes. Ils dénoncent la tactique électorale de leurs adversaires qui veulent obtenir une majorité libérale « temporaire et artificielle ». Par une autre lettre au Directoire, le maire Schnepp riposte que les orthodoxes de Schillersdorf auraient intimidé Merckling avant sa démission. Le 13 juillet, le Directoire impose une élection commune, fixée au 6 août.

14 Le 23 juillet, une supplique signée de 92 électeurs, adressée au Bezirkpräsident de Basse- Alsace, demande l’annulation de l’élection par les deux communes ou la séparation en deux paroisses. Ils ne veulent pas passer sous le joug d’un pasteur libéral. Cette pétition n’ébranle pas le Directoire ; son président Kratz se plaint le 26 juillet du ton de la pétition, « qui ne convient pas à une paroisse chrétienne envers son autorité ecclésiastique ». Il confirme la date de l’élection du 6 août 1882.

15 La participation du 6 août est élevée : à Schillersdorf, 112 votants sur 129 inscrits et à Mühlhausen, 128 votants sur 140 inscrits. Sans surprise, le candidat libéral Reinhardt a eu 121 voix à Mühlhausen et seulement 28 à Schillersdorf et le candidat orthodoxe Kuhm n’a eu que 7 voix à Mühlhausen contre 84 à Schillersdorf.

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L’église concordataire, au sommet du village

L’église devenue trop petite a été reconstruite par la commune de juillet 1850 à janvier 1852 et son clocher de 1850 a été rehaussé en 1860. L’église a fait l’objet d’une rénovation dans les années 2010. La commune a exigé d’avoir un bel orgue à 28 jeux et obtenu satisfaction auprès du préfet Migneret en 1859, mais le sous-préfet a fait remarquer que les communes rurales attachent une grande importance aux orgues « plus par vanité que par sentiment religieux ». L’orgue a été installé en 1851 et restauré en 1954.

16 Cette élection fait des vagues. Une pétition signée de 122 électeurs demande l’élection du pasteur Hamm. Dans une lettre au président du Directoire Kratz, du 12 août, le sous- secrétaire d’État à la Justice et aux Cultes du Reichsland, von Puttkamer, se plaint de la modification du mode de scrutin, susceptible de troubler les paroissiens, mais Kratz réaffirme le besoin de consulter toute la paroisse pour l’élection d’un conseiller.

17 L’installation du nouveau conseiller libéral, Reinhardt, est faite le 14 septembre.

L’élection d’un pasteur libéral le 4 octobre 1882

18 Elle a lieu le 4 octobre, en présence d’une nombreuse assistance qui se déclare en faveur de Hamm. Les deux luthériens, Schweyer et Kuhm, demandent un pasteur croyant, bekenntnisstreu, et luthérien, qui enseigne la doctrine selon les six points du catéchisme de Luther. Les deux conseillers de Mühlhausen et leur nouveau collègue de Schillersdorf veulent un pasteur qui prêche non l’esprit de parti, mais la paix et qui soit soucieux de l’amour de Dieu et du prochain. Ces derniers votent pour le libéral Jaeger, alors que les deux autres votent pour Hamm, fils d’un ancien instituteur longtemps en exercice à Schillersdorf.

19 Le 9 octobre, le consistoire d’Ingwiller vote contre la candidature de Jaeger par 9 voix contre 8. Mais dans son rapport au Directoire, l’inspecteur ecclésiastique libéral de

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Bouxwiller Kunlin insiste en faveur de Jaeger auprès du Directoire. Ce dernier procède à la nomination de Jaeger le 27 octobre par 4 voix et une abstention.

L’intervention des autorités civiles

20 La majorité de Schillersdorf fait appel au pouvoir civil pour bloquer cette nomination. Les autorités civiles, inquiètes, interviennent alors à tous les niveaux : Kreisdirektor à Saverne, Bezirkpräsident, sous-secrétaire d’État à la justice et aux cultes dans le Reichsland d’Alsace-Lorraine von Puttkamer, et enfin le Statthalter d’Alsace-Lorraine Edwin von Mauteuffel.

21 Malgré la difficulté du trajet, ce dernier est venu en personne à Schillersdorf en 1883, à une date que les sources n’ont pas conservée : en effet, il n’y avait pas encore de ligne ferroviaire reliant Strasbourg au village voisin d’Obermodern, puisque cette dernière n’a été inaugurée qu’en 1895. Manteuffel a rencontré et apprécié le maire Schweyer, car il ne pouvait pas être insensible à la vigueur de l’hostilité à la francophilie des libéraux. Ces autorités civiles ont tout essayé pour désamorcer la crise, en consultant les deux conseils municipaux et le consistoire et en faisant une enquête sur le coût financier de la création d’une paroisse autonome à Mühlhausen. Mais elles se sont heurtées au refus buté du consistoire et de son président Kratz.

22 Les électeurs de Schillersdorf s’adressent le 28 octobre 1882 au Statthalter et le 1 er novembre au sous-secrétaire von Puttkamer. Celui-ci fait une enquête et échange une correspondance suivie avec le Directoire pour faire part de ses réserves et inviter le président Kratz à revenir sur sa décision. Il fait remarquer que le changement de mode de scrutin a suscité sur place la conviction que le Directoire est surtout préoccupé de nommer un pasteur de tendance libérale. Selon lui, seule une séparation des deux communes, pour en faire deux paroisses et non une seule, permettrait de préserver le « kirchlichen Frieden ». Il demande l’avis des conseils presbytéraux, du consistoire et des conseils municipaux. La presse religieuse et profane s’empare de l’affaire.

23 Le Directoire oppose un refus le 13 janvier 1883, en prétendant qu’il s’agit d’une agitation artificielle destinée à se débarrasser de la filiale de Mühlhausen. Il estime que l’installation du nouveau pasteur calmera les esprits et que, s’il cédait, ce serait inciter toutes les minorités à s’agiter. Le 20 janvier, les élections régulières au conseil presbytéral ont lieu selon une liste unique, sans le maire Schweyer, qui est écarté : 39 électeurs sur 132 y ont participé. Leurs adversaires les qualifient de clients du maire précédent entourés de membres du libéralisme. Le Directoire ne bouge pas. Au contraire, dans sa réponse du 31 janvier à von Puttkamer, il fait état de la participation du tiers des inscrits aux élections du 20 janvier : ce tiers récuse le « terrorisme » du maire sur les petites gens, empêchant un autre tiers de participer aux élections, et prétend que « la majeure et meilleure partie de la population » attendrait avec impatience l’arrivée du nouveau pasteur.

24 Le Bezirkpräsident tente alors de réunir le village de Mühlhausen à la paroisse d’Uhrwiller, afin de séparer Schillersdorf de Mühlhausen, mais il se heurte au refus des deux conseils municipaux.

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La menace de scission et l’entêtement du Directoire

25 En février et mars, le conseil municipal de Schillersdorf s’adresse au Statthalter Manteuffel, au sous-secrétaire d’État et au Bezirkpräsident pour obtenir la séparation d’avec la filiale de Mühlhausen, faute de quoi on assistera à la création d’une paroisse libre. Le 22 mars, von Puttkamer revient à la charge, pour empêcher une scission menaçante dans l’intérêt de la paix civile. Il ajoute que le gouvernement est prêt à demander les moyens nécessaires pour doter un nouveau poste pastoral à Mühlhausen. Mais il se heurte toujours à une opposition décidée du Directoire qui prétend le 2 avril que le maire est soutenu par le parti confessionnel qui entretiendrait « l’Agitation ».

26 Face à ce blocage, le sous-secrétaire d’État se résout à nommer le pasteur Jaeger. Mais, dans sa lettre du 30 mai 1883, il critique le Directoire pour son attitude qui a suscité de l’émoi et envisage une séparation en deux paroisses.

L’installation du pasteur libéral Friedrich Jaeger et Clochemerle à Schillersdorf

27 Le 17 juin 1883, l’installation du pasteur Jaeger est célébrée avec éclat par le parti libéral qui fait venir de nombreux notables de la région, d’où aussi un succès de curiosité que l’inspecteur Kunlin relate avec satisfaction.

28 Mais elle suscite un schisme avec des conflits locaux, des drames dans les familles où les mariages entre luthériens orthodoxes et libéraux deviennent le plus impossibles.

29 Le nouveau pasteur, toujours en haut de forme et soucieux de défendre les droits du libéralisme, entre en conflit avec le maire écarté du conseil presbytéral et avec l’instituteur. Le maire a conservé les clés de la porte d’entrée de l’église et du clocher et le conflit éclate au sujet d’une sonnerie du glas pour une femme de l’Église protestataire. Le pasteur s’adresse au Directoire, qui obtient satisfaction du sous- secrétaire d’État von Puttkamer, mais ce dernier fait remarquer au Directoire que le pasteur fait preuve d’intolérance. Dans les années suivantes, le maire manifeste sa mauvaise volonté : refus d’une salle de classe pour l’enseignement religieux, ce qui nécessite l’intervention du Kreisdirektor de Saverne, refus par la commune de travaux au puits du presbytère et contestation par le maire de points mineurs du budget de la fabrique pour 1884. Jaeger et le maire n’ont aucun contact direct, mais seulement des relations épistolaires.

30 Quant à l’instituteur Lienhard, il donne sa démission comme organiste. Il assiste aux cultes de l’Église protestataire, mais sans s’y inscrire comme membre. En décembre 1883, le conseil presbytéral le démet de sa fonction de sacristain, car il a fait baptiser un enfant dans l’Église libre, dans la grange du maire qui servait alors de lieu de culte. Le pasteur tente d’obtenir la mutation de l’instituteur en adressant en octobre 1883 une lettre au Kreisdirektor et une autre au Bezirkpräsident, car il le considère comme un des principaux responsables du schisme. Mais l’inspecteur envoyé sur place rédige un rapport favorable à l’instituteur, maintenu en poste. Au début de 1885, le conseil presbytéral accepte de reprendre l’instituteur comme organiste.

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L’église luthérienne de Sion à Schillersdorf

L’église luthérienne de Sion à Schillersdorf : au début ce n’était que le presbytère du pasteur, construit en 1892. La chapelle a été rajoutée en 1912, quand la Société évangélique luthérienne, qui s’est désengagée du schisme, a fait démolir sa chapelle. Il n’y a pas de clocher car les églises libres n’ont pas droit aux cloches.

31 Jaeger a aussi des problèmes avec Jacob Kuhm, qui reste conseiller presbytéral et continue d’assister aux réunions, alors qu’il est membre de l’Église libre. En 1886, huit membres de la paroisse concurrente demandent leur inscription sur la liste électorale pour les élections au conseil presbytéral et Jaeger est obligé d’y consentir. Lors des élections municipales de 1886, deux listes s’affrontent, une de chaque paroisse : c’est celle du maire Schweyer qui passe en bloc à quelques voix près. L’exaspération des esprits devient telle que Jaeger prétend que les séparatistes auraient proféré des menaces de mort et d’incendie. Il s’adresse au Directoire, mais celui-ci est peu soucieux d’intervenir dans des querelles de village et le réprimande pour avoir posé des questions indues : il avait demandé si un membre de l’Église protestataire pouvait rester dans son conseil presbytéral, quelle attitude il devait avoir envers les membres du comité des séparatistes et comment il pouvait obtenir les noms des membres de l’É glise libre. Dans sa réponse du 5 octobre 1883, le Directoire le prie d’agir selon le sens du devoir, par un comportement calme et sociable, qui seul lui permettra de prendre racine à Schillersdorf.

32 Jaeger n’oublie pas cependant d’agir au niveau du consistoire d’Ingwiller comme porte- parole du courant libéral. En 1886, il réussit à prendre la présidence de ce consistoire en remplaçant son collègue orthodoxe Hermann lors du renouvellement triennal.

33 Jaeger est muté en 1888 à Schiltigheim4, et les querelles continuent avec son successeur Julius Heldt, qui reste à Schillersdorf jusqu’à son décès (1889-1910). Le conflit reprend avec le maire et l’instituteur. Le conseil municipal a profité de la vacance pour

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supprimer au pasteur une subvention de 160 marks pour le bois de chauffage. Heldt s’en plaint auprès du Bezirkpräsident qui oppose un refus, puis au Directoire qui ne peut rien faire. Cependant, Heldt déclare en 1899 qu’il a de bonnes relations avec le maire et que le village connaît la tranquillité et la paix. La seule différence est que les deux partis ne célèbrent pas le culte au même endroit.

34 Heldt s’en prend à l’instituteur lors des obsèques de la seconde femme de celui-ci : il interdit à ses paroissiens d’y assister et lui-même s’en va sans présenter de condoléances. Lors du passage du cortège funèbre, les membres de l’église officielle se tiennent derrière les portails et les fenêtres. Heldt fait ensuite révoquer l’instituteur Lienhard de sa charge de sacristain par le conseil presbytéral en novembre 1891, et en mai 1892 de celle d’organiste. Le pasteur conteste toujours à l’instituteur la Schulfrucht (denrées d’école), don de 10 litres de blé et de 10 litres d’orge par an et par maison. Le Kreisdirektor avait déjà signifié en 1883 que ce Schulgut devait être laissé à la disposition de l’instituteur. Mais l’instituteur a la satisfaction d’obtenir plus de grains des paroissiens de l’église libre. Usé par ces querelles, Lienhard préfère prendre une retraite anticipée en 1897, car sa troisième épouse a quelques revenus. Le pasteur Heldt est très malade à partir de 1907 et il est remplacé par un vicaire.

La guerre des pamphlets

35 Le conflit a suscité toute une littérature polémique. La pétition au Statthalter a été publiée à Strasbourg en 18835. Elle se plaint de l’échec des diverses suppliques et du ton cassant de Kratz. Elle suscite une réponse de 18 pages, signée d’un pasteur libéral anonyme6 qui accuse le parti luthérien de menacer la paix religieuse et affirme « l’impartialité » du Directoire.

36 Les orthodoxes ripostent par une brochure anonyme, pamphlet contre le libéralisme7 dont les partisans sont accusés de rejeter la Bible comme Révélation de Dieu et de faire de Christ et des Apôtres des menteurs. L’auteur critique l’enseignement de plusieurs théologiens libéraux : Georges Leblois, Charles Théodore Gerold et Alfred Erichson. Il soupçonne les libéraux de vouloir écarter les luthériens orthodoxes des inspections ecclésiastiques et du Consistoire supérieur, alors qu’ils disposent déjà de tous les bastions : Directoire, Consistoire supérieur, postes d’inspecteur ecclésiastique, Faculté de théologie et Séminaire. Il affirme enfin que, sans le conflit qui avait éclaté quelques années auparavant entre deux familles, aucun électeur de Schillersdorf n’aurait voté avec ceux de Mühlhausen.

La création de la paroisse libre et le ralliement d’habitants d’Obermodern

37 Nous sommes moins bien renseignés sur cette création, car la quasi totalité des archives de la paroisse libre a disparu. Nous ne disposons que de quelques brochures publiées entre 1885 et 1911.

38 C’est au début de 1883, soit même avant même la nomination officielle du pasteur Jaeger, que 60 familles fondent une paroisse protestataire, dont les statuts ont été déposés le 29 avril 18838. Ceux-ci déclarent que les signataires forment à l’intérieur de l’ Église d’État une paroisse protestataire aussi longtemps que réside un pasteur libéral sur place. Ils critiquent le Directoire, agent d’un faux libéralisme. Ils refusent de se faire

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traiter de sectaires et de séparatistes et récusent une église libérale, qui est dépourvue de confession de foi. Le 12 mai, le Bezirkspräsident autorise l’existence d’une paroisse protestataire, comme il l’a déjà fait à Heiligenstein et à Plobsheim. Ce schisme a suscité de la colère. En 1884, le Consistoire supérieur en exclut les membres de la liste électorale, mesure rapportée l’année suivante.

39 Au début, les cultes ont lieu dans la grange du maire Arnold Schweyer et sont présidés par le pasteur Jacob Loeffler de Heiligenstein, qui a fondé une église protestataire de 1869 à 1884. En 1883‑1884, on construit une église de 300 à 400 places à la sortie du village vers Ingwiller. La paroisse est propriétaire du terrain, mais c’est la Société évangélique luthérienne de Mission intérieure et extérieure qui possède le bâtiment. Cette Société regroupe les pasteurs de tendance orthodoxe et soutient la communauté libre jusqu’en 1910. Le pasteur Georges Lienhard fait partie de son comité. C’est lui qui prend la paroisse en charge depuis la mi-novembre 1883 jusqu’à 1903, après avoir quitté son poste à Offwiller. Le 28 décembre 1883, le comité de la Société évangélique informe le Bezirkspräsident de la venue de Lienhard, se réjouit d’avoir bénéficié de la protection du gouvernement impérial et revendique son droit à la liberté de conscience. Cette lettre constitue la seule pièce inédite antérieure à 1910 et conservée dans les archives de l’Église libre.

40 En 1892 est construit le presbytère actuel. La paroisse compte comme membres la moitié de la population du village, et elle est renforcée par le schisme à Obermodern, village voisin où le nouveau pasteur libéral Adam provoque la défection de 30% de la population.

41 Le pasteur Lienhard, atteint par des problèmes de santé, ordonne pasteur son fils Georges en 1895, en présence de quatre pasteurs de l’Église officielle, mais membres du courant orthodoxe luthérien (Horning de Strasbourg, Ihme de Baerenthal, Magnus de Bischheim et Hasselmann de Zutzendorf) : cela suscite l’indignation tant sur place qu’au Directoire, car le jeune théologien, qui succède à son père, n’a ni l’Abitur, ni les diplômes universitaires requis pour le ministère pastoral. Le rapport du pasteur Heldt le juge « prétentieux » et « provocateur ».

42 En 1910, à la mort du pasteur Heldt, des tractations sont engagées par le député Hoeffel et le Kreisdirektor von der Golz pour réunifier la paroisse de Schillersdorf, en obtenant la nomination d’un pasteur de compromis, Westphal, et le ralliement du nouveau maire, suivi de la moitié des membres de l’Église libre. Pour mettre fin à la rivalité avec Mühlhausen, les conseillers de Schillersdorf obtiennent le retour à des élections séparées à l’avenir. Mais le schisme persiste, malgré le départ de la Société luthérienne qui fait démolir sa chapelle. Une nouvelle chapelle est alors aménagée au rez-de- chaussée du presbytère en 1912.

Les conséquences

Les autres paroisses luthériennes libres

43 L’exemple de Schillersdorf a été précédé ou suivi d’autres scissions, d’abord à Heiligenstein, à Plobsheim, où la paroisse libre ferme assez rapidement, puis à Obermodern où le pasteur de l’Église concordataire a réussi à obtenir pendant la Première Guerre mondiale le ralliement de la plupart des membres, sauf six familles, ensuite à Strasbourg, place d’Austerlitz, à Obersoultzbach (fermée après 1945), à

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Woerth, à Lembach et à Mulhouse. En 1927, les sept paroisses alsaciennes restantes – Mulhouse, Heiligenstein, Strasbourg, Schillersdorf, Obersoultzbach, Woerth et Lembach – fondent la Evangelische Freikirche im Elsass, l’Église évangélique libre, qui était affiliée à l’époque allemande à la Evangelische Lutherische Freikirche. Aujourd’hui, elle s’appelle Église évangélique luthérienne, Synode de France et de Belgique. Sa devise est « Confession d’Augsbourg invariata ».

44 Des postes missionnaires sont ouverts, dont certains doivent être fermés par la suite : Paris en 1930, grâce à l’immigration dans cette ville de nombreux Alsaciens, Rouen en 1950 (fermé en 1959), en Belgique à Anvers en 1939 et à Bruxelles en 1951 (fermé en 1962), Chatenay-Malabry (Hauts-de-Seine), où se fait encore la formation des pasteurs, Saint-Maur-des-Fossés dans le Val de Marne en 1963, Prailles et Beaussais dans les Deux-Sèvres en 1970 et 1975. Tout cela a été possible grâce à l’aide financière importante de l’Église du Missouri.

Le soutien américain de l’Église du Missouri

45 L’Église luthérienne du Missouri, qui compte environ trois millions de membres, est une église fondamentaliste et créationniste, qui maintient l’interprétation littérale de la Bible et refuse le darwinisme. La théorie selon laquelle l’homme descendrait du singe lui fait horreur. De la même manière, la création de l’univers en sept jours ne saurait être contestée. Cette puissante Église a non seulement expédié pendant longtemps des subsides et des vêtements pour soutenir l’Église luthérienne libre en Alsace pendant l’entre-deux-guerres et après la dernière guerre, mais aussi envoyé des pasteurs capables de prêcher en allemand ; le dernier pasteur de l’Église du Missouri, John Sullivan, est reparti en 1964.

46 Certains pasteurs étaient envoyés avec le titre de missionnaires et payés directement par l’Église du Missouri : Paul Scherf à Heiligenstein de 1920 à 1924, Fred Kramer à Schillersdorf de 1927 à 1931, Adolf Michalk à Schillersdorf, Obersoulzbach, Woerth et Lembach de 1948 à 1958, Éric Peyser à Strasbourg de 1948 à 1958. Un autre a reçu son salaire de l’Église luthérienne libre : John Sullivan de 1960 à 1964 à Schillersdorf, Obersoulzbach, Woerth et Lembach.

47 Plus récemment, entre 1985 et 2012, des églises luthériennes d’autres pays ont envoyé des pasteurs financés par l’Église luthérienne libre : Brésil (pour Anvers), Angleterre (pour Paris) et Canada (pour Chatenay-Malabry).

48 L’Église du Missouri a aussi formé des pasteurs dans l’orthodoxie luthérienne, ce qui a commencé à Mulhouse, où le schisme dans l’Église luthérienne se produit en 1905, car le pasteur Loeffler, nommé dans cette paroisse en 1902, démissionne à la suite de désaccords de fond avec les libéraux. Quelques paroissiens qui l’ont soutenu s’adressent à l’Église luthérienne libre de Saxe, qui envoie à Mulhouse le pasteur Martin Willkomm, chargé des luthériens orthodoxes disséminés dans le sud de l’Allemagne : il y crée une paroisse luthérienne libre en 1905. Le contrôleur des Postes Henri Kreiss y joue un rôle important. Mais quand le pasteur Willkomm est expulsé d’Alsace en 1918 parce qu’Allemand, la paroisse se retrouve sans pasteur.

49 Henri Kreiss encourage alors ses fils à partir aux États-Unis pour se former au séminaire de théologie de l’Église Luthérienne, Synode du Missouri, à Saint Louis (État du Missouri). Adolphe Kreiss part, suivi de son frère Frédéric en 1923 ; d’autres jeunes gens, tels Guillaume Wolff et Martin Sengele, les rejoignent, encouragés par les

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pasteurs orthodoxes Georges Lienhard et Wilhelm Horning. Les études de Frédéric Kreiss s’achèvent en 1930, après un vicariat de trois ans à El Reno (Oklahoma). Rentré en France, il devient pasteur de la paroisse évangélique luthérienne du Saint Sauveur à Paris jusqu’en 1958, puis à Strasbourg et à Heiligenstein jusqu’à son décès en 1970. Son fils Wilbert Kreis (1937-2011) s’est beaucoup investi dans la formation de pasteurs dans les deux Congo. Il s’y est rendu une quinzaine de fois pour aider à former deux églises luthériennes confessionnelles dans ces deux pays et il est mort en Tanzanie, où il avait aussi contribué à fonder une église luthérienne. Il a présidé à la formation des pasteurs à Chatenay-Malabry.

Conclusion

50 Au XIXe siècle, le violent conflit entre libéraux et orthodoxes dans le luthéranisme alsacien a connu son paroxysme à Schillersdorf en 1883, à cause de l’intransigeance du Directoire et de son président Kratz, qui n’a voulu tenir aucun compte des résistances religieuses du village et s’est surtout soucié d’imposer un pasteur libéral, malgré les pressions des autorités civiles qui auraient voulu éviter le schisme. Il a été par la suite impossible de réparer les dégâts, et l’Église libre a été confortée par l’adhésion d’autres villages et la création d’autres paroisses libres en Alsace, puis ailleurs, surtout à Paris, où il y avait beaucoup d’Alsaciens, et à Anvers en Belgique. Le soutien actif de l’Église luthérienne du Missouri après 1945 a permis de financer cette expansion, en prenant le relais de l’Église luthérienne libre implantée en Allemagne. Aujourd’hui encore cette É glise luthérienne libre reste active en Alsace. Il y a toujours deux églises luthériennes à Schillersdorf et encore quatre postes pastoraux de l’Église libre en Alsace : celui de Strasbourg, qui dessert aussi Heiligenstein, celui de Schillersdorf, qui assure les cultes à la Maison de retraite de La Petite-Pierre, celui de Woerth et Lembach associés, et celui de Mulhouse.

BIBLIOGRAPHIE

Bernard VOGLER, « Le XIXe siècle : un village agricole marqué par la religion luthérienne qui a déchiré la population pendant trois décennies », Schillersdorf, un village du pays de Hanau, Pays d’Alsace, no135‑136, 1986.

Henri STROHL, Le protestantisme en Alsace, préface de Gérard Siegwalt, Strasbourg, Oberlin, 1re édition 1950, 2e édition 2000 (Schillersdorf n’est pas mentionné).

Présentation de l’EEL-SBF faite le 21 novembre 1992 au Liebfrauenberg lors d’une session de formation pour conseillers presbytéraux de l’ECAAL, texte aimablement communiqué par le pasteur Jean Haessig.

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ANNEXES

Sources

Directoire : archives paroissiales de l’église concordataire (délibérations du conseil presbytéral de 1852 à 1914 et correspondance du pasteur Jaeger), dossier Schillersdorf (1871-1914), avec les rapports des inspecteurs ecclésiastiques. Archives départementales du Bas-Rhin : dossier de la sous-préfecture de Saverne (cote D 387 et 388 qui contient la correspondance du Kreisdirektor). Archives de l’Église luthérienne libre (très pauvres avant 1910), conservées à la Maison de retraite de La Petite-Pierre, qui est propriété de l’Église luthérienne libre.

NOTES

1. . Wilhelm HORNING, Die evangelische Erweckung in der Landeskirche Augsburger Konfession, 1848-1880, Strasbourg, 1914, p. 142‑148. 2. . Archives départementales du Bas-Rhin, Archives du Directoire, no200. 3. . Archives du Directoire, dossier Schillersdorf. 4. . Sur Friedrich Jäger, voir Marie-Joseph BOPP, Die evangelischen Geistlichen und Theologen in Elsass und Lothringen, t. I, Neustadt, 1959, p. 268, no2 517. 5. . Bittschrift evangelischer lutherischer Gemeindeglieder von Schillersdorf an seine Excellenz den Kaiserlichen Statthalter von Elsass-Lothringen, 11 p. 6. . Beleuchtung einer Bittschrift evangelischer lutherischer Gemeindeglieder. Ein Wort an das protestantische Volk, 18 p. 7. . Eine orthodoxe Antwort auf die liberale „Beleuchtung“. Ein Wort an unser evangelisches lutherisches Kirchenvolk, 36 p. 8. . Publiés par Georges LIENHARD, Die evangelisch-lutherische Protestgemeinde innerhalb der Landeskirche, Strasbourg, 1885.

RÉSUMÉS

Une grave crise éclate en 1882-1883 dans le luthéranisme alsacien, à la suite d’un conflit entre libéraux et orthodoxes. Les libéraux détiennent le pouvoir à Strasbourg, où le consistoire supérieur dirigé par Kratz encourage l’élection d’un pasteur libéral dans la paroisse commune des villages de Schillersdorf et Mülhausen. Les deux maires entrent en conflit, car Mühhausen est libéral et Schillersdorf orthodoxe. L’élection d’un nouveau conseiller par les deux villages ensemble aboutit à donner une majorité de trois voix sur cinq aux libéraux dans le conseil presbytéral, qui élit alors un pasteur libéral. Les autorités allemandes auraient voulu créer deux paroisses séparées, mais Kratz s’y oppose. Le schisme éclate alors à Schillersdorf, où une paroisse libre est créée et entraîne d’autres églises libres dans son sillage en Alsace, entre autres à Mulhouse. Il y a toujours deux paroisses luthériennes à Schillersdorf. Les pasteurs luthériens

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libres ont été en partie formés aux États-Unis par l’Église du Missouri. Aujourd’hui cette Église libre a des lieux de culte en Alsace du Nord, à Paris et en Belgique. (Bernard Vogler).

A very serious crisis affected Alsatian Lutheranism in 1882-1883, following a conflict be-tween orthodox and liberal theologians. The Liberals were in charge of Strasbourg and the re-gional Church assembly headed by Kratz supported the election of a liberal clergyman for the joint parishes of Schillersdorf and Mulhausen. This brought about a conflict between the two mayors, the former being othodox and the latter liberal. The election of a new counsellor by the two villages ended up in a 3 out of 5 majority for the appointment of a liberal pastor by the local church board. The German political authorities would have liked to have two separate parishes but Kratz refused to comply. So a schism broke out in Schillersdorf, with, in its wake, other free churches in Alsace, in Mulhouse, for instance. Lutheran pastors were mostly trained in the USA by the Church of Missouri. Nowadays these free churches have worship places in northern Alsace, Paris and Belgium. (trad. Pierre Boulay).

1882-83 bricht in der lutherischen Gemeinschaft im Elsass eine schwere Krise aus. Anlass ist ein Konflikt zwischen Orthodoxen und Liberalen. In Straßburg verfügen die Liberalen über die Macht. Das Oberste Konsistorium, das von Kratz geleitet wird, unterstützt die Ernennung eines liberalen Pfarrers für die Gemeinden von Schillersdorf und Mühlhausen. Beide Bürgermeister geraten in Streit, denn Mühlhausen ist liberal und Schillersdorf orthodox. Die Wahl eines neuen Kirchenratsmitgliedes bringt im Rat eine Mehrheit von drei von fünf Stimmen für die Liberalen, mit der Folge, dass ein liberaler Pfarrer gewählt wird. Die deutschen Behörden hätten es gerne gesehen, wenn beide Gemeinden getrennt worden wären, aber Kratz stellt sich dagegen. Schillersdorf spaltet sich daraufhin ab und gründet eine Freie Gemeinde, was die Gründung von weiteren Freien Gemeinden im Elsass nach sich zieht, unter anderem in Mulhouse. Es gibt jetzt immer noch zwei lutherische Gemeinden in Schillersdorf. Die Pfarrer der Freien Gemeinde sind zum Teil in den U.S.A. von der Kirche des Staates Missouri ausgebildet worden. Heutzutage besitzt diese Freie Kirche Gotteshäuser im nördlichen Elsass, in Paris und in Belgien. (trad. René Siegrist).

AUTEUR

BERNARD VOGLER Professeur émérite d’histoire de l’Alsace. Université de Strasbourg

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L’Église territoriale dans l’ère de l’État-nation La création d’une Église luthérienne pour l’Alsace-Lorraine (1870-1918) The Territorial Church in the Age of the Nation-State: Creating a Lutheran Church for Alsace-Lorraine (1870-1918) Die Landeskirche im Zeitalter des Nationalstaates: Die Bildung einer lutherischen Landeskirche für das Reichsland Elsaß-Lothringen (1870-1918)

Anthony J. Steinhoff

1 L’une des conséquences marquantes de la Réforme a été la destruction de la chrétienté en tant qu’unité politique, religieuse et territoriale en Europe1. La paix d’Augsbourg, signée en 1555, a contribué de manière capitale à ce processus avec la reconnaissance juridique de la religion luthérienne, légalisant ainsi la division du Saint-Empire en zone catholique et zone luthérienne. Plus encore, en tant que mouvement local et régional, la Réforme n’a pas mené à la construction d’une seule Église luthérienne, mais a contrario à la fondation de tout un ensemble d’Églises luthériennes territoriales, dans lesquelles le souverain territorial (prince, magistrat, etc.) agit comme summus episcopus. Le principe de « cuius regio, eius religio » de la paix d’Augsbourg confirme ce développement et le fixe comme base de l’organisation ecclésiastique dans l’Empire jusqu’à la signature de la paix de Westphalie qui accorde au culte réformé également le statut de confession reconnue2.

2 L’institution de l’Église territoriale protestante connaît des changements majeurs lors des tumultes révolutionnaire et napoléonien à la fin du XVIIIe siècle. Dans l’est de la France, l’abolition des privilèges en août 1789 a en même temps détruit la base juridique des Églises territoriales. Lorsque l’État français s’occupe enfin des questions ecclésiastiques pendant le Consulat, il propose – dans les Articles organiques de 1802 – deux modèles d’Église protestante : une Église centralisée pour les luthériens dont le siège se trouve à Strasbourg et une Église décentralisée pour les réformés3. Pour ce qui est de l’Église luthérienne, il convient de souligner qu’il ne s’agissait plus d’une Église territoriale au sens admis à l’époque moderne, mais d’une Église nationale. Même si les structures de la nouvelle Église confient une certaine autonomie aux instances locales

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(les nouveaux consistoires) – du moins jusqu’au renforcement du pouvoir central en 1852 –, sa territorialité comprend dès lors toute la France au lieu d’une région spécifique. En plus, les pouvoirs de l’État français sur l’Église luthérienne ne se basent plus sur le concept du summus episcopus4.

3 À l’est du Rhin cependant, l’idée d’une l’Église territoriale est essentiellement retenue après 1800. Elle a toutefois subi des modifications importantes suite à la refonte fondamentale de la carte de l’Europe germanique entre 1799 et 1815. La consolidation territoriale pendant cette période a provoqué la disparition de plusieurs Églises protestantes et a exigé la cohabitation des protestants de traditions différentes sur un même territoire. Les souverains allemands ont profité de leur pouvoir accru à ce moment-là pour remanier les relations entre l’État – toujours perçu comme propriété du souverain – et son Église5.

4 Comme Marc Lienhard et d’autres spécialistes l’ont souligné6, l’émergence de systèmes ecclésiastiques protestants différents des deux côtés du Rhin après 1815 a fortement contribué à différencier progressivement le protestantisme alsacien du milieu protestant allemand, ce qui frappera les Allemands lorsqu’ils occuperont l’Alsace en 1870. Comment alors intégrer ces « Allemands perdus » au nouvel État-nation allemand – le Deuxième Empire – s’ils pratiquent un protestantisme à la française ? Pour répondre à cette question, nous proposons ici d’examiner le cas de l’Église luthérienne durant l’ère du Reichsland Alsace-Lorraine (terre d’Empire). Comme nous le verrons, les nouvelles autorités allemandes choisissent, sur le plan ecclésiastique, ce qu’elles considèrent être la solution la plus simple : la reconnaissance de la partie alsacienne et lorraine de l’Église luthérienne française comme une Église territoriale alsacienne-lorraine (Landeskirche) avec ses propres lois, statuts et traditions (provenant largement de la période française).

5 Mais, à l’ère des États-nations, ce changement de pure forme ne règle pas du tout le dossier, d’où notre intérêt pour cette question7. Tout d’abord, les tensions entre les deux systèmes de droit ecclésiastique n’ont pas disparu, ce qui soulève des questions importantes concernant les relations entre l’État et l’Église durant le Deuxième Empire allemand, voire entre les Églises et les États modernes. Ensuite, alors que les luthériens alsaciens adoptent des modifications dans leurs pratiques pour qu’elles soient le plus conformes possibles aux normes allemandes, ils vont construire une notion de tradition protestante alsacienne à la Hobsbawm et en conserver d’autres8. Cette défense de la tradition locale n’est en soi pas incompatible avec l’idée d’une Landeskirche, bien au contraire. Elle ne va pas non plus à l’encontre de l’esprit régionaliste qui était à la base de la structure impériale du 1871 ; car, en fin de compte, le nouvel État-nation allemand n’était qu’une agglomération des États germaniques, de sorte que l’identité nationale allemande se bâtissait sur les traditions et sur les identités locales et régionales9. Mais les Allemands, qui considéraient l’Alsace comme un territoire à germaniser, avaient tendance à se méfier de tout signe de particularisme alsacien, surtout ceux ayant trait à la période française10. Bien entendu, l’Église luthérienne du Reichsland n’a pas échappé pas à ce dilemme. Elle restera ainsi tout au long de la période allemande une Église territoriale inachevée.

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La création d’une Église territoriale luthérienne pour le Reichsland

6 À première vue, la décision prise entre février et août 1871 par les autorités allemandes de transformer les institutions de l’Église française de la Confession d’Augsbourg se trouvant sur le sol du futur Reichsland en Église territoriale (l’Église de la Confession d’Augsbourg en Alsace-Lorraine), semble la solution la plus simple, peut-être aussi la réponse la plus cohérente à la question : comment intégrer ecclésiastiquement les protestants du Reichsland dans l’Empire (le Reich). Dans les faits cependant, cette transformation se révèle plus complexe, car même si la loi ecclésiastique restait profondément inchangée, la manière de l’appliquer allait avoir des répercussions importantes pour l’Église luthérienne.

7 Dès les premiers temps de l’occupation de l’est de la France, les autorités allemandes, notamment les autorités prussiennes qui dirigent les forces allemandes unies, se sont occupées des questions religieuses et ecclésiastiques. Ainsi, à la demande de Rudolf von Delbrück, ministre prussien qui coordonne les activités du gouvernement à Berlin durant l’absence du roi et du ministre-président (Otto von Bismarck) au front, le ministre des Affaires ecclésiastiques et médicinales et de l’Éducation prussienne, Heinrich von Mühler, dresse le 23 août 1870 un bilan du droit ecclésiastique français et de la situation religieuse dans l’est de la France. C’est sur cette base que reposent également ses propositions d’instructions pour les futurs gouverneurs généraux (dont Friedrich von Bismarck-Bohlen pour l’Alsace)11. Mühler y relève déjà quelques particularités des structures et des pratiques luthériennes françaises, mais à ce moment-là il conseille aux autorités de l’occupation de maintenir le régime ecclésiastique en place. Quelques semaines plus tard, le 13 septembre, le commissaire civil du gouvernement général de l’Alsace, Friedrich von Kühlwetter, confirme publiquement cette politique de statu quo. Dans une ordonnance publiée également dans les journaux officiels, il souligne que « la Constitution des Églises catholique et protestantes reste en vigueur sans modification, à savoir le Concordat et le Décret-Loi du 1852, ainsi que sa législation complémentaire ». Les institutions ecclésiastiques existantes doivent de même continuer à s’occuper de l’administration quotidienne de leurs Églises. Mais c’est le commissaire civil qui assure dorénavant les fonctions du ministre français des Cultes12.

8 Le maintien du statu quo demeure la position préférée de Bismarck, durant l’occupation mais aussi pendant les premières années d’autorité impériale allemande. Initialement, cette politique visait à rassurer la population alsacienne, et surtout les catholiques, fort inquiets de la polémique confessionnelle durant la guerre qui laissait penser que rien ne changerait sur le plan religieux sous l’autorité des Allemands13. Néanmoins, plus Bismarck se sentait menacé par l’émergence d’un catholicisme politisé au lendemain de la guerre14, plus il appréciait le pouvoir que le système concordataire français donnait à l’État pour gérer ce dossier délicat. Ainsi, il ne voulait absolument pas qu’il soit remis en question, ni durant les négociations du traité final avec la France ni après15. Quant aux Églises protestantes, cette position faisait obstacle notamment aux modifications des structures ecclésiastiques fondamentales, au moins à celles qui auraient nécessité l’amendement des Articles organiques pour les Églises protestantes : on ne voulait pas donner aux catholiques d’argument – par souci d’équité confessionnelle – pour pouvoir revendiquer de leur part des révisions de lois

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concernant leur culte. Ainsi, le Traité de Francfort signé le 10 mai 1871 n’apporte que les changements essentiels au système ecclésiastique déjà en place : les Églises reconnues sont désormais toutes soustraites à l’autorité française. En outre, les communautés luthériennes qui décidaient de rester françaises allaient cesser d’être en lien avec les institutions ecclésiastiques – le Directoire et le Consistoire supérieur – qui se trouvent à Strasbourg16.

9 Bref, le traité de Francfort amorcera la métamorphose de l’Église nationale luthérienne avec siège à Strasbourg en Église luthérienne pour l’Alsace-Lorraine, du moins sur le plan juridique. Comme cette Église se distingue à plusieurs égards de ses pairs du nouvel Empire elle engendre, comme nous l’avons déjà fait remarquer, des défis. Toutefois, il convient de souligner que le fondement de son existence, son caractère exceptionnel, se conforme au sentiment répandu de vouloir conserver la tradition des Églises territoriales protestantes dans le nouvel Empire. Bien que des individus influents du protestantisme allemand aient revendiqué la création d’une Église nationale en 1871 et 1872, en affirmant que l’unité nationale devait être secondée par l’unification des Églises protestantes, les partisans de l’Église territoriale n’en voulaient pas. Les Églises d’esprit luthérien-orthodoxe, par exemple, rejettent toute notion d’une fusion avec les Églises unies, tandis que la minorité libérale craint la domination accrue des conservateurs au sein de l’Église17. Les États allemands conservent ainsi leurs Églises protestantes respectives, tel que prévu par la Constitution allemande de 1871 qui établit d’ailleurs la politique religieuse et ecclésiastique comme compétence des États régionaux (Länder) et non impériale. Sur le plan ecclésiastique, l’Allemagne protestante suivra la devise : « l’unité dans la diversité » ; seule la conférence d’Eisenach, qui a servi de forum pour les représentants des Églises allemandes, fait office de symbole de l’unité nationale du protestantisme allemand.

10 Pourtant en 1870-1871, la contribution de l’Église luthérienne d’Alsace-Lorraine à cette diversité protestante n’avait pas fait l’unanimité. Partant du principe que les territoires acquis en France seraient annexés à la Prusse, des voix s’étaient élevées dès octobre 1870 encourageant une forme de germanisation de l’Église luthérienne locale. Le 2 novembre 1870, l’aumônier Emil Frommel, d’origine badoise et d’une mère strasbourgeoise, avait fait remarquer au gouverneur général Bismarck-Bohlen que le renouveau du protestantisme alsacien nécessiterait l’épuration des institutions locales de toute influence française et radicale (la théologie libérale)18. Un mois plus tôt, le directeur des missions protestantes à Barmen, Friedrich Fabri, avait suggéré à von Mühler (à Berlin) qu’une réorganisation opportune et bien menée du protestantisme alsacien pourrait rallier un bon nombre des Alsaciens à la cause allemande. « Laisser les choses comme elles sont, continue-t-il, est impossible19 ». À la fin de l’année, Frommel, qui avait l’oreille de Bismarck-Bohlen, conseillera l’appel de Fabri à Strasbourg pour qu’il puisse y guider la gestion des affaires protestantes20.

11 Dès son arrivée à Strasbourg le 17 janvier 1871, Fabri pense que l’annexion de l’Alsace- Lorraine entrainera la dissolution de toutes les institutions de l’Église luthérienne française dans le Reichsland. Pour lui, le gouverneur général gérerait le dossier comme bon lui semble. Il propose ainsi de recruter un ecclésiastique allemand comme nouveau président de l’Église (selon la loi française, celui-ci devait être un laïc). Il recommande en outre de remplacer le Directoire et le Consistoire supérieur – les organes supérieurs de l’Église – par un nouveau consistoire à l’allemande, dans lequel la majorité des membres sont des ecclésiastiques (et non des laïcs). Le commissaire civil von

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Kühlwetter est défavorable à la démarche de Fabri, mais Bismarck-Bohlen le soutient toujours, convaincu que les réformes de Fabri renforceraient les forces conservatrices au sein de l’Église luthérienne à Strasbourg, qui d’ailleurs étaient favorables à l’annexion. Finalement, aucune des propositions de Fabri n’a été adoptée. Bismarck les déclare toutes non recevables, car elles vont à l’encontre de sa politique de maintien du statu quo ante. Lorsque Bismarck-Bohlen proteste contre cette prise de position, Bismarck met un terme au gouvernement général et nomme Eduard von Möller à Strasbourg Président-Supérieur (Oberpräsident) du Reichsland21.

12 Même si l’affaire Fabri a été un désastre, elle a plusieurs conséquences notables pour l’avenir de l’Église luthérienne en tant qu’Église territoriale allemande. Le fait que Bismarck-Bohlen ait été prêt à intervenir dans les affaires internes de l’Église, qu’il ait jugé qu’une telle intervention serait bien accueillie par les luthériens alsaciens est révélateur d’un changement majeur dans le fonctionnement du système ecclésiastique durant l’ère allemande. Alors que les fonctionnaires et chefs français – non protestants – avaient laissé une certaine autonomie aux dirigeants alsaciens de l’Église, les autorités allemandes – majoritairement protestantes – n’émettent pas de réserves similaires. Les décisions prises par Möller concernant la reconstitution des organes supérieurs de l’Église luthérienne fin 1871 confirment cette volonté d’user pleinement des prérogatives de l’État. Ayant invité le Consistoire supérieur à lui proposer quelqu’un pour le poste vacant du président de l’Église, il approuve son choix. Eduard Kratz de Strasbourg est ainsi nommé malgré les réticences d’Adolf Ernst von Ernsthausen, nouveau préfet (Bezirkspräsident) du Bas-Rhin, qui avait émis des doutes quant à sa piété. Toutefois, le candidat du Consistoire supérieur pour le poste de commissaire de gouvernement auprès du Directoire ayant refusé d’y siéger, Möller décide de nommer à sa place un fonctionnaire vieux-allemand, Heinrich Richter22. Ainsi, Möller innove, poussant l’Église luthérienne à se rapprocher des pratiques allemandes sans qu’aucun changement dans les structures juridiques n’ait eu lieu. Non seulement il ne choisit pas un Alsacien pour ce poste influent, mais en nommant quelqu’un qui jouait un rôle actif dans la gestion des dossiers ecclésiastiques auprès de la Présidence supérieure (Oberpräsidium) il tissait un lien inédit entre l’État et l’Église luthérienne de Strasbourg, du moins à cette époque.

L’Église luthérienne alsacienne comme Église territoriale à l’allemande

13 L’attitude de Möller à l’égard des Églises protestantes du Reichsland en 1871 et 1872 a en effet conduit à convertir son Église luthérienne en Église territoriale à l’allemande, surtout sur le plan juridique. Comme nous venons de le montrer, les autorités allemandes font prévaloir leurs compétences vis-à-vis de l’Église, devenant moins autonome, comme cela est le cas des autres Églises protestantes allemandes. Cette tendance s’accentue dès 1879, lorsque l’administration du Reichsland passe complètement dans les mains d’autorités installées à Strasbourg, au Statthalter et au Ministère d’Alsace-Lorraine23, dont la deuxième division s’occupe des cultes reconnus (et dont plusieurs fonctionnaires deviendront membres des paroisses strasbourgeoises). Même si les lois ecclésiastiques d’origine française restent alors en vigueur, elles sont interprétées et appliquées dès lors par des fonctionnaires vieux- allemands, voire par des juristes. Il s’ensuit que les affaires internes protestantes et

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luthériennes du Reichsland sont traitées principalement comme des questions juridiques, ce qui est aussi la pratique ailleurs dans l’Empire24.

14 La transformation de l’Église luthérienne d’Alsace-Lorraine en Église territoriale implique ainsi une certaine « germanisation », tout simplement à cause du nouveau contexte politique et administratif. Les fonctionnaires allemands n’ignorent pas les lois ecclésiastiques propres au Reichsland, mais l’interprétation de ces lois reflète nécessairement leur propre formation et les perspectives de l’État. Par le fait même de son rattachement à l’Empire, l’Église luthérienne de Strasbourg se voit obligée au fil du temps de reconnaître les avantages d’un rapprochement avec les autres Églises de l’Empire. En réformant certaines de ses pratiques, elle ressemblerait davantage les Églises territoriales de la Vieille-Allemagne. À cet égard aussi, il est juste de parler d’une germanisation de l’Église alsacienne ; cette germanisation ne touche cependant pas seulement le Reichsland. En dépit de leur rejet de former une Église protestante impériale après 1871, les Églises protestantes de l’Empire s’embarquent dans un processus d’harmonisation progressive de leurs pratiques dans lequel la Conférence d’Eisenach a joué le rôle d’intermédiaire principal25. Force est donc de constater, d’une part, qu’il n’a jamais existé de modèle « allemand » qui aurait été imposé à l’Église luthérienne de Strasbourg après 1871 et, d’autre part, que même en adoptant des réformes imposées par les nouvelles autorités allemandes, l’Église luthérienne avait toujours son mot à dire. Elle a parfois initié elle-même des réformes germanisantes.

15 Quelques exemples permettent d’illustrer ces points. Prenons d’abord les réformes concernant la préparation au saint ministère qui aboutissent à l’introduction d’un examen d’État en théologie en 1873 et un deuxième examen théologique en 1887. Ce genre d’examen était courant dans toutes les Églises protestantes allemandes au XIXe siècle26. L’idée de l’instaurer en Alsace-Lorraine émanait principalement des professeurs alsaciens de la « nouvelle » Faculté de théologie protestante, Johann Friedrich Bruch et Eduard Reuss en premier, qui jugent cette innovation opportune face à la réorganisation des études théologiques en 1871‑187227. Quant à la décision d’introduire un second examen en 1887, elle ne résulte pas d’un désir de reproduire plus fidèlement le système « allemand » dans le Reichsland, mais plutôt des difficultés affichées par l’Église luthérienne, les candidats et la Faculté à propos du « premier » examen. L’Église a toutefois profité de la réforme pour remanier d’autres aspects de la préparation au saint ministère. Aux étudiants ayant réussi le premier examen étaient désormais accordés la via concionandi (l’autorisation de prêcher dans l’Église), tandis que la réussite du deuxième examen ouvrait la voie à l’ordination28.

16 En 1882, l’Église luthérienne du Reichsland, tout comme l’Église réformée, décident d’adhérer à la Conférence ecclésiastique allemande à Eisenach. En 1872, la conférence avait déjà voulu inviter les Églises à participer à ses activités, mais à l’époque Möller et Richter s’étaient opposés à une telle participation en raison d’une situation ecclésiastique toujours difficile. Ainsi l’invitation n’avait même pas été transmise aux Églises29. Dix ans après, la Conférence invite à nouveau les deux Églises. Cette fois-ci, le gouvernement du Reichsland encourage chaleureusement l’adhésion des Églises à la Conférence. Pour convaincre des délégués du Consistoire supérieur toujours soucieux de l’indépendance de l’Église, le président Kratz a dû souligner que cette adhésion ne la mettait nullement en question, puisque toute Église était libre d’adopter ou non les décisions de la Conférence30. Dans les faits, la participation de l’Église luthérienne du Reichsland à la Conférence était plus symbolique que substantive. Elle assistait

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régulièrement aux réunions, non seulement à celles de la Conférence mais aussi, à partir de 1903, à celles du comité exécutif (Ausschuß) à tour de rôle31. Elle a aussi contribué à la collecte annuelle des données relatives à la pratique religieuse dans l’Église, mais a refusé l’adoption des péricopes rédigées par la Conférence (édition de 1898) et l’introduction d’une journée de « pénitence et de prière (Buß- und Bettag) dans le calendrier des fêtes d’Église, justement car ces propositions allaient à l’encontre des traditions locales, voire de son statut d’Église indépendante.

17 Enfin, mentionnons l’instauration d’un impôt ecclésiastique pour la population protestante du Reichsland en 1903, suite à l’adoption de la loi impériale du 6 juillet 190132. Aujourd’hui, nous avons tendance à qualifier le système des impôts ecclésiastiques (Kirchensteuer) de (stéréo) typiquement allemand. Pourtant, il s’agit d’une pratique qui date de l’ère impériale qui avait pour but d’améliorer et de régulariser les traitements des ecclésiastiques un peu partout dans l’Empire. Lorsque le Ministère d’Alsace-Lorraine propose, à la fin des années 1890, un tel impôt aux Églises protestantes afin de satisfaire leurs besoins de financement, cet impôt existait seulement dans quelques États allemands33. Le fait d’être uniquement imposé aux protestants rend le cas alsacien-lorrain assez atypique. En effet, dès le début du régime allemand en Alsace-Lorraine, la question du traitement des ecclésiastiques soulève une polémique interconfessionnelle. Bien que le gouvernement reconnaisse l’insuffisance globale du traitement des pasteurs (et à moindre degré des rabbins) alsaciens, il devait composer avec l’opinion catholique qui se plaignait de la discrimination des catholiques en matière de rémunération. Dominée par les intérêts catholiques, la Délégation d’Alsace-Lorraine, qui détenait les pleins droits en matière budgétaire, s’est ainsi opposée dès les années 1880 à toute amélioration des traitements des pasteurs protestants. Mais lorsque les Églises protestantes se déclarent favorables à la création d’un impôt ecclésiastique, ce qui leur aurait permis de résoudre la question des salaires et de créer un système de pensions pour les pasteurs âgés, les catholiques rejettent carrément l’idée d’une participation quelconque. Car, selon eux, le système concordataire alsacien-lorrain (français) oblige l’État à couvrir entièrement les besoins salariaux de l’Église catholique34.

Une Église territoriale inachevée ?

18 À la veille de la Grande Guerre, des indices multiples témoignent de la transformation de l’Église luthérienne d’Alsace-Lorraine en véritable Église territoriale protestante allemande. D’une part, elle participe à l’harmonisation des pratiques administratives et ecclésiastiques qui ont eu lieu à travers l’Empire à partir de 1871, une évolution regardée aussi comme souhaitable étant donné la migration accrue des personnes d’un État allemand à l’autre pendant l’ère impériale. D’autre part, l’Église luthérienne de l’Alsace a su préserver son statut d’Église indépendante. Même si le régime allemand s’est attaché à protéger les intérêts des conservateurs luthériens au sein de l’Église, en se servant notamment de son droit de nommer les présidents, les commissaires du gouvernement et, à terme, les inspecteurs ecclésiastiques siégeant au Directoire, après le départ de Bismarck-Bohlen en août 1871, il n’a jamais été question d’octroyer une nouvelle constitution à cette Église et encore moins de l’intégrer à une autre Église allemande35. Les autorités du Reichsland ont également défendu les privilèges de l’Église en ce qui concerne les rapports entre cette Église et la population civile. Les jeunes

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hommes vieux-allemands qui envisageaient, par exemple, d’entrer au service de l’Église luthérienne devaient, sans exception, satisfaire ses règlements relatifs à l’ordination et au recrutement des pasteurs. Même les Vieux Allemands qui vivaient dans le Reichsland devaient recourir aux pasteurs alsaciens-lorrains pour tout acte ecclésiastique (baptême, mariage, funérailles). Par ailleurs, l’Église essaye de promouvoir les traditions religieuses locales : en approuvant les manuels d’instruction religieuse à l’école, l’emploi facultatif d’un nouveau recueil de cantiques préparé par la Conférence pastorale (en 1898)36, et, en 1906, d’une agende pour les communautés protestantes d’Alsace-Lorraine rédigée par Julius Smend, professeur de théologie pratique à Strasbourg37.

19 Toutefois, la situation politique et ecclésiastique particulière au temps du Reichsland a conduit l’Église luthérienne d’Alsace-Lorraine à ne pas être complètement au même niveau que les autres Églises protestantes de l’Empire. Le régime allemand n’a en effet pas toléré que l’Église luthérienne valorise les aspects de la culture régionale associés au passé français, et avant tout l’emploi de langue française. Cette position découle bien entendu de la politique allemande durant l’ère de l’État-nation. Non seulement les Allemands considèrent alors la langue comme une composante primordiale de l’identité nationale, mais ils voient dans le maintien du français par les Alsaciens et Lorrains un signe de rejet des faits politiques38. Toute trace de la langue française dans la vie de l’Église était intolérable. À partir du 31 mars 1872, la langue allemande devient la langue officielle de l’Église. Toute correspondance avec le régime allemand ou avec les dirigeants de l’Église doit alors se faire en langue allemande. Dès 1887, les paroisses de langue française, comme celle à Saint-Nicolas de Strasbourg39, sont obligées de tenir leurs registres également en allemand. Le Ministère d’Alsace-Lorraine agissait de même contre ces paroisses, du moins celles installées dans la zone déclarée germanophone. Ainsi, en 1897, il profite de la mise à la retraite du pasteur francophone du Temple-Neuf à Strasbourg Louis Leblois, pour déclarer la fin de la paroisse francophone (Eduard Hickel, germanophone, succède alors à Leblois). À partir de 1889, la paroisse française à Saint-Nicolas n’est plus desservie que par un pasteur, même si le deuxième poste de pasteur n’y sera officiellement supprimé qu’en 1905. Enfin, au début de la Grande Guerre, les autorités militaires décrètent l’abolition de toute paroisse francophone dans la zone germanophone, et ce de façon permanente, ce qui provoque la démission du président de l’Église luthérienne, Friedrich Curtius, en septembre 191440.

20 La forte présence militaire au temps du Reichsland impose également des limites importantes à l’influence de l’Église luthérienne territoriale. Strictu sensu, le fait que l’Église locale ne prenne pas soin des forces armées n’était pas exceptionnel. En Prusse, les pasteurs et les aumôniers militaires relèvent aussi exclusivement des autorités militaires et non de l’Église territoriale (c’est-à-dire l’Église de l’Union de la vieille Prusse)41. De même, là où des Églises de garnison existent en Prusse, comme à Potsdam, la population civile ne peut pas adhérer à la paroisse militaire. L’Église militaire garde toutefois des liens importants avec l’Église civile en vertu des statuts de leurs chefs : le roi de la Prusse ou de Wurtemberg, par exemple, était en même chef d’Église et chef de l’Armée. Durant le Reichsland pourtant, l’Église militaire protestante, en tant qu’institution prussienne, reste complètement étrangère aux Églises territoriales du Reichsland. Même si Bismarck avait décrété en 1873, suite à des négociations délicates avec l’Armée, que les civils en Alsace-Lorraine ne pouvaient adhérer aux paroisses militaires – notamment à Strasbourg, Colmar, Mulhouse et Metz –, rien ne les

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empêchait d’assister aux cultes ou de recevoir la communion. Bref, dès le début du Reichsland, les Églises luthérienne et réformée se sentaient menacées par la présence militaire, d’autant plus qu’elles se voyaient obligées de partager « leurs » lieux de culte avec les ecclésiastiques militaires tant que les Églises de garnison ecclésiastique n’étaient pas construites, comme à Metz (1881), à Haguenau (1895) et à Strasbourg (1897)42. En 1903, lorsque la Prusse révise son ordonnance ecclésiastique militaire en éliminant la confirmation de rite « protégé », le sentiment de concurrence est ravivé, car dès lors, les pasteurs militaires pouvaient préparer et faire confirmer les enfants des familles civiles43.

21 Finalement, les problèmes des Églises protestantes d’Alsace-Lorraine face aux autorités militaires ne reflètent qu’un aspect de la situation exceptionnelle qui perdure tout au long de l’ère du Reichsland : l’exclusion effective des Alsaciens et des Lorrains de toute responsabilité gouvernementale. Dans ces conditions, l’Église luthérienne ne pouvait parvenir au statut plein d’une Église territoriale à l’allemande. Contrairement à la situation dans les autres États du Reich, le pouvoir étatique en Alsace-Lorraine manquait d’une vraie composante indigène. C’est l’État français qui a posé les bases de cette situation en réorganisant le protestantisme français en 1802 (avec des modifications survenues en 1852). Pourtant, comme nous l’avons mentionné précédemment, l’extranéité de l’État français vis-à-vis de l’Église était supportable pour deux raisons : d’une part, l’État français n’intervenait que rarement dans les affaires luthériennes, et d’autre part il était géographiquement bien éloigné de Strasbourg, n’y étant représenté que par le préfet du Bas-Rhin.

22 En revanche, à partir de 1871, l’État « étranger » soumettait toute action de l’Église luthérienne à une surveillance étroite et il se servait de ses pouvoirs légaux afin d’influencer la vie de l’Église. En plus, dès 1879 l’État – sous la forme du Statthalter et du Ministère d’Alsace-Lorraine – se trouvait également à Strasbourg. Or, à l’exception d’Emil Petri, ancien membre du Consistoire Supérieur (1884-1898) et du Directoire (1889-1898), qui occupait le poste de Sous-Secrétaire d’État à la Justice et aux Cultes du 1898 à 1914, les protestants alsaciens ne jouissaient aucun rôle dans cet État, du moins en ce qui concernait les affaires ecclésiastiques44. Ainsi, tant sur le plan ecclésiastique que sur le plan politique, il est difficile de ne pas aboutir à la conclusion que le Reichsland était une terre occupée.

23 Certes, la direction de l’Église luthérienne demeure entre les mains des Alsaciens ; jusqu’à 1914 il y a toujours eu une majorité d’Alsaciens dans le Directoire et dans le Consistoire Supérieur. La nomination du vieil-allemand Friedrich Curtius à la présidence de l’Église en 1903 ne change rien à ce fait. De nombreux Alsaciens l’ont proposé pour ce poste. Dès sa prise de fonction, il se révèle être un grand défenseur des intérêts alsaciens. L’Église luthérienne reste toutefois toujours à la merci de l’État. Lorsque ce dernier se montre plus conciliant avec elle, à partir de 1903 notamment, elle a songé à mettre un terme à certaines mesures prises, comme la censure des procès- verbaux du Consistoire Supérieur avant leur publication, ce qui avait occasionné un mécontentement presque dès le début du régime allemand. En 1907, Curtius a également profité de la bienveillance du nouveau Statthalter Karl von Wedel pour proposer de grandes réformes de la constitution de l’Église luthérienne. Même si le gouvernement a bien accueilli la plupart des propositions du Consistoire supérieur, qui visaient généralement à moderniser l’Église et ses rapports avec l’État, il insistait sur le maintien du principe du droit ecclésiastique alsacien qui réservait à l’État le pouvoir de

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modifier la constitution de l’Église. L’Église allait pouvoir émettre des vœux, mais le projet de loi lui-même allait être formulé par le gouvernement45. Cette prise de position de la part de l’État s’avère fatale pour la campagne de réforme ecclésiastique protestante. Car au moment même où le gouvernement rédige le projet de loi, l’Affaire de Saverne éclate. Tout d’un coup, le régime allemand reprend une attitude plus dure. Toute question d’une amélioration du statut de l’Alsace-Lorraine, y compris celui des Églises protestantes, est alors ajournée laissant prévaloir l’intérêt national allemand sur le Reichsland.

Réflexions finales

24 Tout au long du XIXe siècle, le protestantisme est fortement présent dans les discours autour de l’idée nationale et de l’État-nation allemand. Luther est qualifié de héros national et les territoires dans lesquels la Réforme luthérienne avait été introduite étaient perçus comme des composantes essentielles d’un éventuel État-national allemand46. Il n’est ainsi pas surprenant qu’en 1870 les partisans de l’unification allemande évoquent à maintes reprises les liens forts entre l’Alsace et la Réforme luthérienne pour motiver leur revendication d’annexion de ce territoire47. Le rattachement de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine au nouvel Empire allemand permettait aux Églises protestantes du Reichsland de renouer le lien avec un aspect important de l’héritage luthérien : l’Église territoriale.

25 Comme nous l’avons vu, la transformation de l’Église luthérienne à Strasbourg en Église territoriale s’est faite à deux niveaux. Premièrement, les lois françaises ont été conservées, tout en limitant la juridiction des institutions luthériennes de Strasbourg au territoire du Reichsland. Deuxièmement, les nouvelles autorités allemandes promeuvent un rapprochement entre les pratiques locales et celles des autres Églises allemandes, d’une part en chargeant des fonctionnaires vieux-allemands d’interpréter et d’appliquer ces lois, d’autre part en encourageant la participation de l’Église luthérienne d’Alsace-Lorraine aux conseils du protestantisme allemand dans lesquels elle était reconnue comme un pair. Mais le succès de cette transformation a aussi des inconvénients pour le régime allemand. Plus l’Église luthérienne de Strasbourg devenait une institution véritablement alsacienne – ce qu’elle n’a jamais été précédemment –, plus elle contribuait à un particularisme régional que les autorités allemandes ont toujours méprisé. Ainsi, ces autorités jugent nécessaires de conserver les droits exceptionnels dont ils disposaient sur cette Église, tout comme elles ont voulu maintenir le statut exceptionnel pour le Reichsland tout entier. Le retour de l’Alsace- Lorraine à la France en 1918 mettra un terme à l’existence de l’Église luthérienne comme Église territoriale allemande. Elle n’a pas pour autant été réintégrée par l’Église luthérienne française qui n’existait alors plus, conséquence de la séparation de l’Église et de l’État en 1905. Ainsi, dès novembre 1918, l’Église luthérienne entame une nouvelle étape de son histoire : celle d’Église territoriale française48.

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NOTES

1. . Cf. l’ouvrage de synthèse récent de Mark GREENGRASS, Christendom Destroyed, Europe 1517-1648, London, Penguin Books, 2014. 2. . Voir, entre autres, Robert VON FRIEDEBURG, « Church and State in Lutheran Lands, 1550-1675 », in Robert KOLB, dir., Lutheran Ecclesiastical Culture, 1550-1675, Leiden, Brill, 2008, p. 361‑410. 3. . En effet, des Églises luthériennes ont aussi été organisées dans les territoires allemands rattachés à la France ; pourtant, ces Églises n’ont pas survécu à la chute du régime napoléonien en 1813‑1814. 4. . Concernant la réorganisation de l’Église luthérienne en France après 1802, voir surtout Marcel ScHEIDHAUER, Les Églises Luthériennes en France 1800-1815 : Alsace-Montbéliard-Paris, Strasbourg, Oberlin, 1975, mais aussi Henri STROHL, Le protestantisme en Alsace (nouvelle édition), Strasbourg, Oberlin, 2000, p. 313‑322. 5. . À propos de l’organisation des Églises territoriales allemandes (Landeskirchen) après 1800, voir surtout Kenneth Scott LATOURETTE, Christianity in a Revolutionary Age : A History of Christianity in the Nineteenth and Twentieth Centuries, t. 2, The Nineteenth Century in Europe: The Protestant and Eastern Churches, New York, Harper & Brothers, 1959, p. 89‑97, mais aussi Thomas NIPPERDEY, Deutsche Geschichte 1800-1866, Bürgerwelt et starker Staat, Munich, C. H. Beck, 1983, p. 432‑435 ; et Franz SCHNABEL, Deutsche Geschichte im neunzehnten Jahrhundert, t. 4, Die religiösen Kräfte, Munich, DTV, 1987, p. 320‑358. 6. . Marc LIENHARD, Foi et vie des protestants d’Alsace, Strasbourg, Oberlin, 1981, p. 73-79. 7. . Concernant l’idée de l’État-nation et ses conséquences pour la notion d’une identité nationale dans la deuxième moitié du XIXe siècle, voir notamment Benedict ANDERSON, Imagined Communities: Reflections on the Origins and Spread of Nationalism, Cambridge, Verso, 1983. 8. . Eric HOBSBAWM et Terence RINGER, dir., The Invention of Tradition, Cambridge, Verso, 1983. 9. . Celia APPLEGATE, A Nation of Provincials: The German Idea of Heimat, Berkeley, University of California Press, 1990 ; Alon CONFINO, The Nation as Local Metaphor: Württemberg, Imperial Germany and National Identity, 1871-1918, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1997. 10. . Voir Christopher J. FISCHER, Alsace to the Alsatians? Visions and Divisions of Alsatian Regionalism, 1870-1939, New York, Berghahn Books, 2010, l’une des plus récentes études concernant le sort du régionalisme alsacien à l’époque allemande. 11. . Sitzungsprotokolle des preussischen Staatsministeriums, Bundesarchiv-Berlin (ci-après BAB), RKA 142, Bl. 136 ; brouillon d’une lettre de Mühler à Delbrück du 23 août 1870, Geheimes Staatsarchiv Preußischer Kulturbesitz (ci-après GStA PKB), I. HA Rep. 76, I. Sekt. 1, Abt. 1, 87 ; les rapports de Mühler sont conservés aux Archives départementales du Bas-Rhin (ci-après ADBR), W 1049, 1. 12. . Ordonnance du 12 septembre 1870, ADBR W 1049, 1. 13. . Concernant l’élément confessionnel de la guerre et son impact sur l’opinion alsacienne, voir Anthony J. STEINHOFF, The Gods of the City: Protestantism and Religious Culture in Strasbourg, 1870-1914, Leiden, Brill, 2008, p. 58‑64. 14. . Pour un aperçu de la situation interconfessionnelle tendue en Allemagne au début de l’ère impériale, voir Paul COLONGE et François G. DREYFUS, Religions, société et culture en Allemagne au XIXe siècle, Paris, SEDES, 2001, mais aussi Rudolf LILL, « Die deutsche Katholiken und Bismarcks Gründung », in Theodor SCHIEDER et Ernst D EUERLEIN, dir., Reichsgründung 1870/71: Tatsachen, Kontroversen, Interpretationen, Stuttgart, Seewald Verlag, p. 345‑365. 15. . En particulier, la chancellerie allemande rejetait l’argument des catholiques alsaciens et lorrains, selon lequel l’annexion du Reichsland avait rendu nul et non avenu le Concordat puisque

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le chef d’État allemand n’est pas catholique. Voir Ernst THIELE, « Die deutsche Regierung und das Konkordat im Elsaß nach 1870 », Archiv für elsässische Kirchengeschichte, no2, 1927, p. 349‑366. 16. . Note de Hermann Lucanus à Heinrich von Mühler, 7 février 1871, GStA PKB, I. HA Rep. 76, I. Sekt. 1, Abt. 1, 86. 17. . John E. GROH, Nineteenth-Century German Protestantism: The Church as Social Model, Washington DC, University Press of America, 1982, p. 390‑394. 18. . Rapport de Frommel à Bismarck-Bohlen, ADBR, W1049, 1. 19. . Lettre Fabri à von Mühler du 3 octobre 1870, GStA PKB I. HA Rep. 76, I. Sekt. 1, Abt. 1, 87, Bl. 1169. 20. . Anthony J. STEINHOFF, Gods of the City, op. cit., p. 64‑65. 21. . Ibid., p. 66-73. 22. . Voir les lettres de Möller du 6 décembre 1871 et du 31 décembre 1871 adressées à la chancellerie impériale (Reichskanzleramt) dans ADBR AL 147, paquet 7/1. Dans celle du 31 décembre, Möller cherche à rassurer le secrétaire Karl Herzog. Pour lui, la nomination de Richter serait bien accueillie par les luthériens conservateurs et elle aurait une influence positive sur l’évolution future de l’Église. 23. . À propos de l’évolution du gouvernement du Reichsland après 1871, voir François IGERSHEIM, L’Alsace des notables 1870-1914 : La bourgeoisie et le peuple alsacien, Strasbourg, Bf, 1981, p. 30‑54. 24. . À titre indicatif, voir : Dr. CASPAR, « Der Einfluss des juristischen Elements in den Behörden der Preussischen Landeskirchen », Deutsche Zeitschrift für Kirchenrecht, no4, 1894, p. 319‑324 ; mais aussi, Thomas NIPPERDEY, Religion im Umbruch, Deutschland 1870-1918, Munich, Beck, 1988, p. 84‑90. 25. . John E. GROH, Nineteenth-Century German Protestantism, op. cit., p. 394‑402 ; Friedrich Wilhelm GRAF, « Eisenacher Konferenz », in Religion in Geschichte und Gegenwart, 4e édition, t. 2, p. 1 179‑1 180. 26. . Thomas Albert HOWARD, Protestant Theology and the Making of the Modern German University, Oxford, Oxford University Press, 2006, p. 24‑25 ; Oliver JANZ, « Zwischen Amt und Profession: Die evangelische Pfarrerschaft im 19. Jahrhundert », in Hannes SIEGRIST, dir., Bürgerliche Berufe. Zur Sozialgeschichte der freien und akademischen Berufe im internationalen Vergleich, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1988, p. 174‑199. 27. . Anthony J. STEINHOFF, Gods of the City, op. cit., p. 18‑19 et 79‑80. 28. . Ibid., p. 144-148. 29. . Procès-verbal de la Conférence de 1872 (mai-juin), GStA PKB Rep. 76, III Sekt 1, Abt. XIV, vol. 3 ; ADBR AL 136, 1. 30. . Amtliche Sammlung der Akten des Ober-Konsistoriums und des Direktoriums der Kirche Augsburgischer Konfession (ci-après AS) 37 (1882-1883) : 153 et 217‑218. 31. . Les petites Églises protestantes allemandes, comme les deux Églises du Reichsland, n’avaient pas leur propre siège au comité exécutif. Reparties en groupes de cinq Églises, chaque Église dans le groupe siégeait au comité pour un an à tour de rôle. 32. . ADBR AL 136 1969. 33. . Wolfgang HUBER, « Die Kirchensteuer als « wirtschaftliches Grundrecht », in Wolfgang LIENEMANN, dir., Die Finanzen der Kirche : Studien zu Struktur, Geschichte und Legitimation kirchlicher Ökonomie, Munich, Chr. Kaiser, 1989, p. 130‑145. 34. . Anthony J. STEINHOFF, Gods of the City, op. cit., p. 149‑155. Pour la perspective catholique, voir la lettre d’Évêque Fritzen au Ministère d’Alsace-Lorraine du 5 avril 1899, ADBR AL 136 19/67. 35. . Toutefois, les autorités allemandes à Strasbourg ont longtemps souhaité la création d’une union administrative entre les deux Églises protestantes du Reichsland, proposition qui n’a trouvé écho ni chez les luthériens ni chez les réformés. Anthony J. STEINHOFF, Gods of the City, op. cit., p. 170‑224 passim. 36. . Réunion extraordinaire du 22 novembre 1898, AS 53 (1898-1899), 268-296.

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37. . AS 62 (1907-1908) : 9-11, 168-180. Le Consistoire Supérieur s’est limité à la question d’usage facultatif, puisque selon les Articles organiques seulement l’État peut imposer l’usage d’un cantique ou d’une liturgie. En outre, le parti d’orthodoxie luthérienne confessionnelle en Alsace a rejeté ces constructions de la tradition luthérienne alsacienne en proposant son propre recueil (le Gesangbuch für Christen Augsburgischer Konfession) et agende (de Karl Maurer, parue en 1906). 38. . Concernant la politique linguistique du régime allemand, voir (entre autres) : Bernard VOGLER, Histoire culturelle de l’Alsace, Strasbourg, La Nuée Bleue, 1993, p. 305‑310 et 369‑375. 39. . Il y avait aussi une paroisse luthérienne de langue allemande avec deux pasteurs (à partir de 1877) à Saint-Nicolas. 40. . ADBR AL 172 253. 41. . « Armee, deutsche : Militärseelsorge » in Religion in Geschichte und Gesellschaft, 1 re éd., t. 1, p. 698‑702. 42. . Concernant les rapports entre les Églises militaires et civiles à Strasbourg, voir Rudolf RICHTER, Kirchlicher Wegweiser für die Mitglieder der evangelischen Militärgemeinde in Straßburg i. E., Strasbourg, Hubert & Fritsch, 1902 ; sur les Églises de garnison, Niels WILCKEN, Architektur im Grenzraum, Das öffentliche Bauwesen in Elsaß-Lothringen 1871-1918, Saarbrücken, Institut für Landeskunde im Saarland, 2000, p. 253‑261. 43. . Memorandum de l’Oberpfarrer (pasteur supérieur) Steinwender du 11 janvier 1891, Archives municipales de Strasbourg (ci-après AMS), Archives de l’Église de garnison protestante 151/10 ; AMS Archives de l’Église de garnison protestante 115. 44. . À propos de cette petite ouverture du régime allemand envers les Alsaciens, voir François IGERSHEIM, L’Alsace des notables, op. cit., p. 100‑102 ; mais aussi Dan P. SILVERMAN, Reluctant Union: Alsace-Lorraine and Imperial Germany, 1871-1918, University Park, Pennsylvania University Press, 1972, p. 83‑86. 45. . Concernant l’analyse étendue de la campagne pour la réforme des Églises protestantes, voir Anthony J. STEINHOFF, Gods of the City, op. cit., p. 402‑430. 46. . Voir, Wolfgang ALTGELD, Katholizismus, Protestantismus und Judentum: Über religiös begründete Gegensätze und nationalreligiöse Ideen in der Geschichte des deutschen Nationalismus, Mainz, Matthias- Grünewald Verlag, 1992 ; et Anthony J. STEINHOFF, « Christianity and the Creation of Germany », in Sheridan GILLEY et Brian STANLEY, dir., The Cambridge History of Christianity, t. 8, World Christianitities c. 1815 - c. 1914, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 282‑300. 47. . Voir, notamment, Heinrich von TREITSCHKE, Was fordern wir von Frankreich, Berlin, Georg Reimer, 1870. 48. . Concernant l’histoire des Églises protestantes d’Alsace-Lorraine après 1918, voir notamment : Catherine STORNE-SENGEL, Les protestants d’Alsace-Lorraine de 1919 à 1939 : Entre les deux règnes, Strasbourg, Publications de la Société savante d’Alsace, 2003.

RÉSUMÉS

Ecclésiastiquement, une conséquence notable de l’annexion allemande de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine en 1871 a été la réintroduction d’un aspect important de l’héritage de la Réforme : l’idée de l’Église territoriale (Landeskirche). En effet, la création d’une Église territoriale luthérienne d’Alsace-Lorraine suit la réalisation de l’annexion. Les organes du gouvernement luthérien à Strasbourg continuaient à fonctionner, mais désormais ils s’occupèrent seulement

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des communautés en Alsace-Lorraine. Les lois ecclésiastiques d’origine française restaient aussi en vigueur, pourtant elles sont dorénavant interprétées et appliquées par les autorités allemandes. Dans l’ensemble cette approche convenait aussi bien aux Alsaciens qu’aux Allemands. L’Église luthérienne put maintenir ses traditions. Elle adoptait des réformes germanisantes qu’elle jugeait utiles, comme l’introduction des examens d’État en théologie, tout en rejetant des propositions, comme celle visant à créer une journée de prière et pénitence, qu’elle trouvait incompatible avec les traditions alsaciennes. Pourtant, tout comme la situation politique du Reichsland par rapport à l’Empire demeurait exceptionnelle, l’Église luthérienne d’Alsace-Lorraine restait une Landeskirche quelque peu particulière. Son héritage français notamment préoccupait continuellement les autorités allemandes. Aussi, même après l’installation du gouvernement territorial à Strasbourg en 1879, rares étaient les Alsaciens qui participaient à la gestion des dossiers ecclésiastiques pour l’État. (Anthony J. Steinhoff).

Ecclesiascially, an important consequence of the German annexation of Alsace and part of Lorraine in 1871 was the reintroduction of a key element of the Reformation’s heritage: the notion of the territorial church (Landeskirche). This change was largely the effect of how the annexation was realized. The organs of Lutheran Church government in Strasbourg continued to function, but only had responsibility for the communities in Alsace-Lorraine. The previous (French) ecclesiastical legislation provided the basis for the local church law, but henceforth it would be interpreted and applied by German authorities. Overall, this tack satisfied Alsatians and Germans alike. The Lutheran Church retained its own traditions, embraced certain reforms it deemed useful, like the introduction of state theological exams, but rejected proposals, like the Eisenach Conference’s promotion of the “Day of Prayer and Repentance” it judged incompatible with Alsatian traditions. And yet, just as Alsace-Lorraine’s situation within the Empire remained exceptional, so too did the Alsatian Lutheran Church remain a peculiar type of Landeskirche. Its French heritage, for instance, was a continual worry for Imperial authorities. And even after the Reichsland’s government moved to Strasbourg in 1879, Old Germans, rather than Alsatians, exercised the state’s oversight of the churches. (Anthony J. Steinhoff).

Kirchlich gesehen, war die Wiedereinführung der landeskirchlichen Idee im Elsaß eine wichtige Folge der Einverleibung des Elsasses und eines Teils Lothringens 1871 ins neue Reich. Freilich, dies war hauptsächlich eine Auswirkung der Umsetzung der Annexion. Die in Straßburg befindenden Organen der lutherischen Kirche sollten weiterhin bestehen, aber waren fortan nur für die Kirchengemeinden Elsaß-Lothringens zuständig. Ebenso blieb das ehemalige französische Kirchenrecht in Kraft als reichsländisches Kirchenrecht, nur wurde es nun von deutschen Behörden ausgelegt und angewandt. Im Großen und im Ganzen waren die Elsässer und die Deutschen mit dieser Regelung zufrieden. Die elsässische lutherische Kirche, zum Beispiel, konnte an ihre Traditionen festhalten. Sie hat einige germanisierende Neuerungen, wie die Einführung von staatlichen theologischen Prüfungen, angenommen, da sie sie auch für sinnvoll hielt. Andere Vorschläge dagegen, z.B. den von Eisenacher Konferenz befürworteten Buß- und Bettag, wurden abgelehnt, da sie als nicht mit der elsässischen Tradition vereinbar galten. Schließlich, gleichwie die Stellung des Reichslandes im Reich immer eine Ausnahme bildete, so blieb die elsässische lutherische Kirche nur eine unvollkommene Landeskirche. Die französischen Elemente ihrer Tradition beunruhigten dauernd die Staatsmänner des Kaiserreichs. Darüber hinaus, sogar nachdem die reichsländische Regierung 1879 nach Straßburg versetzt worden war, wurden die Rechte des Staates gegenüber der Kirche nahezu ausschließlich von Altdeutschen ausgeübt. (Anthony J. Steinhoff).

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AUTEUR

ANTHONY J. STEINHOFF Professeur régulier au département d’histoire de l’Université du Québec à Montréal

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Les protestants d’Alsace et la Séparation des Églises et de l’État de 1870 à 1940 : éléments de contexte1 A brief history of the Protestants in Alsace as confronted with the separation of Church and State between 1870 and 1940 Die Protestanten im Elsass und die Trennung von Kirche und Staat von 1870 bis 1940: Elemente eines Kontextes

Catherine Storne-Sengel

1 La conception des protestants de la nature des relations entre les Églises et l’État se base sur des fondamentaux théologiques, interprétés en fonction du contexte, historique ou politique. Les deux premières parties se placent dans une perspective européenne régionale (France, Allemagne, Suisse) entre 1870 et 1940, d’abord pour exposer les critères de jugement des protestants puis les expériences de Séparation des Églises et de l’État, à chaque fois avec la réception qui en est faite par les protestants alsaciens. Elles donnent des clés de compréhension pour étudier, dans une troisième partie, leur attitude face à l’éventualité d’une séparation des Églises et de l’État en Alsace.

Les critères de jugement

2 Dans cette période de 1870 à 1940, la réflexion des protestants sur la question des rapports entre l’Église et l’État se construit à partir d’une exigence, non-négociable, celle de la liberté religieuse, qui comprend la liberté de croyance et la liberté des cultes, c’est-à-dire la liberté d’organiser les Églises selon leurs traditions.

3 Réformés et luthériens partagent ce constat : le chrétien doit obéir aux autorités civiles, sauf dans le cas d’un État totalitaire ou liberticide. Ils se divisent cependant sur la question de la nature de l’Église et du rôle de l’État.

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4 L’expression Kulturkampf désigne les périodes historiques correspondant à une restriction ou absence de la liberté religieuse. Les mesures prises visent prioritairement à diminuer l’influence des catholiques, de leurs congrégations, à renforcer le contrôle de l’État, à introduire des lois de « laïcisation » (mariage civil, contrôle par l’État des écoles confessionnelles) qui touchent aussi les Églises protestantes. C’est le cas en Allemagne2 entre 1860 et 1878, et dans le canton de Genève en 1874. Ces luttes ont un écho en Alsace dont la situation, en contrepoint, est décrite comme paisible : « Grâce à la modération chrétienne et l’authentique tolérance évangélique de l’autorité supérieure, dans notre Église, chacun peut vivre sa foi en paix et servir Dieu sans contrainte pour sa conscience3 ».

5 En France, le processus de laïcisation enclenché pendant la Révolution française, poursuivi dans les années 1880, s’achève en 1905 avec la loi de Séparation, voulue par le président du Conseil, le radical Émile Combes4.

La nature de l’Église

6 Un trait de l’organisation ecclésiastique est le mode d’adhésion du chrétien à l’Église. Les protestants se divisent entre les partisans d’une Église de confessants (Bekenntniskirche) et ceux d’une Église de multitude (Volkskirche). Les premiers veulent une Église resserrée sur un nombre limité de croyants convaincus, souvent de type orthodoxe ou piétiste, se réclamant explicitement d’une confession de foi dont ils partagent la lettre de l’interprétation ; à charge pour ce noyau de convertir les croyants qu’ils jugent plus « tièdes ». Les seconds sont partisans d’une Église s’adressant à l’ensemble de ceux qui s’en réclament, quelle que soit leur interprétation des dogmes et leur distance à l’Église. Ils n’attendent pas des membres une adhésion formelle à une confession de foi. L’Église réformée de France concordataire s’est scindée sur ce sujet dès 1879 puis en 1906 lors de la réorganisation liée à la loi de Séparation. En Allemagne, les controverses autour de la révision des confessions de foi se font jour en 1892-1894 puis lors de la réorganisation de l’Église de Prusse entre 1920 et 1922.

7 En Alsace, la perspective de la Séparation des Églises et de l’État risque d’exacerber, comme elle l’avait fait en France, le débat sur l’alternative Volkskirche5 / Bekenntniskirche6. Chez les luthériens, seuls les orthodoxes radicaux7 plaident pour un retour à une interprétation littérale de la Confession d’Augsbourg et sont partisans d’une Église de confessants. Mais ils sont minoritaires et l’Église luthérienne dans sa majorité se veut une Église de multitude s’inspirant de la Confession d’Augsbourg. Chez les réformés alsaciens, le débat semble moins présent : ils sont aussi en faveur d’une Église de multitude.

8 Il n’y a pas de corrélation obligatoire entre Église de multitude (Volkskirche) et régime de type concordataire d’un côté, et entre Église de confessants (Bekenntniskirche) et régime de Séparation avec l’État de l’autre. En effet, il existe des cas d’Églises de multitude dans un régime de Séparation : à Genève par exemple, l’ancienne Église nationale réformée fait en sorte d’être encore considérée après 1908 comme l’Église nationale s’adressant à l’ensemble de la population protestante du canton de Genève, sans imposer de confession de foi. A contrario, des Églises de confessants se créent dans un régime de type concordataire : les réformés français, entre 1879 et 1905, dans le cadre du « régime concordataire », mettent sur pied deux organisations différentes,

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l’une sur une conception d’Église de multitude, l’autre sur une conception d’Église de confessants.

9 Les Églises de confessants sont cependant davantage en faveur de la Séparation des Églises et de l’État. Parfois, elles la devancent même8, comme les Églises réformées libres en France ou les Églises luthéranistes-libres d’Alsace (Schillersdorf, Obersoultzbach, Lembach, Mulhouse, Woerth-sur-Sauer). Ces Églises libres se réclament d’Alexandre Vinet9. Au XIXe siècle, Vinet renverse la théorie communément admise d’une Séparation vue uniquement comme un instrument de lutte contre les Églises pour en faire un instrument de liberté et de vitalité des Églises autour d’un noyau de fidèles convaincus et prêts à prouver l’attachement à leur Église, y compris par des sacrifices financiers, et sans intervention de l’État dans l’organisation, le fonctionnement ou le dogme de l’Église.

10 L’application de la loi de Séparation en France a montré que la question de la nature de l’Église a été essentielle chez les protestants. Alors que du côté des catholiques, les situations les plus mouvementées résultent dans certaines paroisses des inventaires, chez les protestants, elles sont liées au « discordat » entre les Églises réformées, c’est-à- dire leur scission entre organisations différentes, sur la question de la confession de foi. Le risque d’une scission ne se profile pas en Alsace après le retour à la France en 1919, car seuls certains10 luthériens très orthodoxes envisagent, en cas de Séparation d’avec l’État, de quitter l’Église nationale ; même au sein de cette minorité, certains sont réticents et plus nuancés, par crainte que la majorité des paroisses ne sache pas se positionner et qu’elles s’éparpillent en Églises de confessants concurrentes.

Le rôle de l’État

11 D’un point de vue dogmatique, il existe deux conceptions réformées de la nature des relations entre l’Église et l’État : celle héritée de Calvin, et celle des Deux Règnes héritée de Luther. Mais la multiplicité de leurs interprétations au cours des siècles et selon les théologiens ne guide pas les positions des luthériens et des réformés aux XIXe-XXe siècles.

12 Plus qu’entre confessions (luthériens, réformés), les frontières se dessinent entre tendances (les libéraux, les orthodoxes, les piétistes), chaque tendance se retrouvant peu ou prou dans chaque confession. Les libéraux, voire les orthodoxes modérés, considèrent l’Église comme un service public. L’Église unie à l’État est l’Église de tous, démocratique. Le gouvernement doit assurer le libre exercice du culte et se limiter à assurer ce seul rôle. Cette position se retrouve à la fois chez les libéraux genevois en 1880 et 1907 et chez les libéraux français entre 1872 et 1905. À cette vision s’opposent les piétistes et les orthodoxes radicaux qui revendiquent une Église complètement indépendante du pouvoir civil : l’État doit s’occuper seulement du gouvernement de la population et l’Église seulement du salut de ses membres. Les piétistes et les orthodoxes radicaux constatent aussi que, quand l’État intervient dans l’organisation de l’Église, même en dehors de tout conflit, il favorise le courant majoritaire multitudiniste : c’est le cas en France au XIXe siècle. C’est le cas aussi à Genève en 1874 où la loi constitutionnelle garantit la liberté de prédication, celle-ci ne pouvant pas être restreinte par des confessions de foi. Pour les orthodoxes, qui s’appuient sur des confessions de foi, c’est un obstacle et donc une immixtion indue de l’État dans la doctrine de l’Église. Que ce soit volontaire ou non, les interventions des

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États dans l’organisation des Églises protestantes suscitent ou ravivent le Kirchenkampf, c’est-à-dire la lutte entre différents courants de la même Église.

13 Deux types d’organisation des Églises par rapport à l’État se développent. D’un côté existent des Églises liées à l’État : Église nationale de Genève avant 1907, Landeskirchen comme l’Église luthérienne de la Confession d’Augsbourg ou l’Église réformée d’Alsace- Lorraine, Églises régionales d’Allemagne sous la République de Weimar, Église protestante du Reich après 1933. D’un autre côté se créent des Églises libres (Freikirchen), séparées de l’État mais aussi de leur Église-mère : les Églises orthodoxes luthériennes11 libres d’Alsace séparées de l’Église luthérienne reconnue, l’Église libre vaudoise séparée de l’Église nationale.

14 Dans leur grande majorité, les protestants d’Alsace-Lorraine considèrent que le rôle de l’État est d’assurer et de soutenir l’exercice des cultes. Cette position est illustrée par Charles Scheer, pasteur réformé à Mulhouse, dans un essai sur l’Église et l’État publié en 190512. Pour lui, l’Église et l’État ne doivent pas être séparés, car l’État doit soutenir la religion, comme il soutient les autres domaines sociaux, l’enseignement ou le secteur industriel. Ce qu’il appelle l’État social, à savoir l’État qui se charge de la culture, de la vie sociale, de l’éducation, repose sur la religion et élargit ses compétences par exemple à la législation sociale dans les entreprises.

15 Cette conception du rôle de l’État est un autre critère autour duquel les protestants se positionnent entre partisans et adversaires de la Séparation des Églises et de l’État.

Opinions sur les Séparations de 1905 à 1919

16 Trois écrits de circonstance sur la Séparation ont été publiés en Alsace entre 1871 et 1940 : celui du réformé Charles Scheer, Staat und Kirche, en 1905, ainsi que deux publications du luthérien orthodoxe radical Guillaume Horning13 en 1923. Pour le reste, les protestants d’Alsace s’informent par le biais de la presse protestante. Comment celle-ci traite-t-elle successivement la Séparation en France, en Suisse, en Allemagne entre 1905 et 1919 ?

17 En 190514, les critiques des protestants alsaciens sur la Séparation en France ne diffèrent pas de celles des protestants français. Les premiers projets de loi, dont le projet Combes, sont jugés trop peu libéraux car ils ne permettent pas aux Églises de s’organiser. Plus les projets sont susceptibles d’aboutir à une discussion et une loi, plus les hebdomadaires protestants alsaciens en rendent compte rapidement : le délai est d’environ un mois en 1903 et 1904 et de deux semaines en 1905. Les réactions des catholiques, la capacité d’autofinancement des Églises, leur organisation ecclésiastique font partie des sujets abordés. Les auteurs des articles partagent le point de vue des luthériens français : le maintien des liens avec l’État est la meilleure solution mais la Séparation est envisageable si la loi n’est pas votée dans un esprit de combat contre les Églises. Le projet Briand, qui débouche sur le vote de la loi de Séparation du 9 décembre 1905, est pour eux plus acceptable que les précédents mais pas exempt de défauts.

18 En Suisse, en 1907, le canton de Neuchâtel, à majorité réformée, repousse la Séparation. Quelques mois plus tard, le canton de Genève vote la suppression du budget des cultes. Au sein du Conseil cantonal, des radicaux mais aussi des catholiques et des protestants ont voté pour la suppression du budget alors que d’autres protestants, parmi les

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libéraux, ont voté contre15. En dépit de son désaccord, l’Église protestante nationale de Genève met rapidement sur pied une nouvelle organisation qui entre en vigueur au 1er janvier 1909. Les protestants d’Alsace soulignent le contexte plus apaisé qu’en France de cette séparation mais aussi le paradoxe que la cité de Calvin soit le premier État culturellement protestant à séparer les deux institutions, alors que Calvin les avait si étroitement imbriquées et fait de l’Église réformée une Église d’État : pour le Evangelisch-lutherischer Friedensbote, « Il est étrange que ce soit justement Genève qui, parmi les États protestants soient la première à introduire la Séparation16 ». À Bâle, la Séparation de 1910 n’est pas absolue17 : les Églises conservent leurs biens scolaires et leurs immeubles, le droit de lever des impôts ecclésiastiques sur leurs membres ; les aumôniers dans les hôpitaux et les prisons sont payés par l’État et la faculté de théologie continue à faire partie intégrante de l’université d’État18.

19 En 1919, c’est au tour des protestants allemands de voir les liens juridiques avec l’État se transformer. La Constitution19 de la République de Weimar, proclamée le 11 août 1919, institue un régime de Séparation. L’article 137 proclame l’absence d’Église d’État, la liberté de réunion pour les sociétés religieuses, dans le cadre législatif général. Le même article 137 prévoit aussi que les Länder recouvriront un impôt pour les Églises. Le budget des cultes est maintenu à titre provisoire et la situation considérée comme une compensation des confiscations des biens ecclésiastiques du XIXe siècle. Une loi du Reich oblige les Länder à financer le traitement du clergé. La nouvelle situation en Allemagne ne concerne pas directement les protestants d’Alsace mais ils constatent que dans la République de Weimar la Séparation n’exclut pas l’aide financière de l’État envers les Églises et que leurs voisins immédiats du pays de Bade20 n’adoptent pas une attitude radicale.

20 De manière générale, les changements institutionnels des relations entre les Églises et l’État adoptés après la France par les pays voisins (Allemagne, Suisse) sont jugés par les protestants d’Alsace plus équitables que la solution française21.

La Séparation en Alsace ?

21 Alors qu’une loi du 17 octobre 1919 maintient en vigueur la législation propre à l’Alsace-Lorraine jusqu’à son remplacement progressif par la législation française, deux périodes sont à distinguer : de 1919 à mai 1924, la question de l’introduction de la loi de 1905 n’est qu’une hypothèse théorique ; des élections de 1924 – plus particulièrement à partir du discours d’Édouard Herriot de juin – jusqu’en janvier 1925, s’ouvre une période de crise et de lutte contre l’introduction des lois laïques françaises.

22 Comme pendant la période précédente, la presse protestante informe les lecteurs de ces questions. Le dépouillement des trois hebdomadaires luthériens publiés entre 1919 et 1939 montre qu’ils consacrent une place importante à la situation et à l’avenir des É glises protestantes de France ou d’Alsace, et à la Séparation, principalement entre 1919 et 1924 puis en 1933-1934, avec plus de dix articles par an. En 1919, il s’agit de faire connaissance avec le protestantisme français ; certains articles se poursuivent sur plusieurs numéros : « Die Frage der Trennung von Kirche und Staat » (Friendesbote), « Geschichte des Protestantismus in Frankreich » (Friendesbote), « Was können wir jetzt schon tun bei einer bevorstehenden Trennung von Kirche und Staat » (Friendesbote), « Zur Lage der evangelischen Kirche in Elsass-Lothringen » (Sonntagsblatt), « Volkskirche ? » (Sonntagsblatt). En 1922, le Friedensbote publie toute une série d’articles

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sur l’État. En 1924, il s’agit d’articles liés à l’introduction des lois laïques. En 1933 et 1934, ce sont des articles sur la situation politique et ecclésiastique en Allemagne et l’arrivée de Hitler au pouvoir.

23 Il ressort de la presse protestante que la comparaison tourne en faveur des statuts en Suisse, Allemagne ou Alsace-Lorraine, au détriment du statut en « Vieille France ».

Les perspectives de 1919 à 1923

24 Malgré les reproches faits à la loi de 1905, les protestants d’Alsace-Lorraine savent aussi que les Églises françaises vivent sous ce régime depuis près de deux décennies et que la configuration politique n’est pas celle d’un Kulturkampf22 : « on peut en effet affirmer que la loi de 1905 ne touche pas aux droits imprescriptibles de la conscience et au fondement religieux des Églises23 ». Ils se projettent sur un terrain plus pragmatique qu’idéologique. Leurs objectifs sont d’assurer financièrement le traitement des pasteurs, le maintien de la faculté de théologie, l’avenir des biens du chapitre Saint- Thomas et d’obtenir des modifications de la loi de 1905.

25 Pour anticiper les difficultés financières prévisibles en cas de cessation du soutien de l’État, les réformés constituent en 1921 un fonds de réserve par une collecte dans toutes les paroisses réformées, et le 19 novembre 1925, ils fondent la « Société des Amis de l’Église réformée d’Alsace et de Lorraine », association de droit local chargée de gérer l’emploi des fonds collectés. Les luthériens aussi instituent une caisse centrale24, alimentée par la collecte des cotisations, d’un montant libre, dans chaque paroisse. Ces mesures, chez les réformés comme chez les luthériens, perdurent même après le retrait du projet d’introduction des lois laïques. Les paroisses, dans leur majorité, acceptent la charge nouvelle. Toutefois, une minorité de luthériens orthodoxes radicaux y est réfractaire, non pas pour des raisons financières, mais par intention de faire scission après la Séparation ; or, en se constituant à part, cette minorité ne bénéficierait pas de la caisse centrale25. C’est une des rares manifestations laissant entrevoir la possibilité d’un schisme – comme en France – en cas de mise en place de la Séparation.

26 L’autre mesure prise est la nomination d’une commission mixte, commune aux réformés et aux luthériens, pour étudier les questions relatives à la Séparation des Églises et de l’État. Elle se réunit pour la première fois en 1922. En mars et avril 1923, elle étudie la loi de 1905, son origine et en discute article par article. Parmi les membres figurent des hommes politiques protestants (Charles Altorffer26, Frédéric Eccard27, Charles Scheer28), des juristes (Boucart, professeur à la faculté de droit, Brum, avocat- avoué et membre du Consistoire supérieur, Redslob, professeur à la faculté de droit), ainsi que des pasteurs.

27 Les principaux reproches faits par la Commission à la loi de 1905 sont : l’article 2, supprimant le budget des cultes, alors que dans d’autres pays, la Séparation n’induit pas forcément cette suppression ; l’article 4 prévoyant l’attribution des biens ecclésiastiques « aux associations qui, en se conformant aux règles d’organisation générale du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice, se seront légalement formées ». La formule « aux règles d’organisation générale du culte » avait déjà posé problème aux réformés français en 1905 : il était difficile dans le protestantisme de définir ces règles d’organisation générale et des conflits pouvaient éclater ; si, dans une paroisse, deux associations cultuelles se créaient – par exemple, une libérale, l’autre piétiste – laquelle serait jugée conforme aux règles d’organisation générale du culte ?

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Opposition aussi à l’article 7 ne permettant pas aux associations cultuelles de recevoir les biens à affectation charitable ou scolaire. La commission veut que les associations cultuelles puissent gérer tous les biens des paroisses, quelle qu’en soit l’affectation. Elle est aussi critique sur les articles 12 et 13 (presbytères), 15 (traitement spécial pour la Savoie, dont l’Alsace pouvait demander à bénéficier), 19 (limitant la capacité à recevoir des dons et legs). D’après le rapport rédigé par cette commission, les reproches recoupent ceux déjà faits à la loi en 1905.

L’année 1924

28 En vue des élections de 1924, les trois hebdomadaires luthériens tentent de susciter un vote protestant. Dans un communiqué commun du 11 mai 1924, ils attirent l’attention des lecteurs sur une possible victoire de la gauche, qui remettrait en cause le régime particulier de l’Alsace-Lorraine. Pour repousser cette échéance, les électeurs sont invités à placer la défense des intérêts des cultes devant les seules convictions politiques.

29 Les élections consacrent la victoire du Cartel des gauches au niveau national. Mais, en Alsace-Lorraine, seuls 3 députés29 sur 24 appartiennent à la gauche. Les députés protestants élus sont démocrates et appartiennent au Bloc national : il s’agit du pasteur Charles Altorffer, de Charles Frey et Charles Scheer. Malgré ce résultat, la consigne d’un vote protestant n’a pas été suivie. Pour les électeurs protestants, la volonté de se distinguer du vote catholique et de son cléricalisme a aussi joué. Cela se manifeste soit par un taux d’abstention plus élevé chez les protestants, soit par un vote pour les radicaux voire les communistes30. Malgré les instructions de la presse confessionnelle, les protestants n’hésitent pas à soutenir un parti qui inscrit à son programme l’introduction de la laïcité en Alsace.

30 Des élections jusqu’au 17 juin, c’est l’expectative. Lors de son discours d’investiture le 17 juin 1924, Édouard Herriot envisage l’introduction en Alsace-Lorraine de l’ensemble de la législation républicaine, dont la Séparation, pour effacer les particularités législatives.

31 En Alsace, la déclaration Herriot tombe fortuitement la veille d’une réunion de pasteurs luthériens (la Conférence pastorale) les 18 et 19 juin 1924. La réunion décide d’informer Édouard Herriot sur l’état d’esprit des protestants alsaciens et les motivations de leur vote de gauche aux élections – vote de rejet de la politique du précédent gouvernement et non pas vote sur la question laïque. L’assemblée décide aussi d’inciter les établissements du culte (paroisses, consistoires, inspections) et les associations à envoyer des pétitions31.

32 Ces initiatives promeuvent une position protestante, comme un juste milieu qui concilierait les lois laïques et l’existence des Églises. Elles s’opposent à l’introduction sans modification des lois laïques et à la position catholique32. Celle-ci, portée par l’ Elsässer, journal catholique, est jugée trop agressive par les autorités ecclésiastiques protestantes33, et rend peu audible la position protestante car elle a : « empêché la formation d’une thèse indépendante et bien définie des protestants Alsaciens-Lorrains sur une séparation de l’Église et de l’État, de sorte qu’on a pu croire que nous traitions cette question absolument dans le sens du clergé catholique34 ».

33 Malgré des divergences, cette solution protestante se manifeste par la publication d’une déclaration commune des présidents des deux cultes protestants35 le

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13 juillet 1924, reprise dans les journaux protestants : « Il est certain qu’une partie des protestants n’est pas opposée au principe de la Séparation mais il n’est pas moins vrai que de profondes modifications de la loi de 1905 apparaissent à tous nos coreligionnaires comme absolument indispensables ».

34 Parallèlement, les politiques protestants (Ch. Frey, Ch. Altorffer, Ch. Scheer) rencontrent Édouard Herriot en juillet pour lui signaler les préoccupations de la population protestante. Il les rassure partiellement en leur disant qu’il n’imposerait pas les lois laïques par décret et sans discussion préalable36.

Améliorer la loi de 1905

35 Selon Charles Altorffer37, le rôle des parlementaires alsaciens n’est pas d’essayer d’empêcher la Séparation et il ne faut pas espérer l’adoption d’une autre loi que celle de 1905. La seule marge de manœuvre possible porte sur des demandes de modification de la loi de 1905. Sur ce point, les Alsaciens espèrent le soutien des protestants de « Vieille France ». De leur côté, ces derniers voient dans la situation alsacienne l’occasion de remédier aux principaux inconvénients de la loi de 1905 : les associations cultuelles sont davantage assujetties à l’État que d’autres associations, notamment en matière financière et comptable ; le fonds de réserve qu’elles peuvent se constituer est insuffisant ; enfin, elles ne doivent se consacrer qu’à l’exercice du culte et plus à l’action charitable ou scolaire. Les autorités ecclésiastiques réformées et luthériennes d’Alsace-Lorraine reçoivent le soutien de la Fédération protestante de France, lors de son assemblée générale à Strasbourg (20 au 23 octobre 1924), grâce au vote d’une déclaration relative aux améliorations souhaitées dans la loi de Séparation ; elle est remise par le bureau de la Fédération protestante38 le 6 novembre à Édouard Herriot. Il promet alors d’étudier la question avec la plus grande bienveillance.

36 Ce travail en faveur d’une loi modifiée est contrarié par quelques prises de position contraires et par certains articles de la presse protestante française vantant les bienfaits de la loi de 1905.

37 C’est en juillet-août 1924, après les assurances d’Herriot, que la tension retombe chez les protestants, pour ce qui est de la Séparation. Par contre, sur la question scolaire, au contraire, encouragée par les protestations catholiques, la position protestante se durcit. En témoigne une nouvelle déclaration commune, des trois journaux luthériens protestants, le 10 août 1924. La question de la Séparation s’éloigne lorsque le Conseil d’État, dans un avis du 24 janvier 1925, affirme la validité, pour l’Alsace-Lorraine, de la loi du 18 Germinal an X et des Articles organiques. Après la chute du ministère d’É douard Herriot en avril 1925, Paul Painlevé, nouveau président du Conseil, déclare que l’assimilation législative ne peut se faire que « dans le respect des droits acquis, dans un souci d’entente générale et d’unité nationale ».

Conclusion

38 En 1924, les autorités ecclésiastiques protestantes sont plus modérées que la presse protestante, le Kirchenbote et son rédacteur Georges Metzger en tête. Mais, comme les protestants en 1905, tous se seraient adaptés à la Séparation, même non modifiée.

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39 La question se pose à nouveau après l’annexion de fait de l’Alsace et de la Lorraine par l’Allemagne. Depuis 1924, la politique religieuse allemande a évolué : les régimes de séparation ont été remplacés par des régimes concordataires (Bavière en 1924, Prusse en 1929, pays

de Bade en 1932, Reich en 1933) avant un nouveau retour à la Séparation des Églises et de l’État à partir de janvier 1939. Les protestants

d’Alsace sont très bien informés par des articles du pasteur et ancien homme politique Georges Wolf39 : dès 1932, il alerte40 sur la

menace du national-socialisme pour la république démocratique et pour l’Église protestante. La politique de mise au pas des Églises est

le fait des protestants chrétiens-allemands (Deutsche Christen), courant majoritaire, dont le but est d’unir la croix gammée et la croix du

Christ. Face à ce courant, l’Église confessante (Bekenntnis Kirche)41 s’organise, s’oppose et devient le symbole de l’Église résistante. En

Alsace, la presse protestante42 prend parti pour l’Église confessante allemande.

40 Au début de la guerre, les protestants d’Alsace ne se font pas d’illusion sur la nature du régime nazi : « Dans la lutte décisive engagée entre un régime de violence négateur de toutes les valeurs spirituelles et la civilisation occidentale issue du christianisme et basée sur lui, l’Église du Christ connaît son devoir. Elle sait aussi que son avenir est en

jeu43 ».

41 Après l’annexion de fait de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne nazie , il n’y a pas d’opposition organisée de l’Église protestante, sur le modèle de l’Église confessante allemande ; entre-temps aussi, celle-ci a montré les limites de sa résistance et

le prix à payer. Entre 1905 et 1940, l’Alsace-Lorraine évite la Séparation. Le régime nazi la lui impose entre 1940 et 1945. Les

protestants subviennent aux dépenses de leurs Églises car c’est aussi un moyen de faire preuve d’un esprit d’opposition. En 1945, les

protestants auraient pu souhaiter conserver cette liberté interstitielle, gagnée dans la difficulté, en liberté pour l’Église. Ce n’est pas le

cas et ils préfèrent revenir à un attachement à leur particularisme.

NOTES

1. . Pour plus de renseignements sur les protestants en Alsace : Catherine STORNE-SENGEL, Les Protestants d’Alsace-Lorraine de 1919 à 1939 : entre les deux règnes, Strasbourg, 2003, 371 p. ; sur la situation en Suisse : Michel GRANDJEAN et Sarah SCHOLL, éd., L’État sans confession : la laïcité à Genève (1907) et dans les contextes suisse et français, Genève, Labor et fides, DL 2010, 250 p. et Valentine ZUBER, « La Séparation des Églises et de l’État en France et à Genève (1905-1907) : une solution pour deux histoires », French Politics, Culture & Society, 26, 1, 2008, p. 71-91. Abréviations pour les hebdomadaires protestants : KB = Evangelisch-protestantischer Kirchenbote für Elsass-Lothringen, Strasbourg, 1871-1940 ; FB = Evangelisch-lutherischer Friedensbote / Publié par la Société évangélique luthérienne, Strasbourg, 1870-1940 ; SB = Evangelisches Sonntagsblatt für Elsass- Lothringen / Publié par la Société évangélique, Strasbourg, 1863-1940. Pour ces trois titres, j’indique une traduction française de l’article en allemand. 2. . Dans le pays de Bade, puis en Prusse et dans l’Empire allemand. 3. . KB, 11/04/1874, p. 65. 4. . Une commission parlementaire dont le rapporteur est le socialiste Aristide Briand est chargée d’étudier les projets qui lui sont soumis. 5. . « Une Église multitudiniste est, d’après la conception protestante, une Église qui englobe tous les croyants et veut les servir dans la tradition » (SB, 1920, 11/04/1920, p. 12, « Volkskirche ? »). 6. . « […] parce que dans une Église de confessants toutes les tendances du protestantisme ne peuvent justement pas trouver de place. Une Église confessante signifie un éclatement de l’Église multitudiniste, parce qu’elle exclut tous ceux qui ne font pas profession de foi. Il nous faudra plus tard nous consacrer encore à ce problème. » (FB, 1919, no32, p. 170, 10/08/1919, « Unsere kirchliche Lage und Zukunft »).

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7. . Menés par Frédéric Horning (1809-1882). 8. . « L’Église libre est par essence une Église communautaire, et qui s’est séparée de l’Église du Land pour des raisons dogmatiques ou politiques » (SB, 1920, 18/04/1920, p. 128, « Volkskirche ? »). 9. . Théologien suisse, principal théoricien protestant des rapports entre l’Église et l’État. Auteur en 1826 d’un Mémoire en faveur de la liberté des cultes et, en 1842, d’un Essai sur la manifestation des convictions religieuses et sur la Séparation des Églises et de l’État envisagée comme conséquence nécessaire et comme garantie du principe. Favorable, pour des motifs religieux, à la Séparation des Églises et de l’État, il participe en 1847 à l’organisation de l’Église libre du canton de Vaud. 10. . Kirchliche Chronik, « Ein offenes Wort zur geplanten Bildung einer Zentralkasse in der Kirche Augsburger Konfession in Elsass und Lothringen », Der Elsässische Lutheraner, 15/09/24, no3, p. 24. 11. . Les orthodoxes luthériens sont traditionnellement désignés sous le terme de luthéranistes ou néo-luthéranistes. 12. . Charles SCHEER, Staat und Kirche, Mulhouse, Verl. d. Evangelischen Buchhandlung d. kirchlichen Vereins für innere Mission, 1905, 27 p. 13. . Guillaume H ORNING, « La Séparation de l’Église et de l’État en Alsace-Lorraine et ses conséquences pour les luthériens », Traités luthériens, 1923, no163, 30 p. Guillaume HORNING, Trennung von Kirche und Staat in Elsass-Lothringen, und, was dann? Ein ernstes Mahnwort an das lutherische Kirchenvolk I. II. III, Strasbourg, 1923. 14. . Les articles sont plus nombreux à partir de 1906 pour évoquer les dissensions chez les réformés autour de la nature de l’Église. 15. . KB, 20/07/1907, p. 240. 16. . FB, 29/09/1907, p. 358. 17. . « Au départ, la Séparation ne sera pas absolue », FB, 10/04/1910, p. 119‑120. 18. . FB, février 1920, « Die Frage der Trennung von Kirche und Staat », signé « Ecclesiasticus », (7, p. 54 ; 8, p. 60 ; 9, p. 67 ; 10, p. 75 ; 11, p. 83.). En 1920, le Friedensbote présente la Séparation bâloise de manière plus détaillée qu’il ne l’avait fait en 1910. 19. . Les articles 136 à 141 définissent les nouveaux rapports entre les Églises, le Reich et les Länder. 20. . « Dans le pays de Bade, la Séparation de l’Église et de l’État n’a pas été aussi radicale qu’en Allemagne du Nord. » (Traduction de Theologische Blätter, août 1919, no 8, p. 95, « Kirchliche Rundschau »). 21. . « La Séparation de l’Église et de l’État, telle qu’elle existe aussi en Allemagne, n’exclut donc ni accords bilatéraux, ni subventions financières en faveur des Églises. On ne conclura que des accords adéquats avec les Églises protestantes, grâce auxquels leur indépendance vis-à-vis de l’État […] sera assurée. » (Traduction de Elsass-Lothringinschen Familien-Kalender, 1930, p. 32). 22. . Malgré le titre de l’article de Georges METZGER « Die Ankündigung eines französisch- elsässischen Kulturkampfes » (KB, 29/06/1924, no26, p. 205). 23. . 01/07/1933, n o19 par Ch. Ortlieb, en opposition à la situation des Églises protestantes d’Allemagne, dans Quinzaine protestante. 24. . Verein der Freunde der Kirche Augsburgischer Konfession in Elsass und Lothringen = Société des amis de la Confession d’Augsbourg, (décision du consistoire supérieur du 26 mai 1924). 25. . Der Elsässische Lutheraner, 15/09/1924, no3, p. 24, Kirchliche Chronik, « Ein offenes Wort zur geplanten Bildung einer Zentralkasse in der Kirche Augsburger Konfession in Elsass und Lothringen ». 26. . Charles Altorffer (1881-1960). Pasteur à Wissembourg de 1919 à 1929, puis Directeur des cultes pour l’Alsace et la Moselle. Élu député du Bas-Rhin en 1919, comme candidat du Parti démocratique ; réélu en 1924, mais battu à Saverne en 1928 par Camille Dahlet.

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27. . Frédéric Eccard (1867-1952). Avoué-avocat, fondateur du parti démocratique républicain du Bas-Rhin en 1919, élu sénateur en 1920. Membre des instances dirigeantes de l’Église luthérienne d’Alsace-Lorraine à partir de 1923. 28. . Charles Scheer (1871-1936). Pasteur réformé de Mulhouse, député du Haut-Rhin de 1919 à 1929. 29. . Les socialistes Jacques Peirotes et Georges Weill, le communiste Charles Hueber. 30. . FB, 07/09/1924, no36, p. 285. Le parti communiste obtient de bons résultats dans les cantons protestants d’Alsace du Nord (Sarre-Union, Drulingen, La Petite-Pierre et Niederbronn) et dans les cantons de Schiltigheim et Geispolsheim. 31. . Pétitions des inspections luthériennes (Temple-Neuf et Saint-Thomas à Strasbourg, Wissembourg, Bouxwiller) ou d’associations (Association protestante d’Alsace et de Lorraine / Ev. Volksbund, union évangélique / Ev. Vereinigung) ou encore un mémoire de 21 pasteurs. 32. . Article de Georges METZGER, KB, 1924, no29, p. 226, 20/07/1924, « Die drei Wege zur Lösung der Kirchen- und Schulfrage in Elsass und Lothringen ». 33. . Position d’Ernwein, dans la séance de la commission du 7 juillet 1924 (ECAAL, dossier 1887-1942, problèmes religieux). 34. . Lettre adressée par E. Brumder à Ernwein et à Kuntz, 22/06/1924 (publiée le 26/06/1924 dans SB, 1924, no26, p. 205). 35. . Le luthérien Frédéric Ernwein et le réformé Charles Kuntz. 36. . Frédéric ECCARD, Le livre de ma vie (1867-1951), Neuchâtel, Paris, Strasbourg, 1951, p. 157‑158. 37. . Charles ALTORFFER, « L’Alsace et la Séparation des Église et de l’État », Almanach de l’Église évangélique luthérienne de France et d’Algérie, 1923, p. 52‑55. 38. . Archives départementales du Bas-Rhin, 147 AL 4. PV 10/03/20-08/03/27, 04/11/24, p. 193. 39. . Pasteur et homme politique (parti libéral ; après 1918, collabore au journal radical-socialiste La République, parti progressiste alsacien Elsässische Fortschrittspartei). 40. . Georges WOLF, « La révolution allemande et l’unification des Églises protestantes », La Quinzaine protestante, 16/06/1933, p. 2 ; « Evangelische Kirche und nationalsozialistische Bewegung in Deutschland », KB, 17/07/1932, no29, p. 229 ; « Verwicklungen beim kirchlichen Einigungswert in Deutschland », KB, 19/06/1933, no25, p. 196 ; « Die kirchliche Revolution in Deutschland », SB, 15/10/1933, no42, p. 331 et SB, 22/10/1933, no43, p. 338. 41. . Sous l’influence de Karl Barth au synode de Barmen, 1934. 42. . Voir Hans-Georg DIETRICH, « L’Alsace et le Kirchenkampf en 1933-1934 en Allemagne. Les débuts de la lutte analysés dans les journaux d’Église », BSHPF, no133, 1987, p. 561‑577. 43. . Feuille synodale [réformée], nov. 1939, no11, p. 137 : « À nos Églises ».

RÉSUMÉS

Entre 1870 et 1940, des territoires limitrophes de l’Alsace (France, Länder allemands, cantons suisses) modifient les relations entre les Églises et l’État. Ces changements politiques complètent les réflexions plus théologiques et ecclésiastiques, fruits de la pensée des Réformateurs et de l’histoire. Ils interrogent le rôle de l’État ainsi que la nature et l’organisation des Églises, le mode d’adhésion des croyants. En 1924, devant l’éventualité de l’introduction des lois laïques françaises, les protestants d’Alsace se réfèrent à ces situations contemporaines géographiquement proches pour les analyser et les

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comparer. La loi française, jugée compatible avec la liberté religieuse et le fonctionnement des Églises, est toutefois considérée plus contraignante. C’est pourquoi les protestants d’Alsace ne sont pas demandeurs de la Séparation des Églises et de l’État, telle que prévue par la loi de 1905. Conscients de l’impossibilité politique d’une autre loi, ils savent que la seule marge de manœuvre porte sur des propositions d’amélioration. Pour faire connaître leur position, distincte de celle des catholiques, les autorités luthériennes et réformées parlent d’une seule voix et s’appuient sur les hommes politiques alsaciens protestants. Finalement, Édouard Herriot renonce à son projet et les Églises d’Alsace continuent à fonctionner sous un régime de nature concordataire, à l’exception de la période nazie. (Catherine Storne-Sengel).

Between 1870 and 1940 the neighbouring territories of Alsace (France, German Länder, Swiss cantons) all modified their legislations concerning the relations between Church and State. These political changes were actually completing theological and ecclesiastical evolutions directly inspired from he Refrormers’ doctrine and history. They also questioned the role of the State and the nature and organisation of Churches, as well as the way believers subscribed to these creeds. In 1924, confronted with the possible introduction of the French secularisation legislation, the Protestants of Alsace decided to analyse it, comparing it with similar laws in neighbouring territories. The French legislation, altough considered to be congruent with religious liberty and with the normal functioning of Churches, seemed to be more restrictive. As a consequence, the Protestants in Alsace did not subscribe to the separation of Church and State as defined by the 1905 law. Perfectly aware that no alternative legislation was possible, they concluded that the only room for maneuvre consisted in proposing improvements. So as to voice their distinctive opinions -differing from the Catholics’- the authorities of the Lutheran and Reformed Churches decided to act jointly and to trust the Protestant politicians in Alsace. Finally Edpuard Herriot (Prime Minister) abandoned his project, so the Churches of Alsace have kept functioning (except under the Nazi regime) according to a local agreement regime. (trad. Pierre Boulay).

Zwischen 1870 und 1940 verändern die das Elsass angrenzenden Gebiete (Frankreich, Deutsche Länder, Schweizer Kantone) die Beziehungen zwischen Kirche und Staat. Diese politischen Veränderungen ergänzen die mehr theologischen und kirchlichen Überlegungen, die aus dem Gedankengut der Reformatoren und der Geschichte entstanden sind. Sie hinterfragen die Rolle des Staates, so wie das Wesen und die Organisation der Kirchen, die Art des Bekenntnisses der Gläubigen. 1924, im Anbetracht der möglichen Einführung der laizistischen französischen Gesetze, beziehen sich die elsässischen Protestanten auf zeitgenössische, räumlich nahe Gegebenheiten, um sie zu analysieren und zu vergleichen. Das französische Gesetz, obwohl als verträglich mit religiöser Freiheit und kirchlichem Leben eingeschätzt, wird als viel einengender betrachtet. Aus diesem Grund erwünschen sich die elsässischen Protestanten nicht die Trennung von Kirche und Staat, so wie sie von dem Gesetz von 1905 vorgesehen ist. Sie wissen, dass es politisch unmöglich sein wird ein anderes Gesetz zu erhalten, und dass es nur einen Spielraum für Verbesserungsvorschläge gibt. Um ihre Position, die sich von der der Katholiken unterscheidet klar zu machen, sprechen die lutherischen und reformierten Behörden mit einer Stimme und stützen sich auf die protestantischen elsässischen Politiker. Letztendlich verzichtet Edouard Hériot auf sein Vorhaben und die Kirchen des Elsass können, ausgenommen in der Nazizeit, unter den Bedingungen des Konkordats weiterarbeiten. (trad. René Siegrist).

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AUTEUR

CATHERINE STORNE-SENGEL Docteur en histoire, conservateur des bibliothèques

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Protestantisme entre modernité et traditions Approche ethnologique Protestantism: from tradition to modernism. An ethnological approach Protestantismus zwischen Modernität und Tradition. Aus ethnologischer Sicht

Freddy Sarg

1 Si on faisait aujourd’hui un sondage auprès des Alsaciens, il en ressortirait que pour beaucoup de nos contemporains les rites et les coutumes autour des grandes étapes de la vie, entre catholiques et protestants, seraient assez proches. Cela tient en partie à une certaine déchristianisation de notre société et pour une autre partie à un rapprochement entre ces deux courants religieux.

2 Le début de ce rapprochement pourrait être situé vers 1970.

3 Le projet de cet article est d’essayer de cerner les différences entre catholiques et protestants alsaciens avant cette période de rapprochement intense au niveau des rites et coutumes lors des étapes importantes de la vie (naissance, mariage et enterrement).

Les us et coutumes autour de la naissance

4 Les Églises chrétiennes ont toujours tenu à accompagner leurs fidèles aux grandes étapes de leurs vies. Il y avait souvent des similitudes entre rites catholiques et rites protestants. Néanmoins les descendants de Luther et Calvin ont tenu à marquer leurs différences avec les catholiques.

5 Ainsi les femmes catholiques avaient recours à des pèlerinages (Sainte-Odile et Sainte Verena) pour s’assurer de pouvoir tomber enceintes. Les femmes protestantes, quant à elles, s’abstenaient de telles pérégrinations. Certaines affirmaient qu’aller régulièrement aux cultes les dimanches avait une influence positive sur la fécondité. Par ailleurs, le soir avant de s’endormir, faire régulièrement une demande à Dieu pour donner la vie à des enfants passait aussi pour avoir les mêmes effets.

6 Dans les deux cas on accorde une action positive à la prière.

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7 Il y a encore un siècle les accouchements se faisaient principalement à domicile. C’était la sage-femme résidant dans le village qui se rendait au chevet de la parturiente. À côté de la formation médicale, la sage-femme avait aussi reçu une formation religieuse. Cela s’explique par le fait qu’elle priait avec la parturiente et qu’elle remplaçait l’ecclésiastique quand la mort était au rendez-vous pour la mère ou pour l’enfant ou pour les deux.

8 Une différence apparait néanmoins entre catholiques et protestants sur la question dramatique si la mère ou l’enfant sont en danger de mort, qui devra-t-on sauver en premier lieu ?

9 Pour les catholiques priorité est donné à l’enfant alors que pour les protestants c’est plutôt la mère.

10 Au Moyen Âge, les médecins s’étaient désintéressés du lit de l’accouchée, laissant cette fonction aux matrones et aux sages-femmes. Cependant l’Alsace, un des berceaux de l’humanisme et un des creusets de la Réforme, favorisa la venue des hommes-médecins au chevet de la parturiente.

11 En 1513, le docteur Eucaire Roesslin de Worms pu éditer à Strasbourg un ouvrage intitulé : Der Swangern Frawen und Hebammen Rosengarten (Le Jardin des roses des femmes enceintes et des sages-femmes). Cet ouvrage fut suivi en 1545 d’un deuxième Jardin des roses dû à la plume du chirurgien strasbourgeois Walter Reiff.

12 Toute cette révolution de pensées aboutit en 1728 à la création de l’École des Sages- Femmes de Strasbourg par le docteur Jean-Jacques Fried. Ce fut la première école de sages-femmes au monde à ouvrir ses portes aux médecins et aux chirurgiens pour leur donner la formation d’accoucheur. Cette école eut un rayonnement dans toute l’Europe.

13 Indirectement elle est à inscrire au crédit de la Réforme protestante.

14 Une fois l’enfant né, l’étape suivante était le baptême. Si de nos jours les parrains et marraines peuvent être de confessions différentes (catholique-protestant), il y a un siècle cela était inimaginable. Tout le monde se devait d’appartenir à la même religion.

15 Le baptême avait lieu très vite après la naissance (huit à quinze jours) car on voulait mettre l’enfant sous la protection divine. Il y a un siècle ou deux, dans certaines paroisses protestantes on se rendait à l’église pour le baptême en portant l’enfant couché dans un petit berceau portatif.

16 À l’église on déposait le berceau sur des tréteaux. Le berceau ainsi que les tréteaux étaient la propriété, soit de la communauté religieuse, soit de la sage-femme. L’enfant était baptisé dans ce berceau. Cette coutume a entièrement disparu.

17 Autant chez les catholiques la cérémonie religieuse des relevailles était très importante, chez les protestants elle se résumait à une prière d’action de grâces et à une bénédiction de la mère.

18 Une fois les parrains et marraines choisis dans la même religion que l’enfant, il y avait la question des cadeaux. À Strasbourg, dès le XIIIe siècle, il était d’usage de remettre aux parents du baptisé une monnaie de baptême. À l’origine c’était une pièce d’argent courante, ensuite ce fut une pièce spécialement gravée pour l’occasion. Cette pièce était la propriété personnelle de l’enfant. La monnaie de baptême était emballée dans un papier. Par la suite l’idée vint aux parrains et aux marraines de décorer l’emballage. La lettre de baptême ou « Goettelbrief » (lettre de la marraine) était née.

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19 On fit figurer sur cette lettre le nom, le prénom de l’enfant, sa date de naissance, la date et le lieu de son baptême, le nom de l’officiant ainsi que ceux du parrain et de la marraine. Par la suite on y inscrivit des versets bibliques et des souhaits adressés à l’enfant. Cette coutume s’est d’abord développée fortement dans les milieux protestants alsaciens, ensuite aux XVIIIe et XIXe siècles elle s’est aussi imposée dans les milieux catholiques.

20 Néanmoins cette coutume s’éteignit lentement au début du XXe siècle autant dans les milieux catholiques que protestants.

Les us et coutumes en rapport avec le mariage

21 Les coutumes qui réglementaient les fréquentations entre garçons et filles étaient très strictes. Il y avait trois sortes d’interdits : les interdits d’ordre géographique, d’ordre religieux et d’ordre social. Ainsi on interdisait aux garçons de chercher de futures épouses parmi les filles pratiquant une autre religion. Il y a encore un siècle environ, il apparaissait comme impossible à un paysan protestant du pays de Hanau de chercher une femme dans la région très catholique du Kochersberg. Cet interdit s’appliquait aussi à l’intérieur d’un même village, s’il y avait deux communautés religieuses distinctes.

22 Ainsi, soit le curé, soit le pasteur, pouvait le dimanche lors de l’office religieux sermonner du haut de la chaire un garçon ou une fille de la communauté parce qu’il ou elle avait été vu entrain de vouloir former un couple avec un partenaire de l’autre religion.

23 Au niveau de la cérémonie de mariage, pour les catholiques, c’était un sacrement. Les protestants, quant à eux, ne reconnaissaient que deux sacrements : le baptême et la Sainte-Cène, car institués par le Christ.

Les souvenirs de mariage

24 Autrefois, il était de coutume de faire dessiner, par un artiste, un souvenir de mariage que l’on accrochait par la suite dans la chambre du couple.

25 Au baptême, avec le « Goettelbrief », et à la mort, avec le « Leichen-Text », on trouve des coutumes semblables.

26 Ces tableaux de mariage correspondent à nos actuelles photos de mariage : ils constituent des souvenirs de cet événement important que sont les noces. Mais ils s’en distinguent en ce sens qu’ils possèdent à la fois un caractère familial et religieux. En effet, ils se composent essentiellement d’un verset biblique décoré, choisi traditionnellement par le couple ou par le pasteur pour la cérémonie religieuse, avec indication des noms et prénoms des jeunes mariés ainsi que la date de la cérémonie.

27 D’autres souvenirs de mariage, appelés églomisés, sont par leur aspect, plus lugubres. Ce sont des peintures sous verre dont le fond est noir et dont les textes et les dessins, sont, soit argentés, soit dorés. (Le nom « églomisé » vient d’un encadreur appelé Glomi qui a vécu au XVIIIe siècle).

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Les fêtes chrétiennes

28 Catholiques et protestants ont quasiment les mêmes fêtes en rapport avec la vie de Jésus (naissance, Passion, résurrection, montée au ciel, venue du Saint-Esprit).

29 Cependant les uns et les autres mettaient l’accent différemment sur ces différentes fêtes.

30 Pour les catholiques, le dimanche de Pâques qui célèbre la résurrection de Jésus-Christ, est la fête la plus importante. Les protestants, quant à eux, mettaient l’accent sur le Vendredi Saint, jour où on se rappelle que Jésus est mort pour les péchés des hommes.

31 Parfois dans certaines parties de l’Alsace, quant les deux communautés vivaient dans le même village, ils pouvaient y avoir quelques « vacheries » entre elles.

32 Ainsi certains catholiques sortaient leurs cochons pour aller dans les prés le Vendredi Saint. Ces animaux laissaient beaucoup d’excréments sur la chaussée. On peut imaginer l’aspect des chaussures des protestants qui se rendaient à l’église ce jour-là !

33 Mais les protestants n’étaient pas en reste. Dans certains villages, le 15 août, jour de l’Assomption de la Vierge Marie, les catholiques faisaient une procession dans les rues. Et comme par hasard quelques heures avant les agriculteurs protestants avaient mené leurs cochons dans les champs.

34 Un prêté pour un rendu !

35 Les protestants alsaciens fêtaient aussi et fêtent encore la Réformation. Lors d’un dimanche, généralement le dernier du mois d’octobre, on se rappelle que Luther, en 1517, a affiché ses 95 thèses à Wittenberg. Selon lui les places au ciel ne sont pas à vendre sous forme d’indulgences. Le salut est offert aux croyants en Jésus-Christ.

Quand la pendule de la vie marque la dernière heure

36 Les familles étaient heureuses quand le curé ou le pasteur pouvait être présent lors de l’agonie d’un malade. Par ses prières et ses exhortations il pouvait faciliter au mourant le passage de ce monde vers le monde meilleur.

37 Dans les milieux catholiques, quand on pensait qu’il n’y avait plus d’espoir, le prêtre administrait le Saint-Viatique et l’Extrême Onction.

38 « Er isch geelt und gewext, jetzt kann er gehn ». (« Il est huilé et ciré, il peut donc partir »).

39 L’expression « geelt und gewext » faisant allusion aux planchers en bois qu’on huilait et qu’on cirait autrefois.

40 Cette expression depuis de nombreuses décennies est aussi utilisée dans les milieux protestants pour désigner une personne qui s’apprête à mourir.

41 Du côté catholique comme du côté protestant, on n’aime pas mourir sans avoir reçu l’Eucharistie, qui est presque comme le symbole de la rémission des péchés et comme un passeport pour l’éternité. On évite ainsi de faire communier des malades dont on garde l’espoir de pouvoir les sauver encore une fois.

42 En effet, on croit qu’après la réception de l’Eucharistie le malade n’a plus aucune chance de survie. Dans ce cas la Sainte-Cène (à domicile) est comprise comme le dénouement des dernières attaches qui retiennent le malade avant le grand départ.

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43 Une fois la personne décédée, on veille le mort. C’est aussi le moment où les habitants du village ou de la ville viennent rendre une visite au défunt. Chez les protestants, les visiteurs disent le Notre-Père, chez les catholiques plusieurs Ave-Marie, plusieurs Pater Noster et un Credo. Dans les deux cas on veut invoquer Dieu pour qu’il accorde à l’âme du défunt le repos éternel. Chez les protestants, néanmoins, on s’abstient d’asperger le corps d’eau bénite.

44 Le jour de l’enterrement avait lieu généralement trois jours après le décès. Le mort est déposé dans le cercueil sur un drap ou sur de la sciure de bois, la tête reposant sur un coussin.

45 Autrefois, dans certaines localités comme Ingwiller et Petersbach, le menuisier avant de fermer le cercueil y mettait la lettre de baptême « Goettelbrief ».

46 C’était, en quelque sorte, le passeport pour l’éternité.

47 La cérémonie d’enterrement comprenait trois phases. Cela commençait à la maison du défunt ou de la défunte. Ensuite elle se poursuivait à l’église. Enfin il y avait la mise en terre du cercueil. Dans les enterrements protestants on s’abstenait de jeter de l’eau bénite sur le cercueil. On jetait juste une pelletée de terre ou de sable pour rappeler que l’homme est fait de terre et qu’il retournera à la terre.

48 Autrefois dans certaines paroisses protestantes on mettait d’abord le cercueil en terre et ensuite on se rendait à l’église pour entendre le message de la Résurrection. Cela se fondait sur cette phrase du Christ : « Laisse les morts enterrer leurs morts » (Matthieu 8/ v.22).

Enterrement ou crémation

49 En Europe, il faudra attendre le XIXe siècle pour voir réapparaître un mouvement crématiste qui fut d’abord fondé par les francs-maçons et les libres penseurs pour lesquels la mort est un anéantissement.

50 Au début, l’Église catholique fut indifférente à ce rite funéraire, par la suite, en 1886, elle l’interdit. Il faudra attendre 1963 pour que cette interdiction soit levée.

51 Au départ, les Églises protestantes rivalisèrent avec l’Église catholique pour repousser énergiquement la crémation. Elles la stigmatisaient comme un retour au paganisme, comme une honte pour le bon sens humain et comme un crime envers la loi naturelle. Par la suite elles assouplirent leur position et même elles soutinrent ce rite funéraire.

52 En Alsace, le 16 juin 1892 le pasteur Georges Louis Leblois, exerçant son ministère à l’église protestante du Temple-Neuf à Strasbourg, adressa au maire de la ville une pétition invitant le conseil municipal de décider la construction d’un crématoire. Voici les passages les plus intéressants de ce mémoire : Une objection sérieuse contre l’incinération des cadavres pourrait être suscitée par des scrupules religieux, par exemple la crainte que la crémation ne porte préjudice à la doctrine traditionnelle de la résurrection du corps. Cependant la société est composée au point de vue religieux de deux classes de gens : la première, de ceux qui ont reçu une instruction scientifique et ont acquis la conviction que le monde physique est soumis à des lois constantes. Ces derniers savent que le corps, qui est enseveli, se décompose dans le sol en rendant à la terre ses éléments solides, à l’air ses éléments volatiles. Il leur est par conséquent indifférent que cette décomposition se fasse lentement par la putréfaction dans la tombe ou rapidement par l’action destructrice du feu. En effet, au point de vue purement esthétique, la

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perspective d’une décomposition rapide par le feu lumineux est de beaucoup plus attirante que celle d’une lente pourriture dans la tombe humide. Les autres, qui croient aux miracles, sont convaincus que la toute puissance de Dieu est illimitée et que la terre qui est sous sa domination ne peut l’empêcher de reconstituer les corps qu’elle a décomposés. Toutefois celui qui accepte ce dogme se contredirait sûrement s’il affirmait avec M. Camille Schneider, secrétaire général, que la flamme qui est également sous la domination de Dieu pourrait l’empêcher d’accomplir dans ces conditions le miracle de la résurrection.

53 La lettre du pasteur Leblois produisit une profonde impression sur la population de Strasbourg, parce qu’à cette époque, six ans avant la conférence d’Eisenach, qui accorda aux pasteurs protestants la pleine liberté d’action quant à l’assistance aux incinérations, il paraissait inouï qu’un pasteur pût oser préconiser cette coutume païenne et inusitée.

54 Il faudra attendre mars 1913 pour que la Société des médecins de Strasbourg recommande la construction d’un crématorium. Comme le sol de Strasbourg ne se prête pas à une putréfaction complète des cadavres et que d’autre part l’incinération assure avec une certitude absolue la destruction complète de tous les germes de maladies contenus dans les cadavres, l’installation d’un crématorium moderne est désirable. Elle est surtout indiquée en cas d’une grande épidémie ou d’un siège pendant une guerre.

55 Cette construction démarra la même année, mais elle fut interrompue pendant la guerre de 1914-1918. Ce n’est qu’en 1922 que le crématoire et le dépositoire furent remis solennellement à leur destination. Depuis cette date jusqu’à nos jours, il y eut plus de 18 000 crémations à Strasbourg. Les corps provenant la plupart du temps de citadins protestants et libres penseurs.

56 Dans la campagne alsacienne, encore aujourd’hui, les réticences et l’opposition sont très grandes face à la crémation. Les deux arguments principaux sont, d’une part que ce rite funéraire s’oppose à une résurrection corporelle, d’autre part que c’est une méthode anti-naturelle. Il y a sûrement encore le fait que lors de la remise d’une petite urne funéraire, on prend beaucoup plus brutalement conscience que la mort a fait son œuvre. La mise d’un corps en terre permet encore l’illusion d’une certaine présence du défunt.

57 D’un autre côté, les partisans de la crémation pensent que le feu, en détruisant totalement l’enveloppe charnelle, permet à l’âme de quitter rapidement ce monde et d’aller dans l’au-delà ou de se fondre dans les éléments cosmiques.

58 En conclusion on peut dire qu’actuellement nous avons un peu de mal à comprendre les habitudes culturelles de nos anciens. Cela tient à plusieurs facteurs. D’une part nos anciens étaient en grande majorité d’abord des personnes vivant à la campagne et travaillant directement ou indirectement dans la sphère agricole.

59 D’autre part il y a une accélération des transformations et des mutations dans notre société. La société a plus changé dans les trente dernières années que dans les 19 siècles précédents. Cette accélération de l’histoire a aussi transformé les us et les coutumes.

60 Cependant beaucoup de protestants alsaciens prenant exemple sur Luther et les foudroyants changements qu’il a introduit dans la société de son époque, se sont voulus et se veulent encore à la pointe du progrès et du changement. Ce qui ne les empêche pas d’être parfois critiques quand certaines transformations semblent plus répondre à un effet de mode qu’à un besoin réel de mutations.

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BIBLIOGRAPHIE

Cet article s’inspire largement de deux ouvrages que nous avons publiés :

- Freddy SARG, En Alsace, du berceau à la tombe, préface de Dominique LERCH, inspecteur d’Académie de l’Aube, Strasbourg, Éditions Oberlin, 1993.

- Freddy SARG, En Alsace Traditions et Soins aux grandes étapes de la vie, suivi de Points de vue d’un ethnologue chrétien, préface du docteur Georges SCHAFF, Bar-le-Duc, Éditions Oberlin, 1999.

Nous tenons à remercier ici notre ami Dominique Lerch qui nous a suivi dès le début de nos publications et qui nous a souvent guidé dans nos recherches. Il a aussi eu l’amabilité de relire ce texte et d’y apporter des réflexions pertinentes.

RÉSUMÉS

En ce qui concerne les us et coutumes lors des grandes étapes de la vie (naissance, mariage, enterrement), les protestants d’Alsace se sont facilement adaptés aux traditions léguées par les anciens. Néanmoins, ils ont été à l’origine d’innovations marquantes comme indirectement la création de l’École de Sages-femmes de Strasbourg en 1728 par le docteur Jean-Jacques Fried ; première école de sages-femmes au monde à ouvrir ses portes aux médecins et chirurgiens. À noter aussi la militance du pasteur Leblois de l’église protestante du Temple-Neuf à Strasbourg à la fin du XIXe siècle qui aboutit à l’inauguration d’un crématorium dans cette ville. (Freddy Sarg).

Concerning the ceremonies celebrating the basic stages of life (birth, wedding, funeral) the Protestants of Alsace found it easy to adjust to the traditions transmitted by their founding members. Nevertheless they were the source of decisive innovations such as – at least as a side effect – the opening of a midwife training school in 1728 by Dr Jean-Jacques Fried, actually the first one in the world, accessible to doctors and surgeons. Equally noteworthy was the staunch support of Leblois, the minister of the Protestant Temple Neuf in the late 19th century, for the creation of a crematorium in Strasbourg. (trad. Pierre Boulay).

Die Gewohnheiten und Bräuche betreffend (Geburt, Hochzeit, Begräbnis), haben sich die Protestanten des Elsass ohne Weiteres den Traditionen ihrer Vorfahren angepasst. Nichts desto trotz waren sie am Ursprung von bedeutenden Erneuerungen wie, indirekter Weise, der Gründung der Straßburger Hebammen-Schule durch den Doktor Jean-Jacques Fried, die auch die erste Hebammen-Schule sein sollte die ihre Türen für Ärzte und Chirurgen öffnete. Zu erwähnen ist auch noch der Einsatz von Pfarrer Leblois, von der protestantischen Kirche des Temple-Neuf, der Ende des 19. Jahrhunderts zur Einweihung eines Krematoriums in der Stadt führte. (trad. René Siegrist).

AUTEUR

FREDDY SARG Pasteur et docteur en sciences religieuses de l’Université de Strasbourg

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Patrimoine et mémoire protestants Protestant heritage and memory Protestantisches Gedenken und Kulturerbe

Jérôme Ruch

1 Le 500e anniversaire est célébré et la Caravane de la Réforme passe… avec Martin Luther à son volant. L’affiche annonçant le grand événement spirituel et culturel (à Strasbourg du 7 au 9 avril 2017) avait de quoi surprendre certains, de quoi amuser d’autres. Au programme, plus de soixante manifestations étaient proposées, dont des moments partagés autour de concerts, d’expositions, de temps d’échanges ou encore, de temps de rencontres. La « Caravane1 » s’inscrivait ainsi comme l’un des points d’orgue des commémorations du mouvement initié par le jeune moine augustin Martin Luther, et dont nous vivons aujourd’hui encore les développements.

2 Riche de nombreuses sensibilités, le protestantisme est « l’unité dans la diversité », selon Frédéric Horning2. Celles-ci sont tantôt libérales, tantôt plus traditionnelles, plus ou moins axées sur l’action sociale ou sur la liturgie, mais elles ont toutes pour valeur cardinale l’attention portée au prochain et au souvenir. Cette diversité se retrouve dans l’expression d’Yves Bizeul qui rappelle que la mémoire protestante n’est dans son histoire pas automatiquement une « mémoire triomphante3 ».

3 La commémoration est ce dont nous faisons mémoire, ensemble (la « co-mémoration »). C’est un moment de souvenir partagé autour de notre patrimoine, sous toutes ses formes, qui à la fois nous rassemble et nous distingue.

4 Le patrimoine est ce que l’on transmet d’une génération à l’autre, et fait donc appel à la notion d’héritage. On parle dans ce sens de « patrimoine génétique » ou encore de « patrimoine financier ». Il sera par conséquent ici question de ce que le protestantisme réalise et de ce qu’il transmet, matériellement, notamment en termes de bâtiments, et d’aménagements, et immatériellement, par les événements, les commémorations et aussi, par les technologies d’information et de communication. Les paroisses comme les administrations centrales produisent des archives et ont des bibliothèques d’une grande richesse, qui ne seront pas abordées ici. Il sera plus question du patrimoine architectural et des traditions.

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5 Perpétuer le souvenir, garder en mémoire à perpétuité, prendrait-il chez les protestants une résonnance particulière ? Au cours du XIXe et au début du XXe siècle apparaît un renouveau spirituel, accompagné d’un nouvel élan mémoriel, particulièrement marqué en Alsace en raison du poids historique du protestantisme. Il convient donc d’observer les pratiques, anciennes comme actuelles, et de déterminer si une identité se lie au patrimoine et à la mémoire protestants.

6 En conséquence, s’il est question matériellement d’hommes et de lieux dans un patrimoine teinté d’une forte dimension historiciste depuis le XIXe siècle, le patrimoine et la mémoire immatériels ont une place tout aussi importante, et sont commémorés sous diverses formes. Voyons enfin les perspectives. Sont-elles uniquement historiques ? centrées sur la seule communauté protestante ? ou bien portent-elles toujours en elles la dimension évangélisatrice initiale ?

Un patrimoine matériel : les références à la tradition historique

Historicisme et spiritualité au XIXe et au XXe siècles

7 Rappelons-nous qu’à l’époque du regain historiciste dans les arts, le patrimoine protestant n’échappe pas à cette tendance et aux références historiques qui touchent non seulement les vitraux des églises, mais qui gagnent aussi les éléments d’aménagement, et vont parfois jusqu’à guider les choix architecturaux.

8 Aux XIXe et XXe siècles se développe une iconographie spécifique, principalement dans les églises entièrement affectées au culte luthérien, que cela soit à la suite de travaux de restauration, d’agrandissement, ou à la fin d’un simultaneum.

9 L’église Saint-Martin de Westhoffen connaît dans ce contexte une campagne de travaux d’agrandissement (1869-1872) et de l’installation de vitraux supplémentaires. Aux fenêtres des deux nouvelles travées, Martin Luther et Philippe Melanchthon sont représentés4 dans l’esprit de cette fin de XIXe siècle, appuyant ainsi son affectation au culte luthérien.

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Weitbruch, vitraux des fenêtres hautes

Martin Luther affichant les 95 thèses à Wittenberg.

10 À Weitbruch5, en lieu et place de l’ancienne église simultanée, un nouveau lieu de culte sort de terre en 1875, décoré d’un cycle de vitraux dédiés à la Réforme. Dans huit des dix-huit baies que compte le nouveau bâtiment, apparaissent des représentations historiques inhabituelles parmi lesquelles (fig. 1-2) deux scènes représentant Martin Luther. La première nous montre le jeune moine en train d’afficher les thèses de sa dispute universitaire sur la porte de l’église de Wittenberg. Son regard interpelle le spectateur dans l’instant où, marteau en main, il tourne la tête comme appelé par un passant. Nous sommes ici presque dans une scène impressionniste tant l’atmosphère est saisie dans l’instant. Le second thème est bien moins fréquent : celui du débat entre Luther et Zwingli arbitré par Bucer au colloque de Marbourg. Deux facettes de l’histoire du protestantisme naissant qui mettent en avant des valeurs comme la diversité des points de vue et la confrontation des idées.

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Weitbruch, vitraux des fenêtres hautes

Colloque de Marbourg, scène de débat entre Martin Luther et Ulrich Zwingli arbitré par Martin Bucer.

11 Attachons-nous au programme décoratif entièrement repensé de l’église luthérienne Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg, qui représente un cas singulier. Après le départ en 1895 de la paroisse catholique qui occupait le chœur, l’ensemble de l’édifice est affecté à la paroisse protestante. Un vaste projet de restauration (1897-1904), mené sous la direction de l’architecte Karl Schäfer et sous l’égide du pasteur Guillaume Horning6, fait de l’église une œuvre d’art totale. L’espace et le décor intérieurs sont entièrement repensés, les vitraux des fenêtres hautes prennent des accents historiques et politiques en représentant les grandes figures de l’histoire biblique, chrétienne ou non, et les armes des familles patriciennes strasbourgeoises. Ainsi, Saint-Pierre-le-Jeune se présente à la fois comme un temple chrétien et comme l’un des panthéons strasbourgeois avec l’église Saint-Thomas.

12 L’exemple opposé se trouve à Weiterswiller, où la restauration de 19067 a mis au jour des fresques du XVe siècle et un décor de versets bibliques ajoutés lors du passage à la Réforme de cette église. Ces peintures ont été conservées et intégrées aux aménagements existants dans une volonté de valoriser tous les éléments historiques du bâtiment.

13 Certaines églises comportent un décor d’ensemble qui les rattache à la tradition et qui parfois ne manque pas d’originalité. Au début du XXe siècle, le décor de l’église luthérienne d’Allenwiller8 est conçu par le pasteur Charles Michel dans un style néo- roman foisonnant, et influencé par l’art des icônes orientales. Nous trouvons ainsi de nombreux portraits peints des évangélistes et des apôtres Paul et Jean accompagnés de versets bibliques qui habillent les murs, et mènent au plafond de la nef où se trouve un Christ en mandorle, bordé de la confession de foi Christus lebt, Christus regiert, Christus siegt, Christus triumphiert. Hallelujah. A(nno) D(omini) 19089. À cette occasion, sont aussi

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installés des vitraux mettant en scène Martin Luther, Martin Bucer, et le Stettmeister de Strasbourg Jacques Sturm ainsi que, bien plus rare dans une église luthérienne, Jean Calvin. La paroisse d’Allenwiller se réclame ainsi de l’esprit des réformateurs strasbourgeois et de leur esprit de renouveau, car en réunissant les principales sensibilités du protestantisme, elle se rapproche alors de l’esprit novateur d’une des premières villes acquises à la Réforme.

14 Au cours de la même année 1908, la restauration de l’église de Balbronn a été l’occasion d’ajouter un décor peint dans le chœur. Les apôtres Jean, Paul et Pierre, ainsi que Martin Luther, y sont représentés en médaillon dans un style assez classique. Cet ensemble se trouve complété par une chaire en bois sculpté dont l’abat-voix est orné d’un verset tiré de l’évangile selon Luc (11, 28) : « Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui l’observent ». L’ajout de cette chaire particulièrement soignée, et la présence de l’Écriture ainsi mise en valeur, mettent l’accent sur l’importance de la prédication dans la liturgie et la place de l’évangile au quotidien.

15 À l’opposé, le parti-pris architectural de l’église Saint-Paul à Koenigshoffen10 construite en 1912 est très atypique. L’architecte du mouvement Heimatschutz Édouard Schimpf opte pour un répertoire iconographique peint et sculpté centré sur la vie du Christ et les évangélistes, aux côtés d’un programme de huit portraits monumentaux des réformateurs, dont Jacques Sturm et le roi Gustave Adolphe de Suède (fig. 3). Ces portraits anciens sont réalisés dans une facture contemporaine et sont placés au pied de la tribune sur des panneaux mobiles. Leur format et leur situation donnent à ces piliers de la Réforme une présence forte dans l’assistance, au point que l’espace intérieur de l’église semble être placé sous leur regard. Les références historiques et spirituelles contrastent ici avec un art qui se détache du répertoire traditionnel.

Saint-Paul, Koenigshoffen, portrait de Gustave Adolphe de Suède, par Louis-Philippe Kamm

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16 En 1925, pour commémorer le 350e anniversaire de leur adhésion à la Réforme, la ville de Colmar et la paroisse Saint-Matthieu ont ajouté un vitrail en oculus au-dessus de la porte située dans la partie sud du jubé où le pasteur Cellarius de Jebsheim est représenté en chaire lors de son premier prêche, en 1575. Un des intérêts de cette figuration, inspirée de la prédelle du retable de Lucas Cranach dans l’église de Wittenberg11, est que le pasteur y apparaît sous les traits de Luther. Cette mise en scène veut témoigner d’un lien fort aux traditions et à la Réforme, d’autant plus que ce vitrail est réalisé à la manière du XVIe siècle.

17 L’exemple de Baldenheim est tout à fait spécifique dans la cohabitation des styles. La restauration de 1992-1993 a mis au jour des peintures gothiques d’une exceptionnelle qualité qui ont été associées au décor daté de l’affectation de l’église au culte luthérien (fig. 4). En associant des programmes décoratifs d’époques différentes, les restaurateurs s’éloignent de la doctrine de l’unité de style chère à Viollet-le-Duc. Il n’est ici plus question d’atteindre la forme la plus complète ou la plus aboutie du bâtiment, mais d’en présenter l’histoire.

Baldenheim, un décor ancien conservé après l’adaptation de l’église au culte luthérien

18 Une toute autre option a été suivie pour l’église réformée de Mulhouse, où le bâtiment du Moyen Âge a été démoli pour faire place à un édifice conçu par Jean-Baptiste Schacre en 1859 et inspiré du gothique du XIVe siècle. Cette nouvelle construction épouse la forme d’une vaste salle rectangulaire avec tribunes où les seuls rescapés du passé sont les verrières médiévales, les stalles du XVIIe siècle et quelques monuments funéraires. Ceux-ci sont conservés en tant qu’éléments patrimoniaux et intégrés à la nouvelle structure pour former un ensemble où les éléments historiques enrichissent le bâtiment du XIXe siècle.

19 Les éléments de décor sont un signe évident d’appropriation des églises anciennes. Mais peut-on pour autant parler d’une empreinte apposée sur un bâtiment

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nouvellement acquis à la doctrine et aux valeurs de la Réforme, comme pour identifier une sorte de « trophée » ? Pas sûr, car il s’agit pour une part de marquer l’adhésion à la nouvelle confession, sans omettre une dimension historique forte qui accompagne ici la promotion des valeurs du protestantisme.

Patrimoine protestant et mémoire profane

20 À la question « Qu’en est-il dans le domaine de l’architecture profane ? » l’architecte Otto Warth répond en partie avec le Palais universitaire de Strasbourg. L’installation des portraits en pied des réformateurs sur le pavillon d’angle nord-ouest n’est pas neutre historiquement et politiquement12. Luther apparaît en bonne place, en couronnement de la façade principale, une imposante bible à la main, aux côtés notamment de Jean Sturm, alors que Calvin, Zwingli et Mélanchton sont relégués sur la façade latérale. Les personnages marquants de la Réforme sont présentés en veilleurs sur la nouvelle université, en symboles de la réunion des grands esprits de l’histoire. Nul doute qu’ils ont vocation à relier la Kaiser-Wilhelms-Universität à l’université qui était encore au milieu du XVIIIe siècle, « municipale et luthérienne13 », pour mieux inscrire Strasbourg dans la tradition allemande. Toutefois, dans son esprit et son décor, le projet d’Otto Warth marque une certaine indépendance d’esprit de l’Université face à l’autorité impériale14, dont les références censées marquer la vocation « germanisatrice » du bâtiment15 sont alors choisies avec une certaine liberté. Plus universelles que strictement germaniques, nous trouvons notamment parmi celles-ci Calvin, Sturm, Liebig, qui ont des liens forts et connus avec la France. Apparaissent aussi les dates de fondations en chiffres romains sur le corps central du bâtiment qui relient l’université à l’Académie, ou encore la devise écrite en latin plutôt qu’en allemand16.

21 D’autres signaux liés à la mémoire protestante se retrouvent dans la société profane, par exemple en philatélie avec l’édition de timbres commémoratifs17 à l’effigie de Luther et Calvin pour le 375e anniversaire de la Réforme en Sarre (1951), idem pour le 500e anniversaire de l’université de Genève ; un timbre représentant Calvin a été édité en Afrique du Sud pour le 400e anniversaire de son décès, un timbre français l’a été à l’occasion du 500e anniversaire de la naissance de Calvin (en 2009, année Calvin). Ce dernier allie le portrait du réformateur à un extrait d’une de ses lettres sur la question des relations entre père et fils. Une commémoration de ce type n’est pas du seul ressort de la volonté de l’Église, mais engage plusieurs partenaires. Ceux-ci, en souscrivant à ce type d’opération de commémoration, célèbrent-ils un tournant de la société, un événement historique ou un renouveau spirituel ?

Du patrimoine à la spiritualité

22 La philosophie de l’entretien et de la restauration des édifices est aujourd’hui bien éloignée de son acception romantique. Cette dernière était en quête de l’état le plus complet du monument et « restaurer » rimait avec imaginer et récréer18. Les Églises de la Confession d’Augsbourg, qui sont des lieux de culte et de prédication, peuvent-elles exercer leur vocation d’évangélisation tout en assurant la promotion et la conservation de leur patrimoine ? À quelles problématiques les Églises sont-elles confrontées aujourd’hui ? Ces questions sont d’autant plus actuelles que plusieurs projets de restauration et de mise en valeur concernent des édifices affectés au culte luthérien à

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Strasbourg : l’un est achevé, à Sainte-Aurélie, et trois autres sont en devenir selon trois axes différents à Saint-Thomas, Saint-Pierre-le-Vieux, et Saint-Pierre-le-Jeune.

Des projets pour les églises de Strasbourg

23 L’église Sainte-Aurélie, qui date de 1763, a connu une restauration complète de son intérieur conclue par un week-end d’inauguration, du 29 au 31 mai 2015. Tous les aménagements ainsi que les décors, dont les panneaux peints qui ornent la tribune, ont été restaurés, et l’orgue, attesté dès 1604, a été reconstruit par la maison Blumenroeder. Cette église a conservé son plan en Predigtkirche, contrairement aux églises Saint-Pierre-le-Jeune et Saint-Pierre-le-Vieux. Cette disposition, ainsi que son acoustique dépourvue d’écho, en font un endroit particulièrement adapté aux concerts d’orgue et de musique de chambre, pendant ou en marge des célébrations. Ici, la valorisation patrimoniale complète la vocation spirituelle de l’église.

24 L’aménagement intérieur de Saint-Pierre-le-Jeune date d’il y a un peu plus d’un siècle et nécessite aujourd’hui une restauration, ou tout au moins une importante opération d’entretien des peintures murales. Le projet est évalué à huit millions d’euros pour un programme d’intervention de dix ans environ19. Pour rassembler le fonds de concours qui incombe à la paroisse, une souscription en ligne a été ouverte et des manifestations de soutien sont organisées dans l’Église. Mais aujourd’hui, ce projet est à l’arrêt suite au retrait soudain des subventions publiques, ce qui compromet la pérennité du décor et des travaux déjà réalisés.

25 À Saint-Thomas, la situation institutionnelle associe le Chapitre de Saint-Thomas, propriétaire de l’église, la paroisse, qui en est l’affectataire, la Ville de Strasbourg et les services de l’État en ce qui concerne les abords et la politique générale du tourisme. Une réflexion est aujourd’hui engagée sur la gestion du flux de visiteurs (235 000 par an), autant que sur l’accueil spirituel en l’église. Cela implique de valoriser les richesses patrimoniales et culturelles pour les visiteurs en renouvelant l’accueil, tout en mettant la dimension spirituelle au cœur du projet. Tel est un des équilibres à préserver pour la valorisation du patrimoine de la « cathédrale du protestantisme ».

26 La situation patrimoniale de l’église Saint-Pierre-le-Vieux représente une sorte de synthèse des trois exemples présentés ci-dessus. En 1529, lorsque l’église devient luthérienne, les peintures murales sont recouvertes d’un badigeon afin de rendre l’endroit plus conforme à une esthétique très dépouillée. Après 1681, un mur est édifié entre le chœur, rendu au culte catholique, et la nef restée protestante. C’est à cette occasion que la nef fut réorganisée en Predigtkirche avec la construction de la tribune. Enfin, l’espace intérieur est réaménagé en profondeur lors de la création de l’association « La Croisée des chemins » entre 2000 et 2004, pour permettre à cette dernière d’accueillir les familles et groupes de jeunes ; la partition des espaces et l’installation de bancs mobiles dans la nef avaient été pensées pour ces nouvelles fonctions. Lors de la mise en œuvre du projet, les peintures médiévales mises au jour dans l’église n’ont pas été entièrement dégagées et ont été conservées en l’état. Lorsque ce programme d’accueil s’est arrêté en raison de son changement d’orientation, l’église est restée en recherche d’une nouvelle affectation jusqu’au projet actuel qui aboutira en 2017-2018. Cette nouvelle installation associera l’accueil pastoral et l’aspect culturel dans ce lieu à haute valeur historique.

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27 Ainsi, ces projets spécifiques à des stades d’avancement différents, pour des objectifs propres sont en cours de réalisation dans les églises strasbourgeoises. Il s’agit de répondre à la demande touristique, de préserver le patrimoine architectural tout en rendant les églises accessibles dans leur dimension patrimoniale et spirituelle. En somme, de garder la vocation évangélisatrice de ces endroits, sans en faire des musées.

Présenter le patrimoine

Une mémoire muséalisée ?

28 À l’époque révolutionnaire, l’émergence de la notion de monument historique s’accompagne d’un phénomène de « muséalisation » générale du patrimoine national20. Cela revient à le séparer de sa fonction première pour en valoriser la dimension pédagogique, sociale et historique. Mais peut-on réellement parler de « muséalisation » du patrimoine et de la mémoire protestants ?

29 À Strasbourg, Carl Schäfer remanie profondément l’église Saint-Pierre-le-Jeune en mettant en œuvre les usages de son époque21, en optant pour un projet dont l’atmosphère néo-médiévale restituée a été soigneusement scénographiée. Fait-il pour autant de l’intérieur de cette église une sorte de musée ? En partie oui, puisque pour créer cette atmosphère, il a conservé des éléments de l’ancienne église catholique qui sont sans objet dans une église protestante, comme les autels latéraux ou la piscine liturgique. Ainsi, Carl Schäfer agrémente tout l’intérieur de l’église pour restituer l’ambiance du Moyen Âge telle qu’imaginée en cette fin d’époque romantique. Cependant, l’église garde sa fonction liturgique et ces aménagements viennent accompagner l’exercice du culte et la vie spirituelle du lieu.

30 Une autre acception de la muséalisation fait d’une église un lieu de conservation de ce qui entretient la mémoire. Liliane Châtelet-Lange nous signale en ce sens que le dernier monument funéraire installé à Saint-Thomas est celui de Jean-Daniel Schoepflin (1776) puisque le monument dédié à Jérémie-Jacques Oberlin (1811) est un monument du souvenir dépourvu de références funéraires. Ce dernier a pour fonction d’entretenir la mémoire du grand homme. Ce nouveau type de commémoration fut réclamé par le théologien Jean-Laurent Blessig en vue d’agrémenter les espaces publics et les églises pour faire de Saint-Thomas le « temple de la mémoire ».

31 À Waldersbach en revanche, la situation est tout autre, car il s’agit d’un musée créé à partir des collections qui présente les actions et les préceptes du pasteur Oberlin. La rénovation en 2002 du musée associatif ouvert en 1956, propose au visiteur une atmosphère qui n’est pas sans rappeler celle de l’église ou de la salle de classe du village. Au travers de cette démarche de conservation et de la présentation des valeurs d’Oberlin dans un endroit entièrement dédié, c’est bien de la dimension sociale et éducative du protestantisme dont on fait mémoire22 dans un musée à vocation ethnologique.

32 Le musée virtuel du protestantisme23 a été créé en 2003 à l’initiative de la fondation Pasteur-Eugène-Bersier24, avec le concours de la Société d’Histoire du Protestantisme français. Son ambition est autant de faire connaître et d’illustrer les moments-clés de l’histoire du protestantisme que de proposer des ressources documentaires en ligne. Il propose des synthèses historiques sur le protestantisme, un aperçu du patrimoine et de la mémoire affichés comme une identité25. Il est enfin agrémenté de plusieurs espaces,

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consacrés aux notices thématiques, aux différents parcours proposés et aux expositions virtuelles, ainsi que d’une boutique en ligne et d’une médiathèque.

33 La mémoire et le patrimoine, « muséalisés » sous différentes formes, font-ils pour autant dévier les églises de leur vocation évangélique ? Certainement pas, car en présentant leur histoire, ces lieux visités deviennent pour des touristes autant de points d’accès à la spiritualité pour un public qui y est parfois indifférent.

Des personnalités célébrées

34 Dans le patrimoine matériel, les monuments prennent de multiples significations comme le rappel du souvenir, d’événements ou d’hommes. Il peut, sans changer de destination, prendre la forme plus ponctuelle d’une célébration événementielle.

35 L’église Saint-Jean-l’Évangéliste de Wissembourg présente dans son bas-côté nord un buste élevé à la mémoire de Martin Luther, en commémoration du 300e anniversaire de la Réforme (fig. 5). Il convient d’une part, de signaler que ce n’est pas le jeune moine augustin qui est représenté ici, mais l’homme mûr et apaisé dont l’action de réforme est confirmée, et d’autre part, que la dédicace est en langue allemande. En choisissant cette image de Luther, il est fait témoignage, à l’occasion de la célébration du jubilé de 1817, d’une doctrine et d’une identité protestantes apaisées et qui ont trouvé leur place.

Saint-Jean-l’Évangéliste, Wissembourg, buste de Martin Luther

36 Mais revenons à Sainte-Aurélie, où le patrimoine protestant se lie à celui de la ville de Strasbourg par la présence et le rayonnement de Martin Bucer. Son souvenir y est entretenu par une plaque commémorative datée de 1929, bien discrète, placée près de la chaire, et qui rappelle son premier prêche de 152526. En revanche, le monument commémoratif qui lui est érigé à Saint-Thomas a été mis en place par le Chapitre de

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Saint-Thomas en 1891, en commémoration du 400e anniversaire de sa naissance. Sur ce monument d’allure éclectique qui allie le style néo-gothique et le médaillon romantique, le réformateur est présenté sans réelle référence historique.

37 En comparaison avec le patrimoine alsacien, la mémoire protestante en Allemagne et en Suisse montre un patrimoine qui s’intègre dans l’espace public, au cœur de la ville. Ainsi, à Erfurt, c’est un parcours qui relie les lieux marquants du passage de Martin Luther dans la ville. À Worms, c’est le monument dédié à Luther inauguré en 1868 qui est considéré, avec le Monument international de la Réformation, comme le plus important monument dédié à la Réforme. Martin Luther y est entouré des précurseurs européens de la Réforme, des allégories des villes allemandes de la Réforme, et de l’É lecteur Frédéric III de Saxe.

38 À Genève, le Monument international de la Réformation ou Mur des Réformateurs s’intègre à un parcours protestant de dix stations qui commence par le Musée international de la Réforme, et s’achève sur la place du Molard, à l’endroit de la première prédication publique d’Antoine Froment, le 1er janvier 1533. Les réformateurs Guillaume Farel, Jean Calvin, Théodore de Bèze et John Knox y sont représentés en commémoration du 400e anniversaire de la naissance de Jean Calvin et du 350e anniversaire de la fondation de l’Académie de Genève. Ce monument érigé entre 1909 et 1917 associe la Réforme et la renaissance de la Ville en présentant sur le mur la devise de Genève, POST TENEBRAS LUX. À travers ces personnalités marquantes du protestantisme, ce mémorial met à l’honneur le programme tout entier et la diffusion des idées de la Réforme protestante.

39 Ces exemples, parmi de nombreux autres, laissent entrevoir de quelle manière le patrimoine protestant prend place dans la cité et dans son histoire, en reliant sans tabou les moments historiques qui ont donné une orientation nouvelle aux villes. Ceux dont il est fait mémoire sont des personnages-clef, des personnalités dont on veut perpétuer le souvenir par un monument funéraire, révélateur des volontés du défunt ou des usages propres à une époque.

40 À Wittenberg, la tombe de Martin Luther est sobrement installée au pied de la chaire de l’église de la Toussaint, à proximité de celle de Mélanchton. Ce témoignage voulu modeste par le défunt est cependant un élément de poids, non par la valeur du monument, mais par la portée de l’action du défunt et la symbolique de son emplacement.

41 À Saint-Thomas, ce ne sont pas moins de 29 stèles ou monuments protestants qui jalonnent les murs de l’église27. Bien sûr, le plus grandiose d’entre eux est le tombeau du Maréchal Maurice de Saxe, chef-d’œuvre de l’art funéraire pour le chef militaire que Louis XV ne put faire inhumer dans l’abbatiale de Saint-Denis, notamment en raison de sa religion protestante. L’autre monument funéraire est celui de Jean-Daniel Schoepflin, conseiller de Louis XV et historien. Tous les autres monuments sont des stèles commémoratives parmi lesquelles un groupe sculpté remémore Gustave- Guillaume Koch, en face du monument dédié à Schoepflin dont il fut un proche collaborateur. Koch sut en son temps convaincre les autorités civiles révolutionnaires de ne pas mettre les biens de l’Église protestante sous séquestre28. Il mit pour cela en avant ses buts publics (enseignement, actions charitables…). C’est donc ici une action de sauvegarde du patrimoine qui est célébrée. La liste pourrait être complétée par les nombreux universitaires, dont certains étaient chanoines, et dont le Chapitre a voulu garder une trace dans Saint-Thomas « panthéon du protestantisme ». Y sont-ils les

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gardiens de l’identité protestante en étant d’importants contributeurs à la pensée du protestantisme ?

42 Le souvenir des hommes d’Église est bien souvent cultivé en l’église même. Tel est le cas à Saint-Pierre-le-Jeune, qui abrite le cénotaphe du pasteur Frédéric Horning dont l’engagement fut décisif dans le cours de l’histoire de la paroisse ; c’est aussi le cas au Temple Neuf, où se trouve un monument à la mémoire de Jean-Laurent Blessig, qui fut prédicateur de cette paroisse, universitaire de renom et penseur de son époque. Il fut en outre un acteur des grandes célébrations historiques et politiques29, autant qu’un promoteur actif des débuts de la Révolution. Il fut aussi un pivot de la nouvelle organisation de l’Église luthérienne, et c’est ici le grand esprit et l’universitaire dont il est fait mémoire.

43 Mémoire tantôt discrète pour la sépulture de Luther, tantôt grandiloquente pour Maurice de Saxe, les monuments commémoratifs implantés dans les églises marquent la volonté de perpétuer le souvenir des grands hommes liés à la Réforme ou à la doctrine protestante. Si « la tradition du monument commémoratif dans les églises strasbourgeoises s’épuise visiblement à la fin du [XIXe] siècle30 », ce n’est pas le cas des célébrations annuelles ou jubilaires, bien ancrées dans les coutumes.

Un patrimoine immatériel : la commémoration des actions des hommes et des institutions

Festivités commémoratives

44 Il est de tradition de fêter les anniversaires chez les protestants, à commencer par la célébration de la Réformation, inscrite au calendrier liturgique : tous les ans, le 31 octobre, lors de la fête de la Réformation, « la découverte réformatrice et l’opposition à la papauté coïncident, c’est cela la Réformation31 ».

45 Dès 1617, les protestants célèbrent le jubilé de la Réforme née en 1517, selon un principe biblique. Ce premier centenaire fut le moment de l’affermissement de l’identité des luthériens. 1717 fut marqué par une célébration plus discrète face à un catholicisme en reconquête, alors que les célébrations du troisième centenaire, en 1818, furent triomphantes. En 1917, Luther devint un héros fédérateur de la nation allemande. Outre ces jubilés, d’autres manifestations commémoratives ont permis de mettre en avant tel ou tel aspect du protestantisme. Pour ne citer que ceux du XXe siècle, citons la fête de la Réforme de 1953 centrée sur Jacques Sturm, mort en 1553, et la commémoration du quatrième centenaire de la mort de Jean Calvin en 1964. En 1967, intervient le 450e anniversaire de la fête de la Réformation, et en 1980, le 450e anniversaire de la Confession d’Augsbourg a donné lieu dans une centaine de paroisses luthériennes à l’étude d’un livret d’introduction aux grands thèmes de cette confession. Pour le 500e anniversaire de la naissance de Martin Luther (1983), diverses expositions consacrées au Réformateur et à la Réformation se sont tenues à Nuremberg, à Heidelberg et à la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg32. Enfin, le 500e anniversaire du début de la Réforme a été ouvert par le culte inaugural de « Protestants 2017 ». Ce concept regroupe une série d’événements qui s’enchainent partout en France, dont « Protestants en fête » qui aura lieu à Strasbourg du 27 au 29 octobre 201733. Les célébrations de ces grands moments de l’histoire du

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protestantisme ont un caractère plus « mouvant » qui les situe en lisière du patrimoine immatériel.

Un patrimoine immatériel en devenir

46 Les contours du patrimoine immatériel sont bien sûr définis très précisément aujourd’hui par l’UNESCO34. Ici, cette expression fait référence aux usages, aux traditions, et aussi à des événements commémoratifs organisés, qui ne sont pas eux- mêmes matériellement pérennes dans le temps. Ainsi, des élans qui animent les organisateurs d’un concert, il reste le livret, d’une action éducative, il y a les murs de la salle de classe et des élèves enrichis de connaissances, et d’une exposition, il reste le catalogue. Le patrimoine immatériel, qui représente une part notable voire essentielle du patrimoine protestant, trouve son expression dans les valeurs de partage, d’écoute et d’accueil qui sont mises en avant dans les évangiles. Cependant, il peut sortir de ce cadre et prendre place dans l’histoire sociale. Les nombreux exemples décrits par Marc Lienhard et Gustave Koch dans leur ouvrage Présence protestante en Alsace35 illustrent le caractère ethnologique de ce patrimoine immatériel.

47 Nous ne revenons pas sur les expositions déjà évoquées, comme celle montée pour le 500e anniversaire de la naissance de Martin Bucer36 en l’église Saint-Thomas (fig. 6). Toutefois, si cette manifestation fut comme d’autres, certes bien matérielle mais aussi temporaire par essence, elle eut un fort retentissement en présentant la vie et les apports du réformateur strasbourgeois à la doctrine protestante.

Saint-Thomas, Strasbourg, livret de l’exposition Martin Bucer, Strasbourg et l’Europe

48 La randonnée Marie-Dubois part de Courcelles-Chaussy (Moselle) pour rejoindre Ludweiler (Sarre), ville-refuge de tout un groupe de calvinistes lors de la révocation de

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l’édit de Nantes. Cette marche de 37 km prend aujourd’hui une dimension militante pour la paix et la tolérance, en prenant le nom de Marie Dubois qui, refusant d’abjurer, réussit en 1687 à quitter le royaume de France. Ce parcours retrace ces chemins de la liberté et le souvenir de la « foi indomptable » dont elle fit preuve37 en parcourant le trajet qu’empruntaient les protestants de la région messine entre 1685 et 1789 pour pouvoir assister au culte, en Sarre.

49 L’action associative protestante en faveur du patrimoine est une réalité récente, alors que les catholiques lancent la Société d’histoire de l’Église en Alsace dans l’entre-deux- guerres avec l’abbé Joseph Brauner, rien de tel n’existe chez les protestants avant la fin du XXe siècle38. Les associations culturelles liées aux paroisses, comme Arts et cultures au Temple Neuf (fondée 1977), Accord & Fugue à Saint-Thomas (depuis 1993), Saint-É tienne Réunion Mulhouse (à partir de 1987), Clefs des Arts & de Pierre à Saint-Pierre-le- Jeune (fondée en 2011), et bien d’autres encore assurent une valorisation des églises par l’organisation de manifestations culturelles. En effet, le monde associatif protestant est davantage tourné vers des actions sociales et d’éducation, ouvertes à tous, protestants ou non.

50 Les concerts et la culture musicale ont une place importante, notamment à Strasbourg. Deux exemples forts de cette culture sont le concert donné en mémoire de Jean- Sébastien Bach institué par Albert Schweitzer en 190939, et la présentation d’une Passion de Bach par le chœur de Saint-Guillaume le Vendredi-Saint depuis 1895.

51 Le patrimoine immatériel protestant est aussi fondé sur des engagements, notamment dans le domaine de l’éducation et de l’action sociale. Le Chapitre de Saint-Thomas, en tant qu’administrateur des fondations œuvre notamment en faveur du Gymnase Jean- Sturm (dont les locaux font, eux, bel et bien partie du patrimoine matériel), assurant la continuité de la tradition d’éducation du protestantisme. Plusieurs associations à vocation sociale ont été fondées au XXe siècle. L’association l’Étage40 en fait partie. Mise sur pieds par le pasteur Jean-Michel Hitter, elle est ouverte depuis 1980 aux jeunes en situation difficile, quels que soient leurs profils et leurs origines. La SEMIS41, le Centre social protestant, l’association européenne des Missions urbaines ou encore l’établissement des Diaconesses, créé par le pasteur Henri Haerter, et de nombreuses autres structures encore, ont une place active dans le patrimoine protestant dont fait partie l’action sociale.

52 La déchristianisation et la perte des repères religieux, même quand ils sont strictement culturels, sont aujourd’hui une réalité. Il est plus que jamais nécessaire pour simplement rendre ce patrimoine compréhensible, de continuer cet important travail de témoignage des notions fondamentales du protestantisme.

Vers un patrimoine 2.0 ?

53 Le patrimoine protestant n’échappe pas au « 2.0 », aux réalités dématérialisées et aux applications avancées de l’internet et plus globalement, aux nouvelles technologies. Ces moyens de communication et l’utilisation de portails thématiques collaboratifs en ligne sont tout naturellement un vecteur de valorisation du patrimoine et de la mémoire protestants. Les exemples du site internet « regardsprotestants.org », comme « Wiki- protestants.org42 » ont été mis en place par la fondation Pasteur-Eugène-Bersier. Le premier est un site généraliste d’information consacré aux médias protestants qui propose un tour d’horizon de l’actualité et des questions spécifiquement protestantes

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ou chrétiennes dans tous les domaines. Wiki-protestants invite à mieux connaître le protestantisme et sa culture sous la forme d’une encyclopédie collaborative, sans cesse complétée et affinée. Une expression du protestantisme et de « l’Église 2.0 ».

54 L’église Saint-Pierre-le-Vieux réalise aujourd’hui son passage à « l’Église 2.0 ». Cette « mise à jour » va redéfinir sa posture spirituelle en plus de réhabiliter ce site de choix43 resté quasiment en friche depuis le départ de « La Croisée des chemins ». Le projet, ambitieux et porteur de sens, ne comprend pourtant pas de lourds travaux. Il sera réalisé en 2017‑2018 et prévoit une nouvelle distribution de l’espace qui doit permettre un renouveau du lieu. L’aménagement et l’utilisation de la technique du « mapping vidéo44 » seront centrés sur la tradition protestante de l’accueil, l’écoute, la culture, et de la formation, tout en préservant l’aspect spirituel. Ce projet veut être un terreau pour (ré)inventer une manière d’être en l’église, dans un fonctionnement dynamique d’échanges. Une étude complète et approfondie reste à mener sur ce monument, son patrimoine et son devenir.

Conclusion

55 Le protestantisme alsacien continue de profiter des travaux des grands historiens que sont Henri Strohl, l’archiviste Jean Rott ou encore le professeur Marc Lienhard. Cette connaissance s’appuie sur des archives riches et diverses. À la question « y a-t-il une mémoire, un patrimoine protestant ? » la réponse s’impose si l’on considère les témoignages et les traditions qui sont parvenus jusqu’à notre époque.

56 Il reste néanmoins à se questionner sur la place accordée aux objets, tant dans les églises que pour leur valeur mémorielle. Point d’objets liturgiques liés à la clandestinité comme c’est le cas du reste de la France. Hors de l’Alsace, les « bibles de chignon », chaires amovibles et autres coupes de communion démontables témoignent du statut des protestants de France et des assemblées clandestines. Le lien entre patrimoine et identité bien qu’évident reste néanmoins à préciser.

57 Il est à remarquer enfin que les piliers du protestantisme alsacien comme Oberlin et Schweitzer restent pour le moment sans monument commémoratif particulier à Strasbourg45. Cette situation, au travers de leur histoire et jusqu’à aujourd’hui, témoigne à sa manière d’une mémoire protestante qui se fait discrète dans l’espace public autant qu’elle est liée à l’histoire de la ville46.

NOTES

1. . La Caravane de la Réforme, partie de Genève le 3 novembre 2016 pour rallier Wittenberg le 20 mai 2017, est un camion-médiathèque qui a fait escale dans 68 villes. À Strasbourg du 7 au 9 avril 2017, de nombreuses activités étaient proposées, comme des célébrations, rencontres, concerts, et un banquet médiéval. La Caravane a rempli ainsi la double mission de présenter l’histoire de la Réforme et de recueillir les témoignages des protestants d’aujourd’hui, tout en mettant à l’honneur les réformateurs de chaque ville-étape. L’initiative de cet événement revient

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à la Communion des Églises protestantes en Europe, l’Evangelische Kirche in Deutschland et la Fédération des Églises protestantes suisses, l’itinéraire européen de la Réforme. http:// www.uepal-protestants2017.fr/index.php/itineraire-europeen-de-la-reforme/ [consulté le 3 août 2017]. 2. . Le pasteur Frédéric Horning (1809-1882) fut l’un des acteurs du « réveil luthérien » en Alsace. 3. . Yves BIZEUL, Le Huguenot résistant et Luther, le colosse aux pieds d’argile. Deux figures emblématiques pour la construction des identités protestantes en France et en Allemagne, in Bernard COTTRET et Lauric HENNETON, Du bon usage des commémorations, histoire, société et identité, XVIe-XXIe siècle, Rennes, PUR, 2010, p. 55-68, ici p. 56. 4. . Dominique TOURSEL-HARSTER, Jean-Pierre BECK, Guy BRONNER, Dictionnaire des monuments historiques d’Alsace, Strasbourg, La Nuée-Bleue, 1995, p. 621-622. 5. . Voir aussi dans Jean-Pierre SIEFER, « Les vitraux de l’église protestante de Weitbruch », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Brumath et environs, no35, 2007, p. 15‑28. 6. . Le pasteur Paul Guillaume Horning (1843-1927) est le fils du pasteur Frédéric Horning. 7. . Dominique TOURSEL-HARSTER, Jean-Pierre BECK, Guy BRONNER, Dictionnaire des monuments historiques d’Alsace, op. cit., p. 620. 8. . Antoine PFEIFFER, dir., Protestants d’Alsace et de Moselle, op. cit., p. 132. 9. . « Christ est vivant, Christ règne, Christ est vainqueur, Christ triomphe, Alléluia. Année du Seigneur 1908. » 10. . Voir Jean HAUBENESTEL, dir., L’église Saint-Paul, Strasbourg-Koenigshoffen, Strasbourg, Éditions du Signe, 2014. Voir aussi Éric CHENDEROWSKY, Édouard Schimpf à Strasbourg, architecte d’une ville en renouveau, Strasbourg, Ville de Strasbourg, 2010. 11. . Antoine PFEIFFER, dir., Protestants d’Alsace et de Moselle, op. cit., p. 204. 12. . Voir à ce propos dans Marie-Noële DENIS, « Les statues de l’université impériale de Strasbourg et la pédagogie du pangermanisme », Revue des Sciences Sociales, no34, 2005, p. 88. 13. . Bernard V OGLER, « L’université de Strasbourg au milieu du XVIIIe siècle », in Strasbourg, Schoepflin et l’Europe, actes du colloque organisé avec l’Université des sciences humaines de Strasbourg (Strasbourg, 15-17 septembre 1994), Strasbourg, Bouvier 1996, p. 10‑16. 14. . François LOYER, « Le palais universitaire de Strasbourg : culture et politique au XIXe siècle en Alsace », Revue de l’art, no 91, 1991, p. 9‑25. 15. . Ibid., p. 16. 16. . Voir le développement dans Marie-Noële DENIS, « Les statues de l’université impériale de Strasbourg et la pédagogie du pangermanisme », art. cit., p. 88. 17. . Musée virtuel du protestantisme, http://www.museeprotestant.org/notice/calvin-timbres- commemoratifs/ [consulté le 19 juillet 2017]. 18. . L’entretien des monuments et du patrimoine en général participe à l’entretien du souvenir, mais au milieu du XIXe siècle, la vision des choses est un peu différente. Dans son dictionnaire de l’architecture médiévale, Eugène Viollet-le-Duc donne à la notion de restauration un sens plus large et surtout, plus libre : « le mot et la chose sont modernes. Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer, le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné ». Dans Eugène VIOLLET-LE-DUC, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, Bance et Morel, 1854-1868, t. 8, p. 14. 19. . L’opération est placée sous la direction de l’architecte en chef des monuments historiques Pierre-Yves Caillaut accompagné de Matei Lazarescu, restaurateur de peintures murales, associé à la maîtrise d’œuvre dans le suivi technique du chantier. www.saintpierrelejeune.org/Nous- restaurons-l-eglise_a490.html [consulté le 19 juillet 2017]. 20. . Roland RECHT, Penser le patrimoine, Paris, Hazan, 1998, p. 82. 21. . La conception romantique de la fin du XIX e siècle aime à recréer des atmosphères, ici médiévale, parfois sans fondement archéologique ou historique. On retrouve cela dans la notion

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de « pittoresque » de l’architecte autrichien Camillo Sitte et dans la théorie de la Stimmung ou de l’« atmosphère restituée » de son confrère et compatriote Aloïs Riegl. 22. . À ce titre, signalons la tenue au musée Oberlin, du XXIe colloque des musées protestants de France, du 27 avril au 1er mai 2006, et sur l’histoire et l’action du pasteur Oberlin, l’ouvrage de Loïc CHALMEL, Oberlin, le pasteur des Lumières, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2006. 23. . www.museeprotestant.org [consulté le 19 juillet 2017]. 24. . www.fondationbersier.fr/ [consulté le 19 juillet 2017]. En plus du Musée du protestantisme, la fondation Pasteur-Eugène-Bersier est à l’origine de Regards protestants, de son cercle de réflexion Forum¸ et de Macromedia, dédiée à la production audiovisuelle. 25. . Association qui met à la disposition de la Fédération protestante de France et des Œuvres et des Mouvements qui en sont membres, des locaux parisiens. 26. . Il prend ses fonctions de pasteur à Saint-Thomas le 9 avril 1529. 27. . Citons dans ce domaine l’article de Liliane CHÂTELET-LANGE, « Saint-Thomas, temple de la mémoire », art. cit. 28. . Voir notamment Heintz SPROLL, „Christoph Wilhelm Koch (1737-1813) : Jurist und Historiker an der Sraßburger Universität und am Theologischen Seminar“, in Strasbourg, Schoepflin et l’Europe, actes du colloque organisé avec l’Université des sciences humaines de Strasbourg (Strasbourg, 15-17 septembre 1994), Strasbourg, Bouvier 1996, p. 83‑109. 29. . Comme celle de la translation de la dépouille du Maréchal de Saxe à Saint-Thomas, le 20 août 1777, dont il prononça l’éloge funèbre, ou celle du rattachement de Strasbourg à la France. 30. . Liliane CHÂTELET-LANGE, « Saint-Thomas, temple de la mémoire », art. cit., p. 199. 31. . Marc LIENHARD, Luther, ses sources, sa pensée, sa place dans l’histoire, Genève, Labor et Fides, 2016, p. 49. 32. . « Luther et la France », novembre 1983. 33. . Informations disponibles sur http://www.protestants2017.org/une-annee-devenements/#/ cards?_k=bg42uf [consulté le 19 juillet 2017]. 34. . Le patrimoine immatériel tel que défini par l’UNESCO concerne notamment « les traditions ou les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants », au travers des traditions ethnologiques, artisanales, et des arts vivants. https://ich.unesco.org/fr/qu-est- ce-que-le-patrimoine-culturel-immateriel-00003 [consulté le 24 juillet 2017]. 35. . Marc LIENHARD, Foi et vie des protestants d’Alsace, Strasbourg, Oberlin, 1981 (vol. 1) et Gustave KOCH et Marc LIENHARD, Les protestants d’Alsace : du vécu au visible, Strasbourg, Oberlin, 1985 (vol. 2). 36. . À Strasbourg du 13 juillet au 19 octobre 1991, en l’église Saint-Thomas. 37. . Jean VOLFF, La législation des cultes protestants en Alsace et Moselle, Oberlin, 1993, p. 19. 38. . La Société académique du Rhin fut quant à elle fondée en 1799. Jean-Michel BOEHLER, « 1799 : Société académique du Bas-Rhin », Revue d’Alsace, no135, 2009. 39. . Ce concert est aujourd’hui intégré au programme annuel de l’association Accord & Fugue à Saint-Thomas tous les 28 juillet et constitue un temps fort de sa saison culturelle. La tradition veut qu’il n’y ait pas d’applaudissements lorsque le concert se termine, à l’heure du décès constaté du Kantor de Leipzig. 40. . Les archives de l’Étage sont conservées aux Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg dans la sous-série 247 Z. 41. . La Mission intérieure des Églises Protestantes. 42. . www.regardsprotestants.com [consulté le 19 juillet 2017]. Un portail de l’actualité « vue par les médias protestants », qui trouve son origine dans la fondation Bersier. 43. . Un bâtiment de grande valeur patrimoniale situé au cœur de la ville sur un axe de circulation emprunté par 60 000 à 70 000 personnes par jour.

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44. . Cette technique consiste dans la projection d’images et de textes sur les murs intérieurs de l’édifice, tout en mettant en valeur les éléments architecturaux d’origine, pour créer une ambiance ou accompagner une manifestation. 45. . Il existe néanmoins une rue Oberlin et une place Albert Schweitzer à Strasbourg. 46. . Mes remerciements vont à ceux qui ont rendu ce travail possible en acceptant d’en être les relecteurs et correcteurs, en transmettant des informations sur l’histoire et les projets de leurs églises. Merci aux pasteurs et relecteurs (parfois les deux à la fois) Philippe Eber, Christian Greiner, Jacques Parmentier, Yves Parrend, Madeleine et Étienne Rebert, Jean-Pierre Siefert, Arnaud Stotz.

RÉSUMÉS

De nombreux témoignages de l’histoire protestante sont parvenus jusqu’à nous sous de multiples formes, et la question d’un patrimoine et d’une mémoire spécifiquement protestants peut légitimement se poser. Les églises restaurées au XIXe siècle dans le style historiciste de leur époque, présentent un décor spécifiquement protestant, témoin de son histoire et de ses valeurs. Rapidement, ces références ont aussi été utilisées dans le monde profane avec parfois un arrière- plan politique. Aujourd’hui, quel patrimoine et quelle mémoire les Églises protestantes transmettent-elles ? Quels sont les choix suivis pour leur valorisation ? Ont-elles seulement les moyens d’entretenir ce riche patrimoine ? Si les églises n’ont aucune vocation à devenir des musées, la « muséalisation » de la mémoire protestante est aujourd’hui une réalité qui permet de présenter et de transmettre le souvenir de ses fondateurs et des personnalités qui ont marqué son histoire dans les meilleures conditions et avec les meilleurs effets. Des musées certes, mais notre époque porte en elle tout autant le patrimoine et la mémoire immatériels. En témoigne l’utilisation de la réalité virtuelle qui se marie à la réalité matérielle dans le projet d’une Église protestante en devenir. (Jérôme Ruch).

Thanks to numerous varied instances of Protestant history still available the question of a specifically Protestant heritage and memory is a legitimate one. In those of the churches restored in the 19th century Zeitgeist a typically Protestant approach has emerged as a token of their history and values, also extending to profane architecture with possible political overtones. Which heritage and memory are Protestant churches transmitting nowadays? Can churches at least afford to preserve this rich cultural heritage? If churches are not meant to be turned into museums, the “mummifying” of the Protestant memory has become a reality making it possible to adequately transmit the messages of their founding fathers and of personalities that have marked their history. Museums? no doubt, but the present trend of intangible cultural heritage and memory is now well rooted, as can be found in the combination of both virtual and tangible reality in a future restoration plan of a Protestant church. (trad. Pierre Boulay).

Es sind uns sehr viele Zeugnisse protestantischer Geschichte, in unterschiedlicher Gestalt, erhalten geblieben, und deshalb ist es durchaus berechtigt sich mit einem spezifisch protestantischen Bewusstsein und Kulturerbe zu beschäftigen.

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In den Kirchen, die im 19. Jahrhundert in dem historistischen Stil der Epoche restauriert wurden, hat sich eine spezifische Ausstattung entwickelt, die Zeuge protestantischer Werte und Geschichte ist. Sehr rasch fanden diese Bezüge in der profanen Welt ihre Anwendung, nicht selten vor einem politischen Hintergrund. Welches Kulturerbe und welches Bewusstsein vermitteln protestantische Kirchen heutzutage? Welche Entschlüsse werden zu ihrer Aufwertung getroffen? Verfügen sie über die nötigen Mittel, um dieses reiche Kulturerbe zu bewahren? Auch wenn die protestantischen Kirchen nicht dazu berufen sind zu Museen zu werden, so ist doch eine „Musealisierung“ des protestantischen Gedenken zu einer Wirklichkeit geworden, die es ermöglicht das Andenken an die Gründer und die Persönlichkeiten, die seine Geschichte gestaltet haben, darzustellen und weiterzugeben unter den besten Bedingungen und der besten Wirkung. Museen gewiss, aber fest verankert in unserer Zeit, die das Kulturerbe und das immaterielle Gedenken hervorhebt. Bezeugt wird dies durch die Verwendung von virtueller Realität in Verbindung mit materieller Realität, in einem Vorhaben einer protestantischen Kirche, die sich in ständigem Wandel befindet. (trad. Jérôme Ruch).

AUTEUR

JÉRÔME RUCH Secrétaire du conseil presbytéral de Saint-Thomas

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« Nun Danket Alle Gott » : Médailles et Réforme protestante “Nun danket alle Gott”: about medals and the Protestant Reformation „Nun Danket Alle Gott”: Münzen und Reformation

Paul Greissler

Dans l’univers catholique, l’usage de médailles comme support de prière, voire comme objet protecteur est une tradition ancienne, souvent encore en usage de nos jours1, qui a priori n’entre pas dans les objectifs de la Réforme. Certains, comme Calvin2, rejetant les images, voyaient là au mieux une superstition, au pire une idolâtrie. Pourtant, nous allons voir que les protestants n’ont pas hésité à utiliser largement ce support. Des frappes en rapport avec la Réforme ont été faites très tôt en Allemagne et notamment en Saxe ernestine3. Il s’agit de frappes commémoratives à des fin de propagande, pour diffuser des slogans politiques ou religieux. Plus précisément, en Alsace, il faudra attendre la fin du XVIe siècle pour voir apparaître les premières émissions. La région, rattachée à l’espace rhénan, où l’imprimerie s’est développée très rapidement, a été un foyer important de l’humanisme et de la Réforme. Les idées de Luther mais aussi celles de Calvin – qui fut présent à Strasbourg – y ont été largement débattues. On y compte également nombre de réformateurs de première importance qui ont marqué leur temps. Il y aurait eu donc là de quoi inspirer des graveurs. À travers un choix limité mais représentatif d’objets, nous allons voir comment la Réforme en Alsace a pu être évoquée par les médailles. Divers événements et divers personnages permettent de voir quelles images ont été véhiculées et dans quel esprit.

Guerre des évêques

C’est à Strasbourg, ville luthérienne, que l’on peut trouver le plus d’émissions. Il faut dire que très tôt, la bourgeoisie, toujours en délicatesse avec son évêque, a pu voir dans le passage à la Réforme un moyen de s’affranchir totalement. Après avoir évincé le seigneur, elle se libère du représentant de l’Église romaine et veut le proclamer.

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Strasbourg, thaler (1592)

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En 1592, un curieux thaler est frappé à Strasbourg sur flan carré (Klippe)4. Anépigraphe, il porte trois écus, la date et la valeur, soit 80 Kreutzer (EL 447). On est en droit de se demander pourquoi la Ville, qui jusqu’alors avait produit des émissions de qualité, se met à frapper une monnaie aussi fruste pour laquelle on n’a même pas pris la peine de fabriquer un flan rond. À cette date commence la « Guerre des évêques5 », sorte de « petite guerre de religion » entre deux candidats, l’un catholique, l’autre luthérien. En effet, la mort brutale de l’évêque de Strasbourg, Jean de Manderscheid, met deux chapitres en concurrence. Les chanoines protestants réunis à Strasbourg élisent Jean-Georges de Brandenbourg, les catholiques, installés à Saverne désignent Charles de Lorraine, évêque de Metz. Pour les deux camps, il ne s’agit rien de moins que de mettre la main sur les biens de l’évêché. Espérant sans doute obtenir quelques avantages territoriaux, la Ville de Strasbourg prend fait et cause pour le protestant. Dans les chroniques nous trouvons quelques explications sur l’origine de la monnaie en rapport avec ces événements : [La Guerre des évêques] ne dura que huit mois mais elle coûta à la Ville plus de trois millions de florins. Toutes les caisses, privées et publiques, étaient vides et les bourgeois durent livrer leur argent et toute leur vaisselle d’argent6. [En raison des frais de guerre] il y eut une pénurie d’argent. C’est pourquoi on fit savoir que ceux des bourgeois qui voulaient placer des biens à 5% auprès de la Commune, que ce soit de la vaisselle d’or ou d’argent, pouvaient les apporter au Trésor de la Ville (Pfennigturm). On prenait l’argent doré à 10 Schilling le Loth et l’argent à 7,5. Là-dessus, les bourgeois livrèrent plusieurs milliers de florins. En hâte, on a converti cet argent en thalers carrés (ou Klippe), demi et quart de thalers évalués à 20, 10 et 5 batz. On y fit figurer, en haut, l’écu de l’évêque et, en dessous, ceux du chapitre et de la Ville7. Après quelques succès initiaux, Strasbourg dût faire face aux troupes lorraines qui dévastèrent ses bailliages ruraux. Elle fit alors appel à un chef de guerre, Christian de Anhalt, ce qui acheva de la ruiner. Afin de pouvoir payer la solde des mercenaires suisses, comme on a pu le lire dans la chronique, des monnaies de nécessité furent frappées sur des morceaux de vaisselle d’argent grossièrement laminés, taillés en carrés (Klippe). La valeur proposée par le chroniqueur en batz correspond exactement à celle qui figurait sur les pièces. Sachant qu’un batz de compte valait quatre Kreutzer, on

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retrouve ce qui figure sur les émissions : 80 Kreutzer pour les thalers, 40 pour les demis et 20 pour les quarts. Il reste une curieuse inscription au revers, sur la face vierge du thaler. Elle se lit : 1629 / GOT. / ALLEIN. /GEBIRT. / DIE. / ER (À Dieu seul la gloire = soli Deo gloria). Il s’agit d’une initiative privée de facture artisanale dont l’orthographe très approximative semble trahir une personne peu éduquée. On peut y voir l’écho d’événements qui se sont passés à l’époque. En effet, au cours de la guerre de Trente Ans, en janvier 1629, deux émissaires de Ferdinand II arrivent à Strasbourg pour demander la restitution des églises, des couvents et des biens ecclésiastiques sécularisés lors de l’adoption de la Réforme. En préliminaire, ils demandent – et probablement pas pour solde de tout compte – le retour de la cathédrale, de Saint-Pierre-le-Vieux et de Saint-Pierre-le-Jeune au culte catholique. Face au rapport de force, le Magistrat aurait été sur le point de céder si une forte résistance populaire, soutenue par le clergé protestant, ne s’était pas manifestée8. La situation devint plus grave, le 6 mars de la même année, quand l’empereur promulgua l’édit de restitution : tous les biens de l’Église catholique tombés dans les mains des protestants après 1555 devaient être rendus. Après avoir vaincu Christian IV de Danemark, allié des princes protestants allemands, il était en position de force pour formuler une telle exigence. Le Magistrat de Strasbourg poursuivit les négociations en tergiversant et en espérant un retournement de situation ou de nouvelles alliances. Il est donc fort probable que ce graffiti soit l’œuvre d’un bourgeois, peut-être un artisan, exprimant ici ses convictions protestantes et son refus d’accepter les exigences de l’empereur. Le fait d’avoir choisi ce thaler faisant référence à la Guerre des évêques n’est certainement pas le fruit du hasard.

Anniversaires de la Réforme

La commémoration de la Réforme est l’occasion de frappes intéressantes illustrant le sujet et diffusant la doctrine. Le mot d’ordre récurant est POST TENEBRAS LUX (Après les ténèbres, la lumière). Plus que l’évocation de Job 17,12 avancée traditionnellement, on peut voir ici une interprétation du verset 21 du premier chapitre de l’épître de Paul aux Romains, que l’on utilise particulièrement contre l’Église romaine : « Ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces ; mais ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres9 ». Un tel slogan est à la fois une condamnation du catholicisme et une glorification de l’œuvre des réformateurs.

Thaler commémoratif de 1617

Strasbourg, ville luthérienne, adhère totalement à ce schéma de pensée anticatholique. Plusieurs frappes en témoignent et, en premier lieu, une pièce déclinée en sextuple, double, simple et demi-thaler10 : Avers : Légende en deux cercles concentriques encadrant le blason allemand de la Ville de Strasbourg, OMNIS TERRA ADORET ET PSALLAT EI (Toute la terre l’adore et chante ses louanges) LVX POST TENEBRAS MDXVII (La lumière après les ténèbres, 1517).

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Revers : sur onze lignes, PRO / RELIGIONIS / CENTVM ANTE ANNOS DIVINITVS RESTITVTÆ MEMO / RIA NOVIQVE SECV / LI FELICI AVSPICIO / S. P. Q. ARGENTOR. / F. F. A. MDCXVII / CAL. NOVEMB. (Le Conseil et le peuple de Strasbourg [ont fait frapper cette médaille] le jour des calendes de novembre 1617 [31 octobre] en souvenir du centenaire de la restauration de la Religion par la Grâce divine, et de l’heureux commencement du siècle nouveau).

Strasbourg, thaler commémoratif (1617)

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La Réforme est présentée comme une restauration de la vraie religion et le commencement d’une nouvelle ère (le siècle nouveau). Paraphrasant le texte de la Vulgate, la légende de l’avers est inspirée du psaume 66 (65) : « Poussez vers Dieu des cris de joie, vous tous habitants de la terre ! Chantez la gloire de son nom, célébrez sa gloire par vos louanges11 ! » Une telle proclamation est l’affirmation du destin planétaire de la Réforme déjà solidement implantée en Europe.

Médaille commémorative de 1617

Une autre médaille intéressante a été émise en grande quantité pour l’occasion. Plus simple dans sa conception, sur flan rond ou carré (Klippe), on la trouve avec des variantes en or et en argent12 : Avers : sur quatre lignes POST / TENEBRAS / LUX / 1517 (Après les ténèbres, la lumière, 1517). Revers : sur cinq lignes IV / BILAEVM/ ARGENTORA / TENSIS / 1617 (Jubilée de Strasbourg, 1617).

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Médaille commémorative de 1617

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Ce type, assez fruste dans sa conception, sans la moindre représentation, semble n’avoir pour but que de diffuser le slogan. Un certain nombre d’exemplaires paraissent avoir été frappés sur une base monétaire (1/16e de thaler).

Médailles commémoratives de 1817

En 1717, sous la tutelle d’un pouvoir royal qui vise à réinstaurer le catholicisme, il n’est pas question d’envisager la célébration de la Réforme autrement dans le strict espace des lieux de culte. En 1817, les temps ont changé, une certaine liberté a été accordée ; deux médailles ont été frappées. La première, la plus courante est la reprise à l’identique, mais de gravure plus soignée, du Klippe de 1617 avec, au revers, la date de 181713. La seconde, plus rare, associe Luther et Melanchthon14. Avers : D.MARTIN LUTHER.P.MELANCHTHON. (Docteur Martin Luther, Philipp Melanchthon), bustes accolés de Luther et de Melanchthon à droite. Cet avers est, en fait, la copie d’une médaille du graveur nurembergeois Daniel Sigmund Dockler15, frappée en 1730 à l’occasion deuxième centenaire de la Confession d’Augsbourg16. Revers : DAS WORT GOTTES BLEIBET E. (La parole de Dieu demeure éternellement), en exergue 1817, représentation de la cathédrale de Strasbourg. Le revers, résolument strasbourgeois, s’écarte du modèle qui représentait un Christ de gloire assis sur un nuage avec la devise : WER MICH BEKENNET DEN WILL ICH AVCH BEKENNEN (Celui qui me reconnaît, je le reconnaîtrais aussi17).

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Médaille commémorative de 1817

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Il faut donc attendre le XIXe siècle pour que le portrait de Luther apparaisse sur cette médaille strasbourgeoise de piètre facture, à l’occasion du troisième centenaire de la Réforme. La tradition protestante n’accorde pas aux réformateurs une dévotion particulière à l’instar des saints catholiques. Leur représentation sous forme d’images, de sculptures ou de médailles n’a d’autre valeur que commémorative. Dans le cas présent, on peut s’étonner de voir associer Melanchthon à Luther pour l’anniversaire de 1517. Cette date, on le sait, marque le début officiel de la Réforme : le 31 octobre de cette année, Luther, seul, aurait affiché ses 95 thèses sur la porte de l’église de Wittenberg. À n’en pas douter, il s’agit ici d’une sorte de raccourci associant les thèses de Luther à la Confession d’Augsbourg rédigée, treize ans plus tard, par Melanchthon. Il est donc parfaitement légitime, dans l’esprit des médailleurs et de leurs commanditaires, de réunir ces deux pères de la Réforme. Un autre sujet d’interrogation est, sur cette médaille, la représentation de la cathédrale de Strasbourg. Depuis 1681, en effet, elle a été rendue au culte catholique18. Il apparaît que, du côté des luthériens strasbourgeois, l’on n’ait pas accepté de devoir rendre ce lieu de culte emblématique de la ville. S’il est représenté sur cette médaille, c’est bien pour affirmer que l’on commémore non seulement l’anniversaire de la Réforme mais aussi celui de l’adoption de la Réforme à Strasbourg en 1529.

Centième anniversaire de la paix d’Augsbourg

La Réforme est également – et, à certains égards, sans doute principalement – une affaire politique. En prenant le parti des réformateurs, par conviction ou par opportunisme, des princes se sont, de fait, affranchis de la tutelle impériale. L’obstination de Charles Quint pour forcer le retour de l’Empire au catholicisme débouche sur un conflit armé. En dépit de succès militaires, constatant son échec, l’empereur, à la veille de son abdication, laisse à son frère Ferdinand le soin de trouver un compromis. Ce sera la paix d’Augsbourg, signée le 20 septembre 155519. Elle entérine le statu quo : les princes, les seigneurs et les Villes pourront rester protestants et

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pourront imposer leur religion à leurs sujets. Une médaille carrée (Klippe)20 frappée à Strasbourg en 1655 commémore l’événement. Avers : dans un cadre avec l’inscription RELIGIONS – FRIEDENS – GEDECHT – NVS 1655 (En souvenir de la paix religieuse de 1555), sur trois lignes Nun / dancket / alle Gott:/ Syr. 50.42 surmontant l’écu de Strasbourg. Revers : dans un cadre avec l’inscription IHS STVND / AVFF VND BE / DRAVVETE / DEN WINDT (Jésus se leva et menaça le vent), une lanterne allumée, cernée par les vents, est posée sur la Bible par une main venue du ciel. En dessous, MATT 8.26.

Médaille commémorative (1655)

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La référence du revers, faisant allusion à la tempête apaisée (Matthieu 8), est claire : « Il leur dit : Pourquoi avez-vous peur, gens de peu de foi ? Alors il se leva, menaça les vents et la mer, et il y eut un grand calme21 ». La métaphore est évidente ; on comprend aisément que, sur intervention divine, la paix est revenue comme le calme a suivi la tourmente. Le revers est plus difficile à comprendre : le livre de Sirach, au 50e chapitre, dans la version de Luther, n’a que 31 versets. Il s’agit manifestement d’une erreur du graveur qui a inversé le 2 et le 4 en écrivant 42 au lieu de 24. Le verset peut être lu : « Et maintenant rendez tous grâce à Dieu qui a fait de grandes choses par toute la terre, qui nous a préservé depuis le sein maternel et qui nous a donné ce qu’il y a de meilleur22 ». Il est intéressant de voir l’interprétation toute luthérienne de l’événement. Tout d’abord l’image de la lampe allumée posée sur l’Écriture va bien au-delà de la simple illustration de l’épisode de la tempête apaisée. Elle affirme la primauté de la Parole transmise par la Bible qui est elle-même inspirée de Dieu. On retrouve ainsi la doctrine du sola scriptura de Luther. Cette profession de foi est précédée d’une action de grâce pour remercier le Seigneur d’avoir protégé son peuple, c’est-à-dire les États protestants. Il est possible qu’il s’agisse également d’un renvoi à un cantique composé en 1647 par Charles Crüger sur un texte de Martin Rinckart : le très célèbre Nun danket alle Gott promis à un grand avenir.

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Quelques figures autour de la Réforme

Jean Hus, le pré-réformateur

On désigne sous le nom de Husthaler une médaille, traditionnellement attribuée aux graveurs Ludwig Neufarer et Hieronymus Magdeburger, frappée vers 153723. Avers : dans un double cercle CREDO.UNAM.ESSE.ECCLESIAM.SANCTAM.CATHOLICAM (Je crois en l’Église universelle), buste de Hus coiffé, dans le champ : IOĀ / HVS (Jean Hus). Revers : dans un double cercle CENTVM.REVOLVTIS.ANNIS.DEO.RESPONDEBITIS.ET.MIHI (Cent années plus tard, Dieu et moi, nous vous donnerons une réponse), marque du graveur : croix surmontant un H24. À l’intérieur du cercle central ANNO.A.CHRISTO. / NATO.1415.IO.HVS., dans le champ sur deux lignes CON / DEM / NA / TVR (En l’année 1415 après la naissance du Christ, Jean Hus a été condamné), Hus sur le bûcher.

Hustaler (s.d.)

Collection privée.

Cette médaille a connu un énorme succès dans tout l’Empire, y compris en Alsace. On trouve de nombreuses copies, coulées ou frappées, jusqu’au XVIIIe siècle. L’illustration présente une de ces reproductions en argent, d’un même module mais d’un poids très inférieur à celui du Thaler (15,63 g.25). Jean Hus (Jan Hus), théologien tchèque, s’était élevé contre la vente des indulgences. Il fut condamné pour hérésie par le concile de Constance en 1515 et brûlé vif dans cette ville. Ses partisans furent persécutés à travers la Bohème et même dans le sud l’Allemagne. Ce qui est voulu ici, c’est de montrer en quoi le mouvement suscité par Hus se rattache à la Réforme. Il y a, tout d’abord, à l’avers, autour du portrait, une affirmation tirée du Credo : « Je crois en l’Église universelle ». Cela pourrait se traduire par : je ne suis pas un hérétique, c’est au nom de ma vraie foi que je suis injustement condamné. Au revers, une phrase prophétique, totalement apocryphe, annonce que cent ans plus tard, soit aux alentours de 1517, Dieu et Hus donneront une réponse à l’attente des hommes.

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De fait, les Frères moraves, qui se considèrent comme les héritiers de Hus, se joignent assez rapidement à la Réforme. Jean Hus est alors considéré comme un des pères du protestantisme.

Martin Bucer le réformateur de Strasbourg26

Cette médaille de bronze27, gravée vers 1724-1728 par Jean Dassier (initiales I D à l’avers), issu d’une famille de médailleurs genevois, rend hommage au réformateur alsacien. Elle porte : Avers anépigraphe : buste à gauche. Revers, texte en 9 lignes : MARTINUS / BUCERUS / GERMANUS / THEOLOGUS. OBIIT / CANTABRIGAIÆ / AN . 1551 . ÆT . 61 . / CREMATA SUNT / EIUS OSSA / AN . 1556

Médaille de Martin Bucer

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Martin Bucer, né le 11 novembre 1491 à Sélestat, a fait ses études de théologie à Heidelberg. Après un séjour à Wissembourg, il est accueilli à Strasbourg en 1523 où il joue un rôle très important dans l’adoption de la Réforme. Homme de compromis, Bucer avait en vain cherché à éviter la rupture entre les partisans de Luther et ceux de Zwingli, autrement dit entre ceux qui allaient devenir les tenants de la Confession d’Augsbourg et les Réformés. C’est dans cet esprit qu’il organisa l’Église de Strasbourg, passée à la Réforme en 1529. On lui doit la mise en place de la confirmation. En 1549, fuyant les conséquences de l’Intérim d’Augsbourg visant à imposer le retour au catholicisme, Bucer se réfugia en Angleterre où il participa à la rédaction du Book of common prayer. À sa mort, le 28 février 1551, il fut enterré, en grande cérémonie, dans la cathédrale de Cambridge. En quelques mots, le revers de cette médaille résume un épisode post mortem. Voici la traduction : Martin Bucer, théologien allemand, mort à Cambridge en 1551 à l’âge de 61 ans. Ses restes furent brûlés en l’année 1556. En effet, accueilli à bras ouvert par Henri VIII qui, s’étant séparé de Rome, désirait créer une Église d’Angleterre en s’inspirant de la Réforme, il fut déclaré hérétique sous le règne de son successeur au trône retourné au catholicisme, Marie Tudor. En conséquence, à la suite d’un procès pour hérésie, son corps fût brûlé avec ses écrits.

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Spener

Une très belle médaille28 réalisée par Christian Wermuth (1661-1739)29, médailleur de la cour de Saxe-Gotha, a été consacrée à Philipp Jakob Spener30. Cet Alsacien, né à Ribeauvillé en 1635, est considéré comme le père du piétisme allemand.

Médaille de Philipp Jakob Spener (1698)

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La médaille évoque, à l’avers, sa biographie jusqu’à la date de la frappe en 1698 : Avers : PHIL • IACOB • SPENER • SS • TH • D • VOCAT • OLIM ARGENT • ET FRANCOF • INDE * / IN AVL • SAX • NVNC CONSIL • EL • BR • CONSIST • ET PRAEF • BEROLINEN (Philippe Jacob Spener, docteur en théologie ancien prédicateur à Strasbourg et Francfort puis à la cour de Saxe, actuellement conseiller de l’électeur de Brandebourg membre du Consistoire et pasteur à Berlin), buste en robe de docteur à droite, avec sur la tranche : NAT • RVPISVILL • ALSAT • 13 • IAN • 1635 • (Né à Ribeauvillé, en Alsace, le 13 janvier 1635). Le revers évoque le combat spirituel – et mystique – de Spener. On le découvre, un genou en terre, brandissant deux boucliers sur lesquels sont écrits VERITAS (Vérité) et CHARITAS (Amour) pour se protéger des forces du mal symbolisées par diverses représentations : À sa droite, et de droite à gauche, un crapaud, une salamandre (?), un paon, un lion et un homme tentant de le lapider, À sa gauche, et de gauche à droite, un chien, une bête à trois têtes, trois monstres volant hybrides, mi diables mi poissons dont l’un tente de décocher une flèche. Mais Spener n’est pas seul. Du ciel, un rayon de soleil avec la mention TIBI MILITAT AETHER (Le ciel se bat pour toi) touche sa tête tandis que des éclairs frappent les monstres. En exergue, sur deux lignes TANDEM / SYMBOL encadré de la date (16-98) et des initiales du graveur (C – W). Dans cette composition, il est facile de voir quelles sont ces forces du mal contre lesquelles Spener se protège avec deux boucliers, celui de la vérité et celui de l’amour

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fraternel. Comment ne pas penser à ce qu’il considère comme les tenants de fausses doctrines, c’est-à-dire l’Église romaine et sans doute les Juifs ? Comment ne pas penser encore à sa conception d’une Église pieuse et fraternelle en attente d’une fin des temps proche ?31

L’Académie de Strasbourg

À l’occasion du centenaire de l’inauguration de l’Académie de Strasbourg, en 1667, deux médailles ont été frappées, selon Jean-Frédéric Hermann32, soit officiellement par le Magistrat, soit sur initiative privée mais avec son approbation. La première, déclinée en or et en argent33, rappelle que Maximilien II, avait accepté la création d’une académie pouvant décerner les titres de bacheliers et de maîtres ès arts34. L’empereur est représenté, assis sur son trône tenant une palme et remettant un livre à un personnage agenouillé devant lui.

Médaille du centenaire de l’inauguration de l’Académie de Strasbourg (1667)

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La seconde, plus petite, semble plus intéressante malgré sa gravure un peu grossière35 : Avers (rosette) : DEO CÆSARI PATRIÆ (Pour Dieu, l’empereur et la patrie). Autel avec une bible ouverte posée sur deux masses d’appariteur de faculté, portant devant l’inscription : ALTERUM / INSECLUM ; avec au pied l’écusson de Strasbourg. Revers : PIETAS / SECVLARIS / ACADEMIÆ / ARGENTINENSIS/ ANNO M. D C.LXVII / KAL : MAI. / lis de Strasbourg. Si l’illustration de l’avers est parfaitement claire – le lien entre la religion et l’Académie étant rendu par la superposition de l’autel, de la Bible et des symboles universitaires – à part la dédicace à Dieu, l’empereur et la patrie, l’inscription est plus obscure. Elle pourrait se lire in alterum saecululm, c’est à dire « vers un autre siècle ». En fait, dans les archives de l’Université, à la date du 1er mai 1667, on trouve la note suivante : Faxit Deus ut academia nostra una cum republica et ecclesia floreat not tantum in alterum seculum, sed in finem seculorum omnium36 (Que Dieu permette à notre Académie, mais

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aussi à la République et l’Église, de prospérer non seulement dans le siècle prochain mais jusqu’à la fin des temps37). Jean Sturm38, ami de Martin Bucer, fonde une école, le Gymnase dont il devient le premier recteur en 1539. C’est un homme de conviction qui a sur l’enseignement des idées très précises. En effet, l’éducation de la jeunesse sur de saines bases doctrinales, la formation de théologiens et de pasteurs, sont sans conteste les fondements sur lesquels il a voulu bâtir. On remarque le lien essentiel qui unit Réforme et éducation : pour accéder à la Bible, il faut savoir lire, c’est le corollaire du sola scriptura et pour cela, il faut un enseignement qui soit affranchi de la mainmise de l’Église romaine39. La création du Gymnase, qui fait partie intégrante de la Réforme, n’est en fait qu’une étape. Le 30 mai 1566, l’Académie de Strasbourg, censée parfaire la formation intellectuelle de la jeunesse, est fondée. Elle deviendra l’Université le 5 février 1621 et c’est cette université qui commémore le centenaire de son inauguration en 1667. Sur cette médaille l’union de l’enseignement, de la Ville de Strasbourg et de l’Église luthérienne est clairement affirmée. Il semble bien qu’il s’agisse d’une frappe officielle.

L’inauguration du mausolée du maréchal de Saxe

Maurice40 était l’un des nombreux enfants naturels de l’électeur de Saxe, Auguste le Fort. Engagé très tôt dans la carrière militaire, il révéla des qualités exceptionnelles. Entré au service de Louis XV, il fut nommé maréchal en 1743. Vainqueur, en particulier à Fontenoy, à Rocroi et à Maastricht, il fut considéré comme l’un des meilleurs stratèges de son époque. À sa mort, en 1750, il fallut trouver un lieu de sépulture pour ce héros de confession luthérienne. Strasbourg s’imposa. En attendant la réalisation du mausolée commandé au sculpteur Jean-Baptiste Pigalle, la dépouille fut enterrée en grande pompe au Temple Neuf. Ce n’est que le 20 août 1777 qu’eut lieu la seconde inhumation dans le chœur de Saint-Thomas41.

Médaille commémorative de l’inauguration du mausolée du maréchal de Saxe

Photo reproduite avec l’autorisation de Saive Numismatique, Metz.

À cette occasion, une médaille commémorative42 a été commandée au graveur strasbourgeois Jean-Daniel Kamm43. Elle porte à l’avers le buste cuirassé du maréchal, à

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gauche, avec l’inscription : MAURIT SAXO GALL. MARESC GEN D. CURL ET SEM. (Au maréchal général Maurice de saxe duc de Courlande et de Sémigalle), buste cuirassé du maréchal Maurice de Saxe à gauche ; sur la tranche de l’épaule : I D KAM F. Au revers, une fidèle représentation du tombeau. Très officielle, cette médaille ne fait que perpétuer le souvenir du héros et faire admirer l’œuvre de Pigalle. Elle ne véhicule apparemment pas de message protestant. Pourtant, du point de vue religieux, l’organisation des cérémonies funèbres dans un cadre luthérien permet à la communauté protestante « d’officialiser » son existence ; désormais, « intégrée au système monarchique, elle est traitée par les autorités de la province en tant qu’institution structurée, contrôlée, respectée, sur un pied d’égalité avec le pouvoir épiscopal44 ». Les luthériens strasbourgeois, longtemps mis sous tutelle, sont désormais réconciliés avec le pouvoir royal catholique. Comme on peut le voir à travers de cette courte étude, à l’instar du monde catholique où des objets pieux à valeur agiographique, thaumaturge voire prophylactique ont circulé en masse, le monde protestant a utilisé les médailles à des fins de propagande. On les a fait circuler à travers toute l’Europe pour dénoncer ce que l’on considérait comme l’adversaire (mot qui est la traduction de l’hébreu « Satan ») mais aussi pour s’autocélébrer en présentant les « pères fondateurs ». Des petits monuments d’apparence anodine, parfois chefs-d’œuvre de gravure, souvent aussi médiocrement fabriqués, ont véhiculé des images et surtout des slogans tirés de citations de l’Écriture interprétées dans le sens de la Réforme. L’Alsace a participé activement à cette tradition.

NOTES

1. . À titre d’exemple, on peut citer ces médailles de Saint Christophe que l’on fixe encore aujourd’hui, à des fins protectrices, dans les automobiles. 2. . Jean CALVIN, L’institution de la religion chrétienne, I, XI 9-15, Aix-en-Provence-Lognes, éditions Kerygma-Farel, 1978, p. 68‑73. 3. . Dès 1532, Jean le Constant et son fils Jean Frédéric, émettent un Thaler de prestige (Schautaler) commémorant l’adoption de la Confession d’Augsbourg (Histoire numismatique du protestantisme, catalogue de la vente publique, Paris, Palais d’Orsay, 21-23 novembre 1977, no300). 4. . Arthur ENGEL et Ernest LEHR, La numismatique de l’Alsace, Paris, 1887 (EL) 447 var. Sammlung Theodor Voltz, elsässische Münzen und Medaillen, , 1996 (VOLTZ) 512 var. (28,24 g). Collection Poinsignon Numismatique Strasbourg no136 654. 5. . Rodolphe REUSS, Histoire de Strasbourg depuis ses origines jusqu’à nos jours, Paris, 1922, p. 176‑180, donne une relation détaillée de l’événement. 6. . Léon D ACHEUX, éd., « Les chroniques strasbourgeoises de Jacques Trausch et de Jean Wencker », Bulletin de la Société pour la Conservation des Monuments Historiques d’Alsace, vol. XV, 1892 [Wencker], p. 169. Traduction de l’auteur. 7. . Ibid. [Trausch], p. 45. Traduction de l’auteur. 8. . Voir Rodolphe REUSS, Histoire de Strasbourg, op. cit., p. 214‑215.

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9. . Traduction Louis Segond (1910). 10. . EL 608-611, VOLTZ 714 pour le Talerklippe. 11. . Traduction Louis Segond (1910). 12. . EL 612-616, VOLTZ 716. 13. . EL 619, VOLTZ 759. 14. . EL 620 (argent 12 mm). 15. . Manfred H. GRIEB, dir., Nürnberger Künstlerlexicon, München 2007, p. 274-275. 16. . Inge FRESE, Joachim DATOW, Martin Luther und seine Zeit auf Münzen und Medaillien, , 1983, no18, p. 60. 17. . Matthieu, 10, 32. 18. . Codicille de l’article 3 de la capitulation de Strasbourg signée le 30 septembre 1681. 19. . Sur cette question, voir Axel GOTTHARD, Der Augsburger Religionsfrieden, Münster, 2004 et Jean B ÉRENGER, Histoire de l’Empire des Habsbourg, Paris, 2012, t. I, p. 249 sq. 20. . EL 618, VOLTZ 730 (22mm 3,49 g.). 21. . Traduction Louis Segond (1910). 22. . Traduction de l’auteur d’après la version de Luther. Il est à noter que le Siracide, rejeté par les Réformés, a été classé par le réformateur parmi les textes pseudépigraphes « à ne pas mettre au même rang que les Saintes Écritures mais cependant utiles et bons à lire ». 23. . Inge FRESE, Joachim DATOW, Martin Luther und seine Zeit auf Münzen und Medaillien, op. cit., no14, p. 56 ; Heinz FENGLER, Gerhard GIEROW, Willy UNGER, Transpress Lexikon, Numismatik, 3e éd., Berlin, 1982, p. 195‑196. 24. . Friedrich W. A. SCHLICKEYSEN, Reinhold PALLMANN, Erklärung der Abkürzungen auf Münzen, Berlin, 1896. 25. . Voir à ce sujet : Transpress Lexikon, op. cit. 26. . Sur Bucer, voir Hartmut JOISTEN, Der Grenzgänger Martin Bucer. Ein europäischen Reformator, Stuttgart, 1991 et Nouveau Dictionnaire de Biographie Alsacienne (NDBA), no5, p. 396‑405 (notice de Jean Rott). 27. . Collection Poinsignon Numismatique no 136995 (bronze 28 mm). Il s’agit ici d’une refrappe de 1824. 28. . EL 689, VOLTZ 824. 29. . Sur ce médailleur : Cordula W OHLFAHRT, Christian Wermuth, ein deutscher Medailleur der Barockzeit, London, 1992. 30. . La biographie de Spener se trouve dans NDBA, no35, p. 3 687-3 688. 31. . Voir Philipp Jacob S PENER, Pia desideria ou désir sincère d’une amélioration de la vraie Église évangélique, Paris, 1990. 32. . Jean-Frédéric HERMANN, Notices historiques, statistiques et littéraires, sur la Ville de Strasbourg, Strasbourg 1819, t. 2, p. 76‑77. 33. . EL 629 (en argent, Ø 34 mm, sur le pied du thaler) - EL 630 (en or). 34. . Il avait accepté moyennant de lourds droits. Voir Georges L IVET, « Université », in Encyclopédie de l’Alsace, p. 7 477-7 478. 35. . EL 632 (argent, Ø 24 mm, 4,25 g). 36. . Cité dans Alfred ERICSON, Der alten straßburger Hochschule erstes Jahrhundertfest am 1. Mai 1667. Ein Rückblick am 25. Stiftungstage der Kaiser-Wilhelm-Universität, 1. Mai 1887, Strasbourg, 1887, p. 12. 37. . Merci à Louis Schlaefli pour avoir accepté de relire notre traduction. 38. . Notice dans NDBA, no36, p. 3819-3821 (Matthieu Arnold). 39. . Pour les idées de Jean Sturm à propos de l’éducation, on peut se référer à : Jean STURM, De literarum recte aperiendis liber. De la bonne manière d’ouvrir des écoles de Lettres, Strasbourg, 2007. 40. . Notice dans NDBA, no 32, p. 3382 (Victor Beyer).

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41. . Georges LIVET et Francis RAPP, dir., Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, Strasbourg, 1981, t. 3, p. 501. 42. . Voir EL 713 qui mentionne également les reproductions qui ont été faites ainsi que VOLTZ 749-750 (étain), 751 (cuivre). 43. . Jean Daniel KAMM, Strasbourg 1722-1793. Notice dans NDBA, no 20, p. 1869 (Gérard Cames). 44. . Georges Livet, « Du « tyran » au « plus juste des roys » 1685-1787. Deux anniversaires : quelle politique ? », Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français, vol. 132, avril-mai-juin 1986, p. 195‑196.

RÉSUMÉS

Médailles et religion ont toujours été liées. Pour s’en convaincre, il suffit de constater la profusion de médailles pieuses hagiographiques, voire prophylactiques, qui circulent encore aujourd’hui dans le monde chrétien. Les protestants n’ont pas dédaigné ces petits objets pouvant circuler de main en main pour véhiculer, à des fins de propagande, des messages religieux. Pour eux, il ne s’agit plus de support de prière ou de protecteur mais de véritables proclamations de doctrine. En Alsace, on n’a pas échappé à l’engouement pour des supports pratiques, parfois sommairement exécutés, mais presque toujours porteurs d’un message élaboré, qu’il soit politique ou théologique. Pour l’historien, il y a là un moyen original d’appréhender la Réforme. (Paul Greissler).

One has always linked medals to religion, to be convinced of that fact, just note the profusion of hagiographic, even prophylactic religious medals which are still widely circulating in the Christian world. Protestants have never looked down on these small objects which, by means of propaganda, could be handed from person to person to convey religious messages. For Protestants, it is not a question of a support for prayer or protection, but the true proclamation of the Doctrine. People in Alsace have not escaped the attraction for these practical supports, sometimes roughly constructed, but most often bearers of an elaborate message, either political or theological. From an historian point of view, this is an original means of understanding the Reform. (trad. Paul Greissler).

Münzen und Religion waren schon immer eng miteinander verflochten. Um sich davon eine Vorstellung zu machen, genügt es, sich die Fülle von Münzen mit Heiligenmotiven oder mit magischer Schutzbedeutung, die noch heute in der christlichen Welt im Umlauf sind, anzuschauen. Auch auf evangelischer Seite hat man die kleinen Metallstücke nicht verschmäht; dienten sie doch, von Hand zu Hand gereicht, Propagandazwecken und als Träger religiöser Botschaften. Für die Evangelischen waren sie aber nicht mehr als Hilfe zum Gebet oder als Schutztalismane von Bedeutung, sondern Münzen wurden zur Verbreitung reformatorischer Lehre benutzt. Auch im Elsass entging man nicht der Begeisterung für diese praktischen Träger einer, praktischen Träger, manchmal wenig sorgfältig gearbeitet, aber immer ausgearbeiteten, politischen oder theologischen Botschaft.

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Für den Historiker ergibt sich durch die Münzen eine originelle Art, die Reformation zu verstehen. (trad. Paul Greissler).

AUTEUR

PAUL GREISSLER Professeur agrégé e.r., docteur en histoire

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Aujourd’hui et demain : quel avenir pour les protestants d’Alsace ? Today and tomorrow: what future for Protestants in Alsace? Heute und morgen: welche Zukunft erwartet die Protestanten des Elsass?

Marc Lienhard

La situation actuelle, les chiffres, les institutions

1 Depuis 1962, les recensements de la population française n’indiquent plus l’appartenance religieuse des Français. À cette date, 19% des Alsaciens étaient protestants. Selon une enquête de 1998 sur le droit des cultes en Alsace-Moselle, 11% des sondés se sont déclarés protestants. En Alsace seule, la proportion atteindrait 17%. À l’heure actuelle, faute de chiffres plus précis, on admet en général qu’il y a en Alsace près de 300 000 protestants, dont 250 000 membres de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL), sur une population globale qui dépasse aujourd’hui les 1 800 000.

2 Il y a trois types de protestantisme. L’un majoritaire, dont les origines remontent au XVIe siècle, est présent dans les Églises luthérienne et réformée unies depuis 2006 dans l’UEPAL. Leurs structures et leur statut relèvent, pour l’essentiel, des Articles organiques de 1802. Ceux-ci impliquent en particulier la prise en charge, par l’État, des traitements des pasteurs, dont la nomination doit être confirmée par l’État. Le second type de protestantisme s’incarne dans un certain nombre d’Églises évangéliques, désignées aussi comme Églises libres parce qu’elles sont sans lien avec l’État. Il y a aujourd’hui quelque 200 assemblées évangéliques en Alsace-Moselle, environ 90 pour le Bas Rhin, 70 pour le Haut Rhin et 40 pour la Moselle1. Elles sont en croissance : on peut estimer, faute de chiffres précis, qu’elles avoisinent les 50 000 membres. Certaines, comme les mennonites, remontent au XVIe siècle. D’autres ont une origine plus récente : les baptistes apparaissent au début du XVIIe siècle, les méthodistes au XVIIIe siècle, les pentecôtistes, la Bonne Nouvelle et d’autres communautés au XXe siècle.

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3 Un troisième type d’Églises protestantes est apparu plus récemment : des Églises ethniques qui rassemblent, surtout dans quelques villes, des chrétiens de la même origine géographique. Ce sont des communautés africaines, malgaches, arméniennes, coréennes, chinoises, cambodgiennes ou tamoules. Elles sont de type soit évangélique, soit réformé, soit luthérien ou encore uni. Ainsi, à Strasbourg, il y a plusieurs communautés malgaches, accueillies pour leurs cultes dans des églises protestantes. Mais des chrétiens venus des jeunes Églises d’Afrique ou d’Asie ont rejoint aussi les Églises protestantes ou évangéliques existantes. Ainsi la Porte Ouverte chrétienne de Mulhouse, ou l’Église de la Bonne Nouvelle de Strasbourg, sont devenues de plus en plus multiculturelles au cours des trente dernières années.

4 Les Églises évangéliques et les communautés ethniques partagent beaucoup de convictions avec les Églises luthéro-réformées : la place accordée à la Bible et à la prédication, la réduction à deux du nombre de sacrements, une certaine autonomie de la paroisse locale, la place des laïcs. Ce qui distingue avant tout les divers types de protestantisme, c’est leur manière de vivre l’Église. Les Églises luthériennes et réformées sont attachées au principe multitudiniste : elles accueillent aussi, pour les sacrements et d’autres célébrations, les paroissiens peu fidèles et les enfants. Les Églises libres, en général, ne baptisent pas les petits enfants, mais exigent une profession de foi préalable au baptême. Elles demandent aux fidèles un engagement conséquent sur le plan financier et une participation active à la vie communautaire.

Ministres et bénévoles

5 Dans les trois types d’Églises, divers ministères sont à l’œuvre : à côté du ministère pastoral, qui s’exerce en général à plein temps, les organistes et autres musiciens, les conseillers presbytéraux, appelés aussi « anciens », les catéchètes et, dans l’Église luthérienne, une sorte d’évêque ou inspecteur ecclésiastique. Les méthodistes ont un véritable évêque qui réside à Zurich. L’Église de la Confession d’Augsbourg compte 206 paroisses avec 240 postes pastoraux, 189 paroisses se trouvent en Alsace, 17 en Moselle. L’Église réformée compte 49 paroisses, dont 30 en Moselle, et une soixantaine de pasteurs. Entre vingt et trente pasteurs des Églises luthéro-réformées exercent des ministères spécialisés : aumônerie d’hôpitaux, enseignement religieux dans des lieux d’Église autres que paroissiaux. Un manque de pasteurs se manifeste actuellement dans l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine. En 2016, seule une pasteure a été ordonnée au ministère, alors que quinze pasteurs prenaient leur retraite.

6 Le ministère pastoral a connu ces dernières années une forte féminisation : en dessous de 50 ans, les femmes sont désormais majoritaires dans l’UEPAL. Pour les Églises évangéliques, seuls 3% des pasteurs sont des femmes.

Au-delà de la communauté locale et des chrétiens évangéliques ou ethniques

7 Si la vie religieuse des protestants et des chrétiens évangéliques est vécue pour l’essentiel dans des communautés locales, que les luthéro-réformés appellent « paroisses » comme les catholiques, d’autres lieux d’Église sont apparus au cours des temps. Des centres de rencontre comme le Liebfrauenberg dans le nord de l’Alsace ont été créés pour des rencontres et des formations diverses. C’est le cas aussi pour le

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travail de jeunesse tel qu’il se fait notamment au Centre des Équipes unionistes luthériennes à Neuwiller-lès-Saverne, ou dans les troupes d’éclaireurs. À partir du XIXe siècle, le protestantisme a retrouvé aussi des communautés de type monastique avec l’émergence des diaconesses, toujours à l’œuvre à Strasbourg, au Hohrodberg et au Neuenberg à Ingwiller. Il faut mentionner aussi les quelque 80 autres œuvres diaconales plus ou moins rattachées au protestantisme, telles que diverses maisons de retraite, le Centre social protestant de Strasbourg. Le lien entre certaines associations ou œuvres d’origine ou d’obédience protestante avec les Églises institutionnelles n’est pas toujours très fort, malgré l’attachement à un certain nombre de valeurs protestantes. Pour l’essentiel, ce lien est assuré par la présence et l’action d’un pasteur aumônier et la présence d’un certain nombre de protestants dans les conseils d’administration.

Chances et atouts des Églises protestantes et des Églises évangéliques en Alsace-Moselle

8 On peut évoquer toutes sortes de faiblesses dans la vie des Églises protestantes d’Alsace-Moselle. Par rapport à d’autres Églises, elles sont bien petites ; c’est le cas aussi bien de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine que des Églises libres. Que pèsent-elles par rapport à la grande Église catholique et ses 1 300 000 fidèles ? Comme cette dernière, elles souffrent de la désaffection de nombreux fidèles. Elles ne trouvent pas toujours les moyens de résister à la sécularisation et de s’engager dans des voies nouvelles pour l’annonce de l’Évangile, pour changer les mentalités trop souvent prisonnières d’habitudes quelquefois sclérosées.

9 Cela dit, elles ont aussi des atouts pour aujourd’hui et pour demain. Les Églises protestantes et évangéliques peuvent compter sur un certain nombre de laïcs et de pasteurs engagés aussi bien au niveau local qu’au niveau régional : plus d’une centaine de lecteurs et prédicateurs laïcs sont à l’œuvre dans l’UEPAL pour célébrer des cultes à côté des pasteurs. Des catéchètes enseignent dans les écoles élémentaires, d’autres collaborent à l’instruction religieuse dans les paroisses. Des organistes, chefs de chœurs et choristes contribuent à l’offre musicale particulièrement intense en Alsace, où l’on trouve également un sixième des orgues de France. Un certain nombre de laïcs prennent des responsabilités dans la direction des Églises, comme conseillers presbytéraux, dans les conseils d’administration des diverses œuvres, comme délégués aux assemblées, comme inspecteurs laïcs, sans oublier tous ceux qui animent des cercles et mouvements divers des Églises.

10 Des pasteurs, en général bien formés, sont au travail. Ceux de l’UEPAL ont fait cinq années d’études universitaires en France ou quelquefois à l’étranger, ils ont effectué un certain nombre de stages de formation. Ils sont attendus pour célébrer des cultes, transmettre le message biblique, assurer l’instruction catéchétique, animer la vie des communautés, prêter attention à la culture et aux défis socio-politiques. Leurs conditions de travail sont le plus souvent satisfaisantes : dans l’ensemble, les lieux d’Église qu’ils desservent ne sont pas trop éloignés les uns des autres, ils sont soutenus en bien des lieux par les autorités civiles.

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La diversité des Églises

11 La diversité des Églises et des courants théologiques peut être une chance. Les fidèles peuvent choisir soit des communautés évangéliques, soit des paroisses ou des lieux d’Église luthéro-réformés. Chez les premiers, le vécu communautaire est souvent fort et exigeant, mais les options doctrinales et éthiques sont plus conservatrices. Dans les Églises luthéro-réformées, l’éventail théologique est plus large et la liberté des pasteurs comme des laïcs y est affirmée. Mais on s’y efforce aussi de maintenir le lien avec les affirmations de la Réforme et de les actualiser, en conciliant l’identité protestante et la démarche œcuménique.

12 Les protestants d’Alsace disposent en général de belles églises, bien entretenues et souvent anciennes, comme c’est le cas à Strasbourg. Certes, elles sont trop grandes pour les petites assemblées des dimanches ordinaires, et il faudrait parfois opérer des réaménagements, mais elles favorisent le recueillement et, dans un autre registre, le lien entre le culte et la culture en accueillant beaucoup de concerts ou de nombreux visiteurs occasionnels. Les Églises évangéliques, moins riches en patrimoine, disposent par contre de locaux plus fonctionnels et ont plus de souplesse pour déplacer leurs lieux de culte.

13 Au plan cultuel, les protestants valorisent, à côté de la prédication, les sacrements et d’autres soutiens ou expressions de la foi tels que la musique, le chant, l’art pictural et d’autres expressions artistiques, voire la gestique ou le théâtre.

Les lieux de formation et les institutions diaconales

14 À côté des paroisses et autres communautés locales, le protestantisme alsacien bénéficie d’un certain nombre d’institutions qui assurent la formation des fidèles et le rayonnement culturel et intellectuel des élites. La seule Faculté théologique d’État se trouve à Strasbourg ainsi que l’une des dernières écoles élémentaires et secondaires protestantes de France : le Gymnase Jean Sturm. Mentionnons encore le Chapitre de Saint-Thomas qui contribue en particulier au financement du Gymnase et assure l’accueil de plusieurs centaines d’étudiants.

15 Des cliniques protestantes comme celle de Mulhouse et celle des diaconesses de Strasbourg, ou la Mission intérieure et divers centres sociaux, ou encore des établissements comme le Sonnenhof à Bischwiller ou Espoir à Colmar, sont à l’œuvre sur le plan de la santé, de l’assistance des personnes handicapées, ou diminuées, ou marginalisées.

Au-delà des Églises protestantes et des Églises libres d’Alsace

16 Bien des liens avec d’autres Églises contribuent à désenclaver le protestantisme alsacien. Les luthéro-réformés alsaciens constituent près d’un tiers du protestantisme français. Au-delà de l’appartenance à la Fédération protestante de France, leurs Églises sont membres du Conseil Œcuménique des Églises, de la Fédération luthérienne mondiale, de l’Alliance réformée mondiale, sans oublier les liens en tout genre avec les jeunes Églises en Afrique et en Asie.

17 Il convient de mentionner également l’ouverture à deux cultures, basée sur l’histoire, mais aussi sur la proximité géographique de l’Allemagne. Même si la connaissance de

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l’allemand, voire du dialecte, s’est affaiblie en Alsace au cours des dernières décennies, cette ouverture traditionnelle dans les Églises protestantes peut leur confier une fonction de pont, de médiation vers l’Europe, vers l’Allemagne et les pays de l’est en général. Des liens fraternels les unissent, dans le cadre des Églises riveraines du Rhin, aux Églises de Bade, du Palatinat et de Bâle.

18 Enfin, des relations œcuméniques de plus en plus étroites unissent depuis le milieu du XXe siècle les Églises protestantes, en particulier les Églises luthéro-réformées, à l’Église catholique romaine. La méfiance, voire l’hostilité de jadis ont fait place à la collaboration, à une féconde émulation spirituelle et à l’enrichissement réciproque. De nombreuses rencontres et actions communes jalonnent ce cheminement et constituent un témoignage apprécié dans la société d’aujourd’hui.

Mutations et défis

L’impact de la sécularisation

19 Elle a atteint aussi les Églises d’Alsace. Bien des habitants de la région se sont détachés des Églises traditionnelles ou se contentent d’une pratique occasionnelle. Beaucoup se disent « croyants mais non pratiquants ». La demande de religieux n’a certes pas disparu et se manifeste de bien des manières, mais elle ne s’adresse plus nécessairement aux Églises traditionnelles. Même à l’intérieur de ces Églises, la transmission de la foi se fait difficilement. Les enfants ne suivent pas tous l’instruction catéchétique ni les orientations religieuses de leurs parents. Dans l’enseignement religieux scolaire, beaucoup, surtout au lycée, se font dispenser. Les Églises évangéliques sont aussi confrontées au problème de la transmission. Certes, la participation des jeunes aux cultes et autres fêtes y est frappante, pourtant, d’après Christopher Sinclair2, ils seraient 40% à s’en détacher progressivement.

Un champ religieux éclaté

20 Les Églises protestantes d’Alsace vivent, comme les autres, un champ religieux éclaté. Dans le passé, les Églises protestantes et catholiques ainsi que le judaïsme se partageaient en quelque sorte la population alsacienne. Plus que par le passé, et malgré des liens souvent fraternels entre les diverses Églises et communautés, une concurrence religieuse s’établit aujourd’hui, notamment entre les Églises traditionnelles et les communautés libres, ou entre les communautés chrétiennes et d’autres religions comme l’islam ou le bouddhisme, ou des mouvements divers, de type séculier, qui tendent à prendre la place des Églises qui n’ont plus le monopole du religieux ou du lien social.

L’individualisme protestant

21 Comme les divers groupes sociaux et les associations, les Églises souffrent d’un individualisme croissant. En soulignant la démarche personnelle de la foi et en relativisant les rites, les Églises protestantes y sont particulièrement exposées. Mais elles ne sont pas les seules à être touchées. L’individu, ses besoins et ses intérêts personnels sont devenus la mesure de toute chose. Et aucune pression sociale ne

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s’oppose au détachement des individus à l’égard des Églises. L’esprit du temps y pousse. Ce retrait de beaucoup dans la vie privée constitue un handicap. La vie familiale ou les relations avec des amis se font souvent aux dépens d’une vie sociale plus large, y compris d’une participation à la vie religieuse communautaire.

À l’heure de la postmodernité

22 La société contemporaine connaît, certes, une certaine uniformisation des valeurs et des comportements, mais, en même temps, l’entrée dans la postmodernité entraîne une évidente perte de repères, ou plutôt une relativisation, qui laisse à l’individu le champ libre pour ses choix éthiques ou religieux. Il n’est plus évident, y compris dans l’Église catholique d’ailleurs, de s’en remettre à des repères proposés par les Églises. Cela concerne aussi les croyances, qui sont devenues souvent approximatives ou peu conformes à la foi chrétienne, y compris parmi bien des membres des Églises.

23 Les Églises elles-mêmes sont divisées au sujet des défis éthiques. Ainsi, si la majorité des luthéro-réformés admettent la légitimité, dans certains cas, de l’avortement, les Églises évangéliques y sont en général opposées. En ce qui concerne la bénédiction des couples de même sexe, ces dernières y sont opposées, alors que l’Union des Églises protestantes est plus partagée à ce sujet. Cette dernière est plus encline que les Églises évangéliques à prendre position sur des problèmes sociétaux, politiques ou écologiques.

Seul l’aujourd’hui compte !

24 Comme d’autres Églises chrétiennes, les Églises protestantes sont confrontées au « présentisme » des mentalités d’aujourd’hui. Le passé, y compris la tradition religieuse et la continuité, n’intéressent que peu les humains d’aujourd’hui, alors que les gens d’Église ont trop souvent la nostalgie du passé. Un intérêt pour l’histoire et le patrimoine est perceptible, certes, mais sa portée existentielle demeure limitée. Cette situation fragilise également le lien à la Bible, si important dans la tradition protestante, sans même parler des chants ou pratiques liturgiques, des institutions et des doctrines héritées du passé.

25 Le présentisme s’affirme aussi par rapport à l’avenir, et rend difficile l’attente d’une fin des temps et d’un retour du Christ, si importants en perspective biblique et si souvent présents, quelquefois de manière discutable, dans le message des Églises, notamment au XIXe siècle.

Les fidèles

26 Comme bien des associations, les Églises souffrent d’un vieillissement de leurs membres pratiquants. Que seraient-elles sans leurs fidèles souvent retraités, prêts à donner de leur temps au sein de la vie paroissiale ? Par tradition et par conviction, les Églises luthéro-réformées veulent être des Églises multitudinistes, c’est-à-dire ouvertes à des humains en quête de repères ou à des fidèles ne participant qu’occasionnellement à la vie de l’Église. Les Églises évangéliques sont plus exigeantes à l’égard de leurs membres, pour l’engagement en temps et en argent.

27 Comme l’Église catholique et comme le judaïsme, les Églises protestantes bénéficient du soutien de l’État et du service de ministres qu’il rémunère, ce qui va quelquefois de pair

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avec un certain désengagement des fidèles. Pourtant, les Églises ne peuvent vivre sans le noyau de fidèles prêts à s’engager. Ce noyau est souvent petit et fragile, ce qui entraîne une surcharge pour ces fidèles.

Les cultes

28 En ce qui concerne les cultes et autres manifestations régulières de la vie religieuse d’une communauté, ils continuent à être célébrés ou organisés régulièrement, certes. Mais la pratique régulière n’a plus la cote. Bien des « fidèles » préfèrent les temps forts, des manifestations exceptionnelles. Seule une microminorité participe régulièrement au culte dominical.

29 Confrontées à tous ces défis, les Églises disposent, certes, d’atouts et de moyens que nous avons évoqués, mais ont-elles toujours le souffle pour y répondre avec une foi qui déplace les montagnes et une joie contagieuse répercutant l’Évangile ?

Perspectives3

Les célébrations

30 Perçues souvent comme austères et moralisantes, les communautés protestantes s’efforcent de rendre leurs célébrations plus festives. L’Évangile qu’elles veulent annoncer est une bonne nouvelle et l’existence chrétienne vit de réalités qui lui sont données. Il y a lieu de fêter tout cela et à tout âge, en s’efforçant d’y faire participer les plus jeunes. Ces fêtes font place à la musique et tout particulièrement au chant. Ceux-là font partie depuis les origines de la tradition protestante, et l’on s’efforce aussi de créer et de chanter des chants nouveaux, en reprenant le répertoire des chansonniers catholiques ou ceux d’Églises libres.

La prédication

31 Dans la tradition chrétienne, la célébration comporte en général un message. Les protestants lui ont donné une place centrale, voire dominante. Et il y a des raisons pour relier la fête, mais aussi toute la vie chrétienne, au fondement biblique, qu’il faut à la fois interpréter et actualiser. Certes, beaucoup d’humains se méfient aujourd’hui des discours et d’une transmission seulement orale de la foi, et il est vrai que le message chrétien ne se transmet pas seulement par des mots, mais aussi par des gestes, des images et des symboles, ou encore par des expériences et des engagements concrets. Mais la parole orale doit expliciter tout cela et établir le lien avec la base de la foi qu’est l’Évangile biblique. Encore faut-il qu’il y ait message et qu’il y ait une proposition de foi. Trop souvent le message de l’Église s’exprime de manière réduite et appauvrie, il est quelquefois présenté de manière tronquée. Trop de gens le réduisent à la morale et, corrélativement, à une culpabilisation peu appréciée, ce qui rend le message finalement peu conforme à la grâce et à la justification par la foi.

32 On s’efforce plus ou moins dans les Églises protestantes de travailler sur le langage, de transcrire dans un vocabulaire accessible des termes bibliques tels que « grâce », « péché », « justification ». On cherche à répondre à la quête de sens et à dégager les implications existentielles et sociétales du message évangélique.

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Quelle langue ?

33 Si le français domine dans les cultes, l’allemand continue à être utilisé dans trois paroisses strasbourgeoises et dans certaines paroisses de la campagne, surtout en Alsace du nord. Pour la prédication, le dialecte alsacien est employé occasionnellement, stimulé par la parution récente d’une traduction de la Bible en alsacien.

Témoigner et évangéliser

34 Les communautés protestantes s’efforcent de rendre attrayantes leurs célébrations, mais elles savent que leur témoignage doit dépasser les murailles des églises. La nécessité de l’évangélisation s’impose dans une société qui s’est largement détachée des Églises. Les Églises évangéliques s’y emploient depuis plus longtemps que les autres. Mais toutes les Églises en sont aujourd’hui convaincues. Les médias offrent des possibilités pour annoncer l’Évangile au-delà des lieux de culte. Le témoignage personnel et l’effort pour surmonter la pudeur caractéristique de bien des protestants sont tout aussi nécessaires. Les Églises organisent aussi des temps forts tels que « Protestants en fête » qui, régulièrement, ouvrent au grand public des conférences, des spectacles, des expositions et divers types de célébrations. L’année 2017, qui commémore les 500 ans de la Réforme protestante, comporte toutes sortes de manifestations qui ne seront pas seulement tournées vers le passé, mais qui se proposent aussi d’exposer l’actualité de la Réforme. Les Églises évangéliques s’y associent parfois, mais elles organisent de leur côté des campagnes d’évangélisation et des manifestations comme la « Marche pour Jésus » qui réunit chaque année à Strasbourg un millier de participants.

À qui s’adresse-t-on ?

35 Les Églises protestantes doivent redécouvrir que l’Évangile s’adresse à l’être humain dans sa globalité. Il leur arrive de privilégier l’intellect et de mettre l’accent sur l’enseignement, et, face à la résurgence actuelle de l’irrationnel et des intégrismes en tout genre, elles font appel à la pensée et à la réflexion critique. Mais elles ne peuvent en rester là. Les hommes et les femmes ont aussi un cœur et un corps. Il importe de parler non seulement à la raison, mais aussi au cœur, de susciter des émotions. Les Églises évangéliques ont davantage pris en compte cette dimension humaine, même s’il leur arrive de succomber à un sentimentalisme discutable et à une prédication plus émotive que réflexive. L’être humain a aussi un corps, prêt à bouger, même lors d’une célébration. Le corps s’exprime aussi par des réalisations concrètes. Cela est-il suffisamment valorisé dans les Églises protestantes ?

36 Faute d’avoir pris en compte ces diverses dimensions de l’être humain, les Églises protestantes ont peine à toucher toutes les couches de la société, notamment les travailleurs manuels.

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Accompagner et former les fidèles

37 Les Églises se composent aujourd’hui de deux sortes de fidèles : le noyau des croyants engagés, et, plus nombreux, les participants occasionnels. Les Églises s’efforcent de mieux former le noyau et les bénévoles actifs dans les divers lieux d’Église. Des Jalons pour vivre, croire et témoigner ensemble ont été élaborés en 2014‑2015, en prolongement de la Concorde de Leuenberg, et diffusés ainsi qu’une série de tracts Ce que nous croyons. Des retraites et formations diverses veulent approfondir la foi des laïcs, les aider aussi à lutter contre la résignation du « petit reste » ou à l’esprit de jugement. À côté de ceux qui participent activement, il y a ceux qui font appel occasionnellement au service de l’Église lors des grandes fêtes ou d’un baptême, d’un mariage ou d’obsèques. L’historien Émile Léonard dit à leur propos qu’ « en Alsace, l’Église est une doublure de la Préfecture ». On parle aussi de chrétiens sociologiques. Certains pasteurs les qualifiaient dans le passé de « Karfreitagschristen », c’est-à-dire de croyants qu’on ne voyait au culte que le Vendredi saint, autrefois cher aux protestants, ou à d’autres fêtes chrétiennes, surtout Noël. Mais, si difficile que puisse être le contact avec ces croyants distanciés, les Églises auraient tort de négliger l’effort pastoral auprès d’eux, quitte à semer à tout vent, sans toujours voir pousser par la suite la plante d’une foi plus engagée.

38 Traditionnellement, les paroisses et communautés locales comptent en leur sein divers groupes tels que le conseil presbytéral, la chorale, l’ouvroir, un groupe d’étude biblique, des groupes de jeunes ou d’autres cercles. Ils sont fragiles, disparaissent ou renaissent au cours des années, mais contribuent à diversifier la vie ecclésiale, à impliquer les personnes et à promouvoir des actions diverses à côté du culte, toujours central. Ces divers groupes créent du lien social, répondant ainsi à l’une des vocations de l’Église. Mais celle-ci, à travers ses responsables, sera bien inspirée de porter attention, davantage qu’on ne le fait en général, aux personnes isolées, souvent marginalisées dans la société.

Quel horizon ?

39 Si la communauté locale conserve toute sa raison d’être parce qu’elle peut être un corps vivant au plus près du quotidien des fidèles, elle ne peut pas être la seule forme d’existence d’une Église chrétienne. Les Églises protestantes l’ont redécouvert au XIXe siècle. Auparavant, certes, elles avaient, par leurs sociétés de mission, pris conscience de l’universalité de l’Église. Le mouvement qui porte les croyants d’une Église locale à dépasser l’horizon de leur clocher et de leur confession se concrétise aujourd’hui dans les rencontres œcuméniques avec des chrétiens d’autres Églises, et dans le dialogue avec d’autres religions.

40 À partir de 1999, l’Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine s’est efforcée d’entraîner les paroisses et autres lieux d’Église à s’unir au service d’un projet d’Église qui fixait des buts communs aux diverses actions et à s’investir dans un engagement commun au service de l’Évangile et de la société. Une évaluation régulière des diverses entreprises était proposée.

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Du repli frileux à l’ouverture

41 La tentation a toujours existé dans les communautés locales et chez les chrétiens individuels de se replier dans l’intimisme, personnel ou communautaire. Mais la spiritualité chrétienne ne peut pas se désolidariser de ceux qui souffrent ni les ignorer, depuis les familles désunies jusqu’aux déshérités et marginaux de la société, en passant par tous ceux qui, dans notre pays ou ailleurs, voient leurs droits atteints, leur condition de vie fragilisée. À ces défis, les Églises protestantes ont répondu au XIXe siècle par toutes sortes d’œuvres et de mouvements qui sont toujours au travail. À côté de quelques permanents, ils s’appuient sur un ensemble de bénévoles et sur le soutien financier des paroisses et communautés locales. Des actions de ce type existent aujourd’hui, sous la forme par exemple de l’accueil en 2016 de réfugiés syriens dans quelques paroisses protestantes. D’autres pourraient et devraient être entreprises afin que l’Église ne soit pas seulement lumière pour ses propres membres, mais pour d’autres humains, fragilisés par la vie et privés de lumière. Ne serait-ce pas appliquer la devise de Jean Frédéric Oberlin : « Et plus haut et plus bas » ?

NOTES

1. . Christopher SINCLAIR, « Les Églises évangéliques apparues dès 1520 », Saisons d’Alsace, hors- série, hiver 2016/2017, p. 85. 2. . Ibid. 3. . Marc LIENHARD, « Face aux défis du temps présent : le protestantisme et son avenir en Alsace- Moselle », Les Annales de l’Académie d’Alsace, no67, 2001, p. 87‑94.

RÉSUMÉS

L’étude fait état de quelque 300 000 protestants en Alsace-Moselle, 17% de la population en Alsace seule. Elle distingue trois sortes d’Églises : les Églises luthéro-réformées, reconnues par l’État, les Églises libres et les Églises ethniques. Divers ministères sont à l’œuvre dans ces différentes Églises. On les trouve dans les paroisses, mais aussi dans d’autres lieux d’Église tels que les centres de rencontres ou de formation, ou des œuvres diaconales. Les Églises protestantes sont touchées, comme d’autres Églises, par la sécularisation qui a conduit à un détachement d’un certain nombre de fidèles. Mais un noyau de bénévoles engagés, ainsi que des pasteurs en général bien formés, dont de plus en plus de femmes, continuent à contribuer à la vitalité religieuse du protestantisme. L’étude relève la diversité des Églises et des courants théologiques, surtout dans les Églises luthéro-réformées. Les lieux de culte, souvent anciens mais trop vastes pour les assemblées dominicales, favorisent la rencontre entre la tradition religieuse et toutes sortes de

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formes culturelles, en particulier la musique. Une Faculté de théologie, le Gymnase Jean Sturm et d’autres structures assurent la formation des ministres et des fidèles. Les Églises protestantes d’Alsace sont insérées dans des ensembles plus larges tels que la Fédération protestante de France. Le mouvement œcuménique les relie aussi à l’Église catholique en Alsace. Elles sont aussi ouvertes aux Églises de culture allemande, en célébrant en certains endroits des cultes en langue allemande. La transmission de la foi dans un champ religieux éclaté, face à la sécularisation et à l’individualisme contemporain, est devenue plus difficile. Les Églises protestantes s’efforcent de répondre à ces défis par des célébrations plus festives, un message plus accessible, des temps forts, une annonce de l’Évangile au-delà des lieux de culte, de nouvelles formes d’évangélisation. Elles cherchent à toucher davantage toutes les couches de la société, tout en accompagnant et formant mieux les fidèles les plus engagés. Il s’agit pour elles de surmonter un repli frileux et de mettre en œuvre de nouvelles formes de présence dans la société en retrouvant le souffle des grands témoins de la tradition chrétienne. (Marc Lienhard).

According to this study there are 300 000 Protestants in Alsace-Moselle, viz. 17% of the Alsatian population. Three sorts of churches are to be found: the Lutheran churches, with an official recognition by the State, free churches and ethnic churches in the hands of a variety of ministers, in parishes but also in other worshipping places such as meeting centres or diaconal charities. Like other denominations, Protestant Churches are affected by a wave of secularisation which keeps many people away from any religious practice. But an active minority of committed volunteers along with generally properly trained pastors – among them a growing number of female ministers – are contributing to the religious vitality of Protestantism. The study insists on the variety of Churches and of theological options, mainly in Lutheran Churches. Many worshipping places are rather old and too vast for their Sunday assemblies and actually lead to the combination of religious tradition and of a variety of cultural modes of expression, mainly musical ones. The Strasbourg Faculty of Theology, the Jean Sturm Protestant High School and other institutions provide the training of both pastors and lay people. The Protestant Churches of Alsace are members of larger en-tities such as the French Protestant Federation and of oecumenical organisations where they collaborate with the Catholic Church of Alsace. They are also in contact with German speaking Churches and in some places religious services are being cel-ebrated in German. It is becoming more and more difficult for Churches to transmit religious convictions in a profoundly disrupted religious landscape, being confronted with secularisation and present day individualism. Protestant Churches do their best to take up these challenges with more festive celebrations, more straightforward fomulations and occasional highlights, by preaching the gospel in places other than churches, with new forms of evangelisation. They endeavour to be in closer contact with all social classes by guiding and training their committed volunteers more ef-fectively. It is essential for them to stay away from any form of introversion and to launch new policies of social presence by reviving the creative spirit of the great ac-tors of the Christian tradition. (trad. Pierre Boulay).

Eine Studie erwähnt etwa 300 000 Protestanten in Elsass-Lothringen. Im alleinigen Elsass etwa 17% der Bevölkerung. Diese Studie unterscheidet zwischen drei Arten von Kirchen: die lutherisch-reformierten Kirchen, die vom Staat anerkannt sind, freie Kirchen und ethnische Kirchen. Unterschiedliche Priesterämter sind in diesen verschiedenen Kirchen vorhanden. Man trifft sie in den Gemeinden, aber auch in andern kirchlichen Einrichtungen, wie Begegnung- und Ausbildungsstätten oder in diakonischen Werken. Die Kirchen sind, wie andere Kirchen auch, von der Säkularisierung betroffen, die zu einem Abwenden einer großen Zahl von Gläubigen geführt hat. Nichts desto trotz trägt ein Kern von engagierten Ehrenamtlichen, so wie überwiegend gut ausgebildeten Pfarrern, davon immer mehr Frauen, zur religiösen Vitalität des Protestantismus bei. Die Gotteshäuser, oft alte und für die sonntäglichen Zusammenkünfte zu groß gewordene Stätten, werden zu Orten der Begegnung zwischen religiöser Tradition und

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unterschiedlichen kulturellen Ausdrücke, besonders die Musik. Eine theologische Fakultät, das Gymnasium Jean Sturm und andere Einrichtungen, gewährleisten die Ausbildung von Priestern und Gläubigen. Die elsässischen protestantischen Kirchen sind auch eingebunden in größere Strukturen, wie den Verband der Protestanten Frankreichs und durch die ökumenische Bewegung stehen sie auch in Verbindung mit der katholischen Kirche im Elsass. Sie pflegen auch Beziehungen zu den deutschen Kirchen und bei manchen Anlässen wird der Gottesdienst in deutscher Sprache gehalten. Die Weitergabe des Glaubens in einem gespaltenen religiösen Umfeld, angesichts der Säkularisierung und des Individualismus der heutigen Zeit, ist schwieriger geworden. Die Evangelischen Kirchen bemühen sich diesen Herausforderungen gerecht zu werden durch festlichere Feierlichkeiten, eine besser zugängliche Aussage, besondere Ereignisse, eine Verkündung des Evangeliums jenseits der Kirchen, neue Formen der Evangelisierung. Sie versuchen alle Schichten der Gesellschaft zu erreichen und gleichzeitig die engagiertesten Gläubigen besser zu begleiten und auszubilden. Es geht für sie darum eine ängstliche Abschottung zu überwinden und neue Arten der Präsenz in der Gesellschaft umzusetzen, in dem sie die Schöpferkraft der großen Zeugen der christlichen Tradition wiederfinden. (trad. René Siegrist).

AUTEUR

MARC LIENHARD Professeur émérite de la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg

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Mélanges

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La « Chronique strasbourgeoise » de Johannes Sta edel Un témoignage sur la réception de la chronique de Twinger de Königshofen au début de l’époque moderne The “Strasbourg chronicle” by Johann Sta edel, illustrating the reception of Twinger de Königshofen’s chronicle in early modern times Die ‘Strassburger Chronik’ des Johannes Sta edel: ein frühneuzeitliches Wirkungszeugnis der Chronik Twingers von Königshofen

Christine Stöllinger-Löser Traduction : Françoise Bornemann

NOTE DE L'AUTEUR

Le présent article est la traduction française par Françoise Bornemann de « Die ‘Strassburger Chronik’ des Johannes Staedel : ein frühneuzeitliches Wirkungszeugnis der Chronik Twingers von Königshofen » par Christine Stöllinger-Löser, Kommission für deutsche Literatur des Mittelalters (Commission pour la littérature allemande du Moyen Âge), Académie des sciences de Bavière, paru dans Zeitschrift für deutsches Altertum und deutsche Literatur (ZfdA) volume 142 (2013), p. 56-76. Copyright S. Hirzel Verlag, Stuttgart. Pour des raisons de longueur de l’article, toutes les notes et quelques développements ont été supprimés de la traduction. Certaines illustrations des volumes 1 et 2 de la Chronique sont accessibles en ligne sous http://www.handschriftencensus.de/ abbildungen (une base des « Marburger Repertorien ») avec leurs cotes strasbourgeoises. Pour le volume 1 (BNU Strasbourg) : http:// www.handschriftencensus.de/24673. Pour le volume 2 (Musée historique de la Ville de Strasbourg) : http://www.handschriftencensus.de/24674. Toutes les pages illustrées du volume 1 sont également consultables en ligne sur la base BVMM (Bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux) du CNRS-IRTH, à l’adresse : http://

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bvmm.irht.cnrs.fr/resultRecherche/resultRecherche.php?COMPOSITION_ID=14591. Quant au volume conservé au Musée Historique de Strasbourg, ses pages illustrées sont également visibles en ligne à l’adresse http://bvmm.irht.cnrs.fr/consult/consult.php? reproductionId=2694.

1 La BNU possède, sous la cote MS.5.464, le premier volume d’une chronique strasbourgeoise écrite en haut allemand précoce, manuscrit en quatre volumes, les trois autres volumes se trouvent au Musée Historique de la ville (MH 1443, pour le volume 2), les volumes 3 et 4 sont en dépôt aux Archives de Strasbourg, 6 R 29 et 6 R 30, inventaire 1440 et 1445). La chronique n’est connue qu’en un exemplaire unique, sous la forme de ces quatre volumes in-folio, à l’ornementation précieuse et richement enluminés.

2 Le premier volume de la chronique semble avoir été séparé des trois autres dans des temps déjà anciens, dont on ignore encore le détail. Les volumes 2 à 4 étaient, avant d’avoir été acquis par le musée historique, la propriété des barons de Turckheim - Altdorf, et se trouvaient dans la bibliothèque installée en 1828 par Jean de Turckheim au château de Mahlberg, dans le district de l’Ortenau, sur la rive droite du Rhin. Cette bibliothèque fut mise en vente dans les années 1919-1921 par l’intermédiaire d’un antiquaire de Leipzig. Les trois volumes de la chronique de Staedel ne sont cependant pas mentionnés dans les catalogues de ces ventes. Le 26 mai 1930, ils ont été acquis pour la Ville de Strasbourg par l’antiquaire Paul Weigt, comme issus des biens de Mme Prittwitz, de , dont la mère était une de Turckheim. Par contre on ignora longtemps l’existence du volume premier. Il ne fit peut-être jamais partie de la collection des de Turckheim. Il ne porte pas, sur son contreplat, l’ex-libris qui figure sur les trois autres volumes (écartelé, d’azur au lion d’or et d’or à la fasce de sable, accompagné en chef et en pointe d’une étoile à six rais du même, écu timbré d’un casque de tournoi couronné et orné de lambrequins d’or et d’azur à dextre, de sable et d’or à senestre ; en dessous l’inscription « Bibliotheca turckheimiana »). Il est probable que ce volume ait été dès le XIXe siècle la propriété de la famille noble galloise Morgan- Tredegar ; de 1950 à 1967 il était en effet en dépôt à la National Library du Pays de Galle, à Aberystwyth (sous la cote Tredegar MS 1494, comme en témoigne l’inscription au crayon sur le premier contreplat). Le volume fut finalement vendu aux enchères le 5 avril 1967 chez Christie’s à Londres, lot no121, présenté comme volume unique, et fut acquis par la BNU.

3 L’auteur de la chronique est Johannes Staedel, qui l’a écrite de sa propre main, de 1612 à 1615, et l’a sans doute conçue lui-même. Il ne révèle son nom qu’à la fin de la préface du quatrième volume, qui occupe les pages 1 à 6. À cet endroit seulement, il prend position hors récit vis-à-vis de son œuvre : il parle de ses visées historiographiques et précise ses objectifs. « Par amour pour la patrie et pour le plaisir et l’instruction des générations futures, comme l’ont fait les écrivains latins, grecs, gaulois et bretons, qui ont décrit et illustré les hauts faits de leur royaume ou de leur patrie, rassembler les histoires et les transcrire de manière à leur faire connaître les origines et l’histoire de la Germanie ». Il dit tenir ses informations de livres, de chroniques, de documents traitant de son sujet, mais n’être pas lui-même historien de profession, qu’il ne dispose plus que de peu de temps et espère qu’il y aura des personnes qui par leur profession et leur savoir seront habilitées à poursuivre et corriger son ouvrage.

4 Staedel semble ne pas donner d’autres détails concernant sa personne et sa situation familiale, mais il revient sans cesse pour donner des éclaircissements en utilisant la

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première personne. Le chroniqueur était de toute évidence non seulement en connaissance d’une vaste littérature historiographique, mais aussi familier de la documentation officielle strasbourgeoise. Sans doute était-il proche du Conseil de la Ville. La chronique était peut-être destinée en premier lieu à sa famille, mais la présentation luxueuse de l’ouvrage laisse à penser qu’elle était destinée à un public plus vaste. L’énumération méticuleuse de tous les dignitaires strasbourgeois vise-t-elle à satisfaire un intérêt plus vaste? La préface déjà évoquée du volume 4 où l’auteur laisse entendre qu’il veut terminer son ouvrage en espérant qu’il sera utile à des lecteurs intéressés et qu’il y aura des personnes pour poursuivre son œuvre, semble s’adresser à des cercles de lecteurs plus étendus. Qu’elle n’ait pas été imprimée semble caractéristique depuis le XVIe siècle de ce genre de production historiographique de très grand format remarquables par la richesse de leur illustration. D’autres chroniques strasbourgeoises à la même époque ne le furent pas non plus.

5 Le chroniqueur Johannes Staedel vécut aux alentours de 1600, au moins jusqu’en 1615 à Strasbourg, dans une des familles les plus considérées de la ville. Plusieurs des membres de cette famille établie à Strasbourg depuis le XVe siècle faisaient partie du Conseil de la Ville et détinrent à plusieurs reprises la plus haute dignité au XVIIe siècle, celle d’Ammeister, comme Christoph IV Staedel (1560-1624) qui fut Ammeister en 1598, 1604, 1610, 1616 et 1622. Le chroniqueur pourrait avoir été l’un de ses fils. Ce dernier épousa en 1611 Ursula, fille de l’Ammeister Ulrich Mürschel ; ils auront un fils (Johannes le jeune), né en 1614, qui s’établit commerçant à Francfort-sur-le-Main et épousa Agnès Uffenstein. Plus tard un autre descendant de la famille, Johann Daniel Staedel quitta également Strasbourg pour Francfort en 1718 : il fut le père du mécène fondateur de l’Institut d’art Staedel, Johann Friedrich Staedel (1728-1816). Christoph IV Staedel avait épousé en secondes noces Agnès de Turckheim, ce qui expliquerait que la famille de Turckheim ait pu avoir dans sa collection trois des quatre volumes de cette chronique.

Organisation extérieure

6 Les pages de titre des différents volumes de la chronique de Staedel (toujours sur un premier feuillet non numéroté) donnent à peu de choses près le même titre pour les quatre volumes, sans mention du nom de l’auteur (Volume 1 : Chronica aller denckwürdigsten Historien… Traduction : Chronique de toutes les histoires remarquables : description véridique des histoires et faits qui se sont passés dans la ville de Strasbourg et les lieux environnants : aussi bien avant qu’après la construction de la ville, depuis le déluge jusqu’à 1330 après Jésus-Christ notre sauveur). Suit l’indication Pars prima, secunda, tertia et quarta. Il est donc évident que les quatre volumes formaient un tout. À cela correspond l’organisation de la page de titre qui, quoique différente pour chaque volume, présente de fortes similitudes au point de vue graphique, stylistique, structurel, en présentant le titre dans un médaillon central (qui dans le volume quatre est de forme triangulaire) entouré de quatre portraits en médaillons ou de quatre figures en pieds. L’illustration présente dans son ensemble le même profil, tant au point de vue du programme que du style et de la thématique retenus. La présentation extérieure reste identique pour les quatre volumes et laisse supposer un plan d’ensemble établi dès le départ. Les reliures sont d’époque, en veau brun à estampages à l’or, aux bords ornés de frises florales et au médaillon central ovale ou rhombique. Seul le volume premier présente en partie haute des initiales poussées à l’or : I. S. A. (sans doute pour Johannes Staedel Argentinensis),

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ainsi que la date 1614 en bas. Tous les volumes sont de grand format (in-Folio, 302 x 197 mm) et ont la même qualité de papier et la même épaisseur. Plusieurs feuilles de papier marbré sont positionnées au début et à la fin des volumes ; toutes les tranches sont dorées et ciselées. La pagination notée en chiffres arabes, à l’encre brune à droite ou à gauche au haut des pages ; le miroir (espace où le texte doit figurer) marqué ainsi qu’une réglure verticale à l’encre brune qui délimite l’espace destiné aux annotations ; le nombre de lignes par page est relativement constant ; tout cela montre que les volumes ont été préparés à l’avance, tant la réglure que la pagination. Les volumes sont écrits de la même main, à l’encre noire, en écriture courante soignée et ornementée par de grands jambages vers le haut et vers le bas, en caractères gothiques (« Fraktur ») et des rubriques pour les titres et les premiers alinéas. Vers la fin du volume quatrième cependant, l’écriture devient plus négligée et plus irrégulière. Dans l’ensemble des volumes, des feuillets isolés ou en plus grand nombre sont laissés vierges entre les différentes parties du texte, et les pages qui précèdent étant souvent à moitié remplies seulement, on peut penser que ces espaces ont été laissés en vue d’éventuels rajouts. Chaque volume se termine par un index alphabétique.

Contenu et structure

7 La chronique de Staedel met en parallèle une histoire des empereurs et l’histoire de l’Empire avec une histoire de la cité de Strasbourg depuis sa fondation avant l’ère chrétienne jusqu’à 1615, incluant également une histoire des villes et des monastères alsaciens. Tout cela est bien articulé grâce notamment à une riche iconographie. Si l’apparence extérieure du premier volume ressemble à celle des trois autres, l’organisation interne de ce volume s’en distingue nettement. Les quatre volumes se ressemblent certes par la structuration d’ensemble de leur contenu : les époques continuent d’être agencées selon les noms et les dates de règne, de Jules César jusqu’à l’élection de l’empereur Mathias en 1612, dans le volume 4. Les empereurs se voient par conséquent attribuer une numérotation allant de I à CXXII. Font partie de ce décompte certains rois allemands qui n’avaient pas le titre d’empereur (par exemple Rodolphe de Habsbourg) qui sont néanmoins présentés comme tels. En exergue à chaque nom d’empereur, avant le début du texte de la chronique, Staedel place quelques vers sans doute de sa composition, qui indiquent les dates marquantes ainsi qu’un jugement d’ensemble sur le personnage. Il s’y ajoute souvent, à partir de l’empereur Nerva, une représentation figurée ou parfois une scène à plusieurs personnages, parfois aussi le blason, les armoiries du personnage. Ainsi plus de cent empereurs sont mis en valeur par une illustration.

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Page de titre du premier volume

Collection BNU Strasbourg.

8 Quant au contenu, le volume premier couvre une étendue temporelle bien supérieure aux trois autres : il va du déluge, plus exactement de Tuisco, le mythique ancêtre des Allemands, jusqu’en 1330. Le second volume va de 1332, date pivot à laquelle fut mis en place le gouvernement de Strasbourg par les Ammeister issus des corporations, jusqu’en 1499 ; le troisième volume va de 1500 à 1599 ; le quatrième va jusqu’en 1615 et s’arrête net page 189, laissant l’œuvre inachevée.

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Armoiries et insignes de l’Empire, volume 1, p. 505-506

Collection BNU Strasbourg.

9 Dans le premier volume l’histoire de l’Empire occupe encore une place assez importante par rapport à celle occupée par l’histoire de Strasbourg et de l’espace alsacien. Dans la succession des empereurs sont inclus tant les empereurs romains que les empereurs byzantins, jusqu’au couronnement de Charlemagne. Après cela, seuls les empereurs romains-germaniques sont encore mentionnés. C’est ainsi que se combine l’histoire locale avec la chronique des empereurs, comme c’est le cas chez Twinger de Königshofen ; chez Twinger cependant, la structure étant différente : les informations se concentrent sur Strasbourg et sur l’espace alsacien, et les évêchés et les autres villes rhénanes (histoire de la fondation de Trèves et d’autres cités) sont également pris en compte, ainsi que l’histoire des Francs et des rois mérovingiens en tant que fondateurs de nombreux sanctuaires et couvents alsaciens. Voir le premier titre du volume 1 :

10 Vom Anfang des Teütschen Reichs… Traduction : Du début de l’empire allemand. Incipit : Alors qu’en l’an 31 à partir du déluge fut fondé le 1er empire, qu’on appelait celui des Assyriens, par Nemrod, fils de Kus, petit-fils de Cham, descendant de Noé. À cette époque naquit aussi le grand héros Tuitschen, fils de Noé, après le déluge, père de tous les Allemands, Windes, Wendes, Danois… Celui-ci partit avec 30 héros et princes, ses cousins, car fils pour certains de ses frères de Sem et Japhet, mais qui étaient aussi pour certains des petits-fils et arrière-petits-fils.

11 Si le volume 1 commence comme le chapitre cinq de Twinger, avec le déluge et la descendance de Noé, il suit ensuite une autre source : celle de Johannes Aventinus où il est question de Tuisco, un fils de Noé non évoqué dans le texte biblique, qui serait parti pour l’Europe après le déluge avec 30 autres héros et qui devint l’ancêtre fabuleux de tous les Allemands et leur premier roi.

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L’empereur Charlemagne, volume 1, p. 507

Collection BNU Strasbourg.

12 Le récit de la fondation de Strasbourg est illustré par une gravure sur cuivre, coloriée, et c’est là que commence le vrai sujet de la chronique. Dans le volume 1, les noms des évêques de Strasbourg servent d’éléments structurants ; l’évocation de chacun d’eux est illustrée par ses armoiries. Certaines villes ou régions sont elles aussi illustrées par des blasons : la première illustration de la page 19 représente les deux blasons de la Haute et de la Basse Alsace. La cathédrale de Strasbourg est particulièrement mise en valeur, d’abord pour la fondation en l’an 500 par Clovis avec un grand dessin qui la représente et par un poème qui la décrit telle qu’elle était à la fin du Moyen Âge. Cette chronique concernant l’histoire de Strasbourg s’arrête dans le volume 1 en 1327. En supplément viennent des actes concernant la gestion de la ville et de la justice, des formulaires de serments et des copies de privilèges impériaux des XVe et XVIe siècles. Pour finir, il donne à voir une sorte de galerie montrant les costumes traditionnels des personnages officiels de Strasbourg, de l’Alsace, et des corporations, ainsi que des scènes de la vie quotidienne au début du XVIIe siècle. À la fin de ce volume on trouve, comme dans les suivants, un index alphabétique.

13 Dans les volumes suivants, qui contrairement au premier s’ordonnent d’une façon strictement annalistique, l’histoire en tant que telle et la politique intérieure avec son évolution juridique et constitutionnelle de la ville, sont bien davantage que dans le volume 1 le cœur de l’information ; les dates de l’Empire ne servent plus qu’à donner le cadre extérieur. Cf. le premier intitulé du volume 2 :

14 Vrsach der Verenderung des Regiments… Traduction : Cause du changement de régime à Strasbourg. Quand on compte l’an 1332 après J.-C., quatre semaines après Pâques, après le repas

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du soir, une émeute s’éleva à Strasbourg dans la rue brûlée, entre les deux familles nobles Mullheim et Zorn.

15 Résultat marquant de ces affrontements : l’élection de Burckhardt Twinger à la fonction d’Ammeister, fonction qui à partir de là sera attribuée à des représentants des corporations d’artisans. Le changement structurel par rapport au premier volume est également visible dans l’ornementation. La page portant les armoiries qui revient au début de presque chaque année, porte bien en évidence les armes de l’Ammeister de l’année, avec en dessous et en plus petit les quatre blasons des Stettmeister. Pour certaines années les informations fournies se réduisent à quelques dates concernant les personnalités évoquées. Les évêques de la ville sont dorénavant placés à un rang inférieur par rapport aux dignitaires civils. Ils sont cependant encore présentés au début de leur entrée en fonction par leur blason exécuté en toute splendeur. L’histoire impériale et autres informations d’histoire contemporaine ne sont plus que des parenthèses par rapport à tel ou tel passage sur l’histoire de la ville, même si le principe du volume 1 qui était de représenter l’empereur par un portrait accompagné de 12 vers continue à être respecté. À côté des portraits des empereurs afférents à l’époque traitée il y a très peu d’illustrations concernant les événements. Dans le volume 2, le mouvement des « flagellants » de 1348 est illustré par trois scènes montrant plusieurs personnages. Le récit en prose sur la « règle et confrérie des flagellants » est en outre complété par un texte en vers. Un « Geisslerlied », dont le début est : Nu ist die Bette fahrt… Traduction : Maintenant le pèlerinage, seigneur, t’est aussi agréable que le voyage à cheval du Christ à Jérusalem. Par ailleurs on trouve aussi quelques représentations de créatures difformes (naissances monstrueuses). D’autre part sont présents par des illustrations détaillées deux chefs-d’œuvre d’architecture : la cathédrale et le pont sur le Rhin. Des informations plus précises concernant l’époque, comme par exemple dans le volume 3 des explications sur la Réforme et sur la personne de Martin Luther, deviennent plus rares ; les événements entourant l’introduction de la Réforme à Strasbourg, et l’affaiblissement progressif du clergé catholique qui s’en suivit prennent une grande importance pour l’auteur qui appartient à la confession protestante, mais aucune image ne vient illustrer ces faits. Des copies de décrets de la ville, des textes ayant trait aux différents corps de métier, sont à présent intégrés dans la chronologie de l’ensemble, contrairement à la méthode qui avait été appliquée dans le premier volume. Dans le quatrième volume, qui rejoint l’époque où vivait l’auteur, la chronique s’arrête en 1615 sans raison explicite. Le reste du volume est vierge, sauf l’index alphabétique qui figure tout à la fin.

Sources

16 Pour l’époque la plus ancienne de la chronique, le premier volume et une partie du second, c’est la chronique allemande de Jacques Twinger de Königshofen qui est la source, jusqu’en 1400/1414, sans pour autant qu’il y ait démarquage ; elle s’inspire aussi de nombreuses autres sources. Par ailleurs Staedel brise la construction qu’avait adoptée Twinger, qui procédait par chapitres thématiques : alors que ce dernier avait ordonné en cinq chapitres, avec à chaque fois un rappel chronologique liminaire, l’histoire du monde antique, l’histoire des empereurs, l’histoire des papes, l’histoire de l’évêché de Strasbourg, et enfin celle de la ville de Strasbourg, Staedel insère l’histoire des empereurs, des évêques et de la ville dans la masse des événements se succédant

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dans la chronologie. Ainsi l’ensemble peut s’ordonner d’après la succession des empereurs. L’histoire du monde d’avant les Romains tout comme l’histoire de l’Église et des papes sont passées sous silence. Staedel part de la chronique de Twinger mais en mêlant l’histoire universelle et celle de la ville, tout en remodelant foncièrement la matière.

17 Autant que j’ai pu le constater sans avoir eu la possibilité d’effectuer une recherche systématique, Staedel nomme à plusieurs reprises Jacob von Königshofen pour le Moyen Âge, mais il ne le cite qu’à titre de caution et très ponctuellement. Il cite des sources autres, notamment latines, également pour des faits ponctuels, en donnant des références relativement précises, et des auteurs plus anciens que Twinger, par exemple Paul Diacre et Sigebert, une Chronica polonorum, Reginon. Certains de ces noms figurent déjà chez Twinger. Par ailleurs, Staedel se réfère à des auteurs médiévaux qui vécurent après Twinger, comme Johannes Trithemius et Enea Silvio Piccolomini ; au XVIe siècle Johannes Aventinus (Turmair), Jacob Wimpheling, Sebastian Franck, Albert Krantz et Wolfgang Lazius. On ignore si Staedel a lui-même consulté ces sources ou s’il les a puisées dans des œuvres postérieures auxquelles il aurait eu accès.

18 Pour l’époque de la Réforme, il a utilisé Johannes Sleidan. Il est certain qu’il connaissait la « Edelsasser Chronik » du savant juriste Bernhard Hertzog, imprimée en 1592 à Strasbourg, qui mêle la chronique de la région à la chronique de la ville. Dans sa préface au volume 4, Staedel utilise quasiment les même termes que Hertzog quand il exprime son désir par amour de sa patrie de raconter l’histoire de l’Allemagne. Chez Hertzog déjà il y a le désir de faire figurer au début des exposés annalistiques les noms des quatre Stettmeister ainsi que celui de l’Ammeister avec ses armoiries. Il y aurait sans doute d’autres sources où Staedel s’est inspiré, dont pourraient faire partie les quatre livres des « Kollectaneen » du protestant Daniel Specklin datant de 1587, une collection d’écrits concernant en premier lieu l’architecture et l’histoire de la construction, présentée à partir de la moitié du XIVe siècle dans un ordonnancement annalistique, débutant chaque fois par l’annonce de l’élection de l’Ammeister avec son nom et sa corporation, exactement comme Staedel procède.

Parallèles

19 Dans la chronique strasbourgeoise de langue allemande de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe, on trouve des ouvrages contemporains qui ont des analogies avec celui de Staedel, eux aussi restés à l’état de manuscrits. Au XVIe siècle on peut en rapprocher les œuvres de Sebald Büheler : « Livre des armoiries = Wappenbuch », le Livre des Ammeister avec un texte sous forme de chronique, ainsi que la chronique en deux volumes qui débute avec la christianisation de l’Alsace. La chronique de Büheler repose sur le texte de Twinger de Königshofen. Du début du XVIIe siècle date la chronique en prose due à Michael Kleinlawel (Strasbourg, Bibliothèque municipale, M.272) et s’y rattachant, une « Chronique de Strasbourg » de Carl Ringler et de son gendre Johann Georg Saladin (Munich, Staatsbibliothek, Cgm 1222) ; la page de titre est datée de 1610, la chronique est poursuivie jusqu’en 1623. Toutes deux sont, tout comme l’œuvre de Staedel, richement décorées de blasons et, surtout dans le manuscrit de Saladin, par des dessins et des couleurs d’une très grande finesse. Les armoiries des évêques figurent au début de leur épiscopat ; ceux des Ammeister au début des données annalistiques les concernant. S’ajoutent à cela vingt-deux blasons de corporations. Kleinlawel aussi bien

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que Ringler/Saladin utilisent à côté d’autres sources la chronique de Twinger pour les parties traitant du Moyen Âge. Il est possible qu’aient existé des interdépendances directes entre l’œuvre de Staedel et ces deux ouvrages parallèles. L’ornementation des volumes de Staedel dépasse cependant en qualité toute autre entreprise de chronique contemporaine à Strasbourg. Nulle part ailleurs dans la chronique strasbourgeoise n’apparaît la structuration évidente de l’ensemble sur les portraits des empereurs.

L’empereur Frédéric II de Hohenstaufen, volume 1, p. 716

Collection BNU Strasbourg.

20 On peut faire un parallèle à cet agencement figuratif, quoi que de bien moindre qualité, dans deux manuscrits témoins de la chronique allemande de Jacob Twinger du XVe siècle, qui cependant ne proviennent pas de Strasbourg. On y retrouve en tout cas le parti pris de marquer le début de chaque règne par une vignette : des blasons dans le manuscrit conservé à Stuttgart, originaire de Constance, HB V 22 ; des emplacements vides laissés dans le manuscrit originaire du Rhin moyen, conservé à Francfort Ms.germ.qu.53, dans lesquels on envisageait peut-être de peindre des portraits à l’emplacement d’initiales absentes. Des portraits de personnages régnants ou des armoiries sont cependant souvent utilisés dans les chroniques du Moyen Âge et du début des temps modernes, combinés les uns avec les autres, mais en général pris dans un autre ordonnancement. Ils jouent un rôle important dans le cadre des généalogies de dynasties, pour des livres de tournois, pour des ouvrages héraldiques ou autres. Cependant la juxtaposition systématique de portraits d’empereurs exclusivement avec les blasons somptueux censés représenter tous les autres personnages et institutions de la ville est une spécificité de l’ouvrage de Staedel.

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Marcus Curtius se précipitant dans le gouffre en flammes, volume 1, p. 425

Collection BNU Strasbourg.

Le dispositif iconographique

21 Seul le premier volume comporte de grandes armoiries de la ville de Strasbourg, avant la page de titre. Dans ce volume, immédiatement avant le récit de la fondation de la ville et avant le début des illustrations suivantes, est collée une vue de Strasbourg gravée en taille douce et colorée, disposée sur une double page dépliable (environ 220 x 370 mm, datée dans un petit médaillon à droite en bas « Cupreae formae incisio anno salutis 1597 ») ; au-dessus de la gravure figurent plusieurs groupes de vers célébrant Strasbourg (Inc. Die Stat im Elsass wol bekant / Strassburg und Argentina genant / von Romern sie besatzet war / vor tausent etlich hundert Jahr… Traduction : La ville bien connue en Alsace, nommée Strasbourg ou Argentina, fut occupée par les Romains, il y a de cela plus d’un millier d’années…)

22 Les pages de titre des quatre volumes sont conçues sur le même modèle textuel et iconographique, et cependant sont très différentes par leur réalisation.

23 Volume 1 : cinq médaillons disposés en croix, celui du milieu portant le titre de la chronique, les quatre qui forment le pourtour figurant : en haut Adam et Ève, à gauche Andromède nue attachée à un rocher, à droite Persée arrivant armé sur son cheval à travers les airs et au-dessous de lui un dragon au bord de l’eau, en bas Noé devant l’Arche.

24 Volume 2 : médaillon central avec titre, entouré de feuillages et de fleurs, et quatre figures de jeunes femmes, sans doute allégories sur le gouvernement de la ville : en haut une femme portant un agneau (la paix), à gauche une femme portant un faucon (la

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circonspection), à droite une femme portant une croix et un calice (la foi) et en bas une femme portant deux enfants, un troisième se tenant à côté d’elle (la charité).

25 Volume 3 : médaillon central avec le titre, entouré de branchages et quatre figures féminines (allégories des continents) en haut une femme vêtue portant une couronne et un sceptre (l’Europe) avec à sa gauche un autour et à sa droite un paon, à gauche une femme vêtue portant un turban et un sabre (l’Asie), à droite une femme noire et vêtue seulement d’un pagne, portant une couronne en plumes et un arc (l’Afrique), en bas une femme nue et blanche portant une couronne de plumes et un perroquet (l’Amérique) et autour d’elle, de part et d’autre, un tissu drapé.

L’empereur Justin Ier, volume 1, p. 340

Collection BNU Strasbourg.

26 Volume 4 : un triangle placé sur sa pointe inscrit dans un carré décoré de feuillages dans les coins, et portant le titre et quatre figures assises, allégories des saisons. En haut une femme nue tenant un bouquet de fleurs (le printemps), à gauche un ange tenant un arc et une faucille (l’été), à droite un jeune Bacchus joufflu et nu sous un manteau rouge entrouvert, couronné de feuilles de vigne et muni d’un tambour (l’automne), en bas un homme couvert d’un manteau et d’un bonnet de fourrure (l’hiver).

27 Les illustrations des quatre volumes sont exécutées avec un grand soin tant pour le dessin que pour la couleur, avec des teintes franches et une large et riche palette (rouge, bleu, jaune, orange, vert, violet, turquoise, brun, or, gris, noir, blanc, incarnat), quelques représentations d’architectures sont exécutées en couleurs adoucies d’aquarelle, avec de fins rehauts d’or. L’ajout de rehauts d’or est exécuté en traits de pinceau extrêmement fins, surtout pour les bijoux, vêtements, harnais, épées. L’intérieur des blasons est généralement teinté des mêmes couleurs et orné des mêmes

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motifs que le fond et l’ensemble est pourvu de bordures finement ornementées et souvent environné de figures allégoriques. Les portraits d’empereurs, généralement placés dans le texte en début de paragraphe, au milieu d’une page, non encadrés, suivent ou précèdent, après le titre, les vers d’introduction.

Les armoiries

28 Le volume 1 compte 92 pages comportant des armoiries exécutées avec une finesse extrême, ornées de panaches de plumes baroques, de lambrequins, de guirlandes, d’emblèmes comme des mitres, des sceptres d’évêques, ou de figures symboliques (femmes couronnées portant un anneau dans leur main). Les champs intérieurs sont décorés de rinceaux, de pointillés ou de fins traits dorés. Parfois, au lieu d’un écu, on voit d’autres symboles de souveraineté comme des étendards ou des drapeaux.

29 Une importance particulière est accordée au blason de l’Empire qui occupe une page entière au début du chapitre traitant du passage du titre impérial aux souverains allemands, sous Charlemagne.

30 Les pages annuelles présentant les cinq blasons deviennent à partir du volume 2 la base structurelle dominante de la chronique, ce qui prouve le caractère annalistique ; ces pages ne comportent guère de texte que les noms des principaux élus du Magistrat, l’ Ammeister et les quatre Stettmeister, avec indication des familles et des corporations dont ils sont issus.

Les représentations d’empereurs

31 Dans le premier volume se trouvent en tout 75 de ces représentations de souverains (certaines doubles, l’une même triple dans le cas d’anti-empereurs), 7 dans le second, 4 dans le troisième, un seul dans le quatrième. Le premier portrait n’est pas celui de Jules César, qui est pourtant compté comme premier empereur et introduit comme tel par les 12 vers qui lui sont dédiés, mais celui de Nerva. Dans les volumes suivants, cette adaptation aux modes contemporaines devient la règle. L’exécution de ces portraits est extrêmement minutieuse tant pour le dessin que pour la mise en couleurs ; on note aussi le rendu des ombres et la richesse des détails dans les vêtements, les panaches de plumes, les harnais, les armes, les insignes du pouvoir. Les personnages en pieds de même que les chevaux et les cavaliers sont représentés de profil ou de trois quarts, parfois même de dos, et surtout pour les personnages à cheval, dans des poses fougueuses, des gestuelles théâtrales parfois, et maniérées. Les chevaux sont aussi de profil, de trois quarts ou de dos, bien campés sur leurs quatre pattes, sautillant sur trois ou encore cabrés sur leurs deux pattes arrières.

Scènes de genre et représentations architecturales

32 Les scènes, qui comportent presque toujours plusieurs personnages, sont généralement encadrées par un rectangle ou par une forme en médaillon rond. Les personnages sont représentés de la même manière antiquisante que les portraits ; parfois une même image est réutilisée. Dans le premier volume, huit (neuf puisqu’une des représentations montre deux empereurs) de ces scènes concernent un empereur ; les autres concernent

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des faits religieux ou historiques, en rapport avec la ville ou des événements d’histoire générale.

La cathédrale de Strasbourg, volume 1, p. 343

Collection BNU Strasbourg.

33 Volume 1 : Pour l’empereur Julius Maximinus [Maximin le Trace], en médaillon : persécution des chrétiens, trois hommes assomment un quatrième homme ; pour Aelius Antoninus Gordianus [Gordien III], sans cadre, deux hommes armés de sabres tuent un homme à terre ; pour Marcus Julius Philippus [Philippe l’arabe], sans cadre, deux personnages armés de sabres tuent un homme agenouillé ; pour Trébonien Galle, en médaillon, deux personnages armés font face à un troisième ; pour Valérien, en médaillon, un souverain portant un turban sarrasin, à cheval, entouré de trois archers, et à genoux à côté du cheval, un homme vaincu portant une couronne et un manteau doré, baisse la tête ; pour Gallien, en médaillon, même scène que p. 92 ; pour Valerius Aurelianus, deux hommes tuent un troisième à terre ; pour Publius Annius Tacitus [Marcus Claudius Tacitus] et son frère Marcus Annius Florianus : même image que p. 133 avec d’autres détails ; naissance de Jésus-Christ : des degrés au premier plan, une cloison de bois derrière, Marie, la crèche, Joseph, un berger et une brebis, au fond une nourrice, un bœuf, un âne, un chien ; la crucifixion du Christ : plusieurs personnages parmi lesquels un cavalier, un paysage et une ville ; la cathédrale de Strasbourg : architecture de l’édifice minutieusement rendue et coloriée, sans encadrement ; après l’empereur Constantin IV et l’évêque Maximinus de Strasbourg : Des Sibylles et de leurs livres : trois femmes nues dansent une ronde, plutôt semblables aux trois Grâces qu’aux Sibylles telles qu’on les représentait ; pour la légende du soldat romain Marcus Curtius : un cavalier portant épée se précipitant dans un gouffre d’où montent des flammes ; pour l’histoire des « femmes fidèles de Weinsberg » : l’entrée de Conrad III et de sa suite

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dans la ville de Weinsberg, les femmes portant leurs hommes sur le dos pour les sauver ainsi de la mise à mort en tant que vaincus, architecture exécutée avec minutie, dans un cadre doré rectangulaire ; récit d’un soi-disant crime commis en France par des juifs, qui entraîna leur expulsion en 1182 : un enfant crucifié.

Entrée de Conrad III dans la ville de Weinsberg, volume 1, p. 662

Collection BNU Strasbourg.

34 Volume 2 :Trois images occupant la largeur de l’espace du miroir en entier représentent les processions des flagellants : quatre hommes vêtus de manteaux noirs mi longs et de chapeaux noirs à croix rouges, de jabots de dentelle, de pantalons bouffants, de justaucorps et bas ajustés, l’un portant une croix à étendard rouge, un second un cierge allumé ; un homme habillé de la même façon en fouette un autre agenouillé les mains jointes et le torse nu ; sur une surface couverte d’herbe verte, neuf personnes allongées sur leurs manteaux ornés de croix forment un cercle, un homme portant le même costume est debout et les fouette jusqu’au sang, au premier plan on voit un arbre ; plus loin, l’horloge astronomique de la cathédrale , telle qu’elle fut achevée seulement en 1574, figurant cependant dans la chronique de 1352, année où fut construite l’horloge qui la précéda et qu’on appelait l’horloge des Trois Rois ; un homme debout sur un bout de terrain, soufflant dans un cor, tenant à la main un bâton, portant un chapeau, un pantalon court, une chemise, un gilet, des bas, des bottes, une grande sacoche en bandoulière ; le pont sur le Rhin près de Strasbourg, belle aquarelle finement exécutée du paysage avec le fleuve, des prairies et des montagnes, au premier plan la maison du péage avec ses colombages, un promeneur se reposant sur un banc, un autre portant sur son dos un vieillard, le tout dessiné avec perspective et effets d’ombres, dans un cadrage rectangulaire finement tracé à l’encre ; le « Schwörtag » (pour l’année 1482, suscription : avant le huitième renouvellement du Conseil à

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Strasbourg), une grande tribune en bois devant la cathédrale, sur laquelle se tiennent les dignitaires de la ville, à leurs pieds sur la place l’assemblée des bourgeois.

35 Volume 3 : Deux hommes portant lances et sabres, sont-ce les gardiens de la ville ? pour l’année 1548, l’Ammeister, les Stettmeister, le Stadtpfeifer dans une rue bordée de maisons.

Représentations de créatures monstrueuses

36 Volume 2 : deux enfants nus soudés par le front ; un veau à deux têtes et huit pattes.

37 Volume 3 : un veau ayant une langue anormalement longue ; un enfant aux pieds palmés ; un enfant à deux têtes.

Les costumes traditionnels alsaciens et strasbourgeois

38 Les costumes traditionnels alsaciens et strasbourgeois, avec les attributs officiels rattachés à des dignités et fonctions précises ne sont présents que dans le volume premier, en tant que supplément à la chronique, sur 61 pages (la page 1013 est paginée en double ; titre : Evidens Designatio Receptissimarum Consuetudinum Ornamenta quaedam et Insigna Continens Magistratui et Academiae Argentinensi a majoribus Relicta). Au-dessus de ces figures des titres rubriqués en latin (par exemple : nobilis Alsaticus in habitu quotidiano ; mercatoris filia choreis conveniens), en-dessous, des vers au nombre de 4 à 12, en allemand, qui commentent et expliquent les personnages et les relations entre eux, par exemple :

39 Dem Regierendt Stättmeister mùss… Traduction : Il faut pour le régnant bourgmestre / Que le messager de la justice (l’appariteur) le suive / Lorsqu’il se rend au Conseil ou qu’il en sort / Voilà la coutume de sa fonction.

40 Ces personnages en costumes sont en dehors du contexte de la chronique, cependant ils s’insèrent dans l’idée d’une évocation globale de la ville de Strasbourg. Ce sont d’abord les dignitaires du Magistrat de la cité de Strasbourg dans leurs costumes et avec leurs barbes du début de l’époque baroque, puis dans les différents états et métiers de Strasbourg ainsi que des campagnes alsaciennes, des femmes également, de hautes et de plus basses conditions, parfois en plusieurs exemplaires car vêtues pour différentes occasions telles que bals, noces, culte et travail.

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Préparatifs pour une fête princière, volume 1, p. 662

Collection BNU Strasbourg.

41 La série des costumes est nécessairement plus fidèle à la réalité contemporaine que la plupart des représentations d’empereurs. Les personnages sont plus statiques, moins expressifs du geste et du visage, mais très détaillés quant à leurs vêtements qui sont dessinés avec une grande exactitude historique : les hommes et leurs manteaux allant jusqu’à la moitié des mollets, plissés sur une partie, avec les collerettes blanches, les chapeaux hauts à larges bords, les culottes ajustées ; les femmes dans leurs robes longues, plissées et bouffantes, leurs coiffes compliquées et leurs bijoux ; pour les couleurs, c’est en général le noir qui domine pour les manteaux et les robes, mais assorti souvent de couleurs vives. Pour évoquer les métiers et les situations sociales certains objets sont caractéristiques : épées, lances, bâtons, outils, paniers, sacs, instruments de musique. Certaines images sont exécutées comme de véritables scènes de genre aux multiples personnages, chevaux et voitures.

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Une maraîchère et une cliente, volume 1, p. 1022

Collection BNU Strasbourg.

42 L’attribution de l’illustration du deuxième volume à l’atelier strasbourgeois de la famille Brentel dans le catalogue du musée est sans doute valable pour les quatre volumes, mais l’analyse définitive de cette question n’a pas encore été menée.

43 À côté du célèbre miniaturiste et graveur à l’eau forte Friedrich Brentel (né en 1580 à Lauingen, mort en 1651 à Strasbourg) sont à citer son fils Hans Friedrich (1602-1636 [?]), son beau-frère Hans Buhler et ses élèves Johann Wilhelm Baur, Johann Jakob Besserer, Tobias Franckenberger et Johann Walter. Mais pour pouvoir définir leur rôle, ces personnalités devraient faire l’objet d’études comparatives de précision. La recherche antérieure a vu en Friedrich Brentel le peintre des miniatures héraldiques de la chronique de Johann Georg Saladin ainsi que celui d’autres livres à caractère héraldique. À son père, Georg Brentel l’aîné, né en 1525 à Lauingen et mort en 1610 à Strasbourg, on a attribué déjà au XVIIe siècle des ouvrages héraldiques. L’excellente qualité de l’illustration des volumes de la chronique de Staedel justifie en tout cas de la placer parmi les œuvres de ce groupe d’artistes.

RÉSUMÉS

La « Chronique strasbourgeoise » de Johannes Staedel (mort en 1615) en quatre volumes et rédigée en haut allemand précoce a vu le jour entre 1612 et 1615 et n’est connue que par le seul

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manuscrit autographe de l’auteur. Elle insère une histoire de la ville de Strasbourg et des villes et monastères alsaciens à l’intérieur d’une représentation d’ensemble de l’histoire des empereurs et du Saint-Empire romain germanique. Cet article présente la structure, le contenu et les sources de la chronique, et effectue des comparaisons avec d’autres œuvres issues de la Chronique strasbourgeoise. Il nous en fait connaître l’iconographie très riche en couleurs et remarquable du point de vue artistique, dont l’origine est sans doute à rechercher auprès de la famille de miniaturistes des Brentel. Cette iconographie repose essentiellement sur les portraits d’empereurs et sur les magnifiques armoiries des évêques et des magistrats de Strasbourg, mais on y trouve également des représentations architecturales ou d’autres scènes. En annexe au premier volume, on trouve également sur 61 pages les représentations des costumes strasbourgeois et alsaciens de l’époque avec les attributs symboliques des dignitaires de la ville. (Chistine Stöllinger-Löser).

The “Strasbourg chronicle”, whose author died in 1615, was written in early New High German and published between 1612 and 1615. The only known edition is the author’s autograph manuscript, telling the story of the city of Strasbourg and of Alsatian towns and monasteries, as part of a global history of the emperors of the Holy Roman Germanic Empire. This article analyses the structure, the content and the sources of the chronicle and compares it with other publications of the Strasbourg chronicle, introducing to a highly colourful and artistically remarkable iconography. Its origin is probably to be found in the works of the Brentels, a family of miniaturists. The iconography mainly includes emperors’ portraits and the coats of arms of the Strasbourg bishops and magistrates, but also architectural sketches and other scenes. 61 pages in the first volume are enhanced by pictures of period costumes of Strasbourg and Alsace, with the distinctive emblems of the city’s dignitaries. (trad. Pierre Boulay).

Die vierbändige „Straßburger Chronik“ des Johannes Staedel († 1615) in frühneuhochdeutscher Sprache ist 1612-1615 entstanden und nur in der autographen Handschrift des Verfassers erhalten. Sie bettet die Geschichte der Stadt Straßburg und der elsässischen Städte und Klöster in eine Darstellung der römisch-deutschen Kaiser-und Reichsgeschichte ein. Der Beitrag stellt Struktur, Inhalt und Quellen vor, vergleicht ähnliche Werke der Straßburger Chronistik und verzeichnet die äußerst reiche und künstlerisch bemerkenswerte farbige Bildausstattung, die in den Umkreis der Miniaturistenfamilie Brentel gehören dürfte. Ihr Schwerpunkt liegt auf den zahlreichen Kaiserportraits und den prächtigen Wappendarstellungen der Straßburger Bischöfe und Amtsträger, daneben existieren auch Szenenbilder und Architekturdarstellungen. Als Anhang zu Band 1 der Chronik finden sich auf 61 Seiten Kostümbilder mit Straßburger und elsässischen Kleidertrachten und amtlichen Würdenzeichen. (Christine Stöllinger-Löser).

AUTEURS

CHRISTINE STÖLLINGER-LÖSER Kommission für deutsche Literatur des Mittelalters (Commission pour la littérature allemande du Moyen Âge), Académie des Sciences de Bavière

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Le syndicalisme dans le Bas-Rhin après 1918 jusqu’à la veille du Front populaire : du modèle allemand au modèle français ? Recherches sur une typologie1 Trade unionism in le Bas-Rhin between 1918 and the 1936 Popular Front. Was the German model replaced by the French one? Setting up a classification Die Gewerkschaftsbewegung im Unter-Elsass nach 1918 bis zur Zeit des Front Populaire (Volksfront): vom deutschen zum französischen Modell? Erkundungen zu einer Typologie

Michel Roth

Le concept de modèle syndical et son application au syndicalisme bas-rhinois sous le Reichsland

1 Les études sur le syndicalisme ouvrier se réfèrent au concept de modèle syndical. On en distingue ainsi trois en Europe au tournant des XIXe-XXe siècles : centraliste social- démocrate (Allemagne), basé sur un partage des tâches entre le syndicat qui dirige l’action corporative et la social-démocratie qui conduit le politique ; unioniste travailliste (Grande-Bretagne), où le syndicat prend le pas sur le parti politique ; syndicaliste révolutionnaire (France), caractérisé par la défiance vis-à-vis de l’État et des partis politiques2. D’autres caractéristiques distinguent notamment les syndicalismes allemand et français, tels que l’importance des effectifs, le nombre des « permanents » syndicaux ou le rapport au politique. Ainsi, l’objectif du syndicalisme est-il la satisfaction stricto sensu des revendications ouvrières dans le cadre du capitalisme ou est-il aussi celui d’un renversement du système économique ? Le syndicalisme s’exprime-t-il ou non sur des questions politiques ? Quel est son rapport

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aux partis politiques : indépendance, coopération, subordination ? Cumul ou non de fonctions syndicales et politiques ?

2 Avec le retour de l’Alsace à la France fin 1918, le syndicalisme alsacien rompt tous les liens avec les syndicats allemands pour rejoindre les syndicats français. Mais ce faisant, est-il ou non passé d’un modèle à l’autre ? À partir de l’exemple bas-rhinois, un essai de typologie tente de répondre à cette question, ce qui suppose au préalable d’une part, de comparer ces deux modèles, d’autre part de faire l’inventaire de « l’héritage » du Reichsland dans le syndicalisme bas-rhinois.

3 Le modèle allemand se caractérise par son réformisme, en ce qu’il ne remet pas en cause l’économie capitaliste, des effectifs importants et des liens étroits avec des partis politiques, alors que le modèle français est beaucoup plus idéologique, partisan du renversement du capitalisme, méfiant vis-à-vis des partis politiques et faible en effectifs. D’abord, il n’y a pas en Allemagne l’équivalent de la Charte d’Amiens, adoptée par la Confédération Générale du Travail (CGT) en 1906, qui se prononce pour l’expropriation capitaliste au moyen de la grève générale. Ensuite, les syndicalisations ne sont pas du même ordre : à la veille de la guerre de 1914, on compte en Allemagne près de trois millions de syndiqués sur quatorze millions de travailleurs recensés en 1911 (soit un taux de syndicalisation de 21,4%) contre quatre à six-cent-mille adhérents en France (pour une population ouvrière de dix millions de travailleurs, soit entre 4% et 6% de syndiqués3). Un important système de secours existe pour les syndiqués allemands4 qui disposent de nombreux permanents pour les conseils juridiques et la défense de leurs droits (législation du travail, assurances sociales5), tandis que le syndicalisme français est pauvre financièrement6, a peu de permanents7, et manifeste une hostilité radicale au mutualisme, considérant que celui-ci transmet au syndiqué une mentalité de « rentier8 ». Enfin, le modèle allemand révèle des liens étroits entre syndicats et partis politiques : du côté social-démocrate à partir de 1906, le SPD consulte la Commission générale des syndicats9 pour les décisions politiques importantes tandis que le groupe parlementaire SPD au Reichstag comprend des dirigeants syndicaux (un tiers en 191210) ; du côté chrétien, la proximité politique du Gesamtverband der Christlichen Gewerkschaften avec le Zentrum est notoire11 ; à l’inverse, le modèle français repose sur l’indépendance du syndicat vis-à-vis des partis politiques, proclamée par la Charte d’Amiens de 190612. Les syndicats sociaux-démocrates allemands s’interdisent d’intervenir dans les affaires politiques ; sollicités fin 1905 par la CGT, inquiète de la tension franco-allemande consécutive à l’affaire marocaine, pour organiser une manifestation syndicale franco-allemande contre le risque de guerre, ils répondent que la lutte contre la guerre relève de la seule compétence du Parti socialiste allemand13.

4 Le syndicalisme ouvrier bas-rhinois, à la veille de la guerre de 1914, est, pour partie, proche du modèle allemand. D’une part, les permanents syndicaux sont nombreux : la Zentralkommission der freien Gewerkschaften in Elsass-Lothringen créée en 190214 comptait vingt-cinq permanents15. Les liens avec les partis politiques sont forts : parmi les quarante-huit candidats sociaux-démocrates aux élections du Landtag de 1911, douze étaient des permanents syndicaux16. Enfin, les syndicats professionnels, qui, comme dans le reste de l’Empire ont le monopole du déclenchement de la grève en fonction des ressources de la caisse de grève17, ont un champ géographique correspondant à celui du Reichsland, comme par exemple le Elsass-Lothringer Textilarbeiterverband constitué en 189918. En revanche, sur le plan des effectifs, on est plus proche du modèle français :

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à la veille de la guerre de 1914, les Freien Gewerkschaften regroupaient à peine 10% des ouvriers du Reichsland (14 000 syndiqués dans le Bas-Rhin) pour 258 000 travailleurs occupés dans les usines soumises au Code du Travail et dans les mines19, et les syndicats chrétiens seulement 4 660 adhérents pour tout le Reichsland20. Le régime d’exception de la loi du 30 décembre 1871 sur l’administration de l’Alsace-Lorraine, permettant aux autorités militaires d’interdire publications et réunions, ne fut aboli qu’en 190221, alors que jusqu’en 1905, la constitution de toute association de vingt membres était soumise à autorisation administrative22. Il faut attendre 1902 pour que se créée une Commission centrale des syndicats d’Alsace-Lorraine (pour les Freien Gewerkschaften), suivie en 1907 d’un secrétariat syndical pour ces mêmes syndicats23.

Les courants syndicaux bas-rhinois de fin 1918 jusqu’au début de 1936

La formation des courants syndicaux24

La création de l’Union des Syndicats d’Alsace - Lorraine (USAL) et son adhésion à la CGT

5 En novembre 1918 le syndicalisme alsacien rompt tous les liens avec le syndicalisme allemand25. Le 24 décembre 1918, deux délégués des syndicats alsaciens-lorrains sociaux-démocrates, Imbs et Stehlin, demandent leur adhésion à la CGT qui l’accepte. Compte tenu des structures différentes des syndicats alsaciens-lorrains et français, il est convenu d’organiser le 5 janvier 1919 une conférence des syndicats d’Alsace- Lorraine en présence de délégués de la CGT, dont le secrétaire général, Léon Jouhaux26. Cette conférence décide la création d’une Union régionale des syndicats d’Alsace- Lorraine (USAL) qui adhère immédiatement à la CGT27.

La création d’une organisation syndicale chrétienne

6 Fin 1918, il n’existe pas en France de confédération syndicale chrétienne susceptible d’intégrer les syndicats chrétiens d’Alsace-Lorraine. Ceux-ci demandent alors leur adhésion à la CGT, qui les invite à la conférence des syndicats d’Alsace-Lorraine28. Lors de celle-ci, les syndicats chrétiens adhérent à la fois à l’USAL et à la CGT29. Mais cette adhésion est démentie : selon un « représentant qualifié de ces organisations », « les syndicats chrétiens d’Alsace-Lorraine n’adhéreront jamais (souligné) à la CGT30 ». Alertés par Gaston Tessier, secrétaire général de la Fédération des employés (catholiques) sur le caractère révolutionnaire de la CGT et appuyés par l’abbé Haegy, les groupes syndicaux locaux créent, le 23 février 1919, une fédération syndicale sous le nom d’Unabhängiger Gewerkschaftsbund von Elsass und Lothringen (UGB – en français Fédération des syndicats indépendants d’Alsace et de Lorraine) qui prendra une part active à la création de la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) en novembre 191931.

Vers la scission CGT-CGTU

7 L’USAL est confrontée à un contexte syndical nouveau, issu à la fois de la politique de présence auprès de l’État menée par la CGT depuis 1914 et des conséquences de la révolution d’octobre 1917 avec la création en mars 1919 de l’Internationale

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communiste. Le ralliement de la CGT à la politique d’Union sacrée entre 1914 et 1918 et son adhésion à la Fédération syndicale internationale (FSI) dite d’Amsterdam créée en août 1919, très liée aux partis socialistes de langue allemande, de Scandinavie et du Bénélux, créent une profonde division au sein de la CGT. L’Internationale communiste, lors de son deuxième congrès (19 juillet - 7 août 1920), résolument hostile à la FSI, appelle les syndicats de tous les pays à rejoindre l’Internationale syndicale rouge, où ils devront en appliquer les directives32. Lors du Congrès extraordinaire des syndicats d’Alsace-Lorraine des 18 et 19 septembre 1920, l’adhésion à l’Internationale communiste est rejetée par 58 040 voix contre 52 181 pour toute l’Alsace-Lorraine, et dans le Bas-Rhin par 28 410 voix contre 13 52333. Les partisans de l’indépendance absolue des syndicats par rapport aux partis l’ont emporté sur ceux de l’adhésion à l’ISR, pour qui un syndicalisme de lutte de classe ne peut être dans la FSI. Mais ces derniers progressent : au Congrès des syndicats libres (CGT) du Bas-Rhin des 18 et 19 juin 1921, ils recueillent 44 voix contre 50 qui défendent la FSI34. Un mois plus tard, au Congrès de la CGT de Lille, ils représentent 31% des votes bas‑rhinois35, contre 4% au précédent Congrès confédéral de 192036. Une scission intervient fin décembre 1921 avec la création de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU)37. Début 1922, une Union CGTU se constitue dans le Bas-Rhin38, d’abord autour des cheminots39, puis des métallurgistes40et du bâtiment41, Union qui avec ses homologues du Haut-Rhin et de la Moselle crée une Union régionale le 27 août 192242.

La réunification de la CGT

8 À partir de 1933, la situation internationale en Europe conduit à une dynamique unitaire entre la CGT et la CGTU qui débouche sur la réunification au Congrès de Toulouse des 2-5 mars 193643. Dans le Bas-Rhin, au 1er janvier 1936, sept syndicats CGT et CGTU avaient fusionné : Alimentation, Bâtiment, Ouvriers du bois, Cheminots, Employés, Ouvriers de fabrique, syndicats des Services publics et des Transports44.

La syndicalisation et l’audience

9 Selon les sources officielles, le total des ouvriers et employés occupés dans tous les établissements du Bas-Rhin occupant au moins un salarié était en 1921 et en 1926 de 158 00045.

10 Concernant la syndicalisation, étant rappelé la montée en flèche de celle-ci en 191946, puis son recul durable à partir de 192147, une étude intitulée « Groupes syndicaux d’Alsace-Lorraine » de juin 1925 recense 33 480 syndiqués CGT, CGTU (qui totalisent à elles deux 11 400 adhérents), Indépendants (chrétiens : 10 000 adhérents), fonctionnaires et syndicats non confédérés48, soit 21,2% de syndiqués. Au début de 1936, selon une enquête préfectorale, le total des syndiqués CGT-CGTU serait de 13 435, celui des fonctionnaires syndiqués 1 95049, et celui des syndiqués chrétiens de 7 50050, pour un total de 22 835 syndiqués, soit 14,45% de syndiqués, en net recul sur le taux précédent.

11 Les sources syndicales dont nous disposons concernent essentiellement la CGT et la CGTU, la presse syndicale de l’UGB de 1922 à 1936 ne donnant aucun chiffre d’adhérents, mais le nombre d’« Ortsgruppen » (groupes locaux), qui passe, dans le département du Bas-Rhin, de 40 au 1er octobre 1923 à 85 en 193051. Antoine Prost a retracé l’évolution des effectifs syndicaux de la CGT et de la CGTU de 1921 à 1937

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d’après les mandats des congrès. En 1924, la CGT au plan national compte 491 000 adhérents (pas de chiffre recensé pour la CGTU), puis 524 000 en 1926 – 431 000 pour la CGTU. En 1935, la CGT en voie de réunification compte 785 000 adhérents52. L’examen des comptes rendus des congrès de ces deux confédérations tenus en 1925, 1927 et 1936, permet d’estimer le nombre d’adhérents des syndicats bas-rhinois CGT et CGTU53. Au congrès de la CGT de 1925, les syndicats bas-rhinois ont 75 voix sur les 4 373 détenues par l’ensemble des syndicats représentés, soit 1,7%. Rapporté à l’effectif national de 1924, la CGT bas‑rhinoise aurait 8 400 adhérents. Au congrès de la CGTU de 1927, le Bas-Rhin dispose de 35 voix sur les 2 089 détenues par l’ensemble des syndicats représentés au congrès, soit 1,7%, ce qui, rapporté à l’effectif national de la CGTU de 1926 donnerait 7 300 adhérents. Sur la période 1924-1926, en supposant une CGT bas-rhinoise à effectif constant, l’ensemble CGT-CGTU représenterait à lui seul plus de 15 000 adhérents, soit près de 10% de la population salariée. Au congrès de la CGT réunifiée de mars 1936, les syndicats bas-rhinois ont 153 voix sur un total de 7 926, soit 1,93% qui rapporté aux 785 000 adhérents nous donnerait un peu plus de 15 000 adhérents dans le Bas-Rhin, soit l’ordre de grandeur du total CGT-CGTU de l’enquête préfectorale précitée et un taux de syndicalisation équivalent54.

12 Pour l’audience, la mobilisation pour le 1er mai reste limitée comme à Strasbourg en 1921 (2 000 personnes, soit à peine la moitié des manifestants de 191955), 1928 et 1932 (1 000)56, et quasiment nulle pour les autres arrondissements du département57. Elle sera toute autre sous le Front populaire, avec par exemple, selon les sources, pour le 1er mai 1937, entre 15 000 et 50 000 manifestants à Strasbourg, mais aussi des rassemblements dans d’autres localités (Graffenstaden, Erstein, Sélestat, Niederbronn, Molsheim58). Elle est très importante dans le domaine des Assurances sociales : aux élections à l’Office fédéral d’assurances sociales de septembre 1928, les candidats des syndicats UGB, CGT et CGTU recueillent au total, dans le Bas-Rhin, plus de 148 000 voix59, traduisant ainsi une forme d’adhésion par l’élection des travailleurs bas- rhinois. Enfin, la mobilisation syndicale peut être très importante, comme pendant les grèves de Strasbourg (juin‑août 1933), et la grève générale à Strasbourg le 12 février 193460.

Les questions d’organisation

13 Sur ce point, le syndicalisme bas-rhinois au cours de notre période garde des particularités issues de l’époque du Reichsland.

Le champ géographique

14 Le syndicalisme bas-rhinois de la période s’intègre le plus souvent dans une structure syndicale Alsace-Lorraine (Alsace-Moselle), correspondant au territoire de l’ex- Reichsland. Ce champ géographique est au plan interprofessionnel celui de l’USAL61, de l’UGB, mais aussi de la CGTU dont les syndicats décident le 13 août 1923 de créer une Union régionale englobant les trois départements62. Ces structures peuvent coexister avec des organisations interprofessionnelles départementales, comme l’Union des Syndicats du Bas-Rhin CGT créée en 192063. La pratique linguistique n’est pas étrangère au choix géographique64 : au congrès de la Fédération de l’Alimentation CGT de septembre 1924, selon Brandt, secrétaire du syndicat des travailleurs de l’Alimentation

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du Bas-Rhin, il aurait fallu une région spéciale Alsace-Lorraine, compte tenu de la langue différente dans ces départements65.

15 La question linguistique avait été posée dès la conférence des syndicats d’Alsace- Lorraine de Strasbourg de janvier 1919. Eugène Imbs, secrétaire général des syndicats d’Alsace-Lorraine, avait déclaré : « La différence de langues empêchera que la fusion soit aussi rapide que tous le souhaiteraient. En effet, les membres des syndicats de l’Alsace et de la Lorraine ne peuvent lire que des journaux écrits en langue allemande » 66. Au congrès de la CGTU de 1925, le délégué Doeblé souligne qu’en Alsace-Lorraine « nombreux sont les camarades qui ne connaissent pas le français » et que tous les documents relatifs au congrès doivent être traduits en allemand67. Il est convenu de faire traduire en langue allemande tous les documents nécessaires par le service de la main d’œuvre étrangère de la Confédération68. La CGT annonce, lors de son congrès de 1929, la création d’un poste de propagandiste, chargé pour l’Alsace-Lorraine de diffuser en langue allemande les positions de la CGT. Le salaire est pris en charge par la Confédération et les frais de déplacement et de réunions par les Unions départementales69. La presse syndicale est en langue allemande (Der Proletarier pour la CGTU, Le Syndicaliste pour la CGT, Der Unabhängige Gewerkschaftler pour l’UGB, avec pour cette dernière une édition française, Le Syndicaliste indépendant70). Sans relever stricto sensu des caractéristiques des modèles syndicaux, cette spécificité nécessite donc des mesures adaptées aux réalités de l’Alsace-Lorraine.

Les relations avec les organisations syndicales de « l’intérieur »

16 Lors de la conférence des syndicats d’Alsace-Lorraine de janvier 191971, l’adhésion de ces syndicats à la CGT supposait pour eux d’adhérer à une union départementale mais aussi à une fédération de métier ou d’industrie72. Si la première condition était remplie, via l’adhésion des syndicats à l’USAL considérée comme Union départementale adhérant à la CGT, la seconde posait problème pour les Alsaciens-Lorrains qui voulaient créer quatorze fédérations régionales d’industrie, les statuts de la CGT n’admettant que l’adhésion à des fédérations nationales. Il fut décidé d’écarter les fédérations régionales d’industrie, de dispenser les syndicats alsaciens-lorrains d’adhérer aux fédérations nationales de la CGT, enfin que le principe de fédérations régionales était admis provisoirement, notamment pour les secours de chômage et de maladie73. En contrepartie de cotisations élevées (1,15 Fr. par semaine pour les métallurgistes, 1,40 Fr. à 1,50 Fr. par semaine pour les ouvriers du bâtiment), les secours précités s’élevaient de 25 à 100 Frs versés à la famille74. Ils pouvaient constituer une part non négligeable des dépenses d’un syndicat. En 1921, pour la section de Strasbourg du syndicat des ouvriers des métaux CGT, les secours de chômage représentaient 40% des dépenses de la Caisse locale75. La dispense de cotisation à des fédérations nationales professionnelles existe encore en 1935 à la CGTU pour tous les syndicats alsaciens- lorrains affiliés, « en raison des formes spéciales d’organisation en Alsace-Lorraine76 ». Pour le syndicalisme chrétien, la FSI d’Alsace-Lorraine a sa propre trésorerie et son propre barème de cotisation77.

Les permanents syndicaux

17 Le « poids » des permanents syndicaux reste non négligeable. En 1921, la Fédération des métaux d’Alsace-Lorraine (CGT) est dotée d’un Comité central (deux présidents, un

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trésorier général, deux secrétaires) et de trois départements divisés par secteurs. Pour le Bas-Rhin, un secrétaire général, pour le secteur de Strasbourg deux secrétaires, une dactylographe et deux caissiers, pour Haguenau deux secrétaires, les autres secteurs (Graffenstaden, Erstein, Sélestat, Mutzig) étant sans secrétaire. Les salaires des permanents absorbent la quasi-totalité des cotisations des adhérents78. En 1934, le syndicat unitaire des ateliers de Bischheim compte, selon notre estimation, cinq à six permanents rémunérés79. Au début de l’année 1936, selon un rapport du préfet du Bas- Rhin, relatif à la fusion des syndicats départementaux CGT et CGTU, il y aurait une douzaine de permanents pour un ensemble syndical de 15 300 salariés pour le seul Bas- Rhin80, ce qui nous rapproche du nombre de permanents des Freien Gewerkschaften à l’époque du Reichsland. Du côté chrétien, lors du congrès de création de la CFTC de novembre 1919, la FSI d’Alsace-Lorraine annonce qu’elle rémunère douze « propagandistes », d’où le commentaire de Michel Launay : « À la manière allemande, les syndicats alsaciens-lorrains disposent de gens salariés81 ».

La conception allemande de la grève perdure

18 Le syndicalisme bas-rhinois conserve la conception allemande de la grève en ce que le syndicat ne reconnaît pas une grève déclenchée en dehors de lui. En juin 1919, le syndicat des métallurgistes de Basse-Alsace dénonce le fait que « de nombreux ouvriers agissent de leur propre chef82 ». Le syndicat peut alors enrayer le mouvement comme au Port du Rhin à Strasbourg en juin 191983, ou encore dans l’entreprise de construction Zublin en novembre 1920, la grève ayant été déclenchée sans concertation préalable avec le syndicat qui agit pour une reprise du travail dès que possible84. Les caisses de grève sont le corollaire de la grève déclenchée par le syndicat. Lors de la grève de la métallurgie dans le Bas-Rhin (juillet-septembre 1921), le syndicat CGT annonce qu’il a dépensé depuis le début du conflit plus d’un million de francs85. Or, ces sommes ne proviennent pas des fonds propres du syndicat qui ne dispose d’aucune réserve financière86, mais de fonds garantis par les différents immeubles appartenant aux métallurgistes87. La Conférence syndicale de Strasbourg de janvier 1919, ayant constaté l’absence de ressources des syndicats alsaciens-lorrains, vota à l’unanimité le principe d’une aide financière des organisations françaises88. La grève du bâtiment à Strasbourg d’avril-mai 1924 (jusque 1 500 grévistes), fut menée contre l’avis des syndicats CGT et CGTU qui estimaient leurs finances insuffisantes pour couvrir les secours en cas de grève89. Ces difficultés financières, si elles étaient confirmées par des documents syndicaux, pourraient renvoyer au syndicalisme français90.

Syndicalisme et politique

19 Dans l’histoire du syndicalisme français, ce thème pose deux questions : celle de l’expression politique des syndicats et celle des relations entre syndicats et partis politiques.

L’expression politique des syndicats

20 La loi française du 21 mars 1884 relative à la création des syndicats professionnels entend « bannir les syndicats du champ politique »91, à l’opposé donc de la Charte

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d’Amiens, alors que du côté allemand, les syndicats sociaux-démocrates reconnaissent au parti social-démocrate l’exclusivité du domaine politique92. Nous examinerons quelques thèmes.

Lutte de classe, réforme, révolution

21 Le syndicalisme chrétien, dans le Manifeste des Syndicats indépendants d’Alsace- Lorraine de mars 192093, tout en condamnant l’arbitraire patronal et préconisant « l’usine constitutionnelle », dénonce l’utopie de la « Cité future » socialiste fondée sur la terreur, réaffirme la conception chrétienne des questions sociales, écartant les expériences révolutionnaires. Il ne saurait donc y avoir de communauté d’idées entre la conception économique des chrétiens sociaux et celle des socialistes94. En 1935, le journal de l’UGB, sous le titre « Politik und Gewerkschaften », réaffirme que le syndicalisme chrétien ne peut être politiquement neutre, en ce qu’il vise à améliorer la situation économique et sociale de ses membres, qui dépend des orientations de la politique générale ; l’UGB est totalement neutre vis-à-vis de tous les partis politiques, sauf s’agissant de partis soutenant une dictature, ou ne respectant pas l’égalité des droits de la classe ouvrière dans la vie de l’État et de la société95. L’UGB s’exprime enfin à plusieurs reprises dans sa presse sur l’Union soviétique, dénonçant « l’Eldorado russe », le « paradis soviétique », ou encore l’exploitation des travailleurs par le système communiste96. La CGT d’après la scission se fonde toujours sur la Charte d’Amiens pour abolir le capitalisme et appelle à ne pas renoncer au combat contre la réaction97. La CGTU souligne sa proximité avec le parti communiste98, condamne les dirigeants réformistes qui abandonnent la lutte de classe pour une alliance avec la bourgeoisie en formant le cartel des gauches99 et sont les agents directs du patronat et du gouvernement100. Elle proclame son soutien à la Russie soviétique101.

Une Alsace-Lorraine autonome ?

22 Tout au long de notre période, la CGT et la CGTU s’expriment sur cette question102. La CGTU reprend les thèses du communisme alsacien, selon lesquelles « à l’oppression du prolétariat, des paysans et des masses laborieuses par les capitalistes, il convient d’ajouter l’oppression nationale de la population d’Alsace-Lorraine par l’impérialisme français103 ». Elle considère que les travailleurs alsaciens-lorrains sont victimes de cet impérialisme et, comme le déclare Joseph Mohn, secrétaire régional de la CGTU, au congrès national de la CGTU de septembre 1935104, refuse de condamner « la lutte pour le droit de libre disposition du peuple d’Alsace-Lorraine, qui est le drapeau d’une grande masse de travailleurs les plus combatifs ». Cette position est ancienne : le 11 octobre 1925, alors que Painlevé, président du Conseil, est en visite à Strasbourg, l’Union départementale CGTU du Bas-Rhin tient une réunion au cours de laquelle l’orateur unitaire Paul Meyer déclare : « Nous demandons à être administrés comme nous le voulons et non comme ils le veulent105 ». Lors de la grève du bâtiment à Strasbourg d’août 1933, la CGTU dénonce l’oppression nationale subie par l’Alsace- Lorraine et demande la séparation d’avec la France106. La CGT d’après la scission s’y oppose résolument. Le congrès des syndicats CGT du Bas-Rhin du 27 septembre 1925 dénonce la volonté du parti communiste et des syndicats CGT de séparer de la France les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et considère que susciter une question d’Alsace-Lorraine revient à soutenir les tendances des nationalistes allemands et provoquer un nouveau danger de guerre entre l’Allemagne

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et la France107. Début octobre, ce syndicat diffuse un manifeste où il déclare : « Tout système consistant à ériger des États minuscules est à rejeter. L’État minuscule d’Alsace-Lorraine serait écrasé entre les deux grandes puissances, la France et l’Allemagne108 ». Dans la période conduisant à la réunification de la CGT en Alsace, la CGT bas-rhinoise conditionne celle-ci au renoncement par la CGTU à la défense des revendications particulières pour l’Alsace-Lorraine, la CGTU considérant que cette question ne doit pas être un obstacle à l’unité syndicale109.

Les liens entre syndicats et partis politiques

23 Les trois courants syndicaux gardent de forts liens avec les partis politiques : cumuls de responsabilités syndicales et politiques avec chez les chrétiens, Henri Meck, secrétaire général de la FSI membre du comité directeur de l’UPR de 1927 à 1940110 ; Georges Wodli, secrétaire administratif de l’Union des syndicats de cheminots d’Alsace-Lorraine CGTU candidat du Parti communiste aux élections législatives à Molsheim en 1932111 ; Eugène Imbs, dirigeant après la scission CGT-CGTU de l’Union des Syndicats CGT du Bas-Rhin, conseiller municipal SFIO pendant toute notre période112. Si pour les chrétiens et les socialistes, il ne semble pas y avoir subordination du syndicat au parti, mais plutôt convergence, il n’en est pas de même pour la CGTU. En effet, dans la théorie communiste du syndicalisme, ni l’action politique ni le syndicalisme n’ont de réalité autonome, la seule réalité étant la lutte de classe113. En juin 1923, une liaison organique est décidée par le congrès constitutif de l’Union régionale des syndicats d’Alsace- Lorraine CGTU avec les Fédérations communistes d’Alsace-Lorraine pour introduire des représentants de ces Fédérations et des Jeunesses communistes dans l’organe exécutif de l’Union. Cette décision rejetée par l’Internationale syndicale rouge, en définitive, ne sera pas appliquée par l’Union114.

Conclusion

24 On peut considérer que le syndicalisme bas-rhinois participe des deux modèles syndicaux français et allemand.

25 Sur le plan idéologique, si la tendance anticapitaliste du syndicalisme français d’avant 1914 demeure au cours de notre période (CGT, CGTU), elle n’est plus la seule, avec la création de la CFTC, qui se fonde sur la doctrine sociale de l’Église, création à laquelle les syndicats chrétiens alsaciens ont fortement contribué. Cette coexistence de deux tendances, signe de l’évolution du modèle français, se retrouve dans le Bas-Rhin (CGT, CGTU, UGB), avec notamment en Alsace et Outre-Vosges, la scission CGT-CGTU115.

26 La syndicalisation bas-rhinoise et celle du reste de la France semblent relever du même ordre de grandeur au terme de notre période : en 1935, sur une population syndicable de 10 millions de salariés France entière116, l’ensemble des adhérents CGT + CFTC (respectivement 785 000 et 180 000) en représenterait environ 10%117, tandis que, de source syndicale, comme nous l’avons vu, l’ensemble CGT‑CGTU bas-rhinois donne un taux de 15%. Si la syndicalisation française a progressé par rapport à l’avant-guerre de 1914, elle reste loin de celle de l’Allemagne, où, en 1932, la centrale sociale- démocrate ADGB rassemble à elle seule 5 millions d’adhérents118. Le nombre de syndiqués progressera massivement sous le Front populaire, la CGT France entière

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comptant près de 4 millions d’adhérents en 1937 et 55 000 syndiqués dans le Bas- Rhin119.

27 Par sa politisation, le syndicalisme bas-rhinois se rattache là encore au modèle français en exprimant des positions politiques dans sa presse, lors de réunions publiques ou de grèves (12 février 1934), alors que le syndicalisme allemand « s’interdit de réagir lors de l’accession d’Hitler au pouvoir120 ».

28 Le modèle allemand se retrouve lui dans les aspects organisationnels du syndicalisme bas-rhinois : les liens avec les partis demeurent très étroits, en particulier avec le cumul des fonctions syndicales et politiques que l’on constate à l’UGB, à la CGT et à la CGTU, mais peut-être davantage ici par application de la doctrine léniniste de la subordination du syndicat au parti communiste. Les permanents syndicaux, dans les cas recensés, restent nombreux. Seul le syndicat peut déclencher la grève ; à défaut, les secours syndicaux en cas de grève sont refusés. L’importance des secours (chômage, maladie) demeure, ce qui peut poser parfois certains problèmes financiers.

29 La pratique de la langue, qui ne relève pas stricto sensu des caractéristiques d’un modèle syndical, a conduit les confédérations CGT et CGTU à prendre des mesures pour que la méconnaissance du français ne soit pas un obstacle pour leur action syndicale en Alsace et faciliter ainsi l’action des militants locaux. La géographie des structures syndicales auxquelles se rattachent les syndicats bas-rhinois est fondée à la fois sur la pratique de la langue et la volonté de rester dans un territoire correspondant à l’ancien Reichsland.

30 Malgré ces spécificités et les emprunts au modèle allemand, le syndicalisme bas-rhinois s’implique entièrement dans la vie du syndicalisme français, comme le montrent, par exemple, la manifestation strasbourgeoise du 12 février 1934 et le processus de réunification de la CGT largement entamé dans le Bas-Rhin au début de l’année 1936, étant rappelé le rôle des syndicats chrétiens d’Alsace-Lorraine dans la création de la CFTC en novembre 1919.

NOTES

1. . Cet article est tiré d’un mémoire de Master 2 d’Histoire (titre identique), dirigé par M. Claude Muller, soutenu le 12 juin 2014 à Strasbourg à l’Institut d’Histoire d’Alsace. Le jury était composé de Mme Catherine Maurer, Mme Élisabeth Clementz et M. Claude Muller. Il intègre des recherches postérieures. 2. . Serge WOLIKOW, « Les formes historiques du syndicalisme en Europe », in Tania REGIN et Serge WOLIKOW, dir., Les syndicalismes en Europe,Àl’épreuve de l’histoire, Paris, 2002, p. 24. 3. . En 1913, pour les Freien Gewerkschaften (sociaux-démocrates), on compte 2 376 647 syndiqués. Klaus SCHÖNHOVEN, « Die regionale Ausbreitung der deutschen Gewerkschaften im Kaiserreich, 1890-1918 », in Gerhard A. RITTER, Der Aufstieg der deutschen Arbeiterbewegung. Sozialdemokratie und Freie Gewerkschaften im Parteiensystem und Sozialmilieu des Kaiserreichs, München, 1990, p. 365-366. Au même moment, les syndicats chrétiens regroupent 340 000 adhérents et les syndicats Hirsch- Duncker (libéraux) 105 000. Dieter SCHUSTER, Le mouvement syndicaliste allemand, Bonn, 1985, p. 45. Pour la France, Georges LEFRANC, Histoire du travail et des travailleurs, Paris, 1975, p. 320.

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4. . En 1900, en Allemagne, 99,8% de 680 000 syndiqués de 54 syndicats bénéficient de secours en cas de grève, 81,9% de syndiqués pour 36 syndicats de secours en cas de déménagement et de décès. Hedwig WACHENHEIM, Die deutsche Arbeiterbewegung, 1844 bis 1914, Köln, 1967, p. 386. 5. . En 1914, ils sont 2 867 dans les comités directeurs centraux des syndicats et 207 au niveau des syndicats locaux. Dieter SCHUSTER, Le mouvement syndicaliste allemand, op. cit., p. 41 et 45. 6. . Stéphane SIROT, La grève en France. Une histoire sociale (XIXe-XXe siècle), Paris, 2002, p. 140. 7. . Michel DREYFUS, Histoire de la CGT, Bruxelles, 1995, p. 63. 8. . Michel D REYFUS, Liberté, égalité, mutualité, Mutualisme et syndicalisme, 1852-1967, Paris, 2001, p. 77-78. 9. . Organe de direction des syndicats sociaux-démocrates depuis 1902. Jean S AGNES, Histoire du syndicalisme dans le monde des origines à nos jours, Toulouse, 1984, p. 31. 10. . Dieter SCHUSTER, Le mouvement syndicaliste allemand, op. cit., p. 40. 11. . Klaus SCHÖNHOVEN, Die deutschen Gewerkschaften, Frankfurt am Main, 1987, p. 75. 12. . Michel DREYFUS, Histoire de la CGT, op. cit., p. 46. 13. . Jacques JULLIARD, Autonomie ouvrière, Études sur le syndicalisme d’action directe, Paris, 1988, p. 137. 14. . Hartmut Diethelm SOELL, Die sozialdemokratische Arbeiterbewegung im Reichsland Elsass- Lothringen 1871-1918, Ein Beitrag zur Geschichte eines europäischen Grenzlandes, Heidelberg, 1963, p. 113. 15. . Léon STRAUSS, « Syndicalisme des salariés », in Encyclopédie de l’Alsace, Strasbourg, 1982-1986, p. 7 214. À rapprocher du nombre de permanents pour l’ensemble de la CGT. Voir note 7. 16. . Hartmut Diethelm SOELL, Die sozialdemokratische Arbeiterbewegung im Reichsland Elsass- Lothringen 1871-1918, op. cit., p. 294, note 166. 17. . François I GERSHEIM, L’Alsace des notables, 1870-1914, La bourgeoisie et le peuple alsacien, Strasbourg, 1981, p. 82 et L’Alsace politique 1870-1914, Strasbourg, PUS, 2016, p. 74. 18. . Léon STRAUSS, « Syndicalisme des salariés », art. cit., p. 7 214. 19. . Hartmut Diethelm SOELL, Die sozialdemokratische Arbeiterbewegung im Reichsland Elsass- Lothringen 1871-1918, op. cit., p. 123 et 295 (note 169). 20. . Christian BAECHLER, Le parti catholique alsacien, 1890-1939, Du Reichsland à la République jacobine, Paris, 1982, p. 193. 21. . Bernard V OGLER, Histoire politique de l’Alsace, De la Révolution à nos jours, Un panorama des passions alsaciennes, Strasbourg, 1995, p. 175-176. 22. . Christian BAECHLER, Le parti catholique alsacien, op. cit., p. 17-18. 23. . Hartmut Diethelm SOELL, Die sozialdemokratische Arbeiterbewegung im Reichsland Elsass- Lothringen 1871-1918, op. cit., p. 113 et 122. 24. . Le terme « courants syndicaux » vise à faire ressortir la dimension idéologique des syndicalismes chrétien, communiste et socialiste. Nous n’aborderons pas ici les syndicalismes des fonctionnaires et autonomes. 25. . Léon STRAUSS, « Syndicalisme des salariés », art. cit., p. 7214. 26. . La Bataille, 26 décembre 1918. 27. . La Voix du Peuple, 1919, p. 50-52 (Bibliothèque de l’Institut d’histoire sociale de la CGT). 28. . La France Libre, tampon du 26 décembre 1918, Archives nationales (AN), F7/13377. 29. . L’Humanité, Le Petit Parisien, tampon du 7 janvier 1919, AN, F7/13377. 30. . La Libre Parole, tampon du 16 février 1919, AN, F7/13377. 31. . Léon STRAUSS, « Syndicalisme des salariés », art. cit., p. 7215. Christian BAECHLER, Le parti catholique alsacien, op. cit., p. 625. 32. . Jean SAGNES, Histoire du syndicalisme dans le monde des origines à nos jours, op. cit., p. 186-189. 33. . Archives départementales Bas-Rhin (ADBR), 121 AL 878. Police générale, activités syndicales 1920.

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34. . ADBR, 121 AL 880. Direction de police, no4 841 du 20 juin 1921. 35. . Maurice LABI, La grande division des travailleurs, Première scission de la CGT (1914-1921), Paris, 1964, p. 279. 36. . Ibid., p. 277. 37. . Michel DREYFUS, Histoire de la CGT, op. cit., p. 116-117 et 119. 38. . Léon STRAUSS, « Syndicalisme des salariés », art. cit., p. 7 215. 39. . AN, F7/13378. Commissariat général de la République, Revue de la presse alsacienne et lorraine, no77, 1er avril 1922. 40. . ADBR, 121 AL 855. Services généraux de police, rapports généraux, 1918-1925, Bolchevisme et mouvement ouvrier, 12 juillet 1922, p. 6-7. 41. . AN, F7/13378. Commissariat de Strasbourg, rapport no1 585 du 10 octobre 1922. 42. . AN, F7/13378. Direction de police de Strasbourg, noD 7 138 du 2 septembre 1922. 43. . Michel DREYFUS, Histoire de la CGT, op. cit., p. 154-155, 159-161. 44. . ADBR, 98 AL 684/1. Préfecture du Bas-Rhin, Cabinet no1836/34 du 6 janvier 1936. 45. . OFFICE RÉGIONAL DE STATISTIQUE D’ALSACE ET DE LORRAINE, Annuaire statistique (Bas-Rhin, Haut-Rhin, Moselle), premier volume, 1919-1931, Strasbourg, 1932, p. 237. 46. . En juin 1920, le congrès des syndicats d’Alsace-Lorraine réunit plus de 200 délégués représentant 150 000 cotisants. AN, F7/13377. L’Humanité, fiche du 4 juin 1920. 47. . La CGT compte 140 000 adhérents sur les trois nouveaux départements en septembre 1919. Léon STRAUSS, « Syndicalisme des salariés », art. cit., p. 7 214‑7 215. 48. . ADBR, 121 AL 1129. Pour les syndicats dont le nombre de syndiqués concerne les trois départements, nous avons pris un tiers des effectifs. 49. . ADBR, 98 AL 684/1. Préfecture du Bas-Rhin, Cabinet no1 836/34 du 6 janvier 1936. 50. . ADBR, 98 AL 684/1. Commissaire de Police spécial de Strasbourg no6 580 du 28 octobre 1935. Sur les 22 500 syndiqués indépendants des trois départements, nous avons retenu le tiers pour le Bas-Rhin. 51. . Der Unabhängige Gewerkschaftler, no23 du 10 novembre 1923 et no24 du 29 novembre 1930. 52. . Antoine PROST, La CGT à l’époque du Front populaire, Essai de description numérique, Paris, 1964, p .35-37. 53. . Il s’agit bien ici d’estimations : en effet certains congrès ne mentionnent que les voix des syndicats ayant participé au vote et non le total des voix détenues par la totalité des syndicats représentés au congrès. 54. . Cf www.ihs.cgt.fr/congres: CGT, XXIVe Congrès (26-29 août 1925), p. 167, 205-245 ; CGTU, IVe Congrès (19-24 septembre 1927), p. 544-577 ; CGT, Congrès confédéral d’unité (2-5 mars 1936), p. 117, 192-267. 55. . ADBR, 121 AL 880. Manifestations du 1er mai 1921. Direction de police de Strasbourg noC 3418 du 2 mai 1921. 56. . ADBR, 98 AL 685. Commissariat Gare de Strasbourg n o658 du 1er mai 1928. Direction des services généraux de police d’Alsace-Lorraine no12/4421 du 2 mai 1932. 57. . En 1933, les rapports des sous-préfets signalent une journée calme. ADBR, 98 AL 685. Commissariats d’Haguenau no478 du 2 mai 1933, de Wissembourg no1 678/33, de Gare de Strasbourg no1 508 du 2 mai 1933, d’Erstein-Sélestat no444/33 du 2 mai 1933. 58. . ADBR, 98 AL 685. Préfecture du Bas-Rhin, Cabinet du 1er mai 1937. Antoine PROST, Autour du Front populaire, Aspects du mouvement social au XXe siècle, Paris, 2006, p. 133. 59. . Jean ACKER, L’organisation et l’action syndicales ouvrières en Alsace, thèse de droit, Paris, 1931, p. 20. 60. . Léon S TRAUSS, « Front populaire », « Grèves », in Encyclopédie de l’Alsace, op. cit., p. 3231, 3500-3501.

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61. . L’USAL se dissoudra le 1 er avril 1921, en raison de sa non-conformité à la structure départementale de la CGT. Léon STRAUSS, « Imbs Eugène », in Encyclopédie de l’Alsace, op. cit., p. 4 232. 62. . ADBR, 121 AL 855. Services généraux de police. Rapports généraux 1918-1925. Bolchevisme et mouvement ouvrier, noB/3/8732 du 25 septembre 1923, p. 4. 63. . AN, F7/13377. Direction de police du 9 août 1920. 64. . Voir note infra. 65. . L’Alsace est dans la huitième région de la Fédération avec d’autres départements de l’Est. Archives départementales de Seine-Saint-Denis, 46 J 2. Congrès de la Fédération de l’Alimentation CGT, Paris, 22-24 septembre 1924, p. 50. 66. . AN, F7/ 13377. France Libre, tampon du 6 janvier 1919. 67. . www.ihs.cgt.fr/congres : CGTU, IIIe Congrès, 26-31 août 1925, p. 408. 68. . Ibid., p. 413. 69. . www.ihs.cgt.fr/congres : CGT, XVIe Congrès, 17-20 septembre 1929, p. 14. 70. . Tous ces journaux sont bimensuels. Claude L ORENTZ, La presse alsacienne du XXe siècle, Répertoire des journaux parus depuis 1918, Strasbourg, 1997, p. 321-322, 390-391, 410-411, 393-394. 71. . Il est rappelé qu’à cette date, la CFTC n’existe pas encore. 72. . AN, F7/13377. Le Matin, tampon du 6 janvier 1919. 73. . AN, F7/13377. L’Humanité, tampon du 7 janvier 1919. 74. . AN, F7/13377. France Libre, tampon du 12 janvier 1919. 75. . ADBR, 121 AL 882. Direction de police de Strasbourg, noD 784 du 31 janvier 1922. 76. . AD Seine-Saint-Denis, 46 J 4. Fédération nationale des travailleurs de l’Alimentation et des colonies (CGTU). État des syndicats adhérents arrêté au 5 octobre 1935. 77. . François IGERSHEIM, « Henri Meck (1897-1966), syndicaliste et député alsacien : la première carrière (1919-1945) », Annuaire de la Société d’histoire et d’archéologie de Molsheim et environs, 2006, p. 6. 78. . ADBR, 121 AL 881. Métallurgie. Direction de police noC 1437 du 21 février 1921. 79. . ADBR, 98 AL 684/1. Cheminots. Rapport 2530 du 23 avril 1935. 80. . ADBR, 98 AL 684/1. Préfecture du Bas-Rhin. Cabinet no1 836/34 du 6 janvier 1936. 81. . Michel LAUNAY, La CFTC, Origines et développement, 1919-1940, Paris, 1986, p. 30-31. 82. . ADBR, 121 AL 877. Grèves 1919. Rapport du Gouvernement militaire de Strasbourg. État- major, service de sûreté no1248/SG. Die Freie Presse du 21 juin 1919. 83. . ADBR, 121 AL 877. Grèves 1919. Directeur du Travail no 824 du 21 juin 1919. 84. . ADBR, 121 AL 878. Bâtiment. Direction de police de Strasbourg n o10 124 du 17 novembre 1920 et 10 162 du 18 novembre 1920. 85. . ADBR, 121 AL 881. Métallurgie. Commissariat Port du Rhin du 2 août 1921. 86. . ADBR, 121 AL 881. Métallurgie. Direction de police de Strasbourg noC 1437 du 21 février 1921. 87. . ADBR, 121 AL 881. Métallurgie. Direction de police de Strasbourg noC 5085 du 28 juin 1921 et rapport du même service du 14 août 1921. 88. . AN, F7/13377. La Vérité. Tampon du 13 janvier 1919. 89. . ADBR, 121 AL 885. Bâtiment. Commissariat Gare de Strasbourg 1 er avril 1924, 7 avril 1924, no1 475 du 7 avril 1924, 13 mai 1924, noCCI 2 433/24 du 31 mai 1924. 90. . Il convient de rester prudent sur ce point. 91. . Stéphane SIROT, 1884, des syndicats pour la République, Lormont, 2014, p. 52. 92. . Voir note 13. 93. . ADBR, 121 AL 157. Services rattachés au Cabinet – service de la presse. Syndicalisme 1920-1921, Le Nouveau Rhin Français, 12 mars 1920. Le texte est signé de Camille Bilger, député UPR et président de la Fédération des Syndicats Indépendants. 94. . Le Syndicaliste Indépendant, no 10 du 31 octobre 1922.

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95. . Der Unabhängige Gewerkschaftler, 20 juillet 1935. 96. . Der Unabhäqngige Gewerkschaftler : « Das Eldorado Russland » (no13 du 19 juin 1926), « Das russische Arbeiter-Paradies » (no22 du 1er novembre 1930), « Kommunistische Arbeiterausbeutung » (no11 du 23 mai 1936). 97. . Die Freie Presse, 6 novembre 1922. 98. . Der Proletarier, 20 août 1929, sous le titre « Gewerkschaft und Partei » qui se réfère à un comité d’action PC-CGTU pour les intérêts du prolétariat. 99. . Congrès de l’Union départementale unitaire du Bas-Rhin du 22 juin 1924, ADBR, 121 AL 885. Propagande syndicale. Commissariat Gare de Strasbourg no 1 997 du 8 juillet 1924. 100. . Benoît Frachon, Secrétaire général de la CGTU, lors de la réunion de l’Union locale unitaire à Strasbourg le 26 octobre 1933. ADBR, 98 AL 684/1. Commissariat Gare de Strasbourg no3 811 du 27 octobre 1933. 101. . Der Proletarier, organe mensuel des syndicats unitaires d’Alsace, no 10 du 25 octobre 1927 qui titre « Es lebe die Sowjetrepublik! ». 102. . Il s’agit ici d’illustrer l’expression syndicale sur un sujet politique, caractéristique du modèle syndical français. 103. . Déclaration du PCF au Congrès ouvrier-paysan d’Alsace-lorraine du 20 septembre 1925, Patrice PELISSIER, « Diversité du communisme bas-rhinois de l’entre-deux-guerres », Revue d’Alsace, no110, 1984, p. 169. 104. . www.cgt.ihs.fr : CGTU, VIIIe congrès, 24-27 septembre 1935, p. 250-252. 105. . ADBR, 121 AL 886. Activités syndicales. Commissariat de Strasbourg n o1 419 du 11 octobre 1925. 106. . Léon STRAUSS, « Grèves », art. cit., p. 3 500. 107. . ADBR, 121 AL 886. Activités syndicales. Commissariat de Strasbourg n o1 498 du 28 septembre 1925. 108. . ADBR, 121 AL 886. Activités syndicales. Commissariat Gare de Strasbourg n o1 516 du 3 octobre 1925. 109. . Der Proletarier, 15 avril 1935 (sur le 9e congrès régional unitaire d’Alsace-Lorraine), 15 octobre 1935 (« Die els.-lothr. Frage darf kein Hindernis sein in der Verwirklichung der Einheit »). 110. . Léon STRAUSS, « Meck Henri», art. cit., p. 5 021. 111. . Georges RIBEILL et Léon STRAUSS, WODLI (Georges), maitron-en-ligne.univ-paris1.fr. 112. . Léon STRAUSS, « Imbs Eugène », art. cit., p. 4 232. 113. . Antoine PROST, La CGT à l’époque du Front populaire, op. cit., p. 128-130. 114. . L’Humanité, du 23 août 1923. 115. . En Allemagne, le syndicalisme communiste reste à l’intérieur de l’ADGB en formant une Opposition syndicale rouge. Jean SAGNES, Histoire du syndicalisme dans le monde des origines à nos jours, op. cit., p. 140. 116. . Antoine PROST, La CGT à l’époque du Front populaire, op. cit., p. 76. Le chiffre de 1937 a été transposé à l’année 1935 et arrondi. 117. . Pour la CGT, voir note 52. Pour la CFTC, Michel LAUNAY, La CFTC, Origines et développement, op. cit., p. 217. 118. . Jean SAGNES, Histoire du syndicalisme dans le monde des origines à nos jours, op. cit., p. 140. 119. . Antoine PROST, La CGT à l’époque du Front populaire, op. cit., p. 76, 212. 120. . Jean SAGNES, Histoire du syndicalisme dans le monde des origines à nos jours, op. cit., p. 141.

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RÉSUMÉS

Au tournant des XIXe-XXe siècles en Europe, le concept de modèle syndical, qui analyse le syndicalisme ouvrier selon son rapport au politique (orientation révolutionnaire ou réformiste, rapport aux partis), son audience et son organisation, distingue les syndicalismes allemand et français. Le premier est réformiste, étroitement lié aux partis politiques, dispose d’effectifs importants et de nombreux permanents. Le second se prononce pour le renversement du capitalisme, affirme son indépendance totale vis-à-vis des partis et ne compte que peu d’adhérents et de permanents. Avec le retour de l’Alsace à la France, le syndicalisme alsacien constitué sous le Reichsland passe-t-il du modèle allemand au modèle français ? L’exemple bas- rhinois analysé jusqu’à la veille du Front populaire montre qu’il y a emprunt aux deux modèles. Une forte expression sur les sujets politiques et la décrue des effectifs sur la période considérée participent du modèle français. Du modèle allemand persistent les liens étroits avec les partis, le monopole syndical de la grève, l’importance des permanents et des secours aux syndiqués. La pratique linguistique et l’intégration dans des structures syndicales couvrant le territoire de l’ex- Reichsland renforcent la spécificité du syndicalisme bas-rhinois. Pour autant, celui-ci s’implique entièrement dans la vie du syndicalisme français. (Michel Roth).

At the turn of the 20th century In Europe the union pattern concerning working class unionism politically (either the reformist or the revolutionary approach), its audience and its organisation make a clearcut distinction between Unionists in Germany and in France. The former were reformists, being closely related to political parties and had a large membership and abundant permanent staff. The latter advocated the overthrow of capitalism, distanced themselves from political parties and had a reduced membership and permanent staff. When Alsace returned to France the question was whether the German Reichsland model would be replaced by the French one. Analysing the example of the Bas-Rhin until the Popular Front, one can understand it found its inspiration in both. In that specific period the French influence was present in the obvious interest for political questions and in the decreasing number of unionists; the German model survived in the close relationships with parties, in its exclusive responsibility in organizing strikes, and in the importance of permanent staff and union member relief. The language problem and its presence in unions extending to the former Reichsland territories made Bas- Rhin unionism a specific and yet perfectly integrated branch of the French organisation. (trad. Pierre Boulay).

An der Wende des 19. zum 20. Jahrhundert in Europa, unterscheiden die wissenschaftlichen Arbeiten, die sich mit der Gewerkschaftsbewegung und deren politischen Einstellung (revolutionäre oder reformistische Orientierung, Verhältnis zu den Parteien), deren Zuspruch und deren Organisation befassen, zwischen deutscher und französischer Gewerkschaftsbewegung. Die erste ist reformistisch, eng an die Parteien gebunden. Sie verfügt über eine große Mitgliederschaft und zahlreichen Funktionären. Die zweite spricht sich für den Umsturz des Kapitalismus aus, behauptet seine vollständige Unabhängigkeit von den Parteien und zählt nur wenige Anhänger und Funktionäre. Wird die elsässische Gewerkschaftsbewegung, die zur Zeit des Reichslands entstanden ist, mit der Rückkehr des Elsass an Frankreich, nun vom deutschen zum französischen Modell übergehen? Die Analyse des Unter-Elsässischen Beispiels bis zur Zeit des Front Populaire zeigt auf dass sie wohl aus beiden Quellen schöpft. Starke Äußerungen zu politischen Themen und eine Abnahme der Mitgliederschaft zeugen eher vom französischen Modell. Aus dem deutschen Modell bleiben bestehen die engen Verbindungen zu den Parteien, das Gewerkschaftsmonopol des Streikes, die große Anzahl der Funktionäre und das Ausmaß der Hilfe an die Mitglieder. Sprachpraxis und die Tatsache, dass der Wirkungskreis sich

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mit dem des ehemaligen Reichslandes deckt verstärken die Besonderheiten der Unter- Elsässischen Gewerkschaften. Nichts desto trotz sind sie voll in die französische Gewerkschaftsbewegung integriert. (trad. R. S.).

AUTEUR

MICHEL ROTH Ancien directeur du Travail, titulaire d’un Master en histoire de l’Université de Strasbourg

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La vie démocratique et l'opinion de l'Alsace

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Les élections présidentielles et législatives du printemps 2017 en Alsace

Richard Kleinschmager

1 Les élections du printemps 2017 ont été exceptionnelles par l’importance des péripéties qui ont émaillé la campagne et l’importance des modifications du paysage politique qu’ont généré les deux tours de l’élection présidentielle du 23 avril et du 7 mai et ceux des élections législatives qui ont suivi, les dimanches 11 et 18 juin 2017.

Une élection présidentielle de rupture

2 Le contexte de l’élection a été marqué par nombre d’incertitudes économiques et sociales mais aussi internationales et sécuritaires. La croissance économique de +1,1% du PIB sur l’ensemble de l’année 2016 n’a pas permis une réduction significative du chômage. Malgré une amorce de baisse en dents de scie à compter de l’été 2016, le taux de chômage s’est maintenu à 9,6% en décembre 2016, un haut niveau par rapport à d’autres pays européens comme l’Allemagne et ses 3,9%. Les inégalités entre pauvres et riches se sont accentuées, même si en France comme aux Pays-Bas et en Belgique, cette disparité est restée plus modérée que dans d’autres pays de l’OCDE, les États-Unis en particulier. Par ailleurs, au cours des dernières années, les tensions internationales se sont avivées, en particulier par les crises du Moyen-Orient. L’opposition entre Israël et ses voisins ne s’est pas réduite et le reste du Moyen-Orient est devenu une véritable poudrière en particulier dans la période récente avec l’installation des terroristes de Daech sur des fractions de territoires irakiens et syriens. À proximité de l’élection, la guerre civile en Syrie, la montée des tensions entre la Russie et les occidentaux dans ces conflits, la croissance de l’autoritarisme populiste en Turquie, la persistance des oppositions entre chiites et sunnites au sein du monde musulman, les incertitudes sur la politique internationale des États-Unis suite à l’élection de Donald Trump, ont crée un climat de lourdes et graves incertitudes à l’échelle planétaire. La menace des attentats liés à ces troubles, après les attentats de Paris, en janvier 2015 à Charlie Hebdo

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et novembre de la même année au Bataclan, ont conféré un arrière plan anxiogène à la campagne électorale.

Une campagne intense et riche d’imprévus

3 La campagne des élections présidentielles a été intense et fertile en rebondissements. Dès le début de 2016 la perspective d’entamer un match similaire à celui de 2012 avec pour principaux protagonistes Nicolas Sarkozy, l’ancien président, et François Hollande, le président en place, a fait l’objet de commentaires critiques. François Hollande, au sortir des manifestations en février et mars 2016 contre la loi « relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels », dite loi El Khomri, a vu son capital de popularité se réduire comme peau de chagrin. Les protestations contre le projet de déchéance de nationalité y ont également contribué. Ce dernier projet a été abandonné le 30 mars 2016 après quatre mois de controverses y compris dans le camp de la majorité présidentielle. Ces deux projets de loi sont à l’origine du mouvement « Nuit debout » qui, de fin mars à mai 2016, a réuni sur les places publiques de nombreuses villes, y compris en Alsace, des assemblées de manifestants de gauche contestant les orientations jugées trop libérales du gouvernement de Manuel Valls et du système économique dans son ensemble. Elles ont été un terreau favorable à la candidature de Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci l’a annoncé dès le 10 février 2016 pour « incarner la France insoumise et fière de l’être » et a exclu toute participation à une primaire de gauche. Marine Le Pen quant à elle, a averti de sa candidature deux jours plus tôt sur le plateau du journal télévisé de TF1, avec pour premier slogan de campagne « la France apaisée ». Le dépôt, le 6 juillet 2016, d’une motion de censure par une fraction des députés PS emmenés par Benoît Hamon et Aurélie Filippetti qui a obtenu 56 signatures sur les 58 nécessaires pour renverser le gouvernement, a été à l’origine d’une scission larvée au sein de la gauche socialiste qui n’a cessé de s’agrandir jusqu’à la victoire de Benoît Hamon aux primaires de « la belle alliance socialiste » de janvier 2017. Parallèlement, le ministre de l’Économie Emmanuel Macron a démissionné de son poste le 30 août 2016, après avoir fondé le 6 avril 2016, à Amiens, le mouvement « En marche ». Ces tensions marquées au sein de la gauche ont sans nul doute pesé sur la décision de François Hollande de ne pas se représenter à l’élection présidentielle, annonce faite à la télévision le 1er décembre 2016. Ce choix a privé la campagne d’un candidat susceptible de porter et défendre le bilan du quinquennat écoulé. Les deux grands partis politiques, le Parti socialiste et Les Républicains s’en sont remis à des élections primaires au sein de leurs camps, pour désigner chacun leur champion.

Une primaire de la droite réussie débouchant sur une inflexion droitière

4 Le 20 novembre 2016, le mouvement de droite Les Républicains, lors des premières primaires de son histoire, a désigné François Fillon pour le représenter. La primaire de la droite et du centre a été sans conteste l’événement marquant de la précampagne électorale présidentielle. C’était une première dans ce camp politique, première réussie dans la mesure où pas moins de 4,3 millions d’électeurs au premier tour, 4,5 millions au deuxième ont participé au scrutin au niveau national dans 10 228 bureaux de vote après le versement de 2 € et, en principe, la signature d’un texte d’adhésion aux valeurs de la droite. En 2012, la primaire de la gauche avait réuni 2,6 puis 2,9 millions d’électeurs. En

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Alsace, le dimanche 20 novembre 2016, au premier tour de la primaire, 66 060 électeurs dans le Bas-Rhin et 40 662 dans le Haut-Rhin se sont exprimés dans l’un des 342 bureaux de vote de la région. Une semaine plus tard, 68 330 électeurs dans le Bas- Rhin et 41 461 dans le Haut-Rhin se sont déplacés pour choisir entre Alain Juppé et François Fillon. D’un tour à l’autre, le nombre de votants en Alsace est passé de 106 722 à 109 791 soit un gain de participation de 2,9 %. Les Républicains, parti principalement concerné, mais aussi de petites formations comme le CNIP (Centre National des Indépendants et Paysans) et le parti chrétien-démocrate ont été partie prenante de cette élection. En l’absence de prise de position nette de François Bayrou, l’UDI et le Modem sont restés en position d’observateur sans dissuader leurs membres et sympathisants de participer à l’élection. Le président de la région Grand Est, Philippe Richert, dernier président de la Région Alsace mais aussi ancien ministre délégué en charge des Collectivités territoriales de Nicolas Sarkozy, a très tôt exprimé son choix en faveur de l’ancien président, prenant à contre pied nombre d’autres élus Républicains alsaciens. Il a été rejoint par le maire de Mulhouse Jean Rottner ainsi que les sénateurs René Danesi et . Alain Juppé a sans conteste bénéficié des plus gros bataillons de soutien avec la sénatrice très présente très tôt dans la campagne du maire de Bordeaux mais aussi, tardivement, du sénateur Jean-Marie Bockel ainsi que des députés Arlette Grosskost et Jean-Luc Reitzer, des maires Jean- Marie Kutner de Schiltigheim, Yves Bur de Lingolsheim, Pierre Perrin de Souffelweyersheim ou Gérard Hug de Biesheim. Les soutiens de François Fillon ont été principalement parlementaires avec le fidèle Patrick Hetzel, ancien membre du cabinet du Premier ministre, ancien directeur de l’enseignement supérieur et de la recherche du candidat et ancien recteur, de Sophie Rohfritsch, Claude Sturni, Michel Sordi et Frédéric Reiss rejoints par le maire de Colmar, Gilbert Meyer. Les présidents de département, Éric Straumann et Frédéric Bierry, le maire de Rixheim, Olivier Becht, les parlementaires , Guy-Dominique Kennel et Antoine Herth ont choisi l’ancien ministre de l’Agriculture de Nicolas Sarkozy, Bruno Lemaire. Jean-François Copé a bénéficié du soutien de Laurent Furst et André Schneider, députés. Jean-Louis Christ, député et maire de Ribeauvillé, comme la jeune conseillère régionale Lilla Mérabet ont opté pour Nathalie Kosciusko-Morizet.

5 Le premier tour s’est révélé surprenant sur le plan politique. Arrivé troisième au niveau national avec 20,6% des votants, Nicolas Sarkozy a été nettement devancé par Alain Juppé avec 28,6%, mais avec 44,1% des votants, François Fillon a bouleversé la donne sur la droite de l’échiquier politique. Ce faisant, il a totalement infirmé les sondages antérieurs au vote. Au début de la campagne, en mars 2016, il faisait partie des candidats modestes avec en moyenne des sondages, 8% de votes en sa faveur alors qu’Alain Juppé caracolait en tête avec 42% des votes, devançant nettement Nicolas Sarkozy à 24%. Fin août, Alain Juppé a commencé à baisser à 35% des voix, Nicolas Sarkozy se rapprochant à 30% et François Fillon stagnant à 10%. Une semaine avant le premier tour, François Fillon a commencé son ascension à 25% des votes, tandis que s’est maintenu l’écart en tête entre Alain Juppé à 34% et Nicolas Sarkozy à 25%. À ce moment de la campagne, il a bénéficié d’un report massif des électeurs favorables à Bruno Lemaire qui est passé de 15% à 7% des voix. Sa victoire découle d’une fulgurante remontée dans la dernière semaine et sans nul doute encore le jour même du scrutin.

6 Les 107 000 votants alsaciens du premier tour semblent avoir suivi le mouvement national en dépit de leur forte fibre sarkozyste antérieure – en 2012, Nicolas Sarkozy

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avait obtenu en Alsace 36% des voix au premier tour de la présidentielle et 65% au deuxième tour – et de l’ouverture marquée au centre d’Alain Juppé soutenu par nombre d’élus alsaciens importants. Avec 47,1% des votes, François Fillon a dépassé de trois points son score national (44,1%) dans la région. Il a même obtenu la majorité absolue dans quatre circonscriptions législatives, Saverne, Wissembourg, Colmar et Thann- Ensisheim. Le résultat d’Alain Juppé a été nettement inférieur en Alsace (24,7%) à son résultat national (28,6%), le fidèle Premier ministre de Jacques Chirac connaissant dans la région le même écart de voix en sa défaveur que son mentor. Nicolas Sarkozy a été à l’unisson au niveau national (20,6%) et au niveau régional (20,7%) alors que Bruno Lemaire (3,3% Alsace, 2,4% France) et Nathalie Kosciusko-Morizet (2,6% en Alsace, 2,4% France) ont dépassé de peu leur score national.

7 Alain Juppé ayant décidé de maintenir sa candidature au deuxième tour en dépit du fort écart le séparant de François Fillon, le dimanche 27 novembre, 4 301 415 électeurs au niveau national, 109 791 électeurs à l’échelle alsacienne ont eu à départager les deux anciens premiers ministres gaullistes. Le second tour a confirmé en l’amplifiant le succès de François Fillon au premier tour. Avec 66,5% des voix au niveau national et pas moins de 71,9% en Alsace – 70,2% dans le Bas-Rhin et 74,7% dans le Haut-Rhin – François Fillon a conquis dans les urnes, avec un discours libéral en économie et conservateur pour la société, une légitimité majeure pour représenter la droite à l’élection présidentielle face aux candidats des gauches et à la candidate de la droite lepéniste. Sa légitimité sera remise en cause par les révélations du Canard enchainé fin janvier 2017 sur les rémunérations de l’épouse du candidat et d’autres aspects de ses revenus.

8 Cette primaire, véritable élection dans l’élection, une première pour la droite, a été un incontestable succès tant du point de vue de l’organisation que de la mobilisation des électeurs qu’elle a suscitées. Avec 107 000 votants au premier tour et 109 000 au second en Alsace, son succès a largement dépassé celui de la primaire socialiste de 2012 pour laquelle près de 40 000 votants alsaciens s’étaient déplacés. Dans cette famille politique de la droite, elle a aussi exprimé combien la région était en phase avec l’opinion publique nationale, nonobstant les tensions nées de la réforme territoriale qui a fusionné l’Alsace dans le Grand Est. Aux questions posées aux candidats par la pétition « Rendez-nous l’Alsace » promue par le député LR Laurent Furst, François Fillon était sans conteste celui qui s’était le moins avancé en faveur d’un retour au statu quo ante.

Une primaire de la gauche tardive dominée par l’opposition à la présidence socialiste sortante

9 En miroir de cette primaire réussie, la gauche ne pouvait pas faire moins que la droite pour désigner son candidat à l’élection, et organiser à son tour une primaire, exercice qu’elle avait déjà opéré en 2012 où François Hollande l’avait emporté. En annonçant d’une voix blanche, le jeudi 1er décembre 2016 qu’il ne souhaitait pas se présenter à l’élection présidentielle du printemps 2017 pour un second mandat, le président en fonction a donné le véritable coup d’envoi de la primaire de la « Belle alliance populaire » organisée par le Parti socialiste. Le lendemain de cette annonce, le Premier ministre Manuel Valls a démissionné de sa fonction et annoncé qu’il était « candidat à la présidence de la République ». Pas moins de six autres postulants se sont placés sur la ligne de départ. Parmi les plus connus, ont figuré Arnaud Montebourg et Benoît Hamon opposés de front au Premier ministre avec le groupe des députés socialistes

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« frondeurs » qui avait notamment déposé une motion de censure contre le gouvernement le 6 juillet 2016. Leur rupture avec le Premier ministre s’était en quelque sorte officialisée après leur départ du premier gouvernement Valls. Benoît Hamon qui avait préalablement été ministre délégué chargé de l’Économie sociale et solidaire dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, avait quitté le ministère de l’Éducation nationale du premier gouvernement Valls après 147 jours. Quant à Arnaud Montebourg, après avoir été ministre du Redressement productif de Jean-Marc Ayrault, il était devenu ministre du premier gouvernement de Manuel Valls avec le portefeuille de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique. Il a quitté le gouvernement en même temps que Benoît Hamon en août 2014.

10 Les autres candidats ont représenté des partis proches du Parti socialiste mais de moindre poids politique national. Ainsi Sylvia Pinel ministre de l’Artisanat, du Commerce et du Tourisme de Jean Marc-Ayrault puis ministre du Logement des deux gouvernements Valls a représenté le vieux parti radical de gauche auquel a appartenu Christiane Taubira. François de Rugy, député écologiste de Loire-Atlantique depuis 2007, passé au groupe socialiste de l’Assemblée nationale en mai 2016, s’est présenté au nom du Parti écologiste qu’il a créé en juillet 2016 avec Jean-Vincent Placé. Enfin Jean-Luc Bennahmias, ex-député européen des Verts qui a rejoint le Modem de François Bayrou, avant de fonder en 2014 son propre parti, le Front démocrate, a incarné une autre sensibilité de centre-gauche proche des mouvements libertaires de l’après 1968. L’ancien ministre de l’Éducation nationale de Jean-Marc Ayrault, Vincent Peillon, est quant à lui arrivé très tardivement dans la compétition avec l’ambition d’incarner une position centrale entre les deux camps opposés des frondeurs et de l’ancien Premier ministre.

11 Après une campagne réduite à trois semaines, Benoît Hamon a créé la surprise en arrivant nettement en tête au niveau national avec 36,2% des suffrages. Ses résultats en Alsace, ont été proches du résultat national avec 36,1% des voix dans le Bas-Rhin et 32,8% dans le Haut-Rhin. Proche de lui par son opposition au gouvernement, Arnaud Montebourg a réalisé un score inférieur de moitié avec 17,6% à l’échelle nationale et 15,4% des voix dans le Bas-Rhin et 17,1% dans le Haut-Rhin. Quant au Premier ministre sortant, Manuel Valls, il a obtenu 31,2% des voix au niveau national et un score légèrement plus élevé dans le Haut-Rhin (32,2%) que dans le Bas-Rhin (31,1%) à l’inverse de Benoît Hamon. En Alsace, 24 594 électeurs se sont déplacés à ce premier tour des primaires de la « Belle alliance populaire », soit près d’un tiers des votants de la liste socialiste du premier tour des régionales de 2015 menée par Jean-Pierre Masseret qui avait totalisé 76 953 voix. Quant aux autres candidats, ils ont obtenu des résultats tous légèrement supérieurs en Alsace par rapport à leur score national : Vincent Peillon, 8,4% contre 6,8%, François de Rugy, 5,2% contre 3,8%, Sylvia Pinel 2,3% contre 1,9% et Jean-Luc Bennhamias 1,5% contre 1%. À Strasbourg, Benoît Hamon a majoré son résultat avec 40% des voix contre 30% à Manuel Valls, 13,2% à Arnaud Montebourg et 9% à Vincent Peillon. Benoît Hamon réussit mieux à Strasbourg qu’à Mulhouse où il obtient 37,9% des voix et contre 29,9% à Manuel Valls et 17% à Arnaud Montebourg. Le deuxième tour a vu un net renforcement de la participation comme lors des primaires de la droite. Benoît Hamon a progressé de plus de 10 000 voix sur l’ensemble de l’Alsace alors que le total des voix en faveur de Manuel Valls n’a augmenté que de 5 800 voix. Benoît Hamon est arrivé en tête dans les deux départements alsaciens avec 59% des suffrages dans le Bas-Rhin (12 528 votants) et

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56,5% dans le Haut-Rhin (6 174 votants) soit des résultats en proportion très proches des 58,6% de son résultat national. Il a réalisé le même score de 63% des suffrages à Mulhouse et Strasbourg soit un surcroît net en sa faveur dans les deux principales villes de la région. À Colmar, il n’a obtenu que 51,6% des suffrages contre 48,4% à Manuel Valls.

12 Cette élection primaire de la « Belle alliance populaire » conçue par le Parti socialiste pour faire émerger son candidat à l’élection présidentielle a, au bout du compte, confirmé le désaveu par les électeurs de gauche du bilan du quinquennat de François Hollande en consacrant Benoît Hamon, l’un de ses opposants majeurs. Les votants alsaciens ont mis leurs pas dans les tendances nationales. Au final, les résultats de Benoît Hamon ont marqué une inflexion à gauche comme la nette victoire de François Fillon sur Alain Juppé a signé une accentuation à droite des votants de ces élections primaires. La question est posée de savoir si la logique des élections primaires n’est pas d’infléchir vers les positionnements idéologiquement et politiquement les plus tranchés le choix des électeurs particuliers que sont les électeurs militants et sympathisants de ce type d’élection.

Une campagne intense et riche en rebondissements après les primaires

13 Malgré sa brillante désignation par les primaires, la candidature de François Fillon a souffert jusqu’à son terme des révélations progressives du journal Le canard enchaîné. Le 24 janvier 2017, le journal satirique a commencé à évoquer les soupçons d’emploi fictif, à la fois comme attachée parlementaire et comme rédactrice à la Revue des deux mondes, pesant sur son épouse Pénélope Fillon. Ces révélations ont déclenché dés le 25 janvier une enquête du parquet financier national. Celle-ci a abouti à la mise en examen du candidat le 14 mars 2017 et de son épouse le 28 mars. Dans le même temps, Marine Le Pen a refusé de se rendre à la convocation des juges, soupçonnée d’avoir salarié avec des moyens du Parlement européen, des membres de sa formation, en particulier Catherine Griset, l’une de ses plus proches collaboratrices. Ces diverses révélations ont suscité un climat de campagne singulier où l’attention des électeurs s’est notoirement cristallisée sur les personnalités des candidats et les problèmes de moralité dans la vie publique. Le 22 février 2017, le soutien de François Bayrou, président du Mouvement démocrate (Modem), à la candidature d’Emmanuel Macron, a marqué un tournant de la campagne. Ce soutien s’est rapidement traduit par un envol de ce dernier dans les sondages. Quant à Benoît Hamon désigné par la primaire socialiste le 29 janvier 2017, il a commencé à partir du 10 mars une lente descente dans les sondages au bénéfice principalement de Jean-Luc Mélenchon et de son mouvement « La France insoumise ». Le rassemblement le 18 mars 2017 de plus de 100 000 personnes à la Bastille, a marqué le début de sa progression dans les sondages alors qu’il était jusqu’à cette date précédé par le candidat socialiste. Le retrait de , candidat des Verts en faveur de Benoît Hamon le 23 février a fait disparaître les Verts de l’offre électorale sans déclencher une progression de Benoît Hamon dans les sondages. Les débats télévisés du premier tour, suivis à chaque fois par plusieurs millions de personnes, ont marqué la fin de la campagne du premier tour. Le 20 mars, TF1 a accueilli les cinq principaux candidats, puis le 4 avril, les onze candidats se sont affrontés sur BFM-TV associé à C News. Tous ont, pour terminer, passé sur France 2, le 20 avril, ce que la chaîne a dénommé le « grand oral ». À la moitié de cette émission, un attentat tuant le jeune

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policier Xavier Jugelé en faction sur les Champs-Élysées a marqué de gravité la fin de l’émission.

14 En Alsace comme ailleurs, ni les affichages, ni les réunions publiques n’ont été des éléments saillants de cette campagne présidentielle qui s’est largement déroulée sur les écrans d’ordinateurs via notamment les réseaux sociaux, et sur les médias télévisuels, les radios et la presse écrite nationale et régionale. Dans l’espace public, les tableaux d’affichage officiels ont presque été les derniers jalons visibles des pratiques d’affichage anciennes. Le contraste est marqué avec les campagnes politiques d’outre-Rhin où l’affichage électoral dans l’espace public est encore prisé. Les villes alsaciennes, y compris Strasbourg, n’ont pas vu se tenir de meetings majeurs, même si l’Alsace et Strasbourg restent des lieux privilégiés pour développer la partie européenne des programmes. François Fillon a tenu un meeting au Hall Rhenus à Strasbourg, le 6 avril 2017. Marine Le Pen a tenu une seule réunion en Alsace, à Monswiller, petite commune de 2 000 habitants près de Saverne, le 5 avril 2017 devant 1 600 personnes en promettant : « Je vous rendrai l’Alsace », même si son programme prévoyait la suppression des régions et des intercommunalités. Benoît Hamon a fait un déplacement à Strasbourg le 23 mars 2017 pour développer ses projets en matière de défense, déplacement conclu par une rencontre publique à la librairie Kléber. Nicolas Dupont- Aignan a fait étape à Colmar le 10 avril en s’adressant à 200 personnes réunies à la « salle des familles ». Quant à Jean-Luc Mélenchon, il avait tenu une réunion publique le 15 février 2017 au Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg. C’est dans la même salle que François Asselineau a terminé le 21 avril sa campagne.

15 Les prises de position des responsables de la droite alsacienne après les primaires se sont caractérisées par un soutien mesuré à François Fillon. D’aucuns après la mise en examen du candidat issu de la primaire ont même plaidé avec vigueur pour son retrait comme Fabienne Keller, alors que Philippe Richert constatait le 3 mars que François Fillon n’était plus à même de rassembler à droite et au centre. Le même jour, Gilbert Meyer, Michel Sordi et René Danesi ont annoncé qu’ils se rendraient à la manifestation de soutien à François Fillon au Trocadéro à Paris le 4 mars. Dans le Bas-Rhin, Patrick Hetzel, Sophie Rohfritsch, Frédéric Reiss et Claude Sturni lui ont réitéré leur soutien pour éviter la division au sein de leur formation. Au terme d’une campagne difficile, les élus républicains alsaciens ont soutenu le candidat « officiel » de leur camp mais parfois du bout des lèvres seulement. Une majorité d’élus socialistes a soutenu officiellement la candidature de Benoît Hamon, avec modération toutefois pour un certain nombre, sachant que quelques uns ont rallié Emmanuel Macron. La sénatrice socialiste du Haut- Rhin, Patricia Schillinger l’a fait très tôt, d’autres plus tardivement comme le socialiste Olivier Bitz, adjoint aux finances de Strasbourg, mais aussi les adjoints Christel Kohler et Nawel Rafik-Elmrini non encartées au PS. La candidature d’Emmanuel Macron dans le Bas-Rhin a été structurée par Bruno Studer, professeur d’histoire-géographie, ancien adhérent de l’UDI, avec selon ses déclarations, 80% d’adhérents au mouvement « En marche » dont c’était le premier engagement, et 20% seulement provenant du Parti socialiste, des Républicains ou d’autres formations.

16 Au bout du compte, la campagne présidentielle a été marquée par des soubresauts nombreux au niveau national qui ont mis les candidats à l’épreuve, y compris sur des aspects singuliers de leur histoire personnelle. Le candidat des Républicains en a particulièrement pâti tandis que le Parti socialiste a souffert de l’absence du président sortant et donc d’un candidat qui aurait pu défendre le quinquennat écoulé dès lors que

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le candidat officiel du PS, Benoît Hamon en était un des virulents critiques. L’Alsace est loin d’avoir été une terre privilégiée par les candidats dont aucun ne s’est clairement engagé sur l’éventuel rétablissement d’une Région Alsace réclamée en particulier par les mouvances régionalistes.

Le bouleversement politique du premier tour des présidentielles

17 Le 23 avril 2017 au soir, les résultats nationaux de l’élection présidentielle ont fait figure de séisme dans la vie politique française. Pour la première fois depuis 1958, date de la création de la Ve République, les deux grandes sensibilités qui ont marqué son histoire, la gauche socialiste et la droite républicaine ont été exclues du deuxième tour de l’élection présidentielle. En plaçant en tête des votes, Emmanuel Macron avec 23,8% des suffrages et Marine Le Pen avec 21,4% des voix, ces élections ont amorcé une vaste recomposition des forces politiques. François Fillon avec 19,9% des suffrages et Jean- Luc Mélenchon avec 19,6% de suffrages ont participé à une recomposition du paysage politique national en quatre sensibilités dominantes. Le Parti socialiste vainqueur en 2012 avec François Hollande a littéralement été exclu du jeu lors de cette élection. Son candidat, Benoît Hamon n’a récolté que 6,3% des voix, ce qui l’a rapproché de son plus mauvais score présidentiel, les 5,0% des voix récoltés à la présidentielle de 1969 par Gaston Deferre. Ce résultat avait été le prélude à la fin de la SFIO. La géographie du vote a révélé un double clivage. Le Front national a développé son influence sur un grand espace à l’est d’une ligne allant de Cherbourg à Montpellier avec une présence renforcée dans les Hauts-de-France et le Grand Est ainsi que sur le littoral méditerranéen. À l’ouest, un espace s’est déployé où les Républicains, le mouvement En marche d’Emmanuel Macron ainsi que la France insoumise de Mélenchon se partagent l’influence. Un autre clivage géographique majeur s’est affirmé, celui qui oppose les grandes villes et leur agglomération au reste du territoire. Le FN a été repoussé des grands centres urbains, où se concentrent la population et les activités. Les zones périphériques et rurales sont devenues son espace d’influence majeure.

18 En Alsace, le premier tour de l’élection présidentielle s’est démarqué de la situation nationale en conférant la première place à Marine Le Pen avec 25,7% des suffrages (257 299 voix) suivie de François Fillon et ses 22,1% (221 732 voix). Emmanuel Macron n’y arrive qu’en troisième position avec 21,27% (213 052 voix). Il a précédé nettement dans la région Jean-Luc Mélenchon qui a obtenu 14,6% des suffrages (148 232 voix). La progression de ce dernier a été notoire par rapport à 2012, avec un gain de 75 856 électeurs soit + 104%. Ni ses défiances vis à vis de l’Europe, ni son hostilité au maintien du Concordat en Alsace-Moselle n’ont entravé sa progression. Nicolas Dupont- Aignan a dépassé en Alsace sa performance nationale avec 6,7% des voix contre 4,7% des voix sur l’ensemble du territoire alors qu’il n’avait obtenu que 18 681 voix soit 1,9% des suffrages en 2012. Les 257 299 voix récoltées par Marine Le Pen ont permis au FN de renouer avec la première place aux présidentielles en Alsace. En 1995 déjà, Jean-Marie Le Pen avait défrayé la chronique politique en se plaçant au premier rang dans la région avec 25,4% des suffrages et 218 644 voix, score conforté en 2002 où il avait obtenu 23,4% des suffrages et 192 583 voix. Seul Nicolas Sarkozy en 2007 l’avait relégué au second rang en obtenant 36,2% des suffrages et 362 391 voix. En 2007 en Alsace, Jean Marie Le Pen a été rejeté au quatrième rang avec 219 251 voix soit 13,6% des suffrages derrière François Bayrou (21,4%) et Ségolène Royal (17,1%). En 2012, Marine Le Pen était encore restée très en deçà de Nicolas Sarkozy qui avait réuni 326 313 voix soit

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39,9% des suffrages contre 219 251 voix soit 22,1% à la candidate du Front national. Avec 50 647 voix dans la région soit 5,06% des suffrages, le Parti socialiste et son candidat Benoît Hamon ont connu une véritable déroute en 2017. En 2012, au premier tour, François Hollande avait totalisé 191 282 voix soit 19,3% des suffrages en Alsace. Dans une région où la sensibilité social-démocrate est notamment incarnée par l’importance du rocardisme, les déchirements internes du parti et en particulier le mouvement des frondeurs dont Benoît Hamon a porté la flamme, sont sans nul doute à l’origine d’une sanction de l’électorat socialiste d’autant que certains grands élus du parti n’ont pas nettement désapprouvé la démarche de l’ancien ministre de l’Économie de Manuel Valls, Emmanuel Macron. Quant aux candidats situés en dessous de la barre des 5%, leurs pourcentages voisinent en Alsace leurs résultats nationaux, François Asselineau ayant obtenu 12 054 voix (1,2% des suffrages), Jean Lassalle 11 423 voix (1,14%), Philippe Poutou 11 280 voix (1,13%), Nathalie Artaud 7 965 voix (0,79%) et Jacques Cheminade, 2 216 voix (0,22%), soit pour ces candidats un total de 44 919 voix.

19 Les deux départements alsaciens ont eu un comportement politique très proche au premier tour de cette élection présidentielle de 2017, avec notamment une participation comparable de 79,86% dans le Bas-Rhin et 79,02% dans le Haut-Rhin, supérieure à la participation nationale établie à 78,23%. Cette participation de 1 027 989 votants est tout à fait comparable à celle de 2012 où on avait dénombré 1 011 192 votants. Le vote Marine Le Pen – 147 594 voix, soit 24,69% des suffrages dans le Bas-Rhin contre 109 704 voix dans le Haut-Rhin soit 27,16% des suffrages – a différencié les deux départements de 2,5 points de pourcentage. À l’inverse, Emmanuel Macron a obtenu un meilleur résultat dans le Bas-Rhin (132 254 voix, 22,29% des suffrages) que dans le Haut-Rhin (79 728 voix, 19,76% des suffrages) avec comme Marine Le Pen, 2,5 points d’écart entre les deux départements. Ce dernier écart est plus significatif que celui enregistré par Bayrou en 2012 qui avait récolté 69 940 voix dans le Bas-Rhin (11,9%) et 46 175 voix dans le Haut-Rhin (11,4%).

20 La véritable perte sévère et décisive de voix a été enregistrée par les Républicains dont le candidat François Fillon marqué par les affaires a vu s’effriter les positions antérieures de sa formation dans la région. Au premier tour de la présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy avait capitalisé pas moins de 326 313 voix en Alsace soit 32,9% des suffrages. François Fillon a perdu 104 581 voix par rapport à Nicolas Sarkozy en 2012 soit une baisse de 32%. Dans le même temps, Nicolas Dupont-Aignan a gagné 48 954 voix, Jean-Luc Mélenchon 75 855 voix et Marine Le Pen 38 048 voix. Ces trois candidats ont enregistré une progression totale de 163 038 voix soit + 52%. La progression de + 17% de Marine Le Pen par rapport à 2012 en Alsace apparaît somme toute modérée par rapport aux + 104% de Jean-Luc Mélenchon et surtout aux + 259% de Nicolas Dupont-Aignan. Ce dernier a sans nul doute puisé une grande part de sa progression parmi les déçus du « fillonisme » tandis que Jean-Luc Mélenchon a profité de la descente aux enfers des socialistes qui ont perdu 140 635 voix d’une présidentielle à l’autre en Alsace, soit une baisse de 73%. Comme le soulignent les cartes réalisées par Benjamin Furst au sein du CRESAT de l’Université de Haute Alsace, Strasbourg s’est nettement démarqué du vote alsacien en plaçant Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon en tête des suffrages. Ils obtiennent respectivement 27,3% et 24,3% des suffrages de la ville, suivis de François Fillon avec 19,8% et Marine Le Pen 12,2% des suffrages, tandis que Benoît Hamon est relégué à la cinquième place avec 9,4%. Emmanuel Macron a obtenu ses meilleurs résultats dans le canton 5 (Esplanade, Conseil des Quinze, Orangerie, Port du Rhin) et dans le canton 1 (Centre, Krutenau, Neudorf-

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Ouest et Musau) recouvrant des zones d’influence du PS et des Républicains. Il a même dépassé François Fillon dans le canton 4 (Centre Nord et Robertsau), fief de la droite républicaine. Quant à Jean-Luc Mélenchon, il a obtenu ses meilleurs résultats dans les quartiers plus populaires du canton 3 (Poteries, Hautepierre et Cronenbourg) avec plus de 33% des suffrages contre 23,6% à Emmanuel Macron et à peine 12% à François Fillon. Par ailleurs, le candidat de la France insoumise est arrivé en tête à Bischheim et à Schiltigheim. Dans cette dernière où le PS a été à plusieurs reprises depuis 1989 à la tête de l’exécutif municipal, le parti du président socialiste a obtenu son plus mauvais score présidentiel depuis des lustres, avec seulement 9 944 voix pour Benoît Hamon alors qu’à la présidentielle de 2012, François Hollande avait totalisé 34 232 suffrages soit 32,1 % des exprimés au premier tour et 57 452 soit 54,7% des exprimés au second tour. La ville de Colmar s’est prononcée majoritairement en faveur d’Emmanuel Macron qui a récolté 23,5% des voix, suivi de François Fillon (22,2%) et Marine Le Pen (21,8%). Les communes du vignoble proche se sont prononcées majoritairement en faveur de François Fillon avec des pointes au dessus de 35% à Husseren-les-Châteaux, Eguisheim et Hunawihr. À l’opposé, dans le Bassin potassique, à Staffelfelden par exemple, Marine Le Pen, avec 40,4% des suffrages, a rassemblé quatre fois plus de voix que François Fillon qui n’obtient que 10,8% des voix, devancé par Emmanuel Macron (14,7%) et Jean- Luc Mélenchon (17,1%). Mulhouse a placé de très peu Emmanuel Macron en tête avec 22,8% des suffrages devant Jean-Luc Mélenchon avec 22,7% avec un écart de 17 voix seulement. Marine Le Pen (19,7%) y a devancé François Fillon (18,9%) qui est en tête dans nombre de communes au sud-est de la cité du Bollwerk. À la frontière, à Saint- Louis, le vieux fief gaulliste de Jean Ueberschlag, François Fillon arrive en tête avec 23,5% des voix contre 22,3% pour Emmanuel Macron et 21% pour Marine Le Pen.

Elections présidentielles 2017 en Alsace. 1er tour – Suffrages des principaux candidats. Fillon

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Elections présidentielles 2017 en Alsace. 1er tour – Suffrages des principaux candidats. Hamon

Elections présidentielles 2017 en Alsace. 1er tour – Suffrages des principaux candidats. Le Pen

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Elections présidentielles 2017 en Alsace. 1er tour – Suffrages des principaux candidats. Macron

Elections présidentielles 2017 en Alsace. 1er tour – Suffrages des principaux candidats. Mélenchon

21 La carte proposée par Benjamin Furst des résultats par commune des quatre principaux candidats fait ressortir les caractéristiques des variations et des permanences des

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implantations partisanes. Compte tenu de sa forte implantation dans de nombreuses communes rurales, la cartographie des 257 299 voix du vote Le Pen génère visuellement l’impression qu’elle domine l’essentiel de l’espace régional et fait disparaître les autres formations. Elle est installée à la première place dans une très vaste zone homogène au nord de Strasbourg, de l’Alsace Bossue au Rhin. Une longue bande occidentale de ce même vote longe les Vosges et pénètre le Sundgau. Cette bande rejoint une bande orientale, du sud de Strasbourg à la Hardt, qui fait la jonction avec la bande occidentale au nord de Mulhouse. Le vote Fillon est géographiquement davantage morcelé et présente quatre zones d’une relative homogénéité. Au nord une étroite bande de communes frontalières, vieux fiefs gaullistes, de Wissembourg à Lauterbourg, une couronne à la périphérie nord de l’agglomération strasbourgeoise incluant une bonne partie du Kochersberg à l’ouest, une bande centrale nord-sud qui rejoint le vignoble bas-rhinois à son homologue haut-rhinois et enfin une large poche de communes, du sud de Mulhouse à la frontière helvétique incluant une fraction importante du Sundgau qui a longtemps été un fief du gaullisme. Le vote Macron est d’évidence plus urbain s’imposant à Mulhouse, Colmar et surtout Strasbourg où il culmine à 27,8% des voix. Plus étonnante est sa percée en tête dans des villes moyennes comme Dambach-la-Ville, Molsheim, Barr, Sélestat et Saverne ainsi que dans les villes de Lingolsheim et Illkirch- Graffenstaden ainsi que de Wintzenheim et Andolsheim près de Colmar. Quant à Jean- Luc Mélenchon, comme déjà mentionné, son fief est le nord de l’agglomération strasbourgeoise, dans les vieux fiefs d’origine du mouvement ouvrier et de la gauche alsaciens.

22 Si le résultat de l’Alsace s’était substitué au résultat national, c’est François Fillon qui aurait affronté Marine Le Pen au deuxième tour. Ce premier tour a confirmé l’ancrage à droite de la région, moins nettement toutefois qu’à d’autres élections. Les candidats nettement marqués à droite, Marine Le Pen, François Fillon, Nicolas Dupont-Aignan, François Asselineau totalisent 55,8% des suffrages alors qu’ils n’obtiennent que 47,02% des suffrages au niveau national. Emmanuel Macron s’impose en troisième position avec un score de 21,3% qui n’est pas sans faire écho aux 21,4% de suffrages obtenus par François Bayrou en 2007. À la même élection, c’est en Alsace que Ségolène Royal avait obtenu son plus mauvais résultat (17,1%) et Nicolas Sarkozy son deuxième meilleur score (36,2%) après la Corse (37%). La constance d’un tropisme marqué à droite a été confirmée à ces présidentielles de 2017 mais avec une réorientation marquée de ce vote vers le Front national qui, avec 257 299 voix, réalise son score de premier tour le plus élevé en Alsace. En 1995 toutefois, Jean-Marie Le Pen avait déjà récolté 218 644 votes et 25,4% des suffrages soit un pourcentage proche des 25,7% de sa fille vingt‑deux ans plus tard. Le socle de cet électorat n’a cessé de se consolider sauf en 2007 où il était redescendu à 13,6% des suffrages.

Le deuxième tour des présidentielles : d’une campagne fiévreuse à un résultat sans appel

23 La campagne du deuxième tour opposant Marine le Pen à Emmanuel Macron arrivé en tête du premier tour s’est avérée particulièrement virulente entre les deux candidats dont les programmes et à certains égards les personnalités se sont révélés aux antipodes. Tous les jours de l’entre-deux-tours ont donné lieu à un affrontement direct, parfois brutal par médias interposés entre les deux candidats. Le 26 avril 2017, l’usine Whirlpool d’Amiens promise à la délocalisation a été le symbole de la violence de

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l’affrontement. Marine Le Pen s’est présentée dès le matin auprès des ouvriers de l’usine pendant qu’Emmanuel Macron entamait des discussions avec des représentants des personnels de l’usine au centre-ville. L’après-midi ce dernier s’est à son tour, non sans véhémence de part et d’autre, entretenu avec des salariés sur les lieux où Marine Le Pen s’était fait photographiée le matin même avec des ouvriers acquis à sa cause. Les styles et les propos ont témoigné d’une vive opposition entre les deux candidats, sur le fond de profondes divergences sur les questions clés de l’Europe, de la souveraineté nationale, de l’immigration, du développement économique, du droit du travail et de l’éducation. Le moment décisif de la campagne a été comme lors de précédentes élections présidentielles, le débat télévisé qui les a opposés à la fin de la campagne, le mercredi 3 mai 2017, et dont la plupart des commentateurs ont conclu que la violence et l’outrance de Marine Le Pen l’avaient profondément desservie. Un front républicain larvé s’est établi avec la préconisation de la plupart des responsables des Républicains, du centre et du Parti socialiste d’un vote en faveur d’Emmanuel Macron. Seul Jean-Luc Mélenchon a laissé le choix à ses partisans et à ses électeurs. Les 243 218 militants de son mouvement « la France insoumise » ont opté par internet pour le vote blanc ou nul à 36%, en faveur du vote pour Emmanuel Macron à 35% et pour l’abstention à 29%. Dans le camp opposé, Marine Le Pen a eu la satisfaction de signer le 28 avril 2017, pour la première fois, un accord de gouvernement avec Nicolas Dupont-Aignan, fondateur et candidat de « Debout la France » qui avait totalisé 4,7% des suffrages au premier tour.

24 Cette campagne s’est révélée nationale et médiatique avec peu d’inflexions régionales et aucune manifestation notoire en Alsace. Les deux fédérations alsaciennes des Républicains ont publié un appel à « faire battre Le Pen », les Bas-Rhinois appelant explicitement à « voter Macron », les Haut-Rhinois s’abstenant de prononcer son nom. Les socialistes de la région, , les députés Elkouby et Philippe Bies en tête, ont rallié sans barguigner le vote pour le chef du mouvement « En Marche ». Quant aux régionalistes et autonomistes alsaciens, ils se sont divisés. Les modérés ont préconisé soit le vote Macron, soit l’abstention ; une frange radicale a appelé à voter Marine Le Pen sur la base de douteux critères identitaires voire ethniques. Unser Land s’est opposé au choix entre l’un ou l’autre des candidats et a renvoyé au vote en faveur de ses candidats aux élections législatives.

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Elections présidentielles 2017 en Alsace. 2d tour – Abstention

Elections présidentielles 2017 en Alsace. 2d tour – Candidat arrivé en tête

25 Après une campagne mouvementée, le deuxième tour de l’élection présidentielle le dimanche 7 mai 2017 s’est soldé par un résultat d’une rare clarté. En totalisant près de

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21 millions de voix et 66% des suffrages exprimés contre 10,6 millions de voix et 34% des suffrages à son adversaire, Emmanuel Macron a obtenu le deuxième meilleur score d’un deuxième tour d’élection présidentielle au suffrage universel de la Ve République. En 2002, sans faire campagne, avec l’aide d’un puissant front républicain face à Jean- Marie Le Pen, Jacques Chirac avait atteint 82% des suffrages mais Nicolas Sarkozy face à Ségolène Royal en 2007 ne l’avait emporté qu’avec 53% des suffrages et François Hollande face à Nicolas Sarkozy en 2012, avec 51,6% des suffrages. Les clivages géographiques du vote du premier tour se sont répétés avec une accentuation du vote en faveur d’Emmanuel Macron à l’ouest du pays et un clivage encore accru entre les métropoles et les autres espaces géographiques. Il a dépassé 70% des suffrages dans 19 départements à l’ouest d’une ligne Lille-Marseille. À l’est, seul le Rhône dont le maire du chef-lieu Lyon, Gérard Collomb a été un des soutiens majeurs du candidat Macron, totalise 73,6% des suffrages. À Paris, Emmanuel Macron a obtenu près de 90% des voix, 88% à Rennes, 86% à Nantes, 85% à Bordeaux, 78% à Lille mais 64% à Marseille. À Strasbourg, il a récolté plus de 81% des suffrages.

26 Si le deuxième tour a été marqué par la nette domination d’Emmanuel Macron, en Alsace peut-être davantage que dans le reste du pays, son résultat rend compte du placement singulier du vainqueur sur l’échiquier politique. Lors des trois élections qui ont porté un candidat de gauche à l’Élysée, François Mitterrand en 1981 et 1988, François Hollande en 2012, l’Alsace avait voté pour les candidats de droite à rebours du reste du pays. En 2017 en Alsace, le candidat d’En Marche, non seulement l’emporte avec 534 536 voix soit 61% de suffrages mais enregistre une progression de 321 484 voix par rapport au premier tour soit une progression de + 150%. Dans le même temps, les gains de Marine Le Pen d’un tour à l’autre lui ont permis d’enregistrer le plus haut résultat jamais obtenu par sa formation : 341 388 voix. Sa progression d’un tour à l’autre en 2017 a été de 119 656 voix soit un gain de + 52%. Cette avancée fait contraste avec 2002 où Jean-Marie Le Pen avait totalisé 186 660 voix au deuxième tour, moins qu’au premier tour où il avait capitalisé 192 538 voix. En quinze années, le FN est devenu capable d’attirer à lui nombre d’électeurs qui ne lui ont pas fait confiance au premier tour, ce qui marque sa banalisation. Au reflux d’un tour à l’autre s’est substituée une forte progression, nettement moins forte toutefois que celle d’Emmanuel Macron qui a agrégé nombre d’électeurs de droite et de gauche. La géographie des choix électoraux de ce second tour n’a pas détonné pas avec celle du premier tour. Le Bas-Rhin s’est prononcé à 63,07% pour Emmanuel Macron, 36,93% pour Marine Le Pen et le Haut-Rhin à 57,97% pour le premier et 42,03% pour la seconde.

27 Dans le Bas-Rhin, seul le canton de Sarre-Union, un des fiefs historiques du vote pour le Front national avec 32% des voix pour Jean-Marie Le Pen dès 1995, a donné l’avantage au second tour à Marine Le Pen avec 51,2% des suffrages. Plus on s’approche de Strasbourg, plus les votes en faveur d’Emmanuel Macron se sont accrus. Une couronne périphérique de cantons – Wissembourg (56,3% pour Emmanuel Macron), Reichshoffen (50,3%), Haguenau (58,4%), Bischwiller (50,1%), Saverne (56,9%), Mutzig (54,9%) Sélestat (57%) et Erstein (55,6%) –, a accordé 57% au maximum de ses suffrages au vainqueur, tandis que la couronne de cantons ruraux proches de Strasbourg a dépassé les 60%. Dans les six cantons strasbourgeois, Emmanuel Macron a dépassé 70% des suffrages, du canton 6 (Meinau, Neuhof, Port du Rhin) avec 73,1% des suffrages au canton 5 (Université, Orangerie, Esplanade), bastion traditionnel de la gauche socialiste, avec 86,4% des suffrages.

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28 Dans le Haut-Rhin, la géographie de ce deuxième tour a été marquée par le surcroît de vote en faveur de Marine Le Pen. Elle s’est notamment exprimée par sa domination dans trois cantons, Wittenheim (52,6%), Ensisheim (51,5%) et Masevaux (50,5%). La géographie du vote en faveur d’Emmanuel Macron a repris les mêmes tendances géographiques que dans le Bas-Rhin, mais à un niveau d’intensité moindre. Les trois cantons mulhousiens, Mulhouse 1 (69,9% pour Macron), Mulhouse 3 (69,1%) et Mulhouse 2 (67,7%), ont enregistré les meilleurs résultats du vainqueur dans le département. Saint-Louis (63,0%) à la frontière, Rixheim au nord de la ville (60,4%) et les deux cantons colmariens s’en sont rapprochés. Le canton de Colmar 1, qui recouvre la ville même et la commune d’Ingersheim, a atteint 63,5% en faveur d’Emmanuel Macron. Celui de Colmar 2, qui comprend une fraction de la ville et une dizaine de communes à l’ouest, a obtenu un résultat similaire avec 63,3% des suffrages. Le reste des cantons haut-rhinois s’est situé entre 59,3% des suffrages à Sainte-Marie-aux-Mines et 53,5% à Cernay.

29 L’accentuation du clivage entre les zones urbaines principales et les zones rurales éloignées de ces zones crée un gradient géographique caractéristique. La nouvelle majorité présidentielle domine dans les villes et surtout les plus importantes, Strasbourg en particulier mais aussi, à un moindre degré, Mulhouse voire Colmar. Les autres villes font également ressortir un surcroît de vote en faveur de Macron. En d’autres termes, le réseau urbain s’impose comme le point d’appui à la fois de l’opposition au FN et de l’acceptation du nouveau mouvement politique central qu’Emmanuel Macron a fait surgir avec « En Marche ». Par contre, dans les espaces intermédiaires entre les villes, Marine Le Pen maximise ses résultats. La sociologie joue sa partie mais le sentiment d’exclusion géographique et économique n’est certainement pas absent. Si à Saverne par exemple, au deuxième tour, Marine Le Pen n’obtient que 29,4% des suffrages, dans la commune accolée de Monswiller, elle atteint 32,4% et à six kilomètres de Saverne, à Steinbourg, elle est majoritaire avec 52,2% des voix.

30 L’élection présidentielle de 2017 a sans conteste été une des plus mouvementées de l’histoire de la Ve République. Il en est ressorti un paysage politique plus complexe ou s’affrontent non plus la gauche et la droite seulement mais quatre voire cinq forces politiques que le premier tour de l’élection a mis en relief. La place des extrêmes à droite avec Marine Le Pen et à gauche avec Jean-Luc Mélenchon en est ressortie renforcée mais au centre de l’échiquier a émergé une nouvelle force politique autour de la personne et des idées d’Emmanuel Macron, arrivé en tête dès le premier tour, mais pas en Alsace où Marine Le Pen a maintenu comme en 1995 et en 2002 la prééminence de son parti. Dans la région, la place dominante des droites a été maintenue notamment avec le second rang pris par François Fillon. Par contre, au deuxième tour, l’Alsace s’est rapprochée du standard national, nettement plus qu’en 2012. L’écart entre le résultat national et le résultat alsacien de Nicolas Sarkozy était de quinze points de pourcentage. En 2017, la différence entre le résultat national d’Emmanuel Macron et son résultat régional a été réduit à cinq points de pourcentage. Au nouveau président, il restait après son élection de tenter d’obtenir une majorité parlementaire propice à la mise en place d’une politique conforme à ses engagements de campagne.

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Des élections législatives dans le souffle de la présidentielle

31 Les élections législatives des 8 et 17 juin 2017 se sont pleinement inscrites dans le souffle de l’élection présidentielle qui avait porté Emmanuel Macron à la tête de l’État le 7 mai. Les résultats législatifs ont amplement confirmé le choix présidentiel. Sur les 577 députés à élire, la République en marche en a obtenu 313 et son allié du Modem 47. L’Alsace a enregistré le même phénomène mais à un degré bien moindre. Avec six nouveaux députés pour La République en marche (LREM) et huit députés pour Les Républicains et un divers droite, elle fait presque figure de lieu de résistance de la droite à la vague macroniste. Dans la Moselle voisine, huit nouveaux députés élus sur neuf sont affiliés à LREM. Les socialistes implantés sur Strasbourg, ont disparu de la représentation alsacienne au Parlement.

Une campagne législative dominée par le renouvellement de l’offre électorale

32 Après les tumultes, les fracas et les soubresauts de l’élection présidentielle, la campagne pour les élections législatives est restée de basse intensité, même si les candidats à la députation ont fait campagne comme de coutume dans leur circonscription. L’élection présidentielle ayant affaibli l’emprise des Républicains et des Socialistes sur la vie politique, ces élections ont ouvert la voie à la multiplication des candidatures. Le 19 mai 2017, date de clôture du dépôt des candidatures, c’est pas moins de 224 candidats qui ont été enregistrés par les deux préfectures du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, soit près de 15 candidats en moyenne par circonscription alsacienne. La hausse des candidatures par rapport à 2012 où elles étaient au nombre de 153, a atteint + 46%. Les deux circonscriptions les plus courues ont été celle de Colmar et celle de Strasbourg-Centre qui ont toutes les deux enregistré 18 candidats. La féminisation des candidatures a évolué positivement avec 37% de candidates, davantage dans le Bas- Rhin (41%) que dans le Haut-Rhin (32%). De nombreuses petites formations très spécifiques dans leur programme, notamment autour de la question animale ou de l’expérimentation démocratique, sont apparues. Certaines n’avaient pas d’attaches régionales réelles. D’aucunes, sans nul doute, souhaitaient assurer la subsistance de leur mouvement en usant de la possibilité légale de financement au prorata des résultats obtenus, dès lors que la formation a gagné au minimum 1% des suffrages exprimés dans au moins 50 circonscriptions. Ce résultat atteint, l’État reverse chaque année 1,40€ par voix obtenue aux législatives. L’irruption du parti du président, La République en marche, la rupture du Front de gauche qui a engendré des candidats du Parti communiste français à côté de ceux de la France insoumise, certaines candidatures individuelles de personnalités en rupture de banc avec leur parti, sont des facteurs politiques qui ont favorisé la multiplication des candidatures.

33 Un autre élément déterminant de l’offre électorale législative en 2017 a été la loi sur le non cumul des mandats du 14 février 2014 visant à corriger une singularité française qui aboutissait en 2012 à ce que 82% des députés exerçaient au moins un autre mandat électif contre 10% seulement en Allemagne. Ces parlementaires étaient pour 45% à la tête d’un exécutif, maire, président de conseil régional ou de conseil départemental. Désormais, s’ils peuvent rester simple conseiller d’une instance locale, ils ne peuvent

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plus y exercer de rôle exécutif. Ce nouveau dispositif a fortement contribué à ce que, sur les 577 députés sortants de l’Assemblée nationale, 224 n’aient pas été candidats à leur propre succession. Sur les quinze députés sortants alsaciens, sept étaient députés maires, Francis Hillmeyer à Pfastatt, Jean-Luc Reitzer à Altkirch, Michel Sordi à Cernay, Jean-Louis Christ à Ribeauvillé, Sophie Rohfritsch à Lampertheim, Claude Sturni à Haguenau et Laurent Furst à Molsheim. D’autres ont eu des fonctions exécutives en collectivités locales, Arlette Grosskost, vice-présidente de l’ex Région Alsace, Éric Straumann, président du conseil départemental du Haut-Rhin. Si André Schneider, député sortant de la 3e circonscription du Bas-Rhin du nord de Strasbourg, a mis un terme à une vie politique bien remplie, Claude Sturni, Jean-Louis Christ et Michel Sordi ont renoncé à la députation et opté pour leur mairie ou une intercommunalité. Hormis ces cas, les Républicains ont réinvesti les députés sortants dans le Bas-Rhin, Frédéric Reiss à Wissembourg (8e circonscription du Bas-Rhin) pour un quatrième mandat, Patrick Hetzel à Saverne (7e) pour un second mandat, Laurent Furst à Molsheim (6e), pour un second mandat, Antoine Herth à Sélestat (5e) pour un quatrième mandat, Sophie Rohfritsch à l’ouest de Strasbourg (4e) pour un second mandat. Le PS a agi de même à Strasbourg en réinvestissant pour un deuxième mandat Philippe Bies sur Strasbourg-Illkirch-Graffenstaden et Éric Elkouby, fraîchement élu en mai 2016 après la démission pour raisons de santé d’Armand Jung sur Strasbourg-Centre.

34 Diverses contraintes ont marqué les investitures des autres partis. Dans le cas de La République en Marche, le parti d’Emmanuel Macron, il s’est agi de créer de toutes pièces une offre électorale sur les deux départements, en respectant un accord passé avec le Modem, le souhait de parité homme/femme et le souci de faire entrer à l’Assemblée des personnes de la société civile. La République en marche a présenté des candidats dans toutes les circonscriptions alsaciennes à l’exception de la 5e circonscription du Bas-Rhin, (Sélestat) où s’est présenté le député sortant Antoine Herth, proche de Bruno Lemaire devenu ministre de l’Économie du nouveau gouvernement d’Édouard Philippe. Il a investi des élus comme Sylvain Waserman dans la 2e circonscription de Strasbourg, maire de Quatzenheim, responsable du Modem, et Christian Gliech, maire de Wissembourg. Nombre de candidats étaient issus de la « société civile », nouveaux venus à la vie politique comme Thierry Michels, cadre d’une grande entreprise pharmaceutique de Strasbourg dans la 1ère circonscription du Bas-Rhin (Geispolsheim) ou Martine Wonner dans la 4e circonscription de Bas-Rhin (Geispolsheim-Kochersberg), médecin psychiatre, ancienne directrice du Samu social de Paris. Par ailleurs, le mouvement La République en marche a généré des turbulences diverses. À Strasbourg, le premier adjoint, Alain Fontanel a de facto quitté le PS début juin en se ralliant à LREM. D’autres membres de la municipalité comme Olivier Bitz ou Nawel Rafik‑Elmrini, Cristel Kohler, suppléante de Sylvain Waserman, l’avaient précédé sur cette voie. Au total, le Parti socialiste n’a présenté de candidats que dans deux circonscriptions du Haut-Rhin et six circonscriptions du Bas-Rhin. Quant au mouvement la France insoumise, fort des 14,6% de Jean-Luc Mélenchon aux présidentielles dans la région, il a présenté des candidats dans toutes les circonscriptions d’Alsace La présence de candidats du Parti communiste dans treize circonscriptions sur quinze a limité le report sur les candidats de la France insoumise, des 142 232 voix obtenues à la présidentielle par l’alliance du PC avec Jean-Luc Mélenchon. Lutte ouvrière a également présenté des candidats dans toutes les circonscriptions de même que, à droite, l’Union populaire républicaine du candidat à la présidentielle François Asselineau. Il en a été de même du Front national qui s’est

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notamment appuyé sur son réseau d’élus régionaux. Il a pu présenter à l’élection les conseillers régionaux Andréa Didelot sur Strasbourg-Centre (1ère du Bas-Rhin), Julia Abraham sur Strasbourg-sud (2e), Éliane Klein sur Sélestat (5e), Hombeline du Parc sur Molsheim (6e), sur Saverne (7e), Laurent Gnaedig, secrétaire départemental du parti, sur Wissembourg (9e), mais aussi un élu local, Gérard Janus, ancien gendarme, maire de Fort-Louis sur Wissembourg (8e). Les candidats de ce parti dans le Haut-Rhin cornaqués par Alain Favaletto – le responsable de la fédération départementale, candidat sur la circonscription de Thann-Ensisheim (4e du Haut- Rhin) – étaient pour certains, des élus régionaux à l’image de Gregory Stich, candidat sur la circonscription de Sainte-Marie-aux-Mines-Guebwiller (2e), conseiller régional ou Marie-Hélène de Lacoste Lareymondie, candidate sur la circonscription de Colmar (1ère du Haut-Rhin). Le mouvement régionaliste identitaire Alsace d’Abord s’est limité à deux candidatures, Jacques Cordonnier, son président dans la 4e circonscription du Bas- Rhin (Geispolsheim) et Catherine Dahmane dans la 3e du Haut-Rhin (Altkirch). Les écologistes de diverses obédiences parmi lesquelles Europe Écologie les Verts avec notamment Frédéric Hilbert dans La 1ère circonscription du Haut-Rhin (Colmar), le Mouvement écologiste indépendant d’Antoine Waechter candidat dans la 3e circonscription du Haut-Rhin (Altkirch-Saint Louis), se sont présentés en ordre dispersé dans un nombre limité de circonscriptions, onze pour Europe Écologie les Verts (EELV), dix pour le Mouvement écologiste indépendant (MEI). Quant aux régionalistes d’Unser Land, ils ont présenté des candidats dans les quinze circonscriptions de la région, espérant capitalisé les résultats engrangés lors des élections régionales et départementales antérieures. Axant leur campagne sur la restauration de la Région Alsace, ils ont mis en avant le précédent des victoires parlementaires des années 1930 où plusieurs députés avaient été élus sous le drapeau de l’autonomisme.

35 Dans le souffle de l’élection présidentielle, la campagne législative est plus que jamais apparue comme secondaire par rapport à la première et inscrite dans la suite de celle- ci. Aucun évènement significatif n’est venu la marquer en Alsace, si ce n’est une forme d’affirmation progressive du nouveau parti du nouveau président, La République en marche dans l’espace public et les médias, qui a très tôt annihilé la perspective d’élections législatives qui s’inscriraient en contrepoids de l’élection présidentielle.

Un ébranlement majeur au premier tour des législatives, en Alsace comme ailleurs

36 Le premier tour des élections législatives s’est révélé une des secousses politiques majeures de la vie politique nationale et régionale de la Ve République depuis 1958. Le journal L’Alsace a titré à la une : « Le grand chambardement » le lendemain du 1er tour, tandis que les Dernières Nouvelles d’Alsace ont intitulé leur article principal de présentation « En marche triomphale ».

37 Au niveau national, 7,3 millions d’électeurs ont voté pour l’alliance LREM-Modem soit 32,2% des votants. Les Républicains ont obtenu 3,6 millions de voix (15 ,8%), l’UDI 0,6 millions (2,8%), le FN 2,9 millions (13,1%). À gauche, la France insoumise est arrivée en tête avec 2,5 millions de voix (10,9%), suivie du PS 1,7 million de voix (7,5%), des Verts avec 0,660 million de voix (2,9%) et du Parti communiste avec 0,633 millions (2,8%). L’Alsace, bastion des droites et Strasbourg, fief socialiste dans ce bastion, n’ont

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pas échappé au raz de marée de la République en Marche. La République en Marche associée au Modem a dominé le premier tour avec 182 826 voix (30,9%) devant les Républicains, l’UDI et les dissidents de cette sensibilité, qui totalisent 152 525 voix (25,9%). Le Front national, dont la candidate avait totalisé 257 299 voix (25,7% des suffrages) au premier tour des présidentielles et 341 388 voix au second tour (38,9%), est redescendu à des étiages inférieurs. La France insoumise a obtenu 45 074 voix (7,6%) soit trois fois plus que le PS qui a été réduit à la portion congrue avec seulement 13 955 voix (2,3%) en Alsace. L’essentiel de ces voix a été obtenu sur Strasbourg dont les trois circonscriptions totalisent les trois quarts, avec 10 410 suffrages. L’effondrement du PS est particulièrement spectaculaire dans son fief d’origine, le Haut-Rhin où avec 1 818 voix il n’atteint que 0,77% des suffrages. Sur l’Alsace, les divers écologistes font plus du double des voix du PS avec 32 304 voix (5,46% des suffrages). Ils sont toutefois dépassés par Unser Land qui obtient pas moins de 25 093 voix dans le Bas-Rhin et 14 970 dans le Haut-Rhin, soit 6,7% des suffrages sur l’ensemble de l’Alsace.

38 Une abstention record à des élections législatives a marqué ce premier tour de l’élection : 51,3% au niveau national et davantage encore au niveau alsacien avec 53,4%. Nul doute que nombre de votants alsaciens du Front national n’aient été déçus par la sévère défaite de leur candidate au deuxième tour de l’élection présidentielle et que le trouble n’ait été jeté dans l’électorat de la droite classique défaite à la présidentielle et déstabilisé par la nomination d’Édouard Philippe, maire républicain du Havre à la tête du gouvernement.

39 Onze des quatorze candidats de LREM, dont certains étaient des novices en politique comme Thiery Michels à Strasbourg ou Bruno Fuchs à Mulhouse-Illzach, sont arrivés en tête à l’issue du premier tour. Les écarts avec leurs suivants sont parfois considérables. Martine Wonner précède la sortante Sophie Rohfritsch de presque 18 points avec 42,5% des suffrages exprimés. Ils ne sont devancés que par Patrick Hetzel à Saverne, Laurent Furst à Molsheim et surtout par Éric Straumann qui est le seul à avoir creusé un écart significatif de plus de dix points avec Stéphanie Villemin, candidate de LREM à Colmar. À Sélestat, Antoine Herth, proche du ministre de l’Économie Bruno Lemaire, candidat LR-UDI contre lequel LREM n’avait pas présenté de candidat, a précédé de près de vingt points Gérard Simmler, seul candidat Unser Land qualifié pour le second tour. Le FN quant à lui n’a réussi à être présent au deuxième tour que dans la circonscription de Mulhouse-Illzach où le jeune Sylvain Marcelli a été opposé au deuxième tour à Bruno Fuchs, fils de Jean-Paul Fuchs ancien député UDF colmarien de 1978 à 1997. Il n’est pas jusqu’à Jean-Luc Reitzer, député du Sundgau depuis 1988, qui n’ait été devancé par le candidat de LREM Patrick Striby, lui-même fils de Frédéric Striby, ancien député européen et ancien maire de Michelbach-le-Bas. Quant aux deux députés socialistes sortants strasbourgeois, Philippe Bies et Éric Elkouby, ils se sont qualifiés pour le deuxième tour avec un retard respectivement de 7 330 voix sur Sylvain Waserman, LREM et de 6 450 voix derrière le candidat LREM, Thierry Michels.

Un deuxième tour de confirmation de la percée macroniste et une résistance de la droite républicaine en Alsace

40 Le deuxième tour du 17 juin 2017 a été marqué par une victoire nette des candidats proches du président de la République. Ils sont au nombre de 313 députés pour LREM (43,1% des suffrages) et 47 pour le Modem (6,1%). Cette majorité s’est révélée moins

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forte que certaines projections du premier tour pouvaient le laisser entrevoir. La droite a contenu le raz de marée annoncé. Les Républicains totalisent 135 députés, l’UDI, 18 députés et 6 sont divers droite. En totalisant 8 députés soit 8,7% des suffrages, le Front national est resté très en deçà de ses résultats présidentiels. Debout la France a dû se contenter d’un seul représentant. À gauche, les socialistes sont restés dominant avec 28 députés et 3 députés pour son allié, le Parti radical de Gauche. À ceux-ci s’ajoutent 14 divers gauches et écologistes. En 2012, la majorité présidentielle de François Hollande comptait 331 députés. La chute du parti du président sortant s’est avérée vertigineuse. La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon a fait son entrée au Parlement avec 17 députés représentant 4,9% des suffrages, tandis que le Parti communiste a obtenu 11 députés pour 1,2% des suffrages auxquels sont associés cinq divers gauche. Le Front de Gauche incluant les communistes totalisait seulement 10 députés en 2012 mais une part plus forte des suffrages avec 7,9% de ceux-ci. Ce deuxième tour a vu s’accentuer l’abstention du premier tour. Elle a atteint un niveau historique à hauteur de 57%. 20,1 millions de votants ont été enregistrés. Ils étaient 23,9 millions au deuxième tour de 2012 soit un taux d’abstention de 44,6%. La proportion de votants blanc et nul s’est élevée à pas moins de 9,9% à ce deuxième tour. L’élection de 2017 a permis un rajeunissement de la représentation nationale avec une moyenne d’âge de 48,6 ans contre 54,8 ans en 2012. Le nombre de femmes élues a atteint le record historique de 38,6%, proportion singulièrement plus faible en Alsace où seule Martine Wonner, LREM, a été élue dans la circonscription de Strasbourg- Campagne.

41 À ce deuxième tour, l’Alsace a marqué sa différence en faisant figure de lieu de résistance de la droite à la vague macronienne. Sur quinze députés alsaciens, neuf sont issus du mouvement Les Républicains allié à l’UDI, dont six réélus. LREM l’a emporté dans six circonscriptions dont une seule dans le Haut-Rhin, celle d’Illzach. La représentation parlementaire des deux départements alsaciens ne compte plus aucun élu de la gauche stricto sensu. Dans les deux autres régions avec lesquelles a été constituée la région Grand Est, la résistance au parti présidentiel est également plus marquée que dans le reste du pays, en particulier par rapport à l’ouest. En Champagne- Ardenne quatre députés sur treize appartiennent à LREM, en Lorraine un peu plus de la moitié, à savoir douze sur vingt et un. Dans le département de Meurthe-et-Moselle, la gauche a conservé la circonscription de Toul au PS et a fait passer celle de Pont-à- Mousson à la France insoumise. La géographie du vote présidentiel en Alsace est confirmée à cette élection législative. Le macronisme a conquis et élargi les terres de la gauche sur Strasbourg et environ avec une enclave dans le péri-mulhousien, en particulier à l’est de la cité du Bollwerk vers Illzach. La droite occupe le reste de la plaine alsacienne et des vallées ainsi que le plateau lorrain avec au centre Sarre-Union. La poussée du renouvellement macronien n’a guère entamé les attaches droitières des zones non strasbourgeoises. Hors Strasbourg, l’Alsace a confirmé son attachement traditionnel aux représentants de la droite républicaine. Jean-Luc Reitzer, député depuis juin 1988, a conquis un septième mandat dans la circonscription d’Altkirch- Huningue. Frédéric Reiss l’a emporté à Wissembourg pour un quatrième mandat tout comme Antoine Herth à Sélestat. À Colmar, le président sortant du conseil départemental, Éric Straumann a obtenu une troisième victoire législative avec pas moins de 66,4% des voix, le meilleur score alsacien. À Saverne, Patrick Hetzel l’a emporté pour une seconde fois après son élection de 2012 avec pas moins de 62,6% des voix, tout comme le maire de Molsheim, Laurent Furst avec le même pourcentage de

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voix. Le jeune Raphaël Schellenberger, 27 ans, maire de Wattwiller, s’inscrit dans la lignée du député sortant Michel Sordi en l’emportant d’une courte tête (0,88%) sur sa rivale LREM, Aurélie Tacquard dans la circonscription de Thann-Cernay. De même à Ribeauvillé, Jacques Cattin, maire de Voegtlinshoffen, l’homme du vignoble, s’est imposé avec une légère avance devant son rival LREM, Hubert Ott. Dans la cinquième circonscription du Haut-Rhin, le jeune maire de Rixheim, qui avait côtoyé Emmanuel Macron sur les bancs de l’ENA, ancien suppléant du député sortant Arlette Grosskost, l’a emporté pour la première fois en s’imposant dans la plupart des communes de sa circonscription avec l’étiquette divers droite. Les députés élus au titre de La République en marche ont pour la majorité d’entre eux entamé une carrière politique à l’occasion des élections présidentielles et législatives de ce printemps. Seuls Sylvain Waserman, membre du Modem, maire de Quatzenheim dans le Kochersberg et conseiller régional du Grand Est élu sur la liste de Philippe Richert, et Bruno Studer, qui a fait ses premières expériences politiques sur une liste municipale conduite par François Loos et a milité à l’UDI avant de rejoindre LREM, ont eu un parcours politique préalable à leur mandat de député. Les quatre autres élus alsaciens de LREM sont issus directement de la société dite civile où ils ont occupé des postes de responsabilité. À 56 ans après avoir créé le comité « En marche-Strasbourg-Cathédrale », Thierry Michels, cadre d’une multinationale de l’industrie pharmaceutique implantée au sud de Strasbourg a été élu avec 59,9% des voix dans la première circonscription du Bas-Rhin. Martine Wonner, psychiatre, directrice médicale d’un groupe de cliniques privées, a gagné son premier mandat électif avec 55,8% des suffrages sur la circonscription de Strasbourg-Campagne. Bruno Studer sur la troisième circonscription du nord de Strasbourg et Sylvain Waserman sur la deuxième circonscription du sud de la ville, l’ont emporté sans coup férir avec respectivement 59,8% face au maire LR de Reichstett, Georges Schuler et 58,5% face au député sortant PS Philippe Bies. Seul Vincent Thiébaut, ingénieur commercial dans l’informatique dans la circonscription de Haguenau a été élu d’une courte tête seulement avec 51% des voix face au maire de Brumath, Étienne Wolf. Le seul élu LREM du Haut-Rhin, Bruno Fuchs, ancien journaliste de télévision, a marqué sa victoire d’un score des plus nets, avec 64,2% des voix, face au seul candidat de deuxième tour du FN, le jeune Sylvain Marcelli.

42 La représentation parlementaire de l’Alsace est restée marquée par le poids dominant de la droite républicaine qui s’est adjugée les deux tiers de celle-ci. À l’exception d’une seule circonscription haut-rhinoise, la sensibilité macronienne s’est substituée à l’emprise strasbourgeoise des socialistes en l’élargissant au nord et à l’ouest.

En guise de conclusion

43 Les élections du printemps 2017 ont marqué un tournant dans la vie politique de la Ve République. Elles ont installé une nouvelle composante centrale au cœur du dispositif politique national tant par l’élection d’un nouveau et jeune président, Emmanuel Macron, que par la création et l’implantation réussie de son mouvement politique, La République en marche. Ces élections ont promu une nouvelle génération d’hommes et surtout de femmes politiques désormais mieux représentées. Elles ont aussi promu une recomposition politique pacifique en déstructurant la dominance alternée de la droite républicaine et de la gauche socialiste sur la vie politique depuis une trentaine d’années. Elles ont enfin conforté le poids politique de l’extrême droite à travers la

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présence majorée de Marine Le Pen aux élections présidentielles ainsi que, à gauche, l’affirmation d’une gauche plus radicale, celle de Jean-Luc Mélenchon et de son mouvement la France insoumise.

44 Ces évolutions ont touché l’Alsace mais avec des nuances importantes. Le nouveau président n’a pas été adoubé au premier tour où Marine Le Pen l’a emporté devant François Fillon, deuxième malgré les affaires qui avaient affecté sa campagne. Au deuxième tour par contre, les électeurs alsaciens ont consacré une nette préférence pour Emmanuel Macron à l’instar du reste du pays et davantage que dans nombre de départements du Grand Est. Les élections législatives ont par contre été marquées par une forme de résistance de l’Alsace non strasbourgeoise à la déferlante LREM, reconduisant pour partie l’influence majoritaire traditionnelle de la droite républicaine sur la représentation de la région au Parlement. Aux élections de ce printemps 2017, l’Alsace a confirmé son ancrage à droite même si certaines amarres de celui-ci ont lâché.

AUTEUR

RICHARD KLEINSCHMAGER Professeur émérite de géographie, Université de Strasbourg

Revue d’Alsace, 143 | 2017 279

Positions de thèse

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Objets et ornements liturgiques en Alsace, de la Réforme à la Révolution1

Benoît Jordan

1 Au début du XVIe siècle, l’espace alsacien est divisé en deux diocèses : Strasbourg au nord, Bâle au sud, les marges de la province étant rattachées à d’autres diocèses. Le diocèse de Strasbourg déborde sur la rive droite du Rhin et le diocèse de Bâle possède des territoires en Suisse actuelle et jusqu’au Territoire de Belfort. Celui de Spire occupe la frange nord de l’Alsace et celui de Metz vient buter sur la crête des Vosges.

2 Héritage du haut Moyen Âge, l’unité religieuse, jusque dans les années 1520, est réelle. Survient alors le puissant mouvement de la Réforme protestante qui s’implante rapidement, essentiellement dans le nord de l’Alsace, avec Strasbourg et Bouxwiller, et dans le centre de la province, autour de Colmar. Alors que le culte protestant se veut simple et austère, le mouvement de réforme catholique qui se développe à la fin du XVIe siècle et après la guerre de Trente Ans se dote d’usages rituels rénovés et splendides. La part des jésuites dans la formation des clercs, tant dans le séminaire de Molsheim puis de Strasbourg, que dans la maison de Porrentruy, en liaison avec les autres centres tenus par la Compagnie de Jésus, a joué un rôle certain dans cette volonté de célébrer une liturgie de qualité.

3 Quant au monde de l’artisanat, le poids de Strasbourg est considérable : ville capitale, riche en commerce et en négoce, lieu de résidence, elle rayonne sur tout le Rhin supérieur. Bâle, également une ville de négoce, est à peine en retrait, bénéficiant également de son rôle d’université et de centre intellectuel. Là aussi, l’unité provinciale est manifeste, avec une ouverture de la région vers la vallée du Rhône comme vers l’Allemagne centrale.

4 À l’espace chronologique correspond un espace-temps. Le terminus ad quem s’impose : la Révolution française, qui bouleverse la géographie et les institutions, touche aussi fortement les objets et les ornements. C’est aussi la fin d’une époque pour le monde des artisans comme des commanditaires. La définition du terminus a quo est, en revanche,

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moins évidente. L’époque moderne dans la vallée du Rhin est marquée par la Réformation, par la guerre de Trente Ans, par l’arrivée et l’installation du pouvoir royal français. La date de 1648 aurait pu être acceptable, avec la question de la reconstruction au XVIIe siècle puis celle d’un beau XVIIIe siècle. Cependant, la perspective d’intégrer la rupture politique que constitue la guerre de Trente Ans, avec les destructions afférentes, ne permettait pas de rendre compte de la reconstruction catholique qui intervient avec force juste avant le début de cette guerre. De plus, la confrontation catholicisme-protestantisme dans la région demandait également à être prise en compte. Enfin, le cadre lié à l’artisanat comme aux commanditaires n’est pas bouleversé comme il le sera à partir de 1789. Cela étant, une étude sur une période longue ne pouvait nécessairement commencer qu’avec la Réformation. Mais cette limite chronologique ne peut être absolue. Le catholicisme s’inscrit dans une tradition plus longue, ancienne, notamment en ce qui concerne le culte. La période débutant vers 1520, marquée par une mise en cause des formes traditionnelles du culte, s’ancre profondément dans le Moyen Âge rhénan.

5 Cette liturgie catholique, en opposition avec celle du culte protestant, nécessite des objets et des ornements. Les pièces d’orfèvrerie sont assez bien connues, tant du point de vue typologique que du point de vue des formes et de l’artisanat. L’orfèvrerie de Strasbourg et de Colmar ainsi que de Bâle ont fait l’objet d’études de grande qualité. Plusieurs dizaines de pièces ont été inventoriées dans la base Palissy par le service de l’Inventaire. En revanche, les textiles sont restés pratiquement terra incognita. Quant aux conditions d’acquisition par les fabriques, elles n’ont guère été élucidées. La question des commanditaires et celle de l’utilisation dans le cadre de la liturgie restent marginales dans la littérature.

6 Le sujet est appréhendé sous la forme d’un triptyque : dans la huche centrale, l’objet étudié. Sur le volet de gauche, les acteurs qui ont présidé à sa conception, sa réalisation, son acquisition. Sur le volet de droite, la réception et le devenir de l’objet. Ainsi, il devient possible de présenter l’histoire des objets de la conception à la désacralisation en intégrant la part des acteurs, commanditaires, artisans, utilisateurs actifs (les prêtres et clercs) ou passifs (les fidèles). Mais avant tout, il faut constituer un corpus, opération grandement facilitée par les campagnes menées par l’Inventaire général depuis un demi-siècle, et par des visites de sites. Cependant, la situation n’est pas la même qu’il s’agisse de l’orfèvrerie ou des textiles. Le nombre des pièces d’orfèvrerie pour le XVIIIe siècle reste important, alors que les textiles, plus fragiles, moins respectés ou mal compris, sont bien plus rares. Aussi a-t-on choisi de sélectionner des pièces d’orfèvrerie représentatives ou exceptionnelles comme l’ostensoir de Marienthal. Quant au textile, il faut considérer que les pièces aujourd’hui connues sont des survivantes. Sont-elles représentatives de ce qui fut ? C’est une question à laquelle les descriptions données par les inventaires anciens ne permettent pas de répondre avec certitude. Le corpus devait être étoffé par les livres liturgiques ou paraliturgiques. Il s’agit d’un ensemble de données qui touchent à l’utilisation des objets et des ornements, débouchant sur la question de la « technicité » nécessaire à l’exercice du culte. La bibliothèque du Grand Séminaire a été un lieu d’élection pour appréhender ce domaine.

7 Dernier élément important de ce corpus : les inventaires et descriptions anciennes. Il convenait de prendre en compte et de mettre en valeur les inventaires des églises de Strasbourg au XVIe siècle, car cette collection de textes permet de voir que

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l’iconoclasme n’a pas été si virulent que la légende urbaine pourrait le laisser croire. D’autre part, il montre la permanence des ensembles et leur lente édulcoration. Enfin, il ne reste rien de ces ornements antérieurs à la guerre de Trente Ans. Les listes du XVIIIe siècle sont plus sèches, notamment en ce qui concerne les pièces envoyées à la Monnaie au moment de la Révolution. Parmi ces inventaires anciens, celui de la Chartreuse de Molsheim dressé au milieu du XVIIe siècle occupe une place particulière par son volume et le niveau précis de sa description, en tout cas par l’époque de sa rédaction : la Chartreuse est alors reconstruite après l’expulsion de 1592 et on devine à travers ce document la diversité des objets qui se trouvent dans la maison.

8 Les pièces conservées permettent de suivre l’évolution des formes pour chaque type d’objet. L’esthétique occupe une part importante dans la conception de l’objet, orfèvrerie ou textile. Le décor scintillant de fils d’or ou d’argent répond à l’aspect pittoresque d’une chasuble taillée dans un tissu orné de chinoiseries. Cette même esthétique amène à s’interroger sur les fac-similés constitués par des ensembles de chandeliers ou des reliquaires en bois taillé, sculpté et doré, donnant l’illusion de l’orfèvrerie.

9 Le corpus établi, le premier volet du triptyque traite des commanditaires et des artisans. Pour ces derniers, les travaux existants sur les orfèvres ont été repris en cherchant à donner une image générale de ce métier au niveau régional. Pour les textiles, la même démarche a été tentée, tenant compte du fait que le domaine fait appel à plusieurs métiers, brodeurs, passementiers, revendeurs, tailleurs… Deux questions sont traitées à part : la question d’Augsbourg, ville d’orfèvres qui bénéficie d’un réseau commercial majeur pour écouler sa production au XVIIe et au XVIIIe siècle ; la question des soieries lyonnaises et des revendeurs d’origine savoyarde, implantés en Alsace et en Allemagne du sud au XVIIIe siècle. Leur importance dans le commerce des ornements et, dans une moindre mesure des objets liturgiques, ne cesse d’augmenter jusqu’à la fin du siècle, allant jusqu’à une sorte de monopole.

10 La question des commanditaires se décline en plusieurs thèmes, en premier lieu celui des fabriques d’église. Dans ce domaine, les archives sont nombreuses bien qu’inégales, permettant de percevoir le fonctionnement de ces structures dans de toutes petites paroisses comme dans celles de villes. Chaque paroisse bénéficie de ses propres revenus, plus ou moins bien gérés, plus ou moins consistants : le cas d’Altkirch montre une richesse importante, alors que d’autres paroisses rurales connaissent une réelle disette. Autre thème à prendre en compte, celui des donateurs. Ces personnages échappent parfois à l’étude, restant anonymes. D’autres sont connus par les legs qu’ils laissent post mortem. Le cas du roi Louis XIV qui dote la cathédrale d’objets prestigieux reste exceptionnel.

11 Les objets achetés, ils servent au culte dans un contexte défini par les normes liturgiques. La forme du culte s’inscrit dans une notion particulière : celle de la sacralité. Ce domaine qui avoisine avec celui de la perception et de la réception des objets, touche à la théologie et à l’anthropologie, espaces d’étude répondant à d’autres critères que ceux de l’histoire des institutions ou de l’art. La question de la sacralité est éminemment conceptuelle, mais elle s’inscrit dans la pierre à travers la problématique des sacristies, sorte de lieux annexes aux églises, réservées à quelques initiés, qui permettent de conserver les objets dans de bonnes conditions matérielles et donc leur capacité à rester « décents » pour le culte. La célébration du culte ne s’improvise pas. C’est un cadre règlementé, qui répond à des normes édictées par l’autorité. Aussi faut-il

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prendre en compte les principaux outils mis à disposition des célébrants, et mener une investigation sur la capacité de ces derniers à appréhender ce domaine dont ils sont les techniciens quasi exclusifs avec les sacristains.

12 Grâce à l’imprimerie, les ouvrages strictement liturgiques et quelques dictionnaires explicatifs sont à la disposition du clergé au long du XVe et du XVI e siècle. Avec la Réforme catholique, d’autres manuels explicatifs apparaissent, notamment celui de Gavanti, et on relève l’existence d’une production de dictionnaires ou de traités qui pouvaient concourir à la formation du clergé. Pour autant, la réflexion théologique sur le culte se concentre sur la polémique contre les luthériens et les calvinistes, notamment en ce qui concerne l’Eucharistie. La crainte ou la dénonciation de la profanation restent constantes, bien qu’assez rares, limitées le plus souvent à des vols d’objets précieux. L’iconoclasme du début de la Réforme protestante n’aura été qu’un feu de paille limité.

13 Qu’en est-il des fidèles dont la participation ne doit pas dépasser le stade d’une présence aux offices paroissiaux ? La messe n’est, de loin pas la seule forme de cérémonie. Vêpres, rosaires, surtout processions, forment un ensemble complexe avec des variantes souvent justifiées par l’histoire locale. À plusieurs égards, le culte est structurant de la société, mais les descriptions des cérémonies elles-mêmes sont rares. Le rituel d’Offenburg ou le récit de Lazare de l’Hermine, textes de nature bien différente, sont exceptionnels de ce point de vue. La perception des rites ouvre une fenêtre sur la compréhension sensitive par les fidèles, sujet connu pour le Moyen Âge mais encore peu étudié pour l’époque moderne.

14 L’objectif de ce travail aura été de décrire les objets et les ornements dans une dynamique qui englobe leur conception, leur acquisition par les églises, leur utilisation, sur un temps long et dans une région de contact où les religions catholique et luthérienne cohabitent. La sacralité et les rites renvoient aux objets et aux ornements, quelles que soient les conditions de leur création et de leur conservation. Ainsi, le triptyque associant la description des objets, leurs commanditaires et leurs artisans, enfin leur utilisation et leur réception, permet de saisir le sens de ces objets, replacés dans l’histoire générale du catholicisme en Alsace.

NOTES

1. . Thèse de doctorat mention « Religions et systèmes de pensée » soutenue à l’École Pratique des Hautes Études le 9 décembre 2016 devant un jury composé de Jean-Michel Leniaud, Philippe Martin, Claude Muller et Isabelle Saint-Martin (directrice de thèse).

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AUTEUR

BENOÎT JORDAN Docteur de l’EPHE, mention « religions et systèmes de pensée », conservateur aux Archives de la Ville et de l’Eurométropole de Strasbourg

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L’enseignement secondaire des filles en Alsace-Lorraine et dans l’académie de Nancy de 1871 à 19401

Eric Ettwiller

1 La thèse susnommée compte 2818 pages, auxquelles s’ajoutent 1 202 pages d’annexes, essentiellement deux « dictionnaires » biographiques, soit 4 020 pages au total2. Elle a été pensée, dès le départ, comme une œuvre monumentale : j’ai voulu rendre compte de la situation de l’enseignement secondaire des filles sous tous ses aspects, sur l’ensemble de l’espace considéré, en retraçant les évolutions et ruptures qui ont eu lieu sur la période délimitée. Tout en étant conscient du caractère inatteignable de l’exhaustivité en histoire, j’ai cherché à m’en approcher le plus possible. Ma thèse livre donc une multitude de faits et de données classés dans une construction logique qui permet de dégager des vues larges, précises et nuancées, avec différentes entrées selon les attentes du lecteur, ce qui est le propre de l’espace de liberté créé par une démarche « encyclopédique », qui a la prétention de vouloir s’adresser à un public large et divers et l’ambition de donner des réponses à chacun. Mon positionnement étant précisé, le contenu de mon travail peut être maintenant présenté.

2 Une thèse anglo-saxonne sur l’histoire des femmes en Alsace entre 1870 et 1946 est parue en 20103. Elle contient un chapitre sur l’enseignement féminin à l’époque du Reichsland, qui traite notamment de l’enseignement secondaire. Il s’agit d’une bonne synthèse des connaissances existantes, mais, comme aucune étude d’établissement n’a été menée, la vision des choses s’avère un peu caricaturale. Ayant déjà commis un mémoire de master sur l’enseignement secondaire des filles en Haute-Alsace entre 1871 et 1918, il me semblait donc naturel, en m’inscrivant en thèse en 2012, d’explorer jusqu’au bout ce pan méconnu ou mal connu de l’histoire alsacienne. Car l’article que j’avais publié cette même année dans la Revue d’Alsace, pour lequel je n’avais pu effectuer qu’un simple survol des sources sur les établissements de Basse-Alsace, ne pouvait suffire4. Ma perspective est donc celle d’une histoire d’Alsace sur les femmes plutôt que d’une histoire des femmes sur l’Alsace. La problématique est celle de l’identité : identité nationale ; identité confessionnelle ; identité de genre. L’étude de

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cette fabrique d’identité qu’est l’école, en l’occurrence l’enseignement secondaire des filles, devait nécessairement courir jusqu’en 1940, pour englober la grande rupture de 1918 et ses conséquences.

3 Cette histoire mouvementée n’est pas uniquement celle de l’Alsace, mais aussi celle de l’actuel département de la Moselle, autrement dit le district de Lorraine du temps du Reichsland Elsass-Lothringen, qui fut notre État entre 1871 et 1918. Il est apparu logique, en raison de la cohérence politique et de la communauté de destin, de prendre cet État pour cadre : la thèse dépasse ainsi l’échelle régionale pour prendre une dimension « nationale », même s’il s’agit d’un « pays perdu5 ». Mais ce n’est là que la moitié de l’espace couvert par ma thèse puisque celle-ci a encore un second cadre, comme son titre l’indique : l’académie de Nancy, autrement dit la Lorraine qui n’a pas été annexée en 1871. En effet, pour ne pas considérer l’Alsace-Lorraine comme un isolat et pour permettre la comparaison entre deux territoires voisins, qui plus est appartenant, entre 1871 et 1918, à deux États différents, l’historien de l’Alsace s’est fait historien de la Lorraine, pas seulement de la Moselle, mais de toute la Lorraine – encore un « pays perdu ». Ma thèse n’est donc pas seulement une étude comparant deux « régions », elle est aussi une étude comparant le système allemand avec le système français.

4 Elle se divise en deux grandes parties. La première partie s’intitule « L’essor de l’enseignement secondaire des filles en Alsace-Lorraine et dans l’académie de Nancy ». Elle compte, toutes pages de couverture soustraites, 2 063 pages. Cette longueur s’explique par la nécessité d’écrire l’histoire des établissements d’enseignement secondaire des filles à partir des sources d’archives, par l’ambition de les étudier tous et par la volonté de mettre toutes les monographies issues de ce travail à la disposition du lecteur. J’ai divisé cette première partie entre les points suivants : A. Un enseignement secondaire des filles depuis le début du XIXe siècle ; B. L’enseignement secondaire des filles en Alsace-Lorraine (1871-1918) ; C. L’enseignement secondaire des filles dans l’académie de Nancy (1871-1940) ; D. La conversion au modèle français dans la nouvelle académie de Strasbourg (1918-1940) ; E. Comparaison entre Lorraine française / académie de Nancy et Alsace-Lorraine, en regard des contextes nationaux respectifs.

5 « Un enseignement secondaire des filles depuis le début du XIXe siècle » retrace la genèse de l’enseignement secondaire des filles en France, notamment à partir des travaux de Françoise Mayeur6 et de Rebecca Rogers 7, et cela tant au niveau de la législation – effacée par la loi Falloux – que du phénomène des « cours », secondaires ou universitaires. Il fait ensuite un état de la situation de cet enseignement dans les départements alsaciens et lorrains avant 1871, dégageant les caractéristiques des différents territoires. Une fracture entre Ouest et Est des Vosges apparaît pour la fondation des cours secondaires de jeunes filles de Victor Duruy à partir de 1867, avec une Lorraine largement ouverte à cette nouvelle expérience, tandis que l’Alsace – notamment Strasbourg et Colmar – se montre rétive. Le succès des cours Duruy en Lorraine était un fait connu de l’historiographie, mais il fallait ici suivre le détail des campagnes de fondation du recteur Maggiolo, pour mieux comprendre chaque situation locale.

6 « L’enseignement secondaire des filles en Alsace-Lorraine (1871-1918) » est la véritable entrée dans le sujet. Après une rapide reconstitution du cadre politique, démographique – départ des optants, arrivée des « Vieux-Allemands » (Altdeutsche) – et social du Reichsland, il s’agit, en premier lieu, de présenter le système d’enseignement secondaire des filles que le nouveau pouvoir allemand entend mettre en place. Cela

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implique de remonter dans l’histoire des höheren Töchterschulen, de plus en plus appelées höheren Mädchenschulen, les « écoles supérieures de filles » en français. La suite détaille l’histoire réglementaire de cette nouvelle institution en Alsace-Lorraine. Il y a d’abord la prise en main d’une série d’établissements hérités de la période française, qui entrent dans un programme de conversion défini en 1872. D’autres établissements sont créés ex nihilo. En 1874 est adopté un décret fixant une norme linguistique – favorisant la prédominance de l’allemand – qui s’applique à toutes les écoles supérieures de filles. Puis c’est le tournant de 1887-1888 : l’Oberschulrat (conseil supérieur des écoles) prend la main, avec pour conséquence un renforcement de la surveillance et l’application d’un certain nombre de normes qui n’effacent cependant pas l’extrême diversité des conditions d’enseignement. Les écoles supérieures de filles d’Alsace-Lorraine du début du XXe siècle n’ont toujours pas une identité clairement définie sur le plan scolaire. Mais le vent de réformes qui se lève alors de la Prusse ne tarde pas à toucher le Reichsland, dans les années 1910, en commençant par les écoles normales supérieures (höheren Lehrerinnenseminare), institutions annexes des écoles supérieures de filles les plus développées. L’achèvement institutionnel, qui répond à une double demande de réorganisation et de reconnaissance, intervient en 1915, avec la première définition réglementaire de ce que doit être une école supérieure de filles, accompagnée du premier plan d’études à appliquer par l’ensemble des établissements. C’est également la reconnaissance officielle de l’appartenance des écoles supérieures de filles à l’enseignement secondaire. Les établissements ne pouvant pas satisfaire aux nouvelles exigences deviennent des gehobenen Mädchenschulen, qui appartiennent également à l’enseignement secondaire. Mais le contexte difficile de la Première Guerre mondiale complique l’application du texte.

7 Comment les Alsaciens-Lorrains ont-ils vécu, localement, cet essor de l’enseignement secondaire féminin ? Les monographies d’établissement répondent à cette question pour chaque ville, d’abord pour les institutions publiques, c’est-à-dire municipales, puis pour les institutions privées congréganistes, et enfin pour les institutions privées non- congréganistes. Les écoles publiques supérieures de filles sont divisées entre grandes villes, villes moyennes et petites villes, et à l’intérieur de chaque catégorie les monographies suivent l’ordre chronologique des municipalisations. Pour finir, on tire de ces monographies un tableau de la situation qui rend compte du maillage serré des établissements municipaux, de leur grande diversité et des réussites variables au défi de la non-confessionnalité.

8 Les écoles privées supérieures de filles congréganistes (volume 2) sont, après un état des quelques victimes définitives du Kulturkampf, divisées par congrégation, avec la Divine Providence de Ribeauvillé, Sainte-Chrétienne de Metz, la Providence de Peltre, la Doctrine Chrétienne, les chanoinesses augustines de Notre-Dame et enfin une série de divers établissements isolés. On termine en faisant le point sur les différents aspects de cet essor congréganiste, qui repose notamment sur un enseignement aux objectifs différenciés.

9 Les écoles privées supérieures de filles non-congréganistes sont divisées en trois catégories définies à partir de leur histoire, avec tout d’abord « les témoins de l’époque française qui disparaissent », classés dans l’ordre chronologique des fermetures, puis « les établissements [hérités de l’époque française] qui se maintiennent » et enfin « les établissements fondés pendant la période du Reichsland », classés dans l’ordre chronologique de leur fondation, qui sont essentiellement à Strasbourg, mais aussi à

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Mulhouse, Ribeauvillé, Courcelles-Chaussy, Saint-Avold et Schirmeck-La Broque. On conclut en dégageant les grandes lignes d’une géographie particulière et de destins contrastés.

10 « L’enseignement secondaire des filles dans l’académie de Nancy (1871-1940) » (volume 3) dresse les résultats de la même enquête appliquée à la Lorraine restée française. Là aussi, on commence par replacer l’étude dans son contexte général, avec une limite chronologique repoussée à 1940, la fin de la Première Guerre mondiale n’entraînant pas ici le bouleversement que subit l’Alsace-Lorraine suite à l’armistice de 1918. Cette année constitue néanmoins une rupture : la région décline après le recouvrement des « provinces perdues ». Dans la France centralisée, il n’y a pas de législation scolaire pour chaque région, comme c’est le cas dans les différents États confédérés de l’Empire allemand. Il faut donc, pour poser le cadre de l’enseignement secondaire des filles dans l’académie de Nancy, revenir aux études à l’échelle nationale qui sont déjà parues : la thèse de Françoise Mayeur pour l’enseignement public8, c’est-à-dire les cours secondaires des jeunes filles, collèges de jeunes filles et lycées de jeunes filles, et divers travaux pour l’enseignement privé, relativement peu documenté du fait de l’absence de reconnaissance légale d’un enseignement secondaire privé pour les filles. La grande affaire concernant ce dernier, qui est en grande partie tenu par des religieuses, est la politique anticongréganiste avec ses conséquences, qui ont dû être rappelées. Toujours au niveau du contexte général, il y a aussi « l’engouement pour le baccalauréat » dès les premières années du XXe siècle et le développement de « l’enseignement primaire supérieur, proche du secondaire », comme l’ont montré Jean-Pierre Briand et Jean- Michel Chapoulie9. La « redéfinition de l’enseignement secondaire des filles dans l’entre-deux-guerres », avec la préparation au baccalauréat instituée officiellement en 1924, fait l’objet d’un développement particulier, concernant surtout l’enseignement public. Un état de la situation est également fait pour l’enseignement privé, désormais reconnu par l’État, mais cette reconnaissance a été peu traitée par l’historiographie.

11 Les monographies d’établissement pour l’académie de Nancy entre 1871 et 1940 – rédigées principalement à partir de différents fonds des Archives départementales de Meurthe-et-Moselle – sont réparties selon la même division que pour l’Alsace-Lorraine, avec d’abord les institutions publiques, puis les institutions privées congréganistes, et enfin les institutions privées non-congréganistes. La division interne à la catégorie des institutions publiques est chronologique, mais aussi, en partie, thématique, puisque la première sous-catégorie, celle des premières fondations, ne comprend que des monographies de cours secondaires de jeunes filles, fondés entre 1880 et 1896. Vient ensuite, au début du XXe siècle, la première vague de fondations des collèges et lycées de jeunes filles, définis par la loi Camille Sée de 1880. Une seconde période de fondations, beaucoup moins féconde, est finalement observée après la Première Guerre mondiale. On ne peut, au final, que constater « le retard lorrain » dans la mise en place d’un enseignement secondaire des filles, avec des logiques différentes dans chacun des trois départements de l’académie de Nancy.

12 Les institutions privées congréganistes sont classées par congrégation, avec les chanoinesses augustines de Notre-Dame, le tiers-ordre de Saint-Dominique, les dames du Sacré-Cœur, la Doctrine Chrétienne de Nancy, la Providence de Portieux, les Sœurs de Saint-Charles de Nancy, les congrégations originaires de Lorraine annexée et enfin divers établissements isolés. Au cœur de ces monographies apparaît la persécution anticongréganiste des premières années du XXe siècle, dont les conséquences sont

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dégagées en conclusion. Cette conclusion n’omet pas de résumer aussi les grands traits de la période précédente, celle du règne des congrégations sur la Lorraine française.

13 Les institutions privées non-congréganistes sont, quant à elles, divisées en deux sous- parties, qui rendent compte d’une dualité géographique : d’abord les institutions de Nancy, puis les institutions du reste de l’académie. La répartition interne à chaque catégorie suit une logique globalement chronologique. Le bilan revient sur la répartition géographique, mais aussi sur le terme « laïque », et montre que le fait confessionnel prédomine.

14 « La conversion au modèle français dans la nouvelle académie de Strasbourg (1918-1940) » (volume 4) commence, comme les deux autres séries de monographies, par une petite introduction aux réalités du territoire pour la période donnée. Il s’agit, en l’occurrence, du retour à la France et du malaise alsacien. Un développement particulier doit être donné au passage au cadre français dans le domaine scolaire, et particulièrement dans le domaine de l’enseignement secondaire des filles, avec une nouvelle catégorisation des établissements publics et l’introduction de la loi Camille Sée en Alsace-Lorraine. Pour les monographies, on passe de la tripartition à la bipartition, avec une catégorie « établissements publics » et une catégorie « établissements privés ». La caractérisation de chaque catégorie donne lieu à une conclusion intermédiaire, définissant, pour la première, la politique française en matière de conversion des écoles municipales supérieures de filles héritées de la période allemande, qui ne laisse qu’un petit nombre de grands établissements, observant, pour la seconde, un secteur en pleine recomposition, qui reste marqué par une grande hétérogénéité.

15 La « comparaison entre Lorraine française / académie de Nancy et Alsace-Lorraine, en regard des contextes nationaux respectifs » clôt la première partie de la thèse. Relativement courte, avec ses 18 pages, elle commence par les institutions privées : la différence la plus importante entre l’Alsace-Lorraine et la Lorraine française sur le point de l’enseignement congréganiste secondaire des filles est celle qui résulte de la suppression de cet enseignement en France, qui signe la disparition brusque de tout un pan du sujet dans l’académie de Nancy, mais aussi l’apparition d’un nouvel objet d’étude, inconnu en Alsace-Lorraine, à savoir l’enseignement « crypto-congréganiste » ; un certain nombre de ressemblances entre l’Alsace-Lorraine et l’académie de Nancy sont apparues concernant l’enseignement privé non-congréganiste avant la Première Guerre mondiale, la plus significative étant l’importance des métropoles respectives, Strasbourg et Nancy, mais des différences ont aussi été relevées, notamment la disparition de l’enseignement confessionnel israélite en Alsace-Lorraine, avec le transfert des institutions messines à Nancy ; concernant les institutions privées, congréganistes et non-congréganistes, après la Première Guerre mondiale, les mêmes difficultés ont été relevées en Alsace-Lorraine, désormais académie de Strasbourg, et dans l’académie de Nancy. La comparaison dans le domaine de l’enseignement public fait ressortir qu’autant l’Alsace-Lorraine que la Lorraine française ont, avant la Première Guerre mondiale, suivant des chronologies différentes, rattrapé tout à fait honorablement le retard qui était le leur dans leur cadre national respectif. Des comparaisons avec d’autres États de l’Empire allemand et avec l’académie de Montpellier le montrent. Après 1918, l’enseignement secondaire féminin des académies de Nancy et de Strasbourg évolue au diapason de l’évolution française, marquée par

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l’importance grandissante du baccalauréat et le déclin du diplôme de fin d’études secondaires.

16 La seconde partie de ma thèse s’intitule « Acteurs et enjeux » (volume 5) et compte 567 pages. Beaucoup plus courte que la première partie, elle est une étude en deux temps : d’abord « Les enseignant (e) s », puis « Les élèves ». « Les enseignant (e) s » s’intéresse, dans une première sous-partie (« Des femmes et des hommes »), tout d’abord aux rapports numériques entre hommes et femmes dans les différents établissements, pour l’Alsace-Lorraine et pour les territoires français de l’étude, l’académie de Nancy et – après 1918 – celle de Strasbourg, d’où ressortent six modèles de répartition hommes-femmes, dont certains se retrouvent à la fois du côté allemand et du côté français. Mais dans les deux espaces, le personnel masculin est minoritaire ; une étude qualitative cerne ses différents profils. La dernière interrogation de la sous- partie porte sur les raisons avancées pour le choix d’une femme plutôt que d’un homme ou inversement. Les deux sous-parties suivantes sont consacrées exclusivement aux femmes. « Identités du personnel féminin » explore les origines géographiques et sociales, exploitant une grande masse de données pour l’Alsace-Lorraine, une quantité de données plus réduite pour l’académie de Nancy et l’académie de Strasbourg. « Les conditions de vie » s’attache, à la manière de Françoise Mayeur ou, plus encore, de Jo Burr Margadant10, aux différentes étapes d’une carrière, en cherchant à en extraire les éléments d’un portrait moral : d’abord la « formation » et les « expériences » (« Scolarité et études », « Les séjours à l’étranger »), puis « Les relations sociales » (« Célibat et mariage », « L’entourage familial et amical », « Le contrôle social »), « Les conflits » (« avec l’extérieur » ou « au sein de l’institution », avec un développement particulier accordé au cas de Mlle Vollmer, qui a été obligée de fermer son établissement strasbourgeois en 1888) et, enfin, les « épreuves physiques et morales » (« Les problèmes de santé », « Climats éprouvants et cures », « Les épreuves de la guerre », « Les vieux jours »). De ce portrait se trouve exclu, faute de sources, un groupe important d’enseignantes, celui des religieuses. Toute la partie « Les enseignant (e) s » s’appuie, non seulement pour les statistiques, mais aussi, en grande partie, pour les données qualitatives, sur le recensement du personnel enseignant, publié en deux annexes.

17 « Les élèves » tient aussi à dégager un portrait, à la manière de celui dressé pour les enseignantes, à savoir « national » et social, mais, ici, également confessionnel. Les enjeux nationaux et confessionnels diffèrent entre Alsace-Lorraine et académie de Nancy, mais du point de vue social la même tendance l’emporte, à savoir l’accaparement par une large classe moyenne. La proportion des filles qui suivent une scolarité secondaire n’a pas été calculée, car l’opération s’avère trop incertaine. Il est clair que l’enseignement secondaire concerne une minorité de jeunes filles, essentiellement urbaines, mais il est également apparu que les effectifs ont progressé au cours de la période étudiée. Bien sûr, connaître le taux de scolarisation secondaire et son évolution au cours du temps permettrait de mettre cet essor en perspective. On ne peut donc que souhaiter que d’autres chercheurs se penchent sur l’histoire scolaire de telle ou telle grande ville – avec ses communes de banlieue – et réussissent à y trouver le nombre total de filles de la tranche d’âge concernée pour pouvoir faire le rapport avec les effectifs cumulés des différents établissements secondaires de ladite ville, dont on aura pris soin de soustraire les élèves internes. Il sera sûrement plus simple, pour ces chercheurs, de travailler sur des tableaux chiffrés existants réunissant les effectifs des différentes écoles, et de comparer ces effectifs, tout en sachant qu’ils recouvrent

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des tranches d’âge dont les limites ne sont pas les mêmes, et en n’omettant pas de prendre en compte l’enseignement privé.

18 « Les élèves » dessine aussi un portrait moral, avec tout d’abord « La vie à l’école ». Cette sous-partie commence par un état du système de l’internat. Inexistant dans l’enseignement secondaire public allemand, l’internat sera quasiment inconnu des lycées et collèges d’Alsace-Lorraine après 1918. La sous-partie continue par « Le temps et le lieu de l’école » : temps long de la scolarité, temps court de l’année scolaire et de l’emploi du temps hebdomadaire ; « Le cadre architectural », avec ses 60 pages de photographies, dessins et autres plans, montre que les locaux étaient rarement des constructions neuves spécialement destinées à l’enseignement secondaire des filles, même si quelques bâtiments de prestige sont sortis de terre, de part et d’autre de la ligne bleue des Vosges. La sous-partie se termine par l’exploration de trois enjeux majeurs que sont « l’hygiène scolaire », « la discipline » et les interrogations liées à une « mixité » qui progresse. Le portrait moral se poursuit par « Les objectifs de la scolarité secondaire », dont l’évolution montre une période de transition entre « tradition et modernité », « l’apprentissage de sa condition » laissant de plus en plus s’ouvrir des « perspectives de vies professionnelle et civique ». Qu’apprennent les élèves et comment apprennent-elles ? C’est la question traitée dans la sous-partie « Les connaissances et les sentiments », qui ne peut méconnaître les enjeux politiques, d’où les développements sur l’éducation patriotique dans les différents contextes.

19 Le recensement du personnel enseignant est, en quelque sorte, la partie immergée de l’iceberg, dont « Les enseignant(e)s » constitue la partie émergée. Il se divise en deux annexes qui forment deux véritables ouvrages. L’annexe 2 s’intitule « Dictionnaire du personnel de l’enseignement secondaire féminin dans le Reichsland d’Alsace- Lorraine (1871-1918) » (volume 6). Ce recensement est très proche de l’exhaustivité et les renseignements sur les origines géographiques, confessionnelles, sociales et sur les parcours sont très nombreux. L’annexe 3 s’intitule « Répertoire du personnel de l’enseignement secondaire féminin dans les académies de Nancy (1871-1940) et de Strasbourg (1918-1940) » (volume 7). Le terme de « répertoire » a été préféré à celui de « dictionnaire », car les lacunes sont relativement importantes, notamment en ce qui concerne l’enseignement privé. Ces deux bases de données prosopographiques ont été tout particulièrement conçues pour être mises au service des autres chercheurs.

NOTES

1. . Thèse de doctorat en histoire soutenue à l’Université de Strasbourg le 7 janvier 2017 devant un jury composé de : Rebecca Rogers, professeure d’histoire de l’éducation à l’Université Paris- Descartes, présidente ; Claude Muller, professeur d’histoire de l’Alsace à l’Université de Strasbourg, directeur de thèse ; Philippe Alexandre, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Nancy, rapporteur ; Gerhard Fritz, professeur d’histoire et de didactique à l’Université pédagogique de Schwäbisch Gmünd, rapporteur ; Nicolas Bourguinat, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg ; Catherine Maurer, professeure d’histoire contemporaine à l’Université de Strasbourg.

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2. . Pages de couverture des différents volumes comprises. 3. . Elizabeth VLOSSAK, Marianne or Germania? Nationalizing Women in Alsace, 1870-1946, Oxford, Oxford University Press, 2010, 330 p. 4. . Éric E TTWILLER, « L’essor de l’enseignement secondaire des filles en Alsace (1871-1918) », Revue d’Alsace, no138, 2012, p. 191‑223. 5. . François ROTH, Alsace-Lorraine. Histoire d’un « pays perdu », de 1870 à nos jours, Nancy, Place Stanislas, 2010, 199 p. 6. . Françoise M AYEUR, L’éducation des filles en France au XIXe siècle, Paris, Hachette, 2008 (1ère édition : Perrin, 1979), 207 p. 7. . Rebecca ROGERS, Les bourgeoises au pensionnat : l’éducation féminine au XIXe siècle, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2007, 390 p. (traduction adaptée de From The Salon to the Schoolroom : Educating Bourgeois Girls in Nineteenth-century France, University Park, PA, Pennsylvania State University Press, 2005, 335 p.). 8. . Françoise MAYEUR, L’enseignement secondaire des jeunes filles sous la Troisième République, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977, 488 p. 9. . Jean-Pierre BRIAND et Jean-Michel CHAPOULIE, Les Collèges du peuple : l’enseignement primaire supérieur et le développement de la scolarisation prolongée sous la Troisième République, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2011 (Paris, INRP, Éditions du CNRS, 1992), 544 p. 10. . Jo Burr MARGADANT, Madame le Professeur. Women Educators in the Third Republic, Princeton, Princeton University Press, 1990, 358 p.

AUTEUR

ERIC ETTWILLER Professeur agrégé, docteur en histoire de l’Université de Strasbourg

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Réintégrer les départements annexés : le gouvernement et les services d’Alsace-Lorraine, 1914-1919

Joseph Schmauch

1 Dans le sillage d’une thèse d’École des Chartes consacrée aux organes administratifs liés à l’Alsace-Lorraine, ma thèse de doctorat1 vise à mieux comprendre l’action du gouvernement et des organes civils, chargés d’abord d’une mission de préfiguration, puis d’une mission d’administration de l’Alsace et de la Lorraine mosellane, un territoire chargé de symboles.

Périmètre du sujet

2 Dès 1915, les gouvernements français successifs élaborent des projets politiques et administratifs pour l’Alsace-Lorraine dans la perspective d’une paix victorieuse. Dans un contexte de reprise en main des administrations d’État, après le repli à Bordeaux, une première institution consacrée à la réintégration des départements de l’Est voit le jour au ministère des Affaires étrangères. La Conférence d’Alsace-Lorraine se réunit pour la première fois le 10 février 1915, sous la présidence du président du Conseil, René Viviani2. Dirigée par le député Louis Barthou, la Conférence d’Alsace-Lorraine comprend vingt membres. Toutes les tendances politiques y sont représentées, à l’image du gouvernement d’union sacrée : députés catholiques ou socialistes y côtoient des industriels lorrains ou mulhousiens. Parmi les personnalités composant cette commission, on relève quelques figures alsaciennes de premier plan, passées au service de la France au cours de l’été 1914. On note la présence du député catholique Émile Wetterlé3, qui a quitté Colmar peu avant la déclaration de guerre, ainsi que celle du maire de Colmar, Daniel Blumenthal, démis de ses fonctions par les autorités allemandes. D’autres personnalités, telles Daniel Mieg ou le socialiste Georges Weill, se trouvent déjà à Paris lorsqu’éclate la guerre. Ces Alsaciens ont en commun de faire le

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choix de la France, alors même qu’ils étaient intégrés dans les structures politiques et économiques de l’Empire allemand. Ils retrouvent dans la capitale les Alsaciens de Paris, enfants d’optants investis dans de nombreuses associations patriotiques, et vont user de leur influence pour peser sur les décisions gouvernementales touchant aux provinces de l’Est. On retrouve les mêmes personnalités en dehors de l’officielle Conférence d’Alsace-Lorraine, par exemple au sein du Comité d’études économiques et administratives fondé en 1916 sous l’impulsion d’Albert Kahn et de Daniel Mieg, ou encore du Groupe Lorrain réuni autour de Maurice Bompard et François de Wendel4. À travers les travaux de ces commissions, le gouvernement cherche à répondre aux problèmes soulevés par la réoccupation des vallées vosgiennes et, dans le même temps, à engager l’avenir des provinces dont le retour à la France parait imminent.

3 Au lendemain de l’Armistice du 11 novembre 1918, les autorités civiles françaises prennent pied en pays annexé et adoptent un premier train de mesures politiques et administratives, quand bien même l’Alsace-Lorraine se trouve dans une période de transition jusqu’à la signature de la paix. Tous les témoignages s’accordent pour dire que l’accueil est enthousiaste malgré quelques signes de réserve d’une partie de la paysannerie protestante dans le nord de l’Alsace5. Ce climat de fête et de confiance en l’avenir engage le gouvernement français à repousser l’hypothèse d’une consultation des populations ainsi que les offres de service du Landtag, considéré comme une institution allemande. Les premières mesures de police concernent le tri et l’épuration de la population, mais aussi des mesures à caractère économique (introduction du franc, réorientation des échanges commerciaux) ou culturel (mise en œuvre d’une politique de francisation touchant aussi bien les écoles que les lieux de spectacle).

4 La présente étude vise à mieux comprendre l’action du gouvernement et des organes civils chargés de penser l’avenir mais aussi d’administrer des territoires (limités dans un premier temps aux seules vallées vosgiennes puis étendus à l’ensemble des pays annexés). Lieu commun des discours revanchards des premières années de la Troisième République, l’Alsace-Lorraine est peu présente dans les esprits à la veille de l’ultime crise balkanique qui entraine l’Europe dans la guerre. Mais elle ressurgit bien vite, sitôt la guerre entre la France et l’Allemagne déclarée. Cette situation va porter subitement les regards des gouvernements de Paris et de Berlin vers les provinces annexées : à Paris, on se prépare à effacer le « honteux » traité de Francfort en réintégrant les provinces perdues en 1871, tandis qu’en Allemagne, on cherche à trouver la solution politique qui arrimera définitivement la région au Reich. De la déclaration de guerre à la Paix, le rapport des autorités civiles françaises vis-à-vis des provinces perdues s’articule autour des trois axes suivants : préparer l’Alsace et la Lorraine de demain, à travers les réflexions de la Conférence d’Alsace-Lorraine ; faire aimer la France (par la propagande, par l’accueil donné aux Alsaciens réfugiés ou prisonniers de guerre en France, enfin par l’école) ; administrer les territoires reconquis.

Problématiques de recherche

5 Cette thèse s’inscrit dans un prisme régional : au moment du déclenchement des hostilités, la région est annexée à l’Empire allemand depuis plus de quarante ans et l’Alsace-Lorraine de 1914 apparait très différente de ce qu’elle était en 1871. À la veille des hostilités, la majorité des Alsaciens accepte la situation politique existante, préférant le maintien de la paix à un conflit. Prospérité économique, intégration

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politique dans l’Empire wilhelminien assortie d’un puissant particularisme culturel et religieux caractérisent les pays annexés6. Le conflit armé avec la France, qui s’accompagne d’une dictature militaire, met un terme au processus d’intégration, provoquant un retour du sentiment francophile. Aussi ma thèse s’intéresse-t-elle aux problèmes soulevés par la réintégration des départements annexés dans la communauté nationale : régime administratif, maintien ou non de dispositifs législatifs spécifiques, insertion dans l’espace économique français, poursuite des politiques sociales développées du temps allemand, place du français à l’école et dans la vie publique, régime des cultes, sort à donner à la population allemande résidant en Alsace-Lorraine. Étudier les organes gouvernementaux en charge de l’Alsace française revient à se poser la question de la capacité de l’administration à réintégrer une région demeurée allemande pendant un demi-siècle, et à apprécier le rôle des erreurs administratives dans l’après-guerre alsacien.

6 Mon travail interroge également les représentations françaises de l’Alsace-Lorraine, territoire largement présent dans les symboles et dans les discours français. L’imagerie populaire, la littérature, mais aussi les savoirs transmis par l’école de la République diffusent une image stéréotypée et pittoresque des pays annexés, rendant hommage aux provinces annexées et justifiant, sans le proclamer ouvertement, le désir de reconquête7. Cette vision n’est pas dépourvue d’impact sur les thèmes de la propagande de guerre française. Les contacts difficiles avec les réfugiés, la nécessité d’entreprendre une campagne d’opinion en faveur de la cause des Provinces perdues, le temps mis pour admettre les doléances des Alsaciens-Lorrains : tout atteste de l’écart entre les représentations et la réalité. Au-delà de cet imaginaire, mon travail interroge également le poids des sentiments nationalistes et du revanchisme dans la France de 1914. À la veille de la guerre, l’attitude du personnel politique apparait pleine d’ambiguïté, n’évoquant guère la Revanche, entretenant le souvenir des Provinces perdues, sans jamais remettre en cause le traité de Francfort8. Là encore, la déclaration de guerre modifie cette donne politique : sitôt le conflit engagé, la reconquête des pays annexés est à l’ordre du jour. Mon étude évalue le rôle joué par la question d’Alsace- Lorraine dans la définition des buts de guerre et dans la politique étrangère de la France, notamment à travers les négociations secrètes avec les empires centraux9.

7 Cette thèse se veut également une contribution à l’histoire de l’administration et des pratiques du pouvoir durant la Première Guerre mondiale10. Elle s’appuie sur les travaux de Pierre Renouvin11 et de Fabienne Bock12 pour mettre en valeur le caractère polyvalent et dirigiste de l’administration de guerre. L’entrée en guerre se traduit, de manière générale, par la création de nombreux organismes publics, conduisant à une certaine « exubérance » de l’État. La nomination de sous-secrétaires d’État, hauts- commissaires et autres chefs de sections d’études illustre parfaitement cette évolution des pratiques administratives. L’adaptation du pouvoir aux exigences nées de la guerre ne va pas sans incohérences comme en témoigne l’absence de toute réflexion globale sur les départements annexés avant février 1915, date de création de la Conférence d’Alsace-Lorraine. L’étude des instances officielles, comme des initiatives privées qui gravitent autour d’elles, conduit à s’intéresser également au groupe des Alsaciens- Lorrains établis à Paris entre 1914 et 1918, c’est-à-dire aux personnes les plus investies dans les travaux des commissions chargées de préparer l’après-guerre. Au-delà des parcours individuels, des jeux d’influences et des réseaux, l’étude de ce groupe d’hommes engagés en faveur du retour à la France des départements annexés permet

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de toucher du doigt les rouages de l’État en guerre. Un autre trait saillant des organes en charge de l’Alsace-Lorraine réside dans les missions de préfiguration qui leur sont dévolues (cette spécificité témoigne de l’intérêt politique accordé à la question). Le rattachement de Nice et de la Savoie à la France en 1860, n’avait donné lieu à aucune réflexion de cet ordre ; le droit commun avait été introduit sans délai dans ces départements. D’autres territoires européens sont l’objet de contentieux internationaux en 1914, mais l’on ne retrouve aucune instance comparable à la Conférence d’Alsace-Lorraine pour le Trentin, le Schleswig ou la Transylvanie13. On peut bien citer les réflexions confiées à partir de 1917 au Comité d’études Briand, chargé de préparer le tracé des frontières de l’après-guerre : celui-ci travaille principalement sur des questions d’ordre diplomatique sans s’appesantir sur des problèmes d’administration intérieure14. Il constitue en fait une caution scientifique justifiant des prétentions d’une partie du personnel politique français sur la Rive gauche du Rhin. En Italie, l’Associazione politica degli Italiani Irredenti et l’association Trento e Trieste, formulent bien quelques préconisations pour l’avenir du Trentin, mais la comparaison s’arrête là15.

8 Il apparait que les réflexions sur l’Alsace-Lorraine s’inscrivent dans une réflexion plus vaste sur la décentralisation des pouvoirs, déjà engagée en France à la veille de la guerre16. Ce courant de pensée s’appuie sur la Fédération régionaliste française, à laquelle adhèrent des personnalités venues de différents horizons, comme le député de la Vienne Jean Hennessy17 ou encore des hommes venus du catholicisme social tels Henry de Jouvenel ou Anatole de Monzie. Le régionalisme se heurte toutefois à une culture politique profondément jacobine, comme en témoigne la virulence des échanges entre André Tardieu et Georges Clemenceau (ce dernier ne voit dans le régionalisme qu’un mouvement traditionnel rétrograde de tendance contre- révolutionnaire). Il apparait intéressant de discerner l’influence de ce courant de pensée dans les débats de la Conférence d’Alsace-Lorraine, où se dégagent trois orientations : les défenseurs d’un retour à l’Alsace et à la Lorraine de 1870 et d’une assimilation rapide, les partisans du maintien d’un statut transitoire dans le but de faciliter l’intégration administrative et législative et enfin ceux qui entendent réorganiser l’Alsace-Lorraine française en tenant compte des évolutions intervenues sous le régime allemand. On retrouve ce même clivage au cours des débats juridiques entre partisans d’une introduction intégrale de la législation française au nom de l’unité nationale, ceux qui se prononcent en faveur du maintien temporaire d’un droit local et les troisièmes, qui aimeraient faire bénéficier la France de lois progressistes sans équivalent. Cet état d’esprit transparait également dans les initiatives du ministre du Commerce Étienne Clémentel18, désireux de donner vie à des régions économiques, un projet qui rencontre un écho considérable auprès des milieux d’affaires alsaciens19.

9 L’espace géographique dans lequel s’inscrit le sujet permet enfin à ma recherche d’intégrer une dimension comparatiste : tandis que le gouvernement français élabore ses propres plans, quels sont les projets échafaudés de l’autre côté de la ligne de front ? Il y a en Allemagne – comme en France – une certaine unité de vue quant à l’avenir de l’Alsace-Lorraine, la classe politique allemande défendant fermement l’appartenance de l’Alsace à l’Empire. Les divergences d’opinion ne portent en effet que sur le statut à donner à l’Alsace-Lorraine au sein de l’ensemble fédéral allemand. Si le Statthalter von Dallwitz se montre partisan de la manière forte, Louis III de Bavière multiplie ses interventions à Berlin dès 1915. Il espère obtenir un partage qui permettrait l’incorporation de l’Alsace au sein de son royaume, l’industrieuse Lorraine devant

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quant à elle échoir au royaume de Prusse20. Après la crise ministérielle de 1917 et le vote d’une « résolution de paix » au Reichstag, l’Alsace-Lorraine redevient une question centrale : l’absence de solution politique est en effet perçue comme un obstacle à la cessation des hostilités. Le Parlement en vient à formuler ses propositions dans le sens d’une plus grande autonomie du Reichsland. À l’automne 1917, le Chancelier Michaelis s’engage dans une vaste consultation auprès des autorités civiles et militaires allemandes en vue d’arbitrer entre quatre propositions d’évolution constitutionnelle (intégration à la Prusse, partage entre États confédérés, octroi de l’autonomie ou maintien des dispositions en vigueur)21. Alors que l’Allemagne s’engage dans la dernière année de guerre, les divergences entre États confédérés constituent le principal frein à un règlement de la question. Jusqu’aux mois qui précèdent l’Armistice, le refus opposé par le gouvernement wurtembergeois, les réserves de l’État-major, celles du ministre de l’Intérieur Karl Helfferich et la pression continue des groupes d’intérêts allemands (groupements pangermanistes) ont raison des projets d’évolution constitutionnelle.

Méthodologie et cheminement de la recherche

10 Les recherches menées s’appuient sur un corpus de sources publiques et privées distinguant trois ensembles documentaires : sources parisiennes, témoignant des réflexions gouvernementales et des milieux alsaciens-lorrains de Paris, archives conservées localement, fort instructives pour la compréhension des conditions dans lesquelles s’effectue le retour à la France, enfin, archives étrangères apportant un contrepoint à la vision française et matière à comparaisons.

11 Les Procès-verbaux de la Conférence d’Alsace-Lorraine, publiés sur Gallica par la Bibliothèque nationale de France, constituent la principale source pour l’étude des projets élaborés à Paris. Conservée aux Archives nationales, la sous-série AJ30 regroupe les fonds d’archives des administrations provisoires, chargées de l’Alsace-Lorraine pendant la Première Guerre mondiale. Elle comprend les archives du bureau d’études d’Alsace-Lorraine, des sous-commissions thématiques mises en place en 1917 par le ministère de la Guerre et celles du service général d’Alsace-Lorraine créé en 1918. Les comptes-rendus hebdomadaires adressés par les commissaires de la République et les chefs de service nommés dans les provinces reconquises se sont révélés particulièrement instructifs. La consultation des archives de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des députés, des archives privées d’Alexandre Millerand, de François de Wendel, ou des socialistes Albert Thomas et Jean Longuet livrent des éclairages complémentaires, en particulier sur le positionnement de la gauche française au sujet de l’Alsace-Lorraine. La lecture de la correspondance politique et commerciale conservée par les Archives du ministère des Affaires étrangères offre une meilleure compréhension de l’action diplomatique vis-à-vis des États de l’Entente, en particulier des efforts de propagande déployés par André Tardieu et Daniel Blumenthal pour rallier l’opinion américaine à la cause française.

12 La consultation des fonds conservés dans les départements du Grand-Est renseigne sur les mesures administratives prises localement, dans les territoires sous administration militaire dès le mois d’août 1914, et dans le restant de l’Alsace-Lorraine au lendemain du 11 novembre 1918. Aux Archives départementales du Bas-Rhin, la série AL comprend les dossiers de l’administration centrale du Reichsland (1871-1918) et du Commissariat général de la République française (1918-1925), ce dernier fonds constituant le

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complément naturel de la sous-série AJ30 des Archives nationales. Aux Archives départementales du Haut-Rhin (Colmar), les dépouillements réalisés dans les fonds administratifs ont été complétés par la consultation de plusieurs fonds d’archives privées (Émile Wetterlé, Paul-Albert Helmer, Joseph Pfleger, archives paroissiales). Des ressources consultées aux Archives départementales de la Moselle, retenons, outre le fonds du commissariat de la République, le fonds de l’évêché, qui comprend les échanges épistolaires du mois de novembre 1918 entre les évêques et le Saint-Siège au sujet du maintien du régime concordataire. Des recherches ont également été conduites dans les archives municipales de Strasbourg22, de Metz, Mulhouse, Colmar, Thann et Masevaux. La consultation des archives diocésaines, ainsi que celles des consistoires protestant et israélite de Strasbourg a permis d’éclairer la question religieuse, au cœur des difficultés qui surviennent au lendemain du 11 novembre 1918. Les fonds des Archives départementales du Doubs, des Vosges et du Territoire de Belfort accordent une place essentielle à la question des réfugiés, à travers le prisme des camps de prisonniers de guerre ou de réfugiés, à l’exemple du Refuge d’Ornans. Ces recherches ont été complétées par la consultation des abondantes ressources imprimées (à titre d’exemple, le fonds de la Société belfortaine d’émulation, aux Archives du Territoire de Belfort, comprend une riche collection de brochures de propagande intéressant la question d’Alsace-Lorraine). J’ai enfin eu accès à des papiers de famille détenus par Monsieur Jean-Noël Jeanneney, petit-fils du sous-secrétaire d’É tat en charge de l’Alsace-Lorraine et par l’un des descendants de Daniel Blumenthal, aujourd’hui établi en Australie.

13 Les recherches menées dans les services d’archives allemands et suisses apportent un éclairage particulièrement intéressant sur les projets échafaudés sur le devenir de l’Alsace-Lorraine dans l’hypothèse d’une victoire impériale. Cette étude s’appuie abondamment sur des archives allemandes jusque-là inexploitées. Aux Archives fédérales (Bundesarchiv Abteilung Deutsches Reich), on peut trouver les réponses à la consultation engagée en 1917 au sujet de l’évolution du statut du Reichsland. Les Archives d’État du Royaume de Prusse (Geheimes Staatsarchiv), confiées à une fondation (Preußischer Kulturbesitz), conservent les comptes-rendus de plusieurs conseils des ministres consacrés exclusivement à la question. Enfin, les recherches effectuées aux Archives du ministère des Affaires étrangères (Politisches Archiv des auswärtigen Amts) ont porté sur la correspondance diplomatique traitant de l’Alsace-Lorraine. Ces dépouillements ont été complétés par la consultation de sources locales à Munich23, Stuttgart et Karlsruhe : j’ai pu prendre connaissance d’archives administratives et diplomatiques, en particulier la correspondance entretenue entre les gouvernements des États fédérés et leurs ambassades respectives à Berlin. Des recherches complémentaires ont été réalisées en Suisse à Berne (Archives fédérales) ainsi qu’aux archives des cantons de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne ; elles se sont révélées instructives au regard d’un certain nombre d’enjeux économiques (aménagement du Rhin, échanges commerciaux, industrie textile). L’importance de la question religieuse dans les débats français et allemands (en particulier le rôle joué par le député catholique Matthias Erzberger auprès du Nonce Eugenio Pacelli) a justifié la consultation du fonds de la nonciature apostolique à Munich, conservé aux Archives secrètes du Vatican (Archivio segreto Vaticano).

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Mes conclusions

14 L’étude des conclusions formulées par la Conférence d’Alsace-Lorraine conduit à s’interroger sur le degré de connaissance du terrain qu’ont les fonctionnaires chargés d’imaginer des solutions juridiques et administratives pour l’Alsace-Lorraine. On s’est intéressé en particulier au groupe des Alsaciens de Paris, qui déploie une activité considérable pour dresser des provinces de l’Est un tableau des plus idylliques. À la lecture des procès-verbaux de la Conférence d’Alsace-Lorraine, on peut d’ores et déjà s’attendre à ce que cette culture républicaine, assortie d’un certain degré d’anticléricalisme, se heurte au particularisme alsacien forgé dans la défense de l’autonomie au sein du Reich et défendu par un clergé catholique puissant et politisé. Cependant, de par sa composition et la nécessaire « Union sacrée » de ses membres, la Conférence d’Alsace-Lorraine apparait d’abord comme le lieu du compromis. Les vœux émis par la Conférence, tout en soulignant l’objectif d’une fusion à terme de l’Alsace- Lorraine dans l’unité nationale, privilégiaient la modération, ménageaient des transitions, faisaient à l’occasion preuve d’audace : intérêt pour les lois sociales en vigueur en Alsace, projets de développement économique, prise en compte du bilinguisme… certains membres alsaciens se plaisant déjà à imaginer la régionalisation de la France !

15 Dès 1917, on assiste à une mise sous tutelle de la Conférence d’Alsace-Lorraine, à laquelle on avait jusqu’alors conféré des attributions étendues. Un décret du 5 juin 1917 place l’administration de l’Alsace-Lorraine sous l’autorité directe du ministre de la Guerre ; un second décret du mois de septembre redéfinit les attributions de la Conférence. Lorsque Clemenceau accède aux responsabilités, les services d’Alsace- Lorraine sont, pour ainsi dire, sous étroit contrôle politique et l’équipe mise en place à l’automne 1917 autour du sous-secrétaire d’État Jules Jeanneney reste aux commandes jusqu’à la Paix. Or cette équipe est animée d’une vision strictement unitaire de la République, à l’opposé du libéralisme porté par la Conférence d’Alsace-Lorraine comme par les militaires chargés d’administrer les vallées vosgiennes. En dépit de la qualité des réflexions conduites pendant les années de guerre, Georges Clemenceau porte la lourde responsabilité d’avoir ravalé la Conférence au rang de comité Théodule24. Au-delà de cette faute politique, il apparait à travers le discours porté par les « libérateurs » comme des thèmes de propagande diffusés, que les Français se sont battus pour une vision fantasmée des provinces perdues, contaminée par les « images d’Épinal » et les illusions véhiculées par les Alsaciens de Paris et – ce qui est plus grave – par les représentants du parti francophile. À travers l’occupation des vallées vosgiennes, la prise en charge des réfugiés et l’administration des pays recouvrés (après 1918), le gouvernement est confronté au réel. Français et Allemands se sont d’ailleurs heurtés aux mêmes écueils : incapables de penser la différence, ils se sont efforcés d’intégrer un territoire caractérisé par une forte identité dans un État-nation (centralisé dans un cas, fédératif dans l’autre). Cherchant à gommer l’identité locale pour des raisons idéologiques et nationalistes, ils ont dû affronter, tour à tour, de puissants courants centrifuges. Des responsabilités sont à chercher également dans l’attitude ambiguë des Alsaciens-Lorrains eux-mêmes : l’enthousiasme des premières semaines, mais aussi le zèle germanophobe d’une population rongée par le chômage, le climat de délation, ont maintenu les autorités françaises dans l’illusion d’une assimilation aisée et rapide.

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16 Au printemps 1919, les réjouissances sont à peine terminées qu’apparaissent les premiers signes d’insatisfaction dans les pays reconquis. Révélé par des maladresses politiques et administratives, le « malaise alsacien » constitue l’envers du « retour joyeux » à la France. Les responsabilités sont à trouver dans la hâte assimilatrice du gouvernement et dans la mise en œuvre des solutions administratives les plus jacobines. Les suites sont bien connues et ces illusions vont déboucher sur ce qu’il est convenu d’appeler la « crise autonomiste ». Pourtant, comme l’ont montré les travaux de François-Georges Dreyfus, ce terme d’ « autonomisme » est source de confusions puisqu’il recouvre en fait, trois réalités politiques distinctes : le séparatisme, l’autonomisme proprement dit et le régionalisme25. Or cette dernière acception, puissante dans la plupart des formations politiques alsaciennes, trouve son corollaire dans une pensée politique française : le girondinisme, un courant libéral enclin à la prise en considération du prisme régional26. Celui-ci se heurte toutefois à une technostructure puissante, tirant précisément sa légitimité d’une organisation unitaire et centralisatrice de l’État. La mise en place du Commissariat général de la République, avec à sa tête un homme pragmatique, semble au printemps 1919 ouvrir la voie à l’apaisement et à la mise en œuvre de solutions plus originales.

17 Il est intéressant de relever également les interactions entre question alsacienne et politique rhénane. L’Alsace-Lorraine apparait, dans ce contexte, non comme un nouveau limes latin, mais comme une membrane par laquelle l’influence politique et culturelle française doit pénétrer dans le monde germanique et même en Europe centrale27. La réorganisation de l’université de Strasbourg traduit cette même volonté de faire rayonner la France dans une Mitteleuropa jusque-là chasse gardée des empires centraux. Dans un article publié dans L’Alsace républicaine, Ferdinand Brunot, Ludovic Meister et Charles Schweitzer esquissent une politique linguistique libérale tenant compte de la situation particulière de la région28. Mais les pratiques administratives musclées, les expulsions de ressortissants allemands et la politique de francisation mise en œuvre dans les provinces reconquises contredisent ouvertement cette politique aimable conçue à l’intention des Rhénans. La nomination d’Alexandre Millerand, respectueux du particularisme, cherche a contrario à améliorer l’image de l’administration française aux yeux des populations de la rive gauche du Rhin. On émet l’hypothèse que cet argument a convaincu Clemenceau de créer le Commissariat général à Strasbourg.

18 Les cénacles parisiens dans lesquels se sont tenus les débats juridico-politiques étudiés dans le cadre de cette thèse ont constitué de véritables « laboratoires d’idées ». Certaines orientations prises entre 1914 et 1919 ont engagé l’avenir. Nombre de ces propositions ont cheminé, véhiculées à travers des projets de lois, et n’ont porté leurs fruits que bien des années plus tard. Elles sont à la source de dispositions du droit local alsacien-mosellan, de réalisations techniques ou bien de compromis politiques et législatifs intervenus tout au long du vingtième siècle.

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NOTES

1. . Thèse dirigée par M. Jean-Noël Grandhomme (Université de Lorraine) soutenue le 1 er décembre 2016 à Nancy (Université de Lorraine) devant un jury composé de MM. François Cochet (Université de Lorraine), Olivier Dard (Université de Paris Sorbonne), Paul Dietschy (Université de Franche-Comté), Bertrand Joly (Université de Nantes) et Étienne Thévenin (Université de Lorraine). 2. . Procès-verbaux de la Conférence d’Alsace-Lorraine, 2 vol., Paris, Imprimerie nationale, 1917‑1919, 2 vol. – t. 1. 1re-24e séances, 18 février 1915 - 22 mai 1916. – t. 2. 25e-44e séances, 1er octobre 1917 - 6 janvier 1919. 3. . Christian BAECHLER, « L’abbé Wetterlé, un prêtre patriote et libéral (1861-1931) », Archives de l’Église d’Alsace, no45, 1986, p. 243‑286. 4. . Archives nationales, AJ 30 109. Groupe lorrain ; papiers de Wendel (190 AQ). Archives diplomatiques, fonds Maurice Bompard (417 PA-AP). 5. . Christian BAECHLER, L’Alsace entre la guerre et la paix : recherches sur l’opinion publique (1917-1918), thèse de doctorat, lettres, Université Strasbourg II, 1969, p. 393. Joseph SCHMAUCH, « Marseillaise, paradis tricolore et drapeaux par milliers. Les fêtes du retour de l’Alsace à la France (novembre- décembre 1918) », Revue d’Alsace, no141, 2015, p. 297‑320. 6. . Jean-Marie MAYEUR, Autonomie et politique en Alsace. La constitution de 1911, Paris, 1970, 209 p. François ROTH, La Lorraine annexée (1870-1918), Nancy, Université de Nancy II, 1976, 765 p. Francis et Jean-Noël GRANDHOMME, Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2013, 509 p. 7. . Laurence T URETTI, Quand la France pleurait l’Alsace et la Lorraine, 1870-1914, Les « Provinces perdues » aux sources du patriotisme républicain, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2008, 206 p. 8. . Bertrand J OLY, « La France et la revanche, 1871-1914 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, no46/2, 1999, p. 325‑347. 9. . Georges-Henri S OUTOU, La Grande Illusion. Quand la France perdait la paix (1914-1920), Paris, Tallandier, 2015, 377 p. 10. . Anne-Laure ANIZAN, « 1914-1918, le gouvernement de guerre », Histoire@Politique Politique, culture, société, 2014/1 (no 22), https://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2014-1- page-215.htm#no20 (consulté le 7 juin 2017). 11. . Pierre RENOUVIN, Les formes du gouvernement de guerre, Paris, Presses universitaires de France / Publications de la dotation Carnegie pour la Paix internationale, 1925, 187 p. 12. . Fabienne B OCK, Un parlementarisme de guerre (1914-1919), Paris, Belin, « Temps présents », 2002, 350 p. 13. . Christian B AECHLER, « Le Reich allemand et les minorités nationales (1871-1918) », Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, no28, 1996, p. 40‑41. François BOCHOLIER, « Les projets de réforme du statut de la Transylvanie dans le contexte des relations internationales en Europe centrale et orientale (1890-1920) », in Recueil d’articles à paraître aux éditions L’Harmattan (2005), septembre 2004, 14 p. http://www1.ens.fr/europecentrale/XfichesSTOCK/Bocholier2004.pdf (consulté le 7 juin 2017). 14. . Les Experts français et les frontières d’après-guerre. Les procès-verbaux du comité d’études 1917-1919, Introduction et notes par Isabelle Davion, préface par Georges-Henri Soutou, Bulletin de la Société de Géographie, juin 2015, 248 p. 15. . Emmanuel BOUDAS, L’Italie et les Alliés de 1914 à 1919 : indépendance ou subordination?, Université Paris III Sorbonne nouvelle, 2009 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01129252 (consulté le 7 juin 2017).

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16. . Thiébaut FLORY, Le mouvement régionaliste français, sources et développements, Paris, Presses universitaires de France, 1966, 1966, XII-132 p. Julian WRIGHT, The Regionalist movement in France 1890-1914, Jean Charles-Brun and French political thought, Oxford, Oxford University Press, 2003, XVI-286 p. 17. . François D UBASQUE, Jean Hennessy (1874-1944) : Argent et réseaux au service d’une nouvelle République, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, 374 p. - XVI p. de pl. 18. . L’économiste et historien Henri Hauser, proche du ministre Étienne Clémentel, figure parmi les partisans du régionalisme. Il est l’auteur d’une étude sur L’Organisation gouvernementale française pendant la guerre. Le problème du régionalisme, Paris, Presses universitaires de France, 1924, XII-176 p. 19. . Voir Anselme LAUGEL, « Les vœux de nos provinces : le régionalisme alsacien », Revue hebdomadaire, 20 novembre 1920, p. 264 : « En-dehors des intérêts nationaux et des intérêts communaux, on constate encore des intérêts régionaux créés par les nouvelles conditions faites à l’activité économique, bien à l’étroit dans les limites de nos départements ». 20. . Geheimes Staatsarchiv - Preußischer Kulturbesitz, 1 HA Rep. 90 Annexe E 3. Procès-verbaux des réunions du Conseil des ministres du Royaume de Prusse (Staatsministerium). Matthias ERZBERGER, Erlebnisse im Weltkrieg, Stuttgart, Deutsche Verlags-Anstalt, 1920, 396 p. 21. . Bundesarchiv, R 43/155-156 et Archives départementales du Bas-Rhin, fonds du Gouvernement général d’Alsace-Lorraine, 22 AL 130. 22. . Le fonds intitulé « Évènements historiques » (282 MW 90 à 99) renferme de nombreuses affiches illustrant la transition opérée en novembre 1918. On mentionnera également le fonds Blumer, un fonds photographique documentant le changement de souveraineté à Strasbourg. 23. . Une autorisation accordée par la Maison de Wittelsbach m’a permis de consulter des documents émanant des cabinets royaux de Louis III de Bavière, du Kronprinz Rupprecht et du Prince Léopold. 24. . Paul-Émile APPELL, Souvenirs d’un Alsacien (1858-1922), Paris, Payot, 1923, p. 309. « On peut dire d’ailleurs que le régime actuel a été un peu trop improvisé par le gouvernement de Clemenceau. Je ne crois pas qu’on ait tenu un compte suffisant du travail préparatoire des commissions, qui avaient travaillé pendant la guerre. […] Ces rapports ne paraissent pas avoir servi au gouvernement après la guerre ; je sais que le gouvernement a envoyé en 1918 des hommes éminents en Alsace, en leur donnant comme unique instruction d’agir ‘avec leur cœur et leur âme de Français’. C’était beau, mais insuffisant du point de vue pratique ». 25. . François-Georges DREYFUS, La vie politique en Alsace (1919-1936), Paris, Armand Colin, « Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, no173 », 1969, p. 269. 26. . Pierre ROSANVALLON, Le modèle politique français, la société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, 2004, Paris, 445 p. 27. . Voir Olivier L OWCSYK, La fabrique de la paix. Du comité d’études à la conférence de la paix, l’élaboration par la France des traités de la Première Guerre mondiale, Paris, ISC, Institut de stratégie comparée - Economica impr., 2010, 533 p. Pierre JARDIN, « La politique rhénane de Paul Tirard (1919-1923) », Revue d’Allemagne, 1989, p. 213. « Nouer des contacts avec les populations, les détacher de l’influence et de l’hégémonie prussienne ; constituer sur notre frontière une marche pacifique, à la fois zone de protection et contrepoids au militarisme prussien ». 28. . Archives départementales du Haut-Rhin, 27 J 9. « La Question des langues en Alsace- Lorraine », par Ferdinand Brunot, Ludovic Meister et Charles Schweitzer, dans L’Alsace républicaine. « Faire fi d’une telle richesse intellectuelle et morale, et même essayer de la détruire, comme les Allemands l’ont essayé tyranniquement, c’est priver en réalité la collectivité nationale tout entière de bénéfices au moins si précieux que les ressources du sol et du sous-sol. L’école sera donc bilingue. »

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AUTEUR

JOSEPH SCHMAUCH Docteur en histoire de l’Université de Nancy, conservateur en chef du patrimoine, directeur des Archives départementales du Territoire de Belfort

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Comptes rendus

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Comptes rendus

Sources et ouvrages de référence

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WILSDORF (Christian), Le terrier du comté de Ferrette (vers 1324 ‑ vers 1340) : un complément inédit au Habsburgisches Urbar Altkirch, Société d’histoire du Sundgau, 2016, 96 p.

Olivier Richard

RÉFÉRENCE

WILSDORF (Christian), Le terrier du comté de Ferrette (vers 1324 ‑ vers 1340) : un complément inédit au Habsburgisches Urbar, Altkirch, Société d’histoire du Sundgau, 2016, 96 p.

1 La Société d’histoire du Sundgau a eu une excellente idée d’éditer ce document. Elle est aussi courageuse, tant ce type de sources, dont la valeur pour les historiens de l’économie et des pouvoirs seigneuriaux est énorme, est aride et difficile d’accès. Il s’agit en effet d’un terrier (Urbar en allemand), c’est-à-dire d’un inventaire qui recense l’ensemble des revenus et droits d’un détenteur de pouvoir sur une seigneurie, ici le comté de Ferrette, auquel était largement assimilé le Sundgau à la fin du Moyen Âge. Ces deux rouleaux de parchemin, aujourd’hui conservés aux Archives de l’État de Bavière à Munich, ce qui fait que les historiens de l’Alsace les ont jusqu’ici méconnus, furent réalisés après que le comté fut entré dans les terres du duc d’Autriche Albert II, par son mariage avec Jeanne, l’héritière du comté, en 1324.

2 Texte ingrat à première vue donc, mais que Christian Wilsdorf, avec la collaboration de Philippe Nuss, sait éclairer et rendre accessible. Il édite le texte original allemand avec sa compétence coutumière, mais en fournit surtout une traduction en français à la fois précise – chaque terme importe dans ces documents administratifs – et compréhensible, et donne en annexe un glossaire (qui propose une traduction en

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allemand standard actuel et en français). Par ailleurs, C.W. parvient également à identifier les lieux et même la plupart des personnes, ce qui constitue une gageure pour une période si haute.

3 Le commentaire, donné en introduction, est très bien mené. Ainsi le développement sur les relations entre le duc d’Autriche et ses « hommes libres », nobles possessionnés sur ses terres et qui lui paient un impôt (p. 10), est passionnant, et l’« additif » où C.W. émet des hypothèses sur la façon dont le copiste a procédé pour collecter ses informations éclaire le lecteur sur les méthodes de l’historien. On ne peut alors que regretter que ce commentaire soit si court. Cependant, il n’est pas constitué seulement de la dizaine de pages d’introduction, mais aussi de quatre cartes proposées en fin de volume et élaborées avec l’atelier de cartographie du CRESAT à l’Université de Haute-Alsace. Elles ne sont pas seulement illustratives, mais bien porteuses d’un discours propre, qui inscrit dans l’espace la perception de tailles, la présence de moulins à eau, de cours domaniales et autres droits exercés par le duc, et permettent très bien de voir qu’une seigneurie n’était pas un territoire homogène. Là aussi, la notice explicative de ces cartes aurait mérité d’être plus étoffée.

4 Deux index rassemblant les personnes et les lieux – qui auraient gagné à être réunis en un seul – facilitent l’utilisation de l’édition ; deux photographies du début et de la fin du document d’origine (p. 17 et 68) permettent de se faire une idée de sa matérialité. Cette édition a été préparée avec soin, et les coquilles ou négligences dans la traduction sont extrêmement rares. Il est dommage qu’il manque une bibliographie en fin de volume, car l’on est obligé d’aller chercher la première mention d’un ouvrage dans les notes pour obtenir la référence complète (qui n’est pas toujours indiquée). L’on sent également qu’il n’a pas été possible d’effectuer une dernière actualisation bibliographique (p. 71, la présentation du terme de dinghof pourrait s’appuyer sur l’entrée qui lui est consacrée par Georges Bischoff dans le Dictionnaire Historique des Institutions de l’Alsace, no5, p. 425-429, et celle du bailli Jean de Hallwyl, p. 8 n. 13, devrait se référer au nouveau Dictionnaire historique de la Suisse, paru entre 2002 et 2014, plutôt qu’au Dictionnaire historique et biographique de la Suisse des années 1920-1930). Mais ces détails ne changent rien à la qualité du travail, réellement impressionnant et pour lequel on ne peut que remercier les auteurs.

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KASSER-FREYTAG (Doris), Manuel de paléographie alsacienne du XVIe au XXe siècle Paris, Archives et Culture, « Guides de généalogie », 2015, 210 p.

Élisabeth Clementz

RÉFÉRENCE

KASSER-FREYTAG (Doris), Manuel de paléographie alsacienne du XVIe au XXe siècle, Paris, Archives et Culture, « Guides de généalogie », 2015, 210 p.

1 Avec cet ouvrage, Doris Kasser-Freytag propose une synthèse des connaissances indispensables au généalogiste. Forte d’une solide expérience pratique, l’auteur, qui a travaillé au Centre départemental d’Histoire des familles à Guebwiller depuis sa création en 1991 et qui l’a dirigé entre 2009 et 2015, met à la disposition du lecteur un ouvrage de référence d’une grande qualité pédagogique. Sa conception permet aux généalogistes, qu’ils soient débutants ou confirmés, de progresser dans leurs recherches. En introduction, elle présente les différentes formes de l’alphabet allemand, le calendrier (noms allemands, noms des mois sous la Révolution, table de concordance entre le calendrier républicain et grégorien), les prénoms, les professions et les fonctions les plus courantes, les liens de parenté. Le premier volet de l’ouvrage est consacré aux papiers de famille, le second à l’état civil, puis suivent les registres paroissiaux et les actes notariés. La présentation d’un panel de cinquante documents d’archives permet au lecteur de tester ses connaissances et de combler ses lacunes. Sur la page de droite est reproduit le texte étudié ; en regard, sur celle de gauche, figurent sa transcription et une traduction ou un résumé en français selon le cas. La plupart des textes présentés sont en allemand, quelques-uns en français et d’autres en latin pour les registres paroissiaux catholiques. Le choix des documents est judicieux : par leur variété, ils permettent d’aborder la palette d’écritures et de textes qu’un généalogiste est susceptible de rencontrer lors de ses recherches. De nombreux textes sont

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accompagnés d’une note explicative. L’ouvrage se termine par une bibliographie qui pourra rendre de grands services au généalogiste. Quelques remarques : à la page 12, le prénom Mathis correspond à Mathias (fête le 24 février) et non à Mathieu (fête le 21 septembre). Page 40, le mot Früchten désigne les céréales et non les fruits. Ces points de détails mis à part, on ne peut que féliciter l’auteur pour cet ouvrage, reflet des compétences acquises au cours de sa carrière.

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Alsace, Espace, Identité, Frontière Colloque organisé par l’Institut d’histoire d’Alsace sous la direction de Claude MULLER, textes réunis par Valentin KUENTZLER, Strasbourg, É ditions du Signe, 2016, 264 p.

Nicolas Lefort

RÉFÉRENCE

Alsace, Espace, Identité, Frontière, colloque organisé par l’Institut d’histoire d’Alsace sous la direction de Claude MULLER, textes réunis par Valentin KUENTZLER, Strasbourg, É ditions du Signe, 2016, 264 p.

1 Organisé par l’Institut d’histoire d’Alsace sous la direction de Claude Muller, le colloque « Alsace, Espace, Identité, Frontière » s’est tenu à la Bibliothèque alsatique du Crédit Mutuel le 26 novembre 2015. Sa thématique est la déclinaison à l’échelle régionale de l’un des trois axes de recherche de l’équipe d’accueil EA 3400 ARCHE (Arts, Civilisation et Histoire de l’Europe) de l’Université de Strasbourg. L’espace alsacien, sa forte identité régionale, les multiples conflits et changements de frontière qui traversent son histoire, ainsi que le contexte – une réforme territoriale discutée –, invitaient tout naturellement à une réflexion sur les liens entre l’Alsace et le triptyque « espace, identité, frontière ». Dans son introduction, Claude Muller en rappelle les intentions : « souligner le poids exorbitant de la géographie qui induit la géopolitique, pointer les singularités tout autant que les similitudes avec d’autres espaces voisins plutôt que lointains, déceler les traits particuliers et / ou identiques liés au dualisme des cultures, s’interroger sur les effets du pluralisme confessionnel ». Les textes des 14 communications, réunis dans un délai rapide par Valentin Kuentzler, sont sans surprise classés dans un ordre chronologique ponctué par les changements de domination de l’espace alsacien du XVIIe siècle à nos jours.

2 Après le rattachement de l’Alsace à la France, la monarchie cherche à mieux délimiter et contrôler la nouvelle frontière avec le Saint Empire. Gilles Muller montre comment, en temps de paix, la diplomatie de Louis XV utilise deux événements mineurs – une affaire entre pêcheurs français et bâlois sur les rives du Rhin et une révolte de paysans

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palatins dans l’Outre-Forêt – pour parvenir à ce but. Plusieurs contributions rappellent cependant que les changements successifs de frontière ne mettent pas fin aux échanges et aux liens existants avec l’outre-Rhin ou l’outre-Vosges. Valérie Feuerstoss souligne que les anciennes relations commerciales de la province avec ses voisins de Suisse, du Palatinat et de Lorraine se poursuivent après les traités de Westphalie et de Ryswick, que la réglementation sur l’exportation des grains alsaciens a un caractère hautement diplomatique, et que les habitants n’hésitent pas à contrevenir aux règlements lorsque ces derniers ont pour but d’empêcher les échanges. De son côté, Philippe Alexandre évoque la continuité des relations transvosgiennes entre 1871 et 1918 sur le plan culturel et touristique : si le projet de percée des Vosges échoue, les sociétés savantes des versants alsacien et lorrain maintiennent leurs liens et la frontière sur les crêtes attire de nombreux curieux.

3 Ballotés entre France et Allemagne, les Alsaciens ont une double appartenance et une double culture. Véronique Umbrecht revient sur le parcours de l’architecte strasbourgeois Émile Salomon (1833-1913) dont elle a déjà montré le rôle dans la reconstruction de Strasbourg après la guerre de 1870 (cf. Revue d’Alsace, no142, 2016). Né Français, devenu Allemand en 1871, formé à Munich et à Paris, Émile Salomon est un architecte « d’entre deux » qui commence sa carrière par des constructions inspirées de l’école française avant de contribuer à l’émergence d’un style alsacien et à la préservation du patrimoine régional.

4 Cette double appartenance des Alsaciens n’est pas sans créer des souffrances et des difficultés particulières. Laure Hennequin-Lecomte relève le déchirement que représentent pour Octavie de Berckheim les guerres entre la France révolutionnaire et l’Europe coalisée. Née en Alsace française, la demoiselle se marie au baron de Stein et passe la frontière rhénane pour s’installer dans le Saint-Empire alors en guerre avec la France. La contribution de Philippe Alexandre, déjà citée, démontre que les optants installés dans les Vosges s’intègrent à la vie politique et économique du département mais leur image reste « ambivalente » : s’ils font l’objet d’une certaine compassion, ils sont aussi victimes de l’incompréhension des Vosgiens qui moquent leur accent et s’offusquent de leur utilisation de la langue allemande, notamment pendant la Grande Guerre.

5 Le franchissement des frontières répond à des motivations et des nécessités variées selon les époques. S’appuyant sur une enquête préfectorale inédite de 1857, Valentin Kuentzler explique que l’importante émigration rurale du Haut-Rhin vers l’Algérie et surtout les États-Unis entre 1851 et 1856 a des causes multiples – les mauvaises récoltes, des épidémies, la pauvreté, le manque de crédit agricole… – et qu’elle inquiète de plus en plus les autorités. Jean-Noël Grandhomme présente l’itinéraire du général Émile Zurlinden (1837-1929). Ce vétéran de la guerre de 1870, évadé d’Allemagne, opte pour la nationalité française et travaille au relèvement de l’armée française dans la perspective de la Revanche et de la récupération de l’Alsace-Lorraine. Ministre de la Guerre à deux reprises, il « s’englue » dans la politique et l’affaire Dreyfus.

6 Le passage de la frontière est un moyen de trouver refuge. Poursuivant ses recherches sur les Alsaciens qui ont fui – ou se sont « évadés » – en Suisse pendant l’annexion de fait de l’Alsace au IIIe Reich (cf. Revue d’Alsace, no140, 2014), Daniel Morgen propose une présentation critique des sources d’archives suisses qui permettront d’en établir la liste ainsi que des extraits de témoignages écrits et oraux qui éclairent l’évolution de leurs motivations – du reflexe patriotique de l’été 1940 à la volonté d’échapper à la Gestapo

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ou à l’incorporation de force. De son côté, Yves Frey montre que la frontière de l’Alsace a également tenu un rôle pendant la guerre d’Algérie. Au début du conflit, elle sert de tête de pont au FLN pour s’implanter en métropole, puis son passage permet aux Algériens d’échapper à la fois à la police française et aux exactions du FLN. Difficilement franchissable, elle n’a cependant pas eu une importance primordiale pour ce dernier.

7 Trois contributions questionnent les effets du pluralisme confessionnel. Dans le Val de Lièpvre, étudié par Maryse Simon, l’attitude des autorités face aux accusations de sorcellerie semble varier d’un côté et de l’autre de la frontière politique, linguistique et religieuse : aux XVIe-XVIIe siècles, les sires de Ribeaupierre font preuve d’une certaine clémence par rapport aux ducs de Lorraine lorsqu’il s’agit de juger ce qui relève de la magie (licite) et de la sorcellerie (qui conduit au bûcher). Claude Muller rouvre le dossier déjà bien connu de la nomination d’André Raess comme co-adjuteur de Mgr Le Pappe de Trévern en se basant sur les missives inédites du chanoine Birgy, bras droit de l’évêque. Il rappelle les discussions et interventions qui conduisent au choix de l’ultramontain alsacien plutôt qu’à celui du gallican et français Louis Maimbourg. Jean Daltroff évoque l’itinéraire des élèves rabbins alsaciens qui font leurs études aux séminaires de théologie de Breslau et de Berlin, lieu de formation de nombreux rabbins venant de toute l’Europe dont l’état d’esprit est celui d’un judaïsme à la fois traditionnel et moderne.

8 De leur histoire particulière et des changements – imposés – de frontière, les Alsaciens ont hérité une mémoire plurielle, spécifique et parfois douloureuse, ce que rappelle l’essai d’Alphonse Troestler axé sur la Seconde Guerre mondiale. Mais on finira par le commencement, c’est-à-dire par la contribution de Marc Schurr sur les cathédrales de Strasbourg et de Cologne entre identité régionale, nationale et européenne. On sait la place tenue par les monuments historiques dans la construction des identités nationales et l’importance du débat sur le caractère français ou allemand de l’architecture gothique. En Européen convaincu, Marc Schurr invite les chercheurs à dépasser enfin cette histoire (de l’art) nationale pour écrire une histoire (de l’architecture) vraiment européenne. Région frontière mais surtout carrefour européen, l’Alsace peut certainement en devenir un laboratoire.

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Les périodes de l'histoire

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NOGUES (Julien), La commanderie hospitalière du Saint-Esprit de Stephansfeld (1216-1774) Strasbourg, Société académique du Bas-Rhin, 2016, 130 p.

Georges Bischoff

RÉFÉRENCE

NOGUES (Julien), La commanderie hospitalière du Saint-Esprit de Stephansfeld (1216-1774), Strasbourg, Société académique du Bas-Rhin, 2016, 130 p.

1 Trop longtemps prisonnière de monographies locales, l’histoire des institutions hospitalières à tout à gagner à s’inscrire dans les perspectives les plus larges, comme le montrent les travaux de Nicole Brocard pour la Franche-Comté ou d’Élisabeth Clementz pour l’Alsace. Ici, c’est grâce au travail d’un étudiant de celle-ci qu’on est à même de prendre la mesure d’un des établissements les plus durables de la région, la commanderie du Saint-Esprit de Stephansfeld dont l’histoire se déroule entre 1216 et 1774 et dont le site est resté en activité jusqu’à nos jours.

2 La précocité de cette fondation est à mettre sur le compte des sires de Werde, landgraves de Basse-Alsace, bien implantés autour de Brumath. Elle se place dans une vague qui naît en Languedoc à la fin du XIIe siècle, bénéficie très rapidement de l’appui d’Innocent III (1204) et remonte vers le nord, par Besançon (v. 1203-1207) avant de s’épanouir en Alemania superior, notamment Memmingen et Wimpfen, depuis sa maison-mère alsacienne. Sa vocation hospitalière et son organisation l’apparentent aux grands ordres « militaires », Saint-Jean ou les Templiers. Jusqu’à la Réforme, le commandeur alsacien exerce son autorité sur une demi-douzaine d’établissements situés sur d’importants relais routiers, mais sa maison traverse des passes difficiles, malgré la protection des Lichtenberg et d’autres grands seigneurs – qui ne parviennent pas à y implanter durablement un ordre de chevalerie placé sous son patronage (1463).

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Bien menée, et pas seulement à partir de fonds locaux puisque l’auteur n’a pas hésité à consulter des archives moins familières, y compris à Paris et à Rome, l’étude de cette première période se traduit par une quantité d’informations précieuses, de listes et de documents graphiques ou iconographiques (organigramme p. 15, typologie des actes, p. 101-104, liste des commandeurs, p. 120-125, photographies de sceaux…). Elle est suivie par un deuxième volet qui exploite des sources plus spécialement liées au fonctionnement de l’hospice de l’époque moderne, à un moment où se dessine avec précision son rôle d’accueil d’enfants exposés ou de laissés pour compte de la vie, femmes enceintes, infirmes, pauvres passants, et, plus largement, de pensionnaires prébendiers. Ici, l’enquête, souvent très difficile du fait de ses lacunes documentaires, se révèle particulièrement impressionnante (p. 68-82), avec des coups de projecteurs sur la tranche chronologique 1760-1768, illustrée par 152 enfants, dont seuls 15% survivent à leur passage à Stephansfeld. En mettant en relation les moyens matériels dont disposent les religieux (l’exploitation directe, la cave, p. 99, les différentes recettes, p. 105-109, et leurs besoins (les dépenses, p. 110-115), on mesure l’ampleur de la tâche qui leur est impartie. La qualité de la démonstration permet de passer sur quelques fantaisies formelles comme l’absence de chapitres dûment numérotés ou l’organisation, inhabituelle des sources et de la bibliographie.

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LEUCK (Jessica), Le Blatterhaus de Strasbourg. Son histoire, son fonctionnement et ses malades de la fin du XVe siècle à 1686 Strasbourg, Société savante d’Alsace, « Recherches et documents », tome 87, 2017, 148 p.

Paul-André Befort

RÉFÉRENCE

LEUCK (Jessica), Le Blatterhaus de Strasbourg. Son histoire, son fonctionnement et ses malades de la fin du XVe siècle à 1686, Strasbourg, Société savante d’Alsace, « Recherches et documents », tome 87, 2017, 148 p.

1 « Deux minutes avec Venus, deux ans avec Mercure », disait-on alors. Les frictions prolongées d’onguents de mercure comme les décoctions chaudes de bois de gaïac étaient un des remèdes pour soigner la syphilis. Cette nouvelle maladie inconnue surgit brusquement en Europe à la fin du XVe siècle. Nul n’en connait l’origine, l’interprétation ou la description, ni médecins, ni érudits. Hippocrate et Galien n’en parlent pas. Prières et pèlerinages sont adressés à des saints protecteurs pour obtenir sa guérison. Malédiction divine, Franzosenkrankheit, maladie des Français, gallus morbus, mal Serpent ou mal de Naples, Venuskrankheit ou Hurenseuche, fléau des prostituées, autant de dénominations qui témoignent de l’ignorance qui perturbe la société. Les lansquenets licenciés revenant des armées propagent le mal qu’on appellera Böse Blattern en Alsace et dans l’Empire germanique. La vallée du Rhin est ainsi « envahie par des gens affligés de ce mal vénérien ». Comme les lépreux et les pestiférés, ces malades, les Blatterkranke seront exclus de la collectivité et placés dans des établissements spécifiques. La plupart, rejetés par les familles et amis, étaient livrés à eux-mêmes. On leur interdisait de se rendre dans une église, une auberge ou sur un marché, d’aller

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chez un barbier ou de se baigner. Les hospices et Elendenherbergen, établissements charitables, rejetaient aussi ces nouveaux malades atteints de pustules, de paralysies et d’ulcérations par crainte de contagion.

2 Geiler de Kaysersberg, le prédicateur de la cathédrale, plaide dès 1496 pour que ces exclus soient pris en charge. Grâce à son engagement, le Magistrat de Strasbourg, ville florissante, fonde un Blatterhaus au quartier Finkwiller durant l’hiver 1503. L’établissement sera transféré en 1686 vers la Grande Île, que la population appellera désormais zum kleinen Fransozel, devenu la Petite France.

3 À partir de sources d’archives inédites, l’auteur, Jessica Leuck, historienne luxembourgeoise, étudie le fonctionnement de ce centre alsacien, sa réglementation, l’identité des malades, leur origine sociale ; elle reconstitue leur quotidien et leur traitement, et recense le personnel soignant ou administratif et les médecins, Blatterärzte, souvent de simples infirmiers ou d’anciens barbiers.

4 Les hospices pour vénériens se singularisaient des autres hôpitaux de l’époque. Ils ne sont pas simples lieux d’hébergement où sont lavés, nourris et gardés de pauvres malades incapables de travailler, des mendiants et des vagabonds. Désormais, on examine chaque patient, on tente de le soigner, de le guérir, parfois de le resocialiser. Avec la vérole du tréponème, autre nom de la syphilis, on s’oriente vers une révolution radicale dans l’assistance. L’intérêt de ce travail est de montrer comment, d’un système d’accueil et de charité, on s’engage dans une modalité médicale et scientifique de prise en charge de la souffrance. Le fonctionnement du Blatterhaus de Strasbourg annonce sans doute le concept de l’hôpital d’aujourd’hui.

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RUCH (Ralph A.), Kartographie und Konflikt im Spätmittelalter : Manuskriptkarten aus dem oberrheinischen und schweizerischen Raum Zürich, Chronos, 2015, 200 p.

Olivier Richard

RÉFÉRENCE

RUCH (Ralph A.), Kartographie und Konflikt im Spätmittelalter : Manuskriptkarten aus dem oberrheinischen und schweizerischen Raum, Zürich, Chronos, 2015, 200 p.

1 Cette thèse de doctorat de l’université de Zurich part de la conception du géographe John Brian Harley de la cartographie ancienne comme moyen de domination, résumée par la phrase « to own the map was to own the land ». R. Ruch décide de l’éprouver au moyen de l’étude de quatre cas originaux, car concernant des espaces restreints – pas de carte du monde ou de l’espace méditerranéen –, issus d’un territoire, celui de la Confédération et du Rhin supérieur, qui n’a pas fait l’objet de nombreuses études d’histoire de la cartographie. Son objectif est d’étudier les intentions qui sous-tendent la production de cartes au XVe siècle, ainsi que les usages et les réceptions de ces œuvres, en portant une attention particulière au contexte historique et documentaire de leur production, trop souvent négligé dans les travaux de ce domaine.

2 Le premier cas est un croquis de Genève, plus qu’une carte, réalisé et retouché en 1428-1429 par Guillaume Bolomier pour appuyer les revendications du comte de Savoie sur la ville. On sait qu’il fut utilisé dans les négociations entre ce dernier et l’évêque, pour appuyer des demandes ou calculer des compensations. Le dessin de

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Bolomier est alors un témoignage du développement de l’administration savoyarde, du rôle croissant que joue le droit pour le pouvoir seigneurial savoyard. On peut tout juste regretter que la présentation du contexte intellectuel dans lequel les cartes comme celle-ci furent utilisées de façon accrue dans la justice au XVe siècle soit si succincte.

3 La deuxième carte étudiée représente les biens qui appartenaient à l’abbaye de Honau, au nord de Strasbourg, dont les droits, lorsqu’elle fut dissoute, étaient passés au chapitre de Saint-Pierre-le-Vieux. Dans le contexte d’un conflit entre le chapitre cathédral et celui de Saint-Pierre, Nicolaus Reyner, doyen de ce dernier, mit vers 1450 ces droits à l’écrit, en reprenant notamment une enquête faite auprès des habitants à la fin du XIVe siècle, et en les accompagnant d’une carte, où figure le Rhin, et, placés schématiquement, les toponymes, à l’encre noire ou rouge (pour les terres possédées par le chapitre). Ici, la carte était un aide-mémoire : elle servait à ordonner, à présenter de façon synthétique du savoir dispersé que l’auteur était allé débusquer dans différents documents écrits.

4 Le troisième chapitre traite de deux représentations de villes dans la chronique de Georg Edlibach, qu’il écrit en 1485-1486 alors que son beau-père Hans Waldmann est le bourgmestre tout-puissant de Zurich. Il s’agit du siège de cette ville par les Confédérés en 1444, lors de la « guerre de Zurich », puis de celui de la bourgade voisine de Rapperswil. R. Ruch montre bien comment ces deux images ont une fonctionnalité politique, mais on n’est pas sûr que leur analyse – l’auteur assume qu’elles ne sont pas vraiment des cartes, mais une forme hybride – serve véritablement son propos sur la cartographie.

5 Le livre se clôt sur le cas le plus passionnant, celui de la Description de la Confédération par le médecin, astrologue et cartographe zurichois Konrad Türst en 1496-1497. Comment, par son texte et la carte qui l’accompagne dès l’origine, Türst légitime-t-il la jeune entité politique qu’était la Confédération des Dix Cantons en la présentant comme un ensemble uni ? On se trouve alors dans le contexte compliqué des guerres d’Italie, où chaque canton mène une politique différente (notamment pour le mercenariat) envers la France, Maximilien et le duc de Milan. Les tensions entre la Confédération et Maximilien culminent en 1499 avec la guerre de Souabe. Türst assimile les Confédérés aux Helvètes renvoyés chez eux par César, en localisant aux marges de la carte les peuples voisins comme les Allobroges. Les cours d’eau et lacs servent aussi à marquer les frontières : l’espace ainsi délimité semble homogène, alors qu’il était en fait très morcelé politiquement. Le centre de la carte est occupé par la Suisse primitive, ce qui est conforme à la naissance, dans la seconde moitié du XVe siècle, du grand récit d’une Confédération née d’un noyau s’opposant aux Habsbourg (voir Guillaume Tell). Cependant, le système graphique de la carte, tout comme le texte, donne un grand poids aux villes : les noms des chefs-lieux de cantons sont inscrits en gros caractères, et les villes ont des traits individuels (on distingue par exemple le Grossmünster de Zurich). On note sur les bords de la carte le système de coordonnées, sur le modèle ptoléméen. Pourtant, si Berne est placée de façon exacte, d’autres localités ne le sont pas du tout. Cela tient à l’orientation de la carte, placée en diagonale sur le parchemin, la Confédération étant tout en longueur ; surtout, cela montre que l’intention de Türst n’était pas tant de situer précisément les lieux que de donner à sa carte une légitimité tirée des savoirs antiques – même si elle avait par ailleurs des traits tout médiévaux.

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6 Avec son œuvre, Türst voulait d’une part sensibiliser les élites confédérées, en particulier bernoises, aux problèmes internes que connaissait la Confédération, et d’autre part présenter cette dernière comme partenaire stable et uni aux princes, à qui il dédicaça certains manuscrits de son œuvre. Ce faisant, il construisait une autre image de la Confédération que celle de paysans résistant à leurs ennemis nobles, princes ou seigneurs.

7 Au total, Ralph Ruch convainc parfaitement les lecteurs que l’interprétation des cartes de la fin du Moyen Âge ne se réduit pas à la seule domination politique mise en avant par Harley. Les belles illustrations en couleur, au fil du texte, le servent pour cela. En revanche, il manque au lecteur des cartes modernes, qui lui présenteraient la topographie de Genève, la situation de Honau, ou l’allure de la Confédération vers 1500. Mais Ruch parvient très bien à prouver que pour comprendre les motivations de leur production, mais aussi leurs usages et leur réception, il est nécessaire d’étudier ces cartes dans leur contexte historique mais aussi documentaire, et de s’intéresser à leur matérialité. En confrontant constamment les éléments graphiques et textuels de ces cartes de petits espaces aux documents écrits qui les entourent, Ruch fait comprendre combien leur production nécessitait du savoir et comment elles le ré-agençaient et le diffusaient. Cette mise en regard des textes et des cartes est parfois très fouillée et du coup manque d’une certaine légèreté, mais cela est nécessaire au propos de cette belle thèse.

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RUTZ (Andreas), dir., Krieg und Kriegserfahrung im Westen des Reiches 1568-1714 Göttingen, V&R unipress, 2016, 392 p.

Gilles Muller

RÉFÉRENCE

RUTZ (Andreas), dir., Krieg und Kriegserfahrung im Westen des Reiches 1568-1714, Göttingen, V&R unipress, 2016, 392 p.

1 Les actes du colloque de Bonn, tenu les 16 et 17 septembre 2013 et consacré à la guerre et à sa pratique à l’Ouest du Saint-Empire romain germanique à l’époque moderne, font l’objet de ce beau livre, financé en partie par la Caisse d’épargne locale. Organisé par le professeur Andreas Rutz qui y rédige une copieuse introduction, ce colloque a réuni treize contributeurs, soit neuf Allemands, deux Français, un Hollandais et un Luxembourgeois. Les actes présentent des articles chrono-thématiques qui donnent une réelle homogénéité à un ouvrage qui se termine par un précieux et utile index.

2 Longtemps à la traîne pour ce qui concerne la guerre et ses représentations par rapport à l’école anglo-saxonne (John F.C. Fuller, John Keegan, John Lynn, Victor Hanson) ou française (Philippe Contamine, André Corvisier), l’historiographie allemande comble son retard et redécouvre la guerre, suite à un ouvrage de référence initié par Franz Brendle et Anton Schindling, Religionskriege im Alten Reich und im Alteuropa, Actes du colloque de Tübingen (5-7 février 2004), Münster, Aschendorff Verlag, 2006, ouvrage réédité, ce qui pour des actes de colloques s’avère rarissime. Dans les articles qui composent ce Krieg, les auteurs s’arc-boutent sur des références d’archives ou d’études allemandes sans s’ouvrir aux écoles anglo-saxonne et française. L’article d’Émilie Dosquet, « Quand les violences de guerre font événement ou le scandale européen de la

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désolation du Palatinat », traduit en allemand, comble opportunément cette lacune, en introduisant des problématiques.

3 Plusieurs conflits sont évoqués dans ce livre, depuis 1568 – point de départ de la guerre de Quatre-Vingts Ans (ou révolte des Pays-Bas) –, jusqu’à 1714 – fin de la guerre de Succession d’Espagne –. Le seul article qui évoque uniquement notre région est celui de Claude Muller qui montre que ce qui se passe en Alsace de 1701 à 1714 peut être considéré comme un exemple-type ou un laboratoire de ce qui se produit dans d’autres régions affectées par ce conflit. Mais il faut se garder de la focalisation. Les actes du colloque montrent que le conflit militaire est constitutif de l’espace rhénan occidental, un espace riche et politiquement divisé, donc propice à générer la guerre. De ce point de vue, passant de l’échelle régionale à l’échelle rhénane, l’Alsace n’est finalement qu’un des espaces de conflit s’intégrant dans des dynamiques européennes.

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BETZINGER (Claude), Le tribunal révolutionnaire de Strasbourg (25 octobre - 13 décembre 1793) Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2017, 279 p.

Claude Muller

RÉFÉRENCE

BETZINGER (Claude), Le tribunal révolutionnaire de Strasbourg (25 octobre - 13 décembre 1793), Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2017, 279 p.

1 Depuis de longues années, Claude Betzinger ratisse patiemment et surtout consciencieusement les archives révolutionnaires alsaciennes, sa passion. Au bout d’une longue quête, il se décide enfin à faire paraître un Euloge Schneider, « remarquable biographie qui ne perd jamais de vue la complexité des motivations humaines » (Revue d’Alsace, no 124, 1998, p. 287-288). Son entrée dans le comité de rédaction du Dictionnaire Historique des Institutions de l’Alsace lui fait accélérer, soudainement, le rythme de ses publications par des notices aussi érudites qu’innovantes, ainsi « Constitution civile du clergé », « constitutions des municipalités », « décadi » et bien d’autres. Celle consacrée aux « Commissions révolutionnaires » (DHIA, no4, 2011, p. 409), approfondie dans des proportions peu habituelles, est à l’origine de ce livre.

2 Débutons par la forme. L’étude, d’une précision chirurgicale, débute par l’histoire de l’histoire, un usage académique contemporain, tendant à devenir norme. L’introduction, édifiante, montre comment le roman national (la « révolution- révélation », selon la belle formule de Georges Bischoff) se transforme en cauchemar régional, historiographiquement s’entend. Le propos introductif annonce la suite : un dépouillement de sources extraordinaires, tant françaises qu’allemandes, une confrontation serrée des données rassemblées dans des tableaux synoptiques, la traque à l’erreur, une écriture rigoureuse, où chaque mot pesé cerne au plus près la réalité.

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3 Poursuivons avec le fond. Qu’évoque l’auteur? Claude Betzinger rappelle qu’entre l’automne de 1793 et le printemps de 1794 sévissent dans le seul Bas-Rhin pas moins de six tribunaux à savoir la commission de l’armée révolutionnaire – l’objet unique de ce livre –, la commission révolutionnaire de Saverne, la commission révolutionnaire de Bouxwiller, le tribunal révolutionnaire du Bas-Rhin, enfin la commission révolutionnaire du Haut-Rhin et du Bas-Rhin. On aura bien compris que cette prolifération provoque à la fois des amalgames et des confusions.

4 Précisons ensuite les limites chronologiques du fonctionnement du tribunal. Du 18 au 21 septembre 1793 ont lieu les combats sur la Lauter. Le 13 octobre, attaque des lignes à Wissembourg. Le 16 octobre, Marie-Antoinette est guillotinée. Le 17 octobre, le général autrichien Wurmser est à Haguenau. La patrie est donc en danger, d’où la naissance le 25 octobre du tribunal, deux jours après la venue de Saint-Just et de Lebas à Strasbourg. L’action énergique de ces deux hommes permet de renverser le cours de la guerre. Le 1er décembre 1793, « l’armée s’est battue toute la journée. Aucun républicain n’a fui. Tous étaient de la même ardeur et du même courage. Les blessés criaient Vive la république », est-il proclamé. La victoire à la bataille de Berstheim le 9 décembre précède la prise de Brumath par les Français le 14. Le tribunal avait été dissous la veille. L’institution avait donc fonctionné au plus mauvais moment de l’invasion étrangère et été supprimée au moment où elle commençait à être définitivement repoussée.

5 L’une des remarques les plus intéressantes de la démonstration de Claude Bentzinger se trouve à la p. 68. L’auteur tranche, preuves à l’appui, dans le vieux débat historiographique régional, pour savoir si l’Alsace est une terre révolutionnaire ou au contraire contre-révolutionnaire – « l’émigration et la haine de la République parlent allemand », s’exclame le 27 janvier 1794 Bertrand Barrère. En évoquant le mythe de la trahison, Claude Betzinger met à jour la lutte des factions révolutionnaires pour le pouvoir, dont certaines utilisent l’argument de faire croire que la Révolution est absente de Strasbourg, alors qu’au contraire elle est bien présente. « Tout s’explique donc par la trahison. C’est bien entendu faux mais commode, politiquement opportun et parfaitement logique dans un environnement terroriste » (p. 69).

6 Reste à évoquer les tristes résultats du tribunal. Son palmarès s’élève à 31 exécutions (p. 252). Le nombre ne peut pourtant guère rivaliser avec celui de la Commission révolutionnaire de Lyon responsable de 1684 condamnations à mort dont 209 dans la seule journée du 5 décembre 1793 ou avec les 2 919 morts à l’actif de la Commission Brignon de Nantes, elle aussi itinérante, du 14 décembre 1793 au 8 mai 1794, ou encore avec celui de la Commission Lacombe de Bordeaux et Libourne, 314 condamnations à mort du 23 octobre 1793 au 27 juillet 1794. Pourquoi cette relative mansuétude en Alsace, laquelle pose un vrai problème d’interprétation ?

7 Il faut rendre grâce à Isabelle Laboulais, professeure d’histoire moderne à l’Université de Strasbourg et présidente des PUS d’avoir permis la parution de cet ouvrage, qui révolutionne, si l’on peut écrire, notre connaissance de la Terreur en Alsace. On y décèle sa signature à la p. 23. Elle même, spécialiste du sujet, entraîne dans son sillage de nombreux étudiants appelés à enrichir prochainement nos connaissances en ce domaine.

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

XIXe - XXe siècles

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DUNLOP (Catherine Tatiana), Cartophilia, Maps and the Search for Identity in the French-German Borderland Chicago, Chicago University Press, 2015, 257 p.

Benjamin Furst

RÉFÉRENCE

DUNLOP (Catherine Tatiana), Cartophilia, Maps and the Search for Identity in the French-German Borderland, Chicago, Chicago University Press, 2015, 257 p.

1 Dans le processus de construction des États et des nations au XIXe siècle, l’Alsace disputée par la France et l’Allemagne est à la fois un cas d’école et une exception à l’origine d’une production cartographique dynamique, protéiforme et abondante. Cartophilia, Maps and the Search for Identity in the French-German Borderland, de Catherine Dunlop, s’intéresse à la place de ces cartes de l’Alsace-Lorraine (dans les faits, surtout de l’Alsace) dans la définition et l’appropriation du territoire national et régional et dans le rapport aux frontières et aux limites. Dès l’introduction, l’auteure explique vouloir confronter la cartographie officielle de la limite politique aux multiples représentations de territoires linguistiques, culturels, ethniques ou naturels résultant d’initiatives individuelles, et qui contribuent à alimenter l’imaginaire de la séparation franco-allemande et les débats qui en résultent.

2 Chaque chapitre se penche sur un type de carte particulier dont la portée est ensuite analysée chronologiquement. Une première partie s’intéresse aux cartographies officielles : les cartes d’État fondées sur des relevés topographiques et des enquêtes de terrain, marquées par un héritage des entreprises cartographiques du XVIIIe siècle et par une coopération régulière entre les États de part et d’autre du Rhin ; les initiatives

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scientifiques qui entendent proposer une frontière rationnelle divisant deux nations sur d’autres bases que les seuls traités, qu’il s’agisse d’éléments du paysage naturel (la France s’étend jusqu’au Rhin) ou de l’appartenance culturelle (l’Alsace est de culture allemande) ; la frontière linguistique enfin, intangible mais réifiée lorsqu’elle est mise en carte et dont certaines représentations donnent corps à une autre échelle, régionale. Dans une seconde partie, C. Dunlop multiplie les sources, passant des frontières officielles à l’espace vécu (homeland / patrie / Heimat) dont la cartographie ne revêt pas de portée légale mais contribue à « manipuler l’opinion publique et accomplir le travail de construction de la nation et de la région » (p. 129). Qu’il s’agisse de la cartographie des villages et de leur représentation idéalisée (chapitre 4), des sentiers vosgiens qui contribuent à l’appropriation du paysage (chapitre 5) ou de Strasbourg (chapitre 6), ces représentations participent toutes de la construction d’une identité locale et régionale qui s’inscrit néanmoins dans une logique nationale.

3 Parmi les nombreux points forts de l’ouvrage, il faut relever la qualité du style à la fois précis et élégant, un sens développé de la narration, les références foisonnantes (on regrette les notes en fin de texte qui obligent à des allers-retours permanents, mais on salue la bibliographie trilingue), les nombreuses illustrations dont un carnet de seize planches couleur au milieu du livre. Appuyant son propos sur un corpus de cartes aussi dense qu’équilibré, mais aussi sur les discours, les écrits et l’iconographie qui contribuent eux aussi à définir le territoire, C. Dunlop prend soin de considérer les cartes non pour leur seul message intrinsèque, mais dans leur contexte de production et de diffusion. Elle confirme ainsi que pour un même espace, le même outil qu’est la carte géographique peut être porteur d’une pluralité de messages visuels et politiques.

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CHEVALIERAS (Mathieu), L’asile d’aliénés de Stephansfeld (Bas- Rhin). Étude de la prise en charge sociale et médicale de la folie au XIXe siècle Strasbourg, Société académique du Bas-Rhin, « Bulletin 137 », 2017, 127 p.

Dominique Lerch

RÉFÉRENCE

CHEVALIERAS (Mathieu), L’asile d’aliénés de Stephansfeld (Bas-Rhin). Étude de la prise en charge sociale et médicale de la folie au XIXe siècle, Strasbourg, Société académique du Bas-Rhin, « Bulletin 137 », 2017, 127 p.

1 Il faut remercier l’auteur comme l’éditeur de mettre à disposition des curieux, des chercheurs et de familles touchées par le drame de la folie, une étude portant sur la manière dont celle-ci a été prise en charge au XIXe siècle (arrêté en 1870 en Alsace). Cette recherche s’appuie sur des archives administratives ainsi qu’une bibliographie générale et locale, celle-ci étant peu fournie sauf en médecine. Histoire de la folie ou de l’indigence ? Les trois quarts des effectifs des malades de cet asile sont nécessiteux. Philippe Ariès avait donné son témoignage, à Strasbourg, sur la rupture des années 1945 et du prix de la journée d’hospitalisation : avant 1945, les familles bourgeoises bordelaises gardaient affectueusement leurs malades, après 1945 elles les confient aux institutions. Et cette problématique des familles bourgeoises va se retrouver sur la place à faire pour accueillir les malades dont la famille paie, ce qui peut équilibrer les comptes de l’asile.

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2 Les comptes, voici le nœud de cette histoire. Qui doit payer ? La famille si elle le peut, l’État, le département, la ville et, avant tout, celle de Strasbourg. Il y a là des pages intéressantes, la faillite guettant l’asile. Il y a aussi la loi, celle du 30 juin 1838 qui fixe pour un siècle et demi la condition juridique des malades et les modalités d’une prise en charge par l’asile. David Richard, directeur de l’asile de Stephansfeld de 1840 à 1859, y introduit des activités nouvelles : travaux en ateliers et dans les champs, cours de dessin et de chant, lectures publiques et bibliothèques, enseignement (lecture, calcul, histoire), pièces de théâtre et jeux de société. Tout cela donne du sens à l’enfermement, compte tenu de l’impuissance relative des moyens moraux et des traitements.

3 Le choix d’un ancien couvent reconverti en hospice pour enfants trouvés, le rôle du docteur Rixtelhueber, « Pinel alsacien », ou du professeur Foederé, aboutissent au bout de vingt ans de discussions à des travaux, commencés en 1833 et achevés en 1835. Comme on sort peu de l’asile (10 % des aliénés meurent chaque année), l’asile doit faire face à l’effet de structure, il devient une solution encombrée du fait de l’incurabilité (et de la non-séparation d’avec les malades, pensons aux épileptiques).

4 L’on suit pas à pas les différentes crises que traverse l’asile : celle du pouvoir (administratif, financier, médical), celle du personnel, la quête de liberté des internés (les lettres d’internés de Stephansfeld auraient eu leur place p. 59), l’encadrement (on passe de 46 malades à l’hôpital civil de Strasbourg en 1814 à 226 aliénés en 1840, puis 782 au 1er janvier 1870), la rechute des aliénés sortis (un tiers des sorties)… Des médecins s’efforcent de lutter contre l’asile, « lieu de débarras », créant en 1863 une annexe à Hoerdt destinée aux incurables, et d’améliorer la condition matérielle des aliénés gâteux, ainsi l’alèze en caoutchouc utilisée à partir de 1863.

5 S’appuyant sur la problématique issue des recherches de Michel Foucault, évoquant l’évolution de médicaments plus élaborés voire de la camisole chimique, la naissance de la psychanalyse et le développement de la psychiatrie, l’auteur a renoncé à s’appuyer sur les travaux issus de l’examen de conscience lié à la mortalité dans les asiles sous Vichy (mise en valeur de la nourriture produite sur place) ou sur ceux qui, dès 1900, voire avant dans l’Empire allemand s’intéressent à l’éducabilité des handicapés. Dans ce dernier cas, les deux tiers des enseignants spécialisés en France en 1918 sont… alsaciens, tels que Charles Jost, un inspecteur primaire de Wissembourg « optant » ayant contribué à la loi de 1905 sur les premières classes spécialisées en France. Toutefois, le chaînon du XIXe siècle est bien campé grâce à ce travail qui appelle à une mise en perspective suivant le modèle du doyen Livet dans Médecine et Assistance, en y incluant des prises en charge confessionnelles, le Sonnenhof à Bischwiller, Saint-André à Cernay.

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IGERSHEIM (François), L’Alsace politique 1870-1914 Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2016, 232 p.

Claude Muller

RÉFÉRENCE

IGERSHEIM (François), L’Alsace politique 1870-1914, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2016, 232 p.

1 Au tournant des années 1980, en même temps que renaît la Revue d’Alsace, paraît un quatuor d’ouvrages centrés sur la vie politique du Reichsland entre 1870 et 1918. François Roth, Alfred Wahl, François Igersheim et Christian Baechler publient, quasi simultanément, leurs recherches, découvrant des pans entiers d’une histoire mal connue et méconnue. Tous quatre font partie d’une génération bilingue d’après-guerre, dont la connaissance de l’allemand donne la clé d’accès à des archives qui s’ouvrent. Des quatre mousquetaires, François Igersheim est le seul qui explore et utilise à la fois les fonds de Potsdam et de Mersebourg, à une époque où une Allemagne communiste voisine avec une Allemagne capitaliste.

2 Vous êtes peut-être de ceux qui alignez dans votre bibliothèque son Alsace des notables, parue en 1981 (compte rendu dans Revue d’Alsace, no109, 1983, p. 266-268 par Léon Strauss). L’ouvrage révolutionnait, verbe volontairement adopté, alors le monde des alsatiques avec le choix d’une édition alternative, Butter Flade, d’une présentation originale – vingt lignes de texte pour cinq pages de notes avec un débat historiographique vif peu courant –, des biographies étoffées des acteurs de la période étudiée, lesquelles connaîtront une nouvelle jeunesse dans le NDBA, paru de 1982 à 2007. Surtout ne jetez pas ce monument d’histoire, jamais copié, jamais égalé, sous prétexte de la parution de L’Alsace politique 1870-1914, du même auteur, à un tiers de siècle de distance.

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3 Ne pensez pas davantage qu’il s’agit là d’une réédition d’un ouvrage depuis longtemps épuisé. Car c’est bel et bien un nouvel ouvrage, paru chez un éditeur qui consacre l’érudit universitaire qu’est désormais François Igersheim, ouvrage qui oblige à un exercice de style un peu particulier pour évoquer à la fois une stratigraphie et un objet nouveau. La forme mérite d’abord que l’on s’y attarde. Une présentation sobre, épurée, presque stylisée, donne envie de se plonger dans un texte clair, sans artifice de style, d’une précision quasi chirurgicale. Tout est soupesé, tout superflu éliminé, y compris l’ancienne iconographie précieuse de L’Alsace des notables. Cent soixante-seize pages d’un texte dense (p. 85, 106, 117, 126, 127), dans un style très personnel, témoignent de la profondeur de pensée d’un historien, lui-même rompu à l’exercice politique. Le bel objet à la belle typographie ne se lit donc pas d’une traite, obligeant le lecteur et le chroniqueur à lire et à relire ce concentré extrême de connaissances pour l’apprivoiser et l’assimiler.

4 L’Alsace politique propose un plan chronologique, logiquement rythmé par les élections législatives. On n’est plus dans le détail de chaque scrutin, que l’on découvre dans des travaux antérieurs, mais dans une mise en perspective de continuité ou de rupture [la chronologie p. 215-220 permet facilement de s’y retrouver]. Par rapport à L’Alsace des notables, lesdits notables sont toujours présents. Mais plus omniprésents, car dilués dans un ensemble évoquant aussi la complexité de la société, les organisations (dans l’important chapitre III), les mouvements de population, la culture – superstructure au sens marxiste ? –, la diversité de la presse. Bien sûr le fait politique est disséqué et les grandes orientations de chaque Statthalter, habilement décortiquées, constituent autant de points forts de l’ouvrage. Enfin François Igersheim insiste sur la période d’avant la Première Guerre mondiale avec la constitution de 1911, un présent vite enterré mais qui aura un curieux avenir, ainsi que l’affaire – dans son livre le coup (p. 168) – de Saverne en 1913. La remarquable bibliographie en fin de volume rend compte des avancées des recherches alsaciennes, mais aussi américaines, anglaises et allemandes, faisant apparaître une déshérence des travaux de « vieille France », vu le silence.

5 Le lecteur aura compris que cet ouvrage constitue indéniablement une nouvelle somme, comme il n’est possible d’en réaliser une qu’au bout d’un long, patient et méticuleux ratissage sur un même sujet, un socle qui ouvre nécessairement, après l’avoir préalablement lu, de nouvelles perspectives à d’ultérieures recherches. Une question vient spontanément à l’esprit concernant le personnel politique alsacien du Reichsland. Chacun sait qu’un élu vit conjointement deux vies : dans sa circonscription, terme générique, ainsi que dans son assemblée. Quelle a été l’implication des députés alsaciens au Reichstag ? Ont-ils été présents à Berlin ? Absents ? Arqueboutés sur la protestation ?

6 Prenons le cas de Landolin Winterer « individualiste farouche » (p. 80), qualification à laquelle on souscrit volontiers. Pourquoi ce protestataire de 1874 a-t-il été décoré par l’ État allemand à la fin de sa vie ? Sa correspondance, classée par François Igersheim lui- même, montre qu’il possède un rayonnement et un réseau épistolaire qui dépasse largement l’Alsace. Et Simonis, dont une grande partie de la correspondance conservée a été rédigée dans le train – gratuit pour lui, car député – entre Strasbourg et Berlin et retour ? Siégeant à la commission des finances selon certains auteurs, a-t-il fait bouger les lignes ? De manière générale, l’Alsace n’a-t-elle été que phagocytée par le Deuxième Reich (le glacis de Bismarck tout de même court-circuité par la Neustadt, Saverne en 1913) ? Ou, dialectiquement, a-t-elle été capable d’y prendre une place (voir les

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travaux de Michel Hau et Nicolas Stoskopf) ? Est-elle cette « vis qui tient ensemble les différentes parties de l’Empire allemand » (Revue d’Alsace, no108, 1982, p. 166), selon la Freie Presse du 12 avril 1913 ?

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OLIVIER-UTARD (Françoise), Une université idéale ? Histoire de l’Université de Strasbourg de 1919 à 1939 Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 548 p., ill., index des noms de personnes, 2016

Georges Bischoff

RÉFÉRENCE

OLIVIER-UTARD (Françoise), Une université idéale ? Histoire de l’Université de Strasbourg de 1919 à 1939, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 548 p., ill., index des noms de personnes, 2016

1 L’Université de Strasbourg est exemplaire par ce qui fait sa singularité. Les institutions académiques qui se sont succédées au cours de ses 450 ans d’existence ont passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, si bien qu’on peut y voir une sorte de coupe stratigraphique à travers l’histoire de l’enseignement supérieur à l’échelle de l’Europe. Toutes les situations s’y retrouvent, de l’héritage médiéval, tardif, certes, mais assumé par son fondateur, Jean Sturm, aux recompositions contemporaines.

2 Le séquençage chronologique fait apparaître deux temps forts qui se répondent, la Kaiser Wilhelms Universität de l’annexion allemande, organisée en 1872 et dissoute, de facto, en 1918, et sa réplique française de 1919. L’une et l’autre ont mobilisé des moyens exceptionnels, dans un climat de concurrence politique autant que scientifique.

3 Issu d’un mémoire d’habilitation (HDR), l’ouvrage de Françoise Olivier-Utard vient combler une lacune historique particulièrement grande, malgré la visibilité qui s’attache aux vedettes de ces « vingt glorieuses » de l’entre-deux-guerres, Lucien Febvre et Marc Bloch notamment. Il se décompose en trois grandes parties qui

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s’imposent d’elles-mêmes, un large panorama d’abord (p. 13-143), divisé en six sections, un volet central de sept chapitres thématiques consacrés aux sept facultés (p. 145-346), puis des annexes qui comprennent un « index biographique des universitaires », en fait un dictionnaire (p. 367-465), un dossier iconographique de 33 pièces bien légendées, et quelques documents.

4 La difficulté du sujet tient à sa dimension politique, à ses enjeux intellectuels, et, plus encore, à sa mémoire, car c’est effectivement celle‑ci, souvent fort volatile, qui porte sa substance. De ce fait, les sources sont souvent insaisissables. Côté archives, l’auteur se limite (si l’on peut dire, car c’est un monde), à ce qui se trouve aux Archives départementales du Bas-Rhin, mais elle en tire énormément de choses. Est-ce la partie émergée de l’iceberg ? L’enquête doit être poursuivie à partir des archives centrales, à Paris – le Quai d’Orsay, probablement –, à l’étranger peut-être, dans celles des universités partenaires, et, bien entendu, mais l’enquête est très difficile, dans les papiers privés des enseignants chercheurs ou de leurs mécènes (on pense à la marquise Arconati-Visconti, récemment évoquée par Thérèse Charmasson, à Albert Kahn…). Un exemple parmi d’autres, la Bibliothèque municipale de Colmar est dépositaire de ceux de Paul Leuilliot, étudiant en Histoire au cours des années vingt, et, plus tard, secrétaire de rédaction des Annales : on y trouve des notes de cours de Marc Bloch. Quant à la bibliographie, alphabétique, elle aurait peut-être gagné à distinguer les publications antérieures à 1940, qui peuvent être tenues pour des sources, et les titres postérieurs. Enfin, l’auteur hésite entre des notes infrapaginales et des références succinctes données entre parenthèses, ce qui peut dérouter le lecteur.

5 Le premier volet du travail de F. Olivier-Utard est un exposé général qui permet de fixer les repères et de dégager des pistes de recherche : la matière est telle que chaque page pourrait donner lieu à un mémoire de master ou à une thèse. L’université libérée du 22 novembre 1919 se définit par rapport à son double – son négatif ? – allemand d’avant 1914 : elle naît dans un esprit de rupture, autour d’un cahier des charges établi dès 1915 par la Conférence d’Alsace-Lorraine, dans l’idée de servir la ville et le pays. Le rôle des universitaires français d’origine alsacienne, Paul Appell, Charles Andler, Christian Pfister et alii est, ici, essentiel, mais il faudrait sans doute accorder plus de place à Henri Berr, qui n’est pas seulement un témoin, en tant que correspondant de Lucien Febvre, mais surtout un inspirateur : on serait tenté d’y voir l’idéologue de la nouvelle université de Strasbourg.

6 Le démarrage institutionnel de celle-ci bénéficie d’appuis exceptionnels, en France comme à l’étranger, dans la mouvance républicaine aussi bien que dans les milieux d’affaires ; les Amis de l’Université sont présidés par Raymond Poincaré. Cette synergie se traduit par des moyens sans équivalent, qu’il faudrait peut-être analyser dans la durée, et si possible sous la forme de graphiques (l’évolution des budgets d’investissement et de fonctionnement fait défaut). Ce mode de représentation aurait l’avantage de mieux visualiser ce qui change : ainsi, la statistique des étudiants, un peu plus d’un millier à l’ouverture, trois fois plus dix ans plus tard, est-elle donnée sous la forme d’un tableau bien moins parlant que les graphiques en colonnes proposés par l’auteur à propos des étudiants étrangers (p. 69-70). La même remarque vaut pour l’excellent chapitre consacré aux étudiantes, qui forment 40 % des effectifs dès 1922 (p. 73-94).

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7 Traités séparément, le rayonnement de l’Université et les réseaux de sociabilité de ses membres auraient sans doute pu être regroupés dans un même chapitre compte tenu des connexions et des interférences qui s’y croisent.

8 Malgré un décalage culturel – la langue, pour beaucoup, les options politiques – le corps professoral ne fonctionne pas en hors sol et s’investit dans des « extensions universitaires » : sa présence s’exprime dans l’espace public, avec des manifestations comme le centenaire de Pasteur (1923, p. 98, qui justifierait pleinement une monographie) et celui de Goethe, neuf ans plus tard, ou d’autres interventions, y compris au plan politique. Une figure comme celle d’Edmond Rothé, ami de Léon Blum, qui mobilise ses collègues contre la montée du fascisme (p. 119-123) est tout à son honneur – d’autant que certains mouvements étudiants subissent déjà la contagion de celui-ci, et la pire (p. 135, p. 141). Malgré leur patriotisme et leurs préventions contre l’Allemagne, ces professeurs ne sont pas des missionnaires armés et s’efforcent, parfois maladroitement, de réintégrer l’Alsace dans la communauté nationale française. C’est pourquoi, on a de la peine à prendre pour argent comptant les propos de Lucien Febvre sur « l’état de stupidité de ce pauvre peuple d’Alsace » (p. 117) « après trente ans de domination allemande » (« le dernier des paysans bas-breton, quel aristocrate auprès de ces paysans d’Alsace, et quel civilisé ! »).

9 Vitrine de l’Université française, Strasbourg se projette dans un environnement différent, européen voire mondial en jouant sur sa relation privilégiée avec Paris. Sa dimension internationale défie évidemment l’université allemande, ostracisée au lendemain de la Grande Guerre, et tisse une sorte de réseau d’alliances de revers dont rend compte la liste, très politique, des docteurs honoris causa de la période (qui aurait pu être cartographiée, p. 110, Anglais et Belges en tête, Europe centrale en bonne place).

10 De ce fait, les carrières universitaires strasbourgeoises se placent souvent dans un cursus prestigieux : la génération qui fait l’ouverture de 1919 (p. 44, à cartographier) est majoritairement issue d’universités de province ; la Sorbonne ou le Collège de France constituent la dernière étape. Les matériaux réunis par Françoise Olivier-Utard annoncent des analyses plus fines, qui pourront faire l’objet d’un autre livre : et en effet, si le mode de reproduction académique et les stratégies personnelles sont susceptibles d’être modélisés, il n’en est pas moins vrai que l’histoire intellectuelle doit rester au premier plan.

11 Les sept chapitres monographiques correspondant aux facultés vont évidemment dans ce sens, tout comme les notices biographiques des enseignants chercheurs établies à partir de leurs dossiers personnels. Cette masse documentaire est agencée de la manière la plus simple, et, partant, la plus efficace : si elle nécessite des corrections de détail1 souvent imputables à l’imprécision des sources, cela n’a guère de conséquences. Le guide historique proposé par Françoise Olivier-Utard va rendre de grands services aux chercheurs, et l’on attend avec impatience qu’il fasse école en amont et en aval, où il n’existe encore rien de tel.

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NOTES

1. . Ainsi, dans la liste des thèses soutenues, p. 485-501, il manque le nom des directeurs concernés et un certain nombre de noms sont mal orthographiés (ou dépourvus de prénoms : par exemple, Paul Lévy, et non Levi, Jacques Hatt au lieu de Guillaume, Annette Barthelmé, Lucien Sittler. Ailleurs, entre autres petites scories, on rappellera que Laurent-Atthalin est un nom double.

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SCHNITZLER (Bernadette), HAEGEL (Olivier) et GRANDHOMME (Jean-Noël), Mourir pour la patrie ? Les monuments aux morts d’Alsace-Moselle Lyon, Éditions Lieux Dits, « Clefs du patrimoine Grand Est, no2 », 2016, 112 p.

Nicolas Lefort

RÉFÉRENCE

SCHNITZLER (Bernadette), HAEGEL (Olivier) et GRANDHOMME (Jean-Noël), Mourir pour la patrie ? Les monuments aux morts d’Alsace-Moselle, Lyon, Éditions Lieux Dits, « Clefs du patrimoine Grand Est, no2 », 2016, 112 p.

1 Depuis la thèse pionnière d’Antoine Prost sur Les anciens combattants et la société française, 1914-1939 (1977) et sa contribution aux Lieux de Mémoire en 1984, les études départementales et locales sur les monuments aux morts se sont multipliées dans toute la France. En Alsace-Moselle, des centaines de monuments aux morts ont fait l’objet de dossiers documentaires réalisés par les étudiants en histoire de l’université Marc Bloch de Strasbourg entre 2000 et 2007. Plusieurs mémoires et articles ont également été consacrés au sujet. Cependant, il manquait une véritable synthèse que l’équipe constituée par Bernadette Schnitzler (Musée archéologique de Strasbourg), Olivier Haegel (Inventaire du Patrimoine Alsace) et Jean-Noël Grandhomme (Université de Lorraine) nous livre sous la forme d’un petit manuel divisé en 4 chapitres d’importance inégale.

2 Les monuments aux morts gardent la trace de l’histoire tourmentée d’une Alsace- Moselle ballotée entre France et Allemagne de 1870 à 1945. Ils témoignent en effet « de la difficulté de commémorer des soldats tombés sous deux uniformes différents, dans

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un contexte où leurs camarades survivants terminaient chaque conflit en vaincus, avant d’intégrer au moment de la paix le camp des vainqueurs » (p. 7).

3 Le premier chapitre de l’ouvrage offre une vue d’ensemble sur les trois principales phases de construction des monuments aux morts après 1870, 1918 et 1945, il évoque le cadre réglementaire national et local ainsi que les destructions de monuments allemands après 1918 et surtout français entre 1940 et 1944, mais on aimerait en savoir plus sur le contrôle esthétique et technique des projets de monuments par l’administration française.

4 Dans le chapitre 2, les auteurs s’intéressent à l’implantation des monuments aux morts dans l’espace public – plus proches en Alsace-Moselle de l’église que de la mairie –, à leur matérialité – forme, décor sculpté, matériaux employés (une pierre locale dans la majorité des cas) – et aux inscriptions spécifiques qui y figurent : 95 % des soldats alsaciens-lorrains ayant combattu sous l’uniforme allemand pendant la Grande Guerre, les monuments ne peuvent pas porter l’inscription « Morts pour la France » ou « pour la patrie ». Après la Seconde Guerre mondiale et le drame de l’incorporation de force, les municipalités recourent à la formule neutre « À nos morts » ou « Aux enfants de… », et les inscriptions parlent plus souvent de « victimes » que de « héros ». Les monuments aux morts situés dans les lieux de culte traduisent les différences entre catholiques, protestants et israélites.

5 Le chapitre 3 est le plus long de l’ouvrage et se présente sous la forme d’une typologie montrant la grande variété des monuments aux morts d’Alsace-Moselle sur le plan iconographique. Le choix des symboles traduit la volonté d’« exprimer le deuil collectif sans heurter des sensibilités à vif » (p. 48), d’où l’importance des thématiques religieuses, autorisées par le maintien du régime concordataire, et la rareté des éléments patriotiques. Les représentations de soldats alsaciens en uniforme allemand sont soigneusement évitées. Par contre, les figures de l’Alsacienne et de la Lorraine marquent le double attachement à la patrie et à la région natale. Le thème de la réconciliation entre soldats français et allemands apparaît ici ou là.

6 Le dernier chapitre contient des remarques intéressantes sur les lieux de formation des architectes, sculpteurs et artistes auteurs de monuments aux morts, leurs modèles anciens et contemporains, ainsi que leurs choix stylistiques. Les concepteurs des monuments des grandes villes et des champs de bataille sont le plus souvent des artistes renommés diplômés ou professeurs à l’École nationale des Beaux-Arts de Paris. On voit apparaître quelques Alsaciens formés à l’École des arts décoratifs de Strasbourg puis à l’Académie royale de Munich. Mais dans leur grande majorité, les monuments aux morts d’Alsace-Moselle sont l’œuvre d’artisans et d’artistes locaux formés sur le tas. Pour finir, quelques exemples de monuments particulièrement importants et/ou originaux font l’objet d’un petit développement : Metz, Strasbourg, la verrière de Schiltigheim et l’architecture naïve de Frœningen.

7 Au final, ce petit ouvrage constitue un manuel utile et accessible à tous. En 112 pages et 113 illustrations, il cite pas moins de 100 monuments aux morts d’Alsace-Moselle dont on retrouvera la liste en index. On regrettera seulement une bibliographie très succincte (12 titres), l’absence d’indication des sources d’archives et des bases documentaires utilisées, ainsi que des développements parfois trop rapides – des défauts sans doute imposés par le format de l’ouvrage – en souhaitant que d’autres publications approfondissent certains aspects du sujet.

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

Première Guerre mondiale

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EVERS (Markus), Enttäuschte Hoffnungen und immenses Misstrauen. Altdeutsche Wahrnehmungen des Reichslandes Elsaß-Lothringen im Ersten Weltkrieg Oldenburg, BIS-Verlag, 2016, 211 p.

Christian Baechler

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RÉFÉRENCE

EVERS (Markus), Enttäuschte Hoffnungen und immenses Misstrauen. Altdeutsche Wahrnehmungen des Reichslandes Elsaß-Lothringen im Ersten Weltkrieg, Oldenburg, BIS- Verlag, 2016, 211 p.

1 Le titre de l’ouvrage est en partie trompeur, car à peine plus d’un tiers du texte porte sur la perception « altdeutsch » de l’Alsace-Lorraine pendant la Première Guerre mondiale. Les deux premières parties sont consacrées à la période 1870-1914, de l’enthousiasme de l’annexion aux déceptions sur l’attitude de la population, et à la propagande de guerre française et allemande sur l’Alsace-Lorraine. Malgré un corpus de sources substantiel et varié, dont le choix paraît parfois arbitraire, une importante bibliographie (50 pages au total), et un appareil de notes volumineux, dont la pertinence n’est pas toujours évidente, l’ouvrage n’apporte rien de très neuf sur le sujet, sinon quelques témoignages supplémentaires. L’auteur procède de manière trop impressionniste pour offrir une étude approfondie de l’évolution de la perception par les Allemands du Reichsland pendant la guerre.

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EHRET (Thierry), Hartmannswillerkopf 1914-1918 Paris, Bernard Giovanangeli, 2015, 176 p.

Jean-Noël Grandhomme

RÉFÉRENCE

EHRET (Thierry), Hartmannswillerkopf 1914-1918, Paris, Bernard Giovanangeli, 2015, 176 p.

EHRET (Thierry), Hartmannswillerkopf 1914-1918 et BECK (Christophe), Hartmannswillerkopf. Vestiges du passé

1 2015, l’année du centenaire des grands combats des Vosges, a vu la parution de deux ouvrages consacrés au Hartmannswillerkopf ou « Vieil-Armand » (à 956 mètres d’altitude), qui demeure le principal symbole de cette terrible forme de la guerre d’usure qu’est la lutte sur les cimes.

2 L’ouvrage de Thierry Ehret est essentiellement consacré aux combats, d’un point de vue stratégique et tactique. Ce parti pris est tout à fait pertinent, tant certaines écoles historiques ont fini par perdre de vue l’essence même de la guerre, c’est-à-dire la lutte armée ; mais une meilleure contextualisation aurait permis de s’élever un peu au- dessus du champ de bataille. Offrant un excellent poste d’observation sur la plaine, de Cernay à Rouffach, la montagne est l’objet de reconnaissances allemandes et françaises jusqu’à l’occupation sans combat, le 25 décembre 1914, du plateau du Silberloch par le 28e bataillon de chasseurs alpins français, rejoint trois jours plus tard par le Landwehr- Infanterie-Regiment Nr 123, qui s’installe un peu plus à l’est. Après plusieurs tentatives avortées de la part des Allemands en janvier 1915, le sommet tombe entièrement entre leurs mains après un feu terrible de Minenwerfer. Les Français cessent le combat après avoir perdu deux hommes sur trois.

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3 Chaque camp organise alors ses positions. Les Allemands édifient notamment des blockhaus. Les Français se contentent de constructions plus légères, dans l’idée de faire mouvement et de reprendre possession du sommet. Plusieurs tentatives, à la fin de février et au début de mars, se soldent par des résultats inégaux, notamment du fait de contre-attaques allemandes, mais permettent aussi les réglages d’artillerie. Le sommet est finalement arraché par un assaut mené du 24 au 26 mars. De leur côté, les Allemands lancent deux offensives d’envergure : la première échoue le 19 avril, la seconde est couronnée de succès le 25. Dès lors, ils contrôlent le Rehfelsen inférieur et le Hirtzenstein, tandis que le sommet de l’Hartmannswillerkopf est devenu un no man’s land dévasté par les obus. Ces paysages de forêts hachées, de même que le quotidien des combattants sont très bien rendus par la riche iconographie rassemblée par Thierry Ehret.

4 Les 21 et 22 décembre 1915, les Français lancent une offensive de grand style, avec une préparation d’artillerie d’une ampleur jusque-là inconnue. Ils gagnent du terrain au Hirtzenstein, s’approchent du poste de commandement allemand et de la route d’acheminement des munitions et du ravitaillement (Serpentinenstrasse), sans parvenir à déloger complètement leurs adversaires. Les Allemands contre-attaquent dès le 22 décembre. Encerclé au sommet, le 152e d’infanterie, les « Diables rouges » – surnom qu’ils gagnent à cette occasion –, est décimé. Le 29 décembre, le général Serret, commandant de la 66e division, est mortellement blessé. Le 8 janvier 1916, les Allemands montent avec succès à l’assaut du Hirtzenstein.

5 C’est la fin de la phase la plus aiguë de la bataille et, à partir de ce mois de janvier 1916, le sommet du Hartmannswillerkopf reste aux mains des Allemands. Les positions sont alors à peu près les mêmes qu’un an plus tôt. Mais le front se « réveille » encore à plusieurs reprises par la suite : en juin 1916, au moment de Verdun ; en janvier, novembre et décembre 1917, puis en septembre 1918. À partir du 15 octobre 1918, des soldats américains relèvent en partie les troupes françaises sur ce front. Toute cette histoire est narrée en détail par Thierry Ehret, ce qui fait de son ouvrage la somme actuellement la plus complète sur le sujet.

6 Ce sont les traces de cet affrontement très particulier que nous présente Christophe Beck dans son album. Passionné par les combats des Vosges comme Thierry Ehret, l’auteur ne cache pas qu’il est guidé par ses sentiments plus que par la méthode historique. Néanmoins, une vingtaine de pages sont consacrées à d’utiles rappels concernant les événements, illustrés par des photos d’époque. On entre dans le vif du sujet dans la deuxième partie du livre, avec tout une série de photographies minutieusement « légendées », souvent selon le principe « hier / aujourd’hui », c’est-à- dire mettant en regard une vue actuelle d’un détail du champ de bataille avec une photo ancienne du même endroit.

7 Entre les premières escarmouches au cours desquelles l’Allemand Maximilian Ott est tué le 30 décembre 1914, première victime de ce champ de bataille le plus meurtrier des Vosges – ce qui lui vaut d’être désigné sous la dénomination de « Mangeur d’hommes » – et l’Armistice, on disait autrefois que peut-être 60 000 soldats y avaient perdu la vie. Toutefois, les estimations, revues à la baisse, donnent aujourd’hui plutôt le chiffre de 30 000 victimes. Il n’en reste pas moins que le Hartmannswillerkopf est emblématique d’une guerre très spécifique.

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BECK (Christophe), Hartmannswillerkopf. Vestiges du passé Wittelsheim, Les Amis du Hartmannswillerkopf, 2015, 90 p.

Jean-Noël Grandhomme

RÉFÉRENCE

BECK (Christophe), Hartmannswillerkopf. Vestiges du passé, Wittelsheim, Les Amis du Hartmannswillerkopf, 2015, 90 p.

EHRET (Thierry), Hartmannswillerkopf 1914-1918 et BECK (Christophe), Hartmannswillerkopf. Vestiges du passé

1 2015, l’année du centenaire des grands combats des Vosges, a vu la parution de deux ouvrages consacrés au Hartmannswillerkopf ou « Vieil-Armand » (à 956 mètres d’altitude), qui demeure le principal symbole de cette terrible forme de la guerre d’usure qu’est la lutte sur les cimes.

2 L’ouvrage de Thierry Ehret est essentiellement consacré aux combats, d’un point de vue stratégique et tactique. Ce parti pris est tout à fait pertinent, tant certaines écoles historiques ont fini par perdre de vue l’essence même de la guerre, c’est-à-dire la lutte armée ; mais une meilleure contextualisation aurait permis de s’élever un peu au- dessus du champ de bataille. Offrant un excellent poste d’observation sur la plaine, de Cernay à Rouffach, la montagne est l’objet de reconnaissances allemandes et françaises jusqu’à l’occupation sans combat, le 25 décembre 1914, du plateau du Silberloch par le 28e bataillon de chasseurs alpins français, rejoint trois jours plus tard par le Landwehr- Infanterie-Regiment Nr 123, qui s’installe un peu plus à l’est. Après plusieurs tentatives

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avortées de la part des Allemands en janvier 1915, le sommet tombe entièrement entre leurs mains après un feu terrible de Minenwerfer. Les Français cessent le combat après avoir perdu deux hommes sur trois.

3 Chaque camp organise alors ses positions. Les Allemands édifient notamment des blockhaus. Les Français se contentent de constructions plus légères, dans l’idée de faire mouvement et de reprendre possession du sommet. Plusieurs tentatives, à la fin de février et au début de mars, se soldent par des résultats inégaux, notamment du fait de contre-attaques allemandes, mais permettent aussi les réglages d’artillerie. Le sommet est finalement arraché par un assaut mené du 24 au 26 mars. De leur côté, les Allemands lancent deux offensives d’envergure : la première échoue le 19 avril, la seconde est couronnée de succès le 25. Dès lors, ils contrôlent le Rehfelsen inférieur et le Hirtzenstein, tandis que le sommet de l’Hartmannswillerkopf est devenu un no man’s land dévasté par les obus. Ces paysages de forêts hachées, de même que le quotidien des combattants sont très bien rendus par la riche iconographie rassemblée par Thierry Ehret.

4 Les 21 et 22 décembre 1915, les Français lancent une offensive de grand style, avec une préparation d’artillerie d’une ampleur jusque-là inconnue. Ils gagnent du terrain au Hirtzenstein, s’approchent du poste de commandement allemand et de la route d’acheminement des munitions et du ravitaillement (Serpentinenstrasse), sans parvenir à déloger complètement leurs adversaires. Les Allemands contre-attaquent dès le 22 décembre. Encerclé au sommet, le 152e d’infanterie, les « Diables rouges » – surnom qu’ils gagnent à cette occasion –, est décimé. Le 29 décembre, le général Serret, commandant de la 66e division, est mortellement blessé. Le 8 janvier 1916, les Allemands montent avec succès à l’assaut du Hirtzenstein.

5 C’est la fin de la phase la plus aiguë de la bataille et, à partir de ce mois de janvier 1916, le sommet du Hartmannswillerkopf reste aux mains des Allemands. Les positions sont alors à peu près les mêmes qu’un an plus tôt. Mais le front se « réveille » encore à plusieurs reprises par la suite : en juin 1916, au moment de Verdun ; en janvier, novembre et décembre 1917, puis en septembre 1918. À partir du 15 octobre 1918, des soldats américains relèvent en partie les troupes françaises sur ce front. Toute cette histoire est narrée en détail par Thierry Ehret, ce qui fait de son ouvrage la somme actuellement la plus complète sur le sujet.

6 Ce sont les traces de cet affrontement très particulier que nous présente Christophe Beck dans son album. Passionné par les combats des Vosges comme Thierry Ehret, l’auteur ne cache pas qu’il est guidé par ses sentiments plus que par la méthode historique. Néanmoins, une vingtaine de pages sont consacrées à d’utiles rappels concernant les événements, illustrés par des photos d’époque. On entre dans le vif du sujet dans la deuxième partie du livre, avec tout une série de photographies minutieusement « légendées », souvent selon le principe « hier / aujourd’hui », c’est-à- dire mettant en regard une vue actuelle d’un détail du champ de bataille avec une photo ancienne du même endroit.

7 Entre les premières escarmouches au cours desquelles l’Allemand Maximilian Ott est tué le 30 décembre 1914, première victime de ce champ de bataille le plus meurtrier des Vosges – ce qui lui vaut d’être désigné sous la dénomination de « Mangeur d’hommes » – et l’Armistice, on disait autrefois que peut-être 60 000 soldats y avaient perdu la vie. Toutefois, les estimations, revues à la baisse, donnent aujourd’hui plutôt le

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chiffre de 30 000 victimes. Il n’en reste pas moins que le Hartmannswillerkopf est emblématique d’une guerre très spécifique.

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DRULANG-MACK (Jean-Pierre) avec le concours de HAGE (Silvia) et BERTINOTTI (Thierry), éd., Du Württemberg au Bois-le-Prêtre 1914-1918 / Aus Württemberg in der Priesterwald Moyenmoutier, Edhisto, 2016, 407 p.

Jean-Noël Grandhomme

RÉFÉRENCE

DRULANG-MACK (Jean-Pierre) avec le concours de HAGE (Silvia) et BERTINOTTI (Thierry), éd., Du Württemberg au Bois-le-Prêtre 1914-1918 / Aus Württemberg in der Priesterwald, Moyenmoutier, Edhisto, 2016, 407 p.

1 Les témoignages de soldats allemands publiés en français sont assez rares : une première raison pour saluer cet ouvrage qui nous en livre trois, dans une édition bilingue, agrémentée de nombreuses photos inédites et accompagnée d’un index des noms de lieux et de personnes. Ces trois soldats ont pour point commun d’être originaires du royaume de Wurtemberg et d’avoir longuement combattu au Bois-le- Prêtre, à la sortie de Pont-à-Mousson, non loin de la frontière franco-allemande de 1871. Les récits sont croisés avec d’autres sources et livrés avec des commentaires biographiques et historiques souvent pertinents.

2 L’un de ces hommes, Albert Weiss (1890-1977), agriculteur à Gospoldshofen, qui a terminé la guerre comme Unteroffizier, a aussi séjourné dans le Sundgau, le long de la frontière suisse, dont il évoque le « triple rideau de barbelés électrifié ». En

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décembre 1917, il est au repos à Ribeauvillé puis à Colmar (« pour nous baigner et nous faire épouiller », note-t-il) ; il passe ensuite Noël à Guémar, avant de suivre une formation à Sélestat, ce qui lui fournit l’occasion d’une excursion au Haut- Koenigsbourg. De retour à Colmar, il est instruit de l’utilisation des gaz de combat.

3 Grâce à ce carnet jusque-là inédit, c’est un pan de cet arrière alsacien / allemand du front des Vosges qui revit, ce qui ne manquera pas d’intéresser les amateurs d’alsatiques.

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PEROZ (Anne), Vivre à l’arrière du front. Vosges 1914-1918 Moyenmoutier, Edhisto, 2015, 447 p.

Jean-Noël Grandhomme

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PEROZ (Anne), Vivre à l’arrière du front. Vosges 1914-1918, Moyenmoutier, Edhisto, 2015, 447 p.

1 Le présent ouvrage est tiré d’une thèse de doctorat d’histoire du droit soutenue en 2011 à l’Université de Lorraine et il convient à cette occasion de saluer ces étudiants qui, en droit, mais aussi en médecine, en géographie, en sociologie, en civilisation allemande, se saisissent de sujets historiques (parfois, comme ici, liés à l’Alsace), auxquels ils apportent leur propre regard. Anne Peroz enseigne aujourd’hui à l’Université de Lausanne.

2 Le département des Vosges, amputé du canton de Schirmeck en 1871, est lui aussi une victime du traité de Francfort. Sa vie est désormais conditionnée (pour plus de quarante années) par la proximité de la frontière allemande, au-delà de la fameuse « ligne bleue des Vosges ». La région fourmille de militaires des deux côtés : à la place fortifiée d’Épinal, aux casernes de Remiremont, Bruyère, Neufchâteau, Fraize, Rambervillers, Saint-Dié répondent la ceinture de forts de Strasbourg, la Feste Kaiser Wilhelm II. à Mutzig, les garnisons de Colmar, de Mulhouse, de Sélestat, de Saverne, de Sarrebourg. Les postes de douanes constituent pourtant plutôt un lieu de passage qu’une barrière. Souvent, on parle la même langue des deux côtés : patois lorrain de l’un, welche de l’autre. De nombreux Alsaciens et Lorrains annexés ont émigré dans les Vosges, où ils ont leurs lieux de sociabilité, leurs associations. Souvent bien insérés dans la société et la vie politique françaises, ils n’hésitent pas à rappeler à leurs concitoyens, au besoin, que toute « normalisation » des relations franco-allemandes demeure subordonnée à la restitution des « Provinces perdues ».

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3 En août 1914, la guerre surprend les populations. Dans le cadre du Plan XVII, qui prévoit une offensive en Lorraine annexée et en Alsace, les Vosges jouent un rôle capital. C’est à partir du département-frontière que les troupes françaises tentent, en vain, de marcher sur Strasbourg et Colmar, notamment par la vallée de la Bruche, le val de Villé et la vallée de Munster. Après les journées euphoriques – bien que meurtrières – de la mi-août, la contre-offensive allemande oblige les Français à repasser la frontière presque partout (sauf dans le sud du Haut-Rhin). Le territoire français est envahi, dont une petite portion du département des Vosges. Là, les habitants doivent cohabiter pendant quatre ans avec l’occupant, dont certains soldats ne sont autres que des Alsaciens et des Lorrains, parfois même francophones, comme ceux que le futur évêque de Strasbourg, Jean-Julien Weber, alors lieutenant de réserve au 21e régiment français d’infanterie, avait en face de lui près du Donon en août 1914.

4 Zone des armées, les Vosges sont soumises à l’état de siège, ce qui a des conséquences pour les populations d’origine étrangère, c’est-à-dire essentiellement de nationalité allemande. Si on trouve en leur sein des Alt-Deutschen, elles sont surtout composées d’Alsaciens et de Lorrains non réintégrés dans la nationalité française ou non naturalisés, soit du fait d’une négligence de leur part, soit parce qu’ils ne le désirent pas (séjour temporaire). Beaucoup d’entre eux sont des femmes de chambre, des employés de l’hôtellerie et de la restauration (notamment à Contrexéville et à Vittel), des gens d’Église. Ces étrangers sont internés dès le début du conflit et en général transférés dans les départements du Sud, du Sud-Ouest et de l’Ouest, loin du front. Ils sont rejoints par des milliers d’Alsaciens-Lorrains arrêtés par les troupes françaises dans les territoires qu’elles occupent ou qu’elles ont occupés, qui transitent eux aussi souvent par les Vosges. L’espionnite fait rage : même des Alsaciens-Lorrains de nationalité française peuvent être dénoncés par des voisins bien (par patriotisme compris de travers) ou mal (par jalousie, envie, intérêt) intentionnés ; une mésaventure qui attend aussi les Luxembourgeois ou les Flamands, tous perçus comme « parlant le boche » par certains autochtones peu éduqués. Si beaucoup de ces internés sont victimes des circonstances, on compte cependant parmi eux des Alsaciens germanisés, comme les deux frères Ott, qui résident à Saint-Dié : Eugène est « suspect » et Paul « animé de sentiments nettement anti-français ».

5 On se méfie donc dans les Vosges des Alsaciens, traîtres en puissance, mais en même temps on adule le « brav’Alsacien » qui combat dans l’armée française pour la délivrance de sa petite Patrie. Nombreux sont les Vosgiens d’origine alsacienne- lorraine qui s’illustrent au cours de la guerre. Parmi eux le chanoine Charles Umbricht, né de parents venus d’Obernai, ancien missionnaire en Afrique, aumônier légendaire de la 20e division française, amputé d’un bras après une blessure en Champagne en juillet 1918. Le plus célèbre d’entre eux (son père vient de Ranrupt) est sans nul doute l’as des as de l’aviation française, René Fonck (Saulcy-sur-Meurthe, 1894-1953) né, comme il le raconte dans ses souvenirs, « au pied de ces Vosges qui, pendant près d’un demi-siècle, ont entendu dans leurs sapins passer sur l’aile du vent l’éternelle plainte et l’imprescriptible revendication des vaincus » (Mes Combats, Paris, 1920, p. 11). Mobilisé comme mécanicien au 11e régiment du génie à Épinal, Fonck se tourne rapidement vers l’aviation et obtient son brevet de pilote en avril 1915. D’abord observateur, il rejoint ensuite une escadrille de chasse, au sein de laquelle il met au point une technique de combat aérien très particulière fondée sur la surprise, le combat rapproché et l’économie de munitions. Le 5 mai 1918, il réalise un premier sextuplé, puis un autre le

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26 septembre, abattant six appareils ennemis en quelques heures. Premier as français et même allié, il totalise soixante-quinze victoires homologuées et sans doute cinquante autres. Le 14 juillet 1919, c’est lui qui porte le drapeau de l’aéronautique lors du défilé de la Victoire sur les Champs-Élysées.

6 Arrière immédiat du front d’Alsace pendant toute la guerre, les Vosges équipent et nourrissent les soldats, les habillent surtout, grâce à une industrie textile alors florissante. Les blessés des grands combats d’août-septembre 1914, du Hartmannswillerkopf et du Linge, y sont soignés, les troupes y cantonnent avant de monter en ligne, elles y viennent aussi au repos. En novembre 1918, c’est du département des Vosges que partent les avant-gardes françaises chargées de réoccuper l’Alsace, précédées par quelques émissaires chargés de reconnaître le terrain et de palper le pouls des édiles alsaciens et des populations, comme le capitaine aviateur René Chambe, parti de Saint-Dié pour préparer l’entrée du général Gouraud dans Strasbourg et qui se souvenait encore des décennies plus tard du « kirch français de l’an septante » qu’on lui avait servi à Niedernai.

7 Après la guerre, le département des Vosges, tellement lié à l’Alsace depuis cinquante ans (comme la Meurthe-et-Moselle ou le Territoire de Belfort, qui mériteraient des études aussi fouillées que celle que nous livre ici Anne Peroz) continue à être la destination d’Alsaciens désireux d’apprendre le français, qui viennent, nombreux, y travailler ou y séjourner. En raison de la disparition de la frontière, il envoie aussi nombre de ses fils et de ses filles en Alsace, où ils sont attirés par les activités industrielles et tertiaires des grands centres urbains que sont Strasbourg, Sélestat, Colmar et Mulhouse.

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L’Autre guerre. Satire et propagande dans l’illustration allemande (1914-1918) Strasbourg, Musées de la Ville de Strasbourg, 2016, 250 p.

Jean-Noël Grandhomme

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L’Autre guerre. Satire et propagande dans l’illustration allemande (1914-1918), Strasbourg, Musées de la Ville de Strasbourg, 2016, 250 p.

1 Présentée au musée Würth à Erstein, cette exposition nous plonge, comme, en 2014, Strasbourg en guerre, 1914-1918, présentée aux Archives de la Ville et de la communauté urbaine de Strasbourg (AVCUS), dans le quotidien des Alsaciens de l’époque de la Grande Guerre, qui vivaient dans un environnement allemand – ce que les maîtres et maîtresses d’école de l’entre-deux-guerres, et plus encore d’après 1945 ont souvent omis, sur ordre, d’enseigner à leurs élèves. L’Autre guerre participe donc de la redécouverte du passé réel d’une région, au-delà des mythes ; mythes que les circonstances historiques peuvent expliquer. À cet égard, le cycle de conférences Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre, organisé par le Conseil régional d’Alsace en 2014 (à Strasbourg, Dannemarie, Sélestat, Rosheim, Haguenau, etc.) a joué un grand rôle dans la réappropriation par une population de sa propre histoire, sans honte, mais sans fierté particulariste déplacée non plus.

2 Dès 2008 l’exposition 14-18 à l’affiche, organisée par les AVCUS abordait le même sujet que cet ouvrage, mais en ménageant une balance entre les documents allemands et français. Le catalogue en était beaucoup moins riche que celui-ci, précédé par plusieurs textes de cadrage et de contextualisation. Celui de Florian Siffer et de Bernadette Schnitzler sur les « Collections de guerre » conservées à Strasbourg : celles de la Bibliothèque (BNU), du Musée historique (rassemblée par les Allemands en vue de créer un Kriegsmuseum) et d’un particulier, Auguste Braun, de La Robertsau. Celui de David

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Welch sur « Propagande allemande et Première Guerre mondiale », qui montre l’importance de la propagande pour tous les belligérants, en particulier pour le Reich, critiqué de toute part pour avoir déchiré le « chiffon de papier » qui garantissait l’indépendance de la Belgique, et pour les atrocités commises par ses troupes en août 1914. Celui de Jean-Claude Gardes sur « Les Visages de l’ennemi », qui insiste sur la force de la caricature afin de créer et d’entretenir un stéréotype de l’adversaire, notamment dans un but de diabolisation (on se reportera par exemple à la stigmatisation de l’utilisation de troupes noires par l’armée française, un grand classique du genre). D’une manière générale, comme l’explique Franck Knoery, les arts graphiques jouent un grand rôle dans la propagande, dans les journaux, les illustrés ; par le moyen des affiches. Enfin, F. Siffer décrit le cas des artistes alsaciens (ou allemands d’Alsace ?) qui participent comme les autres à l’effort de guerre par le crayon et le pinceau, tels Henri Solveen ou Léo Schnug.

3 L’exposition est ensuite déclinée selon une approche thématique, en commençant par « Le Culte de la Guerre » : mise en scène d’armements, dont les avions, les zeppelins et les sous-marins, autant de promesses de victoire ; référence à des campagnes et des batailles précises (toujours victorieuses) ; ennemis montrés dans des postures de vaincus et de prisonniers – on notera l’acharnement contre la Grande-Bretagne, sans aucun doute considérée comme l’ennemi intime de l’Allemagne car la plus proche par la « race » et la culture, la France et la Russie n’étant que des comparses, sans parler des autres Alliés.

4 La deuxième partie est consacrée aux « Héros et symboles », très présents dans l’iconographie : l’aigle allemande, le lion bavarois, Germania, le Michel allemand ; mais aussi des personnages réels, comme les empereurs Guillaume et François-Joseph, Hindenburg et le simple soldat, le Feldgrau, incarnation des vertus de la « race ». À de nombreuses reprises apparaissent aussi le Christ et les saints guerriers. La propagande use et abuse de slogans, dont l’un des plus connus est sans cesse martelé : Gott strafe England (Dieu punisse l’Angleterre !).

5 Dans l’avant-dernière grande partie sont abordés les différents visages de l’ennemi, tantôt représenté sous une forme animale : l’ours russe, le bulldog ou le lion britanniques (mais toujours en mauvaise posture), le coq (déplumé) ou encore le lapin français (car les « pantalons rouges » sont censés déguerpir au premier coup de feu). Les dirigeants ennemis sont souvent ridiculisés, comme Raymond Poincaré le « lâche », après l’évacuation des autorités françaises sur Bordeaux. Car l’ennemi est forcément couard, désorganisé, fourbe, traître (surtout le Judas Victor-Emmanuel III, dont le pays, l’Italie, d’abord membre de la Triplice, a ensuite rejoint l’Entente).

6 Une dernière petite partie rappelle que l’affiche et l’image ont aussi eu un aspect pratique et non pas uniquement moral. Dans un pays de plus en plus étranglé par le blocus, l’arrière doit tenir (et c’est effectivement lorsqu’il s’effondre que l’Allemagne perd la guerre, au moment de la Novemberrevolution en 1918). La population est donc sollicitée à de multiples reprises pour des emprunts, des collectes. Elle est encouragée à faire des économies dans tous les domaines, à récupérer tout ce qu’elle peut, à utiliser des produits ersatz, elle est soumise aux tickets de rationnement.

7 Dans la conclusion on se rend compte que la thématique de l’Alsace-Lorraine est peu présente chez les Allemands, mais importante, surtout à la fin de la guerre, chez les Français, où Hansi et Zislin, entre autres, ont réalisé des œuvres devenues des classiques.

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8 Cet ouvrage, richement illustré et accompagné d’une bibliographie conséquente, qui permet au lecteur d’aller plus loin, est une réussite.

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Comptes rendus

Les périodes de l'histoire

Seconde Guerre mondiale

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FINGER (Jürgen), Eigensinn im Einheitsstaat. NS-Schulpolitik in Württemberg, Baden und im Elsass 1933-1945 Baden-Baden, Nomos, Historische Grundlagen der Moderne: Moderne Regionalgeschichte, 2016, 603 p.

Eric Ettwiller

RÉFÉRENCE

FINGER (Jürgen), Eigensinn im Einheitsstaat. NS-Schulpolitik in Württemberg, Baden und im Elsass 1933-1945, Baden-Baden, Nomos, Historische Grundlagen der Moderne: Moderne Regionalgeschichte, 2016, 603 p.

1 La problématique de cet ouvrage, qui est la publication, dans une version raccourcie et retravaillée, d’une thèse de doctorat soutenue fin 2010 à l’Université d’Augsbourg, consiste à cerner la marge de manœuvre des pouvoirs locaux dans l’Allemagne nazie (1933-1945), État certes unitaire, mais où les Länder continuent de jouer un rôle politique et administratif. Jürgen Finger s’est penché sur les cas des deux Länder du Sud-Ouest, le Pays de Bade et le Wurtemberg (le Hohenzollern, Regierungsbezirk prussien coincé entre les deux, est également pris en compte), en se concentrant sur l’examen de la politique scolaire, notamment sur l’enseignement secondaire (Gymnasien et Oberschulen) et l’enseignement qu’on qualifierait en France de « primaire supérieur » (Mittelschulen et Hauptschulen). L’intégration dans un Oberrheingau, en 1940, de l’Alsace annexée par l’Allemagne nazie, fait entrer cette nouvelle « colonie badoise » dans le champ d’étude de Jürgen Finger, qui lui consacre un long chapitre (p. 241‑367). Il dresse, ce faisant, un tableau général de la politique scolaire entre 1940 et 1945, qui est une contribution tout à fait inédite, donc majeure, à l’histoire de l’enseignement dans

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l’Alsace contemporaine. Le présent compte rendu se limitera à cette partie alsacienne de l’étude.

2 Il faut toutefois, auparavant, souligner la nécessité, pour acquérir une compréhension profonde du sujet, de lire aussi les chapitres précédents, à savoir : « II. Gleichschaltung und Eigensinn der Länder », sur les différentes applications d’une politique scolaire nazie dans le Pays de Bade et le Wurtemberg, en regard des autres Länder, avec, entre autres, la question de la lutte contre l’école confessionnelle et l’enseignement religieux ; « III. Südwestdeutsche Schulsysteme 1933-1945 », qui présente l’ensemble du système scolaire de l’Allemagne nazie (enseignements primaire, primaire supérieur, secondaire, professionnel, agricole), sans omettre l’enseignement privé, tout en dressant une géographie scolaire d’une grande finesse pour le Pays de Bade et le Wurtemberg, qui s’appuie sur une profonde connaissance de l’histoire des différents territoires et débouche sur une comparaison des deux Länder.

3 L’étude de la politique scolaire nazie en Alsace débute par une intéressante présentation du contexte politique : rapide mise en place de l’Oberrheingau ; installation des organes du pouvoir badois à Strasbourg ; réorganisation de l’administration scolaire ; statut juridique des Alsaciens. On s’intéresse ensuite aux questions budgétaires et au statut des fonctionnaires. Faut-il obtenir de meilleures conditions de traitement pour les enseignants des nouveaux territoires annexés ? Pour la Lorraine intégrée au Westmark (dont le cas intéresse également Jürgen Finger, de même que celui du Luxembourg, intégré au Moselland), le Gauleiter Bürckel tente un passage en force face au pouvoir central soucieux d’économies. Il doit faire marche arrière. Le Gauleiter Wagner ne se hasardera pas à entrer en conflit avec Berlin. Par contre, en ce qui concerne la gestion du personnel, Wagner se voit déléguer un certain nombre de droits de nomination.

4 Ce personnel, il faut en être sûr, d’où les « examens politiques ». Jürgen Finger détaille les différentes procédures en vigueur, examine les critères de sélection, dépassant les limites du sujet, à savoir celui de l’enseignement, qui reste naturellement considéré avec une attention particulière (l’auteur remarque qu’on a été particulièrement sévère dans la sélection des enseignants, avec un quart de refus, p. 288). Puis arrive le thème de l’Umschulung et de l’échange d’instituteurs entre l’Alsace et le Pays de Bade, avec une lacune bibliographique : le livre de Meryem Bolatoglu, Daniel Morgen et Gérald Schlemminger, 1940-1950, Umschulung et réintégration, pourtant publié en 2008, n’a pas été consulté. L’Umschulung, c’est-à-dire la rééducation politique des enseignants alsaciens dans le Pays de Bade, n’est pas la seule action à visée de conversion idéologique menée par le pouvoir nazi : Jürgen Finger s’intéresse également à la Geschichtserziehungsaktion de 1942. Mais l’idéologie peut aussi se superposer à des raisons pratiques. Ainsi, la prolongation de l’Umschulung des instituteurs alsaciens des plus jeunes générations par leur affectation dans les écoles du Pays de Bade (Praktikums-Aktion) permet d’y pallier le manque de personnel. Dans l’autre sens, des instituteurs politiquement sûrs, de préférence membres du parti nazi, sont envoyés en Alsace (l’auteur dresse un bilan chiffré jusqu’à l’été 1941 pour l’ensemble des fonctionnaires, et pour ceux de l’enseignement, en s’intéressant aux origines géographiques, p. 297‑298). La lutte contre le français et les Églises fait l’objet de la sous-partie suivante, qui conclut sur l’échec d’une politique d’intégration violente et douloureusement ressentie : là encore, l’auteur dépasse le cadre strictement scolaire.

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5 Il en arrive ensuite au contenu de la politique scolaire appliquée en Alsace (« Ein badisches Schulwesen im Elsass? »), prolongeant tout d’abord l’examen des aspects antireligieux et linguistique de cette politique, puis abordant la question des locaux, avec des plans de construction ambitieux. Jürgen Finger évoque notamment le cas de Strasbourg : « Ob die Erneuerung von 17 Straßburger Volksschulen und der Neubau von elf Weiteren sowie zehn Turnhallen eine Ankündigung war oder trotz des Kriegs umgesetzt wurde, muss mangels Quellen offenbleiben » (p. 328). Aux chercheurs alsaciens de mener l’enquête ! Avec la sous-partie suivante commence la partie la plus originale de cette étude sur l’Alsace. Il s’agit d’une étude de cas sur le Landkreis de Thann, portant sur la réorganisation de l’offre scolaire par l’importation du système d’enseignement de l’Allemagne nazie. On y voit les responsables nazis locaux (Kreisleiter, Stadtkommissar) s’opposer aux directives de Strasbourg et de Karlsruhe, en vain. L’étude de géographie scolaire s’étend ensuite à toute l’Alsace, en suivant le principe déjà appliqué par l’auteur pour le Pays de Bade et le Wurtemberg : une catégorie d’établissements après l’autre (Haupt- und Mittelschulen, Oberschulen und Gymnasien, Lehrerbildungsanstalten, Berufliches Bildungswesen).

6 La conclusion du chapitre sur l’Alsace suit la même veine géographique pour expliquer la difficulté de l’« intégration administrative », puis l’auteur revient au constat de l’échec de la « politique de germanisation », avant de terminer par la question de l’épuration lors du retour à la France. Le titre du chapitre suivant, « V. Verwaltung im Krieg - Verwaltung des Mangels », est parfaitement évocateur de son thème général. L’Alsace n’apparaît plus que de manière anecdotique (avec toutefois quelques mentions intéressantes : p. 393‑394 et p. 419). L’étude de l’Erweiterte Kinderlandverschickung, la mise à l’abri des enfants des villes bombardées dans d’autres parties du Reich, est particulièrement détaillée et intéressante, notamment par les projets scolaires qu’elle inspire chez les idéologues nazis. L’Alsace n’est pas mentionnée dans cette sous-partie, alors que des enfants de la Ruhr ont trouvé refuge ici : encore un espace à explorer par la recherche régionale ! La conclusion générale de l’ouvrage : des politiques scolaires différentes dans le Wurtemberg, en Pays de Bade et en Alsace, mais un même objectif, l’instrumentalisation de l’individu pour les besoins de la Volksgemeinschaft.

7 Jürgen Finger appuie ses analyses géographiques sur un certain nombre de cartes, dont deux pour l’Alsace (p. 337 pour l’enseignement primaire supérieur et p. 349 pour l’enseignement secondaire). Il faut aussi relever les très riches annexes, où l’on trouvera les nombreuses statistiques utilisées par l’auteur. Les tableaux concernant l’Alsace sont aux p. 570‑575 et p. 584‑588 : beaucoup sont des listes d’établissements, qui permettent d’embrasser en un coup d’œil des pans entiers de l’enseignement ; les tableaux p. 574‑575 sur les établissements secondaires doivent notamment être mis en regard du développement consacré à la dénomination de ces établissements, p. 346. La liste p. 576‑584 permet, sur ce sujet, la comparaison avec le Pays de Bade et le Wurtemberg (et le Hohenzollern).

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STROH (Frédéric) et QUADFLIEG (Peter M.), dir., Incorporation de force dans les territoires annexés par le IIIe Reich Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2016, 228 p.

François Igersheim

RÉFÉRENCE

STROH (Frédéric) et QUADFLIEG (Peter M.), dir., Incorporation de force dans les territoires annexés par le IIIe Reich, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2016, 228 p.

1 En août et septembre 1944, les Alliés définissent une série de « crimes de guerre » qui devront faire l’objet de poursuites. Parmi ceux-ci, « la conscription militaire imposée aux habitants des zones annexées et intégrées au Reich, appelés Volksdeutsche, dans les mêmes conditions que celles valant pour l’Allemagne [on the same terms as in Germany itself], Alsaciens, Lorrains, Luxembourgeois, Polonais placés sur les Volkslisten, et les habitants des parties annexées de la Slovénie, à qui l’on a conféré la nationalité allemande ». (Catalogue of Crimes, Déclaration du 29 août 1944).

2 La journée d’études réunie en octobre 2012 par Frédéric Stroh et Peter M. Quadflieg au nom de l’EA 3400, des mémoriaux allemands Dokumentations und Informationszentrum DIZ Torgau et Gedenkstätte Roter Ochse Halle sous l’égide de la Fondation Entente franco- allemande, du Conseil régional Alsace et du Conseil général du Bas-Rhin, étudie précisément l’ensemble des territoires européens où l’Allemagne nazie avait perpétré les crimes de guerre d’incorporation de force, auxquels il faut ajouter les incorporés de force belges d’Eupen-Malmédy. Mais Fréderic Stroh précise bien : il ne s’agit pas de repérer des systèmes totalement identiques, mais « de faire émerger des analogies et d’identifier des variables ».

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3 L’analyse générale se déroule selon la grille déjà familière aux historiens de ce qui est devenu à présent une spécialité de l’histoire militaire de la Deuxième Guerre mondiale : statut du pays annexé (de fait), et son histoire antérieure, statut des incorporés – ils sont tous naturalisés allemands alors que les habitants du territoire ne le sont pas tous –, attitude des incorporés : passifs, réfractaires ou déserteurs ; répression qui les frappe ou frappe leurs proches, en cas d’insoumission, statut des anciens combattants, prisonniers, morts et disparus et de leurs familles, développement de leur historiographie, mémoire.

4 La situation des trois États d’Europe occidentale (France, Belgique, Luxembourg) contraste avec celles des États de l’ancienne Yougoslavie ou de la Pologne communistes.

5 Leur historiographie est abondante et de plus en plus assurée : Quadflieg (Aix-la- Chapelle) fait le point sur l’incorporation de force pendant la guerre, et Stroh sur la répression disciplinaire et judiciaire des déserteurs et insoumis. Dans les contributions appelées, peut-être de manière trop générale « mémoires », la France (Jean-Noël Grandhomme), la Belgique (Christoph Brüll), le Luxembourg (Eva Maria Klos) se distinguent. Statut des anciens combattants organisés en associations, réparations et indemnisations : le développement y est précoce, même si le phasage peut être différent. En Alsace et Moselle : des pensions sont obtenues dès 1944-45 puis 1957, la mention « mort pour la France » accordée dès mars et novembre 1945, des indemnisations partielles obtenues de la RFA dès les années 50 et aménagées encore ultérieurement. Les gouvernements font face à une opinion publique traumatisée et à des puissantes organisations d’anciens combattants, ancrées dans les partis politiques majoritaires, capables d’arracher en 8 jours la loi d’amnistie pour les condamnés « malgré-nous » du procès de Bordeaux (1953). Il en va de même pour la Belgique et le Luxembourg. Leurs organisations sont réunies en 1963 en une Fédération Internationale des Victimes du Nazisme qui pèse sur les relations avec la RFA. À des degrés divers, après la phase de l’amnésie volontaire ou non, la place des « malgré- nous » est bien présente dans le patrimoine mémoriel et l’historiographie savante et le « dolorisme » inévitablement cultivé et parfois dénoncé, avec l’inévitable concurrence des mémoires.

6 La chute de l’empire soviétique, l’ouverture des archives ont leurs retombées aussi en Alsace et en Europe de l’Ouest, avec les pèlerinages dans les camp russes, dont celui de Tambow alors que se produit la relève des générations dans la cristallisation de la mémoire, dans des monuments et musées, ainsi que dans l’historiographie.

7 Rien de tel en Pologne et en Slovénie. S’ils sont encore présents dans les nouveaux États qui ont pris la suite de ceux dont ils avaient été les citoyens quand ils ont été incorporés de force, les anciens combattants ont été contraints au silence au mieux, suspects et discriminés au pire.

8 Dès le 8 octobre 1939, le Reich annexe les territoires polonais, qui avaient fait partie de la Prusse et du Reich bismarckien jusqu’en 1918. Le Reich nazi établit alors une « Deutsche Volksliste » et le triage divise la population en classes, les deux premières « d’origine et de sentiments allemands », la troisième mixte composée d’« Allemands polonais » (Deutsch-Polen) – une expression interdite en 1943 – ou de groupes ethniques autochtones (Mazures, Kachoubes, etc.) et la quatrième « polonisée », à exproprier et expulser. Les historiens ne sont pas en mesure d’établir des chiffres : ils varient entre 200 000 incorporés de la classe 3 à quoi s’ajoutent 100 000 des deux premières classes, chiffres contestés par une évaluation alternative : 750 000 dont 500 000 Deutsche

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Volksliste 3 (Ryszard Kaczmarek). L’exposé par Sebastian Rosenbaum sur les tribulations du brave soldat Szulc (Schultz) nous donne la mesure de ces complexités : l’inscription sur la « Volksliste » avait en outre un sens différent dans les voïvodies de l’ouest de celles du Wartheland. Désertion et passage au maquis prennent des proportions importantes. L’armée du gouvernement polonais en exil Anders n’aurait pu continuer de se battre en Italie, si elle n’avait pas pu recruter des soldats polonais de la Wehrmacht faits prisonniers de guerre (Miroslav Wecki). Après la guerre, l’incorporation de force fait l’objet d’une damnatio memoriae dans le droit fil de la germanophobie officielle. En 1974, la loi sur les pensions d’invalidité les restreint aux Polonais ayant servi dans les armées alliées et dans la Résistance. Après 1989, et le réveil des mémoires, les controverses se donnent libre cours. Il n’y a plus de consensus. Des historiens se mettent au travail. Mémoires et historiographies s’inscrivent cependant dans le débat politique d’une Pologne encore marquée, par la méfiance envers l’Allemagne. La notion même de « malgré-nous » est contestée pour l’incorporation de catégories entières de Polonais. Les enjeux de politique intérieure contemporaine pèsent de tout leur poids, comme on l’a vu pour l’élection présidentielle de 2005.

9 La même complexité préside à l’examen de la situation en Slovénie (Damijan Gustin), dont une partie est annexée à l’Allemagne (38 000 incorporés de force), à la Hongrie (5 000 incorporés), Italie (24 000 incorporés). La résistance est compliquée par les appartenances politiques des maquis ; il y a ceux des partisans titistes et ceux du gouvernement royal. Là aussi s’applique la maxime : « si je pars à la guerre dans l’armée allemande, je serai seul à trinquer, mais si je passe aux partisans, les Allemands feront payer ma famille ». Après la guerre, les anciens combattants sont réduits à la seule aide familiale. Des invalides slovènes ont pu bénéficier de pensions ouest-allemandes, mais à titre individuel. Ce n’est qu’après 1991, dans le sillage de l’éclatement de la Yougoslavie, que des associations peuvent se créer, et que la situation de ceux qui avaient survécu peut être réexaminée (Monika Kokalj Kocevar). Mais là aussi les enjeux de politique intérieure contemporaine sont manifestes.

10 Sur la toile de fond des rapports de politique extérieure de la RFA puis de l’Allemagne réunifiée avec ses partenaires européens, le dernier élément de l’étude porte sur l’opinion publique allemande à propos de l’incorporation de force comme crime de guerre de l’Allemagne et de l’armée allemande. Le rôle d’une justice militaire nazie impitoyable a pris place dans les institutions de mémoire de l’Allemagne (Norbert Haase, Fréderic Stroh).

11 On comprend bien que les organisateurs de la journée d’études aient tenu à fractionner leur problématique en questions posées par leur objet principal, le crime de guerre de l’incorporation de force par l’armée allemande. L’examen du cas des malgré-nous de l’Est européen constitue pour le lecteur l’aspect le plus neuf de cette étude collective. Ce faisant, elle ne répond pas seulement à la question soulevée par l’incrimination de 1944. Pologne et Slovénie ont rejoint en 2004 une Union européenne fondée en 1957. Le travail de ces historiens traite d’un chapitre de l’histoire des peuples de l’Union européenne qu’il importe de connaître et c’est aussi le grand mérite de cette publication.

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COLLEY (David), Decision at Strasbourg, Ike’s strategic mistake to Halt the Sixth Army Group at the Rhine in 1944 Annapolis, Naval Institute Press, 2008, 252 p.

François Igersheim

RÉFÉRENCE

COLLEY (David), Decision at Strasbourg, Ike’s strategic mistake to Halt the Sixth Army Group at the Rhine in 1944, Annapolis, Naval Institute Press, 2008, 252 p.

1 Approches divergentes des historiographies ? « Decision at Strasbourg » ne traite pas principalement de la crise de décembre 44 - janvier 45 où l’armée américaine évacue Strasbourg – entraînant la réaction providentielle de l’homme providentiel, de Gaulle. Elle porte avant tout, et pour tout dire fait le procès d’Eisenhower qui le 24 novembre, au QG de Vittel, interdit au chef du 6e groupe d’armées US, le général Devers qui venait de libérer Strasbourg de procéder à l’opération que le général Patch et lui-même avaient préparée pour le début de décembre – passer le Rhin à Rastatt et foncer sur les arrières de la ligne Siegfried à la hauteur de Karlsruhe, et permettre à la 3e armée US de Patton de se sortir des boues de Lorraine. Le dossier « passage du Rhin » par un raid – analogue à celui que feront les Allemands sur la tête de pont de Gambsheim en janvier 1945 – occupe près de 50 pages de l’ouvrage (p. 94‑153). Sur « la crise de Strasbourg » de janvier 1945, Colley suit la leçon des autres historiens militaires américains : le relais pris par la première armée française (qui appartient au 6e groupe d’armées américaines) fait partie des redéploiements en tous sens ordonnés par Devers et Patch à la suite des ordres donnés par Eisenhower et le Shaef d’avoir à évacuer l’Alsace – rapportés quelques jours après – et d’occuper le front lorrain abandonné par les troupes de Patton parti réduire le saillant des Ardennes, ordres auxquels ils

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n’obéissent que très partiellement, et à leur cœur défendant, en se contentant de supprimer le saillant de Lauterbourg : ils mettent en place de nouvelles unités – souvent tout juste débarquées des États-Unis – qui viennent à bout au Nord et à l’Est devant Gambsheim de l’offensive Nordwind, « sauvant ainsi la mise du général Eisenhower ». En dramatisant le débat de Vittel du 24 novembre, Colley met l’accent sur la lourdeur du SHAEF et le manque de flexibilité d’Eisenhower. Si l’on avait passé le Rhin dès décembre 1944 dans le Sud de l’Allemagne ? se demande Colley, qui cite intégralement l’interrogatoire du chef d’état-major du général Vaterrodt sur les effets sensationnels de cette opération sur le moral des troupes allemandes qui depuis juin 44 continuaient de se battre pied à pied et rester fidèles au nazisme ? Question d’histoire « contre-factuelle » ont répondu certains historiens militaires américains. Le débat a été brièvement ouvert dans la presse dès 1944 et l’histoire officielle (Clarke et Smith, Riviera to the Rhine, 1993) en traite pourtant, mais tout le monde insiste sur le choc qu’a été pour Eisenhower la crise logistique de septembre 1944, quand les chars s’arrêtaient faute d’essence, et son refus de bouleverser les lignes d’approvisionnement (le Red Ball Express !). De ce point de vue, la description de la logistique du groupes d’armées Devers est bienvenue ainsi que le relief mis sur le rôle important de Marseille et Sète, qui assurent dès novembre 1944, le tiers des approvisionnements des armées. On apprécie le portrait des généraux américains, Devers, ce protestant d’origine alsacienne (et strasbourgeoise), froid, réservé, au sourire perpétuel, qu’Eisenhower détestait, à l’instar de nombre de généraux de la coterie Eisenhower (Patton, Bradley) mais qui avait aussi ses amis, dont Marshall, à qui il devait sa carrière. Portraits bienvenus aussi que ceux du général Patch (7e armée), expérimenté, réfléchi, à la santé délabrée – il revient de Guadalcanal –, ébranlé par la mort de son fils unique, tué en Lorraine dans l’armée Patton, pendant l’offensive de novembre. Du général Truscott (6e corps d’armée), haut en couleurs, qui mena la charge de Toulon jusqu’à Belfort, et passe la main au taciturne Brooks, un artilleur brillant, vieux camarade et ami de Devers. Le général Haislip chef du XVe CA, parlait bien le français – il avait été à l’École de Guerre française en 25 et 26, très estimé du général Leclerc, un des rares généraux français apprécié des Américains et qui les appréciait en retour. C’est Haislip qui acceptera le 19 novembre la demande de Leclerc de foncer sur Strasbourg le 23 novembre, où il sera suivi le jour même de deux divisions d’infanterie américaine qui « nettoient » une ville encore pleine d’Allemands. Un regret cependant, et cela tient aux sources de son travail – imprimées pour l’essentiel – : comme tant de travaux d’histoire militaire américaine, l’ouvrage ne traite pas des rapports de l’armée et de la population civile libérée, qui a pourtant occupé une place importante dans les préoccupations du commandement.

2 Ouvrage d’un bon journaliste militaire, fondé avant tout sur les sources imprimées, au récit parsemé d’anecdotes, qui évite l’aller-retour si éculé entre le point de vue du GI et celui du général en chef, habile à dresser des portraits et à dramatiser les enjeux, clair dans ses descriptions d’opérations, et qui se lit d’une seule traite.

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PREFER (Nathan N.), Eisenhower’s Thorn on the Rhine, The battles for the Colmar Pocket 1944-1945 Philadelphia & Oxford, Casemate Publishers, 2015, 350 p.

François Igersheim

RÉFÉRENCE

PREFER (Nathan N.), Eisenhower’s Thorn on the Rhine, The battles for the Colmar Pocket 1944-1945, Philadelphia & Oxford, Casemate Publishers, 2015, 350 p.

1 Le titre est trompeur, car l’ouvrage porte en fait sur l’ensemble des batailles du 6e groupe d’armées américaines depuis sa création le 15 septembre 1944 jusqu’aux passages du Rhin le 26 mars à Worms et Spire pour la 7e armée américaine et le 31 mars à Germersheim pour la 1re armée française. Il reprend et complète COLLEY (David), Decision at Strasbourg, Ike’s strategic mistake to Halt the Sixth Army Group at the Rhine in 1944, Annapolis, Naval Institute Press, 2008 et le volume de l’histoire officielle de l’armée américaine, « les Green Books », dû à CLARKE (Jeffrey J.) et SMITH (Robert Ross), Riviera to the Rhine, Washington, 1993. Plus encore que ce dernier ouvrage, celui de Prefer embrasse dans son récit, la 7e armée et la 1re armée française, ce qui fait son intérêt.

2 Prefer, militaire retraité, spécialiste d’histoire militaire américaine, est l’auteur de plusieurs ouvrages sur « les théâtres d’opérations oubliés (Nouvelle Guinée, Philippines, Triangle Sarre-Moselle) » de décembre-janvier 1944-1945.

3 Son ambition est ici considérable, car il étudie l’histoire d’un groupe d’armées dont la mission originelle a été contestée et dont la fonction stratégique a été mise en question par le haut commandement américain une fois le Rhin atteint et une seconde ligne d’approvisionnement méditerranéenne créée pour suppléer la ligne Atlantique.

4 Mais précisément, il n’est pas beaucoup question de ces problèmes dans l’ouvrage, qui s’intéresse avant tout aux opérations militaires au jour le jour. Selon les recettes de

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l’histoire militaire américaine grand public, il juxtapose le récit chronologique des opérations aux portraits de généraux et les hauts faits de quelques soldats, entre autres les récipiendaires des « Medal of Honor » américaines. Il y a pourtant quelques morceaux de bravoure comme cette évocation du vécu des GI’s isolés essuyant le feu allemand dans la campagne juste devant Sélestat. Il ne néglige pas l’armée allemande en un récit balancé, souvent fort artificiel, fondé sur les historiques de l’armée allemande établis par les états-majors après interrogatoire des prisonniers. Les armées circulent sur des cartes, celles qu’il faut consulter pour suivre le récit, mais on ne saura rien des populations libérées de Lorraine et d’Alsace ni de leurs problèmes. C’est sans doute la rançon du genre : les anciens combattants ou leurs enfants ainsi que leurs associations ne sont-ils pas les premiers lecteurs de ces ouvrages ? On saluera l’effort mené à bien de rendre compte des opérations de la 7e armée et ceux de la 1re armée française, dont l’action est suivie avec attention, et… sympathie. Il y a désormais en ligne de nombreux ouvrages d’histoire, chronologies officielles, « unit histories ». Mais le livre a cependant son utilité pour le tableau d’ensemble précis qu’il dresse de l’ensemble de la campagne de l’Est de la France.

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Comptes rendus

Les lieux et les hommes

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Comptes rendus

Les lieux et les hommes

Histoire de villes

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1115-2015, Haguenau, 900 ans d’histoire. Actes du colloque organisé par la Société d’histoire et d’archéologie de Haguenau et l’Institut d’histoire d’Alsace à l’Université de Strasbourg, les 16 et 17 janvier 2015 par Elisabeth Clementz, Claude Muller, Richard Weibel Haguenau, Société d’Histoire et d’Archéologie de Haguenau, 2015, 336 p.

Benoît Jordan

RÉFÉRENCE

1115-2015, Haguenau, 900 ans d’histoire. Actes du colloque organisé par la Société d’histoire et d’archéologie de Haguenau et l’Institut d’histoire d’Alsace à l’Université de Strasbourg, les 16 et 17 janvier 2015 par Elisabeth Clementz, Claude Muller, Richard Weibel, Haguenau, Société d’Histoire et d’Archéologie de Haguenau, 2015, 336 p.

1 900 ans d’existence d’une ville en tant qu’institution, ce n’est pas rien. Cet anniversaire, pour stéréotypé qu’il puisse être, a constitué une bonne occasion pour la Société d’histoire et d’archéologie de Haguenau et pour l’Institut d’histoire d’Alsace de réunir des historiens qui ont décrit, chacun pour sa part, différents aspects de la vie de la cité née dans la boucle de la Moder. Un fort volume est né de ce colloque. Il ne s’agit pas

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d’une « histoire de Haguenau », mais d’un florilège qui séduit par sa diversité, son amplitude chronologique. Pas de récit linéaire reprenant les grands items habituels, mais des coups de projecteur pour certains étonnants et fort éclairants. Il faut dire que Haguenau bénéficie de sources écrites remarquables et de monuments de qualité, nonobstant les destructions tragiques du XVIIe siècle. Le lecteur se trouve ainsi invité à parcourir, chaussé de bottes de sept lieues, presqu’un millénaire de vie haguenovienne, des origines (Bernhard Metz) à l’après-guerre (Jean-Laurent Vonau). La vie politique s’accote à la vie quotidienne (Valérie Feuerstoss évoque l’approvisionnement au XVIIIe siècle) et à la vie religieuse (Claude Muller, François Wernert, qui embrasse le sujet jusqu’aux temps présents) et spirituelle (la remarquable contribution de Francis Rapp révèle tout ce que l’on peut tirer de comptes paroissiaux quant à la pratique religieuse). Deux contributions traitent du passé intellectuel de la ville du point de vue de l’imprimerie et de l’enseignement (Laurent Naas et Olivier Deloignon). Les lieux ne sont pas oubliés dans leur dimension tant archéologique que social (Élisabeth Clementz et Lauriane Meyer). On pourrait s’étonner que les Staufen et le passé impérial de Haguenau ne soient pas mis en exergue : mais ce volume est d’abord à la gloire d’une ville et de ses habitants, comme le montrent les exposés sur les personnalités (Nicolas Lefort traitant de l’abbé Gromer, Marlène Anstett des femmes incorporées de force) et sur la tradition historiographique de la ville et de sa société d’histoire (Gilles Muller, Richard Weibel).

2 « Des roses de Clio », comme le souligne Claude Muller, pour fêter l’anniversaire d’une ville majeure de l’histoire d’Alsace ; les esprits chagrins affirmeront qu’on pouvait dire plus – mais sans doute pas mieux. La quantité est pourtant suffisante et surtout, ce parterre pose la question de la forme à donner aux monographies dites locales. Une collection avait été lancée naguère, qui avait pour ambition de dresser un panorama des villes d’Alsace. L’ouvrage sur Haguenau propose un modèle, celui du florilège, qui oblige à faire surgir des sujets parfois difficiles ou douloureux, originaux, selon des problématiques à chaque fois adaptées au sujet et s’appuyant sur les connaissances actuelles. Les artisans de cet ouvrage sur Haguenau, dignes successeurs de Marc Bloch et de Lucien Febvre, ont montré la voie. Les autres villes de la Décapole et – pourquoi pas ? – du territoire alsacien sont invitées à suivre ce modèle.

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Comptes rendus

Les lieux et les hommes

Vies et écrits d'Alsaciens

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Alter ego : amitiés et réseaux du XVIe au XXIe siècle Strasbourg, Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, 2016, 213 p.

Christine Esch

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Alter ego : amitiés et réseaux du XVIe au XXIe siècle, Strasbourg, Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, 2016, 213 p.

1 Album amicorum, liber amicorum, thesaurus amicorum, Stammbuch ou encore album de poésie et livre de souvenirs, autant d’expressions qui évoquent à travers le temps un échange amical, codifié, de dédicaces, d’adages ou même de conseils de vie, pratique qui remonte à quelque 450 années, et qui s’est propagée dans tous les milieux sociaux. En cuir ou en velours, à la tranche dorée ou toute sobre, parfois aux variations de papiers marbrés, ces albums revêtaient une valeur toute singulière pour leurs détenteurs. Les livres d’amitié sont aussi divers que leurs propriétaires. De grands personnages côtoient d’illustres inconnus. Si certains rassemblent les dédicaces de personnalités célèbres, d’autres constituent aujourd’hui l’unique témoignage d’une vie. Ce sont là des sources précieuses pour reconstituer les réseaux de parenté, d’alliances et de sociabilité, mais aussi des témoignages linguistiques, historiques, musicaux et artistiques, voire des goûts d’un siècle et d’un genre littéraire.

2 Consacrer une exposition au livre d’amitié, voilà une thématique inédite et originale, une gageure relevée conjointement par la Bibliothèque bationale et universitaire de Strasbourg et la Württembergische Landesbibliothek de Stuttgart faisant suite à un projet de numérisation de collections de livres d’amitié dans l’espace du Rhin supérieur. Sous la direction des commissaires d’exposition, Aude Therstappen pour la BNU et Kerstin Losert pour la WLB, une sélection de quelque 200 livres d’amitié a ainsi

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été présentée du 30 novembre 2016 au 12 février 2017 dans les locaux de la BNU à Strasbourg.

3 Éponyme de l’exposition qu’il accompagne, le catalogue révèle la genèse et l’évolution de cette pratique entre le XVIe et le XXI e siècle. L’édition française, tout comme l’édition allemande du catalogue, toutes deux richement illustrées, dévoilent à travers plusieurs articles de spécialistes l’histoire singulière du livre d’amitié. Le catalogue dresse ainsi un panorama universel. En parallèle sont présentés les albums exposés avec un focus sur certaines pièces. Les contributeurs sont nombreux et internationaux, issus des milieux universitaires et des bibliothèques.

4 Ces manuscrits proviennent de multiples collections, la plupart françaises ou allemandes, mais principalement de trois institutions : la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (qui conserve une soixantaine de livres d’amitié, essentiellement des albums strasbourgeois et alsaciens remontant jusqu’au XVIe siècle), la Württembergische Landesbibliothek de Stuttgart (avec 199 alba amicorum, la plus importante collection du Bade Wurtemberg mais moindre en comparaison de celles de Dresde et Weimar) et la Société des Amis des Arts et des Musées de Strasbourg (124 albums datant du XVIIe au début du XIX e siècle). La sélection opérée dans ces collections a été complétée par des pièces issues entre autres de fonds strasbourgeois : du Musée historique, des Archives de la Ville et de l’Eurométropole, de la Médiathèque André Malraux, du Cabinet des estampes et des dessins, du Musée alsacien, de la Bibliothèque alsatique du Crédit Mutuel. Mais aussi du Musée de l’imagerie populaire de Pfaffenhoffen, des bibliothèques municipales de Colmar et de Mulhouse. Sans oublier la Bibliothèque Nationale de France, la Universitätsbibliothek d’Uppsala, la Staatlichekunsthalle et la Badische Landesbibliothek de Karlsruhe, la Nationale Bibliotheek van Netherland et de particuliers.

5 Les livres d’amitié sont nés à Wittemberg en Allemagne au XVIe siècle, à l’époque des grands réformateurs et enseignants de la plus grande université germanophone, tels Martin Luther et Philippe Mélanchthon. Ils étaient alors le miroir de la vie étudiante. Posséder un souvenir personnel de ses professeurs et condisciples était une fierté estudiantine. Ces écrits attestaient, tels des certificats, des cours suivis. Ces premiers carnets d’étudiants fixent les règles du genre : on y note le lieu et la date de l’inscription et l’on choisit également pour son ami une sentence ou un hommage.

6 Puis le livre d’amitié évolue vers un genre noble où les pages se couvrent de blasons, avant de devenir le témoin de la vie des corporations, de parcours d’artisans, de compagnons ou encore d’artistes, mais aussi d’amitiés littéraires au XVIIIe siècle, période durant laquelle le culte de l’amitié se généralise et marquera un tournant pour le livre d’amitié. Les femmes commencent alors à s’approprier cette pratique pour devenir majoritairement féminine au XIXe siècle. Le livre d’amitié abandonne à ce moment-là parfois son caractère intimiste et devient le reflet des salons fréquentés par son propriétaire. Les carnets d’autographes et de collections de photographies font leur apparition.

7 Au fil du temps, canivets, aquarelles, gouaches, calligraphies, mèches de cheveux tressées, travaux d’aiguilles, puis dessins d’enfants y prennent de même place. Les livres d’amitié témoignent du désir de conserver un souvenir durable des liens noués durant certaines périodes de vie, comme l’apprentissage, un voyage ou un séjour en pension. Le catalogue se referme sur une analyse de la forme des albums et une réinterprétation du livre d’amitié par des artistes contemporains.

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8 Si le lecteur peut regretter l’absence d’une bibliographie introductive en la matière, le catalogue invite avant tout les chercheurs à interroger un corpus dans le Rhin supérieur qui n’a pas encore livré tous ses secrets. La plupart de ces manuscrits étant à présent numérisés, un nouveau champ de recherche s’ouvre à eux.

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MARXSEN (Patti M.), Helene Schweitzer. A Life of Her Own Avant-propos de Sylvia Stevens-Edouard, Syracuse University Press, « Albert Schweitzer Library », 2015, XXVII + 207 p.

Matthieu Arnold

RÉFÉRENCE

MARXSEN (Patti M.), Helene Schweitzer. A Life of Her Own. Avant-propos de Sylvia Stevens- Edouard, Syracuse University Press, « Albert Schweitzer Library », 2015, XXVII + 207 p.

1 Pourquoi publier, en 200 pages aérées, une biographie d’Hélène Schweitzer, née Bresslau, un peu moins de vingt ans après l’ouvrage très complet – 298 pages en caractères serrés – de Verena Mühlstein, Helene Schweitzer Bresslau. Ein Leben für Lambarene (Munich, Beck, 1998) ? Patti Marxsen se pose elle-même la question, et y répond en arguant de l’absence d’ouvrage en anglais consacré à Hélène Schweitzer (p. XXVII). Cette raison est-elle suffisante ? Ne valait-il pas mieux traduire la biographie de Mühlstein ? En tout cas, dans les deux ouvrages, la perspective est la même : montrer – à raison – que le rôle d’Hélène dans l’œuvre humanitaire commune à elle et à son mari a été injustement minimisé, à commencer par Schweitzer lui-même, qui, dans sa biographie (Ma vie et ma pensée, 1931), n’évoque que discrètement le soutien qu’Hélène lui a apporté, et en des termes qui font bondir les féministes d’aujourd’hui.

2 Marxsen juge d’ailleurs qu’un des intérêts de son étude est qu’elle émane de la plume d’une « féministe américaine qui comprend qu’Hélène a été une femme indépendante » (p. XIX). Faut-il être une féministe américaine pour comprendre cela ? Nous avons nous-même souligné qu’il fallait voir en Hélène bien plus que le soutien de Schweitzer, resté dans l’ombre du « grand docteur ». Par ailleurs, notre expérience d’historien nous a appris que, bien souvent, les études menées dans une perspective féministe succombaient à l’anachronisme, en projetant sur les femmes et sur les hommes du passé des attentes et des grilles de lecture contemporaines. D’un autre côté, l’étude de

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P. Marxsen constitue un utile contrepoint aux travaux anglais qui ont repris, de manière non critique, la perspective d’Albert Schweitzer en parlant du « sacrifice » consenti par son épouse alors qu’à bien des égards, à partir de 1924 c’est lui qui a sacrifié Hélène (et leur fille Rhena) à son désir de retourner coûte que coûte en Afrique (voir p. 79). Il est vrai l’« absence d’Hélène » dans les études de référence portant sur Schweitzer, que déplore Marxsen (p. XXI), ne vaut que pour les travaux anglais. Hélène est bel et bien présente dans les monographies récentes en allemand ou en français.

3 Une raison bien plus valable pour justifier le présent ouvrage nous semble être que, depuis la biographie de Mühlstein, la bibliothèque de l’Université de Syracuse a accueilli de nouvelles sources relatives à Hélène, à commencer par ses diaires et ses journaux, qui couvrent la période 1893-1951 (voir p. XX et la mention de ces sources dans la bibliographie, p. 185, mais avec l’indication « Journals and day books, 1918-51 »). L’auteur entend aussi se fonder sur la seconde édition de la « masterful biography » de James Brabazon (Albert Schweitzer, 2000) – en fait, cet ouvrage renferme un certain nombre d’erreurs – et sur l’édition anglaise des sermons de Lambaréné de Steven Melamed (The African Sermons, 2003) – mieux vaut consulter l’original français édité par Jean-Paul Sorg et Philippe Aubert (Albert Schweitzer, Les sermons de Lambaréné, Strasbourg, 2002).

4 Les trois premiers chapitres, qui traitent la période allant jusqu’en 1918 (le retour des époux Schweitzer en Alsace), renouvellent assez peu le propos, mais ils ont le mérite de se fonder abondamment sur la correspondance publiée par Jean-Paul Sorg, ainsi que (de manière plus ponctuelle) sur un journal inédit d’Hélène qui couvre les années 1913‑1915. Marxsen a également trouvé, dans les Archives départementales des Pyrénées, des documents relatifs à l’internement des Schweitzer à Garaison, et elle a consulté la collection Marcel Bonnet à la Bibliothèque municipale de Saint-Rémy de Provence.

5 Les trois chapitres qui traitent de l’existence d’Hélène à partir de 1920 sont plus neufs, et leurs titres sont évocateurs. Ainsi, le chapitre 4 parle de « Divided Destinies », et le chapitre 6 de « Madame Schweitzer in the Age of Obscurity ». Ce sont les pages portant sur les « destins séparés » qui sont les plus émouvantes, P. Marxsen montre, lettres d’Hélène à l’appui, combien, en 1924, cette dernière fut loin de consentir à une séparation qui allait durer trois ans et demi (p. 79). Dans ce chapitre, l’auteur conteste à raison les présentations tendancieuses de Nies-Berger et d’Audoynaud (voir p. 77). Les chapitres 5 et 6, qui auraient gagné à être plus développés, établissent combien, chaque fois qu’elle l’a pu, Hélène s’est efforcée de rejoindre Albert à Lambaréné, et combien, jusqu’à la fin de sa vie, elle a considéré – à raison – que l’œuvre humanitaire pour laquelle on célébrait Albert leur était commune. Elle en fut l’ardente propagandiste en anglais – langue que Schweitzer maîtrisait fort mal. Elle-même connut son heure de gloire lorsque, le 14 juin 1952, elle prononça, à l’Université de Freiburg et devant 800 auditeurs, une conférence sur « le pays et les gens de l’Ogooué » (voir p. 129).

6 Écrit d’une plume alerte, l’ouvrage se lit agréablement, même si, çà et là, Marxsen ne s’astreint pas à une présentation strictement chronologique, effectuant nombre de retours en arrière. Il est agrémenté par un cahier central d’épreuves en noir et blanc, parmi lesquelles une très belle photographie d’Hélène datant probablement de 1906 (copyright Archives centrales Schweitzer, Gunsbach). Il comporte également une précieuse chronologie (p. 149‑161), une bibliographie (p. 185‑194) et un utile index (p. 195‑207).

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7 Désormais, le lectorat anglophone ne pourra plus douter de l’importance d’Hélène Bresslau.

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FONTANA (Raniero), André Neher, philosophe de l’Alliance Paris, Éditions Albin Michel, 2015, 260 p.

Claude Muller

RÉFÉRENCE

FONTANA (Raniero), André Neher, philosophe de l’Alliance, Paris, Éditions Albin Michel, 2015, 260 p.

1 André Neher, né à Obernai le 22 octobre 1914, décédé à Jérusalem le 23 octobre 1988, est une remarquable figure du judaïsme alsacien et surtout l’un des grands maîtres à penser du judaïsme national, voire international du XXe siècle. Rappelons brièvement les étapes d’une vie riche. Fils d’un commerçant malchanceux, mais conteur habile, frère d’un président de Chambre à la Cour d’appel de Colmar, André Neher fait ses études au collège d’Obernai, au lycée Fustel de Coulanges et à la Faculté des lettres de Strasbourg. Parallèlement il suit l’enseignement des rabbins Armand Bloch, Julien Weil, Jérôme Lévy et Joseph Bloch, parachevé à la yeshivah, à l’école supérieure juive de Montreux. Professeur d’allemand au collège de Sarrebourg en 1936, il se trouve confronté en Corrèze, pendant la guerre, au drame de la Shoah, le terreau d’une réflexion extraordinaire sur le judaïsme. Après avoir soutenu en 1947 une thèse sur Amos, portant donc sur un sujet biblique, son aura est telle qu’il est créé, à son intention, une chaire de littérature juive ancienne et moderne en 1957. En 1959, les plus éminents rabbins d’Alsace lui confèrent le titre de rabbin, sans qu’il ait eu à passer par la filière habituelle. L’année suivante, il obtient pour Strasbourg la licence d’hébreu (NDBA, no28, 1996, p. 2 815‑2 817).

2 Dès lors, il œuvre pour un unique dessein : restituer le peuple juif à la Bible et la Bible à Israël en visant, sans oublier l’exégèse historique et critique, à déboucher sur une lecture théologique du texte. C’est cet aspect que l’on trouve dans le remarquable ouvrage de Raniero Fontana. En intitulant son étude, « le philosophe de l’Alliance »,

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l’auteur dit tout. Neher présente en effet l’Alliance comme un projet divin qui fait entrer les Hébreux, et à travers eux, toute l’humanité dans une histoire dialoguée, dans un face à face incessant (voir le chapitre judéo-allemand et judéo-chrétien, p. 147-171). Et comme tous les juifs ayant vécu l’horreur de l’extermination programmée (voir le passage sur la Shoah, p. 195-217), il cherche à comprendre : « Je suis le porte-parole et le porte-silence de six millions d’hommes ». On ne peut que rendre hommage à Raniero Fontana de rappeler, de manière si pédagogique et si érudite, l’œuvre d’un tel humaniste.

3 Faut-il, pour conclure, rappeler deux faits. À Strasbourg, d’abord, André Neher devient le guide spirituel de Benno Gross, Théodore Dreyfuss, Bernard Picard, Lucien Lazare et inspire les pasteurs André Lacocque et Bernard Keller, donnant consistance aux amitiés judéo-chrétiennes. Par son engagement sans faille ensuite, Neher, contribue beaucoup à une meilleure compréhension du judaïsme, avec le soutien amical de Mgr Léon Arthur Elchinger. On comprendra dès lors que Neher personnifie, en quelque sorte, une des racines identitaires de l’Alsace : le judaïsme.

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LAZARE (Lucien), Le tapissier de Jérusalem. Mémoires Paris, Seuil, 2015, 238 p.

François Igersheim

RÉFÉRENCE

LAZARE (Lucien), Le tapissier de Jérusalem. Mémoires, Paris, Seuil, 2015, 238 p.

1 Évoquer les Mémoires de Lucien Lazare dans la Revue d’Alsace va de soi ; car les lieux, moments, et les personnages évoqués, font partie de l’histoire générale et culturelle de l’Alsace. Né à Strasbourg en 1924, réfugié à Lyon en 1940, éclaireur israélite et résistant, élève du Séminaire rabbinique de Limoges en 1942, puis membre du maquis juif de la Montagne Noire et soldat de la 1re armée dans la Libération de l’Alsace, Lucien Lazare a été de 1953 à 1968, secrétaire général de la communauté israélite de Strasbourg et aumônier – rabbin concordataire – du Centre de la Jeunesse de la Communauté israélite de Strasbourg, soit pendant la période de la reconstruction communautaire de l’après- guerre et celle de l’arrivée massive des juifs sépharades dans la communauté strasbourgeoise. Lucien Lazare fonde le mouvement des Jeunes ménages, le Foyer des É tudiants Juifs avec ses cours et séminaires, établit un programme culturel ambitieux et ouvert. Les aumôneries (Centre Bernanos, Aumônerie U. Protestante, Centre culturel juif) rivalisent de vitalité dans les milieux étudiants et enseignants et entretiennent des liens : Paul Ricœur en témoignera encore lors de la remise du Prix de l’Amitié Judéo- Chrétienne de France en 2003 à Lucien Lazare (http://judaisme.sdv.fr/israel/ lazare.htm). Son témoignage sur ces années, où il a été éditorialiste du Bulletin de nos Communautés (future Tribune Juive) est précieux. En 1968, avec sa famille – ses garçons ont donné le signal – il émigre en Israël, où il assume les fonctions de proviseur – et enseignant – du Lycée René Cassin de Jérusalem. Il relate son expérience de l’enseignement du français en Israël et celui de l’hébreu en France. Lucien Lazare a beaucoup écrit, comme chroniqueur des activités de la communauté juive de Strasbourg, puis comme correspondant des DNA en Israël, jusqu’en 1984.

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2 En 1984, il entame une carrière d’historien à la demande des Anciens de la Résistance Juive en France. Il publie La Résistance Juive en France en 1987, repris dans La Résistance Juive, un combat pour la survie. Parallèlement, il participe à l’entreprise du Dictionnaire des Justes, et rédige la partie française de la monumentale Encyclopedia of the Righteous Among the Nations, dirigée par le professeur Isaac Gutman, dont il publie le volume français en 2003. Gutman répétait : « la thèse selon laquelle le combat armé est l’essentiel est erronée ». Ainsi Lazare souligne l’importance de la notion de « résistance non-violente » et « des opérations de sauvetage des juifs par des juifs et leurs alliés, notamment les Justes » : « Et voici que surgissent dans la société civile, les sauveteurs ! Ils improvisent une riposte inédite […] contre une procédure de guerre non moins inédite : […] l’extermination de populations civiles entières ». Voilà qui n’est sans doute pas sans rapports avec ses prises de positions dans la vie politique israélienne avec ses vifs débats et ses retombées dans les cercles et familles de la communauté juive y compris en Alsace.

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Comptes rendus

Arts et techniques

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Comptes rendus

Arts et techniques

Archéologie

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GOUBET (Francis), JODRY (Florent), MEYER (Nicolas), WEISS (Nicolas), Au « grès » du temps. Collections lapidaires celtes et gallo-romaines du Musée archéologique de Saverne Société d’histoire et d’Archéologie de Saverne et Environs, 2015, 372 p.

Bernadette Schnitzler

RÉFÉRENCE

GOUBET (Francis), JODRY (Florent), MEYER (Nicolas), WEISS (Nicolas), Au « grès » du temps. Collections lapidaires celtes et gallo-romaines du Musée archéologique de Saverne, Société d’histoire et d’Archéologie de Saverne et Environs, 2015, 372 p.

1 Publié avec le concours du Ministère de la Culture et de la Ville de Saverne, cet imposant ouvrage permet enfin au spécialiste, comme à l’amateur d’archéologie et d’histoire, de disposer du catalogue, largement illustré, de l’ensemble de la collection lapidaire gallo-romaine du Musée archéologique de Saverne (F. Goubet et N. Meyer). Progressivement constituée à partir de la création du musée en 1858, cette collection est l’une des plus riches d’Alsace (avec 431 sculptures et éléments d’architecture inventoriés). Elle regroupe en particulier les nombreuses découvertes de sculptures antiques faites sur les sites de hauteur entourant la ville (Herrgott, Kempel, Fallberg, Gross Limmersberg, Wasserwald), avec une remarquable collection de stèles prismatiques ou « stèles maisons ».

2 À partir de 1909, l’attention délaisse un peu ces sites pour se reporter sur Saverne et plusieurs importants chantiers de construction viennent compléter largement la collection initiale. De nombreux monuments funéraires, remployés dans la maçonnerie

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antique, sont mis au jour dans l’enceinte de l’Antiquité tardive. Une nouvelle vague de découvertes est liée, à partir du début des années 1980, à la reprise de l’exploration des sites de hauteur avec les recherches de F. Goubet et J.-J. Ring au Fossé des Pandours, au Fallberg, à la Rothlach et les fouilles de l’Université de Strasbourg à Usspann et au Fossé des Pandours.

3 Après cet historique de la collection, plusieurs textes la mettent en contexte et la replacent dans son environnement historique. N. Meyer étudie aussi les déclinaisons typologiques des monuments et, plus particulièrement, des stèles maisons. Une étude des noms de personnes mentionnés par les inscriptions (onomastique) fait l’objet d’un développement par N. Weiss, ouvrant de nouvelles perspectives sur les origines des individus cités, ainsi que sur leur statut juridique ou social (pérégrin, citoyen romain) et sur l’adoption des pratiques romaines par la population locale. Un chapitre spécifique est consacré aux meules rotatives, qui apparaissent en Alsace au Ier siècle après J.-C., un domaine souvent peu pris en compte par les recherches antérieures et nouvellement défriché par les travaux de F. Jodry.

4 Ces divers chapitres introductifs sont suivis par le catalogue scientifique exhaustif des monuments, classés par site, élaboré grâce aux recherches approfondies et au croisement de nombreuses sources documentaires menées par N. Meyer. Il comprend une notice détaillée par œuvre, avec son historique et sa description précise. Les excellentes photographies réalisées par F. Goubert rendent cette lecture aisée et agréable et contribuent largement à la qualité de l’ouvrage.

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KILL René (et collaborations de Florent FRITSCH et Henri SCHOEN), Le château du Haut-Koenigsbourg et l’eau. Sources, puits et citernes du Moyen Âge à l’époque actuelle Le Verger éditeur et Ligne à Suivre, « Les cahiers du Haut-Koenigsbourg, vol. 2 », 2015, 94 p.

Christian Remy

RÉFÉRENCE

KILL René (et collaborations de Florent FRITSCH et Henri SCHOEN), Le château du Haut- Koenigsbourg et l’eau. Sources, puits et citernes du Moyen Âge à l’époque actuelle, s.l., Le Verger éditeur et Ligne à Suivre, « Les cahiers du Haut-Koenigsbourg, vol. 2 », 2015, 94 p.

1 Cet ouvrage est un peu la rencontre de deux géants : d’abord le Haut-Koenigsbourg, château phare de (feu) la région Alsace – perché à plus de 700 m d’altitude, restauré à l’initiative du Kaiser Guillaume II et sous la direction de l’architecte Bodo Ebhardt, au début du XXe siècle –, qui en est le sujet. Le chantier de restauration a d’ailleurs fait l’objet du premier volume de cette collection centrée sur le monument emblématique des environs de Sélestat (paru en 2014 sous la plume de Bernadette Schnitzler). Ensuite, l’auteur, qui n’est autre que René Kill, le spécialiste de l’eau dans les châteaux alsaciens. Chercheur tenace, il a accumulé les opérations de fouille de citernes dans les châteaux vosgiens d’Alsace, notamment autour de Saverne, observé tous les aménagements liés à la gestion de l’eau, croisé ses résultats avec des données textuelles et iconographiques : de fait, René Kill est aujourd’hui le meilleur connaisseur européen de la question de

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l’eau au château. Il en a d’ailleurs livré une synthèse absolument magistrale, qui gagnerait à être lue ailleurs que dans sa région d’étude car, même si l’Alsace est particulièrement bien dotée en dispositifs liés à l’eau, les questionnements et les réponses produits par ce chercheur doivent nourrir la réflexion sur tout type de site fortifié (L’approvisionnement en eau des châteaux forts de montagne alsaciens, Saverne, publications du CRAMS, 2012, 479 p.).

2 Son dernier ouvrage est donc entièrement consacré au Haut-Koenigsbourg et à toutes les traces liées à la gestion de l’eau dans ce château de montagne, attesté par les sources écrites à partir du début du XIIe siècle. Le propos est découpé en huit chapitres. Disons tout de suite que la structure de l’ouvrage aurait éventuellement pu être organisée autour d’un plan plus ramassé : ainsi, les chapitres 2 et 3 auraient gagné à être fusionnés pour présenter les éléments contextuels ; de même, les 4 et 5 pouvaient être regroupés autour de la question des puits. L’actuel chapitre 7 aurait pu intégrer l’essentiel du 8 et le système d’adduction actuel être rapidement traité en conclusion. Mais cela n’enlève rien à la matière ici proposée au lecteur.

3 Une rapide évocation de la problématique pour les châteaux de montagne [chap. 1] permet à René Kill de poser les quelques axes de réflexion essentiels à connaître pour replacer le dossier du Haut-Koenigsbourg dans un contexte plus large. Il rappelle, par exemple, que le choix d’une implantation pour un édifice castral, au Moyen Âge, n’était que très peu déterminé par la présence ou non de l’eau et il infirme quelque peu l’idée, trop souvent véhiculée, d’une société médiévale ne buvant pas d’eau. Il met ensuite l’accent sur les handicaps qu’offre le site du Haut-Koenigsbourg [chap. 2], où aucune source n’existe dans ou à proximité immédiate du château et où, en 1530 par exemple, dans le procès-verbal d’installation du nouveau bailli, on énumère les fonctions des vingt-et-une personnes composant la garnison, deux d’entre elles étant responsables des ânes pour la corvée d’eau. Dans un chapitre entièrement consacré aux textes disponibles – pour l’essentiel des documents de gestion des XVIe et XVIIe siècles, souvent connus par des analyses anciennes –, René Kill fournit les principales mentions relatives à la question de l’eau au château [chap. 3]. Ce faisant, il revient notamment sur la façon de travailler de l’architecte Bodo Ebhardt, en charge de la restauration de 1900‑1908, et publie certains documents fort intéressants (entre autres p. 26, 28, 55, 59-60, 70 sq). Ces éléments textuels auraient aussi pu être utilisés différemment, pour éclairer les différents dispositifs abordés dans les chapitres qui leur sont consacrés.

4 Avec ses co-auteurs, il développe ensuite trois parties plus nettement centrées sur les questions techniques et archéologiques : il présente le puits ancien [chap. 4], l’un des quatorze attestés dans les quelque cent-vingt châteaux de montagne alsaciens étudiables de nos jours et le plus profond de la région (62,50 m, la coupe no19, p. 32, étant saisissante), et précise que les deux tentatives de creusement d’un nouveau puits, en 1559 puis en 1565‑66, ont toutes deux avorté en raison de perspectives de coûts trop élevées [chap. 5]. Puis, il publie en détail les trois citernes identifiées dans le site [chap. 6] : deux de plein air et « à filtration », la dernière couverte, aménagée à la fin du XVe siècle dans une excroissance du logis ouest et munie d’un astucieux système de trop-plein. Ces trois parties permettent, avec une grande maîtrise et une approche très pédagogique, d’expliquer le fonctionnement d’une citerne dite « à filtration », de préciser les techniques de creusement d’un puits par deux artisans adossés [p. 35-36 et 46-47], ou de préciser un certain nombre de questions liées au volume d’eau disponible ou à sa qualité. Toutefois, l’argumentation développée à la p. 39 pour étayer une

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datation du premier puits (celui de 62,50 m de fond) à partir de l’examen de la partie basse de sa tour circulaire de protection « à parement intérieur en grands blocs lisses d’époque romane » (plus précisément datée du « XIIe siècle ») n’est pas tout à fait convaincante, malgré la production d’un plan phasé [no32, p. 39], et elle aurait peut- être mérité une autre démonstration (avec une vue de ce parement « roman » ou une restitution en trois dimensions du secteur concerné) : faut-il ici comprendre que le flanquement circulaire en appareil sans bossage enrobant ce puits date du XIIe et peut- on s’appuyer sur ce seul élément de chronologie relative pour dater le creusement du puits lui-même ?

5 Le chapitre 7 permet ensuite à l’auteur de présenter l’ensemble des modifications apportées par Bodo Ebhardt aux systèmes d’approvisionnement en eau : si ces interventions du début du XXe siècle sont toujours adossées à une réelle étude du monument, elles s’avèrent souvent approximatives dans la distinction entre les parties originelles et les apports. Ainsi, éclairant ce chantier par de nombreuses observations fort documentées sur les sources d’inspiration de l’architecte, René Kill met en évidence certaines incongruités (ainsi le fréquent marquage apocryphe du millésime 1479, devant rappeler le lancement du chantier de la fin du XVe siècle par les Thierstein, y compris sur des édifices parfois postérieurs à cette date). Enfin, dans un chapitre 8 qui aurait pu être traité avec le chapitre précédent, il fait un sort au captage réalisé en 1900-1901 pour alimenter le réservoir établi au dernier étage du donjon, avant tout motivé par les abondants besoins en eau du chantier de restauration. Ce système devenu caduque avec la mise en route d’une adduction d’eau depuis le réseau de la plaine (1995-1997) a été mis en retraite en 2013 : comme de nombreux autres aménagements techniques du château, ayant perdu toute conformité aux normes actuelles, il est devenu l’une des multiples richesses patrimoniales du lieu. Le panorama des systèmes d’approvisionnement du Haut-Koenigsbourg proposé par René Kill s’achève ainsi, sans bilan ou conclusion, sur une rapide orientation bibliographique.

6 Il s’agit donc d’une étude bien stimulante et sa lecture nous laisse le sentiment d’avoir accédé à une synthèse précieuse : son caractère à la fois concis, avec des documents graphiques souvent bien choisis, et diachronique, car menant le lecteur du Moyen Âge à l’aube du XXIe siècle, est très plaisant. Le propos est mis en valeur par une illustration abondante et au service du texte (près d’une centaine de figures). Ce second opus augure donc d’une belle collection et on espère que d’autres sujets sur le Haut- Koenigsbourg pourront être traités avec autant de verve que cette question de l’eau (une note de la p. 40 annonce une prochaine analyse architecturale du château).

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LOHRUM (Burghard), WERLÉ (Maxime), RAIMBAULT (Jérôme), FRITSCH (Florent), HAEGEL (Olivier), La maison en pan-de-bois Lyon, Lieux Dits, « Clefs du patrimoine d’Alsace, no1 », 2015, 112 p.

Marc Grodwohl

RÉFÉRENCE

LOHRUM (Burghard), WERLÉ (Maxime), RAIMBAULT (Jérôme), FRITSCH (Florent), HAEGEL (Olivier), La maison en pan-de-bois, Lyon, Lieux Dits, « Clefs du patrimoine d’Alsace, no1 », 2015, 112 p.

1 Depuis la décennie 1970, qui a vu la publication de La maison alsacienne à colombage (Maurice Ruch, 1977) et du volume Alsace du Corpus d’architecture rurale (Marie-Noële Denis et Marie-Claude Groshens, 1978), aucun auteur n’avait pris le risque de consacrer à l’habitat en Alsace une vue générale. La parution de ce manuel correspond à un regain d’intérêt pour le sujet, en une période où le rythme des démolitions s’accélère. Ces dernières trahissent une rupture générationnelle consommée, la population contemporaine ayant largué ses dernières attaches avec le passé paysan auquel, bien à tort et pour des raisons idéologiques, était rattachée la construction en bois. L’ouvrage reflète une rupture symétrique au sein du cercle plus restreint des connaisseurs. Quarante ans après les deux livres cités plus haut, il acte une prise de distance d’avec la Volkskunde à l’ancienne selon laquelle les manières de construire et d’habiter exprimaient l’essence des peuples au sein d’entités géographiques déterminées. De cette école sont nés les clichés persistants d’un art de construire des « bons sauvages » évoluant en vase clos, transmettant à travers les figures complexes du colombage un

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vocabulaire de symboles renvoyant à la mythologie germanique (dont l’ouvrage présente une scorie involontaire, les « chaises curules », p. 25).

2 Depuis l’après-guerre les chercheurs allemands ont constitué une discipline, la Hauforschung, protégée de tout relent de la Volkskunde par les barrières étanches d’une méthode ayant pour objet l’étude des techniques. Aussi, nos voisins disposaient-ils d’un temps d’avance sur ce côté-ci du Rhin, en raison de la rigueur de leurs systèmes de description et d’analyse et du recours quasi systématique à la (coûteuse) dendrochronologie pour dater les bâtiments avec certitude. Ce n’est guère qu’à partir des années 1980 que l’on commença à se parler de part et d’autre de la frontière, et que la recherche alsacienne tira progressivement parti des apports allemands. Les bénéfices de la coopération sont aujourd’hui visibles grâce à cet ouvrage, dont un des auteurs est Burghard Lohrum, autorité reconnue en matière d’histoire de la charpente médiévale dans la région du Rhin supérieur. En toute justice, l’ouvrage rend hommage au regretté Maurice Seiller qui sut entretenir avec Burghard Lohrum de fructueux échanges, permettant d’organiser la masse impressionnante des matériaux, en grande partie malheureusement inédits, qu’il a collectés au fil de trois décennies d’explorations et de relevés. Maxime Werlé, archéologue du bâti, apporte la riche expérience de l’étude de bâtiments urbains qui permet enfin une vue panoramique balayant villes et campagnes.

3 Aussi, cet ouvrage est une novation, fondée sur des informations de première main. Son titre est d’une clarté absolue, annonçant la description d’un genre de construction et la diversité de ses formes selon les milieux et les époques et tenant cette promesse. Au chercheur il apporte des informations inédites sur des bâtiments particuliers, et sur des catégories qui étaient jusqu’à présent non évaluées à leur juste importance, comme les ossatures à treillis ou Gitterwerk (p. 28). Pour tout un chacun, il sera un manuel commode permettant d’explorer son environnement avec des outils de compréhension technique et des concepts accessibles, préalables sans lesquels les approches ethnographiques ne sont que verbiage. Il reste à espérer qu’ainsi présentée, la Hausforschung à l’alsacienne saura susciter des vocations, car ce patrimoine en voie d’extinction est orphelin de chercheurs et amateurs en mesure d’approfondir son inventaire et son étude tant que cela est encore possible.

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Comptes rendus

Arts et techniques

Histoire de l'art et des collections

Revue d’Alsace, 143 | 2017 392

BOTT (Gerhard), Graf Friedrich Casimir von Hanau (1623-1685). Der «König vom Schlaraffenland» und seine Kunstschätze Hanau, Städtische Museen Hanau, CoCon-Verlag Hanau und Autoren, 2015, 240 p.

Fanny Kieffer

RÉFÉRENCE

BOTT (Gerhard), Graf Friedrich Casimir von Hanau (1623-1685). Der «König vom Schlaraffenland» und seine Kunstschätze, Hanau, Städtische Museen Hanau, CoCon- Verlag Hanau und Autoren, 2015, 240 p.

1 Cet ouvrage rassemble et présente une riche documentation inédite sur la vie et le collectionnisme du comte Friedrich Casimir de Hanau-Lichtenberg (1623-1685). Né à Bouxwiller, ce dernier règne sur un territoire allant du nord de l’Alsace à l’embouchure de la Kinzig, dans la région de Hanau. Prince cultivé et très actif dans le domaine de la promotion artistique et culturelle des institutions de son État, il a transformé son château à Hanau en « Musenhof », c’est-à-dire une résidence qui accueille un grand nombre d’artistes, de lettrés et de savants, créant ainsi un creuset culturel d’une grande fécondité au service de la magnificence du mécène. Il a également élevé le statut de l’École d’État de Hanau à celui d’université, il a implanté la première manufacture de faïence d’Allemagne et, ce qui intéresse particulièrement Gerhard Bott, l’auteur de l’ouvrage, il a constitué une riche collection de curiosités dont le contenu était lié aux activités de l’université. En effet, grâce à la collaboration de deux lettrés, le courtisan et diplomate Bengt Skytte et le médecin et alchimiste Johann Joachim Becher, il a rassemblé ses merveilles en un « Théâtre de l’art et de la nature » dont la portée didactique a été théorisée par Becher dans un traité intitulé « Methodus Didactica ». Ce

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projet ambitieux devait également être complété à l’origine par la création d’une académie savante, Sophopolis, à portée encyclopédique.

2 C’est à partir de 1664, au cours de voyages, notamment à Nuremberg, que le comte de Hanau commence à acquérir des objets pour constituer sa collection. Grâce à ses relations diplomatiques, en particulier avec l’empereur romain germanique Léopold Ier, il a aussi pu se faire offrir certaines pièces maîtresses de sa collection, comme les tableaux en pierre dures de Cosimo Castrucci, un artiste florentin actif à Prague au service de l’empereur. La collection résulte donc de ses échanges avec les plus grands collectionneurs européens, mais aussi de ses activités coloniales en Amérique du Sud : en plus des tableaux, sculptures, automates, objets orfévrés, textiles précieux, armes, coraux, ivoires et autres instruments de musique, on y trouve toute une série d’exotica. On notera les remarquables objets en ambre aujourd’hui conservés à Kassel, qui sont plutôt rares dans les collections de l’époque et qui sont d’une grande finesse d’exécution.

3 Les résultats de la recherche du professeur Bott ont été mis en valeur dans cet ouvrage qui n’est pas exclusivement à destination d’un public universitaire, comme c’est souvent le cas pour les recherches sur le collectionnisme. En effet, le format du livre, la qualité des illustrations en couleur, la clarté de la présentation générale du contenu en font un livre extrêmement plaisant à consulter pour un public plus large, sans négliger le contenu d’une grande rigueur scientifique. Directeur du Germanischen Nationalmuseum de Nuremberg, l’auteur accorde une place significative au catalogue des œuvres qui constituent cette collection jusqu’alors méconnue, donnant par la même une vue d’ensemble très utile pour en comprendre l’ampleur. En effet, après la mort du comte de Hanau-Lichtenberg, ce dernier n’ayant pas d’héritier direct, ses terres, ses biens et bien entendu sa collection ont été hérités et par conséquent dispersés par ses neveux qui résidaient à Kassel et à Darmstadt. L’auteur rétablit dans cet ouvrage l’unité de la collection et met en lumière le projet savant qui sous-tend sa création. Le résultat est plutôt spectaculaire : à l’aide des documents d’archives publiés en annexe, des notices des œuvres et de la présentation approfondie du collectionneur et de son entourage, on découvre une collection qui n’a rien à envier à celle des plus illustres princes d’Europe et on en comprend tous les enjeux, intellectuels, politiques, diplomatiques et artistiques.

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MUSÉE NATIONAL JEAN-JACQUES HENNER, De la maison d’artiste au musée Préface de Marie-Cécile Forest, Paris, Somogy éditions d’Art, 2016, 160 p.

Gabrielle Claerr Stamm

RÉFÉRENCE

MUSÉE NATIONAL JEAN-JACQUES HENNER, De la maison d’artiste au musée, préface de Marie- Cécile Forest, Paris, Somogy éditions d’Art, 2016, 160 p.

1 Le Musée national Jean-Jacques Henner, sis à Paris, dans la plaine Monceau, au 43 avenue de Villiers, a rouvert ses portes après une nouvelle phase de travaux de 2014 à 2016, qui parachève la première campagne de réhabilitation menée de 2008 à 2009. C’était l’occasion d’offrir enfin à ses visiteurs, non pas un simple catalogue inventoriant des œuvres exposées, mais une invitation à rencontrer l’artiste Jean-Jacques Henner (1829-1905), à découvrir sa vie et son entourage.

2 Jean-Jacques Henner aimait les musées. Pourtant ce n’est pas lui qui a fondé celui qui porte son nom, mais sa nièce par alliance, Marie Henner, entourée d’amis proches, qui a réuni tous les éléments nécessaires à sa constitution : un concept (seulement des œuvres de J.-J. Henner ou des tableaux qu’il avait chez lui, aucune autre œuvre ne pouvant y être admise), un bâtiment (l’hôtel particulier et atelier du peintre Guillaume Dubufe qu’elle a acheté à ses héritiers), une collection (son propre héritage et ses achats) et un public. Marie Henner a fait vivre ce musée pendant deux décennies avant d’en faire don sous d’importantes conditions à l’État.

3 Après un premier chapitre de Claire Bessède consacré à l’installation du musée, Cécile Cayol élargit le propos et nous présente la plaine Monceau en 1880, le « plus artistique des quartiers d’artistes », où l’on croise Meissonnier et Sarah Bernhardt, des industriels alsaciens comme Antoine Herzog, des barons de la finance comme la famille de Camondo et Adolphe de Rothschild… Benoît Giraud nous invite dans « La maison d’un

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peintre », celle de Guillaume Dubufe en l’occurrence, étude complétée par celle d’Emmanuel Bréon, « Quand les ombres reviennent, elles ne savent où aller ».

4 L’histoire du bâtiment étant écrite, Jean-Jacques Henner entre en scène. La deuxième contribution de Claire Bessède, consacrée au « fils de paysan alsacien devenu peintre et académicien », est largement illustrée par ses œuvres et des photos de son atelier 11 place Pigalle. Celle de Rodolphe Rapetti a pour sujet l’artiste, « peintre académique indépendant », tandis qu’Isabelle de Lannoy nous présente ses amis de la villa Médicis, où il séjourna cinq ans, de Paris, mais aussi de l’Alsace, où il a gardé de nombreux contacts. Restait à évoquer, Jean-Jacques Henner, « professeur des dames », sujet du chapitre rédigé par Isabelle Magnan.

5 La publication est complétée par une chronologie de la vie de J.‑J. Henner, le plan de la plaine Monceau au temps des artistes, un index des noms de personnes et une bibliographie. De très belles photos des salles du musée, prises depuis sa dernière rénovation, débutent et terminent l’ouvrage.

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Comptes rendus

Arts et techniques

Histoire des techniques

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CLAERR STAMM (Gabrielle), DUBAIL (André), EHRET (Jürgen), MUNCH (Paul-Bernard), VOGEL (Roland), Voies ferrées du sud de l’Alsace Riedisheim, Société d’Histoire du Sundgau, « Découvrir le Sundgau », 2017, 196 p.

Bertrand Risacher

RÉFÉRENCE

CLAERR STAMM (Gabrielle), DUBAIL (André), EHRET (Jürgen), MUNCH (Paul-Bernard), VOGEL (Roland), Voies ferrées du sud de l’Alsace, Riedisheim, Société d’Histoire du Sundgau, « Découvrir le Sundgau », 2017, 196 p.

1 La collection « Découvrir le Sundgau » éditée par la Société d’histoire du Sundgau a pour vocation de contribuer à une meilleure connaissance de notre histoire locale, de notre culture et de nos racines. Pourtant, il reste encore beaucoup à défricher et l’Histoire de ce coin de terre est loin d’avoir livré tous ses secrets. Ainsi, les auteurs de cet ouvrage collectif consacré aux Voies ferrées du sud de l’Alsace, nous offrent une nouvelle fois des récits inédits, fruit de leurs recherches. Poursuivant leur travail de mémoire et soucieux de rassembler les souvenirs d’un patrimoine aujourd’hui parfois « disparu sans laisser de traces, ou si peu », les auteurs nous livrent l’histoire des sept voies qui desservaient le sud de l’Alsace : Saint-Louis-Huningue-Léopoldshöhe, Altkirch-Ferrette, Dannemarie-Pfetterhouse-Bonfol, Saint-Louis-Waldighoffen, Mulhouse-Thann, Mulhouse-Saint-Louis-Bâle et Mulhouse-Belfort.

2 Cette contribution à l’histoire du chemin de fer dans le Sundgau est très intéressante à plus d’un titre. Les auteurs retracent – dans une étude très documentée, nourrie par le dépouillement de nombreuses archives –, les différentes étapes de l’histoire du rail

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dans le sud de l’Alsace. Dans un premier temps, Gabrielle Claerr Stamm et Paul-Bernard Munch s’intéressent aux débuts du chemin de fer en Alsace et plus précisément aux lignes principales. Gabrielle Claerr Stamm évoque avec un luxe de détails (naissance du projet, travaux, inauguration, matériel roulant, gares) l’histoire de la ligne pionnière Mulhouse-Thann de 1839 jusqu’à l’arrivée du tram-train en 2010. Deux ans après l’ouverture au trafic de la première ligne alsacienne, est inaugurée la voie Strasbourg- Bâle, première ligne internationale, dont l’histoire du tronçon Mulhouse-Saint-Louis- Bâle est évoquée avec minutie par Paul-Bernard Munch. Ce dernier propose au lecteur de découvrir également la ligne Mulhouse-Belfort, un tronçon de la radiale Paris- Belfort-Mulhouse dont le projet, évoqué dès 1832, aboutit en 1857-58 et permit une liaison par voie ferrée entre l’Alsace, la capitale et la Méditerranée.

3 Roland Vogel, André Dubail et Paul-Bernard Munch font revivre le réseau ferré secondaire et notamment les lignes Altkirch-Ferrette, Dannemarie-Pfetterhouse-Bonfol et Saint-Louis-Waldighoffen construites au temps du Reichsland. Les localités de la haute vallée de l’Ill, de la haute vallée de la Largue et du Haut-Sundgau n’allaient pas rester à l’écart d’un moyen de transport alors synonyme de progrès et de bien-être. Industriels, municipalités ainsi qu’une bonne partie de la population appelaient de tous leurs vœux le chemin de fer, cordon ombilical qui les relierait, eux aussi, à l’évolution et aux progrès qui s’accomplissaient à l’entrée de leur vallée et au-delà.

4 L’étude est complétée par des articles concernant les tramways, les chemins de fer militaires allemands de 1914-1918 – Jürgen Ehret offre une information aussi complète que possible, par le texte et l’iconographie, sur les différentes voies stratégiques du Sundgau et de la périphérie mulhousienne –, la voie de service desservant l’usine hydroélectrique de Kembs depuis Huningue et le service de halage électrique sur le canal de Huningue.

5 L’ouvrage est riche de près de 300 illustrations, souvent rares et inédites, provenant de divers fonds d’archives mais aussi de collections privées : photographies, cartes postales, plans des lignes et des stations, croquis et grille horaire. Les auteurs ont aussi eu l’idée – excellente – de mettre en regard des vues d’hier et d’aujourd’hui en tentant de trouver le même cadrage que celui réalisé autrefois afin d’apprécier l’évolution de certains lieux.

6 Enfin, une bibliographie en fin d’ouvrage fait le point sur les études concernant l’histoire du chemin de fer en Alsace en général et dans le Sundgau en particulier.

7 Cet ouvrage, agréable à lire présente donc à la fois de l’intérêt pour un public local et pour tout passionné de l’histoire des chemins de fer.

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Comptes rendus

Autres ouvrages reçus ou signalés

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Autres ouvrages reçus ou signalés

1 25 ans d’Alsace-Lituanie (1991-2016), Strasbourg, Association Alsace-Lituanie, 2016, 35 p.

2 BECK (Jean-Sébastien), Dans la tourmente : les Alsaciens durant la Seconde Guerre mondiale (les années 1939-1941), Strasbourg, Éditions du Belvédère, 2016, 399 p.

3 BEFORT (Paul-André), MOSZBERGER (Maurice), Celles et ceux qui ont fait l’Alsace : 217 portraits de pionniers, Colmar, Jérôme Do Bentzinger Éditeur, 2016, 591 p.

4 BOLLE (Gauthier), Charles-Gustave Stoskopf, architecte, Les Trente Glorieuses et la réinvention des traditions, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, « Art et Société », 356 p. (position de thèse dans Revue d’Alsace, no141, 2015, p. 409-420).

5 GUILLOTEAU (Audrey) et BAUMANN (René), Voué à disparaître, René Baumann, déporté NN, Bernardswiller, ID l’Édition, 2016, 144 p.

6 MENGUS (Nicolas) , Histoires extraordinaires de «Malgré-Nous», Rennes, Éditions Ouest- France, 2016, 317 p.

7 ROHMER (André), Le grand livre des heurs et des merveilles de la collégiale Saint-Thiébaut de Thann, Thann, Société d’histoire « Les Amis de Thann », 2016, 310 p.

8 STREICHER (Jean-Claude), Histoire sociale des Juifs de Soultz-sous-Forêts, Colmar, Jérôme Do Bentzinger Éditeur, 2015, 166 p.

9 STREICHER (Jean-Claude), Joseph Achille Le Bel, Pechelbronn et la chimie 3D, Colmar, Jérôme Do Bentzinger Éditeur, 2015, 250 p.

10 STREICHER (Jean-Claude), Les 16 Alsaciens qui ont dit OUI à Pétain. Résistants ou Collabos ?, Colmar, Jérôme Do Bentzinger Éditeur, 2016, 196 p.

11 WALCH (Achille), 1914, un destin alsacien : mes mémoires ou les aventures variées du fils d’un pauvre homme, Neuilly, Atlande, « Témoignages », 2016, 252 p.

12 WITH (Lauriane), La Lauch en colère, Inondations et préventions des risques, Strasbourg, Société savante d’Alsace, « Recherches et documents, no88 », 2017, 280 p. + cédérom (position de thèse dans Revue d’Alsace, no140, 2014, p. 459‑473).

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In memoriam

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In memoriam, Louis Châtellier (1935-2016)

Francis Rapp

1 Louis Châtellier, professeur à l’université de Nancy vingt-deux années durant, est décédé le 28 juillet 2016 à Luxembourg, où il avait pris sa retraite ; mais les historiens de l’Alsace et tous ceux qui s’intéressent au passé de notre province sont en deuil, eux aussi, car c’est à cet éminent savant qu’ils doivent de pouvoir connaître une grande page de ce passé.

2 C’est le hasard d’une décision prise par le ministère de l’Éducation nationale qui a conduit ce Normand, né à Pont-de-l’Arche le 3 mars 1935, à Strasbourg. Il venait de passer avec succès les épreuves de l’agrégation d’histoire et de géographie quelques mois plus tôt, et, pour la rentrée de 1963, s’apprêtait à prendre son service au Lycée Fustel de Coulanges, au pied de la cathédrale. Cette nomination marquait l’aboutissement de longues études faites en Sorbonne. Elles avaient été orientées d’abord vers le droit et les sciences politiques, et peut-être se tournèrent-elles du côté de Clio au cours d’une maladie pénible. Cette nouvelle passion fut en tout cas heureusement encouragée par des maîtres prestigieux, tels que Ch.-E. Perrin, P. Renouvin, H.-I. Marrou et surtout V.-L. Tapié. L. Châtellier ne consacra que trois ans à l’enseignement secondaire. En 1966, il pria Tapié, qui avait déjà dirigé sa maîtrise, de patronner la thèse qu’il avait résolu de mettre en chantier. Un poste d’assistant de recherche au CNRS lui permit de ne se vouer qu’à ce travail. L’Alsace l’avait séduit. Au lieu de rentrer en Normandie ou de se rapprocher de Tapié, à Paris, il resta chez nous. Il avait trouvé son sujet, le diocèse de Strasbourg aux XVIIe et XVIIIe siècles. Ce diocèse, en effet, présentait des caractères particuliers qu’un historien était tenté d’étudier afin de pouvoir en expliquer la présence. La Contre-Réforme, dont le concile de Trente avait fixé le programme, ne pouvait pas y être mise en œuvre comme dans les autres provinces de la chrétienté. Il fallait d’abord que le Roi Soleil, après avoir acquis l’Alsace en 1648, transformât dans toute la mesure du possible des institutions conformes à celles des autres régions du Saint-Empire et les rendit semblables à celles de son royaume. Il fallait aussi qu’il tint compte des fortes communautés protestantes alsaciennes, de ces protestants qu’il combattait impitoyablement partout où s’exerçait son autorité. Enfin, il fallait accommoder les traditions religieuses locales à l’influence

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de l’esprit gallican. Comment et dans quelle mesure ces objectifs furent-ils atteints ? L. Châtellier se proposa de répondre à cette question. Pour fixer à ses enquêtes un cadre chronologique approprié, il retint, d’une part, 1650, c’est-à-dire l’immédiat après- guerre de Trente Ans, et de l’autre, 1770, lorsque les « Lumières » modifièrent peu à peu le climat intellectuel et spirituel.

3 Le champ de ses recherches délimité, il convenait de repérer toutes les sources susceptibles de contenir des informations utiles, puis de les exploiter méthodiquement. La liste des dépôts d’archives dont L. Châtellier étudia minutieusement les fonds est longue, archives municipales, départementales, nationales même. Les frontières furent franchies, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse fournirent des pièces intéressantes pour le puzzle que le chercheur se proposait de constituer. À elle seule, cette énumération donne une idée du travail énorme que demandait le dépouillement d’une documentation aussi vaste. Notons qu’une large partie n’était accessible qu’à qui maîtrisait bien l’allemand, une qualité que ce Normand avait su se donner.

4 Il va de soi qu’ordonner autant de matériaux afin de pouvoir s’en servir pour élaborer un raisonnement ferme exigeait un effort intense et continu. Or L. Châtellier réussit pleinement à tirer de tout ce qu’il avait amassé patiemment un texte d’une réelle clarté. La lecture des quelque 500 pages de sa thèse est aisée. Aussi n’est-il pas trop difficile d’en exposer très succinctement les principaux enseignements. Je m’inspire pour ce résumé du texte que l’auteur a donné, peu de temps après sa soutenance, dans un substantiel chapitre de l’Histoire du diocèse de Strasbourg.

5 Il apparaît d’abord que l’emprise unificatrice du pouvoir royal remodela profondément les institutions du diocèse et leur fonctionnement, de l’évêque jusqu’au simple curé, en passant par le vicaire général, dont le rôle fut précisé. À partir du début du XVIIIe siècle, l’État desserra quelque peu sa poigne au profit du chef spirituel de l’évêché, un cardinal de Rohan bien vu à Versailles, il est vrai. D’autre part, après des tentatives répétées mais modérément fructueuses pour convertir les protestants, on consentit à tolérer leur présence, mais ils furent obligés de laisser la minorité catholique de leurs villages célébrer la messe dans leurs églises. Ces catholiques se sentaient de plus en plus différents des chrétiens réformés. La vitalité du catholicisme avait été puissamment revigorée, surtout grâce à l’action des Jésuites, excellents prédicateurs et missionnaires méthodiques et convaincants. Utilisant les traditions religieuses anciennes, tout en les orientant dans le sens de la réforme tridentine, ils parvinrent à raffermir l’expression du sentiment religieux, multipliant les confréries, encourageant les pèlerinages. De nombreuses églises furent bâties ou rebâties. Beaucoup d’entre elles furent dotées de beaux retables, et l’art baroque pénétra de cette manière dans de modestes sanctuaires. Guidées par un clergé séculier désormais transformé par un apprentissage sérieux au séminaire, les paroisses rurales devinrent autant de foyers d’une religiosité bien enracinée. Ce catholicisme populaire demeura solide quand les villes commencèrent, après 1770, à s’ouvrir aux Lumières apportées par les librairies, les sociétés de lecture et les premières loges maçonniques. Comme l’annonce le titre de la thèse, publiée en 1981, deux ans après la soutenance, l’alliance féconde de la tradition et du renouveau avait modelé en un peu plus d’un siècle le visage du diocèse de Strasbourg.

6 À peine avait-il obtenu le titre de docteur, L. Châtellier fut nommé à l’université de Lyon ; il n’y resta que peu de temps. En 1981, la chaire d’histoire moderne de l’université de Nancy lui fut attribuée ; il la garda jusqu’à sa retraite en 2003. Tout comme il s’était fait en quelque sorte alsacien, il devint lorrain et consacra

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d’importants travaux à la Lorraine. Pour autant, il ne perdit pas le souvenir de l’Alsace ; en 2007 encore, il contribua brillamment au volume évoquant La grâce d’une cathédrale. Avant cette date, l’histoire du diocèse, déjà mentionnée, l’histoire de Strasbourg et l’histoire d’Alsace avaient accueilli de substantiels chapitres de sa plume. Mais désormais, ses recherches et la présentation de leurs résultats ne se limitaient plus à l’étude de l’Alsace ou de la Lorraine. Il élargissait ses horizons à l’Europe entière et dépassait les limites de l’histoire religieuse pour pénétrer dans le domaine des sciences. À cet égard, citons le titre évocateur d’un de ses derniers ouvrages : Les espaces infinis et le silence de Dieu, un itinéraire des sciences exactes. Au total, nous devons à cet historien, dévoré par la passion de chercher, que doublait celle de communiquer, neuf livres et plusieurs dizaines d’articles. Entre 1986 et 2009, il prit part activement à neuf colloques ; certains d’entre eux s’étaient tenus à son initiative. Bon nombre de ses publications furent traduites en italien, en espagnol, en portugais et en anglais. Il en écrivit lui-même quelques-unes en allemand. Il va sans dire qu’il n’avait pas seulement une excellente réputation parmi les historiens français ; partout ses travaux étaient hautement appréciés. Directeur d’études à l’École pratique des Hautes Études, il était senior de l’Institut Universitaire de France, membre de l’Academia di San Carlo Borromeo de Milan, et bien entendu de l’Académie Stanislas à Nancy.

7 Quiconque a servi Clio de son mieux et sait ce que cela coûte de peine demeure stupéfait lorsqu’il tente de prendre la mesure de l’œuvre accomplie par L. Châtellier. Que de travail elle a demandé – un travail qui ne s’arrêtait pas sur le seuil de son foyer. Madame Châtellier, historienne, informaticienne et cartographe, a porté sa part de la charge commune. Dans les relations avec un homme dont la masse de sa besogne aurait pu gâter l’humeur, point d’aigreur, point de hauteur non plus. Ses proches et ses collègues disent de lui qu’il était doux et humble. Je souscris pleinement à ce jugement. C’est d’un ami, d’un grand ami que le décès de L. Châtellier m’a privé.

AUTEUR

FRANCIS RAPP Professeur émérite d’histoire du Moyen Âge de l’Université de Strasbourg, membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres

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La Féderation des sociétés d'histoire et d'archéologie d'Alsace

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Chez nos voisins d’Outre-Rhin

Olivier Richard

Le tome 165 – 2017 de la Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins

Walter Berschin und Reichenauer Buchmalerei im X. und XI. Jahrhundert. Ein Additamentum Ulrich Kuder und zwei Disputanda

Karl-Heinz Spieß und Das älteste Urbar der Pfalzgrafschaft bei Rhein von 1337/1338. Analyse und Benjamin Müsegades Edition

Bücherstiftung, Bücherverteilung. Der Deutsche Orden und die Anfänge der Tobias Daniels Überlinger Pfarrbibliothek vom 14. zum 15. Jahrhundert

Kurt Weissen Ein Florentiner im Jahre 1423 auf Suchexpedition in Süddeutschland

Der Besuch Maximilians I. 1494 in Speyer – König und regionale Kräfte in Gerhard Fouquet einem sich verdichtenden Reich

Götz von Berlichingen und Franz von Sickingen. Zeitgenossen – Kurt Andermann Altersgenossen – Standesgenossen

Die Pest in Durlach. Bekämpfung und Auswirkungen von Epidemien in Patrick Sturm einer frühneuzeitlichen Residenzstadt

Vertrag über das Wohnrecht in der Stadt Kreuznach und den Volker Zimmermann Medizinhandel in der Grafschaft Sponheim mit dem Juden Mayer Leui von 1525. Ein Beitrag zur Geschichte der jüdischen Medizin des Spätmittelalters

Liliane Châtelet- Bilder im Hausrat. Aus Straßburger Nachlassinventaren. 1498 bis 1626 Lange

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Individuum und Dynastie. Das Epitaph für Markgraf Ludwig Wilhelm von Sophie Rüth Baden-Baden

Die Rastatter Kongresspolizei 1797–1799. Anmerkungen zu Status und Jort Blazejewski Funktion einer außerordentlichen Polizeikommission im Spannungsfeld von europäischer Diplomatie und lokaler Praxis

Sprachenfrage und vaterländische Erziehung im Reichsland am Beispiel des Eric Ettwiller elsässischen Mädchenschulwesens

Der Fall Brüsewitz. Wie ein Mord in Karlsruhe 1896 das Kaiserreich Bernd Braun erschütterte

Thorsten Huthwelker Ein Hängeplan der Karoline Luise von Baden

Folker Reichert Max Webers Grab in Heidelberg

„Ihr Führer Hitler ist ja auch Österreicher!“ Zum Streit über die René Gilbert Einbürgerung des Jakob Brand im Karlsruher Stadtrat

Ehud Loeb, „Ein geborgter „Schatten“. Eine Erzählung über Erinnerung, Günther Mohr eine Quelle für die lange Geschichte der Shoa

Miszellen

Ein goldenes Zeitalter für Priester als Parlamentarier? Der Fall Elsass- Claude Muller Lothringen (1871–1918)

Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins, 164 Jahrgang, 2016

Le 164e volume de la Zeitschrift für die Geschichte des Oberrheins présente comme d’habitude un attrait particulier pour les lectrices et lecteurs intéressés par l’Alsace, avec plusieurs contributions centrées sur la rive gauche du Rhin supérieur. L’historienne de l’art Ulrike KALBAUM consacre la sienne à l’étude des scènes de chasse de l’époque romane dans les églises de la région (Venatio christianorum conversio est peccatorum – Ein Beitrag zum Verständnis romanischer Jagddarstellung an oberrheinischen Kirchen, p. 21-59). Les cas qu’elle analyse proviennent de Sainte- Richarde à Andlau, Saint-Laurent à Dorlisheim, Sainte-Foy à Sélestat, Saint-Léger à Murbach, ainsi que de la cathédrale de Bâle et de Saint-Martin à Nöttingen (commune de Remchingen, entre Karlsruhe et Pforzheim). Après une description des scènes et la présentation des interprétations qui en ont été faites, notamment par Robert Will, Jean-Philippe Meyer et Suzanne Braun, U.K. replace ces œuvres dans le contexte plus large de l’iconographie cynégétique, des sarcophages de l’Antiquité tardive aux enluminures, et dans celui, textuel, de la théologie ou de l’hagiographie. Aussi bien les chasseurs et leurs chiens que les animaux chassés (cerf, lièvre) peuvent être interprétés comme figures négatives (chasseurs démoniaques poursuivant les âmes des humains ; animaux représentant les péchés) ou au contraire chargées positivement (chasseurs

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assimilés aux apôtres partant à la chasse des âmes pour le Christ, voire au Christ lui- même ; cerf chassé représentant le Christ). Pour dépasser le simple constat de cette variété, U.K. propose quatre types d’interprétations : littéraire – les scènes représentant la chasse comme activité aristocratique, condamnée par l’Église –, allégorique – dans la perspective de l’histoire du Salut –, morale – la chasse comme recherche infatigable de la justice, de la foi ou de l’amour –, ou anagogique – dans la perspective de la signification mystique, tendue vers l’Au-delà, où le chassé peut, s’il est pieux, atteindre le Paradis. Pour finir, chacune des scènes répertoriées au début de l’article est analysée selon ces quatre grilles de lecture. Le cœur de ce numéro de la ZGO est un petit dossier qui, s’il n’est pas identifié comme tel, présente tout de même trois articles sur un même sujet, celui des relations des juifs du Rhin supérieur avec les différentes autorités politiques au tournant du Moyen Âge et de l’époque moderne. Rolf KIESSLING examine la naissance des communautés juives rurales dans le Sud-Ouest de l’Allemagne au XVIe siècle (p. 153‑171) : souvent expulsés des villes, notamment des villes d’Empire alsaciennes, les juifs cherchent à reconstruire leur vie en milieu rural. Pourquoi ces communautés manquent-elles tant de stabilité ? En fait, les juifs se retrouvent pris dans les luttes et concurrences entre l’empereur, protecteur des juifs (qui sont les servi cameræ imperialis), les princes territoriaux et les pouvoirs locaux, autorités urbaines ou petits seigneurs. Les communautés juives font souvent appel à l’empereur, directement ou via le tribunal aulique de Rottweil, voire la Chambre de justice impériale (Reichskammergericht). Mais les princes, soucieux de bâtir des États territoriaux où leur pouvoir souffrirait le moins d’ingérence extérieure possible, promulguent des ordonnances régissant la vie des juifs (Judenordnungen), et les autorités locales établissent également leurs propres règles. Finalement, les traditions et la virulence plus ou moins grande du rejet des juifs par les détenteurs de pouvoir conduisirent à une « géographie juive » particulière, avec ses centres propres – le rabbinat de Worms, notamment – et caractérisée par l’atomisation et par l’instabilité. L’historien de Trèves Gerd MENTGEN, le plus grand spécialiste du judaïsme en Alsace au Moyen Âge, propose la version écrite d’une conférence prononcée à l’occasion de l’exposition qui eut lieu à Karlsruhe en 2015 sur Josel de Rosheim, infatigable défenseur des juifs de l’Empire dans la première moitié du XVIe siècle (p. 173-204). En fait, il s’agit moins d’une petite biographie que d’un panorama sur l’apparition des juifs dans la région du Rhin supérieur au Moyen Âge et sur la situation des juifs d’Alsace autour de 1500. Des juifs apparaissent d’abord dans les cités-cathédrales, puis, dans la première moitié du XIVe siècle, les villes alsaciennes sans présence juive paraissent être une minorité. Sans doute l’essor du vignoble alsacien fut-il un facteur d’attraction, car il nécessitait des fonds et donc du crédit. Cependant, les juifs sont alors loin d’être tous prêteurs d’argent, certains étant attestés au XVe ou XVIe siècle comme fabricants de cartes à jouer, ingénieurs hydrauliques ou encore médecins. L’histoire des juifs du tournant de l’ère moderne dans le Rhin supérieur est cependant surtout marquée par les pogromes et les expulsions. G.M. rappelle ainsi les exécutions de trois oncles de Josel à Endingen en 1470, les exactions commises par les mercenaires suisses en Alsace en 1477, ou les pogromes au moment de la Guerre des Paysans de 1525, contre lesquels Josel de Rosheim s’attacha à protéger ses coreligionnaires. Friedrich BATTENBERG clôt ce dossier en faisant le point sur la politique menée par Maximilien Ier (1493-1519) envers les juifs (p. 205-221). En effet, cet empereur est souvent accusé d’avoir mené une politique particulièrement funeste à l’encontre des juifs, qu’il était pourtant chargé de protéger. F.B., sans nier les graves difficultés que subirent les juifs à cette époque,

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nuance ce jugement. Selon lui, Maximilien voulait d’abord et avant tout renforcer les positions de la maison d’Autriche, ainsi que la dignité de l’Empire ; dans ces conditions, les juifs étaient ballottés au gré de l’évolution politique. Par ailleurs, le climat très hostile aux juifs dans l’Empire influença forcément les décisions de Maximilien dans un sens qui leur fut défavorable. Pour autant, Maximilien ne perdit jamais des yeux que les juifs bénéficiaient d’un statut juridique, qui leur garantissait des droits. En revanche, il ne parvint pas à créer une structure centrale réunissant les communautés juives de l’Empire. Ce dossier fournit ainsi une excellente entrée en matière sur le thème des juifs dans le Rhin supérieur à l’orée de l’époque moderne. Ingrid MAIER et Winfried SCHUMACHER signent un article étonnant sur le parcours de l’acrobate et marionnettiste Simon Dannenfels, originaire de Strasbourg, dans l’Europe de la guerre de Trente Ans (p. 245-256). La découverte surprenante dans des archives moscovites d’une affiche et d’autres documents, en allemand, concernant la troupe d’acrobates de Dannenfels, est à l’origine de cette recherche d’une grande minutie. Dannenfels, né à Strasbourg en 1594 d’un couple de bourgeois (son père était un tailleur originaire de Zweibrücken), apparaît dans les registres de délibérations du Conseil de la ville en 1518, lorsqu’il sollicite le droit d’y donner des représentations de danse de corde. Il parcourt ensuite l’Europe, avec sa femme et ses enfants, parfois d’autres associés, au gré des autorisations de monter ses spectacles, et les auteurs de l’article suivent sa trace à Cologne, Brixen et Innsbruck, Göteborg, Stockholm ou Riga. Cette vie nomade est largement déterminée par les interdictions de se produire, voire de séjourner dans les lieux où la troupe arrivait : Strasbourg même refuse quatre fois de le laisser montrer ses talents, parfois explicitement à cause de l’insécurité due à la guerre, et même une fois de loger chez un bourgeois, et il est expulsé de Russie en 1644 après quatre semaines d’attente sans une seule représentation. On ne trouve plus de signes de vie de lui après cette date. Enfin Bernard VOGLER, professeur émérite d’histoire d’Alsace à l’université de Strasbourg, fournit le texte d’une conférence prononcée à Kehl lors du colloque annuel de la Kommission für geschichtliche Landeskunde en Bade-Wurttemberg, sur « Strasbourg et Kehl dans la Première Guerre mondiale » (p. 497‑505), en fait très majoritairement centrée sur Strasbourg, et largement consacrée à l’approvisionnement en produits alimentaires ou de consommation courante. Les procès-verbaux des séances du Conseil municipal, sur lesquels B.V. s’appuie, fournissent une vue précise – bien que biaisée – de la situation. On voit ainsi que Strasbourg fonda plusieurs « sociétés de guerre » consacrées à l’approvisionnement de ses habitants – par exemple pour le lait, les légumes, ou l’habillement –, que la ville favorisait la mise en place de jardins privatifs, organisait des soupes populaires nommées « cuisines de guerre ». Deux pages à la fin de l’article abordent des thèmes variés, de la censure à la crise économique ou au maire (nommé) de Strasbourg Rudolf Schwander. Parmi la grosse centaine de pages de recensions que comporte cette livraison de la ZGO, plusieurs touchent à l’Alsace. Il va sans dire que les autres contributions (voir la table des matières sur http://alsace.revues.org/2557#tocto1n1), même si on les laisse de côté ici, ne manquent pas d’intérêt.

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Rapport d’activité de la commission d’histoire transfrontalière

Gabriel Braeuner

Cela fait déjà cinq ans que le Réseau des sociétés d’histoire du Rhin supérieur, le Netzwerk Geschichtsvereine am Oberhein existe. Il a été porté sur les fonts baptismaux, à Lucelle le 12 juin 2012 dans l’ancien monastère cistercien. Cinq ans après ce pittoresque baptême, où en sommes-nous ? Ouvert à toutes les sociétés d’histoire de la région du Rhin supérieur, le réseau était censé développer les contacts transfrontaliers entre les uns et les autres à travers une structure souple et partager une information régulièrement actualisée. Est-il devenu ce lien incontournable du dialogue transfrontalier pour l’histoire régionale ou, au contraire, est-il venu grossir le rang de l’organigramme transfrontalier déjà abondamment fourni ? Nous dirons qu’il a trouvé son rythme de croisière. Il fonctionne correctement, oscille entre le souhaitable et le possible, alterne un colloque bien fréquenté tous les deux ans avec une assemblée plénière qui l’est un peu moins dans l’intervalle, publie une lettre électronique trois fois par an que nos amis allemands du musée de Lörrach qui la rédigent s’évertuent à appeler en bon allemand Newsletter et que le bulletin de liaison trimestriel de notre Fédération relaie utilement dans une (encore) nécessaire version papier. Le pragmatisme et la flexibilité sont les atouts majeurs du réseau. Il sait s’adapter aux disparités de part et d’autre du Rhin, à l’hyper organisation fédérale d’un côté où les sociétés d’histoire parlent d’une voix unique et à l’inattendu désordre organisationnel de l’autre côté du Rhin où les sociétés d’histoire, valeureuses certes, mais moins nombreuses que chez nous, coopèrent chichement. Nous rougissons de plaisir quand nos amis allemands et suisses envient le système centralisateur fédéral, ce beau paradoxe que nous cultivons avec gourmandise et qui fait le charme et l’efficacité de notre belle Fédération. Pour le reste, le réseau exprime une lucidité sans illusion. Il sait bien que le sentiment d’appartenance au Rhin supérieur, pour généreux qu’il soit, se heurte toujours et encore à quelques disparités juridiques et administratives, sinon culturelles et politiques dont, entre autres, l’obstacle de la langue. On a beau en faire une incantation,

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vouloir apprendre la langue du voisin, et pire, compte tenu de l’âge des participants, se piquer de la connaître, la réalité est désespérante : on se précipite sur les écouteurs et les traductions simultanées quand on organise un colloque transfrontalier. Les revues d’histoire ignorent dans leur écrasante majorité la langue du voisin. Quant aux sociétés d’histoire locale, reconnaissons, qu’à de rares exceptions près, la préoccupation transfrontalière reste secondaire quand elle n’est pas inexistante. On garde le regard rivé sur l’horizon de son territoire, qu’il soit urbain ou rural. On dépasse rarement le ban communal et si l’intercommunalité est administrativement de mise, on se gardera cependant de franchir le Rhin. Autre monde, autres mœurs ? On a assez à faire avec l’histoire de sa petite Heimet, sa petite patrie. Il n’est pas certain que le réseau répondait pour la majorité des sociétés d’histoire à une véritable attente. Elles étaient, et sont toujours, apparemment heureuses dans le cadre étroit de leur périmètre… Il n’empêche, la troisième assemblée plénière du Réseau des sociétés d’histoire du Rhin supérieur s’est tenue, le 18 juin 2016 à Spire dans le Palatinat. Une quarantaine de participants, dont très peu d’Alsaciens, avaient été accueillis par le Historischer Verein der Plalz, dans la superbe salle du Conseil de l’ancien hôtel de ville. Au cours de la séance, on procéda au renouvellement du comité du réseau trinational élu pour deux ans. Furent élus : • Pour la France : Gabriel Braeuner et Francis Lichtlé ; • Pour l’Allemagne : Johanna Regnath et Werner Transier ; • Pour la Suisse : Dominique Wunderlin et André Salvisberg. La remarquable conférence du professeur Pierre Monnet, de l’Institut franco-allemand des sciences historiques et sociales de l’Université de Francfort-sur-le-Main : « Charlemagne 814-2015 entre histoire et mémoire » passionna un auditoire attentif, tout comme l’annonce par Robert Labhard du vaste et ambitieux projet d’une histoire de Bâle en dix volumes. Nous travaillons actuellement à l’organisation du prochain colloque d’histoire transfrontalière qui aura lieu le samedi 14 octobre 2017 à Offenburg. Nous serons les hôtes du Historischer Verein für Mittelbaden probablement plus nombreux qu’à Spire et assurément moins nombreux, nous en sommes convaincus, qu’au colloque de Sélestat, dans la nouvelle bibliothèque humaniste, à l’automne 2019. Ainsi va la coopération transfrontalière au sein de notre réseau. Cela fait quelques années que cela dure, et il y a des projets pour quelques années encore. Nous apportons notre petite pierre à l’édifice de la coopération culturelle transfrontalière. Utiles et nécessaires à défaut d’être déterminants, bref à notre place, parmi toutes les initiatives transfrontalières qui s’évertuent à démontrer, jour après jour que le Rhin est autant porte que pont, Tür und Brücke. Et même mur parfois…

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La collection Alsace-Histoire est née il y a dix ans

Paul Greissler

En 2007, sous la direction de Jean-Michel Boehler, une commission créée au sein de la Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, s’est donné pour tâche de publier des guides pratiques à destination des chercheurs, des étudiants mais aussi des amateurs d’histoire ou de simples curieux, en quelque sorte de faire un grand écart entre l’outil de travail et l’ouvrage de vulgarisation. Il s’agit d’un véritable travail d’équipe : l’auteur présente son tapuscrit à une commission qui procède à la lecture, propose des corrections, des modifications, demande des précisions. Un dialogue, parfois un peu houleux, le plus souvent très constructif, s’engage, pour aboutir, après quelques mois, à une mise en page, revue encore une fois en comité restreint, puis à la publication. Le travail du graphiste, en collaboration avec l’auteur, revêt une grande importance : la présentation doit être agréable, les illustrations bien mises en valeur. Le dernier travail est la rédaction d’un index, outil indispensable pour la recherche. Le premier opus de la collection, présenté par Grégory Oswald, est sorti en 2008. Il a pour titre : Guide de l’histoire locale en Alsace. Comment écrire l’histoire d’une localité alsacienne ? C’est le point de départ d’une collection qui touche à tous les secteurs de la recherche historique, le calendrier, les poids et mesures, la monnaie, les objets religieux, la guerre, les emblèmes de métiers…

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Le 28 juin 2017, dans le cadre des Archives départementales du Bas-Rhin, a été présenté le 10e ouvrage de la collection, rédigé par Daniel Keller, Le sceau, empreinte de l’Histoire. Sigillographes et sigillographie en Alsace. Très documenté, richement illustré, il répond entièrement aux critères de la collection. Une première partie, plus technique, est une introduction à la discipline : qu’est qu’un sceau, comment est-il fabriqué, à quoi sert-il ? Dans un second temps, l’auteur montre comment le sceau est un témoin privilégié de l’histoire d’Alsace, comment il permet d’évoquer les grands et les petits moments de l’histoire de notre province. Il y a, enfin, un répertoire des ressources (Archives, bibliothèques, musées) qui permet de localiser les collections et de susciter, on l’espère, des vocations de chercheur. Parmi les projets, il y a le tome 2 du travail de Christine Muller consacré aux emblèmes de métiers et un ouvrage sur attributs des saints en Alsace.

Ouvrages parus dans la même collection

1. Grégory Oswald, Guide de l’histoire locale en Alsace. Comment écrire l’histoire d’une localité alsacienne ? publié en 2008 2. Grégory Oswald, Des outils pour l’histoire de l’Alsace, publié en 2009 3. Jean-Paul Bailliard, La mesure du temps et la pratique du calendrier en Alsace. Hier et aujourd’hui, publié en 2009 4. Jean-Michel Boehler, Poids et mesures dans l’Alsace d’autrefois, publié en 2010 5. Paul Greissler, Les systèmes monétaires d’Alsace depuis le Moyen Âge jusqu’en 1870, publié en 2011 6. Benoît Jordan, Le mobilier et les objets dans les édifices religieux chrétiens d’Alsace, publié en 2012 7. Norbert Lombard, L’art de la guerre. Le mobilier et les objets dans les édifices religieux chrétiens d’Alsace. Comment aborder l’histoire militaire de l’Alsace du Moyen Âge à la guerre de 1870, publié en 2013 8. Jean Daltroff, Édifices, mobilier et objets dans l’espace juif alsacien, publié en 2014 9. Christine Muller, Emblèmes de métiers en Alsace. Volume 1 : de « Agriculteur » à « Maréchal-ferrant », publié en 2016 10. Daniel Keller, Le sceau, empreinte de l’Histoire. Sigillographes et sigillographie en Alsace, publié en 2017

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Dictionnaire Historique des Institutions de l’Alsace Fascicules I et J

Les lettres I et J du Dictionnaire Historique des Institutions de l’Alsace doivent paraître cet automne, en un ou deux fascicules. Les lettres I et J éclairent l’histoire de l’Alsace par ses institutions. On y évoque les passions des iconoclastes de la Réforme et de la Révolution, mais aussi la fécondité de ses artistes, faiseurs d’images et de gravures. On y parcourt la rivière Ill, ses moulins et ports, bateliers et pêcheurs. On y décrit l’éclat de sa vie intellectuelle moderne que diffusent ses imprimeurs, mais aussi le rayonnement de ses ingénieurs et administrateurs, intendants et directeurs des ponts et chaussées, installés par ses Rois de France. L’habileté de ses élus de la Révolution et de l’Empire maîtres techniciens de la fiscalité, édifie pour un siècle, jusqu’en 1900, en Alsace aussi, le système des quatre vieilles, faisant ultérieurement de cette région un laboratoire du droit comparé des finances publiques (Impôts). On y déploie en deux décennies la révolution industrielle de la mécanique et de la chimie (Industrie). On trouvera la description des administrations judiciaires, de leurs hiérarchies et de leur fonctionnement dans la lettre J qui regroupe les notices « justice ». On insiste assez sur l’importance qu’ont joué les Jésuites dans la contre-réforme en Alsace, au service des Habsbourg puis au service du Roi de France ; la notice qui leur est consacrée en éclaire les aspects. La recherche sur l’histoire des Juifs du Saint-Empire et de l’Alsace a été active et a fait des progrès importants ces dernières années ; la notice Jude, Juif, Allgemeine Judscheit, Landjudenschaft, Nation juive en rend compte. La vie quotidienne et ses coutumes n’en sont pas absents : la notice Injures évoque le riche vocabulaire d’une région aux hommes sanguins et aux femmes éloquentes en Fraubasengespräche. Et la notice Jeux, l’intérêt que ses historiens – pas seulement nostalgiques – ont accordé aux jeux des enfants et des grands. Le DHIA, projet commun de l’Équipe d’Accueil ARCHE de la Faculté des Sciences historiques de l’Université, de l’Institut d’histoire de l’Alsace et de la Fédération des Sociétés d’histoire et d’archéologie, a été lancé il y a dix ans. Ce projet doit à présent trouver son second souffle pour parvenir à son terme et réussir sa mise en ligne comme

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entreprise de recherche et de diffusion historiographiques, en y associant les partenaires et… les auteurs, anciens et nouveaux.

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Les publications des sociétés d'histoire

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Publications des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace (année 2016)

Bas-Rhin

Association Alsace mémoire du mouvement social - Almémos

Bulletin n°21 - Décembre 2016

1 Panorama : Jean-Pierre HIRSCH, Histoire des 1er mai à Strasbourg de 1980 à 1914 (p. 2) ; Notes de lectures : Monique MONBERT, Pierre BOULAY, Destins de l’eugénisme (p. 3), Quand la gauche se réinventait (p. 6), Voyages en terres d’espoir (p. 7) ; L’Alsace et le Maitron (p. 8) ; Notices : Léon STRAUSS, Alphonse Adam (p. 10), Pierre BOULAY, Léon STRAUSS, Frédéric Treger (p. 11).

2 Contact : 18, rue de l’Observatoire, 67000 Strasbourg. [email protected]

Société d’Histoire de l’Alsace Bossue

Annuaire no73 - 2016

3 F. MATTY, Poésie : Alsace Bossue, krummes Elseß ! L. LICHTY, Altwiller - Neuweyerhof : souvenirs d’une institutrice ; R. BRODT, Diedendorf : Vieilles maisons paysannes ; M. BIEBER, Puberg : Chronique scolaire (1905-1907) ; DECKER / MUNSCH, Rauwiller : Crop circle, étrange phénomène.

Annuaire no74 - 2016

4 I. OURY, Poésie : Unseri Oma (p. 2) ; L. LICHTY, Diedendorf : le pasteur Samuel de Perroudet (p. 5) ; A. KIEFER, J. M. LANG, Oermingen : Peter Bauer, ivrogne invétéré (p. 15) ; J. C. SCHMITT, Herbitzheim : l’ancien pont de la Sarre (p. 18) ; J.‑P. BLAES, Rauwiller : la

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libération 20 novembre 1944 (p. 31) ; E. CONSTANS, Domfessel : aidons à sauver l’église Saint-Gall (p. 41) ; L. ENSMINGER, Ratzwiller : souvenirs de la guerre de 1870 (p. 46).

5 Contact : 13 rue de Siewiller, 67320 Drulingen.

Société d’histoire et d’archéologie de Brumath et Environs

Annuaire no44 - Décembre 2016

6 Bernadette SCHNITZLER, Éditorial (p. 3) ; Archéologie : Mathias HIGELIN, Un strigile en bronze découvert dans les bains publics romains de la rue du Général Rampont à Brumath (p. 4) ; Louis GANTER, Jean-Claude GOEPP, Une urne cinéraire et des fours de potier découverts dans les rues de Remiremont (p. 7) ; Dossier : Jean-Claude GOEPP, La circulation dans et autour de Brumath/Brocomagus dans l’Antiquité (p. 11) ; Histoire locale : Charles MULLER, Un 14 juillet à Brumath en 1946 (p. 40) ; Julien NOGUES, La commanderie du Saint-Esprit de Stephansfeld de 1216 à 1774 (p. 41) ; Jean-Philippe NICOLLE, Krautwiller, chronique d’une tourbière oubliée (p. 46) ; Charles MULLER, Le foyer Millerand et Mademoiselle Korn (p. 54) ; Marc MATHERN, La chapelle de Hochstett, d’ Hechstetter Kàpall (p. 64) ; Patrimoine : Jean-Philippe SCHMITT, Mesures de protection des champs tumulaires Weitbruch Brumath (p. 72) ; Jean-Jacques KIENTZ, Louis GANTER, François RITTER, Le quartier sud-ouest de Brumath à travers quelques rues (p. 75) ; Louis GANTER, Des revenants où nous ne les attendions pas ! (p. 78) ; Célébrité brumathoise : Catherine MINCK, Le brumathois Jean-Jacques Coulmann, un ami de la reine Hortense et de Benjamin Constant de Rebecque (p. 79) ; Le musée s’enrichit : Louis GANTER, Une découverte intéressante au lieu-dit Auf der Mauer à Brumath (p. 86) ; Objet du musée : Florent JODRY, Les meules antiques de Brumath (p. 88).

7 Contact : 7a, rue de l’Angle - 67170 Brumath. brumath.shabe.free.fr

Société d’histoire de Dambach, Barr, Obernai

Annuaire no50 - 2016

8 Un demi-siècle de mutations démographiques, économiques et culturelles dans les communes du Piémont des Vosges (1962-2016) (p. 13) ; Cinquante ans de protection du patrimoine (1966-2016) dans les communes du Piémont des Vosges (p. 89) ; Jean-Michel RUDRAUF, Cinquante ans de travaux de conservation et de fouilles archéologiques dans les châteaux de la région de Dambach-Barr-Obernai (p. 141) ; Index alphabétique par auteurs, lieux et thèmes (annuaires 1967-2015) (p. 181) ; Activités de la Société : conférences (1967-2016), sorties (1967-2016) (p. 223) ; Jean-Marie GYSS, Compte rendu des conférences de la Société (2015-2016) (p. 239).

9 Contact : Hôtel de Ville, Barr - BP 21 - 67141 Barr Cedex.

L’ESSOR - ACCS

Bulletin no249 - mars 2016 - 87e année - Le travail au haut-fourneau

10 Léone CHIPON, Tragédie à Moyenmoutier ; Albert REMY, Le journal de la guerre 14/18 - 9e partie ; Francette KOMMER, Rudy Mach, déporté Luxembourgeois ; Courrier des

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lecteurs ; Jean-Marie PIERREL, Les commerces de Schirmeck ; Marie‑Thérèse FISCHER, Un aspect souvent oublié de notre vallée ; Théo TRAUTMANN, Faune et flore ; Pierre HUTT, La gazette.

Bulletin no250 - juin 2016 - 87e année

11 Marie-Thérèse FISCHER, Pourquoi Fritz De Dietrich a vendu ; Jean-Marie PIERREL, Les commerces de Schirmeck ; François LE NORMAND, Voyages de l’abbé Grégoire ; Albert REMY, Journal de la guerre 14/18 - 10e partie ; Divers : Pierre HUTT, Gazette.

Bulletin no251 - septembre 2016 - 87e année

12 Léone CHIPON, L’église Saint-Maurice (p. 2) ; François LE NORMAND, Les voyages de l’abbé Grégoire (p. 8) ; Jean-Marie PIERREL, Les commerces de Schirmeck (p. 11) ; Albert REMY, Le journal de la guerre 14/18 - 11e partie (p. 16) ; Théo TRAUTMANN, Faune et flore (p. 21) ; Pierre HUTT, La gazette (p. 23).

Bulletin no252 - décembre 2016 - 87e année

13 Roger GODIE, Au rendez-vous du IIIe Reich (p. 2) ; Jean-Marie PIERREL, Les commerces de Schirmeck (p. 11) ; Francis TISLER, La page de patois (p. 16) ; Albert REMY, Le journal de la guerre 14/18 - 12e partie (p. 18) ; Théo TRAUTMANN, Faune et flore (p. 22).

14 Contact : ESSOR - ACCS - 67 rue de l’Église - BP 50032 - 67131 Schirmeck.

Cercle généalogique d’Alsace

Bulletin no194 - juin 2016

15 I - Sources et recherches : Michel RUHIER, Les Alsaciens émigrés en Guyane ; Avis de recherche : les Alsaciens émigrés en Guyane ; Christian WOLFF, Notes généalogiques tirées du notariat de Strasbourg et quelques autres sources du XVIe siècle (2e série, IV, von Durningen-Erb) ; Bruno NICOLAS, Véronique MULLER, Alsaciens condamnés au bagne de Toulon (2e série, XV, JORDY-KAYSER). II - Articles : Pierre MARCK, Des milliers d’Alsaciens ont Charlemagne comme ancêtre ; Robert SCHELCHER, La manufacture de porcelaine. Marc Schoelcher, le père, le fils, les témoignages. 1766-2016 : 250e anniversaire de Marc Schoelcher ; Véronique MULLER, Ascendance d’Eugène Victor Debs (1855-1926), homme politique, syndicaliste, candidat à l’élection américaine ; Guy DIRHEIMER, Ascendance alsacienne de Pierre Schoendoerffer (1928-2012), cinéaste, reporter, écrivain (2e partie) ; III - Notes de lecture : Alsaciens hors d’Alsace : Hérault, Moselle, Yonne ; IV - Courrier des lecteurs : Compléments d’articles antérieurs : Frédéric Révérend, Richard Schmidt, Ascendance alsacienne de Pierre Schoendoerffer (1928-2012), cinéaste, reporter, écrivain ; La page d’écriture : Une naissance... à la rue, Ringendorf, 1748.

Bulletin no195 - septembre 2016

16 Sources et recherches : Avis de recherche, Les Alsaciens émigrés en Guyane, 1763-1767 (II) (p. 130) ; Christian WOLFF, Notes généalogiques tirées du notariat de Strasbourg et

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quelques autres sources du XVIe siècle (2e série, V, Erhart-Firschmeyer) (p. 132) ; Bruno NICOLAS, Véronique MULLER, Alsaciens condamnés au Bagne de Toulon (2e série, XVI, Keck-Knittel) (p. 136) ; Articles : Pierre NOÉ, Richard SCHMIDT, Günther STOPKA, La descendance de Peter Stutzmann d’Erlenbach im Simmenthal (Suisse) en Alsace, Bossue, Sarre et Palatinat (p. 143) ; Christiane MULLER, Une aventure familiale, sous le signe de la sidérurgie. Les Vohrmann et leurs descendants (p. 147) ; Blanche DUCHATEL, L’ascendance de Pierre Messmer (1916-2007), homme politique, à l’occasion du centenaire de sa naissance (p. 162) ; Guy DIRHEIMER, Ascendance alsacienne de Pierre Schoendoerffer (1928-2012), cinéaste, reporter, écrivain (3e partie) (p. 166) ; Véronique MULLER, L’ascendance de Charles Pathé (1863-1957), pionnier du cinéma, à l’occasion du 120e anniversaire de la société Pathé frères (p. 182) ; Courrier des lecteurs : Compléments d’articles antérieurs : Christian WOLFF, Ascendance alsacienne de Pierre Schoendoerffer (1928-2012), cinéaste, reporter, écrivain ; Madeleine DEBS, Ascendance d’Eugène Victor Debs (1855-1926), homme politique, syndicaliste, candidat à l’élection américaine ; Luc ADONETH, Les Wolbert, une famille alsacienne de juristes, de prêtres et de militaires du XVIIe au XIXe siècle ; Gérard FLESCH, Avis de recherche. Les Alsaciens émigrés en Guyane (p. 184) ; La page d’écriture : Constitution de rente envers Jean Reubel, jardinier à Strasbourg, 1552 (p. 186).

Bulletin no196 - décembre 2016

17 Sources et recherches : Avis de recherche : les Alsaciens émigrés en Guyane, 1763-1767 (III), (p. 194) ; Christian WOLFF, Notes généalogiques tirées du notariat de Strasbourg et quelques autres sources du XVIe siècle (2e série, VI, Fischbach- Froreisen) (p. 196) ; Bruno NICOLAS, Véronique MULLER, Alsaciens condamnés au Bagne de Toulon (2e série, XVII, Knoepflin- Kopffert), (p. 203) ; Articles : Luc ADONETH, Une dynastie de maîtres d’école en Alsace centrale, La famille Eneaux, (p. 205) : Blanche DUCHATEL, Bertrand RIETSCH, L’ascendance alsacienne de Dinah Faust, à l’occasion de son 90e anniversaire, (p. 219) ; Véronique MULLER, Sophie Marceau a-t-elle des ancêtres alsaciens ?, à l’occasion de son 50e anniversaire, (p. 226) ; Véronique MULLER, Christian WOLFF, Un architecte trop tôt disparu, Edouard Jacques Schimpf (1877-1916), (p. 228) ; Jean-Pierre SCHINKEL, Histoire de Thomas Ziller (1889-1916) « mort pour la France » et de ses frères, (p. 232) ; Notes de lecture : Alsaciens hors d’Alsace : Aisne, Nord, Oise, (p. 235) ; Courrier des lecteurs : Compléments d’articles antérieurs : Remy-Willem FARWERCK, L’ascendance de Jean Michel Sultzer (1740-1799), l’homme qui a sauvé la flèche de la cathédrale de Strasbourg ; Claire STERNBERGER-MESRINE, Le coin du débutant. Le nom de famille. Sternberger, Sternenberger, Sternemberger ; Luc ADONETH, Rolf EILERS, L’ascendance de Charles David Winter (1821-1904), premier photographe de Strasbourg ; Luc ADONETH, Ascendance d’Eugène Victor Debs (1855-1926), homme politique, syndicaliste, candidat à l’élection américaine ; Jean-Paul SCHOENENBURG, Avis de recherche. Les Alsaciens émigrés en Guyane ; Guy DIRHEIMER, Jean-Claude JACOB, Rolf EILERS, Christian WOLFF, Guy BERGMANN, Ascendance alsacienne de Pierre Schoendoerffer (1928-2012), cinéaste, reporter, écrivain ; Rolf EILERS, L’ascendance d’Auguste Bartholdi (1834-1904) ; Jean-Louis CALBAT, Christian WOLFF, L’ascendance de Charles Pathé (1863-1957), pionnier du cinéma, (p. 236).

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Bulletin no49 - mars 2016

18 Méthode : Christian WOLFF, Le coin du débutant, Les métiers : Sources et recherches : Christian WOLFF, Notes généalogiques tirées du notariat de Strasbourg et quelques autres sources de XVIe siècle (2e série, III, Bucer-Durnhoffer) ; Bruno NICOLAS, Véronique MULLER, Alsaciens condamnés au bagne de Toulon (2e série, XIV, Jaeckel-Johannes) ; Articles : W. HELMLINGER, Petites enquête sur les Israel, famille protestante du Pays de Hanau, au moyen d’ascendances sélectives ; Guy DIRHEIMER, Ascendance alsacienne de Pierre Schoendoerffer (1928-2012), cinéaste, reporter, écrivain (1ère partie) ; Notes de lecture : Alsaciens hors Alsace : Charente, Pas-de-Calais, Haute-Savoie, Maine-et-Loire ; Courrier des lecteurs : Compléments d’articles antérieurs : Luc ADONETH, Ph. WIEDENHOFF, Christian WOLFF, L’ascendance de Charles David Winter (1821-1904), premier photographe de Strasbourg ; Christian WOLFF, Le coin des débutants. Les prénoms ; R. EILERS, L’ascendance d’Auguste Batholdi (1834-1904) ; Ph. WIEDENHOFF, E. HUGEL, Les Wolbert, une famille alsacienne de juristes de prêtres et de militaires du XVIIe au XIXe siècle ; R. LOEB, Une famille juive au XIXe siècle à Schwenheim : les Wollbrett ; H. BOSCH, Les ancêtres alsaciens de Charles Fehrenbach ; La page d’écriture : In memoriam de Marie Elisabeth Harst, veuve Otto à Bouxwiller, 1696.

19 Contact : 41 rue Schweighaeuser - 67000 Strasbourg.

Association Héraldique et sigillographie d’Alsace

L’empreinte - Bulletin no5 - 2016

20 Juliette HERKOMMER, Moules à Crefli et à Tirggel ; Michel PASTOUREAU, Quelques aspects ludiques dans l’héraldique médiévale ; Georges BISCHOFF, La mode du sceau dans les régions du Rhin supérieur à la fin du XVe siècle ; Daniel KELLER, Le sceau de majesté, prérogative des souverains ? Daniel KELLER, Les bulles ou sceau de plomb.

21 Contact: Daniel Keller - 6 rue Jacques Baldé - 67000 Strasbourg.

Association Les Amis des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg

Histoire et Patrimoine hospitalier no28 - décembre 2016

22 Paul-André BEFORT, La pharmacie du Cerf (p. 3) ; Denis ROEGEL, Une bascule Rollé & Schwilgé (ca 1837) (p. 6) ; Paul-André BEFORT, Premières femmes médecins (p. 10) ; Jean- Marie HOLDERBACH, Il y a 300 ans : l’incendie du Grand hôpital de Strasbourg (p. 15) ; Jean-Marie HOLDERBACH, Biographie de Johann Martin Schlitzweck (p. 22) ; Charles REITENBACH, Un siècle d’imagerie médicale (p. 24) ; Jean-Marie HOLDERBACH, Le buste de Boeckel en péril ? (p. 30) ; Pr Maurice LEIZE, Le Conservatoire de la santé en 2016 (p. 31).

23 Contact : 1 place de l’hôpital, BP 426, 67091 Strasbourg Cedex.

Association des Amis de la Maison du Kochersberg

Revue semestrielle no73 - été 2016

24 Albert LORENTZ, Les Pandours de l’armée hongroise dans le Kochersberg en 1744 ; Michel STIEBER et Albert LORENTZ, La vie d’un paysan de Nordheim au temps de la Révolution et

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de l’Empire napoléonien racontée par Mathias Ostermann (1754-1820), deuxième partie ; Hélène FLUCK, Bernard Hippolyte Bert de Majan, curé de Stutzheim et Offenheim : itinéraire d’un prêtre réfractaire dans le Kochersberg ; Albert LORENTZ, La reconstruction de l’église de Zeinheim 1841-1846 ; Julien RIEHL, Les Hoftname de Hurtigheim, troisième et dernière partie ; François ZIMMER, Gypse mortel à Waltenheim- sur-Zorn et Schwindratzheim (1883-1975) ; François HEIM, Notre Karl Pfleger, théologien, philospohe, écrivain et curé à Behlenheim (1883-1975) ; Jean-Marie KLEIN, 14 juin 1875 : incendie criminel à Griesheim ; René PAIRA, Le conseil de révision, raconté par le sous-préfet René Paira.

Revue semestrielle no74 - hiver 2016

25 Michèle HERZBERG, Autour de la croix Raeppel de Mittelschaeffolsheim : rencontre de passionnés… (p. 9) ; Albert LORENTZ (d’après Georges BISCHOFF), Le Dinghof, la ferme du seigneur (p. 11) ; Bernhard METZ, Costumier de la cour domaniale de Fessenheim dans le Kochersberg. Le plaid de novembre 1590 (p. 13) ; Marie-Françoise GILLE-HUSS, Danielle LUX, Charles HOERTER, Albert LORENTZ, Le mariage et ses nombreuses obligations pour l’héritier d’une ferme dans le Kochersberg en 1760. L’exemple de la famille Fritsch à Fessenheim (p. 17) ; François ZIMMER, Olwisheim : les mauvais payeurs de la Saint-Jean (1251‑1783) (p. 25) ; Michel STIEBER, Albert LORENTZ, La vie d’un paysan de Nordheim au temps de la Révolution et de l’Empire napoléonien racontée par Mathias Ostermann (1754-1820). Troisième et dernière partie (p. 31) ; Thiébaud FRITSCH, L’accès aux fonctions d’autorité et de pouvoir dans les familles aisées du Kochersberg. L’exemple des Fritsch de Zeinheim (1700-1850). Première partie (p. 45) ; Alphonse GROSS, Le village d’Avenheim en 1947. Observations et recherches menées cette année-là avec les enfants de l’école primaire par leur instituteur Alphonse Gross (p. 53).

26 Contact : 4, place du Marché, 67 370 Truchtersheim - [email protected].

Cercle d’histoire Alsace-Lituanie

Cahiers lituaniens no14 - automne 2015 - 16e année

27 Małgorzata PTASIŃSKA, La Lituanie dans la pensée politique de Jerzy Giedroyć (p. 5) ; Arnaud PARENT, Les nobles lituaniens à l’École des cadets-gentilshommes de Lunéville (p. 16) ; François MARTIN, Ladislas Starewitch, précurseur à Kaunas du cinéma lituanien (p. 25) ; Piotr DASZKIEWICZ, Philippe EDEL, La première monographie française sur l’ambre jaune, publiée par Jean-Philippe Graffenauer en 1821 (p. 29) ; Piotr DASZKIEWICZ, Tomasz SAMOJLIK, Un bison de Białowieża pour le musée de Strasbourg, épisode de l’histoire de la zoologie du XIXe siècle (p. 33) ; Emilie MAJ, Karen HOFFMANN-SCHICKEL, Dainius ŠUKYS, Petit Renne, histoire d’une collaboration éditoriale lituano-alsacienne (p. 37) ; Artūras Valionis, poèmes (Présentation par Eglė KAČKUTĖ, Traduction par Jean-Claude LEFEBVRE et Liudmila EDEL-MATUOLIS) (p. 42).

Cahiers lituaniens no15 - automne 2016 - 17e année

28 Marek KORNAT, L’Institut de l’Europe Orientale de Vilnius : l’unique centre de soviétologie, à l’est de la Vistule avant 1939 (p. 5) ; Julien GUESLIN, René Ristelhueber

Revue d’Alsace, 143 | 2017 423

(1881-1960), un Alsacien ministre de France à Kaunas (p. 14) ; Jonas-Perkūnas LIUTKUS, Antanas Liutkus (1906-1970) (p. 18) ; Elvyra MARKEVIČIŪTĖ, Le retour des couleurs d’Antanas Liutkus (p. 23) ; Jean-Claude LEFEBVRE, La Folle de Lituanie et Démone en Lituanie : deux ovnis littéraires français des années 1970 (p. 26) ; Piotr DASKIEWICZ, Les études à Paris et le premier travail en Alsace d’Ignacy Domeyko (1802-1889) (p. 37).

29 Contact : 11 rue Waldteufel - 67000 Strasbourg.

Parc de la Maison alsacienne

Cahier no18 - 2016

30 Jean-Claude KUHN, André Stroh par André Stroh, une vie en Alsace (p. 1) ; Richard STROH, Les tabliers de conscrits (p. 45) ; Livia KUHN-POTEUR, Quelques recettes anciennes : les meschtgratzerle (p. 51) ; Jean-Claude KUHN, Maisons sauvées ou disparues en 2015 (p. 54).

31 Contact : 34 rue Courbée - 67116 Reichstett.

Association Mémoires locales de Marckolsheim

La mémoire du Loup - no6 - année 2016

32 Michel KNITTEL, Le pavillon de chasse disparu du cardinal de Rohan : une histoire qui se précise ; Jean DREYER, Véronique GEBHARTH, Histoire de l’hôpital de Marckolsheim ; Raymond BAUMGARTEN, Marckolsheim, berceau de la carrière d’Antoine Herbuté, facteur d’orgues de renom ; Raymond BAUMGARTEN, Liste des travaux réalisés en Alsace par Antoine Herbuté ; Dominique BLANC, Antoine Herbuté : un facteur d’orgues alsacien à Genève au XIXe siècle ; Dominique BLANC, L’orgue Herbuté de Marckolsheim ; Michel KNITTEL, Michel SCHACHERER, Le local associatif de Mémoires Locales de Marckolsheim. Histoire d’un bâtiment au cœur du quartier reconstruit : la maison des sœurs garde- malades ; André HUGENSCHMITT, Une figure méconnue de l’histoire : Arthur Hugenschmidt (1862-1929) ; Michel KNITTEL, De la difficulté de connaître certaines vérités historiques. Ou comment Clémenceau s’est-il procuré la lettre du roi de Prusse Guillaume Ier.

33 Contact : Mairie - 26 rue du Maréchal Foch - 67390 Marckolsheim.

Société d’Histoire et d’Archéologie de Molsheim et Environs

Annuaire 2016

34 David PAULUS, Les fortifications de Dachstein du XIIIe au XVIIIe siècle (p. 5) ; Christine MULLER, Sceaux de notables à Rosheim (XVIe-XVIIIe siècles) (p. 57) ; Irène WEISSENBURGER- SCHNABEL, Les tuileries d’Altorf du XVIIe au XIX e siècle (p. 79) ; Pierre-Valentin BLANCHARD, Une chanoinesse pas comme les autres… Marguerite Barth (1851-1931), ses chapelles et son armoire (p. 89) ; Grégory OSWALD, Désiré Jung (1908-1998), de Flexbourg, gendarme et interprète dans les Deux-Sèvres sous l’occupation allemande (p. 99) ; Raymond LELLER, Nouvelles du « chantier des bénévoles » de la Chartreuse de Molsheim. Activités 2015 (p. 119) ; Dany SCHITTER, Vient de paraitre : OSWALD (Grégory), SCHLAEFLI

Revue d’Alsace, 143 | 2017 424

(Louis), dir., Les Jésuites à Molsheim et ses environs (1580-1765) (p. 123) ; Grégory OSWALD, In memoriam : Pierre Bachoffner (1916-2015) (p. 126).

35 Contact : 4, cour des Chartreux, 67120 Molsheim - [email protected].

Société d’histoire de Mutzig et environs

Annuaire no38 - 2016

36 Marc KLEIN, Cartographie de la région de Mutzig ; Vincent MARTINEZ, Entre Empire Carolingien et Ottonien, Mutzig et l’Évêché de Strasbourg sous l’Évêque Richwin (913-933) ; Andrée ROLLING, Légions d’Honneur et pensions au XIXe siècle - [E-F] Mutzig ; Andrée ROLLING, Une enfant de Dinsheim, cantinière au 5e régiment d’artillerie ; Auguste SCHMITT, La région de Molsheim-Mutzig à l’époque du Reichsland 1907 ; Xavier ORTHLIEB, La Grande Guerre d’un instructeur : correspondances d’Edouard Meyer ; Andrée ROLLING, Eugène Rebmeister de Gresswiller ; Francis BOURGAULT, Nos activités au fil des mois.

37 Contact : 24 rue de la Chapelle - 67190 Dinsheim-sur-Bruche.

Société d’histoire des Quatre Cantons

Annuaire 2016 - tome no33 - 2015

38 Christian KAUFFMANN, Une source, un château… Naissance d’une communauté. Sankt Oswald, Illwickersheim, Ostwald ; Claude MULLER, Benfeld dans le périple cardinalice de 1723 ; Auguste SCHNAITER, L’enseignement primaire à Huttenheim ; Claude MULLER, La croix et le prêt, aux origines du Crédit Mutuel au tournant du XIXe siècle ; Eugène DISCHERT (†), Tagebuch aus dem ersten Weltkrieg. Eugène Dischert, témoin de la Première Guerre mondiale à Benfeld ; Jean-Marie ZUGMEYER, Les charbonniers d’Illkirch- Graffenstaden ; Bertrand RIETSCH, La gare de Fegersheim-Lipsheim : un clochermerle à l’alsacienne ; Ottilie WISNIEWSKI, Un nouveau fonds aux Archives municipales d’Erstein : le fonds de la famille Busser ; Pierrette WINTERBERGER-SCHERER, Chroniques de la Société.

39 Contact : 3c, rue des Noisettes – 67 640 Lipsheim.

Société d’histoire et d’archéologie de Reichshoffen et environs

Regards no36 - avril 2016

40 Jean-Marie KLOELSCH, Histoire des églises de Mouterhouse ; Daniel FISCHER, 1786, une élection à l’Académie des sciences ; Lise POMMOIS, Albert Louis Eugène de Dietrich ; Jean- Paul NOÉ, Chronique des écoles de Schirlenhof ; Jean-Paul NOÉ, Le comte Zeppelin au Schirlenhof ; Jean-Paul NOÉ, Chroniques des écoles de Reichshoffen ; Raymond LÉVY, Passeur de liberté - deux témoignages ; Lise POMMOIS, Jean-Baptiste Stahl céramiste ; Jean SALESSE, Le cor de chasse et le logo De Dietrich.

41 Contact : 8, rue des Cerisiers - 67110 Niederbronn.

Revue d’Alsace, 143 | 2017 425

Société d’histoire et d’archéologie de Saverne et environs

Pays d’Alsace - Cahier varia no254 - I-2016

42 Gilles BANDERIER, Notes inédites de dom Calmet sur Saverne et ; Léon DELLINGER, François PANCERA, Vincent PANCERA, Nikita ZOLTY, sous la direction de Maxime WALTER, Considérations sur l’occupation protohistorique de l’Alsace Bossue ; Henri HEITZ, « Au Château haut » de Saverne ou Oberschloss : le portail de la tour d’escalier ; Albert KIEFER, Jean-Michel LANG, Philippe Christian Weyland, de Bouxwiller, et Goethe à Weimar ; Paul KITTEL, Une page inédite d’Émile Erckmann ; Francis KUCHLY, Le « Casino » de Saverne ; Daniel PETER, 17 ans pour établir la route vicinale de Gottenhouse à Otterswiller ; Jean-Louis WILBERT, Charles Marc Leimbach, l’un des poilus les plus décorés de la Grande Guerre.

Pays d’Alsace no255 - II-2016

43 Bernadette SCHNITZLER, Un sanctuaire de source à Mackwiller ; René KILL, Un monument peu connu : la conduite d’eau médiévale du monastère d’Obersteigen - État des connaissances et interrogations ; Albert KIEFER †, Jean-Michel LANG, Quand l’Isch était le Brueschbach ; Philippe JÉHIN, Le flottage du bois dans le pays de Saverne du XVe au XVIIIe siècle ; Henri HEITZ, À Saverne, en 1797 : un plan pour une nouvelle conduite d’eau ; Henri HEITZ, À Saverne, un site d’activité oublié : le Flossplatz ; Paul KITTEL, Les citernes des casernes Vauban de Phalsbourg ; Jean-Louis WILBERT, La Sarre : une rivière internationale aux crues mémorables ; Daniel PETER, Décembre 1915 : quand l’eau tempérait les ardeurs guerrières !

Pays d’Alsace no256 - III-2016

44 Daniel PETER, La bonne fontaine de Schwebwiller (p. 3) ; Francis KUCHLY, Les quatre moulins de Waldhambach d’après Louis Charles Will (p. 5) ; Michèle HERTRICH, René KILL, Les origines d’une fontaine : le Rohrbrunne de Saint-Jean-Saverne (p. 9) ; Jean-Marie QUELQUEGER, Paysans riverains et meuniers : problèmes d’irrigation le long de la Souffel aux XVIIIe et XIX e siècles (p. 17) ; Daniel PETER, Eau souillée et eau potable : la lutte contre la fièvre typhoïde au début du XXe siècle dans la région de Saverne (p. 31) ; Pierre VONAU, En marge d’un projet de piscine à Saverne en 1936 : Le voyage d’étude de Pirmasens (p. 41) ; Gérard IMBS, Les inondations de l’Eichel à Diemeringen (1947-1955) (p. 45) ; Daniel PETER, Aspects militaires de Saverne au début de la Grande Guerre (p. 53).

Pays d’Alsace no257 - IV-2016

45 Véréna SCHMIDT, Marine BLANCHET, Lucie LORETTE, Curtis COUREAU, sous la direction de Margaux DEPAERMENTIER, Quand la céramique nous parle (p. 2) ; Jean-Paul LERCH, Weyerburg, le château de Marmoutier (p. 7) ; Jean-Joseph RING, Ernolsheim-lès-Saverne L’Allmend - Viergemeindenwald. L’ancienne forêt Indivise des quatre communautés de Saint-Jean, d’Ernolsheim, de Steinbourg, de Dossenheim (p. 13) ; Jean-Joseph RING, Saint-Jean-Saverne et Ernolsheim-lès-Saverne. Mystérieuses carrières de grès au Polenberg et au Rosskopf dans l’ancien Viergemeindenwald (p. 23) ; Pierre VONAU, Michel räumt auf ! (p. 27) ; Bernadette SCHNITZLER, Robert Forrer à Burbach : de studieuses

Revue d’Alsace, 143 | 2017 426

fouilles estivales (1922-1924) (p. 29) ; Jean-Louis WILBERT, Deuxième Guerre mondiale. Les souvenirs vécus par le soldat Teske dans le secteur de Drulingen (p. 37) ; Henri HEITZ, La rue des Frères à Saverne (p. 47).

Au grès du temps. Collections lapidaires celtes et gallo-romaines du Musée archéologique de Saverne, par Francis Goubet, Florent Jodry, Nicolas Meyer, Nicolas Weiss

46 Origine et histoire de la collection (Francis GOUBET, Nicolas MEYER) (p. 5) ; Le contexte Tabernis-Tres Tabernae et ses environs : Nicolas MEYER, L’agglomération antique (p. 9) ; Nicolas MEYER, L’environnement antique de l’agglomération ( 18) ; Nicolas WEISS ; Étude onomastique des blocs inscrits gallo-romains de Tabernis-Tres Tabernae et de ses environs (p. 46) ; La collection : Francis GOUBET, Nicolas MEYER, Choix des termes descriptifs (p. 71) ; Les matérialisations lapidaires locales des tombes (p. 71) ; Francis GOUBET, La polychromie (p. 80) ; Florent JODRY, Des blocs particuliers, les moulins (p. 83) ; Catalogue (Collectif) : L’agglomération de Tabernis-Tres Tabernae (Saverne) (p. 87) ; Les sites extérieurs (p. 195) ; Bibliographie (p. 359).

47 Contact : Centre Alphonse Wollbrett - BP 90042 - 67701 Saverne Cedex.

Société d’histoire du Val de Villé

Annuaire - 2015

48 Christian DIRWIMMER, Jean-Louis SIFFER, Hommage à Marie-Rose Barthel (p. 12) ; Christian DIRWIMMER, Maurice KUBLER, Jean-Louis SIFFER, À la mémoire de Pierre Heyet (p. 14) ; Jean-Louis SIFFER, À la découverte de Nancy (p. 15) ; Geneviève SCHWEYER, Une momie égyptienne à Villé (p. 25) ; Jean-Louis SIFFER, Le Val de Villé au temps du Reichsland de 1871 à 1914 : une ère de construction et de valorisation de bâtiments publics (p. 41) ; Yves MARCOT, 2015 : Bicentenaire du rattachement de Hirtzelbach à Neuve-Église (p. 81) ; Article des DNA du 4 janvier 1955 commenté par Jean-Louis CARZON, L’emblématique Frankenbourg (p. 102) ; André DUBAIL, L’église de Breitenbach, un témoin de la piété populaire au temps du Reichsland (p. 107) ; Fréddy DIETRICH, Lo pautouè d’chu no ! (p. 139) ; Gabi GEIGER, 60 ans après - 1955 : La vallée de Villé à travers la presse (p. 141) ; Fréddy DIETRICH, En 2014, la vallée de Villé a commémoré les deux guerres mondiales (p. 185).

Vallée de Villé et Société d’histoire. 1975-2015, 40 années d’Histoire partagée

49 À l’occasion de son 40e anniversaire, la Société d’histoire du Val de Villé propose un annuaire exceptionnel autant par son format que par son contenu. Année après année, de 1975 à 2015, sont rappelées les multiples activités de la Société d’histoire, et notamment la publication régulière d’un annuaire relatant l’histoire fort complexe de la vallée et sensibilisant ses lecteurs à la richesse du patrimoine rural. Cette évocation des activités de la Société d’histoire est complétée, en parallèle, avec celle des événements qui se sont déroulés au même moment dans la vallée.

50 Contact : Mairie de Villé – 67 220 Villé.

Revue d’Alsace, 143 | 2017 427

Fédération du Club vosgien

Les Vosges 1/2016

51 Jean-Marc PARMENT, Éditorial ; CV de Munster, Le circuit historique du Linge ; CV Les Amis du Hartmannswillerkopf, Aspects méconnus du Hartmannswillerkopf ; CV de Mulhouse & Crêtes, Le chemin de la Grande Guerre d’Illfurth ; CV de Celles-sur-Plaine, Le circuit du Coquin et du Pain de Sucre ; CV de Sainte-Marie-aux-Mines, Autour du Col de Sainte-Marie-aux-Mines ; CV du Brézouard, la Tête des Faux ; Raymond BLAISE, Un témoignage personnel sur l’évolution de la forêt ; Isabelle CAYROU, Rémy METZ, André LEMBLÉ, Tout ce que vous voulez savoir sur la marche d’orientation sans oser le demander ; Jean-Robert ZIMMERMANN, Sainte Odile et l’Alsace autour de l’an 700 (troisième partie) ; Pierre PARSY, Le kiosque de monsieur Jadelot ; Michel HELMBACHER, Il y a 20 ans, des enfants précurseurs du Chemin des Châteaux Forts ; Paul VELTEN, L’association Pro-Géroldseck, le bénévolat au service du patrimoine.

Les Vosges 2/2016 - Numéro spécial Assises 2015 à Metz

52 Dominique GROS, Metz, une ville verte ; Les clubs vosgiens de Metz Métropole ; Metz, une très longue histoire ; De 1970 à 1918 : Metz, une ville allemande ; Le Mont Saint- Quentin, poumon vert de Metz ; La ville de Montigny-les-Metz ; Une balade d’histoire messine entre monuments et espaces verts ; Le sentier Robert Schumann ; Circuit de la marche illuminée de Metz.

Les Vosges 3/2016 - Numéro spécial Eurorandos 2016

53 CV de Saint-Avold, Le patrimoine minier de Folschviller (p. 5) ; CV de Soultz/ Merkwiller, Pétrole et géothermie dans le Pays de Pechelbronn (p. 7) ; CV de la Vezouze, Le circuit pédestre du Haut des Ailes (p. 8) ; CV de Badonviller, Le tour du Lac du Vieux Pré (p. 9) ; CV de Village Neuf / Au fil du Rhin, La petite Camargue alsacienne (p. 10) ; Marcel GUTH, Rapport moral 2015 (p. 12) ; Denis VOUIN, Formation des guides : 20 ans de semailles et de récoltes. Et maintenant ? (p. 15) ; Jean-Robert ZIMMERMANN, Sainte Odile et l’Alsace autour de l’an 700 (quatrième et dernière partie) (p. 17) ; Bernard GLANOIS, Les vignobles des coteaux messins de Moselle (p. 22).

Les Vosges - 4/2016

54 Roger RIBLET-BUCHMANN †, Randonneur ou pèlerin ? (p. 2) ; Evelyne COLLIGNON, À la découverte du Toulois (p. 5) ; Xavière JOUDRIER, La ferme école de Lahayevaux (p. 7) ; Anne-Catherine BARLIER, Nicolas BATOT, Le circuit des Lacs (p. 9) ; Jean-Marc PARMENT, De Bergheim à Ribeauvillé, randonnée et marché de Noël (p. 10) ; Michel HELMBACHER, Une randonnée pédestre autour du Schwarzkopf (p. 12) ; Jean-Marie NICK, L’oriel du Landsberg (p. 14) ; Robert JACQUOT, L’Eurorando 2016 en Suède (p. 16) ; Jean-Marc PARMENT, Une randonnée urbaine à la découverte de Tübingen (p. 19) ; Raymond HIEBER, Le baliseur (p. 24).

55 Contact : 7 rue du Travail - 67000 Strasbourg.

Revue d’Alsace, 143 | 2017 428

Haut-Rhin

Société d’histoire de Bruebach

Bulletin no10 - 2016 - Découvertes archéologiques à Bruebach

56 Monique et Christian VOEGTLIN, Investigations archéologiques sur le ban de Bruebach (p. 5) ; Le Néolithique de Haute-Alsace, Chronologie simplifiée (p. 8) ; La néolithisation de l’Alsace (p. 9) ; Les premiers agriculteurs (p. 13) ; Le groupe de Bruebach-Oberbergen (p. 19) ; Les premiers métallurgistes (p. 21) ; L’Âge du Bronze ancien (p. 24) ; La civilisation des tumuli (p. 27) ; L’Âge du Bronze final (p. 29) ; Les prémices de l’Âge du fer (p. 33) ; Les vestiges de l’Âge du Bronze final à Bruebach (p. 35) ; Les Âges du Fer - L’épopée celte (p. 37) ; 1er Âge du Fer - Hallstatt (p. 39) ; Les Celtes en Alsace (p. 43) ; Les Celtes à Bruebach (p. 47) ; Connaître la réglementation (p. 49).

57 Contact : 12, rue d’Eschentzwiller – 68 440 Zimmersheim. [email protected].

Société d’histoire et d’archéologie de Colmar

Annuaire 2015-2016 - volume LII

58 Mathias HIGELIN, Un remarquable cadenas découvert dans un dépôt du IIIe siècle à Horbourg-Wihr (p. 7) ; Monique DEBUS KEHR, Les sculpteurs de Colmar : contexte, faits et gestes, œuvres fin XVe - début XVIe siècle (p. 15) ; Gabriel BRAEUNER, La réforme de Colmar : une si longue attente (p. 39) ; Francis LICHTLÉ, Les puits publics à Colmar au XVIIIe siècle (p. 51) ; Gilles BANDERIER, Deux magistrats érudits, les Corberon père et fils (p. 63) ; Claude MULLER, Un terreau de réseaux dévots ? Introspection du microcosme des procureurs du Conseil Souverain d’Alsace au XVIIIe siècle (p. 85) ; Francis LICHTLÉ, Le monde carcéral colmarien au cours de la 1ère moitié du XIXe siècle (p. 97) ; Jean-Marie SCHMITT, Une ténébreuse affaire dans l’entourage du statuaire Auguste Bartholdi. La banque Viboux de Colmar et le projet de palais d’Exposition universelle d’Auteuil (1858-1868) (p. 105) ; Régis HUEBER, Offenbach-Bartholdi : Opéra-Bouffa (p. 121) ; Éric ETTWILLER, L’enseignement secondaire des filles à Colmar pendant la période du Reichsland (1871-1918) (p. 153) ; Alexis TAUTOU, Maurice Betz (1848-1946). Un premier traducteur de l’âge de la traduction ? (p. 183).

Mémoire colmarienne no141- mars 2016

59 Francis LICHTLÉ, Un cours d’eau colmarien aujourd’hui disparu : Le Schlüsselbach ; Francis LICHTLÉ, Histoire d’un pont : La Katzenwangenbrücke ; Francis LICHTLÉ, La colonne météorologique du Champ de Mars.

Mémoire colmarienne no142 - juin 2016

60 Francis LICHTLÉ, La Kilbe Haslinger ou la Foire de printemps ; Francis LICHTLÉ, La fontaine Roesselmann ; Geneviève FUCHS, Les collections égyptiennes du Musée d’histoire naturelle et d’ethnographie de Colmar.

Revue d’Alsace, 143 | 2017 429

Mémoire colmarienne - bulletin no143 - septembre 2016

61 Francis LICHTLÉ, Mémoire de la Ville : les Archives municipales (p. 3) ; Francis GUETH, Il y a cent ans comment la Bibliothèque municipale quitta le couvent d’Unterlinden en 1916 (p. 9) ; Francis LICHTLÉ, Deux hommes au service de la Ville, Ulysse Bertsch (1866-1946) et Frédéric Walter (1879-1959) (p. 13) ; Dominique GRUNENWALD, Quelques nouvelles précisions sur Max Lehmann, maire de Colmar (p. 15).

Mémoire colmarienne - bulletin no144 - décembre 2016

62 Philippe JÉHIN, Une biographie énigmatique du général Rapp (p. 3) ; Francis LICHTLÉ, Quand le collège de Colmar devint lycée impérial (p. 8) ; Francis LICHTLÉ, Quand Colmar accueillait les officiers de sa garnison à l’époque du Reichsland (p. 11).

63 Contact : Archives municipales - Place de la Mairie - 68021 Colmar Cedex.

Société d’histoire d’Eschentzwiller et de Zimmersheim

Bulletin no23 - septembre 2016 - avec la participation de l’ARODE

64 Edmond BUHLER, Historique de l’ARODE (p. 11) ; Christian LUTZ, Histoire de l’orgue Silbermann d’Eschentzwiller (p. 21) ; Quentin BLUMENROEDER, Le point de vue du restaurateur (p. 45) ; Edmond BUHLER, Jean-Paul LERCH, La manufacture d’orgues Blumenroeder (p. 63) ; Frédéric BASTIAN, L’œuvre sculptée (p. 71) ; Edmond BUHLER, Jean Auguste Nahl, un sculpteur exceptionnel (p. 89) ; Edmond BUHLER, Antoine Ketterer I, le sculpteur du positif de dos de l’orgue Silbermann (p. 93) ; Philippe LEVÊQUE, Edmond BUHLER, Glossaire des termes d’organologie (p. 95).

65 Contact : 9, rue Bonbonnière - 68440 Eschentzwiller.

Société d’Histoire de la Hardt et du Ried

Annuaire 2016 - no28

66 Louis SCHLAEFLI, Une esquisse de vitrail pour Anton Braun, greffier de Marckolsheim ; Louis SCHLAEFLI, De la marchandise de luxe à Marckolsheim en 1578 ; Louis SCHLAEFLI, La communauté juive de Horbourg. Notes de lecture ; Anne Sophie STOCKBAUER, Sur les traces du judaïsme dans le Ried : quelques éléments sur les communautés de Mackenheim et Marckolsheim ; Louis SCHLAEFLI, Note relative à la guerre de Trente Ans à Niederhergheim ; Pierre MARCK, Les Haumesser à travers l’Alsace aux dix-septième et dix-huitième siècles ; Valentin KUENTZLER, La citadelle et le vin de Bourgogne. Pénétrations françaises à Neuf-Brisach au XVIIIe siècle ; Claude MULLER, Gaston de Rohan, Vieux-Brisach et l’Académie française (1704) ; Claude MULLER, La croix et la loi : quelques procureurs du Conseil souverain d’Alsace à la ville neuve de Brisach ; Patrice HIRTZ et Jean-Philippe STRAUEL, Jebsheim : une lettre de baptême de 1792 ; Raymond STINNER, Sonia RIVET-STINNER et Jean Philippe STRAUEL, Les sacs à farine de Jebsheim et du Ried : attributs de prestige des familles au XIXe siècle ; Olivier CONRAD, La culture du tabac en Alsace. La Hardt s’y est mise (1855-1870) ; Anne-Sophie STOCKBAUER, Il y a 150 ans la construction du Riedmunster de Mackenheim ; Patrice HIRTZ, Les habitants de Wihr-en-Plaine en 1890 ; Violette GROSS, L’abattoir de Muttersholtz ; Georges

Revue d’Alsace, 143 | 2017 430

BORDMANN, Lettres des époux Dirry-Kleindienst. 1916-1919 ; Aloyse BRUNSPERGER, Neuf- Breisach de 1870 à 1918. Bref aperçu historique. Année 1916 ; Jean-Pierre OHREM, Trois aéroports militaires à Houssen (1915-1945) ; Norbert LOMBARD, La Grande Guerre du sergent Schmidt Ernest, originaire de Schoenau. 3e partie : l’année 1916 ; Jean-Philippe STRAUEL, Brigitte et Gilles DELLUC, Elsenheim-Montignac 1940 : Des Alsaciens inventeurs de la grotte de Lascaux ; Olivier CONRAD, Charles Simler, correctif et compléments ; Jean- Philippe STRAUEL, Etienne DUSEHU et Thomas SUTTER, Grussenheim : histoires de la Libération ; Joseph ARMSPACH, Dans les caves à Logelheim en 1945 ; Laurence KAEHLIN et Jean-Philippe STRAUEL, Un trésor dans la synagogue de Horbourg : la genizah ; Norbert LOMBARD, Deux témoins de l’histoire du Ried sauvegardés à Saasenheim.

67 Contact : 13, Grand’rue - 68600 Biesheim - [email protected].

Cercle d’Histoire de Hégenheim

Bulletin no3 - année 2016 - Les Cahiers d’histoire du pays de Ferrette

68 Michel ADAM, Avant-propos ; Jean-Paul BLATZ, Prêtres et religieuses originaires de Liebenswiller - XIXe et XXe siècles ; Michel ADAM, Le lignage équestre des Ferrette et ses rapports à la ministérialité ; Gérard MUNCH, En marge d’une restauration ; Quelques notes historiques sur la chapelle Saint-Brice d’Oltingue ; Jean-Luc ISNER, les travaux de retauration de la chapelle Saint-Brice ; Gérard MUNCH, Une chapelle Saint-Nicolas à Oltingue en 1478 ; Louis TSCHAEN, Les cadastres de la commune de Fislis aux XVIIIe et XIXe siècles ; Roland BLIND, Des anciennes souches Blind du Sundgau ; Lukàš PROVAZ, La vie du docteur en droit Antoine Joseph Schneider-Svoboda ; Gérard MUNCH, L’évacuation dans les Landes de la population d’Oltingue entre septembre 1939 et octobre 1940 ; Gérard MUNCH, La déportation en Allemagne (24 février 1943-1945) : Le témoignage de Madeleine Bauer-Tisserand ; Gérard MUNCH, Les fêtes de la moisson d’Oltingue (1966-1986) ; Roland VOGEL, Recueil de textes sur Ferrette ; La classe unique de l’école primaire de Lucelle, il y a près de cent ans.

69 Contact : 20 rue des Vignes - 68220 Hégenheim - [email protected]

Société d’histoire de Hésingue

Bulletin no9 - Année 2016

70 Christen MARC, La révolte des paysans du Sundgau en 1633 (p. 21) ; Christen MARC, Les pendus de Hésingue (Texte de René Senft) : une nouvelle gravure inédite ! (p. 26) ; Aimé MINERY, Le carnet de Hortense Rapp (texte de René Senft), … So wie es früher … früher einmal war! La vie de jeune fille d’Hortense à Paris et l’exode de 1939 (p. 31) ; Aimé MINERY, Poèmes de François TSCHUPP, Häsigua, do wurd elsassich geredt (p. 56) ; Denise SCHROEDER, Carnaval à Hésingue 1950-1970 (p. 58) ; Les enseignes à Hésingue : Denise SCHROEDER, Les troquets « Beitzle » (p. 65) ; Martine KUNTZELMANN, Restaurant au « Cheval Blanc » (p. 67) ; Jean-Marie ZUGER, Restaurant au « Raisin » (p. 72) ; Bernard CHRISTEN, Boucherie-charcuterie Hertzog (p. 77) ; Gérard GRUNTZ, L’entreprise de construction mécanique Perrotin (p. 85) ; Aimé MINERY, 125e anniversaire de la société de musique (p. 88) ; Aimé MINERY, Poèmes de Gérard Kelbert, Femmes dans le jardin (p. 106) ; André GOEPFERT, Sur la trace de deux Malgrés-Nous hésinguois disparus en Lettonie (p. 107) ;

Revue d’Alsace, 143 | 2017 431

Denise SCHROEDER, Syndicat agricole, Document original (p. 125) ; Sur les traces de nos ancêtres : Gisèle GOEPFERT, Ascendances d’Edouard Kunkler (p. 159), de Gaston Latscha (p. 160), de Solange Meyer (p. 161), Perrotin (p. 162), de Joseph Rapp et de Marie- Catherine Braun (Hortense Rapp) (p. 163) ; Danièle MANGOLD, Faits marquants dans la commune 2014-2016 (p. 164).

71 Contact : 9, rue du Ruisseau - 68660 Hésingue. [email protected]

Société d’histoire de Kingersheim

Bulletin no7 - 2016

72 Repères : Jean CHECINSKI, Dans l’obsession du passé (p. 9) ; Jean-Claude LOUIS, L’évolution de Kingersheim par les cartes (p. 37) ; Lieux de mémoire : Jean CHECINSKI, Les alcools Cusenier (p. 55) ; André SZEWCZUK, Dis, Monsieur, c’est quoi qu’on démolit (p. 62) ; Destins : André SZEWCZUK, Elie Gallo (p. 69) ; Jean-Claude LOUIS, Paul Baechle (p. 73) ; Martial SCHWARZENTRUBER, Camille Butterlin (p. 90) ; Martial SCHWARZENTRUBER, Marcel Redhaber (p. 112) ; Martial SCHWARZENTRUBER, Alphonse Zemb (p. 128) ; Yves RENAUD, Yves Bousquet (p. 146) ; Potasse : Gérard JAEGER, Naissance des MDPA (p. 159) ; Gérard JAEGER, La SCPA de 1919 à 1930 (p. 167) ; René GIOVANETTI, Le patrimoine minier (p. 172).

73 Contact : 3A rue de Lyon - 68260 Kingersheim.

Mémoires du Kuckuckstei

Bulletin no11 - avril 2016

74 Jean-Claude GALL, La mémoire des grès (p. 9) ; Marc GRODWOHL, Esquisse de cartographie historique des carrières sous-vosgiennes (faille de Marbach) (p. 19) ; Raymond GIRAUD (†), Jean-Paul SUTTER (1998), Le téléphérique des carrières de Gueberschwihr (p. 57) ; Jean DREYER, Le téléphérique des carrières de Gueberschwihr (p. 61) ; Romain SIRY, Les carrières de Pfaffenheim ; Collectif, Les carrières de Hattstatt (p. 73) ; Monique WINKELMULLER, Les carrières de Voegtlinshoffen (p. 74) ; Raymond GIRAUD (†), Jean-Paul SUTTER, Témoignages recueillis à Gueberschwihr en 1998 (p. 78) ; Collectif, Portraits de carriers (p. 83) ; Retour sur un texte de Freddy RAPHAËL et Geneviève HERBERICH-MARX, Les « Noirs » et les « Rouges » au village. Mémoires de mineurs-vignerons de Haute Alsace (p. 95) ; Romain SIRY, Le canal Vauban et le grès de Pfaffenheim et Gueberschwihr (p. 99) ; Hubert OTT, Anciennes carrières de Gueberschwihr-Voegtlinshoffen : un royaume de biodiversité où règne le « Faucon-Dieu » (p. 107) ; Collectif, Les sites d’escalade dans les carrières (p. 112).

75 Contact : 40, rue Haute - 68420 Gueberschwihr.

Société d’Histoire du canton de Lapoutroie-Val d’Orbey

Bulletin no34 - 2015

76 Armand SIMON, La famille Marchand de Tannach à travers sa correspondance, 1914-1918, Conférence ; Rose-Blanche DUPONT, Membres de la Société d’Histoire en 2014 ; Philippe LACOURT, Des parcelles d’Orient en Alsace : les reliques de l’abbaye de

Revue d’Alsace, 143 | 2017 432

Pairis ; Philippe JÉHIN, Forêts et pâturages dans la haute vallée de la Weiss au Moyen Âge ; Claude MULLER, La croix et la terre : les paradoxes cisterciens en Alsace au XVIIIe siècle. Lucelle et Pairis ; Francis MEYER, La famille Meyer dans le Val d’Orbey aux XVIIe- XVIIIe siècles. Première partie : 1595-1756 ; Philippe JÉHIN, Maîtres et élèves à Labaroche au XIXe siècle ; Bertrand MUNIER, La papeterie d’Orbey au XIXe siècle : certitudes et questionnements ; Benoît WIRRMANN, 1914-1918 : le maire de Fréland Séraphin Thomas otage des Français ; Raymond DODIN et Armand SIMON, Le commandant Henri Duchesne, tué à la Tête des Faux le 2 décembre 1914 ; Gérard MARCHAND, En souvenir de l’assaut de la Tête des Faux : poème écrit par le caporal Lüthke, début 1915 ; Irène MULLER, Les religieuses originaires de Lapoutroie, depuis 1900 (2) ; Gilbert MICHEL, Nos misères de guerre : Journal de Marguerite et Georgine Zann, du 16 décembre 1940 au 2 février 1941 ; Gilbert MICHEL, Jean Munier et Henri Simon : deux parcours méritoires (1940-1945) ; Gérard DUPONT, Il y a 30 ans : 1985. Brèves éphémérides tirées de la presse locale ; Maurice HERMANN, Ke le Bon Du vo mnites – Que le bon Dieu vous bénisse ; Maurice HERMANN, Prako i pauw patwè - Parlons un peu patois. Dictons en patois au fil des jours, des mois et des saisons ; Armand SIMON, Les Tables de patois et le Colloque des patoisants ; Armand SIMON, Nos membres ont publié ; Michel TOUSSAINT, Registres paroissiaux et État civil de Labaroche de 1680 à 1940.

Bulletin n°35 - 2016

77 Armand SIMON, 1716, Des grenadiers dans le Val d’Orbey, pour faire payer aux habitants les impôts seigneuriaux (p. 10) ; Francis MEYER, La famille Mayer-Meyer dans le Val d’Orbey. 2e partie : 1722-1829 (p. 14) ; Philippe JÉHIN, La prolifération des sangliers dans le canton de Lapoutroie sous le Second Empire (p. 24) ; Raymond DODIN, Armand SIMON, L’ancien presbytère d’Orbey après la Révolution (p. 26) ; Daniel IDOUX, Franck LAFORTUNE, Les barques provisoires près de l’école d’Orbey, de 1946 à 1957 (p. 30) ; Philippe JÉHIN, Les incendies de forêts dans la vallée de la Weiss au début du XXe siècle (p. 31) ; Germain MULLER, Les proscrits du canton de Lapoutroie durant la guerre 1914-1918 (p. 36) ; Marie-Thérèse DIDIER, Tannach, un joli coin d’Orbey (p. 54) ; Jean-Marie MUNIER, Les actes d’état-civil des Huttes de 1937 à 1941. Compléments aux Cahiers du Généalogiste (p. 57) ; Marie-Suzanne HERQUÉ - ORY, Gilbert MICHEL, Notre déportation en Silésie ; 1943-1945 (p. 65) ; Gérard DUPONT, Il y a 30 ans : 1986. Brèves éphémérides tirées de la presse locales (p. 75) ; Gilbert MICHEL, Petite étude lexicale de mots patois (7) (p. 78) ; Maurice HERMANN, Tchénivrer, èn mauwt d’ènsekwan - Tchénivrer, une habitude d’autrefois (p. 80) ; Maurice HERMANN, Prako i pauw patwè - Parlons un peu patois (p. 81) ; Jean-Charles ANCEL, Les tables de patois en 2016 (p. 82) ; Philippe JÉHIN, Gaby Baumann (1925-2016).

Gilbert Michel, Le Welche tel qu’en lui-même, 374 pages. Avec un CD de récits et de chansons.

78 Dans ce quatrième ouvrage sur le pays welche, Gilbert Michel rassemble de nombreux témoignages, récits, chansons, complétés par des photos légendées avec soin. Il étudie aussi l’ancienneté et les caractéristiques de ce patois roman. Et il conclut par un vibrant plaidoyer pour ce beau pays et sa langue welche. Le CD joint à l’ouvrage contient 45 minutes de récits et de chansons enregistrés auprès de 30 personnes.

Revue d’Alsace, 143 | 2017 433

Yves Kayser, Le Lac Noir de 1859 à 1938 ; la catastrophe du 4 janvier 1934. 2015, 241 pages.

79 Le père d’Yves, René Kayser (1911-2001) a vécu la catastrophe du 4 janvier 1934. Ce jour-là, la conduite menant l’eau du lac Blanc au lac Noir a cédé. L’eau a envahi et ravagé l’usine à peine terminée. Cette usine de transfert par pompage entre les deux lacs voisins, permettait de produire de l’électricité à forte valeur aux heures de pointe en utilisant le dénivelé entre les deux lacs. Et l’eau était repompée la nuit vers le lac Blanc, en utilisant l’électricité du barrage de Kembs inauguré en 1932. René Kayser a été profondément marqué par la catastrophe qui a coûté la vie à neuf personnes. Son vœu était d’en garder une trace pour l’histoire et d’essayer de comprendre les causes de l’accident. Il l’a fait par des dépliants et une exposition très documentée en 1984, pour le 50e anniversaire de la tragédie. Yves Kayser a poursuivi l’œuvre de son père par de nombreuses recherches aux Archives départementales du Haut-Rhin. Il décrit avec force plans, photos et documents, la construction de cette usine exceptionnelle, première réalisation en France et une des premières au monde. Il a exploité les rapports des experts de 1935 et 1937, mettant en évidence les causes de l’accident et les erreurs techniques ayant conduit à la rupture de la pièce. En juin 1937, l’enquête est terminée et des poursuites judiciaires prévues. Mais celles-ci sont stoppées par une loi d’amnistie des faits commis avant mai 1937. Il n’y aura jamais de procès. Mais les travaux de remise en état ont démarré dès 1934 et l’usine fonctionne en 1938, jusqu’en 2002.

80 Contact : 28A rue Charles de Gaulle - 68370 Orbey - [email protected].

Association généalogique et héraldique du Val de Lièpvre

45e ouvrage de relevés d’actes paroissiaux et d’État civil - Le 6e de la commune de Riquewihr

81 Relevés de 2173 actes paroissiaux de l’Église catholique de Riquewihr, de 1685 à 1792 avec Baptêmes, Mariages, Décès et Abjurations. Ouvrage disponible au prix de 50 € enlevé ou 58 € franco de port.

2 nouveaux ouvrages sur la commune de Châtenois 67730.

82 Relevé de 6 157 décès de 1793 à 1850 ; Relevé de 6 286 décès de 1851 à 1906 par José RIES et Michel KRUCKER.

83 Contact : 3, Grand’rue - 68660 Lièpvre - [email protected].

Société d’histoire de Masevaux

Patrimoine Doller - no26 - 2016

84 Laurent FLUHR, Mémoires d’un hameau disparu : Ennwiller (p. 5) ; Jean-François REITZER, Jean-Baptiste Silbermann, enfant de Burnhaupt-le-Bas, colonel de Napoléon (p. 12) ; André DEYBER, 1837 : reconstruction de l’église de Soppe-le-Bas (p. 39) ; Bertrand RISACHER, S’exiler pour réussir… Itinéraire de Constant Zeller, de la vallée de la Doller à Ollwiller (p. 44) ; Christophe WEINZAEPFLEN, La maîtrise des énergies dans les usines

Revue d’Alsace, 143 | 2017 434

Zeller de la haute vallée de la Doller entre 1850 et 1950 (p. 59) ; Jean-Marie EHRET, Chronique de l’école protestante de Masevaux (p. 78) ; Guy JORDY, Sentheim : du corps de garde à la maison de la géologie (p. 91) ; Daniel WILLMÉ, Masevaux : ces enseignes disparues (2), le magasin de confection Levy (p. 101) ; Daniel WILLMÉ, La grotte de Lourdes de Guewenheim érigée en 1898 (p. 110) ; Antoine EHRET, Le bâtiment du cercle catholique de Masevaux a 90 ans (p. 118) ; Antoine EHRET, L’aurore boréale du 25 janvier 1938 (p. 141) ; Jean-Marie EHRET, Les jolies colonies de vacances… à Dolleren (p. 148) ; Pierre ACKERMANN, Mémoires d’un malgré-nous (p. 162) ; Antoine EHRET, Henri Lelong du 8e RTM (p. 165) ; Marc LIMACHER, Quelques souvenirs du temps de l’occupation (p. 175) ; Pierrot ROSENBLIEH, Koehler-Bosshardt, un établissement nonagénaire tourné vers l’avenir (p. 177).

85 Contact : Société d’histoire de Masevaux - 1 rue du B.M. XI - 68290 Dolleren.

Société d’histoire et de géographie de Mulhouse

Annuaire historique de Mulhouse - tome 27 - 2016

86 L’année Dreyfus : Vincent DUCLERT, Les procès de l’affaire Dreyfus. Au cœur de la justice, de la République et de la démocratie (p. 11) ; Gerd KRUMEICH, L’Affaire Dreufus vue d’Allemagne (p. 29) ; Marie-Claire VITOUX, L’œuvre de Sylvie Koechlin ou les mots de granit (p. 37) ; Mulhouse et la Suisse : Odile KAMMERER, « L’année de la Suisse » à Mulhouse : 1515-2015. Manifestations mulhousiennes (p. 41) ; Odile KAMMERER, Olivier RICHARD, Claudius SIEBER-LEHMANN, Le traité d’alliance entre Mulhouse et les XIII cantons (p. 43) ; Muriel ROTH-ZEHNER, Archéologie et aires culturelles dans le sud de la plaine du Rhin supérieur (p. 55) ; Jean-Claude REBETEZ, Des origines mystérieuses et une histoire complexe : le diocèse de Bâle au premier millénaire (p. 63) ; Philippe AUBERT, La réforme protestante à Mulhouse. De l’influence de la Confédération helvétique à un modèle original (p. 75) ; Olivier RICHARD, Benjamin FURST, Mulhouse et la « Suisse » d’après les parcours des criminels mulhousiens vers 1500 (p. 81) ; Nicolas STOSKOPF, Ce que la Suisse doit à Mulhouse (p. 93) ; Serge NEUNLIST, Se nourrir de l’Histoire pour poser les jalons de l’avenir : Nova Tris, Eucor et l’interculturalité, un défi pour le Rhin supérieur du XXIe siècle (p. 101) ; Études et documents : Éric ETTWILLER, Erratum, à propos de l’article sur l’école supérieure municipale de filles de Mulhouse (p. 105) ; Francesco BELCASTRO, Les Italiens à Bourtzwiller (1921-1936) ; Frédéric GUTHMANN, Regards croisés sur la vie économique et sociale mulhousienne de 1830 à 1871. Mulhouse vue d’ailleurs (p. 111) ; Bernard JACQUÉ, O tempora, o mores ! L’histoire de Mulhouse sur Internet (p. 143) ; Adrien VUILLEMIN, La Cour de Lorraine à Mulhouse, du Haut-Empire à la Seconde Guerre mondiale (p. 147) ; Marie-Claire VITOUX, Karl Roos à Mulhouse (p. 165) ; Isabelle DUBOIS- BRINKMANN, Joël DELAINE, Restauration de la bannière de Jules II du Musée historique de Mulhouse (p. 167) ; Isabelle DUBOIS-BRINKMANN, Restauration de la sculpture « Saint Georges et le dragon » du Musée des Beaux-Arts (p. 173) ; Conférences : Robert STEEGMANN, Le KL de Natzweiler-Struthof : anormalités dans la normalité (p. 179) ; Nicolas STOSKOPF, Une réussite méconnue : le comptoir d’escompte de Mulhouse (1848-1930) (p. 191) ; Jean-Alain HÉRAUD, Raymond WOESSNER, Les villes et les cycles de créativité à travers l’Histoire. Manchester, Montréal… Mulhouse ? (p. 207) ; Odile KAMMERER, La carte dans la fabrique de l’histoire (p. 213) ; Bertrand RISACHER, Alsace- Afrique. La saga du groupe Schaeffer : 50 ans de développement industriel et humain

Revue d’Alsace, 143 | 2017 435

(p. 221) ; Vie culturelle : Marie-Claire VITOUX, Chronique de l’Université (p. 241) ; Éliane MICHELON, Chronique mulhousienne (p. 245) ; Alain J. LEMAÎTRE, La vie musicale à Mulhouse : « J’écris ton nom… Liberté » (p. 249) ; Joël DELAINE, L’année 2015 au Musée historique (p. 253) ; Bernadette LITSCHGI, Quand la bibliothèque de Mulhouse s’expose : retour sur une décennie (p. 261) ; Bibliographie mulhousienne (p. 269).

87 Contact : 80, rue du manège - 68100 Mulhouse.

Société d’histoire du Val et de la Ville de Munster

Annuaire 2016

88 Georges BORDMANN, 1916 à Wihr-au-Val (p. 13) ; Georges BORDMANN, Instituteur à Wihr- au-Val en 1914 (p. 17) ; Odette DUFLOUX-GRAFF, René DESCOMBES, René Graff (1897-1979), directeur du port autonome de Strasbourg (1938-1960) (p. 21) ; Gérard LESER, Franz Liszt en Haute-Alsace, la vie musicale aux alentours de Colmar et sa visite à Munster (p. 35) ; Pierre BRUNEL, Gérard LESER, Un objet sculpté datant de la Première Guerre mondiale (p. 41) ; Gérard LESER, Le monument de la paix à Munster (p. 43) ; Michael STUMPF, Le père Rupert Mayer (1876-1945) pendant la Première Guerre mondiale - une personnalité d’exception laisse des traces précoces (p. 47) ; Bernard MEYER, Fin juillet 1914 - 24 juin 1915. Souvenirs de guerre de Hans Gaebele (1898-1918) (p. 53) ; Gilles BANDERIER, Correspondance des Bénédictins de Munster : contribution à l’histoire intellectuelle de l’abbaye. Sixième partie (p. 75) ; Gilles BANDERIER, Un parchemin hébraïque conservé dans les archives abbatiales de Munster (p. 97) ; Frédéric LUNG, Les noms des villages de la Grande Vallée. Essai sur leur origine et leur signification (p. 99) ; Angèle SCHAFFNER, La papeterie royale de Luttenbach (p. 107) ; Philippe FERRY, Marcaire (p. 116) ; Gérard LESER, Angèle et Bernard SCHAFFNER, Règlement ecclésiastique de Munster en 1575 (traduction) (p. 117) ; Claude MULLER, La question du serment constitutionnel. L’exemple de Jean Guillaume Schultz, curé de Zimmerbach (p. 125) ; Jean-Jacques BÉRON, Les paroisses protestantes de la vallée de Munster au cours du XXe siècle (suite) (p. 131) ; Gérard LESER, Chronique de la société (p. 155).

La vallée de Munster - Nouvelle édition 2016

89 Gérard JAQUAT, Gérard LESER, Le tramway Munster-Schlucht et les environs de la Schlucht. La Photo au service de l’histoire - Volume 6, texte bilingue/Zweisprachiger Text.

90 Contact : 6 avenue de la Liberté - 68000 Colmar.

Société d’histoire de Riedisheim

Bulletin no44 - 2016

91 Gabrielle CLAERR STAMM, In Memoriam : André Kiener (1923-2015) (p. 3) ; Philippe ALIZIER, Le cœur de Jean-Marie Baechler battait pour Riedisheim (p. 5) ; Daniel FUCHS, La vie de Léon Fuchs (p. 7) ; Gabrielle CLAERR STAMM, Hommage au vice-président Léon Fuchs (1915-2002) (p. 13) ; Richard KLEINHENY, Histoire des rues : Les quartiers Nord, la rue de Bâle (1ère partie) (p. 21) ; Richard KLEINHENY, Recherches et connaissances (p. 30) ; Daniel

Revue d’Alsace, 143 | 2017 436

FUCHS, Historique de la construction de l’immeuble dit « La Banane » (p. 31) ; Gabrielle CLAERR STAMM, La Fédération française des Sports populaires née à Riedisheim (p. 37) ; Philippe ALIZIER, Riedisheim à l’époque du « Carnaval et Cacao » (p. 45).

92 Contact : 1 rue du Dépôt - 68400 Riedisheim.

Société d’histoire de Rixheim

Bulletin no31 - 2016

93 Christian THOMA, La bataille aérienne du 18 mars 1916 ; Christian THOMA, Les années de guerre de Léon Reymann, en images ; Yves SCHLIENGER, Les soldats de Rixheim, morts en 1916 ; Christian THOMA, Le carnet de Léon Notter (49e Armierungsbataillon) ; Véronique RIGO, Uf aelsassisch ; Benoît MEYER, Les fusillés de la Hardt de 1916 ; Frédéric CASARIN, Le crash aérien du 13 septembre 1966 ; Christian THOMA, Hommage à Georges Sturchler, curé de Rixheim de 1965 à 1991 ; Christian THOMA, 25 mai 1996, le CES devient le collège Capitaine Dreyfus.

94 Contact : 82 Grand’Rue - 68170 Rixheim.

Société d’histoire et d’archéologie du bailliage de Rouffach

Annuaire no10 - année 2016

95 Romain SIRY, Je plaide pour un Rouffach lumineux à l’image de son histoire ; Norbert LOEFFLER, Les vitraux de Notre-Dame de l’Assomption de Rouffach perdus et retrouvés ; François BOEGLY, Monique KRIEG, À propos de la croix tombale de l’ancien cimetière exposée au Musée du bailliage de Rouffach ; Romain SIRY, Rouffach décrit dans la Cosmographie universelle de Sébastien Munster ; Denis CROUAN, Mais qui était Dagobert II ? Roger BAEREL, Monique KRIEG, Les Franciscains à Rouffach ; Roger BAEREL, Nicole BORREGAN, Les martyrs de Rouffach pendant la guerre de Trente Ans ; Denis CROUAN, Les orgues du canton de Rouffach ; Jean-Jacques SCHNEIDER, François BOEGLY, Monique KRIEG, Lettre d’adieu d’un conseiller du Conseil souverain d’Alsace à ses enfants ; François BOEGLY, Monique KRIEG, Lien familial du maréchal Lefebvre et du général Kleber.

96 Contact : 6bis Place de la République - 68250 Rouffach.

Société d’Histoire de Sainte-Croix-en-Plaine

Annuaire 2016 - no5 - Le monde rural de Sainte-Croix-en-Plaine

97 Bernard WEISS, Le ban de Sainte-Croix : géographie, description générale du ban à travers l’histoire, les plans, descriptions et cadastres successifs. Plan de 1724, de l’intendance de 1760, plan napoléonien, cadastre allemand… ; Alphonse WACKER, Les lieux-dits, routes et chemins vicinaux relevés sur les anciens urbaires, tels celui de 1531 (cf cahier no15) et anciens cadastres ; Alphonse WACKER, Les cours d’eau (Ill, Lauch, canal des 12 moulins, canal Vauban) ; Arthur HEEYMANN et Gérard SPAEDY, Les champs et prés avec évolution des types de culture (polyculture vers monoculture), assolement, récoltes, calamités naturelles, adjudications ; Bernard WEISS, Les forêts (privées,

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seigneuriales et communales), règlements, droit de glandée des porcs, adjudications, litiges ; Bertrand KILLY, Les vignes et jardins seigneuriaux (cultures sur le talus) ; Bernard WEISS, La chasse et la pêche (règlement de 1510, les délits, changements à la Révolution, adjudications, étangs de pêche) ; Aimé MEYER, Les fonctions de la ruralité : gardes-champêtres, gardes-forestiers, forestiers, chasseurs seigneuriaux, bergers et gardiens de troupeaux, chefs des bergers, percepteurs des amendes forestières. Un encadré sur les amendes champêtres et forestières ; Bernard WEISS, Les grands propriétaires sous l’ancien régime, (les noms figurant dans les terriers, la vente comme biens « nationaux », les terres communales (allmenden), le partage des communaux au début du 19e siècle) ; Marcel WINKELMULLER, Les ermites de Woffenheim et Dintzheim ; Aimé MEYER, Chronique d’un drame paysan ; Bernard WEISS, Les fiefs seigneuriaux (erblehen) ; Bernard WEISS, Le Lehenguth (ou Lehenacker, ou Lehenfeld) : procès entre collectivités ; Éric ETTWILLER, Les taureaux communaux de Sainte-Croix-en-Plaine au début du XXe siècle : Die Gemeindezuchtstierhaltung ; Marcel WINKELMULLER, Les changements dans le paysage et l’évolution de l’urbanisme.

98 Contact : Hôtel de Ville - 68127 Sainte-Croix-en-Plaine - [email protected].

Société d’Histoire de Saint-Louis

Annuaire 2016

99 Histoire : Yves REY et † Georges FORLEN, Délibérations du Conseil Bourglibre 1793-1800 ; Patrick SIMON, Extraits des délibérations du Conseil municipal en 1916 ; Paul-Bernard MUNCH, L’année 1816 et Saint-Louis ; Paul-Bernard MUNCH, Saint-Louis au Palais du Luxembourg ; † Antoine MISLIN, L’occupation du territoire de Saint-Louis par les troupes ; Célestin MEDER, L’histoire de Louis IX, roi de France de 1214 à 1270 ; Albert VLYM, Claude MUNCH et Gérard REMY, Les monnaies d’antan circulant en Alsace (de la Préhistoire au XXe siècle) ; Histoire locale : Léa ROGG, De Häsingen ou Häsiga, à Hésingue ; Célestin MEDER, Un nouveau parc à Saint-Louis, le parc Claude Hess ; Célestin MEDER, Emile Singer, secrétaire de mairie de 1934 à 1944 ; Jocelyne STRAUMANN, Histoire d’un cordonnier à Bourgfelden ; Mémoires : Célestin MEDER et Jean-Paul HOLTZER, Il y a 50 ans, lancement des Fêtes d’Octobre ; Célestin MEDER, 31 août 1966 : inauguration du Monoprix ; Bruno HEITMANN, Drapeaux de conscrits ; Célestin MEDER, La retraite de l’ancienne statue de Louis IX, roi de France ; Poèmes : Joseph GROLL, À ma forêt ; Joseph GROLL, Goutte de rosée ; Gérard KELBERT, Rêverie au bord d’une rivière ; Vie quotidienne : Sylvie CHOQUET, Rétrospective ludovicienne 2015.

100 Contact : 3, rue Saint-Jean - 68300 Saint-Louis - [email protected].

Société d’histoire du Sundgau

Annuaire 2016

101 Art : Patrick MADENSPACHER, Sur les traces de Sébastien Gutzwiller : mystère et réalités d’une vie ; Artisanat : Jean BABÉ, Jean Waldt, forgeron à Courtavon, vers 1850 ; Châteaux : Gabrielle CLAERR STAMM, Le destin du château de Brunstatt ; Guerre de 1914-18 : Maurice HIGELIN (†), saisi et annoté par Gabrielle Claerr Stamm, Kriegstagebuch - Journal de guerre (fin) ; Jean-Claude LAEMLIN, Le soldat Karl Schneider et la Vierge de

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la chapelle Saint-Léger de Hirtzbach ; Histoire : Daniel J. LOUGNOT, Hamman de Brinighoffen, une biographie éclairée par le chartrier de Schoppenwihr ; Daniel J. LOUGNOT, La chapelle Sainte-Catherine de Montreux-Château ; Jean-Christophe MEYER, La forêt du Lattenrain ; Philippe JÉHIN, La peur du loup dans le sud de l’Alsace au milieu du XIXe siècle ; Paul-Bernard MUNCH, Huningue et Bâle, de la cohabitation à la détestation ! Daniel ROUSCHMEYER, Un chronogramme sur l’arc de triomphe à Bâle, célébrant la reddition de Huningue ; Littérature : François LABBÉ, Beaumarchais et le Sundgauvien Lamartelière (1761-1830) ou Schiller et le renouveau du théâtre français ; Patrimoine : Gabrielle CLAERR STAMM, La Vieille Porte. Y-a-t-il une limite au massacre du patrimoine à Altkirch ? ; Religieux : Gabrielle CLAERR STAMM, À la découverte de quelques vestiges de l’abbaye cistercienne de Neubourg, 1ère fille de Lucelle. Une invitation au voyage ; Christian SCHALCK, Les armoiries du portail de l’abbaye cistercienne de Lucelle ; Christian SCHALCK, Les orgues de l’abbaye cistercienne de Lucelle ; Claude MULLER, Du vétéran à l’ardent : Le clergé séculier du département du Haut-Rhin en 1827 ; Révolution : Claude MULLER, Le réseau dévot Danzer de Burnhaupt-le-Bas aux prises avec la Révolution ; Divers : Louis HERGES (†), textes revus et sélectionnés par Daniel ROUSCHMEYER : O comme… P comme… ; Gabrielle CLAERR STAMM, Éphémérides 2015 ; Gabrielle CLAERR STAMM, Présentation de l’annuaire et remise des Palmes académiques à Théo Tschamber ; Morand Joseph WALCH, Poème : E Traüm.

Auberges et relais de poste. Espaces de vie, fenêtres sur le monde, par Philippe Lacourt et Paul-Bernard Munch

102 Aubergistes et cabaretiers : Des notables d’Ancien Régime ; Les liens familiaux ; Cumul d’activités ; Un autre rôle social ? L’apogée de la puissance des aubergistes ; La révolution de 1848 et ses conséquences ; Les aubergistes, agents du pouvoir, mais aussi personnes suspectes ; À la fin du XIXe siècle : une puissance locale qui se confirme ; Des entrepreneurs ; Des organisateurs de loisirs ; Un exemple d’entrepreneurs : la famille Pfiffer ; L’importance des femmes ; Qui devient aubergiste ? Ouverture sur le monde ; Quelques descendants d’aubergistes devenus célèbres ; Conclusion : De la socialisation aux loisirs, en passant par la politique ; Annexe : Liste des auberges du Sundgau au début du XXe siècle.

Le Terrier du Comté de Ferrette (vers 1324 et vers 1340). Un complément inédit au Habsburgisches Urbar, par Christian Wilsdorf et la collaboration de Philippe Nuss

103 Présentation, édition du texte en allemand et traduction. Le Terrier de Ferrette ; Concordance des revenus mentionnés à la fois dans la première partie (§§ 1-87) et dans la seconde partie (§§ 88-179) du Terrier ; Glossaire ; Index des noms des personnes et des lieux figurant dans le Terrier ; Cartes : Châteaux, balances publiques, dinghöfe et tonlieux ; Taille ; Moulins à eau ; Autres droits ; Commentaire des cartes ; Index des noms de lieux et de personnes pour l’ensemble du livre.

104 Contact : 14 rue d’Altkirch - B. P. 27 - 68400 Riedisheim.

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Les Amis de Thann

Petite et grande histoire - no31 - printemps 2016

105 Katrina WEISSER, Humanisme et mécénat au temps de la Réforme catholique : le chanoine Jacob Kurtz de Thann et la rénovation de la chapelle du Saint-Sépulcre à la cathédrale de Constance (p. 5) ; Claude MULLER, La croix et la stalle. Géographie des collégiales en Alsace au XVIIIe siècle (p. 12) ; Georges BISCHOFF, 1516. Entre guerre et paix, une année particulière (p. 15) ; Christine HEIDER, Les bâtisseurs de Saint-Thiébaut : des pierres et des hommes (p. 19) ; André ROHMER, Du blason des Visconti dans les clefs de voûte de la nef de la collégiale (p. 39) ; Jean-Jacques SCHWIEN, Lucie WISSENBERG, Les treuils à roue de la collégiale Saint-Thiébaut à Thann. Données de chronologie et de fonctionnement (p. 41).

106 Contact : 13, rue Steinacker - 68800 Thann.

Société d’histoire et d’archéologie « Wickram » Turckheim

Le tramway Turckheim Trois-Épis 1899-1934, par Gérard SCHWARTZ, Benoît SCHLUSSEL 104 p. publication no40

107 Entre 1899 et 1934 fonctionne le premier chemin de fer électrique du massif vosgien. Au départ de Turckheim, le tramway montait aux Trois-Épis à travers la forêt pour rejoindre la station mariale. L’ouvrage vous propose de narrer l’histoire de ce tramway, véritable prouesse technique en cette fin du XIXe siècle, qui a permis de favoriser le tourisme naissant dans les Vosges et de fournir l’électricité à la population des communes avoisinantes.

108 Contact : 34 Grand’rue - 68230 Turckheim - [email protected].

Rencontres transvosgiennes

Revue no6 - 2016

109 Actes de la XXVe journée d’études transvosgiennes (Senones, 31 octobre 2015) : Gérard LESER, Rites et symboles de protection dans la montagne vosgienne (p. 5) ; Jean- Claude FOMBARON, Conjurer sorts et maléfices : le livre de recettes d’un guérisseur (p. 17) ; Jean-Christophe DEMARD, Rituels en lien avec la nature et faits mystéireux dans le pays des Mille-Etangs (p. 25) ; Varia : Philippe JÉHIN, Les caractères originaux du Val d’Orbey (p. 37) ; Gilles BANDERIER, La couronne « du bon roy Dagobert » (p. 42) ; Francis LICHTLÉ, Réquisitions et cantonnements militaires à Kaysersberg (p. 55) ; Gilles BANDERIER, Note biographique sur dom Charles Marchant, abbé de Munster (p. 65) ; Claude MULLER, Le chemin, le larcin, le vin, le sexe féminin. Quelques risques ecclésiastiques en Alsace au XVIIIe siècle (p. 68) ; Gilles BANDERIER, Dom Augustin Calmet et l’abbaye bénédictine de Saint-Blaise (Forêt-Noire) (p. 87); Valentin KUENTZLER, Trois curés du pièmont des Vosges au XVIIIe siècle, à travers les inventaires de leurs biens (p. 99) ; Gilles BANDERIER, La chaire abbatiale de Fresse (Haute-Saône) (p. 107) ; Gilles BANDERIER, L’abbaye de Munster en 1790. Un document inédit (p. 113) ; Cédric ANDRIOT, Les Annales de l’abbaye de Saint-Sauveur-en-Vosges (1792-1766). Une édition critique [quatrième partie] (p. 123) ; Louis de BEER, Remarques sur l’état de l’agriculture dans les

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montagnes de la Haute-Alsace (1797) [seconde partie] (p. 141) ; Philippe JÉHIN, Quand les forêts de la vallée de la Thur brûlaient (p. 151).

110 Contact : 12, rue Saint-Grégoire - 68140 Munster.

Hors Alsace

Association française d’histoire Anabaptiste - Mennonite

Souvenance anabaptiste - mennonitisches gedächtnis - no35 - 2016

111 Michel SOMMER, À la recherche de mes ancêtres anabaptistes du Sommerhoff ; Alain BAYSANG, L’Anabaptiste Jean Sommer sauve 2 enfants de la noyade ; Claude HEGE, Une œuvre du MCC (Mennonite Central Committee) durant la Seconde Guerre mondiale à Canet-en-Roussillon est révélée ; Jean-Pierre NUSSBAUMER, Histoire de la ferme Schweighof à Altkirch ; Michaël WEBER, 200 ans d’anabaptistes à Woelfling, 1782-1978 ; Jean-Claude KOFFEL, Des anabaptistes à Richeval ; Jean-Claude KOFFEL, Les anabaptistes d’Avricourt ; Robert BAECHER, Le piétiste Nicolas Samuel de Treytorrens (1671-1728) s’émeut du sort des anabaptistes bernois ; Création d’un centre d’archives mennonites en France.

112 Contact : Ferme Leihouse - 68480 Biederthal.

Société Philomatique Vosgienne

Revue semestrielle no32 - Année 2016

113 Pierre COLIN, Patois et outils linguistiques, de leur intérêt dans la lecture du paysage rural (p. 3) ; Marie-Hélène SAINT-DIZIER, Petite histoire du découpage administratif d’un territoire ? Des « justes réclamations » du disctrict de Ramberviller en 1790 au maintien espéré de la Com’com de la Région de Rambervillers en 2017 (p. 11) ; Jean-Pierre GAXATTE, L’abornement des mines de la Croix 1853-1856 (p. 23) ; Jean-Claude FOMBARON, Le bornage de la frontière franco-allemande des Vosges (p. 27) ; Dominique ANTOINE, Jean-Claude FOMBARON, Répertorier les bornes-frontières limitrophes de la commune de La Croix-aux-Mines (p. 37) ; Pierre-Louis BUZZI, Les casernes de Fraize (1913) (p. 45) ; Thierry CHOSEROT d’après Georges Baumont, Bornes armoriées de Saint-Dié et de sa région, Saint-Dié, Saint-Michel, Étival, Salm, Sainte-Hélène, Remiremont, Le Thillot (p. 51) ; Jean MOTTIN, Étival, un nouvel atelier monétaire vosgien. De la première moitié du 12e siècle (p. 71).

114 Contact : Local des associations - Allée Georges Trimouille - BP 231 - 88106 Saint-Dié- des-Vosges cedex - [email protected].

Société d’Histoire et d’Archéologie de la Lorraine

Les Cahiers lorrains - 2016 - no1-2

115 Philippe HOCH, Éditorial. Écrire et peindre l’Histoire ; Alain SIMMER, 451 : Metz et les Huns ; Julien TRAPP, Défendre Metz au Moyen Âge (XIIIe-XVIe siècles). Étude archéologique et historique de l’enceinte médiévale (4e partie) ; Jean-Bernard LANG, Le

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droit de succession au service des annexions. L’obstacle lorrain de l’Ancien Régime ; Francine ROZE, Un samouraï par Claude Deruet (vers 1615) ; Pierre-Louis PINAULT, Une bibliothèque perdue ? L’abbaye cistercienne de Villers-Bettnach ; Laurent THURNHERR, Georges de La Tour, 1915. Le retour à la lumière ; Marie-Laure WINKLER, Le mystère Henri Winkler ; Camille MAIRE, Sur les traces des otages alsaciens-lorrains en France pendant la Grande Guerre ; Philippe WILMOUTH, La dispersion de la communauté juive mosellane (1939-1940) ; Comptes rendus.

116 Contact : 1 allée du Château, 57070 Saint-Julien-les-Metz - [email protected].

Société d’Emulation de Montbéliard

Bulletin et mémoires 2015 (publié en 2016) - no138

117 I - Bulletin ; II - Mémoires : Jean CUSENIER, Le mal des ardents, saint Antoine et les Antonins ; Jacques MONAMY, Le mythe de la Haute Chasse et ses manifestations en Franche-Comté ; André BOUVARD, L’affaire de Dampierre-sur-le-Doubs et les premières cartes du Pays de Montbéliard ; Dieter GEMBICKI et Heidi GEMBICKI - ACHTNICH, Pierre- Conrad Fries (1720-1783) : un enfant de Montbéliard, trait d’union entre les Huguenots du « Désert » et l’Unité des frères moraves ; François VION-DELPHIN, Un marin au temps de Napoléon Ier, d’après un manuscrit inédit de Société d’émulation de Montbéliard ; Marie GAIMARD, Jean Walter (1883-1957) ou le parcours flamboyant d’un homme austère ; III - Documents : Gilles BANDERIER, La réception de dom Étienne Galland, supérieur des Antonins, à Besançon ; Jean MESSAGIER, Maurice PELTIER, Paul RACAMIER, Rhétorique 1941 ; IV - Mélanges : André BOUVARD, Trois perspectives cavalières de Montbéliard du début du XVIIe siècle ; Georgette BERGOËND, Étonnant lien russo- montbéliardais ; Pierre CROISSANT, Un syndicat « jaune » chez Peugeot Frères en 1936 ; Flora BEAUMANN, Trois étapes de l’accès des femmes aux droits politiques : l’exemple montbéliardais (1940-1945) ; V - Lectures : Vianney MULLER, Le patrimoine du lignage de Neufchâtel-Bourgogne (XIIIe-XVIe siècles) ; Ineke HUYSMAN, Scènes de la vie conjugale. La vie de Béatrix de Cusance (1614-1663).

118 Contact : BP 251 - Hôtel Beurnier-Rossel - 8 place Saint-Martin - 25204 Montbéliard - [email protected].

Revue d’Alsace, 143 | 2017