Chapitre V

Le fokontany de Tsarahonenana dans la commune rurale de : la société rurale et les pratiques populaires

1- Historique de la commune rurale de Masindray

La commune rurale de Masindray d’une superficie de 76 km² est située à 26,5km au sud-est de la capitale et fait partie du fivondronam-pokontany Avaradrano1. Elle se limite à l’ouest par la commune rurale d’Alasora, au Nord-Est par la commune rurale d’, au sud par la commune rurale d’, à l’est par la commune rurale d’ Ambatomanga et au nord-ouest par la commune rurale d’Anjeva. Masindray est composé de 11 fokontany dont Tsarahonenana, constitué de sept villages2. La commune d’Ambohimanambola est la plus proche de la capitale et située à 6km de Masindray. Nous avons choisi le fokontany de Tsarahonenana pour représenter la commune de Masindray. La population du Tsarahonenana est recensée au nombre de 1178 habitants, avec une densité moyenne de population de 3 habitants par km². Le fokontany de Tsarahonenana se trouve au nord-est de la commune de Masindray. Il est composé de sept villages dont Ambohindava, Ambohirohy, Ambodiriana, Maheninarivo, Ankadivory Ampitorahona et Tsarahonenana3. D’après les traditions orales, la circonscription de Masindray a été dominée par plusieurs groupes de notables andriana d’origine différente à l’époque royale. Chaque groupe d’andriana voulait conquérir l’ensemble des villages avoisinants pour étendre sa domination d’où les guerres intestines qui ravageaient tous les villages. D’une part, les vaincus étaient obligés de quitter Masindray en vendant leurs biens aux esclaves, andevo et émigrèrent dans la région du Moyen Ouest, à Trsiroanomandidy où ils créèrent un autre village dont le nom reprend celui de Masindray. Ceux-ci ont définitivement quitté Masindray. D’autre part, les vainqueurs restés sur place ont dû partir pendant la période coloniale à cause de l’indigénat qui était trop dur. Ils ne vendirent pas leurs biens

1Andrianampoinimerina divisa l’Imerina en six toko, parties et fit d’Avaradrano la caste la plus ancienne et instaura l’Amboara (bois très dur utilisé pour faire les cercueils des Rois et aussi souvent employés pour attacher les bœufs). Les six divisions de l’Imerina étaient Avaradrano, Vakinisisaony, Marovatana, Ambodirano, Vonizongo et Vakinakaratra. 2La Commune rurale de Masindray est composée de onze fokontany : Tsarahonenana, Antsaharoaloha, Miadamanjaka II, Aminampanga, Ivoara, Faliarivo, Masindray Tànana, Manazara, , Antanimenabe, l’étendue de la superficie est de 42 km². 3 Registre du recensement de la commune rurale de Masindray.

1 mais laissèrent leurs terres au soin de leurs serviteurs, d’où la présence massive des descendants des serviteurs sur place4. A l’époque royale, le village d’Ambohindava fut occupé par des groupes de notables riches appelés olom-potsy5ou andriana. Ces notables faisaient essentiellement du commerce de zébus ou dabokandro dans la région de Betsileo6. Pendant leur absence, les serviteurs s’occupaient de leurs biens, leurs habitats, l’agriculture et l’élevage. Ces villages sont situés sur les amonts, faciles à protéger contre les envahisseurs, par le creusement des fossés tout autour du village, caractéristique des villages des Andriana. Ces nobles riches propriétaires du village d’Ambohindava avaient choisi de vivre dans les pays betsileo à cause des conditions physiques et climatiques plus favorables qu’à Ambohindava, où ils pouvaient être maîtres de la région grâce à leur titre de famille noble comme officiers chargés de l’expédition dans le pays betsileo, un moyen pour conquérir de nouvelles terres. En guise de reconnaissance envers leurs serviteurs, ils leurs donnèrent des parcelles de terres à cultiver et des terrains à bâtir. Les principales occupations étaient l’agriculture et l’élevage (essentiellement des bœufs, moutons et des volailles). Le commerce des tubercules au marché d’Anjeva vient après l’agriculture et l’élevage. Toutefois, leurs habitations n’avaient pas été attribuées pour leur retour à Ambohindava. De ce fait, ce sont essentiellement les descendants des serviteurs qui occupent actuellement le village et c’est d’ailleurs la base de la population d’Ambohindava7. Le village de Maheninarivo fut occupé par la famille d’un seigneur appelé Andriamaheninarivo à l’époque royale. Celui-ci était le frère des 6 autres seigneurs qui dominaient la région d’Ambohimanambola. Comme tous les autres nobles, Andriamaheninarivo avait la famille Andrianovitsy, serviteur royal pour s’occuper de leurs biens. Mais à l’arrivée des colonisateurs, il perdait ses serviteurs. L’obligation de la corvée de 10 à 30 jours par mois avait poussé la famille princière à quitter le village et à vendre ses terrains aux serviteurs qui sont les ascendants des populations du village de Maheninarivo et des autres villages8. À l’époque coloniale, la population du fokontany, participait obligatoirement à la construction de la voie ferroviaire Tananarive-Côte Est, subissait fortement le système de l’indigénat avec la corvée obligatoire, payait les impôts. La commune de Masindray contribuait à l’effort de guerre, comme les autres communes lors de la Seconde Guerre mondiale d’où l’insuffisance de la nourriture chez les paysans à cause de l’exportation du riz vers la France. Pour survivre, il fallait cacher la nourriture sinon elle était ramassée par les autorités coloniales. La commune était aussi le théâtre de la répression après l’insurrection de 1947. Les personnes âgées se souviennent que les paysans se cachaient dans les lavabary, réserve du riz sinon dans les herana buissons pour éviter les Sénégalais ayant reçu l’ordre d’éliminer les « traîtres », c’est-à-dire ceux qui étaient en contact avec les partisans de l’insurrection.

4 Source : Maire actuel de la Commune de Masindray. 5 Olom-potsy traduit littéralement la peau claire de la personne issue de la famille noble ou andriana. 6 Le pays betsileo dont la capitale est Fianarantsoa, se trouve au Sud d’Antananarivo. 7 Source : interview de M. Randriamora, 103 ans, habitant du village d’Ambohindava. 8 Source : l’ancien PCLS de Tsarahonenana.

2 L’accession de à l’indépendance en 1960 annonçait une nouvelle perspective, loin de la pression coloniale. La population s’est remise à ses principales occupations, à savoir l’agriculture, l’élevage et les autres activités complémentaires comme le petit commerce et les activités artisanales. A cette époque, selon les vieux paysans, la population paysanne n’avait pas vraiment à se plaindre car tout ce dont elle avait besoin était accessible et à des prix raisonnables. Seuls les impôts9 étaient exorbitants et encore en application après l’indépendance. Rakotozafy Edouard, 72 ans évoque que :

« L’obligation des impôts était la misère pour les gens pendant l’époque coloniale et lors de la première république. Si le paiement d’impôt avait toujours continué encore jusqu’à nos jours, nous serions encore et davantage plus pauvres. Depuis cette époque, les gens n’ont aucune confiance envers l’Etat »10.

Rakotojaona, 70 ans, explique la même chose :

« J’ai remarqué qu’avant, on peut dire que les gens vivaient bien. Le pouvoir d’achat était moyen. Les gens n’étaient pas dans les difficultés et tout le monde s’entend bien, se respecte des plus petits au plus grands. Maintenant, on ne sait vraiment plus rien. Les gens deviennent différents, on arrive même à dire qu’il n’y a plus de confiance. Le niveau de vie a fortement baissé. La majorité des paysans sont dans la difficulté où ils sont obligés de vendre leurs biens pour réaliser un projet ou encore s’endetter. Alors, ils sont plus acquittés de leurs dettes. S’ils arrivent à s’en débarrasser, d’autres endettements viennent s’ajouter. Pendant un certain moment, quelques personnes sont devenus usuriers. C’est une pratique qui n’a pas pu tenir longtemps du fait qu’elle a provoqué des problèmes au niveau du village. Les relations sociales ont failli être coupées. C’est le fokonolona qui est intervenu pour régler le problème car sinon la famille qui a emprunté se retrouvait sans rien pour s’acquitter de ses dettes. C’est honteux. Désormais personne n’a plus le droit d’être un usurier par contre on peut louer les terres »11.

Masindray a été frappé par la crise comme l’ensemble du pays dans les années 1980. Cette crise s’est manifestée en milieu rural par l’insuffisance du riz. Exportateur du riz jusqu’en 1972, Madagascar est devenu importateur de riz. La production nationale n’arrivait pas à satisfaire les besoins en riz à cause de la forte baisse de la productivité, dûe au départ massif des sociétés d’exploitations rizicoles étrangères, suite à la politique de nationalisation des entreprises au début des années 1970. Le riz importé ne couvrait pas la demande nationale. Le manque touchait les produits de première nécessité comme le sucre, l’huile, le pétrole à lampion, savon qui n’étaient plus approvisionnés régulièrement mais par l’intermédiaire des spéculateurs qui faisaient régner le marché parallèle, risoriso. À Masindray comme partout ailleurs, les paysans ont souffert de cette crise.

9 Impôt de capitation karatra isan-dahy, à payer par les hommes en âge de travailler et impôts sur les bœufs karatr’omby qu’il faut payer tous les ans. 10 Voir Annexes, n° 26. 11 Voir Annexes, n° 98.

3 Afin de faire face à la prolifération du risoriso, le fokonolona se réunissait et décidait de créer une association des paysans du nom de Famonjena dont le siège se trouvait à Ambohindava pour lutter contre l’insuffisance du riz et des produits de première nécessité. La recette de cette association était constituée par la cotisation de ses membres afin de se procurer des produits dans la capitale. Le ravitaillement par ce moyen s’est fait jusqu’à ce que l’association fût remplacée par la KOPAREMA12 pour la distribution officielle du riz principalement. Cette coopérative fonctionnait dans le cadre du clientélisme politique, car seuls les membres actifs du parti AREMA13 bénéficiaient du bas prix du riz subventionné par l’Etat, ce qui excluait les paysans non membres dans leur propre village. Un conflit s’installait alors car l’initiative paysanne était récupérée par l’Etat à son détriment. Pour bénéficier de cet avantage, les paysans devaient adhérer à la coopérative, ce qui les obligeait indirectement à devenir membres du parti. Les coopératives étaient gérées essentiellement par le président du fokontany, désigné par les autorités centrales pour être leur porte parole et l’exécuteur des décisions prises au sommet. C’est lui qui faisait la pression sur le fokonolona. Les ménages ruraux bénéficiaient le moins de ce réseau de distribution. Selon l’enquête du MPARA de 1982/1983 pour les ménages ruraux dans les principales régions productrices du riz, la consommation moyenne de riz distribué officiellement n’était que de 4 kilogrammes par habitant14. Au contraire , la moyenne élevée de riz par habitant distribué officiellement dans les zones urbaines (121 kilogrammes par habitant), absorbait pratiquement tout le riz dans le système de distribution officielle, ce qui signifiait que la consommation moyenne par habitant de riz distribué officiellement était presque nulle pour les ménages ruraux15. Dans les années quatre vingt, les paysans ont modifié leurs habitudes alimentaires en associant le riz avec des tubercules. Toutes les familles paysannes étaient confrontées à cette situation d’insuffisance du riz. Razafimanantsoa 45 ans, explique la façon dont les paysans vivaient pendant les crises des années quatre vingt :

« Au temps de Ratsiraka, les paysans ont vraiment souffert à cause de la crise du riz alors que les paysans cultivent du riz. Nous avons changé de nourriture : le matin nous mangeons du manioc ou café avec de mofo gasy, le déjeuner se limite au manioc et le soir nous prenons du vary soa si nous trouvons du riz. En tout cas, nous mangeons beaucoup de tubercules entre les repas comme le manioc, patates douces et saonjo. La crise a touché aussi les produits de premières nécessités comme le sucre, la bougie, l’huile. Ces produits étaient absents dans les petites boutiques et pour en trouver, il fallait acheter à prix fort au marché parallèle. Nous n’avons pas connu ce genre de vie avant l’entrée de risoriso à la campagne.

12 La KOPAREMA est la coopérative du parti présidentiel AREMA, instaurée dans tous les fokontany en villes et dans les campagnes pour approvisionner officiellement en produits de première nécessité et en riz, en priorité les ménages de leurs partisans. 13 Les non partisans de l’AREMA ne bénéficient pas de ce privilège. Il s’agit de privilège car les prix des articles vendus sont nettement inférieurs à celui des articles en vente aux marchés. 14 Banque des Données de l’Etat, 1988. 15 DOROSH P. A. & BERNIER R. E et SARRIS A. H., L’ajustement macroéconomique et les pauvres : le cas de Madagascar, Programme d’action en matière d’alimentation et de nutrition de l’Université de Cornell, Whashington, Monographie 9, décembre 1990, pp. 99-101.

4 C’est pourquoi, nous préférons manger peu que de ne rien manger, selon les dictons des anciens. Mais nous ne nous engageons pas à enrichir les autres à notre détriment »16.

Les paysans préféraient changer leur habitude alimentaire plutôt que d’entrer dans un système qui les piégeait davantage. On est amené à interpréter cette attitude comme une forme de résistance de leur part. Les gens mangent du riz quand ils en trouvent. Seules les familles qui possèdent beaucoup de terres sont à l’abri du problème de riz. C’est dans ce sens que les paysans continuent à pratiquer leurs activités complémentaires et les dérivées des activités agricoles de l’économie populaire pour assurer leur subsistance, avec peu de moyens face à l’inflation et la flambée des prix, y compris celui du riz. Malgré cette pression de l’Etat qui cherchait à récupérer les initiatives paysannes en les utilisant à leur détriment, les paysans sont restés là et ont continué d’exister grâce à leur attitude de résistance.

2- Données et caractéristiques socio-économiques de la commune de Masindray : aspects généraux

Tableau.9. Données socioéconomiques du fokontany de Tsarahonenana

Villages Ecoles CSB17 Eglise Maisons18 Epicerie Electricité Interdits

Ambohindava 1 0 0 27 occ 1 0 élevage prim porcin aire 3 non-occ

Amboarohy 0 0 0 3 occ 0 0 Idem

Ambodirina 000 4 occ 0 Idem Ampitorahona 000 2 occ 00 Idem 2 non-occ

Maheninarivo 000 6 occ 20 Idem 2 non-occ

Ankadivory 0 0 0 5 occ 0 0 Idem Tsarahonena- 0 0 1catho 1 occ 1 0 Idem na 1protes

Total 102 494 0 Source : Enquête sur Masindray, mars 2001.

16 Voir Annexes, n° 45. 17 CSB : Centre de Santé de base. 18 Occ : occupées ; non-occ : non- occupées.

5 Tableau.10.Autres indicateurs socioéconomiques de la commune de Masindray

Production en riz19 940 Tonne Superficie en riz 470 Ha Rendement en riz 2.29 T/Ha Disponibilité en riz 17 Kg/hab/an Déficit en riz 145 Kg/hab/an Production en tubercules 1364 Tonne Superficie en tubercules 196.7 Ha Production en légumes et céréales 1588 Tonne Superficie en légumes 89.2 Ha Nombre d’établissement primaire20 (privé et public) 11 Nombre Nombre de kilomètres bitumés 0 Km Nombre d’élèves primaires 1 098 Nombre Nombre d’élèves secondaires 161 Nombre Densité de la population 159 Hab/km² Effectif de la population21 12 085 Nombre Nombre d’établissement secondaire (privé et public) 1 Nombre Source : Enquête sur la commune rurale de Masindray, mars 2001.

Ces deux tableaux nous informent sur la quasi-inexistence des infrastructures « modernes » les plus élémentaires pour le « bien-être » de la population du fokontany, (insuffisance d’école primaire, manque de centre de santé, l’inexistence de l’électricité et l’inaccessibilité à l’eau potable) alors qu’une station électrique et hydraulique de la JIRAMA d’Ambohimanambola se trouve à 6 km de Masindray. Le dispensaire se trouve également à Ambohimanambola. Une piste relie Masindray à Ambohimanambola, elle est impraticable pendant les périodes de pluies à cause du débordement du fleuve de l’Ikopa. Le niveau scolaire de la population est très faible à cause de la quasi inexistence des écoles sur place. Pour l’école secondaire, il faut aller à Ambohimanambola. Seules les missions protestantes et catholiques s’occupent de l’éducation de base et possèdent les moyens de subventionner les études primaires des enfants avec un minimum d’intervention des parents dans la commune de Masindray. Vu le coût de scolarisation des enfants, il faut des moyens pour envoyer les enfants en ville pour suivre leurs études secondaires et universitaires. Les parents sont conscients que les enfants de bas âge doivent aller à l’école, quels que soient leurs moyens, dans le but d’améliorer le niveau de vie de la famille et pour ce faire, ils sont prêts à investir malgré l’insuffisance des infrastructures scolaires dans la commune. Pour l’ensemble des fokontany de la commune de Masindray, parmi les neufs établissements scolaires publics qui existent, deux seulement fermés, il y a 20 salles de classes, 20 instituteurs pour 956 élèves, une moyenne de 47,5 d’élèves par classe22. Il y a deux établissements scolaires privés avec trois instituteurs pour 142

19 Extrait de la monographie de la Commune rurale de Masindray, CIRAGRI, Tana Nord 11. 20 CISCO Antananarivo Avaradrano, 1997/1998. 21 Monographie du Fivondronana et des Communes. 22 CISCO Antananarivo Avaradrano, 1997/1998.

6 élèves, donc au total, 1098 élèves scolarisés sur 12 085 habitants. Très peu ont atteint les niveaux secondaires et universitaires. Rakotonoely, 54 ans a envoyé sa fille étudiée dans la capitale à cause des moyens éducatifs dérisoires. Il explique les problèmes des parents à ce propos :

« C’est un grand problème pour les parents qui veulent envoyer leurs enfants à l’école l’insuffisance des écoles à la campagne. Même s’il en existe, c’est en très mauvais état. Les instituteurs sont insuffisants, il n’existe pas d’outils pédagogiques. Les salles ne disposent que de nombre limité de banc, un tableau de très mauvais état. Les gens préfèrent faire des sacrifices pour envoyer leurs enfants à l’école des missionnaires ou encore mieux à Antananarivo en habitant chez les familles ou en louent une maison. Quand les enfants réussiront à leurs études, et qu’ils deviendront des techniciens, l’avenir du village sera entre leurs mains. Ils pourront améliorer les conditions de vie à la campagne et développer le tanindrazana. L’Etat ne fait rien pour aider les paysans dans ce sens là. Nous réclamons l’amélioration de l’éducation en affectant des enseignants. À renforcer l’électricité à l’école pour que les enfants puissent travailler pendant l’hiver. En hiver, il fait nuit rapidement, les enfants sont obligés de rentrer plutôt »23.

Les enfants qui ont pu aller dans les établissements secondaires à Ambohimanambola avaient tenté leur chance en passant leur baccalauréat. L’objectif des parents n’est pas de laisser les enfants continuer de longues études universitaires mais de faire des études professionnelles qui permettent aux enfants plus tard d’être opérationnels à la sortie de leur parcours scolaire et d’entrer dans le marché du travail. L’obtention des revenus réguliers leur permettra de faire des transferts d’argent pour investir dans le domaine agricole et d’améliorer les conditions de vie en milieu rural.

Pour Régis, 48 ans :

« Les enfants étudient tous à Antananarivo. L’aîné continue ses études à l’Université, les trois autres sont au Lycée et au CEG ; il n’en existe pas au village. Ils vivent tous chez leur frère qui a reçu un logement d’étudiant à Ankatso où le loyer est très modeste. Il a également reçu la bourse d’études de l’Etat que nous combinons avec nos aides. En plus, le riz qu’ils mangent là-bas vient d’ici. Nous sommes très fiers d’eux car ils sont bien studieux et on les encourage davantage de réussir dans leurs études. Ils choisiront plus tard ce qu’ils vont faire à condition qu’ils n’oublient pas d’où ils viennent, leur tanindrazana. Parce que s’ils réussiront, c’est grâce à leur parents qui vivent au tanindrazana »24.

Rakotozafy Edouard, 72 ans, ancien employeur de la tannerie d’Anjeva, agriculteur et éleveur, originaire de Tsarahonenana, nous explique le parcours de son fils :

23 Voir Annexes, n° 96. 24 Voir Annexes, n° 93.

7 « Mon fils a commencé à étudier au village, puis il a continué l’étape secondaire et universitaire à Antananarivo. Il avait choisi l’étude polytechnique à l’Université d’Antananarivo, ensuite il a été recruté au Ministère des Travaux Publiques au titre de Chef de service. Mais il a quitté la fonction publique et désormais, il travaille à la Tannerie d’Anjeva. J’en suis fier de ce qu’il a fait car il a atteint le sommet. Il reste toujours fortement attaché à nous, à son origine. En d’autre terme, c’est lui qui prend la relève dans tout ce qu’il y a à entreprendre ici. Il finance beaucoup de chose, et il y vient régulièrement »25.

Les principaux moyens de subsistance dans la commune reposent sur l’exploitation des terres avec des techniques agricoles rudimentaires de type traditionnel (bêches, sarcloirs tirés par des boeufs,…). Tous les habitants qu’ils sont tompontany ou mpiavy sont essentiellement cultivateurs, leur principale occupation et source de revenu annuel. Ils exploitent leurs rizières et font beaucoup de cultures vivrières comme les maniocs, haricots, brèdes, etc. L’agriculture repose sur la culture du riz dans les plaines et les rizières recevant l’affluant de la rivière de Ivovoka. Possesseurs de terre ou métayers, les paysans cultivent du riz destiné principalement à la consommation familiale pour une année. Il est évident que les rendements sont trop insuffisants, compte tenu de la faible superficie des rizières et des terres à cultiver et les moyens financiers peu importants, d’où la limitation de la production qui souvent ne suffit pas à nourrir une famille sur l’ensemble de l’année. Les parcelles de rizières ne dépassent pas les 500 ares26.

Les rizières et les terres de culture se mesurent par le nombre de personnes qui les travaillent : une rizière pour le travail de 20 femmes, ou les champs de culture pour un travail de 15 hommes (ketsa 20 vavy) 27.

Seuls les paysans possédant beaucoup de terres ont la possibilité de vendre leur surplus et de faire des bénéfices importants, notamment en période de soudure aux familles dont le stock de riz n’atteint pas la prochaine récolte, et qui doivent acheter du riz aux marchés environnants. La polyculture y est aussi très présente. Les paysans font des cultures vivrières de grandes variétés à vendre au marché d’Analakely dans la capitale, Tsenan’ny Tantsaha. Tous les paysans, qu’ils soient métayers ou possesseurs de champ de culture diversifient la production, car la vente des légumes complète le revenu agricole. Les activités artisanales de plusieurs variétés sont pratiquées par la majorité des paysans. Elles sont héritées des parents lointains et se transmettent aux générations successives. Elles sont aussi répandues parmi les habitants du village par l’apprentissage collectif. Les pratiques artisanales se répandent facilement car les matières à utiliser sont présentes dans les villages, à savoir des matières végétales. Les pratiques artisanales ne demandent pas souvent d’investissement.

25 Voir Annexes, n° 26. 26 Travail pour 20 femmes ou pour 30 femmes selon la superficie de terres cultivées. 27 La superficie d’une rizière se mesure par le nombre de femmes qui y travaillent ou qui la repiquent (sens du mot manetsa). Les champs de culture sont mesurés au nombre des hommes qui les travaillent.

8 Suzette, 25 ans, explique comment les activités artisanales agissent sur les activités agricoles :

« Depuis longtemps les grands parents avaient déjà cultivé et élevé. L’agriculture et l’élevage étaient les principales occupations des parents et grands parents il y a déjà bien longtemps. C’étaient leurs principales sources de revenu. Chaque ménage avait des activités artisanales qui complétaient l’agriculture et l’élevage. Les familles qui possèdent des terres, comme celles qui n’en possèdent pas, cultivent toutes du riz. Le riz est la nourriture de base des malgaches. Les autres cultures vont de soi. Les récoltes sont vendues aux marchés, une partie est consommée par la famille sans oublier d’en réserver pour les semences »28.

Rasoarimanana, 47 ans nous raconte les activités de leurs parents :

« Les gens ont toujours fait de l’agriculture et de l’élevage. Les femmes avaient leurs travaux artisanaux qu’elles pratiquaient depuis longtemps comme le tissage et le tressage. Les produits agricoles et les articles confectionnés son vendus aux marchés. Tous les mercredi, on va au marché d’Ambatomanga, les jeudi, au marché d’Anjeva ou ici à Masindray, les vendredi à Ankadinadriana et les samedi à Antanamalaza. Il s’agit des pratiques anciennes mais qui sont toujours en vigueur jusqu’à maintenant même si les régimes politiques ont changé, en période de crise ou non crise. On a toujours des activités à faire pour subvenir aux besoins »29.

Pour Razafimahatratra, 30 ans :

«Les paysans ont l’habitude d’avoir des activités non agricoles qui accompagnent les travaux agricoles à la campagne. C’est une attitude ancienne des parents et grands parents. D’ailleurs, on ne s’en sort pas si on est obligé d’acheter ailleurs tout ce dont on a besoin sur place. On peut travailler avec des matières ou végétales existantes. Les femmes et les hommes doivent apprendre à utiliser leur main, c’est dans la tradition du pays. Les femmes qui ne savent pas travailler avec leur main ne trouvent pas d’époux. Par ailleurs, la fabrication des briques fonctionne surtout en saison sèche. Les gens venant d’Antananarivo commandent des briques chez nous. Faire des briques a quand même des revers car les terres s’abîment progressivement et qu’on risque de ne plus pouvoir les utiliser »30.

L’élevage est limité aux bovins et ovins (bœufs et moutons), volailles. Il ne s’agit pas d’élevage intensif avec des moyens conséquents, mais de petit élevage d’une dizaine de poules, des dindes, des canards et des oies. L’élevage n’est constitué que d’un nombre très limité de bétail, souvent des boeufs pour le travail des champs, une à deux vaches pour traire le lait à vendre et de volailles qu’ils vendent occasionnellement, en cas de besoin. Toutefois, le travail assuré par le bétail est très important. Le piétinage par les bœufs assure la préparation des rizières. La force

28 Voir Annexes, n° 8. 29 Voir Annexes, n° 88. 30 Voir Annexes, n° 76.

9 physique des bovins continue d’être utilisée pour le hersage des rizières, à labourer à la charrue, surtout à atteler les charrettes utilisées pour les déplacements éloignés comme pour les transports au sein du terroir (acheminement au champ du fumier de parc, chargement des bottes de riz récolté). Les familles qui possèdent de bétail ont des avantages car ils peuvent louer leur bétail pour les travaux des champs ou vendre à des prix forts. Le prix d’un bœuf est élevé de l’ordre de 1 000 000 à 1 500 000 fmg. Le prix d’une vache à lait peut atteindre jusqu’à 5 000 000 fmg. Le possesseur de bétail est à l’abri car il peut vendre et faire travailler et traire leur bétail. Pour les habitants de Masindray, le petit élevage est un investissement à court et à long terme. Le petit élevage est à vendre et aussi à consommer. Pour les habitants de Masindray, le petit élevage est un investissement à court et à long terme. Les moyens de transport pour écouler les produits sont assurés par la voie ferroviaire (voyageur et meda) et à pieds pour rejoindre les marchés de l’est à Anjeva, Alarobia Ambatomanga. Avec l’ouverture de la route reliant Mandroseza à Ambohimanambola en 1966, la liaison avec la capitale a facilité l’extension de la vente des légumes, car la capitale est un demandeur important de produits légumineux. Entre 1972 et 1975, le marché a été transféré à Anosy et ensuite à Anosibe. Le système de vente se base essentiellement sur la quantité d’une soubique ou par tas n’utilisant pas les mesures de quantification moderne comme la balance. Les légumes sont entassés dans des soubiques que les paysans fabriquent eux-mêmes pour être transportés aux marchés.

Les productions sont réparties entre les grands marchés ruraux d’Anjeva, d’Alarobia Ambatomanga, de , de la capitale, ou repris sur place par des collecteurs pour être transportés en camion dans la partie orientale du pays. Anjeva et Alarobia Ambatomanga servent de lieux de distribution des produits agricoles partant pour l’est de Madagascar. Les agriculteurs venus de Masindray et d’ailleurs, les collecteurs et les propriétaires de camions, les détaillants s’y donnent rendez-vous tous les mardi et mercredi, jours du marché dans ces deux régions. Les produits devant approvisionner la capitale sont rassemblés à Anosibe avant d’être redistribués par les marchands détaillants dans tous les quartiers.

Le principal problème dans les milieux ruraux et notamment à Masindray se situe au niveau de l’accès à la terre qui ne se résout que très lentement. Le métayage est devenu incontournable par l’insuffisance de terres à cultiver. Le morcellement des parcelles est sans doute causé par le système de partage des terres à chaque génération. Marie-Louise, 45 ans :

«Moi personnellement, j’ai une rizière et des champs de culture, et je suis métayer en même temps pour compléter ce que j’ai. Même si j’ai des terres, on peut dire que les récoltes ne couvrent pas l’année parfois. On se débrouille avec les terres qu’on dispose. Ces terres étaient suffisantes pour les parents et les générations antérieures parce que le partage était encore important. Ces terres sur lesquelles

10 nous travaillons sont héritées d’eux. D’ailleurs, la situation est presque similaire pour nous tous ici. Ceux qui ont vraiment réussi ont pu racheter d’autres terres »31.

Mais la disponibilité de terres a terre ne devrait pas être un problème car elle existe et en grande superficie. Le problème se situe au niveau de sa répartition par les autorités publiques. Le manque de terre n’est pas lié au phénomène démographique, et ce n’est pas un manque de terre en soi. Il y a des terres mais qui ne sont pas utilisées. Bien que nos enquêtes ne donnent pas une vue exhaustive, nous estimons que 60% de terres sont cultivables mais non cultivées. Le problème d’accès à la terre est lié à un mécanisme socio-politique. Les tompontany et les mpiavy sont confrontés à ce problème depuis la période coloniale et l’Etat ne résout pas le problème. Les terres sont emprisonnées, depuis la période coloniale, par une définition extensive de ce qui est appelé domaine public, dont l’attribution dépend des autorités politiques et administratives. L’octroi de terres aux personnes qui ont les moyens se fait par un mécanisme socio politique qui exclut les simples paysans sans argent. Les paysans ne peuvent pas acquérir de terres car on ne leur y donne pas accès, mais on donne ce dernier à des personnes étrangères qui vont leur louer. Une différentiation sociale s’installe au sein même de la communauté à cause de cette inégalité Il est très important de souligner que dans la commune étudiée, ce n’est pas la croissance démographique qui est la principale cause du manque de terre. Des personnes étrangères à la commune (des gens au pouvoir ou qui ont des moyens financiers) achètent des terres à l’Etat. Cet achat de terres peut être lu sous plusieurs angles. Les acheteurs veulent contrôler les terres. Cela se fait au détriment du reste de la population rurale en quête d’appropriation de terres. Ce contrôle met les paysans dans la dépendance car ils sont obligés de rester métayers. Mais ils aspirent aussi au droit d’accès à la terre qui marque l’appartenance au tanindrazana (donc à un attachement socioéconomique et territorial en utilisant tous les moyens dont ils disposent). La quasi-totalité des familles vivant à Masindray a déposé une demande d’appropriation mais qui n’a pas encore été honorée à cause du clientélisme politique. Certains observateurs nationaux et étrangers ont mis en avant que le manque de terre pourrait être compensé par l’amélioration de la productivité à l’hectare. Les tentatives d’élever la productivité ont été nombreuses, mais ont échoué. Les problèmes techniques ont sans doute joué un rôle important dans ces échecs. L’utilisation des techniques modernes avec des fertilisants chimiques a permis d’augmenter les productions mais celles-ci ont été soumises aux contraintes de la disponibilité et surtout de l’inexistence des engrais chimiques. En outre, les intrants chimiques sont coûteux ne permettant pas au bon nombre de paysans d’y accéder facilement. L’utilisation des gros engins est à exclure à cause du caractère parcellaire des rizières et des terres cultivées. La tergiversation des animateurs agricoles et des experts étrangers sur les méthodes et moyens à pratiquer en milieu rural a découragé l’ensemble des paysans. Pendant longtemps, on les a incité à utiliser les intrants chimiques et de l’autre, et depuis quelques années on leur demande de renforcer la production agricole bios et

31Voir Annexes, n°29.

11 naturelle. Les paysans sont contraints de suivre les recommandations venant de l’extérieur sans tenir compte de leurs propres savoirs, attentes et besoins. La principale cause de l’échec de ces projets est sans doute à chercher dans la méfiance que les paysans ont développée à l’égard des intervenants extérieurs. Le mépris que ceux-ci affichent souvent à l’égard des savoirs paysans, leur ont aliéné la confiance de ceux-ci, qui en outre ont perdu beaucoup de leur disponibilité pour les savoirs extérieurs, dont ils constatent que les variations correspondent souvent à la nationalité ou à l’âge des experts. Un exemple concret en est celui de l’échec d’un projet concocté par une alliance entre une association locale impulsée par des missionnaires étrangers, et une coopération technique étrangère. Au début des années 1990, une association dénommée TATA (Tanora Andrin’ny Tantsaha Ambanivohitra)32 a été créée pour orienter et former les jeunes paysans en tant que pilotes de la modernisation du milieu rural, en vue d’améliorer leurs techniques culturales et de réduire les feux de brousse qui parfois ravagent les cultures dans cette partie riche en végétation. Cette association est gérée par des techniciens agricoles, des missionnaires, des animateurs de développement rural. Le siège de l’association se trouve à , à 10 km à vol d’oiseau au nord de Masindray, dans le fivondronana d’Avaradrano. La commune de Masindray fait partie de la circonscription d’Avaradrano. Une pépinière a donc été créée à Ambohimangakely pour expérimenter de nouvelles techniques en vue de sensibiliser la population jeune environnante. Le problème de l’association réside dès le départ dans le fait que la population paysanne n’était pas enthousiaste à la participation de peur de se retrouver emprisonnée dans un système dont elle ne connaît pas le fonctionnement. A maintes reprises, elle a manifesté sa réticence vis-à-vis des initiatives non locales du même genre. Le projet TATA va trouver un appui auprès de la Intercoopération suisse dont un responsable a installé un projet pilote pour le développement rural à Masindray. L’animateur de la Coopération suisse collabore avec l’Association TATA. L’association incite d’abord les paysans à utiliser des engrais chimiques pour augmenter les rendements agricoles. Au bout de quelque temps, elle s’oriente vers les cultures biologiques. Les paysans sont stupéfaits devant ce revirement, et leur réticence s’accroît encore plus. En fait les paysans, entre eux analysent très durement les causes de ce revirement.

Razakarison Faraniaina, 47 ans, fait part de sa stupéfaction :

« Les animateurs ne font que ce qui convient à leur objectif parce qu’ils sont persuadés que nous les paysans sommes des ignorants en matière agricole. Au début, leur projet était promettant et les paysans étaient pris au piège, mais au fil du temps, les paysans ont commencé à perdre confiance à cause de leur attitude qui montre une indétermination. Ils ne font que de faire des

32TATA, Tanora Andrin’nyTantsaha Ambanivohitra = jeunes piliers des paysans en milieu rural.

12 essais et expériences qui n’aboutissent à rien de concret. On dirait que ce qu’ils font ne sont très claires »33.

Les paysans constatent par l’expérience que l’intérêt des promoteurs est de mettre en place un projet qui correspond à leurs objectifs, sans tenir compte de l’avis et des attentes des paysans. En plus ils constatent l’incohérence des objectifs des initiateurs. Cette versatilité des techniciens montre d’une part, que leur objectif est conditionné par des priorités étrangères et indépendantes des besoins de la paysannerie, et d’autre part, qu’ils sous-estiment les capacités de changement et d’adaptation du monde paysan aux nouveautés. Ils ne reconnaissent pas les paysans comme des acteurs à part entière. Par conséquent, ces acteurs «étrangers »34 sont vus par l’ensemble de la population paysanne comme un danger à retardement qui va déstabiliser leur vie. Le conflit interne s’installe facilement entre les animateurs et les paysans. Il n’y a plus de confiance réciproque entre les différents acteurs. C’est ainsi que dans les années 1990, les ONG et les coopérations étrangères ont rejoint dans la méfiance paysanne, la place occupée depuis longtemps par l’Etat fanjakana et les intervenants étrangers de tout genre. On peut rappeler ici que l’échec du projet GOPR dans les années 1970, a été partiellement dû au fait que les paysans ont appris rapidement que la rémunération des vulgarisateurs était liée aux quantités d’engrais qu’ils parvenaient à faire acheter par les paysans. Ceux-ci ont donc compris que les arguments techniques sur l’utilité des engrais n’étaient qu’une partie de la réalité nouvelle qu’on cherchait à leur imposer35. Dans ce contexte de méfiance réciproque et persistante entre acteurs extérieurs et acteurs populaires, les paysans de Masindray, comme ceux d’ailleurs, ont compris qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour survivre. Ce n’est pas une stratégie de repli à proprement parler, puisque il s’agit au contraire de s’ouvrir sur des activités extérieures, mais d’une manière qui peut être maîtrisée par les paysans eux-mêmes, à condition que ceux-ci limitent leurs attentes en termes de revenus . Les paysans ont appris à arbitrer entre dépendance plus forte à l’égard de la monétarisation et maintien de l’autonomie et du mode de vie local. Les paysans de Masindray ont opté pour des stratégies de contournement ou de diversification qu’ils maîtrisent et leur assurent le maintien d’une certaine autonomie face aux acteurs extérieurs. Par exemple en ce qui concerne l’accès à la terre, les paysans occupent de fait les terres du domaine de l’Etat, et les gens arrivent quand même à exploiter les terres disponibles avec le consentement du fokonolona. Les autorités administratives n’osent pas procéder à des expulsions violentes. Une autre stratégie est la diversification des activités pour échapper aux contraintes de la spécialisation et de la recherche de la productivité, sous contrôle extérieur. La diversification des activités est au cœur des comportements de l’économie populaire

33Voir Annexes, n° 41. 34Le mot étranger est mis entre guillemets, car en réalité, il s’agit de personnes étrangères à la communauté, les aides et le soutien proviennent des ONG. 35 RAISON J.P., Les Hautes Terres de Madagascar, Paris, ORSTOM-Karthala, 1984.

13 rurale. Elle se manifeste à travers l’élargissement continu des pratiques de vadin’asa. Avant d’étudier ces dernières plus en détail, il est intéressant de les situer dans le contexte général des composantes de l’économie populaire à Masindray. Tableau.11. Indicateurs de l’économie populaire en milieu rural

Indicateurs de l’économie populaire Niveau Unité Indicateurs économiques Principales occupations : agriculture et élevage 85 % Pratiquant des activités secondaires ou vadin’asa 74 % Revenu moyen mensuel/familles 100 000 à Fmg 250 000 Possesseur de terres 43 % Possesseur de terres et métayer 22 % Sans terre – métayer 35 % Possesseur de bovin /ovin 37 % Sans bovin/ovin 63 % Possesseur de volaille 75.6 % Sans volaille 12.4 % Propriétaire de maison 63 % Non propriétaire de maison/locataire 27 % Indicateurs sociaux Population active ou homme adulte valide 37 % Niveau de scolarisation : primaire 42 % Niveau de scolarisation : secondaire 12 % Taux de scolarisation des enfants 87 % Taux d’alphabétisation des adultes 67 % Nombre moyen d’habitants par maisonnée 6 Nombre Indicateurs des liens socioculturels « informels » Taux de participation au famadihana 78 % Pourcentage de population respectant les interdits fady 76 % Taux de participation en religion 68 % Taux de construction des tombeaux fasana 89 % Taux de participation au fomban-drazana (traditions populaires) 79.8 % Originaires des terres des ancêtres, tanindrazana : Tompontany 55 % Nouveaux venus mpiavy 45 % Indicateurs des liens sociaux « formels » Groupement associatif 15 % Réseaux familiaux 34.9 % Réseaux commerciaux 12 % Groupement paysan de base 10.1 % Association d’ordre religieux36 28 % Source : Enquête sur Masindray, mars 2001.

Ce tableau est issu des enquêtes menées auprès des ménages interviewés dans la commune de Masindray. Les enquêtes sont tirées d’un échantillonnage effectué auprès de 178 ménages répartis dans onze fokontany de la commune rurale de Masindray, ce qui correspond à une moyenne de 8,65% de la population totale de 12 085 habitants.

36 Toutes les sectes religieuses confondues.

14 Une enquête approfondie a été effectuée dans le fokontany de Tsarahonenana et a permis de comprendre le caractère séculaire de l’économie populaire ainsi que sa continuation dans le temps qui reposent sur l’interaction entre l’économique, le social et le culturel en milieu rural. Ces indicateurs ont été répertoriés suivant les réponses des interviewés.

Les indicateurs économiques déterminent les caractéristiques économiques de l’économie populaire en milieu rural. Ces indicateurs montrent généralement l’insuffisance des revenus par ménages mensuellement, les activités économiques principales et secondaires, le cadre de vie professionnelle, le milieu de vie précaire qu’ils occupent, ainsi que les moyens dont ils disposent (moyens matériels, financiers, etc.).

Les indicateurs sociaux nous révèlent le niveau de scolarisation des habitants, le taux de scolarisation des enfants et le taux d’alphabétisation des adultes afin de comprendre le niveau de l’éducation de l’ensemble de la population. Nous avons pu remarquer que le taux de scolarisation des enfants est élevé car compte tenu des problèmes que les ménages doivent affronter, les chefs de familles espèrent améliorer leur niveau de vie plus tard en se sacrifiant pour envoyer les enfants à l’école. L’alphabétisation des adultes est la signification de participer à toute action entreprise au sein des associations et réseaux du village ou de la commune.

Dans tous les milieux ruraux, les indicateurs culturels reposent/ou se focalisent notamment sur l’appartenance aux terres des ancêtres, tanindrazana qui sont les repères d’origine et les références identitaires et l’appartenance à un lignager. C’est ainsi que les gens apportent beaucoup d’importance au famadihana. Les tompontany, originaires du tanindrazana célèbrent systématiquement les cérémonies de famadihana. La participation à ces rites entre pleinement dans la réinvention des liens sociaux, dans la mise en valeur des pratiques populaires des multiples petites activités artisanales effectuées par tous les habitants et dans la réaffirmation de leur droits à la terre. La construction d’une nouvelle tombe familiale reflète la réussite sociale d’un individu et la formation d’un lignager qui porte le nom du père « mitondra ny anaran-dray ». La construction d’un tombeau est importante au même titre que la construction d’une maison et d’où l’intérêt que les hommes apportent pour cela.

Ces indicateurs culturels sont les régulateurs de la société tant en milieu rural qu’en milieu urbain. Dans la commune de Masindray, les religions catholiques et protestantes sont largement dépassées par les sectes. Le succès de ces sectes s’explique notamment que les gens cherchent l’idéal de leur vie. Leurs revenus servent aux dîmes ou encore des offrandes afin de développer leurs communautés. Les familles converties dans les sectes sont cependant, moins nombreuses que celles attachées à leurs cultures ancestrales. On doit souligner le poids de la culture ancestrale malgré de la présence des édifices religieux dans la commune : une église protestante, une église catholique, une église adventiste et une église Ara- pilazantsara.

Les indicateurs des liens sociaux sont représentés par l’existence de réseaux et associations dans la commune de Masindray. Ces réseaux et associations sont des éléments qui existaient déjà si on se réfère au fonctionnement du fokonolona,

15 puisque le fokonolona encadrait le rassemblement des différentes familles issues d’une même origine et du même tanindrazana, ce qui constitue le cœur des réseaux, aujourd’hui comme hier.

3- La notion du vadin’asa en termes d’économie populaire

Toutes les personnes interviewées sont toutes aux moins agriculteurs et éleveurs, principales occupations aussi bien pour les hommes que pour les femmes. En dehors de ces occupations, on peut rajouter la liste des occupations secondaires ou vadin’asa qui sont aussi importantes par leur nombre qu’en valeur monétaire pour compléter le revenu agricole et l’élevage : la briqueterie, la poterie, les travaux dans les champs, les petits commerces, les transports, la broderie, le tressage, la vente des légumes, etc. Les hommes et femmes se complètent. Chacun a ses petits métiers pour rejoindre les deux bouts du mois et nourrir la famille. Tableau.12.Les activités complémentaires vadin’asa

Activités secondaires Acteurs en % vadin’asa Hommes Femmes Brodeuses - 10 Fabricants de briques 11 2 Fabricants de poterie 10 5 Maçons 10 - Marchands de lait 4 - Marchands de légumes 27 31 Menuisier 11 - Ramasseur de sable 8 2 Petits commerçants 19 10 Tissage - 15 Tressage - 25 Total 100 100 Source : Résultats d’enquêtes sur la commune de Masindray, 2001.

Le mot vadin’asa n’est pas nouveau dans le langage de tous les jours chez les petites gens et chez les paysans à cause de la présence séculaire des activités complémentaires. Ce terme est utilisé aussi bien en milieu urbain qu’en milieu rural. 78% de la population interviewée évoquent l’existence du vadin’asa dans leurs vies quotidiennes et expliquent pourquoi ils doivent faire appel au vadin’asa37. Ce mot vadin’asa littéralement traduit par le « conjoint du travail » ou compléments rémunérateurs de travail se définit par toutes les activités effectuées par la population en dehors de l’agriculture, principale occupation dans la commune de Masindray.

37 Résultat des enquêtes sur les ménages à Masindray.

16 Il s’agit donc des activités extra-agricoles des paysans pluri-actifs. Les différents types de vadin’asa recensés dans la commune se rapportent aux métiers qui nécessitent le déplacement des hommes, aux activités de l’artisanat comme, le tissage ou tenona, le tressage ou rary, la poterie, la broderie, le commerce ambulant très répandu dans l’Est d’Antananarivo et la polyculture. L’intégration de l’élevage à l’agriculture et des apports provenant d’activités hors de l’exploitation agricole constitue des éléments importants de l’économie des ménages. L’élevage bovin, porcin et avicole contribuent à la vie des exploitations agricoles, on le constate au niveau des travaux des champs et des ressources pécuniaires. Tableau.13.Calendrier cultural annuel

Mois Activités culturales Novembre Repiquage du riz irrigué (vary aloha) – culture de manioc, haricot Décembre Repiquage du riz sec (vary vaky ambiaty). Période faste : moisson riz irrigué (vary aloha) Janvier/février Récolte des haricots, manioc Culture des brèdes Repiquage du riz sec (vary vaky ambiaty) Moisson du riz irrigué Mars Moisson vary sia Avril/mai Coupe du riz sec Semence en riz irrigué Juin/juillet Semence vary sia Août/septembre Repiquage du riz irrigué Octobre/novembre Repiquage vary sia

Ce calendrier cultural nous informe sur l’organisation et le programme des activités principales au cours de l’année par rapport aux activités complémentaires. Comme la riziculture est la principale activité des paysans de la Commune de Masindray, elle se situe au premier rang. La région de Masindray pratique notamment le vary vaky ambiaty38 qui se fait pendant la période hivernale d’avril-mai et le repiquage se fait avant la période des pluies en novembre-décembre, pour les rizières en hauteur, tanety ne nécessitant pas d’adduction d’eau. Alors que le vary aloha, riz de première saison, se fait du mois d’août jusqu’à la fin du mois de décembre, récolté en janvier-février. Les activités artisanales se pratiquent dans l’entre saison et notamment pendant la période de soudure39 par tous les membres des familles. D’ailleurs la période de soudure n’a pas beaucoup de sens pour la commune de Masindray, compte tenu du calendrier cultural. L’association des cultures vise un étalement des récoltes dans le temps, garant de la sécurité alimentaire. Ceux qui font le vary vaky ambiaty disposent largement de

38 Le vary vaky ambiaty riz de la floraison de l’« Ambiaty » (vernonia appendiculata, graminées). Le semis des graines en pépinières est fait lorsque l’Ambiaty fleurit. La récolte se fait en avril-mai. 39 La période de soudure se situe en février-mars-avril.

17 temps pour les vadin’asa, car il n’y a que trois à quatre mois de travail des rizières et le reste du temps de l’année consiste à des activités complémentaires comme la polyculture et activités artisanales. Mais il faut noter aussi que tout au long de l’année les paysans pratiquent continuellement ces activités artisanales. Les périodes de famadihana, qui se déroulent principalement tous les ans du mois de juillet/août au mois de septembre, constituent le moment favorable pour la confection des articles nécessaires à la cérémonie. Moment propice pour les activités non agricoles de l’économie populaire. Les activités secondaires et complémentaires vadin’asa sont pratiquées par l’ensemble de la population organisées en fonction de leur temps et de leur travail. Certaines pratiques sont héritées des parents, alors les mpiavy sont formés au sein de la communauté et à travers les relations de voisinage. Tableau.14.Les activités populaires à Tsarahonenana40

Villages Ménages Activités principales Activités secondaires Lieu de vente Destination intervie- des produits wés (nb) Ambohin- 27 Agriculture Elevage Commerce de Mandroseza dava (26/27) légumes, Labourage, Andravoahan- sarclage, repiquage, gy Tsaralalana arrosage, fumage Tamatave (25/27), tissage et Anjeva, aux petit marchand (1/27) collecteurs de Agriculteur et élevage Instituteur (1/27) (1/27) Amboarohy 3 Agriculture et élevage Commerce (3/3) Anjeva Toamasina (3/3) Ambodirina 4 Agriculture et élevage Commerce des Anjeva Toamasina (1/4) légumes (1/4) Ouvrier Tannerie Broderie (1/4) d’Anjeva(2/4) Agriculture et Faliary Elevage (2/4), Maçon Anjeva Agriculture et élevage (1/4) Inspecteur d’Eglise Ampitora- 1 Ramassage du charbon 0 0 0 hona Mahenina- 6 Agriculture et Elevage Commerce de Anjeva et Toamasina rivo (6/6) légumes Travail au Aminampanga Ambohimana champ journalier mbola (5/6), commerce et Mandroseza gargote (1/6) Ankadivory 5 Agriculture et Elevage Journalier, Commerce Anjeva Toamasina (5/5) (5/5) Tsarahone- 3 Agriculture et Elevage Commerce des Tsarahonenan Tsarahonenan nana (3/3) légumes (1/3), petit a. En dehors a marchand (1/3), du village. maçon et manutention Collecteurs de (1/3) et tressage. Anjeva Toamasina Total 49 44/49 46/49 Source : Enquête sur la commune rurale de Masindray, mars 2001.

40 Toutes les activités recensées dans le fokontany de Tsarahonenana sont valables pour les autres fokontany dans la commune de Masindray.

18 L’élevage

Le petit élevage n’est pas à négliger. Pour les paysans, il s’agit de fiompiana kely, petit élevage, si l’on tient compte de nombre très limité des animaux. Mais en terme de budget du ménage, il fait partie d’un investissement assez conséquent à court et à long terme. Chaque ménage possède des poules, des dindes, des canards dont la destination n’est pas définie préalablement. . Rares sont les familles qui ne possèdent pas de volaille. Les ménages interviewés n’ont pas de poulaillers. Les animaux errent dans la cour et dans les champs dans la journée et rentrent à la maison le soir et se mettent en bas de l’escalier. Ils sont considérés un peu comme les animaux domestiques, chat et chiens. Il en est de même pour les lapins.

En cas de maladie, un poulet est préparé pour aider le patient à retrouver la force, on lui donne de bouillon de poulet, ron’akoho. En période de fêtes, les dindes et canards servent de nourritures de festin, les familles en gardent un ou deux pour les fêtes et les restes sont transportés au marché pour être vendus. À la naissance d’un enfant, les familles offrent des poules à l’enfant pour qu’il s’en occupe dès son jeune âge. Au nouvel an, les enfants offrent aux parents et grands parents une dinde. L’élevage de volaille contribue à entretenir les relations familiales et communautaires. Il répond aux obligations sociales.

Par contre, la possession de gros bétail répond à des attentes économiques. Les bœufs aident les paysans aux travaux des champs, à labourer les rizières, à transporter des foins. Les familles qui ne possèdent pas des bœufs en louent. Ainsi, la location rapporte de l’argent aux propriétaires. Les vaches sont utiles aussi pour leur lait. Des collecteurs arrivent jusqu’au village pour chercher du lait destiné à la fromagerie d’Ambatomanga, à l’usine laitière de et pour les consommateurs de la capitale.

Si la vache est une race pure, elle est élevée pour avoir des descendances qui valent une somme très importante. Le nombre de bêtes pour chaque famille est de l’ordre de deux bœufs et deux vaches car il faut les nourrir et les soigner convenablement. Les paysans sont ainsi obligés de construire une prairie afin que les bétails ne se retrouvent pas dehors jour et nuit, et qu’ils n’attrapent pas une des maladies épidémiques qui ravagent les campagnes.

L’élevage en milieu rural répond à deux attentes : d’une part, une attente socioculturelle qui contribue à consolider les liens sociaux et le fihavanana à travers les moments importants de la vie, et d’autre part, un moyen de production de grande importance qui constitue un revenu permanent pour les paysans, complétant les activités agricoles et non agricoles. D’après Rakotoarivelo Jean de Dieu, 42 ans :

« L’agriculture et l’élevage sont la base de notre revenu. L’élevage aide beaucoup le revenu agricole car les gens louent les bœufs pour labourer les rizières. On peut dire qu’il s’agit d’un revenu à part entière. Quand il s’agit d’une rizière à grande superficie, le travail des hommes ne son plus suffisants, le labourage tiré par les bœufs sont nécessaires. Les vaches sont importantes car

19 une bonne race de vache peut de la bonne descendance. Et les gens achètent les bonnes vaches qui peuvent produire jusqu’à 20 litres de lait par jour. On arrive à acheter un nouveau bœuf ou une charrette avec les bénéfices obtenus par l’élevage »41.

La polyculture

Détenteurs de terres ou sans terres de cultures, tous les habitants de Masindray pratiquent la polyculture. Il s’agit des plantes à tubercules, des brèdes de différentes sortes, toutes sortes de légumes. Chaque ménage travaille au moins sur une parcelle de terres pour cultiver l’une ou l’autre. Elle peut se faire parallèlement en saison de culture rizicole mais aussi en alternant avec d’autres cultures suivant le calendrier de culture et les saisons. Cette polyculture complète les revenus des paysans par le fait que le stock de riz d’une saison ne permet pas d’atteindre la suivante, et donc ne suffit pas pour l’année entière. En période de soudure, les paysans se nourrissent des tubercules, manioc, patates douces et mangent rarement du riz. Quand le moyen le permet, ils alternent le riz par des tubercules.

Razafinindrina Georgette, 48 ans, est marchand de légumes : «Nous vendons des légumes (poireau, poivron, choux de chine, betterave, petits pois, haricots vert,…). Nous en prenons pour consommer à la maison et le reste est à vendre. On les transporte jusqu’à Anjeva où les collecteurs les achètent en gros. Ainsi nous recevons l’argent total. Parfois, on a besoin d’aide car les semences ne sont pas suffisantes. Elles sont coûteuses. Par ailleurs, les champs de cultures sont aussi insuffisants ce qui nous amène à louer des terres chez les autres. Nous n’écoulons pas le riz car on le consomme entièrement. Il nous arrive souvent d’en acheter chez les autres car le riz n’atteint pas la prochaine saison42. Chaque famille possède, sinon loue, au moins une parcelle de champ de culture tanimboly pour cultiver des légumes, champ de brèdes ou tanin’anana pour cultiver des brèdes et toutes sortes de cultures indépendantes des saisons rizicoles.

Marie Louise, 45 ans :

« La possession de terre de culture et de rizière contribue beaucoup à faire vivre les paysans à la campagne. Avec les champs de culture, je peux cultiver tout au long de l’année puisque que au bout de trois mois, je peux récolter des brèdes, haricots, haricots vert, petits pois pour être vendu, mais aussi pour être consommé par ma famille. Cette culture nous permet de ce fait de compléter le revenu pour aider à la scolarisation des enfants, à acheter des semences et à payer les travailleurs de champs»43.

41 Voir Annexes, n° 71. 42Voir Annexes, n° 79. 43Voir Annexes, n°29.

20 Ces champs se mesurent par le nombre de personnes qui les travaillent. 89% des ménages interviewés possèdent au moins une parcelle de terres de cultures. On parle d’un champ de culture ou tanimboly de 20 hommes comme on parle des rizières tanimbary de 15 femmes. Des tompontany comme des mpiady peuvent posséder l’un et l’autre44. Les récoltes sont essentiellement acheminées aux marchés d’Anjeva et d’Ambatomanga ou vers la capitale.

Le commerce

Le commerce figure en bonne place parmi les activités complémentaires des paysans de Masindray. Il existe deux niveaux de commerce pour la population. Il y a d’une part, le commerce qui s’effectue sur place au marché de Masindray-tanàna qui consiste à vendre les produits agricoles à l’ensemble de la population avoisinante. Il existe d’autre part, le commerce qui s’effectue en dehors du village, le commerce ambulant ou varo-mandeha des colporteurs effectué souvent à plusieurs kilomètres du village d’origine. Une grande majorité achemine leurs produits agricoles et non-agricoles sur les marchés hebdomadaires d’Alarobia Ambatomanga, Atalata Anjeva, de Manjakandriana à 60 km de la capitale, à Ambatondrazaka, jusqu’à Toamasina. Il s’agit d’une activité qui a depuis longtemps caractérisé les contacts des Merina avec les populations d’autres provinces. Les Merina étaient les principaux acteurs de l’acheminement de ces produits et leurs déplacements les portaient un peu partout dans le pays45. Le traitant français Nicolas Mayeur ayant traversé le pays à la fin du XVIIIe siècle, décrivait l’économie de l’époque par des échanges « avec les produits locaux comme la soie, le fer, le jonc, la viande et toutes sortes de productions, articles que l’on retrouve sur les places des marchés et qui découlent de la présence de toutes les productions de la grande île et même beaucoup de marchandises de l’Inde importées »46. Cette activité occupe encore une place importante dans l’économie de la population de Masindray. Le commerce ambulant n’est pas un monopole des natifs de la commune de Masindray, il concerne les natifs comme les immigrés récents. Beaucoup investissent dans ce domaine.

44 Interview de Randrianarison Jean, 56 ans, tompontany, marié, et quatre enfants, agriculteur et éleveur. Il possède une rizière pour un travail de 15 femmes (ketsa 15 vavy) et un champ de culture de 20 hommes (vala 20 lahy). Il y a eu aussi celui de Rakotonandrianina, 70 ans, marié, cultivateur et éleveur. Ses parents ne sont pas originaires de Masindray mais y ont vécu longtemps car lui étant né à Aminampanga, en dehors de ses activités agricoles, il vend des légumes à Alarobia Ambatomanga. Rasolo Fanomezana, 49 ans est marié, il est le PCLS d’Aminampanga, cultivateur et éleveur, il possède une rizière de travail de 30 femmes et un champ de culture de 8 ha, en dehors de ses activités agricoles, il est aussi menuisier et maçon. 45 HEBERT J. C., « Les marchés sur les Hautes Terres malgaches avant Andrianampoinimerina », Omaly sy Anio, n° 29-32, 1989-1990, p. 75 et RABEARIMANANA L., « Le district de Manjakandriana (province d’Antananarivo) pendant la Seconde guerre mondiale : désorganisation économique et restructuration sociale », Omaly sy Anio, 29-32, 1989-1990, pp. 121-125. 46 Rapport du traitant français, Nicolas Mayeur dans « voyage au pays d’Ancova », 1785, Bulletin de l’Académie Malgache, 1913, pp. 43-45.

21 L’artisanat

L’artisanat prend une place non négligeable dans les occupations et le revenu des paysans en dehors de l’agriculture et l’élevage, et permet de compléter le revenu et aussi le manque d’argent. Ce complément sert à acheter des fournitures scolaires, à honorer les petites dettes quotidiennes, à payer les travaux de champs, à acheter les articles nécessaires à la vie quotidienne comme huile, pétrole à lampe, bougies, savon, sucre, etc. Le travail artisanal concerne plusieurs domaines. Les principales activités en termes de vadin’asa que nous avons collectées dans la commune concernent le tissage et tressage, la poterie et la broderie et varient d’un village à un autre. Le tissage et le tressage sont les plus courants car les matières à utiliser sont faciles à obtenir et ne nécessitent pas d’investissement. Ravaonasolo Berthine, 39 ans, nous explique ses activités artisanales : « J’ai hérité de ma grand-mère maternelle et paternelle le tressage. Nous tressons beaucoup de paniers et nattes parce que les gens de la campagne ont en besoin dans toutes leurs activités, pour les travaux agricoles dans les champs, pendant la moisson et surtout lors des famadihana. Tous les articles utilisés dans la vie quotidienne à la campagne sont à portée de main. Celui qui ne sait pas tresser sait tisser ou faire autre chose. Si l’article n’est pas produit par les villageois, on peut le trouver aux marchés d’Anjeva et d’Alarobia Ambatomanga. Les activités artisanales comme le tressage, le tissage complètent notre revenu agricole. Si nous disposons plus de temps, nous pouvons produire en quantité de paniers et de nattes que les intermédiaires viennent les prendre directement chez nous pour aller vendre à Antananarivo. Maintenant, la demande des gens en ville a beaucoup évolué, la forme du panier a changé pour une utilisation plus spécialisée, il en est de même pour l’utilisation des lamba qui a évolué. Les lamba en soie destinée à embellir les morts servent maintenant à vêtir les vivants et sont devenus très à la mode »47.

La vannerie est une activité traditionnelle, elle utilise des graminées (haravola) et cypéracées (herana) locales pour fabriquer des paniers, soubiques, nattes destinées essentiellement à un usage domestique. Des familles de plusieurs générations les ont pratiqué et les ont transmis à leurs descendants.

Ramanantenasoa, 54 ans, nous a expliqué l’importance de vadin’asa :

«Les activités en dehors de l’agriculture et l’élevage sont très importantes pour nous, à savoir les activités artisanales. Elles nous permettent de compléter ce que gagnons de l’agriculture. Elles sont héritées souvent des grands parents. De mon côté, ma grand-mère tressait les paniers, les nattes, des chapeaux que ma mère et sa sœur ont hérité d’elle. De ma génération, je suis la seule à en pratiquer car mes sœurs font autres choses, comme la couture, la broderie qu’elles ont apprises ailleurs. Dès mon plus jeune âge, je me suis intéressée à tresser car je le trouve

47 Voir Annexes, n° 49.

22 passionnant. Pour moi, il ne s’agit pas seulement de complément de revenu, car j’en confectionne en nombre pour vendre aux marchés d’Isotry et de 67 Ha, mais il s’agit aussi d’une passion car j’aime ce que je fais. Mes deux filles qui vivent avec nous savent bien tresser et m’aident dans mon travail. Elles s’occupent également d’écouler les produits aux marchés de la capitale »48.

Razafiarisoa Mariette Beby, 34ans fait part de ce qu’elle a hérité de sa mère et de sa grand-mère :

« Le travail à main a déjà existé depuis très longtemps, et j’ai hérité de ma mère et de ma grand-mère le travail de tissage et le tressage. Je pense que c’est le vadin’asa qui a duré depuis longtemps, d’ailleurs, toutes les femmes du village en pratiquent. Selon la tradition orale et d’après ma mère, les parents ne laissent pas les jeunes filles aller se marier sans avoir des connaissances et bagages, car si elles ne réussissent pas dans leur ménage, elles pourraient subvenir à leurs propres besoins. Les jeunes gens cherchent leur âme sœur parmi les jeunes filles qui savent faire travailler leur main. C’est ainsi que nous avons hérité de nos parents les savoirs-faire »49.

Mais beaucoup d’autres ont cette dextérité qui est très fréquente dans la région. Certains ont même appris à le faire par les contacts et les liens de voisinage.

Ravo, 24 ans, a évalué ce qu’elle obtient sur chaque vadin’asa qu’elle effectue :

« La broderie apporte 30 000 fmg /mois mais en fonction du nombre de travail, un champ d’haricot apporte dans les 100 000 fmg pour 3 mois et plus ; les pommes de terres : 200 000 fmg pour 3 mois et plus ; les courgettes : 75 000 fmg ; choux de chine : 30 000 fmg ; le lait : 400 000 fmg par mois. Ces ressources permettent d’épargner un peu de l’ordre de 50 000 fmg/mois50.

Ravaoarimanana christine, 32 ans, mpiavy s’est vite adaptée au rythme du village en apprenant à tresser et à tisser :

« Le tissage et le tressage sont les activités des femmes de notre village pour aider à compléter les autres sources de revenu. Les gens s’entraident pour l’apprentissage et transmettent aux autres le savoir-faire. C’est pour cela que j’ai appris à tisser et à tresser. Ce n’est pas difficile, mais il faut seulement s’entraîner beaucoup comme dans d’autres choses »51.

La broderie peta-kofehy ou la peinture à l’aiguille est pratiquée par 17% des femmes dont Ravo, 24 ans qui est à a fois cultivatrice, éleveuse et brodeuse. Elle a

48 Voir Annexes, n° 58. 49 Voir Annexes n° 34. 50 Voir Annexes, n° 36. 51 Voir Annexes, n°126.

23 jugé qu’il est important d’avoir autre chose que le travail agricole comme ses parents l’ont fait avant elle.

D’après Ravo : «C’est un travail passionnant mais qui ne rapporte pas assez d’argent par rapport à la quantité et la qualité ainsi que le temps consacré au travail. J’aimerasi bien monter un petit atelier pour moi et ma famille et chercher des débouchés à Antananarivo au lieu de se contenter des intermédiaires qui ne sont que des escrocs. Elles nous paient peu et c’est elle qui gagne beaucoup » 52.

Olga, 24 ans, évoque la dépendance des brodeuses à l’égard des employeurs.

« C’est l’employeur qui vient jusque chez nous au village pour le travail de la broderie à faire. Elle nous procure toutes les fournitures à utiliser, le modèle à réaliser afin que nous puissions travailler vite. Le revenu de la broderie complète bien le revenu agricole. En un mois, quand il y a beaucoup à faire, on peut gagner jusqu’à 100 000 Fmg. Les autres femmes d’ici s’entraident en formant celles qui ne savent pas encore. Il y en a celles qui sont parties apprendre la broderie chez les sœurs à Manjakaray »53.

Ce travail dépend en grande partie de l’extérieur car les acheteurs préfèrent s’adresser à des sous-traitants. La situation n’est pas du tout intéressante pour les brodeuses à cause de l’intermédiaire qui empoche tous les bénéfices. Hélène, 41 ans a appris la broderie dans la capitale afin de trouver d’autre source de revenu. Elle sait tresser mais elle veut être polyvalente.

« Il est intéressant de savoir utiliser ses mains pour être toujours utile. Je suis partie en ville pour apprendre à broder car j’ai entendu que des gens intermédiaires viennent jusqu’ici pour trouver des brodeuses. Mais, c’est beaucoup mieux de monter quelque chose pour soi-même si on dispose de l’argent. Les brodeuses du village doivent se rassembler et se répartir les tâches afin de concrétiser le travail »54.

La poterie, par contre, est un travail délicat qui nécessite la maîtrise totale du savoir-faire, elle est aussi une activité ancienne. Les paysans artisans-potiers, sont environ 16%, et investissent à un coût relativement faible, dans l’achat du matériel et les outils de travail. Ils confectionnent leurs produits et les acheminent sur les grands marchés de la capitale par le taxi-brousse. Le reste dépend des débouchés qui parfois font défauts. Hary, 38 ans, fabrique des moules, il en a hérité :

52Voir Annexes, n° 36. 53 Voir Annexes, n° 65. 54Voir Annexes n° 35.

24 « En ce qui concerne la fabrication des moules à galettes et les pots de fleur, il s’agit d’une activité ancienne que les parents et grands parents avaient effectuée. Les générations postérieures ont hérité cette activité. Des activités artisanales accompagnent toujours les activités agricoles. Elles complètent beaucoup le revenu agricole. Les moules à galettes que nous fabriquons sont commandées par des preneurs qui viennent jusqu’au village pour les récupérer. En outre, quand je vais en ville, j’en apporte à une personne de confiance qui les vend au Coum de 67 ha »55.

Les habitants du fokontany d’Ivoara pratiquent la poterie pour faire des moules à galettes tavi-mofo, des marmites en terre vilany tany depuis plusieurs générations, des pots de fleurs qui sont venus beaucoup plus tard. Le témoignage des personnes interviewées nous révèle que le travail d’argile est transmis de génération en génération. La principale occupation de Samuel, 43 ans du fokontany d’Ivoara est la poterie. Il fabrique notamment des moules à galettes tavi-mofo et pots de fleur tavim- boninkazo.

« Nous avons pratiqué dans notre famille la confection des tavi-mofo depuis au moins quatre générations de mon père. D’après la tradition orale, les grands parents de mon père avaient déjà fabriqué des tavi-mofo à leur époque, qu’eux avaient héritée de leurs parents lointains. Les Malgaches ont depuis très longtemps consommé des mofogasy et ramanonaka, des galettes qui sont faites à partir des pattes de riz et cuites dans ces moules, les grands et les petits l’adorent. On en vend de grandes quantité dans tous les marchés»56.

Pour Andriamapianina Albert, 45 ans, il vit dans le même sens.

« Mon grand-père était menuisier, ma grand-mère fabriquait des tavi-mofo. Et ils étaient en même temps cultivateur et éleveurs. Mes parents cultivaient et ma mère tressait. Depuis mon divorce je vis seul. Mes enfants sont allés vivre avec leur mère ailleurs »57.

La demande en tavi-mofo est très importante aussi bien en ville qu’à la campagne car les mofogasy et ramanonaka sont prisés et considérés comme de la friandise populaire. En temps normal et pendant les cérémonies festives, la vente des mofogasy et ramanonaka rapporte toujours. Pour les fabricants, cette pratique a toujours contribué au revenu des paysans. Il ne s’agit pas seulement d’intérêt économique mais l’héritage d’un savoir faire qui a duré plusieurs générations, donc un mode de vie qui marque l’existence des familles d’un village.

55 Voir Annexes, n° 77. 56 Voir Annexes, n° 14. 57 Voir Annexes, n° 39.

25 La mobilité des hommes

Les déplacements des hommes figurent parmi les stratégies paysannes. Il s’agit surtout de déplacements vers les régions aux activités intenses comme à Alarobia Ambatomanga, Manjakandriana, Atalata Anjeva. Toutes ces régions se situent à l’Est d’Antananarivo. Ces déplacements consistent en va-et-vient et migrations temporaires. Les tompontany et les mpiavy sont concernés par ces mouvements. Les déplacements vers ces régions permettent d’écouler les produits de culture vivrière et de polyculture vers les régions de l’Est.

Mais il existe, par ailleurs, des mouvements migratoires qui relèvent d’une tradition de mobilité vers des zones proches où le voisinage entre pays de forte occupation humaine et secteurs de terres libres constitue le facteur principal des déplacements. Ambatondrazaka est la région la plus prisée par les paysans à cause de l’intensité des travaux rizicoles dans les grandes concessions qui demandent beaucoup de main d’œuvre permanente.

La grande majorité des travailleurs de cette région provient des régions d’ jusqu’à Manjakandriana. Ils y séjournent en travaillant pendant une année ou deux afin d’accumuler de l’argent et retourner au village. L’objectif est de transférer de l’argent au tanindrazana, afin de pouvoir s’acheter du terrain, du bétail, à payer les travailleurs des champs et des rizières et de s’approprier du prestige social dans le village.

Les autres activités

On peut classer parmi les vadin’asa toutes les activités comme la construction des tombes, fasana un métier qui occupe les maçons pendant les saisons sèches, le ramassage de sable le long de la rivière d’Ivovoka, pour lequel les gens doivent se munir d’une petite barque pour effectuer le travail, la fabrication de charbon de bois comme combustible. Les habitants de la capitale sont les principaux demandeurs de charbon de bois. Le travail du charbon de bois demande le renouvellement en permanence des bois. C’est pourquoi, il n’est pas vraiment répandu dans la commune. Le vadin’asa ne se limite pas seulement aux activités courantes déjà décrites mais touche également les activités illicites comme la production de toaka gasy ou l’eau de vie et de paraky gasy ou tabac, tous de fabrication artisanale traditionnelle. La fabrication traditionnelle de toaka gasy est interdite partout à Madagascar à cause des techniques archaïques qui empoisonnent fréquemment les buveurs et engendrent un taux de mortalité des adultes assez important. Le paraky gasy est aussi prohibé à cause du dosage non contrôlé. Mais ces deux produits sont répandus notamment en milieu rural, et sa vente se fait au grand jour lors des grands marchés malgré son interdiction. Les paysans sont les principaux consommateurs. Le toaka gasy est généralement pour les hommes, tandis que le paraky gasy est chiqué aussi bien par les hommes que par les femmes. Les tabacs à chiquer fabriqués par les usines et les cigarettes coûtent plus chers même si on en trouve en grande quantité dans toutes les petites boutiques de la

26 commune. Le paraky est consommé par tous les âges, dès le jeune âge, les gens apprennent à chiquer car c’est toute la famille, les voisins qui en prennent. Sa consommation est devenue une habitude. Les gens consomment le tabac à chiquer comme ils consomment le café. L’insuffisance de contrôle ou tout simplement l’inexistence de contrôle dans les milieux ruraux permet aux paysans de cultiver des feuilles de tabac et de produire en grande quantité avec des méthodes traditionnelles, dans la discrétion totale. Personne n’évoque la pratique de toaka gasy et de paraky gasy, les gens changent le sujet de conversation, ou sinon répondent carrément qu’il n’y a pas de fabrication de toaka gasy et de paraky gasy dans le village. Rakotondramanana Justin, 46 ans vend de yaourt à son lieu de travail au PAPMAD pour compléter le revenu, il a essayé d’introduire la consommation de yaourt dans son village. «Je partage avec ma femme la préparation de yaourt que je vends à l’usine à chaque moment de pose tous les jours depuis trois ans. On se procure des pots à Tsaralalana chez les grossistes indiens. On a choisi de faire des yaourts car nous perdons souvent d’argent. Les gens ne paient pas correctement l’abonnement. On a commencé à emmener à l’usine et ça a marché. Les employés s’abonnent et ils paient correctement à chaque fin du mois. On arrive à un bénéfice net de 150 000 fmg par mois. Nous vendons aussi au village pour inciter les gens à en prendre. Les gens en achètent mais pas comme au travail. À la campagne, le yaourt ne fait pas partie de priorité alimentaire. Donc les gens en achètent de façon irrégulière »58.

L’analyse des pratiques de vadin’asa aboutit à une constatation importante : il est très important de se rendre compte que les pratiques de vadin’asa ne peuvent être limitées à une dimension strictement économique, en terme d’économe informelle rurale. Elles sont indissociables de pratiques sociales et culturelles qui leur permettent d’exister comme activité économique, et qui sont confortées elles- mêmes par le vadin’asa.

C’est l’ensemble de ces composantes qui constitue les paysans comme acteurs populaires, et pas seulement comme des pauvres condamnés à survivre dans l’informalité. Le caractère pluri-actif des paysans n’est pas un fait nouveau ni un effet de la pauvreté. Les stratégies paysannes pour faire face aux crises des années quatre-vingt ne représentent pas des innovations59.

Elles s’inscrivent dans une logique de longue durée qui a toujours cherché à mobiliser les atouts dans la région afin d’assurer la sécurité alimentaire de la famille et d’entretenir le tanindrazana. Il existe déjà depuis des générations successives des paysans qui combinent l’agriculture et l’élevage avec des activités complémentaires. Il s’agit de comportements propres aux paysans qui doivent assurer leur sécurité alimentaire.Les paysans ont développé la pluri-activité notamment à cause de l’insuffisance de terres, car elle permet de garder une autonomie, malgré l’insuffisance du revenu agricole.

58 Voir Annexes, n° 85. 59 RAKOTO RAMIARANTSOA H., « L’Imerina », in Paysanneries malgaches dans la crise (sous la dir. J. P. RAISON), pp. 263-264.

27 C’est depuis longtemps que les paysans de Masindray ont cherché ailleurs des moyens de vivre complémentaires, comme le déplacement des hommes vers l’Est depuis l’ouverture de la voie ferroviaire qui relie Antananarivo et la côte Est au début du siècle dernier, ou comme le commerce ambulant qui s’est développé dans la région d’Anjeva, de Manjakandriana et d’Ambatomanga. A partir de 1966, l’ouverture de la route de Mandroseza à Ambohimanambola a permis d’acheminer les légumes vers les marchés des paysans Tsenan’ny tantsaha à Analakely de la capitale, à Anosy et à Anosibe. Il s’agit d’une extension de la production agricole et de l’intensification des pratiques culturales. Les produits artisanaux, la vannerie, la poterie (soubiques, nattes, paniers) qui ont une grande importance dans le village, sont aussi acheminés vers la capitale, aux marchés d’Analakely et d’Isotry. D’autres villages fabriquent des pots de fleurs, tissent des linceuls en soie, et des jia fotsy, rabane faite en raphia. A l’époque royale, la région de Masindray était réputée pour le tissage des jia fotsy pour les besoins royaux60. Les moyens de transport sont assurés d’une part, par le train des voyageurs ou « meda »61 reliant la région de l’Est et la capitale. Le chemin de fer passe à Ambohimanambola. Et d’autre part, les paysans vont à pieds en quittant en grand nombre le village dès minuit pour arriver tôt à Antananarivo. Le recours au vadin’asa n’est pas à confondre avec la pauvreté. Néanmoins, il est en quelque sorte la réponse à la pauvreté. Mais c’est une réponse qui cherche à éviter de tomber sous la dépendance d’acteurs extérieurs. Les paysans sont devenus méfiants, à travers l’expérience transmise de génération en génération, à l’égard des promesses faites par les intervenants extérieurs. Les stratégies étatiques, comme celles des acteurs non étatiques mais souvent associées au fanjakana, proposant des moyens de sortir de la pauvreté, sont perçues de plus en plus souvent comme des « ruses » d’intervenants extérieurs qui utilisent la paysannerie pour atteindre des objectifs qui n’ont rien à voir avec les besoins réels des populations. Le vadin’asa est au cœur des pratiques des pratiques des acteurs populaires, cherchant à se ménager un espace d’autonomie face à un monde méprisant ou hostile. Il est constitutif de l’identité de ces acteurs populaires.

4- Les acteurs populaires à Masindray : les tompontany62 et les mpiavy63

Les tompontany et les mpiavy sont deux catégories de personnes qui représentent les principaux acteurs dans les milieux ruraux de la commune. Ils sont réunis dans le fokonolona dans un même fokontany. Les tompontany ou autochtones sont, d’une part, les descendants des anciens occupants de Masindray, les groupes de notables andriana du temps des royaumes, revenus après la période coloniale, et d’autre part,

60 III CC 218, Lettre adressée au Premier Ministre Rainilairivony du 14 asorontany 1895, envoyée par Rabefisoro, Chef de Vonizongo, Rafaralahidimy sy Rainibodo, Rakoto et Rakotovelo gouverneurs de Masindray. La région de Masindray a reçu l’ordre de confectionner des jia fotsy pour l’utilité royale. 61 Meda se traduit par la lenteur du train. 62 Les tompontany sont originaires de la région, leurs ancêtres étaient de cette région, tompo=propriétaire ; tany=terres, régions, donc, propriétaire de tanindrazana. 63 Les mpiavy sont par contre les nouveaux venus, qui n’ont pas de racine dans la région. Ils ne sont pas originaires de la région.

28 les descendants des serviteurs de ces nobles, les hova et andevo qui ont toujours manifesté leur attachement et leur fidélité envers leurs maîtres. Le premier groupe de tompontany est faiblement représenté dans la commune, il est fortement absorbé par le second groupe, descendants des serviteurs. Les tompontany s’identifient par rapport au milieu à savoir aux maisons ancestrales ou tranon-drazana, aux tombeaux familiaux ou fasan-drazana, aux terres de cultures et rizières des parents, arrières-grands parents transmis aux générations descendantes. Ces tompontany attachent beaucoup d’importance à leur tanindrazana car ce patrimoine représente tout pour eux. Il est le point de départ, car les ancêtres en sont issus et tous les biens qu’ils ont laissés s’y trouvent (maisons, terres de cultures, rizières, forets, pâturage, etc.).C’est la base de la référence identitaire (le nom, la position sociale), la destination finale (la présence des tombeaux familiaux), donc un point de repère et un point d’attache. Même s’ils sont partis travailler loin, il y a toujours l’idée du retour à la terre des ancêtres, à la terre d’origine. Razafinndrangory, 70 ans, veuve est originaire d’Ampanobe, donc elle est tompontany. Elle est très attachée à son tanindrazana. Elle nous révèle sa relation avec son milieu en tant qu’issue de la région. «J’ai vécu ici depuis ma naissance et j’y ai grandi. Jusqu’à maintenant, je continue à y vivre. Pour moi, c’est une fierté. Ma racine est ici, ma destination est aussi ici. Mon père et ma mère étaient d’ici d’ailleurs. Les biens laissés par les parents et les ancêtres sont là : les rizières, les champs de culture, les collines, la maison, le tombeau qui sont hérités par les descendants. C’est à leur tour d’en prendre soin et d’exploiter. C’est le souhait des parents et des ancêtres. Le tanindrazana représente un grand intérêt et est sacré. Celui qui n’en a pas est très malheureux. Même ceux qui sont partis loin pour travailler reviennent à leur source. Les ancêtres ont pu vivre ici sans trop de difficulté, je ne vois pas pourquoi on doit aller vivre en ville pour aller chercher la misère. On était bien ici, on continue d’y être. C’est ce que je dis à mes enfants et petits enfants de ne pas délaisser le tanindrazana pour que les autres en prennent possession »64.

Les terres de cultures et les pâturages qu’ils possèdent sont alors des héritages de leurs ascendants. Le nombre de parcelles de terres de ces tompontany n’a pas changé mais reste celui laissé par les parents, alors que le nombre des héritiers a quadruplé depuis au moins quatre générations. Les terres étaient et sont distribuées selon le nombre des enfants et se transmettent aux générations postérieures sans qu’il y ait de changement. Les enfants à leur tour distribuent le peu de terres dont ils possèdent à leurs enfants. Et les familles ont souvent entre 4 à 10 personnes vivant sous le même toit. Ainsi beaucoup de familles tompontany de générations antérieures ne sont plus nécessairement propriétaires de terres suffisantes pour vivre. Le morcellement des terres est donc parfois extrême.

Éliane, 24 ans, est petite fille de Randriamaora (103 ans) :

64 Voir Annexes, n° 44.

29 « Nous exploitons les terres de nos parents et grands parents. Ces terres ne sont pas encore toutes réparties entre les petits enfants. Selon la tradition, la répartition ne peut se faire que lorsque la personne qui possède les biens soit décédée. Mais mon grand père (Randriamora) nous a déjà montré toutes ses terres, les forêts et les champs de culture, les biens qui sont exploités et ceux qui ne le sont pas encore»65.

Cette insuffisance de terres en leur possession est un problème pour les tompontany car pour produire et nourrir toute la famille pendant une saison, ils sont obligés de travailler comme métayers car les terres dont ils disposent sont trop insuffisantes. Mais ils s’y adaptent facilement et ne considèrent pas ce manque comme une catastrophe. Les réponses se trouvent sur place. Razafindrasolo, 37 ans, fait partie de tompontany qui ont de problème de terres. Selon lui, «Les paysans n’ont pas assez de terres pour vivre et améliorer son niveau de vie alors qu’il y a beaucoup de terres qui n’attende qu’à être exploiter. Ce sont les gens venant d’ailleurs qui ont de l’argent et d’influence qui obtiennent les terres qu’ils choisissent ici. Ce système est désagréable pour les paysans car on peut dire qu’ils sont obligés de demander les terres qui doivent leur revenir. Si l’Etat veut vraiment aider les paysans à sortir de la pauvreté, la solution est simple, il doit donner aux paysans la facilité d’accès à la terre »66. Tahina, 24 ans, a l’ambition d’acheter des terres.

« Mon mari et moi s’entraidons pour cultiver la rizière et les champs de culture qu’il a hérité de ses parents. Nous comptons acheter d’autres rizières car ce que nous disposons maintenant ne sont pas assez pour nourrir toute la famille et pour vendre. C’est le manque de terre qui est la principale cause de la pauvreté à la campagne. Les familles qui n’ont pas beaucoup de terres souffrent, mais celles qui ont beaucoup de terres, ils sont bien à l’abri des besoins. On ne peut pas vraiment dire que les paysans sont pauvres. Ils sont pauvres lorsqu’ils dépensent toute leur fortune à faire le famadihana. Avec l’argent qu’ils économisent pour préparer le famadihana, ils peuvent bien investir sur d’autres choses beaucoup plus rentables »67.

Vololona, 32 ans et son époux comptaient acheter de terres.

« Mon mari est tompontany, originaire de Miadamanjaka II, il est cultivateur et éleveur, mais aussi, il travaille comme chauffeur de taxi-brousse qui relie Antananarivo-Ambohimanambola. Mes beaux parents qui vivent avec nous, nous ont légué des terres, mais mon mari et moi avons beaucoup travaillé aussi pour en acheter d’autres terres. Le salaire de mon mari contribue à payer les travailleurs car toutes les terres sont exploitées. Nous combinons l’agriculture et le petit commerce, ce qui nous permet d’avoir un peu de réserve afin de pouvoir acheter du bétail pour travailler les terres et labourer les champs. Il n’est pas question d’attendre ce que mon mari peut gagner de son travail, je dois moi-même travailler

65 Voir Annexes, n° 52. 66 Voir Annexes, n° 75. 67 Voir Annexes, n° 100.

30 de mon côté. Maintenant, le couple doit s’entraider pour faire face aux problèmes. L’objectif est de réussir dans la vie »68.

Par ailleurs, le métayage est courant entre les familles et les voisins. Cette pratique est basée sur la confiance réciproque entre les deux familles contractantes. Elle s’est élargie pour les terres des familles vivant en ville ou ailleurs. Leurs terres restent exploitées par les familles au village malgré leur absence. Des problèmes d’accaparement de ces terres se sont déjà posés, mais se sont résolus au niveau du fokonolona. En partant travailler dans les grandes concessions comme à Miainarivo Itasy au Moyen Ouest, ou encore à l’Est dans la grande plaine d’Ambatondrazaka, jusqu’au nord ouest, à Marovoay, les gens arrivent à racheter des nouvelles terres. Il en est de même pour les pères de familles qui travaillent de façon intermittente en ville pour pouvoir agrandir leurs terres. Dans les années quatre vingt, certaines familles ont choisi de vivre en ville, à cause des impacts négatifs de la crise, pour ne plus dépendre de terres. Mais très vite, les personnes ayant choisi de vivre en ville ont été confrontées à d’autres problèmes beaucoup plus difficiles à maîtriser et très complexes comme le manque d’emploi et le problème logistique qui les ont obligées à retourner au tanindrazana après quelques années d’errements. Le coût de la vie en ville et le manque d’emploi les ont incité au retour vers la terre à titre de métayers jusqu’à ce qu’elles puissent en acheter pour leur propre compte.

Rasoloarimanana François, 43 ans, a vécu pendant des années dans la capitale avant de revenir à la campagne. « J’ai cru qu’en ville on peut mieux vivre qu’à la campagne. J’ai suivi mon père à Antananarivo à l’age de 12 ans. Nous étions trois à le suivre. Il travaillait comme maçon. Nous n’avons pas assez de terres donc pas assez de moyens, alors mon père a décidé de travailler en ville à suivre des chantiers de construction de maison. L’argent qu’il y gagnait était envoyé à la campagne pour compléter le revenu agricole afin d’aider dans toutes les dépenses agricoles. Ma mère et mes autres frères et sœurs sont restés ici. Mon père est rentré définitivement après avoir épargné suffisamment d’argent pour acheter des terres et des bœufs. Seul mon frère aîné continue à vivre à Antananarivo. J’ai aussi une de mes sœurs qui vit là-bas en suivant son mari. Je suis retourné à la campagne après quelque temps que mon père. Je ne vois pas la nécessité de rester en ville »69.

Les familles qui sont restées au village doivent remédier au manque de terres, elles doivent acquérir des terres pour affirmer leur place au tanindrazana tout en restant métayers. Ces terres sont de petites parcelles permettant une continuation permanente des activités agricoles et la manifestation de la présence au tanindrazana afin de maintenir le statut social et de reconstruire les liens sociaux. A côté des tompontany, il y a le groupetrès importants des mpiavy, les non originaires.

68 Voir Annexes, n° 102. 69 Voir Annexes, n° 55.

31 L’arrivée des mpiavy à Masindray remonte à la fin des années quarante, elle a continué massivement dans les années 1970 et 1990 suite à l’idée d’occupation de terres. La commune de Masindray dispose d’importantes terres à titre domanial comme partout ailleurs, qui pourraient devenir propriété privée après leur occupation et leur mise en valeur. La loi du 15 février 1960, n°60-004, qui exige une « emprise personnelle, réelle, évidente et permanente sur le sol », depuis au moins dix ans, avait permis à des exploitants individuels de s’approprier des terres70. Ravaomalala, 43 ans, est arrivée à Masindray en 1970, elle vient d’Ambaniala . Elle est professeur de Malagasy dans le C.E.G d’Antonontany 71.

« J’ai reçu du ministère de l’éducation l’affectation d’enseigner, alors j’ai choisi d’accomplir ma fonction et vivre ici. Et depuis, je suis restée. Je n’ai pas encore de terres mais je cultive à titre de métayer et j’exploite une parcelle de terre que je compte m’approprier plus tard »72.

Comme Masindray est en quelque sorte un carrefour qui relie l’Antsimondrano à l’Avaradrano, les mpiavy qui sesont installés à Masindray sont originaires des régions environnantes d’Antananarivo et des régions proches de la commune de Masindray.

Les mpiavy sont majoritairement des femmes arrivées au village pour se marier. La tranche d’âge des mpiavy varie entre 31 à 45 ans Ce village constitue sa terre d’accueil. Elles n’ont pas d’attachement socioculturel historique au village d’accueil mais en se mariant avec un tompontany, elles ont adopté le tanindrazana de leurs époux. Les femmes suivent leurs époux après leur mariage. À leur mort, elles seront enterrées dans la tombe de leurs époux, c’est le fomba, coutume. Fara, 32 ans, cultivateur est originaire d’Ankadinandriana, commune rurale située à 18 km au nord de Masindray, elle est devenue possesseur de terres tout en étant métayer :

« Mon mari est originaire de Masindray. Il est menuisier à Ampahimanga, et moi, je viens d’Ankadinadriana. Je fais de la broderie et je cultive. Nous possédons une parcelle de rizière tout en étant métayer. La terre que nous exploitons est l’héritage de mon mari de ses parents, partagée avec quatre frères et trois soeurs. Je suis venue vivre à Masindray depuis 1992 lorsque je me suis mariée afin de suivre mon mari. La broderie est un métier que j’ai appris de mon voisinage. Ma grand-mère tissait les linceuls et les nattes en raphia. Mon grand-père était menuisier. Parmi mes sœurs, quelques unes savent tisser mais pas toutes. Chacun a trouvé des occupations qui leur permettent de subvenir à leurs besoins. Ma mère est toujours cultivatrice et éleveur. Du côté de mon mari, les parents sont également cultivateurs et éleveurs »73.

70 Malgré cette loi en vigeur, l’accès à la terre n’est pas aussi facile. 71 Collège d’enseignement général public. 72 Voir Annexes, n° 63. 73Voir Annexes, n° 57.

32 Razafindramanana Gritte, 48 ans, mariée est originaire d’Ambatofolaka-Anjeva. Son mari est aussi originaire d’Ambatofolaka Anjeva. Elle est brodeuse et cultivatrice.

« Nous avons décidé de nous installer ici à cause de la distance entre le lieu de travail et le lieu d’habitation à Anjeva. Le moyen de transport devient coûteux si il ne veut pas marcher à pieds longtemps pour rejoindre son lieu de travail. C’était mon beau-père qui a longtemps travaillé chez PAPMAD, il est à la retraite. C’est mon mari qui l’a remplacé dans son travail. Nous avons exploité la terre de l’Etat au départ quand nous étions installés pour la première fois. Nous avons quand même pu nous acquérir de cette terre plu tard. Il est beaucoup moins coûteux de vivre à la campagne que de vivre en ville. Quand on a de quoi cultiver, on peut vivre sans problème. C’est la raison pour laquelle, nous nous sommes fixés ici » 74.

Il existe aussi des hommes mpiavy qui ont immigré à titre définitif. Ils sont en nombre restreint. Ils se sont mariés aux femmes tompontany pour s’intégrer dans la communauté. Selon les fomba, leurs femmes doivent les suivre à leur tanindrazana. Mais comme ils ont choisi de vivre au village, ils sont amenés à construire leur milieu de vie et construire leur tombeau. Ainsi, ils se sont soumis aux fomba du fokonolona. Beaucoup de femmes interviewées sont tompontany car leurs parents sont issus du village et possesseurs de terres. Elles n’ont pas quitté la région pour des raisons d’attachement aux lieux d’origine et au souci d’entretenir le tanindrazana. Elles se sont mariées avec les hommes tompontany et détenteurs de terres. Les deux dernières catégories d’âges comprises entre 46 à 65 et entre 65 à 100 ans et plus sont sans doute des tompontany, descendants directs des premiers occupants du village. Leurs ancêtres étaient soit des nobles ou andriana, soit les serviteurs des nobles ayant reçu des terres comme reconnaissance et fidélité à leurs maîtres. Ces serviteurs avaient transmis à leurs descendances leurs biens (terres, maisons, rizières, etc.), les traditions et les savoir-faire. Certains ont vécu ailleurs mais sont étroitement liés à leurs terres d’origine. Les autres sont restés au village pour veiller au tanindrazana car le tombeau familial s’y trouve ainsi que tous leurs biens. Ces tombeaux sont les liens entre la famille des villes et des campagnes. Les hommes de toutes catégories d’âges sont à 88% tompontany de la région. Ils sont quasiment tous possesseurs de terres, notamment les hommes de plus de 45 ans. 22% sont mpiavy, mais qui vivent dans le village en raison du travail. L’installation du centre hydroélectrique de la JIRAMA75 à Ambohimanambola a contribué à attirer des ouvriers des régions avoisinantes. Les mpiavy n’ont pas systématiquement de terres mais exploitent les terres domaniales, certains louent leurs maisons d’habitation avant d’avoir la possibilité d’en construire. Ils sont essentiellement des métayers. Les hommes qui ont suivi leurs femmes par contre en possèdent par le biais de leurs épouses. La plupart de ceux qui n’ont pas de terres, ou bien ceux qui n’en ont pas suffisamment sont devenus métayers. . Dans le cas de Masindray, des familles possesseurs de terres donnent les leurs en métayage aux familles qui n’en possèdent pas.

74 Voir Annexes, n° 64. 75 JIRAMA, compagnie des eaux et d’électricité malagasy.

33 Razafindrazanamamy, 38 ans est mpiavy et ne possède pas de terres :

«Je suis venue ici quand j’avais dix huit ans lors de mon mariagi. Nous avons choisi de vivre à la campagne parce que la vie en ville est coûteuse. Il est difficile de trouver du travail. Par contre, à la campagne la vie n’est pas aussi facile qu’on ne le croit, mais on y trouve du travail à faire, l’agriculture, travailler dans les champs, travailler sur la rivière d’Ivovoka pour ramasser de sable à vendre. Notre principal problème est le manque de terre, ce qui nous pousse à travailler dur pour avoir un peu l’argent pour acheter des terres. Nous sommes obligés d’être des métayers. Beaucoup de familles mettent leur terre en métayage. Les propriétaires de terres qui vivent en ville mettent leurs terres à la disposition des métayers. Les récoltes sont ainsi à partager, le tiers pour la propriété de la terre et les deux tiers pour nous »76.

Ce système de location de terres est parfois source de discordance et de malentendu. Mais il est aussi un moyen de renforcer les liens sociaux entre villes et campagnes, entre les familles qui sont propriétaires de terres vivant ailleurs et les utilisateurs vivant sur place. Ainsi les possesseurs de terres ne sont pas coupés de leurs sources d’origine, leur tanindrazana. Ils peuvent êtres soit des parents proches, soit des connaissances lointaines de la famille originaire du village. Dans la plupart des cas, les terres données en métayage appartiennent souvent aux familles qui vivent dans la capitale ou dans d’autres régions. Le 1/3 de production revient aux propriétaires des rizières, mais les 2/3 restent aux métayers, suivant un arrangement préalable entre le métayer et la propriétaire. Le métayage a permis à bon nombre de familles d’avoir des contacts permanents avec les villes et de renforcer les relations sociales et familiales dans le village. Pratiquement tous les cultivateurs qu’ils soient possesseurs de terres ou non possesseurs sont métayers, puisque de nombreux possesseurs compensent ainsi l’exiguïté de leur parcelle. Les paysans qui ont de trop petites parcelles doivent devenir métayers, ce qui consolide les possesseurs de terres, mais en même temps, les paysans métayers développent d’autres activités dont une partie des débouchés sont les possesseurs ruraux, ou émigrés à la ville, dont le revenu est un peu supérieur. Les tompontany et les mpiavy, réunis dans un même village, un même territoire, un même tanindrazana composent un fokonolona qui défend les mêmes intérêts. Il est difficile de faire une distinction entre eux car ils agissent de la même manière. Les hommes mpiavy en s’installant à Masindray se sont souvent détachés de leur tanindrazana respectif, et ils ont construit de nouvelle tombe pour eux et toute leur famille. Ainsi Masindray est devenu leur principal centre d’intérêt car non seulement leur tombe familiale y est implantée mais aussi tous leurs biens, maisons, terres, prairies, etc. Un nouveau mode de vie y est ainsi adopté suivant les coutumes de la région ou fomban-tany.

76Voir cf. Annexes, n° 7.

34 5- La reproduction des liens sociaux en milieu rural : une composante majeure de l’économie populaire

L’analyse des pratiques de vadin’asa et de la place des tompontany et des mpiavy à Masindray ont permis de montrer que il existe une relation forte entre aspects économiques et sociaux dans l’économie populaire. Cette relation est elle même liée à la mise en œuvre de valeurs et de comportements collectifs qui existent depuis des générations, tout en s’adaptant aux mutations du monde ambiant. Les valeurs culturelles sont indissociables des conditions de vie dans le fokonolona et des stratégies développées pour maintenir la cohésion de la collectivité face aux dangers qui la menacent de l’intérieur ou de l’extérieur. Les relations sociales reposent sur la confiance et la réciprocité .Les villageois veillent à maintenir la cohésion sociale à travers tout un ensemble de règles et coutumes régies par le dina, le fihavanana, le firaisan-kina, mots qui signifient l’entente pour tous les aspects de la vie du village et de la communauté, et qui désignent la confiance mutuelle comme base de la vie sociale.

Quelques traits de ces valeurs sont évoqués par la notion du fihavanana soulevée dans toutes les circonstances comme la pierre angulaire de toutes relations sociales. Le proverbe malagasy « aleo very tsikalakalam-bola toa izay very tsikalakalam- pihavanana »77, exprime l’intérêt de maintenir et de fructifier les relations sociales pour l’harmonie et l’équilibre de la société.

Vincent de Paul, 51 ans en est bien conscient quand il parle de l’importance du fihavanana :

« Pour les Malagasy, le fihavanana est très important qu’on ne peut pas acheter avec de l’argent. Avec le fihavanana, on peut éviter la guerre, la dispute et la rupture au sein de la famille et de la société. Si on peut éviter la discordance, vaut mieux l’éviter car vivant on vit sous le même toit, mort on se retrouve dans la même tombe, à quoi bon s’entretuer. Les ancêtres avaient raison de mettre l’accent sur le fihavanana. Le roi Andrianampoinimerina en était conscient. Pour l’extension de son royaume, il ne faisait pas la guerre pour envahir une province sous sa domination, il préférait se marier avec la fille de son adversaire et le problème est réglé. Un Malagasy n’a plus sa raison d’être malagasy, s’il ne respecte pas le fihavanana »78.

On se réfère aussi au dina, une sorte de convention et règlement interne entre les villageois qui régularise aussi bien l’équilibre que l’ordre social. La confiance mutuelle existe en partie parce que les habitants d’un village sont des parents proches issues d’une même origine ancestrale. Elle a donc une racine dans l’économie communautaire ancienne. Face à l’extérieur, la trahison au sein d’un village est très rare sinon presque inexistante.

77Le proverbe montre qu’il est beaucoup préférable de perdre de l’argent au lieu de perdre l’amitié ou de couper les relations aussi bien familiales que communautaires. 78Voir Annexes, n° 42.

35 Il est indéniable que les relations familiales conservent une place centrale, autour de la famille élargie, et sont l’héritage de l’économie communautaire. D’où l’importance centrale du tanindrazana jusqu’aujourd’hui. Le tanindrazana est le centre d’intérêt et de référence puisque toutes les activités économiques des familles sont axées sur l’entretien de ce cadre de vie. Pourquoi les gens tiennent-ils à se fixer sur un même endroit qui est l’origine de leurs ancêtres ? Au niveau du tanindrazana, plusieurs éléments sont en étroite interrelation. Il y a le patrimoine historique de la famille en question que chacun de ses descendants est tenu de respecter en les transmettant aux générations postérieures, donc les noms à conserver ; tous les biens mobiliers et immobiliers laissés par les ancêtres doivent être entretenus par leurs descendants ; les fondements culturels sur lesquels repose l’éthique de la famille sont à respecter. La cohésion familiale et sa perpétuation à long terme sont liées à l’appartenance au tanindrazana. La confirmation des liens lignagers est alors fort liée à un espace en construction permanente.

Razafindrangory, 70 ans :

« J’ai vécu ici depuis ma naissance et j’y ai grandi. Jusqu’à maintenant, je continue à y vivre. Pour moi, c’est une fierté. Ma racine est ici, ma destination est aussi ici. Mon père et ma mère étaient d’ici d’ailleurs. Les biens laissés par les parents et les ancêtres sont là : les rizières, les champs de culture, les collines, la maison, le tombeau qui sont hérités par les descendants. C’est à leur tour d’en prendre soin et d’exploiter. Ce fut le souhait des parents et des ancêtres. Le tanindrazana représente un grand intérêt et sacré. Celui qui n’en a pas est très malheureux. Même ceux qui sont partis loin pour travailler reviennent à leur source. Les ancêtres ont pu vivre ici sans trop de difficulté, je ne vois pas pourquoi on doit aller vivre en ville pour aller chercher la misère. On était bien ici, on continue d’y être. C’est ce que je dis à mes enfants et petits enfants de ne pas délaisser le tanindrazana pour que les autres en prennent possession »79.

Rakotobe 45 ans :

« Mes grands parents nous ont transmis le message qu’il ne faut pas abandonner le tanindrazana car c’est le bonheur pour tous. Dans la famille et celles de tout le village, les pratiques de famadihana ont lieu pour fortifier la cohésion entre les vivants mais surtout affirmer le respect envers les ancêtres pour qu’ils veillent sur nous tous. Les relations au niveau du village sont entretenues. Ce qui pousse les gens à se respecter et à respecter les aînés. Le fokonolona ainsi joue son rôle de médiateur et de rassembleur ».

Derrière l’économie populaire, il existe toute une dynamique socioculturelle et économique en construction continue qui se réinvente sans cesse en fonction des situations présentées. Mais le tanindrazana n’est pas la seule composante de la vie du fokonolona . A travers le temps, les familles issues d’un ancêtre commun, devenues finalement des ensembles très larges, ont inventé des normes et des pratiques qui permettent de maintenir une certaine cohérence de ces ensembles. Avec le temps, ces règles peuvent même incorporer des nouveaux membres dans la communauté villageoise, à côté des familles originaires, comme le montre le cas des mpiavy contemporains.

79 Voir Annexes, n° 44.

36 Les relations entre tompontany et mpiavy montrent que le système est ouvert et peut évoluer. Le fokonolona contemporain a inventé des procédures diverses, on l’a vu, pour intégrer les immigrés. Finalement, originaires et immigrés réinventent de nouvelles formes de fihavanana, adaptées au nouveau contexte. Les relations de voisinage ont pris beaucoup d’importance à côté des liens familiaux.

Le fihavanana fait partie du bien être populaire. Le centre d’intérêt se trouve focalisé autour de la reproduction des liens sociaux et de la réaffirmation des droits à la terre. Les paysans sentent le besoin de réinventer le fihavanana pour atteindre des conditions de vie meilleures.

Le vécu quotidien de la société rurale est traduit par un proverbe « an-tsaha tsy mifanary, an-tanana tsy mifandao »80, qui montre la cohésion sociale dans la vie communautaire, qu’il est question de partager aussi bien le bien que le mal. D’où l’importance particulière que chacun témoigne lors des décès, maladie, mariage, naissance et famadihana ou retournement des morts des familles proches ou membres de la communauté. La redistribution faite à ces occasions par les plus riches vers les moins riches reste impressionnante, et les revenus gagnés par le commerce ou le séjour à la ville sont largement réinjectés dans ces manifestations de sociabilité.

Ranjalahy 76 ans :

« On peut dire que le fihavanana garde toujours son importance si on observe ce qui se passe dans notre village. Les gens respectent la société. Il est vrai que les gens d’ici sont des parents, mais il ne faut pas nécessairement être parent pour être en bonne relation. Avec les habitants du fokontany voisin, le fihavanana reste valable. Nous le vivons dans tous les domaines. Nous nous soutenons en bien et en mal. À l’accouchement d’une mère de famille, les villageois s’entraident pour accomplir les obligations sociales. Si un décès survient dans le village, les gens partagent la peine de la famille concernée. Les gens de donnent la main pour les travaux qui demandent une importante contribution »81.

Le fihavanana est un type de relation qui n’empêche pas la différenciation ni l’inégalité, mais en limite les conséquences sur la collectivité. Il a été mis en place dans des communautés relativement égalitaires à l’origine, mais a évolué avec une tendance historique croissante à l’inégalité. De ce fait, la hiérarchie sociale établie au sein de la communauté fokonolona est respectée par tous, même si la crise économique de la Seconde république a beaucoup perturbé les conditions de vie économique et sociale des populations. Le fihavanana se combine avec les pratiques sociales comme l’entraide au travail, les obligations sociales, ou « adidy sy andraikitra » , les consensus dans le mode d’organisation et le maintien de la sécurité, qui ensemble reposent sur le souci de défendre les intérêts communs du fokonolona. Les formes d’entraide qui rassemblent les tompontany et les mpiavy au sein d’un même fokonolona, se traduit par le proverbe malagasy « izay tsy mahay sobiky

80 C’est un proverbe malagasy « Antsaha tsy mifanary, an-tanana tsy mifandao » qui exprime le sentiment de toujours affronter ensemble le bon et mauvais moment dans toutes les circonstances et partout. 81 Voir Annexes, n° 47.

37 mahay fatram-bary », « ny trano tsy mahalen-kialofana » : « celui qui sait fabriquer un panier ne sait pas nécessairement construire une mesure de riz » ou encore « quelle que soit la propriété d’une maison, elle pourra être un abri pour tous à la tombée des pluies ». Proverbes qui montrent des gens conscients de l’importance d’organiser des formes de coopération entre ceux qui partagent le même milieu de vie et défendent les mêmes intérêts.

La réciprocité, par ailleurs, se fait par le partage des taches agricoles et non agricoles, « entan-jaraina mora zaka », ou encore rendre le service qui a été offert, valin-tanana, qui a toujours existé au sein de la société malagasy. Les travaux agricoles se déroulent avec la contribution des autres familles en fonction des saisons et de leur temps disponible. En milieu rural existe le système d’entraide qui relève de la participation collective ou mindran-tànana, -prêté la main- et valin-tànana -rendre la main- ou encore - rendre le service qu’une personne a donné. Les travaux des champs notamment la riziculture nécessitent cette organisation et la contribution de tous les villageois. Un calendrier de travail est établi d’avance avec le consentement de tous afin que toutes les rizières soient travaillées. Tous les habitants hommes et femmes s’organisent soit en se répartissant, soit en se rassemblant pour travailler toutes les rizières selon le type de travail et suivant le calendrier cultural (période de labourage des rizières, semence, repiquage, moisson, etc.). Une telle organisation est nécessaire car le calendrier peut être modifié à tout moment à cause du changement du temps, temps sec dû au retard des pluies et temps cyclonique avec risque d’inondation. Il y a aussi des moments où il faut respecter un délai comme lorsqu’on doit répartir l’eau de montagne pour irriguer les champs, et la participation de tous est alors très importante. Cette organisation est aussi valable pour d’autres activités non agricoles comme l’artisanat, les services et la transformation. Elle permet de renforcer la cohésion et à améliorer l’organisation. La propriétaire de la rizière offre le déjeuner pour les travailleurs tout au long de la période de travail en nourriture ou en argent. Il s’agit d’un fomba ou coutume. Quand c’est son tour de travailler les rizières de quelqu’un d’autre, alors le propriétaire de la rizière fera la même chose. Cette pratique est valable pour tous les habitants propriétaires de terres ou métayers, les anciens ou tompontany et les nouveaux ou mpiavy. Cette convivialité fait partie du mode de vie rurale séculaire, menacée par le durcissement des crises économiques originaires de la ville. A Masindray, des travaux gratuits sont fournis par le fokonolona pour les familles qui n’ont pas vraiment de moyens (terres et argent). Cette entraide, fortement réglée par la coutume, montre l’existence de relations sociales encore fortes entre les habitants, entre les familles élargies au sein de la communauté. Rakotoson, 82 ans, montre une manifestation du fihavanana :

« Vivre seul ne me dérange pas vraiment car j’arrive encore à m’occuper de moi- même, de surveiller les travailleurs au champ et de préparer leur déjeuner. Les parents et le voisinage, le fokonolona m’aident tous grâce au fihavanana, caractère spécifique des Malgaches. On n’est pas seul tant qu’on n’a pas fait du mal et qu’on s’entend bien avec la société. C’est le fokonolona qui m’aide presque

38 dans tous les domaines, par exemple, aller chercher de l’eau dans le puits, s’organiser pour le travail des champs. Même si mes enfants et mes petits enfants me rendent visite régulièrement et m’apportent ce qu’il faut »82.

On peut dire que le concept de patrimoine organisationnel avancé par Mignot- Lefebvre et Lefebvre correspond assez bien aux réalités du fihavanana : « un patrimoine organisationnel, c’est pour une communauté donnée : des valeurs éthiques et morales, des consensus dans les échanges de travail, des systèmes de transmission des connaissances, des réflexes d’entraide et de défense, des arts partagés, des religions acceptées, des espaces de marginalité, des systèmes de régulation assurant les équilibres fondamentaux. Un patrimoine se constitue avec beaucoup d’efforts et de temps »83. Ce «patrimoine organisationnel » renvoie en effet à l’ensemble des valeurs sociales et culturelles qui font la cohésion des villageois, et qu’ils maintiennent et respectent. La capacité de réinvention du fihavanana en fonction de l’évolution des contextes et des opportunités est illustrée par l’apparition et la dynamique des « groupements de base » dans les villages.

Les paysans se sont réunis dans des «groupements de base » dans le cadre des villages. L’adhésion à ce groupement n’est pas restrictive, les paysans d’un autre fokontany peuvent s’y intégrer dans la mesure où leurs objectifs se rejoignent. Le groupement de base de Tsarahonenana accepte les membres en provenance du fokontany d’Imerikanjaka ou d’Ivoara.

La mise en place et l’intégration des paysans dans les groupements de base sont liées à deux facteurs : l’exclusion des paysans par rapport aux centres de décision politique et l’exclusion économique par rapport aux centres de distribution des grandes villes.

L’esprit de groupement de base met l’accent alors sur le développement local qui passe d’abord par une prise de conscience de l’ensemble de la communauté ayant senti l’exclusion par rapport aux systèmes et régimes qui se sont succédés. Cette exclusion rend encore de plus en plus indifférents et indépendants les paysans face aux initiatives émanant de l’extérieur. L’objectif est d’arriver à améliorer les conditions de vie et de se concerter sur les problèmes ponctuels qui touchent les paysans, entre autre, le manque de terre. Car aussi bien tompontany que mpiavy, sont concernés par ce problème. Le mot d’ordre dans ce rassemblement à vocation socioculturelle et économique se résume par le dicton malagasy « Izay tsy mahay sobiky, mahay fatam-bary »84. Les questions soulevées relèvent aussi de nouveaux modes d’organisation de travail, d’éventuels débouchés aux productions agricoles de la commune. Les

82Voir Annexes, n° 28. 83 MIGNOT-LEFEBVRE Y. et LEFEBVRE M., Les patrimoines du futur : les sociétés aux prises avec la mondialisation, Paris, L’Harmattan, 1995, p 11. 84 Izay tsy mahay sobiky mahay fatam-bary traduit par « celui qui ne sait pas tresser un panier peut en connaître d’autres ».

39 membres se cotisent mensuellement, se réunissent régulièrement et se répartissent les fonctions. Cette initiative contribue à redéfinir les rapports entre acteurs locaux et les autres acteurs (étrangers au local). Ces derniers doivent désormais tenir compte des demandes et objectifs des paysans. L’entraide et la complémentarité sont très importantes dans cette entreprise. Les groupements de base sont alors une nouvelle forme de socialisation du fokonolona. C’est une réinvention sociale et reconstruction des liens sociaux qui est en train de s’expérimenter. C’est aussi un rassemblement d’idées qui proviennent de différentes personnes de villages environnants ayant chacun sa priorité. Au sein des groupements de base sont discutés les problèmes qui touchent individuellement chaque membre et des objectifs concrets d’amélioration des conditions de vie dans la commune. La fusion des groupements de base de plusieurs villages peut se référer à une logique de réseau dont le mécanisme de fonctionnement est fondé sur la coopération. Cette logique engendre le « développement d’un processus de socialisation au sein de l’économie à partir des communautés. L’économie populaire s’inscrit donc dans le développement local et communautaire dans son ensemble »85. Ce qui conduit à la mise en place des réseaux associatifs « horizontaux » qui visent à défendre les territoires de l’économie paysanne.

En terminant cette analyse de l’économie populaire dans la commune de Masindray, on peut affirmer qu’elle a permis de montrer qu’on ne peut y réduire la complexité et la vitalité de l’économie populaire à une simple approche en terme de secteur informel et de pauvreté rurale.

Il est vrai de dire que la paysannerie de la commune de Masindray s’adapte progressivement vers le changement de la modernité. En tant que ruraux, la population s’imprègne progressivement de l’esprit ambivalent entre la modernité et la poursuite des pratiques populaires séculaires.

La population paysanne maintient et préserve de façon ferme les acquis du passé, mais essaye de s’adapter aux possibilités offertes par les changements en cours, en matière d’accès au système d’éducation moderne, au système de santé ou aux emplois offerts par le secteur moderne privé et public. Cette attitude illustre la capacité d’ouverture et d’adaptation des couches populaires aux changements imposés par l’extérieur. Cette adaptation se fait à travers des stratégies d’hybridation entre la préservation d’un mode de vie séculaire et l’incorporation de nouvelles pratiques. Mais en même temps cet horizon de modernité garde jusque aujourd’hui le référent de l’ancrage dans le fokonolona. D’une certaine façon, il s’agit idéalement pour les paysans malagasy de pouvoir se servir des avantages de la modernité pour préserver leur identité séculaire. Ce qui est à la racine d’un conflit, permanent et caché, entre eux et les acteurs de la modernisation, étatiques et privés, nationaux et étrangers.

85 LARRAECHEA I. et NYSSENS M., L’économie populaire au delà du secteur informel vers un secteur d’économie populaire du travail et de la solidarité? Regard métis, Vol 3, 1995, p. 123.

40 Dans la composante paysanne de l’économie populaire, on a affaire à de véritables acteurs qui portent une logique d’action qui doit être reconnue comme telle, comme un en soi, qui historiquement s’est construite à travers l’obligation de faire face à des acteurs qui ont toujours cherché à les soumettre à une autre logique d’action. Celle-ci est perçue comme portant une menace de destruction de la collectivité et de son patrimoine organisationnel. D’ou la génération à travers le temps de pratiques qui ont permis de maintenir, jusqu’à maintenant, la capacité de résistance de la collectivité paysanne, en tant que collectivité. Ces stratégies expliquent en partie l’incapacité de l’État de « capturer la paysannerie ». Elles démontrent la capacité d’évasion de la paysannerie, un fait déjà démontré, par G.Hyden dans les années quatre-vingt, mais à travers une approche négative du phénomène vu comme le facteur principal du blocage de la modernisation86.

86 HYDEN G., « La crise africaine et la paysannerie non captive », Politique africaine, n°18, 1985, pp. 93- 113.

41 Chapitre VI

L’économie populaire d’après les enquêtes dans la Commune urbaine d’Anosibe

1- Présentation du fokontany d’Anosibe

Le fokontany d’Anosibe se trouve au cœur de la capitale. Administrativement, il fait partie de la commune urbaine d’Antananarivo du quatrième arrondissement. Il se situe dans le quartier bas et populaire de la capitale. Ce fokontany s’étend sur une surface d’une superficie de 3,60 km² divisé en quatre quartiers. Le fokontany abrite 1634 toits87 avec une densité de 179 habitants/km². Selon les études démographiques récentes, c’est dans le contexte d’une croissance démographique de la capitale relativement lente qu’il faut analyser la spécificité de l’économie populaire urbaine à Antananarivo88. Le poids démographique de la capitale reste modéré dans la répartition de la population du pays, soulignant la faible urbanisation de Madagascar. La population de l’agglomération d’Antananarivo s’élève à 1 105 000 personnes en 1998, dont 858 000 pour la seule capitale administrative du pays89. Il y a eu cependant une poussée forte de migrations vers la capitale au moment de la crise économique et sociale de la fin des années 1970 et début des années 1980. La forte expansion d’Anosibe s’est faite dans ce contexte. Le fokontany est relativement peu équipé en infrastructures. Seulement 17 foyers ont l’eau potable chez eux, 768 foyers disposent de l’électricité, tandis que le quartier est équipé de 24 poteaux d’éclairage. Les routes, les rues et les ruelles ne sont pas goudronnées et aménagées, donc impraticables pendant la période des pluies, isolant plusieurs îlots de maisons entourées d’eau des marécages. La population est composée de toutes les ethnies, mais les merina et betsileo y sont majoritaires. Malgré le caractère populaire de ce quartier, on y rencontre les différentes catégories sociales de la capitale. Une minorité de riches y résident, vivant dans de belles maisons clôturées et gardées. La majorité de la population, à faible revenu, occupe les endroits marécageux. Le quartier d’Anosibe est donc caractérisé par la présence massive des petites gens aux activités diverses. L’économie populaire est la base de la vie quotidienne et c’est aussi la source du gagne-pain. Le manque d’emplois dans le

87 Monographie du 21/02/2000. Chiffre obtenu suivant le registre de recensement du fokontany d’Anosibe : 5720 habitants en 2000 et 5657 en 2001. 88 Les causes de cette croissance lente, on reviendra plus tard au chapitre suivant. 89 ANTOINE P., BOCQUIER P., RAZAFINDRATSIMA N., ROUBAUD F., « Biographies des trois générations dans l’agglomération d’Antananarivo », Les Documents et Manuels du CEPED, n°11, décembre 2000, pp. 13-14.

42 domaine formel oblige la population de s’adonner à toutes les activités pouvant apporter de l’argent. La majorité des habitants vivent selon leurs possibilités avec des moyens dérisoires. On y trouve des marchands détaillants de charbon de bois, des femmes de ménages, tireurs de pousse-pousse, marchands ambulants, charpentiers, jusqu’aux tailleurs de pierre, mécaniciens d’automobile, restaurateurs, etc. Toutes sortes d’activités y sont présentes, et chacun cherche à en tirer le maximum de bénéfices. Ces habitants sont conscients de leur situation et se battent pour vivre.

Mme Fara, 40 ans, mariée, marchand ambulant ou mpanao varo-mandeha :

« Nous sommes originaires de , nous sommes venus à Tana en 1987 pour travailler. La décision était de faire un petit commerce dans la capitale. Le choix d’Anosibe était facile parce qu’auparavant, quand nous venons à Tana, nous descendons toujours à Anosibe, c’est la gare routière. On s’est rendu compte u’on pourrait faire quand même pas mal d’argent avec les gens qui circulent à Anosibe tous les jours grâce au grand marché et la gare. Un jour on a décidé de nous installer avec l’aide d’une famille qui s’est déjà installée. Et c’est comme ça que nous sommes ici. Mon mari s’occupe alors de la boutique, tandis que moi, je me déplace beaucoup. J’achète des articles de ménages chez les indiens à Tsaralalana, je prends des vêtements de confection et je circule, j’arrive jusqu’à Miandrivazo. Cela nous rapporte beaucoup d’argent, ce qui nous a permis de vivre, de payer les frais scolaires des enfants, de payer le loyer, et d’envoyer un peu d’argent au village natal »90.

La pauvreté y est présente si l’on se réfère aux différents aspects socioéconomiques déjà évoqués dans le chapitre 4. Toutefois, on peut y observer une dynamique d’initiatives de la population urbaine, traduite par la diversité de ses activités de subsistance et de production pour marché. Cela montre que cette population ne nourrit plus d’attentes ni de solutions de la part d’intervenants extérieurs, étatiques ou privés. Elle n’attend plus ce qu’elle sait ne pouvoir obtenir de l’Etat ou du privé, mais son énergie est tournée vers ce qu’elle peut produire selon ses moyens et possibilités pour assurer sa subsistance.

Bozy, 24 ans, (vit en concubinage), marchand ambulant dans la capitale :

« Nous n’avons pas vraiment le choix, je fais ce que je trouve parce que nous avons quatre enfants. Il faut subvenir aux besoins de la famille. Mon mari est aide mécanicien. Je vends des vêtements de la friperie que j’achète en kilos chez les grossistes. Parfois, je vends des articles que je prends chez les indiens comme des appareils électroniques, radio, montre, etc. Mes parents viennent d’Alasora et moi et mon mari avons décidé de vivre ici. Nous louons une petite maison d’une pièce derrière le tsena d’Anosibe à l’ordre de 50 000 fmg par mois. Quand les affaires fonctionnent bien, on peut rentrer avec un peu d’argent. Quand la vente n’est pas bonne, c’est très difficile. Avec le travail de mon mari, il rapporte quand même

90 Voir Annexes, p. 8.

43 toujours de l’argent. Le garage rapporte de l’argent. Je disais à mon mari qu’il faut qu’il apprenne bien la mécanique et monter notre petite entreprise car les gens viennent toujours faire une petite réparation. Il suffit de bien travailler, et les clients arrivent »91. De multiples initiatives collectives et individuelles sont mises en œuvre, montrant la capacité de la population de lutter contre la pauvreté présente sans tenir compte de ce que chacun peut obtenir à la fin du mois ou à la fin de la journée. L’essentiel est qu’il existe cette possibilité de survie et de reproduction économique, même si elle n’est pas reconnue et valorisée par les instances officielles. Rakotovao, 70 ans, charpentier : « Je travaillais dans une entreprise de fabrication de meuble dans la capitale pendant 30 ans. J’ai commencé comme apprenti sans être passé par l’école de formation technique. Quand j’ai arrêté de travailler parce que arrivé à la retraite, j’ai continué chez moi. J’ai acheté petit à petit des outils de travail. J’ai tout ce qu’il faut sauf les grandes machines pour couper et nettoyer le bois. Deux de mes fils m’aident à leur tour et apprennent le travail, ils ont pris le relais. Les clients viennent quand même régulièrement pour passer des commandes de confectionner des portes, des fenêtres et mêmes de meubles. Il y a suffisamment de travail à faire »92. C’est une attitude qui n’est pas le fruit immédiat de la paupérisation récente, mais le produit d’un parcours de longue période face à des circonstances difficiles économiquement et socialement. Avant que ces gens vivent en ville, ils avaient déjà un mode de vie et des comportements qui les avaient forgés de génération en génération. L’économie populaire n’est pas ainsi un fait nouveau mais elle relève d’une attitude ayant traversée plusieurs épreuves, depuis des générations, dans la vie d’une famille, de la communauté, d’un village.

91 Voir Annexes, p. 7. 92 Voir Annexes, p. 7.

44 Tableau.15.Indicateurs de l’économie populaire en milieu urbain Indicateurs de l’économie populaire en milieu urbain Niveau Unité Indicateurs économiques Principales occupations : commerce 75 % Pratiquant des activités secondaires ou vadin’asa 86 % Revenu moyen mensuel/famille 150 000 à 350 000 Fmg Possesseur de volaille 78 % Sans volaille 13 % Possesseur de maison 31 % Sans maison/locataire 69 % Indicateurs sociaux Niveau de scolarisation : primaire 34 % Niveau de scolarisation : secondaire 12 % Niveau de scolarisation : supérieur 4 % Taux de scolarisation des enfants 67 % Taux d’alphabétisation des adultes 48 % Nombre moyen d’habitants par maisonnée 6 Nombre Indicateurs culturels Taux de participation au famadihana 79 % Pourcentage de population respectant les Interdits fady 68 % Taux de participation en religion 49 % Taux de construction des tombeaux fasana 86 % Taux de participation au fomban-drazana (traditions populaires) 57 % Nouveaux venus mpiavy 45 % Indicateurs des liens sociaux Groupement associatif 12 % Réseaux familiaux 67 % Réseaux commerciaux 43 % Association d’ordre religieux93 21 % Source : Enquête sur le fokontany d’Anosibe Ambohibarikely, juillet 2001.

2- Anosibe, lieu d’adaptabilité sociale

Quand on évoque le quartier d’Anosibe, on voit tout de suite le grand marché qui rassemble tous les producteurs de fruits, légumes, volaille des régions environnantes de la capitale, fournisseurs des consommateurs de la capitale94. C’est à partir d’Anosibe que tous les légumes, les produits agricoles et d’élevage se répartissent à travers les principaux marchés d’Antananarivo : Tsaralalana, Andravoahangy, Isotry, Besarety ainsi que chez les marchands de légumes de tous les quartiers de la capitale, et ce depuis la disparition du grand marché du zoma à Analakely. Anosibe évoque également la gare routière, située au sein du fokontany d’Anosibe. C’est le point de départ et d’arrivée des grandes lignes routières qui relient la

93 Toutes les sectes religieuses confondues : Ara-pilazantsara, Jesosy Mamonjy, Pantekotista, Advantista, et d’autres. 94 La région du Vakinakaratra est productrice de légumes par excellence à savoir les carottes, les pommes de terre, les fruits de saison. Il en est de même pour la région de Miarinarivo, Arivonimamo où sont sorties des variétés de légumes.

45 capitale aux différentes régions du Sud et de l’Ouest du pays. La gare routière d’Anosibe a été transférée à Ankadimbahoaka sur la route digue à cause de l’assainissement. Anosibe est alors l’un des carrefours socioéconomiques et culturels de la capitale où se déroulent les mouvements permanents et intenses de biens, de personnes, de services et d’argent. C’est un carrefour économique incontournable mais aussi un carrefour culturel et social non négligeable. La présence de ce grand marché et la gare routière traduit la symbiose d’éléments d’une dynamique de recomposition sociale évidente. C’est un lieu d’échanges et de rencontres où règne une certaine liberté d’action et où émerge une multitude d’initiatives individuelles, familiales et associatives. Anosibe est un quartier populaire où se rencontrent et se côtoient des dizaines de milliers de gens à travers des pratiques économiques et sociales diverses, avec des petites productions marchandes de toutes sortes qui font vivre une multitude de petites gens, les ruraux et les urbains, les pauvres, les moins pauvres et les plus riches. C’est un lieu d’habitation précaire sur lequel ont été construites des maisons mal loties. Au départ, les maisons sont souvent construites de façon dérisoire car elles ne sont pas prévues pour une installation définitive, mais peu à peu, avec les activités économiques qui s’effectuent sur place, elles deviennent des lieux d’habitation permanente. Ce caractère initial dérisoire n’a pas empêché les gens de se fixer et de faire du quartier un lieu ou ils veulent rester, en essayant d’améliorer progressivement l’habitat précaire initial, et d’essayer tous les moyens disponibles pour y arriver, compte tenu de moyens logistiques médiocres. Ces habitations se trouvent sur des endroits insalubres en arrière plan des routes principales, marqués par l’absence de canalisation et d’assainissement. Les maisons ont souvent été construites illicitement dans les années quatre vingt, période de laxisme pendant laquelle le fivondronana (l’ancienne appellation de la commune urbaine d’Antananarivo) a laissé s’installer un grand nombre de gens aux endroits qui ne sont pas habitables. Ces constructions ne suivent pas les normes de construction ni n’emploient les matériaux de construction autorisés par les normes en vigueur. Des milliers de familles entières venues des milieux ruraux s’y sont installées et se sont agrandies au fur et à mesure du temps. Des familles de trois générations successives occupent le même endroit. Si le moyen le permet, la famille se construit une ou deux petites maisons à une pièce dont l’une est à louer, située à côté de l’emplacement initial de la maison principale. Pour augmenter le revenu, les membres s’obligent souvent de partager la maison principale, pour louer la secondaire. Selon l’enquête faite dans le fokontany, les personnes de catégorie sociale faible sont propriétaires d’au moins une maison95. D’autres en possèdent trois, et alors l’une d’entre les maisons est habitée et les deux sont à louer, dépourvues du minimum d’hygiène et de commodité (souvent sans électricité et sans eau potable)96.

95 Interview du 02 août 2001 Fidy, 75 ans, marié et huit enfants, retraité et propriétaire d’une maison à Anosibe.

46 Ravao, 82 ans, veuve, 12 enfants, propriétaire de trois maisons : « Je travaillais comme femme de ménage chez les vazaha. Mon époux faisait le commerce de bétail avant de devenir boucher au marché d’Anosibe. Nous venons d’Arivonimamo. Nous avons adopté de vivre en ville si au départ ce n’était pas le cas. Alors, on a commencé à construire une petite maison de deux pièces pour toute la famille car ce n’était pas possible de louer trop longtemps une maison. Et ensuite, on a construit deux autres de la même dimension car la famille s’agrandit. Et quand mes garçons se sont mariés, j’ai mis en location les deux maisons. Eux, ils sont partis vivre à Ambatondrazaka, où ils ont acheté des terres »97.

Bakoly, 60 ans, veuve, 8 enfants, propriétaire de quatre maisons :

« Je vis à Anosibe à l’âge de 20 ans quand je me suis mariée. Nous sommes de . On est venu vivre dans la capitale car mon mari était infirmier à l’hôpital Ravoahangy Andrianavalona à Anosy. J’ai commencé par une petite gargotte. Avant, on louait le local pour le gargotte et notre habitation. C’est avec cela que nous avons épargné. Avec ce que je gagne et ce que mon époux gagne, nous avons construit une petite maison à nous de trois pièces. Et ainsi de suite, nous sommes à quatre petites maisons, je loue les trois, et nous occupons la quatrième maison. Comme mon époux est décédé, je reçois sa pension tous les trois, et le complète avec le loyer. Pour chaque maison, le loyer est de 100 000 fmg. Je ne travaille plus très fort comme avant, ce sont mes enfants qui font fonctionner le gargotte, surtout notre fille aînée »98.

Quoiqu’ils disposent de plusieurs maisons, leur revenu reste faible, du fait que les loyers perçus varient entre 50 000 et 100 000 Fmg par mois. Ces familles ont compris d’emblée l’importance d’investir dans l’immobilier, en tant que source de revenu durable qui ne dépend que de la solvabilité du locataire. Les locataires sont des familles arrivées plus tard mais qui se situent pratiquement au même niveau que les familles déjà installées. La location de ces maisons se fait donc entre habitants, et il n’y a pas de grand propriétaire extérieur. Le fait même de partager le même milieu met les gens en confiance réciproque. Ils se connaissent et se comprennent et les engagements mutuels sont incontournables. De ce fait, on rencontre rarement de mauvais locataires, et les propriétaires sont conciliants. Le paiement du loyer peut se faire en plusieurs tranches. Ce qui oblige les propriétaires de combler le manque à gagner, et de le substituer par d’autres sources de revenu, ce qui permet aux locataires d’étaler le loyer au long du mois. C’est un des éléments qui fait que les relations de voisinage prennent une très grande importance dans les quartiers populaires. En ville, on peut voir que le poids des relations de voisinage tend à devenir aussi important que les liens familiaux, du moins dans les quartiers populaires.

96 Interview du 31 juillet 2001 de Mme Ravao, 82 ans, veuve et 12 enfants, elle est propriétaire de trois maisons dont deux sont en location. Les maisons dont elle dispose se limitent à une ou deux pièces dépourvues de toutes infrastructures d’hygiène. 97 Voir Annexes, p. 10. 98 Voir Annexes, p. 8.

47 Ces mêmes familles ont chacune des activités qui relèvent de l’économie populaire et qui les unissent et qu’elles partagent. Ce partage n’est pas quantifiable économiquement et les pratiques sociales de partage jouent un rôle qualitatif aussi important.

3- Anosibe, lieu d’économie populaire par excellence

Le fokontany d’Anosibe représente, compte tenu des réalités sociale et économique que nous venons de développer, un lieu d’économie populaire par excellence. La présence des deux facteurs économiques : le grand marché et la gare routière côte à côte explique en partie la force attractive de travail, qui rassemble une foule immense chaque jour et fait circuler des capitaux importants. Une multitude d’unités de production informelle de biens et de services ont été recensée dans les quatre quartiers. On peut les diviser en deux, activités mobiles et activités immobiles. Quant aux activités mobiles, les marchands ambulants sont importants en nombre. Ils sillonnent un peu partout, aux marchés, à la gare et sont attirés notamment par les voyageurs. Ils vendent des produits non alimentaires divers comme des lampes de poche, briquets, jouets en plastique et des produits alimentaires. Leur nombre est très variable. Ils ne sont pas fixes à Anosibe mais suivent les jours du marché dans la capitale. Comme les tireurs de pousse-pousse qui sont très prisés par tout le monde à cause de leur côté pratique et leur coût accessible à tous par rapport aux taxis qui coûtent très cher. Ils peuvent transporter des personnes mais également des marchandises avec des charges importantes. Les lavandières, laveurs de voitures, les femmes de ménages, les porteurs, les chercheurs d’eau, les chargeurs de briquets travaillent journalièrement. Ceux qui font des activités mobiles ne vivent pas tous essentiellement à Anosibe. Bon nombre d’entre eux viennent des quartiers populaires voisins comme Anosizato, Anatihazo, Andavamamba, Isotry, Andranomanalina et vont à Anosibe pour chercher du travail journalier ou pour vendre grâce à la présence continuelle et régulière du potentiel clientèle d’Anosibe. Le salaire est dérisoire allant de 1500 à 7500 Fmg par jour permettant d’acheter de la nourriture. Pour les activités immobiles, on recense 135 petites boutiques ou épiceries éparpillées dans tous les quartiers essentiellement orientées vers les produits de première nécessité, riz, sucre, viande sur étalage, pain, sel, huile, pétrole détaillant. 53 gargotes sont situées surtout sur tout le long des routes s’occupant de la restauration. On compte aussi 4 menuisiers et charpentiers, 7 ateliers mécaniques automobiles et bicyclettes, 3 ateliers ferrailleurs d’ouvrages métalliques, 2 réparateurs de pneus, 15 brocanteurs. Une quinzaine de familles fabricants des ustensiles de cuisines travaillent chez elles à partir de la récupération, 4 couturières, mpanao zaitra an-tsena99.

99Informations recueillies par Tarika Angelo, étudiant en Sciences Sociales de développement au Département d’Histoire de l’Université d’Antananarivo, dans le fokontany d’Anosibe Ambohibarikely en date du 4 juillet 2001.

48 Jao, 38 ans, marié, 4 enfants, marchand de riz à Anosibe : « Mes parents avaient commencé à vendre du riz au pavillon d’Anosibe. J’ai monté mon propre commerce à partir d’un prêt que mon père m’a fait. Nous sommes originaire d’Ambatondrazaka où mes parents possèdent 4 ha de rizières. Mais je ne vends pas le riz en provenance de nos rizières car depuis la suspension du chemin de fer, on est obligé d’acheminer les sacs de riz en taxi-brousse. Ce qui fait que ça nous revient trop cher. J’achète moi-même du riz chez les grossistes ici à Tana et je le vends en détail au marché. Si on sait bien gérer, on gagne pas mal de bénéfices. Ma femme fait de la broderie, mais elle m’aide quand elle n’a pas beaucoup de travail. Nous louons une petite maison ici–même, car nos enfants vont tous à l’école privée d’Anosibe »100. Ces activités immobiles se caractérisent par une très grande précarité des conditions d’activité. Les boutiques et ateliers constituent en même temps le lieu d’habitation et 90 % des unités de production informelle sont abrités par des installations de fortune, ce qui les prive d’accès aux principaux services publics (eau, électricité, téléphone). Dina, 25 ans, célibataire, mécanicien automobile à Anosibe :

«Je vis à Anosibe depuis mon enfance. Mes parents sont originaires de Fandriana à Fianarantsoa. J’ai arrêté mes études à l’age de 16 ans. Et depuis, j’ai travaillé comme apprenti dans le garage automobile de mon oncle. Son garage existait depuis au moins quinze ans. Et c’est en travaillant avec lui que j’ai appris petit à petit la mécanique auto. J’ai eu la chance de poursuivre une formation professionnelle dans un autre garage de la capitale. Quand j’aurai suffisamment de fonds, je monterai mon propre garage. C’est mon plus grand souhait. Je me suis spécialisé au poids lourds. Je ferai la même que mon oncle. Il gagne beaucoup d’argent car les gens viennent toujours réparer leur voiture 101».

Parmi les activités de production artisanales, on observe la confection d’articles ménagers utiles pour les ménages de la capitale, le travail d’ouvrages métalliques, la fabrication de meubles, le rôle des couturières. Beaucoup de gens achètent ces biens, même les gens des quartiers riches achètent ces biens. Ce n’est pas seulement une économie entre les pauvres. Les biens et services produits dans l’économie populaire concernent tous les ménages de la capitale, qu’ils soient pauvres ou riches.

Thérèse, 44 ans, mariée, cinq enfants, elle est gargotière :

«Nous avons choisi de nous installer à Anosibe, car les affaires vont bien. Avec la gare, on ne manque pas de clients, du matin jusque la nuit. On a commencé à vendre de mofo gasy, menakely, thé et café au départ. Quand on a accumulé un peu d’argent, on s’est mis à préparer du vary amin’anana et saucisse ou kitoza tous les matins et les soirs. Mais les gens demandent plus de variétés alors, on s’est transformé carrément en gargotte. Les bénéfices ont permis d’agrandir un peu le local en un petit restaurant. On a les mets principaux pour le déjeuner, hen’omby

100 Annexes, p. 8 101 Voir Annexes, p. 9.

49 ritra, tsaramaso sy henan-kisoa, ravitoto sy henan-kisoa, voajobory sy henan-kisoa, lasopy, etc. On n’a pas besoin d’aller loin pour se procurer de la nourriture et des légumes car on est au cœur même du grand marché d’Anosibe, c’est un grand avantage. Par contre, on a beaucoup de travail à faire car, il faut tout préparer la veille, et se lever très tôt le matin. Ici à Anosibe, les mouvements se font le jour et la nuit. Les paysans qui quittent la nuit chez eux pour ravitailler la capitale en produits agricoles frais arrivent à Anosibe entre deux à quatre heures du matin. Alors tous les marchands de légumes de la capitale sont arrivés à Anosibe très tôt aussi le matin pour acheter les produits agricoles qu’ils vont vendre aux marchés de quartier. Donc, nous sommes là pour tous ces gens là. On gagne beaucoup d’argent, mais, il y a énormément de travail à faire. Ce qui est bien aussi, c’est pendant la période de famadihana ou beaucoup de gens viennent prendre le taxi-brousse très tôt le matin. Là c’est le va-et-vient interminable des taxi-brousse et des gens. C’est à Anosibe qu’ils prennent leur petit déjeuner. En tout cas, le travail de gargotier n’est pas fait pour les paresseux. Nous n’avons pas à nous plaindre. Cette gargotte nous appartient, on peut envoyer régulièrement de l’argent au tanindrazana pour acheter des terres, du bétail pour les travaux des champs, pour préparer du famadihana, et les enfants peuvent aller à l’école sans problème »102.

Les articles ménagers fabriqués à partir de la récupération de carrosserie de voitures et des fils métalliques d’emballage, se sont répandus rapidement dans tous les marchés de la capitale. Les fabricants sont des petits réseaux de familles de faible revenu qui s’organisent au niveau de la répartition des tâches : récupération des matières, production et confection, vente aux différents marchés de la capitale. Les articles qui sont vendus régulièrement sont les fata-pera103, les grilles et les tiges à brochettes, les râpes légumes, les cintres, etc. Les confectionneurs d’ouvrage métallique trouvent leurs clientèles parmi les gens riches. Pour renforcer la protection de leurs maisons, ceux-ci font faire des grilles de protection métallique en s’adressant à ces confectionneurs de l’économie populaire. L’outil de travail comme l’appareil de soudure électrique se résume à des bricolages électriques qui fonctionnent bien, le lieu de travail se confond avec le lieu d’habitation et les travailleurs sont des membres de la famille. Les fers à forger sont des fers de récupération. Il en est de même pour les mécaniciens réparateurs de voitures qui sont connus par les clients de la classe moyenne. Les menuisiers et les couturières se trouvent à peu près dans la même situation. Les menuisiers qui ont des références construisent des meubles commandés par des clients moyennant un premier paiement pour l’achat des bois et les fournitures. Selon les moyens dont ils disposent, ils fabriquent aussi des meubles qu’ils vendent au marché d’Anosibe, et au marché d’Isotry. Les couturières agissent de la même façon. Quand elles ont un peu de moyens, elles confectionnent des vêtements qui sont destinés à la couche populaire qu’on voit dans les marchés. Ces activités s’inscrivent dans le cadre général des activités de production de l’économie populaire recensée dans l’ensemble de la capitale montrées par le tableau ci-après.

102 Voir Annexes, p. 9. 103 Les fata-pera sont des foyers en fer à usage domestique qui servent à cuire la nourriture en utilisant le charbon de bois. Tous les ménages malgaches de la capitale de toutes les catégories sociales riches et pauvres l’utilisent. Le prix de l’unité varie entre 10 000 à 15 000 fmg. L’utilisation des fata-pera s’est améliorée pour économiser l’énergie, donc, pour diminuer l’utilisation de charbon de bois : c’est le fata- pera mitsitsy dont le prix peut aller jusqu’à 25 000 fmg en fonction de sa taille et de sa qualité.

50 Tableau.16. Structure par branche des unités de production informelles UNITES DE PRODUCTION EMPLOIS Effectifs % Secteur informel Secteur formel Industries : 43052 35.5 39,8 27,0 -Agro-almentaire 4851 3.9 4,5 2,4 -Confection 25011 20.3 21,5 12,7 -Autres 6513 5.3 8,2 8,0 -BTP 6677 5.4 5,6 3,9 Commerce : 48320 39,3 33,1 12,6 -Produit primaire 33366 27,1 22,1 5,1 -Produit transformé 14954 12,2 11,0 7,5 Services : 31628 25,7 27,1 60,4 -Ménages et entreprise 18735 15,2 17,8 53,7 -Restauration 5887 4,8 5,5 2,8 -Transport 7005 5,7 3,8 3,9 TOTAL 123 000 100 100 100 Sources : Enquête 1-2-3, phase 1 et phase 2, calculs MADIO.

Que représentent tous ces éléments du point de vue social, économique et culturel ? Il est à noter que ces trois aspects sont étroitement liés et ne doivent pas être lus séparément. L’économie populaire n’a pas seulement un rôle économique certain de fournisseur de biens et services mais elle joue un très grand rôle comme pourvoyeur d’emplois. 65% des activités recensées dans les quartiers d’Anosibe sont répertoriées parmi les petits métiers dans les activités populaires. Les unités de production informelle apparaissent comme un secteur de développement spontané des activités économiques des ménages. Elles n’ont pas de numéros d’enregistrement statistique mais sont quand même fiscalisées, car 19% d’entre elles payent la patente, même si la part des taxes payées à l’Etat reste faible. Selon l’étude de Projet MADIO, le chiffre d’affaire annualisé du secteur informel non agricole à Antananarivo a atteint 1309 milliards de Fmg au cours de l’exercice mai 1994/avril 1995. Plus de la moitié de ce montant proviennent des activités commerciales, environ 30% pour le secteur industriel et 20% restant sont pour les services104. Il faut encore rappeler ici que dans le cadre de l’agglomération d’Antananarivo, au second semestre 1995, l’on comptait 123 000 unités de production informelle qui employaient 189 500 personnes dans les branches marchandes non agricoles105. Ce chiffre montre l’importance économique des activités populaires dans la capitale puisqu’en moyenne plus de 6 ménages sur dix tirent l’ensemble ou une partie de leurs revenus d’une unité de production informelle.

104 Le secteur informel dans l’agglomération d’Antananarivo : Performances, Insertions, Perspectives. Enquête 1-2-3, Premiers résultats de la phase 2, Projet MADIO/INSTAT, Antananarivo, octobre 1995. 105 Cfr. Tableau p. 11. Données officielles que nous disposons à partir de l’enquête faite par le Projet MADIO et l’INSTAT.

51 Par ailleurs, le côté socioculturel est à prendre en considération. À l’intérieur de ces activités, des relations sociales se créent même si elles ne sont pas toujours bonnes, parfois pleines de contradiction et de complexité. La distribution des métiers se fait d’abord entre familles, personnes proches et connaissances. Les gens des couches populaires se côtoient avec beaucoup de facilité. Dans la réalisation de la production des biens et services de l’économie populaire, se tissent de multiples relations de coopérations, d’entraide entre les acteurs impliqués. Il ne faut cependant pas négliger un phénomène émergent de différentiation sociale qui existe entre entreprises et acteurs de l’économie populaire. De ce point de vue, on constate que de petites unités, à vocation d’entreprise, commencent à faire travailler des salariés à côté des travailleurs familiaux, alors que les ateliers et échoppes qui peuvent être qualifiées d’éléments de l’économie populaire n’utilisent que les familles et les voisins. Le but premier de celles-ci n’est pas de devenir une grande entreprise de type moderne, mais d’améliorer les conditions de vie de la petite communauté dans la mesure de possible afin qu’elle ait une possibilité de vivre dans l’autonomie. Ce sont elles qui représentent l’écrasante majorité des unités de production de biens et services de l’économie populaire. Elles sont inspirées par une autre logique que les premières : elles visent à travailler pour vivre et faire vivre une famille ou un réseau de familles et de voisins, tandis que les premières visent une capacité d’élargissement de l’accumulation individuelle par le petit patron. Mais dans l’ensemble la similitude des conditions de vie et des comportements est, pour le moment, encore plus forte que la tendance à la différenciation. Dans la réalité, il n’y a pas vraiment de différences dans la manière de vivre entre les gens de diverses couches socio-économiques. Par exemple, les marchands de légumes du marché d’Anosibe et d’autres marchés d’Antananarivo se fabriquent des pavillons en bois qui servent à la fois de boutiques, logements et magasins de stockage. Le manque de confort et d’hygiène de ces boutiques – habitations est semblable à celui des maisons les plus pauvres, ce qui laisse supposer que ce manque de confort est le dernier des soucis des marchands, qui ont cependant un revenu plus élevé. Si au départ seul celui chargé de garder le pavillon dort à l’intérieur, afin d’éviter le vol des marchandises pendant la nuit, peu à peu c’est toutes la famille qui s’y installe. C’est un moyen d’épargner plus, plutôt que de devoir payer un loyer pour une habitation séparée de la boutique. A côté des marchands, un peu plus aisés, on trouve, côte à côte, des gens avec des revenus beaucoup plus faibles, qui ont les moyens de survivre grâce aux différents services utiles aux marchands : manutentionnaires, laveurs de voitures, porteurs, chercheurs d’eau, lavandières, etc. Le manque d’hygiène par l’insuffisance des latrines publiques et l’inexistence des caniveaux d’évacuation des eaux usées portent atteinte à la santé publique au point de répandre les maladies courantes, diarrhée pour les enfants de bas âge, le paludisme pour les petits et adultes à cause de la présence en permanence des eaux sales et des eux stagnantes. Le taux de mortalité infantile dans ce quartier est ainsi élevé, 20 à 30 pour mille.

52 Les maisons illicites sont parfois construites au beau milieu des marécages dont l’accès se fait par des passerelles en bois. En période de pluies, ces maisons sont inaccessibles à pieds, pour assurer la liaison, il faut passer par des petites barques qui font bien l’affaire de leurs propriétaires. L’assainissement, décidé à la fin des années nonante, était devenu nécessaire car il fallait tout nettoyer, refaire les pavillons et rendre plus saine la vie des occupants, transporteurs, marchands, habitants. Cet assainissement vise à réaménager les pavillons, à installer de nouvelles infrastructures de façon à améliorer leurs conditions de vie au marché. Ce qui exige le départ de familles entières qui doivent quitter leur boutique, leur habitation et leur magasin de stockage. L’assainissement du marché d’Anosibe par la Commune urbaine d’Antananarivo a complètement bouleversé la vie dans les lieux d’habitation, le marché et la gare routière. Les constructions illicites développées notamment dans les années nonante, situées en dehors du marché comme extension des habitations des marchands ont été détruites. Ces gens ont alors été obligés de se réfugier dans les quartiers d’habitation environnants. Cet épisode illustre le fait que la précarité de l’habitat est une réalité partagée par divers groupes d’ Anosibe, qu’il s’agisse de petits marchands ou de travailleurs à statut précaire. Cette précarité partagée est un des éléments qui crée une solidarité d’un type particulier entre les habitants, qui doivent affronter perpétuellement des conditions de vie difficiles. Cette précarité et cette solidarité créent peu à peu un type de lien social propre au lieu. Au point que s’établit une identité de quartier qui se superpose aux origines ethniques diverses, sans les effacer. Un mode de comportement propre à un nouveau genre de vie est adopté par la population vivant au fokontany d’Anosibe. L’adaptation sociale n’est pas automatique, et parfois pose de sérieux problèmes de cohabitation. Les gens se rendent compte qu’ils doivent lutter ensemble d’abord pour rendre un endroit inhospitalier habitable, ensuite pour affronter des acteurs extérieurs qui menacent cet endroit déjà précaire par sa nature. Au départ, chacun se croit différent des autres parce qu’il vient d’ailleurs, mais à force de se côtoyer et partager le même milieu de vie, l’esprit communautaire émerge car chacun se rend compte qu’il y a des intérêts communs à défendre : la sécurité pour tous. Peu à peu s’est créé un mode de vie commun au delà des différences d’origine. Jacqueline, 53 ans est originaire de Fandriana de la province de Fianarantsoa : « Nous vivons dans le même fokontany mais nous avons chacun notre propre région d’origine. Je viens de Fandriana. Je ne vois pas du tout où est le problème, mais si on veut utiliser la région d’origine pour d’autres causes, c’est là que le problème peut commencer. Jusqu’à maintenant, tout le monde s’entend bien. De temps en temps, des petits problèmes surgissent mais ils sont minimes et gérables. Nous sommes obligés de nous entendre entre nous et c’est la meilleure chose à faire. Notre voisin est Sihanaka d’Ambatondrazaka, qui a sa manière de vivre mais qui s’adapte bien au milieu. Quand des difficultés surviennent, nous nous entraidons, c’est logique. On dit souvent que les Malgaches sont fort en fihavanana dans la société, je pense qu’on peut bien le constater dans la manière de vivre dans notre fokontany. Quand le fokonolona se réunit pour une grande décision où des travaux faire, tout le monde est présent car il s’agit des intérêts de tous. Lors des troubles politiques qui ont bouleversé la vie des gens, le fokonolona décide de protéger le fokontany et tous

53 les hommes s’organisent pour tenir la garde. Il n’y a pas de question d’origine du Sud ou du Nord, on partage le même milieu de vie et donc, les mêmes intérêts. D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi car nous sommes tous des Malgaches »106.

La sécurité est importante pour que chaque individu au sein de la communauté puisse s’épanouir et travailler pour le bien de sa famille sans offenser son entourage. De ce fait, tous les habitants du même fokontany se sentent réunis au sein d’un même fokonolona urbain qui doit défendre les mêmes intérêts. L’identification se ne se réfère plus à sa terre d’origine mais le fokontany d’accueil devient peu à peu un nouveau lieu d’identification, qui se superpose à l’identification d’origine, sans jamais cependant éliminer celle-ci. Il y a des degrés divers de proximité et de coopération dans les rapports qui unissent les groupes présents à Anosibe. Les liens les plus forts sont entre les habitants permanents, petits producteurs, petits marchands ou travailleurs. Mais on peut constater que des relations concernant la sécurité unissent aussi ces groupes à celui des transporteurs, qui en tant que groupe est une réalité permanente, dérivée de la nature même du lieu. Celle-ci est faite de la coexistence entre une gare routière, un grand marché, des échoppes de petits marchands et d’artisans, et l’habitat de ceux-ci. Tous partagent le même préoccupation pour la sécurité : les malfaiteurs et le vol sont les pires ennemis des marchands, artisans, passagers et transporteurs. Mais la sécurité pour les transporteurs est un enjeu de plus limité que celle des habitants du lieu, et donc les formes de coopération sont plus limitées entre transporteurs et habitants, qu’entre ces derniers, même si tous sont sensibles à la question de la sécurité. Cette question de la sécurité est un élément fondateur des relations entre habitants des quartiers populaires. Lors des mouvements populaires de 1991 et de 2002, les fokonolona de tous les fokontany de la capitale se sont organisés pour dresser des barrages de protection de jour comme de nuit assurant la sécurité de chaque fokontany et de tous ses habitants contre l’intrusion des « envahisseurs ». Toutes personnes venant du dehors du fokontany étaient ainsi fouillées et devaient décliner leur identité avant de franchir le barrage. On constate que il y a une composante exclusive importante dans la formation de l’identité locale. Les gens ont du se construire peu à peu un mode de vie dans l’insécurité. La méfiance à l’égard des intervenants extérieurs fait ainsi partie de la préoccupation de la sécurité collective du quartier. Dans ces intervenants extérieurs sont englobés aussi bien les fonctionnaires de la commune, de l’Etat que les ONG107. L’administration est rejetée car elle décide de ses politiques d’assainissement en fonction de ses seuls critères, totalement étrangers aux pratiques de vie de la population. Les projets des ONG n’ont pas une meilleure réception, car eux aussi sont vus comme conçus pour l’intérêt de leurs promoteurs, sans se soucier des besoins réels de la population. En outre, celle-ci voit rarement l’effet bénéfique de ces projets sur l’amélioration des conditions de vie dans le quartier.

106 Voir Annexes, p. 3. 107 Plusieurs ONG travaillent dans le quartier pour causes caritative et humanitaire comme la EFOR, PAIKA, CARE international, ROTARY Club, ENTRAIDE, ADA.

54 À long terme, les initiatives des ONG sont vues par les habitants comme un prétexte à travers lesquels eux ne sont que de simples objets de manipulation politique. Saholy 35 ans, explique comment les petites gens perçoivent les ONG et les autorités politiques et étatiques : « Quand les ONG sont venues pour la première fois nous voir, nous étions très contents car nous espérons un changement et amélioration plus tard sur nos conditions de vie. Des jeunes gens sont venus nous enquêter sur notre mode de vie, les sources de notre revenu afin que eux ils connaissent comment les gens vivent. Nous avons longuement attendu mais il n’y a pas encore de changement visible jusqu’à nos jours. Nous avons assez de parler avec des gens qui ne s’intéressent pas à nous. Tout le monde constate que les gens sont dans les besoins et qu’il faut vraiment les aider. L’assainissement du milieu de vie ne se fait pas, la population vit dans la boue et dans la crasse. À long terme nous constatons que nous ne sommes que des outils de travail de ces gens qui leur permettent de gagner de l’argent. Mais nous n’avançons nulle part. Les personnes qui nous ont vraiment aidées et que l’on voit vraiment, c’est le prêtre de l’église catholique qui s’occupe de nous et de nos enfants, des jeunes aux formations professionnelles, et les sœurs. Les sœurs nous distribuent de l’huile de table, du lait en poudre, et des vêtements pour ceux qui n’ont en pas vraiment. Les petits peuvent aller à l’école missionnaire quand ils s’aperçoivent que les parents sont très pauvres. Ils achètent des cahiers, crayons et vêtements pour aller à l’école et ces enfants ne paient aucun frais scolaire. De toutes les façons, si les gens attendent l’Etat, nous mourrons de faim. Ce qui est bien tout de même, entre les gens pauvres, nous nous entraidons beaucoup dans tous les domaines. Il existe une solidarité entre nous. Je pense même que c’est le sens de la société »108.

Toutefois, les gens sont quand même attirés par les micros crédits même s’ils sont méfiants par ce genre d’emprunt. Ils veulent développer leurs activités petit à petit afin de recruter des apprentis parmi les membres de la famille et les voisins proches. Ils sont attirés parce qu’ils ont besoin d’argent, mais ils sont méfiants, et ont peur de tomber dans un piège dont ils ne connaissent pas le mécanisme. C’est le cas de Jacqueline, tailleur de pierre (cristal) qui fait vivre 15 familles : « Pour mon cas, j’ai besoin d’argent. Il faudrait faciliter l’accès de la population au système bancaire ou au système de mutuel comme l’EFOR, PAIKA, OTIV, ADEFI. Je pourrais alors améliorer la qualité de mon travail et augmenter le nombre de personnes qui travaillent chez moi »109.

Mais à côté des aspects exclusifs de la formation de l’identité du quartier, il y a des éléments inclusifs très originaux, et qui sont au cœur des pratiques populaires.

Alors qu’à l’origine la quartier rassemblait des populations très hétéroclites et nourrissant de la méfiance mutuelle, car il n’y avait pas de lien entre des gens d’origine ethnique différente, peu à peu les habitants sont parvenus à recréer une sorte de fokonolona d’un nouveau type, dans un milieu hostile où ils doivent partager tout. L’expérience leur montre qu’il y a moyen de recréer des nouveaux liens sociaux en ville. Une nouvelle logique communautaire est née, ou mieux a

108 Voir Annexes, p. 3. 109 Idem.

55 connu une renaissance, en adoptant un comportement qui vise à défendre des intérêts communs : la sécurité des biens et personnes vivant dans le cercle. Ces gens sont devenus, par la force des choses, dans un espace bien déterminé, un groupe assez homogène, une sorte de clan réinventé qui se forme tout en tenant compte du lieu d’origine et de l’origine ethnique de chacun des membres. Une identité sociale et territoriale nouvelle est venue se superposer sur l’identité d’origine. Ils sont réunis dans un même fokonolona. Toutes leurs activités et le vadin’asa se rapportant à leurs principales activités sont ainsi protégées. La reconnaissance envers celui qui a rendu service affermit davantage les bonnes relations sociales. C’est une composante essentielle de la reproduction, ou de la réinvention du fihavanana en milieu urbain populaire. Ce fihavanana n’inclut pas nécessairement les seuls gens aux revenus les plus faibles, même si à ce niveau il a des composantes de solidarité très concrètes et visibles. Il inclut aussi des liens d’un type plus faible, mais réels entre les gens à très bas revenus et ceux qui connaissent une aisance relative. La solidarité est faite à partir de trois critères complémentaires : le fait de partager le même milieu de vie, le fait de se retrouver dans la même situation précaire, et le fait d’être en relation avec d’autres qui partagent le but de faire de l’argent pour survivre et rester autonomes. Les familles de différentes origines sont obligées de reconstruire les liens sociaux dans un milieu où la complexité et l’inégalité règnent. Elles sont confrontées à différentes catégories sociales qu’ils doivent côtoyer dont même les classes sociales aisées et la classe moyenne. Ce sont les biens et services produits par les acteurs de l’économie populaire, et qui sont utiles même aux classes moyennes et aux plus riches, qui leur attirent un certain respect de celles-ci, qui reconnaissent leur utilité (une grande partie du parc automobile ne pourrait rouler sans leur génie du bricolage). Ce qui devient aussi un facteur de sécurité pour les acteurs de l’économie populaire. Un point commun qui unit aussi les familles d’Anosibe est leur souci de donner une formation scolaire à leurs enfants. L’avenir éducatif et scolaire des enfants constitue un enjeu majeur et préoccupe les parents. 35% du revenu vont dans l’enveloppe scolaire. Les frais scolaires sont importants en ville et varient selon les établissements. Le coût est beaucoup plus important dans les écoles privées que dans les écoles publiques. Pour ces parents, il s’agit d’un investissement et des sacrifices à long terme. Deux écoles missionnaires catholiques privées sont implantées à Anosibe moyennant paiement des frais de scolarité. Des écoles primaires publiques se trouvent dans les quartiers environnants comme à Andrefanambohijanahary où l’enseignement est gratuit. On peut trouver des écoles privées de catégories différentes et des écoles publiques primaires et secondaires dans les quartiers voisins110.

110 Tous les quartiers aux alentours sont dotés d’écoles publiques et privées selon les moyens des parents. À Mahamasina, il existe plusieurs écoles : l’école primaire et secondaire publique d’Antanimbarinandriana, le Collège St-Michel, Collège Sainte famille, Collège St-Joseph, Ecole Normale de Mahamasina, Ecole Professionnelle d’Ankadilalana, trois écoles privées à Andrefanambohijanahary, IEC Anosy, Ecole primaire et secondaire à Ampefiloha et l’école primaire française Ampefiloha, le Lycée Moderne d’Ampefiloha, l’Ecole primaire d’Anosibe, l’école missionnaire catholique d’Anosipatrana et d’Ilanivato, l’Ecole primaire publique d’Andavamamba.

56 Les écoles missionnaires sont beaucoup plus appréciées, car l’enseignement est jugé meilleur et il existe un enseignement civique et moral qui forge le caractère et le comportement des enfants dès leur jeune âge. Noro, 40 ans : « Les deux aînés ne vont plus à l’école, les autres sont mariés. Ils nous aident à travailler pour compléter le revenu. L’église catholique aide les familles qui se trouvent vraiment dans le besoin et qui n’ont pas le moyen d’envoyer leurs enfants à l’école. Je ne suis pas catholique mais je me suis convertie pour l’éducation de mes enfants. Les soeurs distribuent du riz, de l’huile et du lait en poudre tous les quinze jours. Les gens revendent le lait en poudre. Elles distribuent également des effets vestimentaires quand il y a des arrivées et que les gens revendent également. Les familles ne peuvent pas bénéficier de ces aides si elles n’assistant à la messe dominicale. Beaucoup sont les familles qui reçoivent de l’aide. Cette conversion ne change rien en nos habitudes et la continuation de la fomban-drazana. Quand les grands moments arrivent au tanindrazana, nous participons par exemple au famadihana. Par ailleurs, en cas de maladie, il y en a qui va voir le dispensaire des soeurs et ceux qui vont consulter les guérisseurs et achètent des plantes médicinales. Mes enfants sont nés avec l’assistance d’une renin-jaza ». « Mes fils auront la possibilité de travailler chez les autres d’abord et plus tard quand ils auront assez économisé, ils pourront monter leurs propres affaires dans le quartier. C’est quand même une occasion pour les jeunes de s’épanouir. Il n’y a pas de frais de scolarité mais une seule participation à l’inscription. Ce n’est pas la même chose que dans les écoles professionnelles privées que l’on trouve dans la capitale»111. Les parents qui disposent du revenu régulier peuvent envoyer leurs enfants à l’école missionnaire du fokontany. Ceux qui n’en possèdent pas se contentent d’envoyer leurs enfants à l’école publique.112 Les enfants qui fréquentent les écoles missionnaires et l’école publique du quartier voisin peuvent participer aux activités parascolaires organisées par des missionnaires113. On peut remarquer que pour la plupart des parents, l’éducation des enfants est prise en considération à la fois pour que les enfants puissent avoir un avenir meilleur, et pour qu’ils puissent consacrer une partie de leur revenu à entretenir le tanindrazana, afin d’affirmer à l’avenir leur droit sur la terre dans la région d’origine de la famille.

111 Voir Annexes, p. 6. 112 Il faut cependant souligner que à Anosibe, les gens les plus démunis ne peuvent plus scolariser leurs enfants faute de moyens. En effet, malgré la gratuité de l’enseignement, les parents doivent acheter les fournitures d’école, les vêtements. L’Etat ne prend pas en charge la scolarisation des enfants, et encore moins les nécessiteux. 113 L’ONG du nom de l’ADA, présidée par le Père Sylvain Urfer organise des activités sociales et parascolaires pour leurs élèves dans la paroisse catholique d’Anosibe. Des aides au niveau de l’école et du fokontany sont attribuées aux familles nécessiteuses et les activités sociales consistent à l’insertion sociale des jeunes.

57 4-Le rôle du Tanindrazana dans la reproduction des liens sociaux pour les acteurs populaires urbains

On l’a vu ci-dessus, les habitants d’Anosibe, toutes catégories confondues, ont un attachement réel au quartier qui est devenu un véritable fokonolona, actif et vivant. On ne peut cependant en conclure que ils sont devenus définitivement des citadins dont le seul horizon est l’amélioration de leur condition de vie en ville. Dans le cas des marchands d’Anosibe par exemple, l’installation des familles entières dans l’habitation-boutique ne constitue pas pour autant une migration définitive, quoiqu’elles aient profité d’une occasion pour se construire la maison- boutique de façon irrégulière. Elle traduit une migration de proximité car leurs principales habitations se trouvent en dehors d’Antananarivo, souvent dans la région d’, , , , Fianarantsoa, Ankadinadriana, Masindray, Manjakandriana, Arivonimamo, Sakay et Miarianarivo Itasy. Cela révèle clairement que ces gens gardent leur attache principale à la campagne. Ils sont fixés en ville, et cela donne l’impression, qu’ils sont des migrants définitifs, mais en fait il n’en est rien. Ils sont à la fois en ville et au village d’origine. Pour d’autres artisans ou marchands, la migration « définitive » signifie que la famille a adopté comme résidence principale son habitation en ville, mais alors elle garde quand même à la campagne une résidence secondaire, ou la famille se rend régulièrement. Et c’est le cas pour beaucoup de gens, toutes catégories sociales confondues. Chaque famille garde un contact permanent avec son lieu d’origine, le tanindrazana, et y effectue continuellement des transferts d’argent. Pour elles, le fait de vivre dans ces maisons illicites répond à deux objectifs bien déterminés : se faire de l’argent et pouvoir éduquer les enfants dans des écoles mieux loties qu’à la campagne. On peut rappeler ici que le mot tanindrazana vient de deux mots tany, la terre et razana, ancêtre, terres des ancêtres. Le tanindrazana désigne à la fois le caractère géographique et le caractère culturel et identitaire d’une personne ou de la communauté. La population de Masindray, notamment les tompontany s’identifient à leur origine géographique et à leur appartenance au fokonolona de Masindray ou ils ont leur tanindrazana. Celle du quartier d’Anosibe issue de différentes régions de Madagascar se ressource continuellement auprès de leurs tanindrazana respectifs.

Avant d’être un moyen de production, la terre est, pour la société malagasy la « terre des ancêtres » un symbole de production et de procréation, et donc elle représente la richesse inépuisable, reçue en héritage, et que l’on doit transmettre aux descendants. Il n’est donc pas question de la vendre et surtout de la céder aux étrangers. C’est pourquoi, les colons n’avaient droit que de procéder au bail emphytéotique pour s’approprier des terres à l’époque coloniale114.

114 Cette situation a récemment changé depuis le vote du projet de loi sur l’appropriation de terres par les étrangers à l’Assemblée nationale lors de la réunion plénière en date du 1er Septembre 2003. Il s’agit en fait d’un sujet qui a fait couler beaucoup d’encre en très peu de temps et qui a suscité beaucoup de

58 La plupart des gens sont à l’origine essentiellement des cultivateurs. Dans certaines régions, comme celle de Masindray, on l’a vu c’est la difficulté d’accès à la terre qui pousse les gens à la migration vers la ville. Mais la question de l’accès reste le plus souvent au cœur de la migration. La migration temporaire en ville, est une stratégie de diversification des paysans à la campagne, avec le maintien d’un regard sur ce qui se passe à la campagne. Les familles savent qu’elles ne peuvent pas quitter définitivement le tanindrazana, même si les moyens de subsistance ne sont pas suffisants pour y mener une vie décente. Quitter le tanindrazana ne signifie pas couper tout contact avec le milieu d’origine. Tous les biens : maisons, terres de culture continuent d’exister sur place, et il faut les entretenir, ou aider ceux qui sont restés sur place à les entretenir.

Le départ en ville ne concerne pas la famille entière. Les parents restent souvent au tanindrazana, tandis que leurs enfants, pour remédier à l’insuffisance du revenu, ont décidé de travailler en ville. Les fils aînés sont devenus travailleurs salariés ou indépendants dans l’économie populaire, les filles qui ont trouvé un travail rémunéré ou sont sur les marchés, transfèrent toute une grande partie de leur revenu au tanindrazana. Ainsi l’argent économisé en ville servira à améliorer les conditions de la vie à la campagne, à acheter du bétail pour les travaux rizicoles et les travaux des champs, à cotiser pour le famadihana, dont le coût financier est toujours très important, et à financer d’autres dépenses relatives aux obligations familiales « adidy amin’ny fianakaviana » et obligations sociales « adidy amin’ny mpiara-monina ». Le résultat est qu’un important transfert d’argent se fait entre les villes et les campagnes. L’argent circule dans les deux sens pour satisfaire les besoins des deux côtés. A Anosibe, on peut constater que les gens à la fois construisent une nouvelle identité urbaine, créent de nouveaux liens sociaux urbains, et en même temps maintiennent des liens sociaux forts avec leur communauté d’origine. La reproduction des liens sociaux repose largement sur le maintien des contacts entre villes et campagnes à travers des relations dont les dimensions sont complexes. Cette reproduction des liens sociaux se fait entre différentes catégories d’acteurs qui sont liées à la fois à leurs objectifs en milieu urbain et à leur tanindrazana.

Une première catégorie de familles entre dans la migration temporaire, et se trouve à la fois à la campagne et dans la ville. Elle a une forte liaison avec son tanindrazana car ce n’est pas la famille entière qui s’installe en ville mais un membre de la famille seulement, le père, le fils aîné ou la fille qui travaille dans les zones franches ou en tant que femmes de ménages. Cette catégorie fait partie des paysans relativement aisés qui ont assez de terres pour vivre.

commentaires et des réactions négatives de la part des nationaux. Les étrangers qui avaient droit au bail emphytéotique pour exploiter des grandes concessions depuis la période coloniale auront la possibilité d’acheter des terres, soumises à certaines conditions. Pour les Malagasy, vendre la terre aux étrangers est inconcevable, c’est se vendre aux étrangers, ce qui ne correspond pas à la culture malagasy.

59 Jean Baptiste, 64 ans était conducteur d’engins dans une entreprise de construction de routes à Antananarivo, il est maintenant à la retraite. Il nous a expliqué son organisation pour son travail et la famille restée au tanindrazana :

« J’ai travaillé dans une entreprise de construction des routes à Antananarivo. Je rentre à la campagne une fois par mois pour rendre visite à ma femme et à mes enfants et leur apporter mon salaire. Dans mon travail, le déplacement est fréquent. Quand le chantier se trouve loin de la capitale, je ne peux voir ma famille qu’une fois tous les deux ou trois mois ou encore entre deux chantiers. Ma famille vit à la campagne. Nous ne pouvons pas nous permettre de vivre en ville à cause du coût élevé de la vie : le loyer, les frais de scolarité, le transport, la nourriture et d’autres dépenses complémentaires. Ce qui n’est pas le cas à la campagne. Si on mène une double vie, l’argent que je gagne doit être divisé en deux, et ce n’est plus intéressant. Moi seul ne dépense presque pas puisque nous les travailleurs sommes pris en charge, logés et nourris par notre patron. Mon revenu est presque intégralement envoyé à la campagne pour payer les travaux agricoles et les dépenses à la maison et aux études des enfants »115. Pour cette catégorie de familles, c’est clairement l’attachement au tanindrazana qui est la base de la stratégie des rapports avec la ville. On peut remarquer aussi que cela concerne un travailleur salarié du secteur moderne, qui vit en ville, mais dont l’objectif principal est de contribuer à l’entretien de la terre au village, pour consolider la base rurale de la famille. L’activité sur le tanindrazana est la base de toute la stratégie économique et sociale. Pour ce type de familles vivant en milieu rural, la ville représente pour elles une opportunité temporaire de se procurer de l’argent. Il n’y a pas de raison de quitter le tanindrazana et de vivre ailleurs, car toute la vie se déroule à la campagne. Le tanindrazana est la richesse que les ancêtres avaient laissé, et le devoir des descendants est de veiller sur les biens afin qu’ils puissent nourrir les familles. Rakotondrazanany Henri, 51 ans, est originaire de Tsarahonenana et vit dans le même village. « Toute notre vie est faite à la campagne. Nous n’avons pas encore vécu dans la capitale, il est difficile d’envisager d’y vivre. Tous nos biens sont ici, la maison, les terres, nos rizières et les champs de culture. Nous estimons qu’il faut entretenir le tanindrazana et les biens que les ancêtres ont laissés. Nous allons en ville rarement. Mais il existe des pères de familles qui travaillent à Antananarivo en laissant leurs familles restent à la campagne. Certains hommes du village voisin sont même partis jusqu’à Ambatondrazaka pour travailler et gagner de l’argent. Ils rentrent à la maison quand ils ont assez épargné. C’est un choix difficile de partir seul et laisser sa famille mais comme on dit en Malagasy, « ny tsy fananana mahazaka maniraka116 »117.

La ville est de ce fait un lieu de passage, de courte durée si c’est possible. C’est le manque de terres et d’argent sans doute qui pousse un père de famille à aller travailler en ville afin de compléter le revenu agricole à la campagne. Les pères de

115 Voir annexes n° 46. 116 « Ny tsy fananana mahazaka maniraka » est traduit par l’insuffisance pousse à partir. 117 Voir Annexes n° 47.

60 familles s’engagent dans un contrat salarial à temps limité ou encore exercent un métier qui leur permet de retourner à la campagne régulièrement. Les grandes villes alors jouent le rôle d’accueil éphémère. Un autre type de famille a une implantation plus forte en ville. Elle est vraiment implantée dans l’économie populaire et est concernée par l’amélioration de ses conditions de vie en ville, et elle noue des relations actives avec d’autres familles dans le fokonolona urbain. Il s’agit souvent de familles qui manquent de terre à la campagne. Mais une partie de la famille étendue est bien restée au village d’origine. C’est elle qui entretient le tanindrazana qui n’est cependant pas suffisant pour faire vivre toute la famille. Dans ce cas, la famille installée en ville, va consacrer une grande partie du revenu qu’elle peut garder au delà de sa subsistance, à un transfert vers le fokonolona d’origine pour essayer d’agrandir le patrimoine foncier. Le choix de vivre ailleurs en dehors du milieu rural ne signifie pas la rupture avec la source. Au contraire, c’est une occasion de réaffirmer son droit d’appartenance à l’endroit grâce au transfert d’argent de façon permanente, grâce aussi à leur présence fréquente et au témoignage fréquent de l’ attachement aux coutumes traditionnelles du village. Leur retour au tanindrazana est régulier pour cette catégorie, et correspond à des moments importants comme les fêtes chrétiennes organisée par les églises locales afin de célébrer et honorer les fêtes des ascendants, fetin’ny taranaka, le jour de Noël, Pâques, le jour du Nouvel An, ou lors des famadihana, mariage et enterrement, rencontres familiales. Le récit de Ravaosolo Marthe, veuve, 47 ans, nous permet de comprendre cette double identité et le double intérêt.

«Je suis originaire d’Andramasina et je suis venue vivre à Anosibe pour vendre des légumes au marché d’Anosibe afin d’améliorer le revenu de ma famille. Je vis dans ce fokontany il y a déjà 19 ans, propriétaire d’une petite maison d’une pièce construite avec mon mari et partage notre vie avec nos trois enfants dont deux garçons de 18 et 15 ans et une fille 10 ans. Les deux garçons aînés m’aident au travail à joindre les deux bouts du mois, tandis que la petite fille rejoint l’école primaire publique d’Andrefanambohijanahary. L’aîné m’aide à vendre des légumes, le cadet travaille comme laveur de taxis-brousse à la gare routière. Quoique nous vivions en milieu urbain, notre épargne sert à couvrir les frais des travaux agricoles à la campagne. Nous possédons deux tanimbary et trois tanimboly travaillés par mon beau frère et sa famille. Leurs récoltes sont loin de suffire l’année. Je retourne à Andramasina au moins une fois par mois pour surveiller les travaux et se ravitailler en riz. Il faut dire que la part du budget alloué à l’achat du riz est importante »118.

Souvent, il s’agit à la fois de permanence et de changement. En effet, si la partie de la famille fixée en ville parvient à acheter des terres, elle est propriétaire selon le droit civil, et la famille restée au village va en profiter, mais en la louant au propriétaire. Donc les relations métayers-propriétaires recoupent les liens familiaux. Mais le patrimoine foncier de la grande famille s’élargit, et grâce au transfert d’argent depuis la ville, qui n’a rien d’un acte de bienfaisance. Dans la

118 Voir Annexes, p. 9.

61 pratique cependant de nombreux arrangements sont possibles entre membres des familles, mais l’objectif est toujours de consolider ou élargir le tanindrazana. L’articulation qui existe entre la population rurale et la population urbaine pour le cas de la Commune rurale de Masindray et le fokontany d’Anosibe se manifeste par une réussite de ces pratiques. Pour les ménages de la commune rurale de Masindray, le tanindrazana représente tout pour eux, le lieu de travail, lieu de vie, lieu de destination finale car la tombe ancestrale s’y trouve et donc, il faut l’entretenir en permanence. Les familles qui se sont installées à Anosibe font de l’épargne pour le transfert d’argent régulier vers le tanindrazana. Pour les couches populaires, rurales et urbaines, donc plus de 90% de la population, rien n’est pire que de perdre son lien au tanindrazana d’origine. Il n’existe pratiquement pas de familles urbaines qui ne sont pas liées par les liens de parenté aux familles à la campagne. Si c’est le cas, c’est parce qu’elles ont rompu les liens familiaux pour des raisons d’extrême importance comme un mariage entre deux personnes de différents groupes statutaires119. Dans ce cas, les familles ont définitivement quitté le lieu d’origine et laissé tous leurs biens en les attribuant aux autres familles. Mais leur principale préoccupation va alors d’être de reconstituer un nouveau tanindrazana ailleurs120. La prolifération des « 4’mis » ou sans abris, dans la capitale dans les années quatre-vingt sert d’exemple négatif quant à la rupture avec son monde d’origine. Ces « 4’mis » sont représentatifs des revers de l’exode rural dû aux crises économiques des années 1980. Il s’agit des familles sans abris ayant quitté leur tanindrazana, en vendant leurs biens insuffisants pour subsister, pour aller vivre en ville et ne sont plus retournés dans leur village d’origine. Souvent, il s’agit de gens qui, pour des raisons diverses, n’ont plus de famille au lieu d’origine. Donc le lien au tanindrazana est coupé et rien ne les incite ou ne leur permet d’en recréer un nouveau. Il s’agit d’une catégorie de population incapable de recréer des liens sociaux, un réseau, tant en ville qu’à la campagne. Ils vivaient avec moins que rien et occupaient des endroits comme des cases en carton, sous les ponts, le long du chemin de fer, etc. Comme ils étaient isolés et marginaux, ils ont été la cible prioritaire des tentatives de déguerpissement, organisées par la Commune urbaine d’Antananarivo. Cela ne les a apparemment pas incités à essayer de s’organiser entre eux pour se défendre. Ils ont finalement été pris en charge par une organisation catholique qui a mis en œuvre un projet pour les reloger. Ce projet porte le nom de son initiateur « le Père Pédro », dans le village « Ankamasoa » et a permis à bon nombre d’entre eux de se réintégrer dans une nouvelle vie sociale. Le village se situe à Ambohimahintsy, sur la route de Toamasina, juste à la sortie de la capitale. Le projet a eu un volet important de formation et d’appui technique et moral. Dans ce projet, les sans-logis batissent eux-mêmes leurs habitations, les bâtiments d’école, l’église, etc. Les enfants vont à l’école, les adultes travaillent à la carrière de pierre. Le projet a un caractère paternaliste et autoritaire : le dimanche tout le monde doit assister à la messe. Un autre mode de vie communautaire est ainsi créé, mais il est difficile de lui attribuer le caractère d’un fokonolona basé sur

119 Ce problème est révolu par le temps pour certain groupe statutaire en Imerina, mais dans les groupes statutaires d’autres ethnies du pays, le problème reste le même, l’exclusion. 120 C’est une situation qui se présente quand même assez rarement.

62 l’appartenance à un tanindrazana partagé. Il s’agit d’une communauté avec la seule religion comme base, et basée sur l’assistance extérieure. Il est trop tôt pour pouvoir affirmer que les gens se soient réappropriés le projet, et que celui–ci pourra survivre au départ éventuel du promoteur.

Cet exemple illustre la différence entre une « communauté » reformée sur base d’une initiative extérieure et un « fokonolona » reconstitué à travers des pratiques populaires. Il faut souligner le fait que l’attachement au tanindrazana n’est pas seulement une caractéristique des couches populaires. Il reste bien présent dans les catégories sociales ancrées dans le secteur moderne de l’économie, et y ayant réussi matériellement et professionnellement. Riches et pauvres se confondent quand il s’agit de parler du tanindrazana. Il n’y a pas de doute à avoir la dessus, étant donné l’intérêt que portent aussi bien les gens aisés, les intellectuels que les simples gens du milieu populaire qui ont le même besoin d’entretenir le tanindrazana pour son rôle social, éthique, culturel et économique. Le tanindrazana reste au coeur de la modernité car il s’agit d’un héritage que les gens veulent maintenir pour l’avenir.

Cela concerne une catégorie de familles qui vivent définitivement en ville et ont adopté le mode de vie citadin. Cette catégorie est celle des classes sociales moyennes inférieures et supérieures. Elles travaillent dans la fonction publique, dans les entreprises privées du secteur moderne ou sont indépendants. Depuis les années 1980, et la déconfiture de l’Etat, une partie d’entre elles ont développé des activités de complément, vadin’asa, qui les font participer directement ou indirectement à l’économie populaire. Pour ces familles, l’attachement au tanindrazana existe et reste important parce que c’est la source d’origine et la destination finale, mais ce n’est pas une priorité majeure.

Une partie de leur revenu revient au tanindrazana pour soutenir la partie des familles toujours occupées dans les travaux agricoles. En échange une partie des récoltes leur sont envoyées régulièrement à chaque saison. Une autre partie de ce revenu va à l’entretien du tombeau familial. Pour cette catégorie, l’articulation villes campagnes est définie selon des rites familiaux bien précis correspondant à des grandes occasions.

Fidy, 75 ans, vient d’Antsirabe et a vécu à Antananarivo depuis les années soixante. Il était employé dans la Fonction publique, au Ministère des Travaux publics à Anosy jusqu’à sa retraite en 1989. Il a choisi de vivre à Anosibe à cause de la proximité avec son lieu de travail. Sa femme dirige une petite gargotte qui fait travailler cinq personnes. Cette gargotte se trouve au rez-de-chaussée de leur la maison d’habitation d’un étage dont ils sont les possesseurs. Ils partagent cette maison avec certains de leurs enfants et petits enfants.

D’après Fidy : « Nous avons choisi de vivre à Antananarivo parce que j’ai travaillé ici. Nous ne nous rendons à la campagne qu’à des grandes occasions. Il est trop coûteux de se rendre régulièrement au tanindrazana. Mon frère cadet vit avec sa famille au village

63 et c’est lui qui s’occupe de tous nos biens et exploitent les rizières. Ma femme ou moi s’y rendons une fois que la moisson est terminée pour prendre notre part de riz. Comme nous avons des rizières, nous récupérons notre part de riz qui atteint jusqu’à cinq ou six sacs de 50 kg121 afin d’éviter d’acheter du riz à prix fort au marché. Nous consommons ce riz à la maison mais il nous sert aussi à ravitailler notre petite gargotte. Ce n’est pas suffisant pour ces deux usages, car le riz est la base de nourriture des Malagasy mais quand le stock est épuisé nous sommes obligés d’en acheter jusqu’à la prochaine récolte. Nous cultivons aussi beaucoup de pommes de terres entre les saisons. Une partie de notre revenu va impérativement au tanindrazana pour aider aux travaux agricoles, à payer les travailleurs journaliers. Comme nous ne sommes plus là-bas, c’est dans notre intérêt et devoir d’envoyer régulièrement de l’argent pour aider aux dépenses relatives aux travaux agricoles. Les principales occasions pour se rendre au tanindrazana se limitent à la fête de patrimoine familial (fetin’ny taranaka) tous les mois de mai, à la fête de Noël et du nouvel an et évidemment, lors des moissons. Le famadihana qui se déroule tous les sept ans dans notre village est aussi un moment de rencontre pour tous les membres de nos familles. On ne doit pas oublier le tanindrazana car c’est de là qu’on sort et c’est là qu’on retourne »122. Une enseignante de l’Université d’Antananarivo, bien intégrée dans son milieu intellectuel et universitaire organise le famadihana dans le tanindrazana de son mari à , à 15 km au sud de la ville d’Antsirabe.

« Je n’ai pas du tout à renoncer aux famadihana qui est l’un des fomban-drazana qui a le plus d’importance aux yeux de la société malgache, et je pense que c’est qui fait la société malgache. C’est un grand moment et il faut l’organiser bien longtemps à l’avance et mettre de côté pas mal d’argent car c’est une des plus grandes dépenses qu’on peut faire. C’est à peu près la même chose que pour la préparation d’un mariage dans la famille. Cette occasion rassemble toutes les familles de près et de loin, tous les villageois environnants et permet de renouer les liens sociaux qui se sont détériorés pour diverses raisons. C’est aussi un moment de faire la rétrospective et de retourner en arrière afin de mieux préparer l’avenir. Je dis retour en arrière car les personnes chères décédées reviennent en mémoire, les ancêtres d’origine sont au rendez-vous, on leur honore par les cérémonies. Tout le monde se rappelle de leurs bienfaits pendant leur existence et de ce qu’ils ont laissé. Ainsi, c’est aussi une liaison entre les morts et les vivants. Pour préparer une telle rencontre, on ne demande pas le prix de ce que cela va coûter car le fihavanana n’a pas de prix, le firaisana n’a pas de prix, on se laisse emporter pour une bonne cause. C’est l’honneur de la famille et de ses ancêtres »123.

L’articulation est fortement sentie pour cette enseignante de l’Université, qui tout en étant dans le monde moderne, dans la capitale et la rationalité économique, reste intimement liée à tout ce qui se passe dans son tanindrazana et assume son rôle d’épouse du fils aîné de la famille, lahimatoa. Il ne s’agit pas d’une simple responsabilité à faire réussir les rites et cérémonies, mais c’est une opportunité d’affirmer le droit à la terre, le droit à la tombe et tout droit relatif au tanindrazana. Le retournement des morts concerne aussi bien le milieu aisé et la classe dirigeante que les familles paysannes ou les familles des quartiers

121 La quantité de riz dépend beaucoup des conditions climatiques. En bonne saison, la récolte peut atteindre jusqu’à huit sacs de riz de 50 kg. En mauvaise saison, les récoltes se limitent à trois ou quatre sacs. 122 Voir annexes, p. 5. 123 Voir Annexes p. 5.

64 populaires urbains. Même vivant à l’étranger, la plupart des gens ne sont pas coupés de leur source d’origine au tanindrazana

Randrianarisoa Jeanine, 48 ans, mariée vit à Montpellier, en France depuis 20 ans, elle a obtenu la nationalité française, elle nous révèle sa position vis-à-vis du tanindrazana.

« Nous ne retournons pas souvent au pays mais nous sommes en contact permanent avec la famille sur tout ce qui se passe à la campagne. J’envoie tous les ans de l’argent pour les travaux des champs afin de payer les travailleurs et aider les familles. Nous avons toujours notre part de terres aussi bien du côté de mon mari que de mon côté. Même si nous ne consommons pas les récoltes de ces cultures, toute la famille à Madagascar les consomme. Mes parents et mon beau-père sont encore là à veiller sur la famille et tous les biens. Le moins que nous puissions faire c’est d’envoyer régulièrement de l’argent. Le frère cadet de mon mari est déjà à sa troisième vache et deux bœufs par l’argent que nous lui avons envoyé. Et puis il faut aussi un peu d’argent pour entretenir la tombe. Nous n’avons pas l’intention de nous faire enterrer ici en Europe même si nous avons la nationalité française. Nous projetons de construire une maison pour notre retour définitif au pays et aussi pour les enfants plus tard. C’est mon frère aîné qui va s’en occuper, alors nous devrons envoyer de l’argent pour cette construction. Je profite de passer des vacances en famille lors des grandes occasions comme lors d’un famadihana ou d’un mariage au pays car c’est un grand moment de rencontre où tout le monde est sollicité plusieurs années en avance d’être présent. Si nous ne faisons pas cela, les gens et la famille vont croire que nous avons coupé toutes les relations et que nous serons enterrés en Europe, et ce n’est pas bien. Car il y a une chose que les Malgaches détestent c’est very faty. Il faut toujours rapatrier le corps au pays quel que soit le prix à payer. Il faut dire quand même que certaines familles préfèrent se faire enterrer ici pur des raisons matérielles »124.

On peut donc dire que le référent au tanindrazana reste un élément majeur du comportement des habitants de Antananarivo, et certainement de l’immense majorité des habitants des quartiers populaires. Le tanindrazana est le référent ultime en matière de stratégie de sécurisation individuelle et collective. La ville est vécue comme le lieu où il faut être, mais qui en même temps ne peut pas procurer une véritable sécurité qui soit à la fois matérielle, psychologique, sociale et spirituelle. Le tanindrazana dans un fokonolona rural répond à ce besoin.

5- Le tanindrazana au cœur de l’articulation villes-campagnes

Le tanindrazana est un référent ancré dans l’histoire longue, mais qui est toujours bien présent dans les consciences. On ne peut donc pas réduire les rapports campagnes–villes à une simple dimension économique. Les campagnes ne sont pas un monde à part et en retard, en attente de modernisation, dont le moteur, la croissance économique se trouve dans les villes.

124 Voir annexe p. 5.

65 La relation campagne-ville occupe un rôle central dans les stratégies de vie des acteurs de l’économie populaire, au cœur de leur reproduction en tant qu’acteurs sociaux. Ils établissent un lien entre les deux types d’espace qui efface la dichotomie entre les deux proposée par toutes les politiques de modernisation. Leur vie est à la fois à la ville et à la campagne.

A travers leurs pratiques, et le rôle central du tanindrazana, l’espace rural est non pas dévalorisé par rapport à l’espace urbain, mais au contraire fortement valorisé. Les acteurs populaires ruraux sont par migrants interposés dans la modernité urbaine, et les acteurs populaires urbains considèrent que la vraie sécurisation des conditions de vie repose dans le traditionnel rural. Cela se traduit par la revalorisation de l’espace rural en maintenant les us et coutumes traditionnelles, mais aussi en s’adaptant aux apports extérieurs basés sur le transfert d’argent et les retombées de la modernité des milieux urbains. Pour ne pas être à la merci des effets négatifs de la modernité, les paysans réitèrent leur position de gardiens de la tradition en contribuant à l’entretien de ce qui fait l’identité des émigrés, plus ou moins temporaires ou définitifs, et qui refusent d’être engloutis dans l’insécurité de l’espace urbain. La renégociation de la position des paysans a un aspect économique très important, puisque elle fonde les transferts d’argent de la ville vers la campagne. L’attachement à la terre des ancêtres est donc au cœur de l’articulation entre villes et campagnes.

C’est le rôle du tanindrazana aussi qui contribue à ce que une partie non négligeable des migrants, ou même leurs enfants, choisissent à un moment de rentrer définitivement au village.

Ramiandrisoa Daniel, 28 ans, tompontany à Tsarahonenana est cultivateur et éleveur. Il a déjà fait l’expérience à Antananarivo en travaillant comme receveur de transport urbain « taxi-be » pendant deux ans. Il nous révèle son expérience :

« J’ai tenté de vivre à Antananarivo en pensant que la vie en ville est moins dure qu’à la campagne. J’ai travaillé comme receveur de taxi-be chez mon oncle pendant deux ans. Il m’a logé et nourri tout en m’occupant de la voiture. Je me suis rendu compte que la vie n’est pas donnée en ville même s’il y a de l’argent. Si je dois vivre en ville avec ma femme et mes enfants, je dois louer une maison, acheter de la nourriture, payer les frais de transport, s’occuper des frais de scolarité des enfants. Il faut dire aussi que les loisirs sont très tentants et ça fait des dépenses. Je me suis habitué quand même à ce rythme mais pour une vie durable ce n’est pas idéal, je préfère retourner à la campagne. L’argent que j’ai gagné a été envoyé à la campagne. Je garde quand même pour mes petites dépenses en cigarettes, en loisir et en vêtements. J’ai décidé de revenir vivre ici, car nous avons de terres qui n’attendent qu’à être exploitées. On peut vivre bien même si n’y a pas assez, la nourriture provient des champs agricoles. Nous n’avons pas besoin de louer une maison car nous en avons. Si un problème survient, la famille, les voisins et le fokonolona sont là prêts à nous aider. Maintenant, je suis patron de mon travail »125.

Le tanindrazana constitue donc un lien puissant entre les membres de familles rurales et une attache solide avec leur territoire ancestral pour les citadins. C’est

125 Voir Annexes, n° 48.

66 pourquoi, on ne doit pas étudier le milieu rural comme un monde isolé du monde urbain. Le tanindrazana est le cœur de l’articulation villes-campagnes.

Le retour au tanindrazana n’est pas seulement un respect du passé, c’est aussi une stratégie délibérée de reconstruction des liens sociaux. En outre, le tanindrazana n’est pas que le lopin de terre familial. Il revoie à tout un complexe culturel dont il fait partie intégrante.

La présence des tombes familiales sur la terre des ancêtres contribue en grande partie à l’attachement socioéconomique et culturel dans le milieu rural. Et le respect du fihavanana dans les villages accompagne le respect du règlement interne des villageois ou dina. Tout le monde est soumis à ces principes et les respecte. Ces deux facteurs constituent le rouage qui maintient les articulations villes-campagnes de la société malagasy. Le fihavanana tend à maintenir les liens sociaux dans les villages. Il est redynamisé par les cérémonies rituelles du famadihana, qui se présente tous les cinq à sept ans et est une grande occasion de rassemblement et de rencontre pour toutes les branches des familles, qu’elles soient à la ville ou à la campagne.

Et malgré les influences, voire les agressions, culturelles extérieures, ces éléments se sont maintenus ou réaffirmés jusque maintenant.

67 Chapitre VII

Dimensions socioculturelles de l’économie populaire à Masindray et à Anosibe

1- Commune de Masindray : respect de la tradition et insertion dans la modernité

Poids du fomban-drazana dans l’économie populaire

Les fomban-drazana

Les fomban-drazana126 se trouvent au centre des différents aspects de la vie sociale de la population rurale et urbaine. Il s’agit de pratiques liées au souvenir des ancêtres, aux us et coutumes traditionnelles qui sont encore en vigueur dans toutes les régions de Madagascar jusqu’à nos jours. Les fomban-drazana se trouvent au cœur de l’économie populaire. La majorité de la population de la commune rurale de Masindray vit avec les fomban-drazana et les respecte. Le non-respect des fomba est vu comme une désobéissance à l’égard des aînés, ou ray aman-dreny, et surtout un manque de respect aux ancêtres. Ce qui entraîne des tsiny127 ou reproches de la part de ces derniers.

Le respect consiste à préserver les acquis et les connaissances ancestrales séculaires, mais surtout à maintenir les principes qui assurent l’équilibre et l’ordre social dans la communauté. Ce sont des pratiques qui font partie intégrante de l’existence, des prescriptions qui régissent les activités quotidiennes, sociales et économiques de toutes les communautés depuis bien longtemps et qui restent d’actualité.

Les fomban-drazana concernent de nombreux domaines dont des coutumes sociales, religieuses et des superstitions. Mais il existe aussi des fomba qui sont dans l’ombre et qui revêtent une importance particulière, comme l’utilisation des ody, sampy populaires et sampy royaux, instruments de protection, ou encore le 128 respect des fady, interdits, auxquels les gens sont intimement attachés .

Les ody ou aody129 sont des instruments de protection130. Les sampy fonctionnent avec les mêmes principes que les ody. Ils ont une valeur collective, dont le choix

126 Fomban-drazana est traduit par fomba comme pratiques et razana ou ancêtres, donc les pratiques des ancêtres. 127 Tsiny blâme et reproche, cfr. RAISON JOURDE F., Bible et pouvoir à Madagascar, op. cit., p. 829. 128 Le préfixe a dans aody marque précisément l’instrumentalisation : ce qui sert à agir. Quant à la racine ody, elle signifie retourner à un état antérieur, devenir, changer. Cf. VIG L., 1969, p. 12. 129 Aody chez le betsileo, aoly chez les sakalava.

68 est dicté au devin par le vintana 131du demandeur. Ce sont des morceaux de bois enfilés en collier qu’on porte au cou ou en travers de la poitrine, parfois des cornes de bœufs ornementées et remplies d’une série d’ingrédients (morceaux de bois, de fer). Les sampy jouissent d’un pouvoir transférable et non strictement individuel. Jadis, la différence avec le ody ne résidait pas dans l’effet obtenu mais dans la situation de ceux qui les possédaient132.

D’après l’ethnologue L. Vig, « un personnage haut placé avait-il son ody, il ne le gardait pas pour lui et les siens, il le recommandait à ses clients, l’estime dont il jouissait s’étendait à l’ody, qui lui aussi gagnait en considération. Il en était ainsi depuis le chef plus chétif du village jusqu’à la reine régnante »133.

Les sampy d’un lignage remplissent des tâches de protection collective, soit au niveau des familles, soit du foko, soit du royaume. Chacun des fragments est installé par les familles dans l’angle nord-est de la maison. Historiquement, la multiplication des sampy et leur rôle croissant étaient la traduction de l’évolution sociale vers le clientélisme dans le contexte des guerres intestines. Leur puissance est communicable sous la forme de fragments détachés du sampy « mère » et transmis comme ses « enfants »134.

Les fomban-drazana et les fady sont maintenus jusqu’à aujourd’hui, car les gens ont la conviction qu’ils agissent pour le bon fonctionnement de la vie sociale et économique, à Masindray et dans beaucoup de régions malgaches. Si au temps des royaumes merina ces fomba représentaient une légitimation du pouvoir et un compromis entre le pouvoir royal et la population locale, le maintien de ces fomban-drazana jusqu’à nos jours s’apparente à la capacité de la résistance populaire à construire les conditions de sécurisation face aux changements. Les gens réinventent leurs conditions de sécurisation afin de résister aux aléas de la vie de plus en plus nombreux.

Les fady sont respectés et se manifestent à travers les comportements de la société malagasy dans la vie quotidienne. Ils concernent de multiples aspects de la vie sociale comme les jours de travail135, les cultures pratiquées, la nourriture et ils varient d’une région à une autre, d’un village à un autre village. Dans le village d’Ambohimiadana-Carion, situé à 30 Km à l’est d’Antananarivo, la consommation d’oignons est interdite. Dans certaines régions l’élevage de porc ou des chèvres est aussi interdit. La prohibition du porc fut généralisée dans tout le royaume merina136, et on la retrouve aussi dans la commune de Masindray jusqu’à nos jours. L’interdit du porc ou fady kisoa était lié au respect de sampy sacrés que pourrait

130 Le préfixe a dans aody marque précisément l’instrumentalisation : ce qui sert à agir. Quant à la racine ody, elle signifie retourner à un état antérieur, devenir, changer. Cf. VIG L., 1969, p. 12. 131 Vintana, destin ou système de destin. Cf. RAISON-JOURDE, op. cit., p. 829. 132 RAISON JOURDE F., op. cit., p. 89. 133 VIG L., « Le symbolisme dans le culte et dans la vie sociale du peuple malgache », Bulletin des Missions Luthériennes à Madagascar, 15 février, 1903, p. 218. 134 RAISON JOURDE F., op. cit., pp. 89-90. 135 Il existe des jours fastes et des jours néfastes pour commencer un travail ou pour conclure une affaire. 136 CALLET F., Histoire des Rois, Tome III, 1974, pp. 486-488.

69 conserver la population de la commune. Mais il peut être aussi attaché à des conceptions religieuses inspirées de l’Islam137.

Beaucoup de régions des Hautes Terres centrales où se déroulent jusqu’à nos jours des pratiques de culte des ancêtres, respectent l’interdit du porc. Dans certains fokontany dont celui de Tsarahonenana, l’élevage porcin est interdit. Les habitants du fokontany ne mangent pas de la viande de porc à cause de ces interdits à l’origine lointaine. L’élevage porcin est traditionnellement interdit, et la viande de porc coûte généralement plus chère que la viande de boeuf.

Rapaoly Jean Baptiste, 60 ans de Tsarahonenana, parle ainsi de l’interdit du porc dans son village :

« Selon les traditions orales, les villages de Masindray étaient depuis les ancêtres interdits au porc. Et jusqu’à présent, personne n’enfreint cet interdit. Les villages de nobles sont interdits au porc, et comme Masindray était un village des nobles, les habitants respectent les interdits. Moi personnellement, je ne vois pas pourquoi on ne doit pas respecter les interdits des ancêtres si c’est pour mettre de l’équilibre dans la société et pour que chacun se respecte. Je dis à mes enfants de respecter tous les fady et les fomba, et ils les respectent. Les villageois les respectent également »138.

Il en est de même pour l’interdiction de l’élevage des chèvres qui remonte au temps historiques et est liée à des rites, à l’appartenance à un groupe statutaire andriana, noble, correspond à une activité économique, où les actes sont déterminés par une conception religieuse de la vie. L’individu s’y efface devant la communauté ou plutôt le collectif prévaut sur l’individuel, tous les efforts étant conjugués pour réaliser un certain idéal du bonheur139.

L’interdit de certains animaux et d’autres pratiques traditionnelles relève d’un respect mais aussi d’une sécurité de la communauté. Les interdits ont un aspect socialement construit. Les nobles et les simples gens se trouvent soumis aux mêmes interdits et pratiques, même si on sait qui est qui dans la hiérarchie sociale.

Cependant, certaines personnes vont à l’encontre de certains interdits, dans un but économique. On rencontre deux à trois familles qui font l’élevage de un ou deux porcs dans le seul but de les vendre à prix élevé. Ces éleveurs ne se sentent pas concernés par l’interdit du porc, mais affirment respecter l’ensemble des fomban- drazana.

Ravelonantoandro, 65 ans, d’Ambohidraondriana est une des quelques personnes qui fait de l’élevage de porc. « L’élevage des cochons est interdit selon la tradition orale. Mais moi je le fais parce que je pense c’est dans certains endroits seulement qu’il faut respecter l’interdit. Jusqu’ à maintenant nous n’avons pas de problème. Comme la viande de porc est beaucoup plus chère au marché, par rapport à la viande de bœuf, j’ai

137 L’interdit de porc est un fait général sur de nombreuses régions d’où l’origine est fortement liée à des pratiques traditionnelles musulmanes. 138 Voir Annexes, n° 51. 139 DOMINICHINI J.-P., « La chèvre et le pouvoir. Première approche historique d’un interdit », in Omaly sy Anio, n° 9, 1979, p. 115.

70 essayé d’élever des cochons qui rapportent beaucoup quand c’est bien gras. Toutefois, les fomban-drazana sont respectés. Je respecte lesautres fomban- drazana. Nous ne mangeons pas de porc ni dans le village ni à la maison. Les gens sont très sensibles au fihavanana afin de maintenir des bonnes relations sociales »140.

À Masindray comme dans beaucoup de régions du pays, les gens consultent les ombiasy141. Au moment de la centralisation royale, une fois les monarchies régionales vaincues, au centre des systèmes symboliques qui leur ont survécu, l’ombiasy a continué d’œuvrer, de même sous la colonisation. Aujourd’hui encore, il reste le personnage central de la vie politique du village, étant donné qu’il est en un sens beaucoup plus digne d’intérêt que le souverain ou le haut dirigeant politique lui-même142. Il est écouté et ce qu’il dit est respecté par les gens.

Il est aussi régulièrement consulté dans le cadre de la vie sociale au même titre que les mpisikidy (celui qui prédit l’avenir), des mpanandro (celui qui prédit l’avenir avec les astres). Avant d’entreprendre une chose importante, comme la construction d’une maison d’habitation, la population ne néglige pas de les consulter afin de ne pas tomber sur un mauvais jour et d’attirer des ennuis. Il en est de même pour les renin-jaza. Les femmes qui accouchent font appel au renin-jaza (sage femme traditionnelle) qui se basent sur la prédiction des mpisikidy concernant l’avenir de l’enfant.

Razafimamonjy Angeline, 26 ans, divorcée et tompontany, vit à Aminampanga avec ses trois enfants. Pour la naissance de ses enfants, elle les a accouché avec l’assistance d’une renin-jaza.

« C’est dans les pratiques traditionnelles de consulter les renin-jaza pour l’accouchement et elles continuent jusqu’à nos jours. Moi et mes sœurs et frères étaient nés avec l’aide de renin-jaza. Mes trois enfants étaient tous assistés par la renin-jaza qui m’avait suivie dès le troisième mois jusqu’à chaque accouchement. La majorité des femmes du milieu rural comptent beaucoup sur les renin-jaza et les consultent à chaque fois qu’elles se trouvent enceintes ou même quand il s’agit d’un problème relatif à leur tranon-jaza (l’utérus) comme l’embryon en mauvaise position. La renin-jaza fait un massage pour le remettre en place normale et donne des plantes médicinales pour soigner le problème dans l’utérus. Le suivi est facile car ae renin-jaza se trouve dans le même village. On ne peut pas compter sur les hôpitaux car ils manquent souvent de sage-femme et de médecin. Il existe un dispensaire au village de Masindray mais le médecin est presque toujours absent. En cas de maladie, les gens préfèrent consulter les guérisseurs traditionnels qui utilisent les plantes médicinales comme les feuilles et les racines, au lieu de voir un médecin, sauf quand il s’agit d’une maladie grave que le guérisseur n’arrive plus à soigner. En plus, la consultation des guérisseurs est abordable »143.

140 Voir Annexes, n° 32. 141 L’ombiasy ou devin, diplomate, directeur de conscience, « nourrice » du prince, spécialiste de hasina. Celui- ci fut l’artisan d’une unification des croyances, au bénéfice de la légitimation du chef temporel. Il était un personnage essentiel et généralement maintenu dans l’ombre aux côtés du souverain. Cf. RAISON-JOURDE F., Les souverains de Madagascar…, op. cit., p. 27. 142 RAISON-JOURDE F., op. cit., p. 27. 143 Voir Annexes, n° 49.

71 Une autre pratique, qui a son importance mais qui n’a pas été soulevée dans les interviews est la circoncision. Tous les garçons malagasy sont circoncis à partir de leur deuxième âge. Une cérémonie rituelle est organisée, rassemblant tous les habitants, toutes les familles. C’est une occasion pour montrer la cohésion sociale, la reproduction sociale où la présence de tous les villageois et toutes les familles est vivement sollicitée.

Ces fomba sont d’origine lointaine, mélange de différentes cultures d’origine différente. Un des traits de la culture malagasy est celui emprunté de la culture musulmane. Comme l’Île était proche des Cités-Etats de l’Afrique de l’Est qui construisaient au Moyen Age des mosquées, le contact avec des étrangers, des commerçants arabes, ou indonésiens islamisés, ou africains islamisés avait permis la pénétration de la religion musulmane. La partie Sud-Est et les régions nord et nord ouest du pays de Madagascar en étaient le berceau.

L’échec de l’Islam en tant que religion est lié à la constitution d’organisations politiques très dynamiques, nées des syncrétismes opérés sur les côtes en l’espace de trois siècles, et organisés autour d’une volonté délibérée de contrôler, à partir de l’intérieur de l’île et le contact côtier avec les étrangers. Les monarchies régionales utilisaient des groupes de migrants déjà fixés, en voie de fixation ou encore mobiles, les Antalaotra (gens de la mer), comme des groupes-tampons permettant une ouverture vers les courants de commerce ou les systèmes politico-religieux venus de l’extérieur, mais aussi comme un instrument de filtrage des emprunts pratiqués en fonction d’une logique autochtone du pouvoir.

Mis en échec en tant que systèmes de croyances religieuses universalistes, l’islam était utilisé alors pour élaborer, au service des rois et des groupes dominants, une science politique liée aux géopolitiques intérieures à l’île. Cette science politique se cristallisa dans les mythes d’origine des royaumes, dans l’essence du hasy ou hasina144 qui a vocation à structurer la société et le pouvoir145. Le pouvoir royal utilisait l’islam comme instrument de centralisation de pouvoir, une forme de construction politique auquel les gens étaient soumis. D’où alors l’emprunt des pratiques comme la consultation des mpisikidy, mpanandro, les formules magiques, la circoncision, et les interdits qui parviennent probablement de ces influences islamiques répandues, à partir de la partie Sud-Est de Madagascar et des royaumes antaimoro, antanosy, parmi lesquels se trouvaient des petits groupes au savoir ésotérique pour la confection de manuscrits, le sorabe146.

Cette influence est parvenue jusqu’en Imerina. Andrianampoinimerina réussit à faire monter en 1802 à Antananarivo cinq Antaimoro de retour du Nord (Vohémar, Majunga). Lui-même avait perçu l’écriture comme « l’art de se souvenir des choses », une science divine. « C’est sur le conseil de Dieu qu’on l’a tracée », un procédé pour fixer des formules magiques147.

144 Hasina, représente la vertu efficace d’un être, d’une chose, c’est une force d’origine sacrée qui rend les actes féconds, cf. RAISON-JOURDE F., op. cit., p. 827. 145 LOMBARD J., La royauté sakalava : formation, développement et effondrement. Essai d’analyse d’un système politique, Tananarive, ORSTOM, 1973. 146 Le sorabe est un livre écrit en arabe malgachisé contenant des prières, des formules de soins de toute sorte de maladies, de l’astrologie. 147 CALLET F., Tantara ny Andriana, I, p. 157. Il est suggéré dans les Tantara que certains hommes des Hautes Terres (par exemple les Kiboandrano) l’ont possédée, par contact avec des commerçants,

72 Andrianampoinimerina a cherché à baser sur l’islam l’instrument de centralisation du pouvoir, de la reconstruction et de l’expansion du royaume merina.

Le syncrétisme religieux malagasy s’est donc fait d’abord avec l’islam, pour raisons politiques, et les pratiques nouvelles introduites se sont ajoutées aux anciennes pratiques religieuses construites depuis des siècles au niveau local.

Le successeur d’Andrainampoinimerina a opté pour la religion chrétienne comme instrument de consolidation du pouvoir. Sous le règne du roi Radama I, les conditions de fonctionnement du pouvoir central ont changé et l’instrument du pouvoir a aussi changé. Les idées modernisatrices de Radama I ont mis en valeur les pratiques occidentales, dont la christianisation qui avait commencé par l’évangélisation du roi et de la cour royale. Les pratiques sociales connaissaient aussi un changement important. Le sorabe a été délaissé pour céder la place aux lettres latines, et les missionnaires britanniques ont commencé à instruire la population tout en l’évangélisant.

Un syncrétisme nouveau s’est installé dans un mélange de pratiques de différentes influences, sans éliminer nécessairement les traces des syncrétismes plus anciens. Les Malagasy notamment ceux des Hautes Terres ont gardé pendant plusieurs générations des pratiques anciennes, déjà influencées par l’Islam, tout en adoptant les pratiques chrétiennes introduites pendant le règne de Radama Ier.

Mais il y a eu aussi des réactions contre des poussées trop fortes pour imposer une nouvelle religion étrangère. Ces réactions ont été dans le sens de réaffirmer les fomba malagasy anciens. L’arrivée au pouvoir de la reine Ranavalona 1ère, a été accompagnée de l’affirmation de la continuité des fomba qui avaient été bouleversés lors de l’avènement du Radama Ier. La population attendait un changement de la part de la monarchie pour le retour aux fomba, mais aussi la fin des recrutements militaires, le retour des soldats dans leurs foyers, et pour beaucoup de campagnards, la fin de l’expérience de scolarisation. Ranavalona Ière a joué un rôle clé, basé sur les valeurs populaires en misant sur la carte de la culture locale contre les étrangers pour légitimer son pouvoir, ce qui d’ailleurs était approuvé par ses conseillers.

L’assassinat du roi Radama II, seulement deux ans après son arrivée au trône montre à quel point les idées modernisatrices qu’il avait relancées ne pouvaient pas être acceptées par les conservateurs. Selon ces derniers, il fallait continuer dans le sens qui avait conduit la reine Ranavalona Ièreet ceux qui l’avaient aidée à monter au pouvoir, à rechercher dans la réaffirmation des fomba, la source de la légitimation du pouvoir aux yeux de la population.

Cette lutte contre les élites modernisatrices et conservatrices ne laissait pas la population indifférente à la situation. La grande majorité de la population voulait initialement la réaffirmation des fomba comme source du pouvoir royal, car ce

mais que leur mort en a empêché la transmission. Il existe donc une nostalgie de l’écriture, le désir de se la réapproprier, mais sous son aspect ésotérique et magique, sans qu’on imagine qu’elle puisse servir à l’administration des hommes.

73 dernier est vu alors comme ratifiant et consolidant ce qui est la base de la sécurité spirituelle au niveau du fokonolona.

Les gens maintiennent les coutumes ancestrales en terme de légitimation du pouvoir. C’est la façon de construire l’identité populaire, un moyen de justifier et réguler la société. C’est aussi l’occasion de reconstruire un ordre social où les riches et les pauvres doivent partager les mêmes privations en respectant les mêmes interdits, un peu comme chez les catholiques qui ne mangent pas de viande le vendredi. On s’approprie un rite pour la construction de l’identité et le compromis social. Quand un nouveau roi impose une forme de centralisation il doit la relier avec les cultes locaux.

Si à partir de cette époque les religions chrétiennes, catholiques et protestantes, ont connu une influence grandissante, de toute manière, pour la majorité de la population cela s’est fait à travers de nouvelles formes de syncrétisme. Les gens tiennent à maintenir les coutumes en observant attentivement les interdits fady, afin de ne pas offenser les ancêtres et éviter les malédictions, tout en suivant la religion chrétienne. Le syncrétisme religieux populaire à Madagascar a donc une très longue histoire. Il est aussi une forme de résistance politique, car en s’inclinant devant les apports étrangers imposés du haut, il acquiesce au nouveau pouvoir, mais il maintient aussi un espace d’autonomie culturelle, ou peuvent se déployer les traits de la culture locale.

La continuité historique de cette culture est illustrée par l’attitude populaire à l’avènement du colonel Ratsimandrava en 1975. Le soutien populaire au colonel Ratsimandrava était une réaction contre la poussée modernisatrice trop forte des élites. Lui aussi avait réprimé la révolte paysanne dans le Sud de Madagascar, mais après, il avait joué la carte locale en donnant une place importante au fokonolona, comme base pour légitimer son pouvoir. Il a payé de sa vie cette tentative que toutes les couches populaires avaient fortement appréciée et encouragée. Toute la population a vu alors en la personne de Ratsimandrava la réincarnation des valeurs profondes des Malagasy et du fokonolona historique.

Toutes les activités de la grande majorité des paysans sont intimement liées aux croyances véhiculées par le respect des fomban-drazana. La majorité de leurs activités (construction des maisons, de tombeaux, famadihana, travaux des champs, recherche d’un travail) sont soumises aux fomba, conformes aux normes sociales locales et générales établies depuis des générations, et qui se sont transmises aux descendants par les traditions orales, lovan-tsofina.

Rakotondravony, 65 ans, nous explique l’importance de poursuivre les fomba :

« Les gens sont obligés de consulter un astrologue pour une action afin de déterminer les jours fastes et néfastes. Nous connaissons un meilleur à Ankadinandriana. Tous les habitants du village et des entourages le consultent pour la construction de maison, d’un tombeau, pour l’organisation d’un famadihana. Il est important de savoir le jour et l’heure exacte pour la première fondation pour que la maison soit construite dans de meilleure condition et ne provoque pas d’accident mortel. Il en est de même pour la construction de tombeau et le famadihana. On ne peut pas se passer du mpanandro parce que c’est très important. Pour la construction de tombeau, on doit suivre certaines

74 recommandations du mpanandro pour que le tombeau ne prenne pas les vivants. Les instructions aussi sont très importantes pour le famadihana à savoir l’heure de l’ouverture et de fermeture de la porte tombale pour faire sortir et remettre les corps après avoir envelopper. Personne n’ose s’aventurer à organiser un famadihana ou à construire une tombe sans consulter le mpanandro »148.

Le fomban-drazana manifeste un caractère ambivalent. Il met en vigueur les pratiques anciennes et les associe avec le mode de vie moderne. Cette association des pratiques anciennes avec le mode de vie moderne contribue à la continuité de l’économie populaire et consolide la cohésion sociale dans le milieu rural.

On peut associer l’esprit du fomban-drazana au patrimoine organisationnel car il englobe tout ce qui touche les valeurs éthiques et morales, les religions, les systèmes de transmission de connaissances, les systèmes de régulation assurant les équilibres fondamentaux. Il renvoie à l’ensemble des structures sociales établies depuis des générations qui se construisent et se renouvellent perpétuellement dans le temps et dans l’espace. Le maintien des fomban-drazana contribue à l’économie populaire en milieu rural, car ils permettent la reproduction des pratiques populaires. Ils font partie de la sécurisation psychologique et spirituelle de ces dernières.

Cette vision des choses est loin d’être acceptée dans la pensée occidentale basée sur des raisonnements rationnels dominés par des considérations économiques. Il est difficile pour les Occidentaux de comprendre l’ampleur de telles traditions dans la vie quotidienne d’une société, puisque pour eux, cela constitue seulement un obstacle au développement économique et à la rationalité. Depuis longtemps, les chercheurs étrangers ont qualifié la société malagasy de primitive et demi-civilisée. L’ethnographe Van Gennep considérait que « chez les demi-civilisés » qui croient à la contagion des qualités spirituelles et matérielles, le tabou est « un des éléments les plus importants de toute vie sociale demi-civilisée ». Il développait cette conception : « les demi-civilisés (...) curieux comme tous les hommes, (...) ont tenté de s’expliquer la vie ambiante ; mais un faux point de départ et de fausse applications de principe de causalité leur ont suggéré des explications qui nous semblent bizarres, irrationnelles, au point que nous nous étonnons qu’on en ait pu inventer de pareilles. D’où des systèmes de réglementation sociale qui nous paraissent également absurdes »149.

Les fomba malagasy ne peuvent être compris que dans le cadre d’une société, la société malagasy, avec son histoire spécifique, et à partir du moment où l’on admet qu’ils font partie d’une construction collective de sens à travers les siècles. Ils sont une composante de la personnalité historique malagasy, ils contribuent à maintenir la cohésion sociale, et font partie du contexte culturel de l’économie populaire qui fait vivre la grande majorité de la population. De ce point de vue, on peut dire que les fomban-drazana peuvent faire l’objet d’une lecture positive, car ils ont contribué à forger la personnalité de la société malagasy, à garder son identité et à la protéger contre les intrusions extérieures. Ils sont maintenus très consciemment, à ce titre, par des populations qui par ailleurs sont impliquées dans le monde

148 Voir Annexes, n° 62. 149 VAN GENNEP A., Tabou et totémisme à Madagascar. Etude descriptive et théorique, Paris, E. Leroux, 1904, p. 16.

75 moderne. Il s’agit d’une entreprise collective de construction de sens, pas seulement de la survivance d’un passé archaïque. Ils font partie de la créativité pluriséculaire du syncrétisme malagasy, qui a joué un rôle majeur dans l’élaboration d’une personnalité culturelle malagasy, et la capacité de résistance populaire aux tentatives d’imposer du haut de nouveaux systèmes de valeur.

Les milieux ruraux sont encore les endroits où les coutumes ancestrales sont en usage avec conviction et ferveur. La population rurale y est fortement attachée et sensible à son égard, de peur de désobéir aux ancêtres et de ne pas se faire accepter par l’ensemble du fokonolona. Parmi les nombreux fomba traditionnels qui existent dans la société des Hautes Terres centrales, deux pratiques attirent particulièrement l’attention, et ont été évoquées lors des interviews, à cause de leur importance pour la population locale : la construction d’un tombeau familial fasana et la cérémonie du famadihana. Toutes les activités tournées vers le marché, et les efforts d’épargne, sont en grande partie, consacrés à trouver les moyens requis pour le maintien de ces deux pratiques.

La construction du tombeau familial

Un père de famille éprouve de la fierté lorsqu’il a construit un tombeau pour ses descendants afin que tous les membres de sa famille se retrouvent réunis après la mort. Ceci explique le souci évoqué dans un dicton malgache concernant le rassemblement « Vivants, une seule maison ; morts, un seul tombeau », « velona iray trano, maty iray fasana ». Ce ne sont pas tous les pères de famille qui se trouvent dans le devoir de construire une tombe familiale. L’idée émerge lorsqu’un aîné de la famille, en concertation avec le reste des membres de la famille, constate la difficulté de se partager une même tombe ancestrale, à cause de l’extension de la famille. Donc, c’est leur devoir d’assurer la demeure éternelle de leurs proches et de leurs lignées.

Les hommes estiment que construire un tombeau est un devoir et un honneur. C’est pourquoi, 45% de pères de famille souhaitent construire une nouvelle tombe, pour avoir leur tombeau personnel et assurer la demeure définitive, pour eux, leurs familles et leurs descendances150.

Rasolo Fanomezana, 49 ans, évoque la raison de la construction de sa tombe.

« Mes parents sont venus vivre ici et c’est ici que nous choisirons de nous faire enterrer quand nous ne serons plus sur cette terre. C’est d’ailleurs le souhait de mon père à son arrivée ici. À sa mort, nous étions obligés de l’enterrer dans notre tombeau familial à . C’est à cet instant que j’ai senti le besoin d’avoir notre tombe familiale, mes parents seront transférés quand nous aurons construits notre tombe, et nous et nos familles demeurerons tous là. La tombe des ancêtres est devenu petite et parfois des différents se présentent entre les descendants. Nous devons épargner beaucoup d’argent moi et mes deux autres frères pour construire la tombe. Mes sœurs peuvent participer financièrement car en cas de problèmes

150 Ces 45% des pères de familles pensent élargir la tombe familiale pour deux raisons : la première raison renvoie à l’incapacité de certaines tombes construites par les ancêtres, après plus de dix générations de contenir les descendants et la deuxième raison, la position sociale du père de famille qui veut créer un lignage. En outre, le système patriarcal permet à tous les pères de familles et les jeunes hommes d’avoir le droit de se faire enterrer aux tombeaux familiaux avec leurs familles. Au total, ils représentent 100%.

76 conjugaux, elles seront enterrées dans la tombe familiale. La tombe sera construite ici à Aminampanga ou aux alentours, car tous nos biens s’y trouvent, les maisons, les rizières et les champs de culture »151.

Rakotoson Jean Pierre, 48 ans, éprouve la nécessité de construire une tombe à un certain stade :

« Les chefs de famille prennent comme objectif de construire une tombe. Cela représente beaucoup de choses aux yeux de la société. Les gens tiennent compte de cette étape, de cette réussite. Les chefs de famille sont sûrs que leurs descendants seront à l’abri et ne seraient pas sujet de discordance au niveau de la tombe familiale. Quand la tombe est construite, les chefs de famille organisent le premier retournement pour transférer les restes des parents dans la nouvelle tombe. Ce sera une grande rencontre de toutes les entités entre les familles et de festivité de quatre à cinq jours qui réunissent tout le monde. C’est l’occasion de montrer à la famille et à la société la réussite dans la vie et le souci de veiller sur ses descendants »152.

Construire un tombeau mérite les mêmes valeurs et considérations que construire une maison d’habitation. Il fait partie d’un objectif et d’un défi social, un sens de l’existence et une raison d’être. C’est honorer le mort et exalter le prestige familial. Il y a un honneur spécifique dans le fait d’être fondateur d’une nouvelle tombe. « Un chef de famille qui s’est rendu célèbre ne peut pas entrer dans une tombe où il ne présiderait pas »153.

La réussite dans la vie se manifeste par la possibilité de construire une tombe. Haile notait que « l’estimation à la fois des vivants et des morts dépend beaucoup de la qualité des tombes, de leur solidité et de leur splendeur qui sont la mesure de l’honneur. L’homme qui ne peut pas se flatter d’avoir une tombe est un non-être dans la société, il ne mérite aucune considération »154. L’introduction des motifs décoratifs sur les tombes sculptées dans la pierre de la porte montre que « c’est la richesse visible » ou « haren-kita fasana », et cela mérite toutes les considérations. Le sens de la construction d’un tombeau est d’ordre social.

Le tombeau renvoie toujours à un effort collectif, car les techniques traditionnelles, toujours les mêmes jusqu’à nos jours, exigent le concours d’une foule qu’il faut pouvoir réunir et nourrir pendant le temps de délitage des pierres, de leur transport et de la construction.

En outre, Rakotoson Jean Pierre, 48ans parle de la construction de tombe comme une étape du « développement social » :

151 Voir Annexes n° 45. 152 Voir Annexes n° 46. 153 Au XVIIIe siècle, cela signifie la capacité à rassembler les hommes, famille, voisins venus aider dans le cadre de la réciprocité, hommes assujettis, clients et dépendants de toute sorte. En fait dans la deuxième moitié du XIXe siècle, une bonne partie du travail est effectuée par les esclaves. Mais le prestige reste identique. Ceux qui construisent sont fréquemment les fils d’hommes ayant fait carrière militaire entre 1820 et 1870 après être sortis de leur campagne natale. Ce qui signifiait acquérir des honneurs, la reconnaissance du pouvoir, de la fortune, des esclaes par centaine. 154 HAILE J. H., “Famadihana, a Malagasy Burial custom”, Antananarivo Annual, XVI, pp. 405-416.

77 « Ny fahavitana manamboatra fasana midika fampandrosoana, ilaina ny fasana na ho an’ny velona na ho an’ny maty ». « La construction d’un tombeau signifie le développement, on a besoin du tombeau pour renouer les liens entre les vivants mais aussi pour ne pas oublier les morts »155.

Et il reprend :

«Parmi les priorités des chefs de famille, il y a la construction d’un tombeau qui signifie beaucoup de chose dans la société. On peut honorer le nom du père lorsqu’on a construit une tombe. Les gens ont du respect envers le chef de famille qui a construit une tombe car il a accompli une étape importante de son existence. Cela veut dire aussi que la famille entière est rehaussée. On est tranquille de penser que les descendants sont à l’abri du besoin et qu’ils n’ont pas à disputer de tombeau avec les grandes familles. Quand le tombeau est fini, toute la famille se réunie pour transférer les restes des parents. C’est un grand moment de rencontre, et donc c’est une grande fête. C’est l’occasion de se rencontrer entre les familles. Le fait d’approcher Dieu et aller à l’église n’empêche pas de continuer les fomban-drazana surtout en ce qui concerne le famadihana. C’est une occasion pour recevoir la bénédiction de Dieu et des ancêtres, qu’on ne doit pas négliger. C’est ce qui fait la spécificité des Malgaches à mon avis car on se souvent des ancêtres et on renoue les liens familiaux qui se sont détériorés. C’est ça la bénédiction de Dieu et des ancêtres»156.

On peut ainsi faire le rapprochement avec le fandrosoana ou développement. La fondation d’une nouvelle tombe est une des bases de la conception populaire du développement, parce que elle assure la reproduction du lien familial et du lien social dans le long terme. C’est une des bases du développement durable dans la conception populaire. Rien n’est plus important que d’assurer la reproduction du lien avec la famille et le fokonolona, et c’est ce qui assure la sécurité de ce dernier, et de chacun dans ce dernier. Le développement qu’on évoque ici n’a rien à voir avec la logique purement économique connue dans les pays industrialisés. Il s’agit en fait d’une étape de l’ascension sociale, en principe accessible à tous. Cela veut dire que la personne en question et sa famille sont un exemple de la réussite sociale car le plus essentiel est réalisé. On se développe en construisant une tombe, parce qu’on atteint ainsi un état supérieur, et on participe ainsi à la consolidation d’un ordre social meilleur, quasi idéal. La construction du tombeau, de la maison d’habitation ainsi que celle du temple impliquent donc un même enjeu de légitimation157.

Mais la construction d’un tombeau n’est pas seulement un but pour les hommes des campagnes. Les hommes vivant en ville aussi mettent de l’importance sur la construction des tombes, mais à un certain niveau. Quand les moyens le permettent, et quand la nécessité se présente. Construire une tombe incombe aussi aux familles en ville, aux familles de la bourgeoisie tananarivienne, comme aux familles des classes populaires. Les grands personnages politiques, les personnes qui ont réussi socialement, ont toujours parmi leurs projets, celui de construire une tombe soit dans leur tanindrazana originel, soit en adoptant un nouveau lieu afin de rassembler leur famille proche et leurs descendants.

155 Voir Annexes, n° 61. 156 Ibidem. 157 RAISON F., Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe siècle…, op. cit., pp. 724-725.

78 Avant la période coloniale, la tombe familiale et la maison d’habitation se trouvaient dans la même enceinte, aussi bien en ville que dans les campagnes. Cette pratique a été interdite par un arrêté colonial en 1930 pour raison d’hygiène. Désormais, les tombeaux sont construits à la campagne, loin des villes et surtout loin des habitations. L’ouverture des tombeaux doit recevoir l’aval de la municipalité. Il existe encore des tombeaux anciens dans plusieurs quartiers de la capitale, mais ils sont hors d’usage. Les restes des dépouilles sont transférés vers un nouveau tombeau construit en dehors de la ville, et les tombeaux citadins sont condamnés à être fermés, et à être démolis.

Si la construction des tombes est un fait historique et culturel, qui transcende les frontières entre les classes sociales, il ne faut pas oublier qu’elle peut être aussi une source de conflit entre classes sociales. En effet, la construction de la tombe est toujours associée au tanindrazana. Le phénomène de la tombe concerne non seulement les liens sociaux mais aussi la préservation de droit à la terre. Construire une tombe conforte la présence sur le lieu. Cette affirmation se consolide par la possession de terres.

Lorsque une famille riche de la capitale choisit de construire une nouvelle tombe dans les environs de la capitale, et d’y faire transférer les restes des ancêtres, l’opération est le plus souvent associée à la fondation d’un nouveau tanindrazana, donc une concession foncière pour la famille. C’est la construction de la tombe qui témoigne de la volonté de s’ancrer dans le lieu choisi. Mais s’il s’agit d’une famille riche, celle-ci veut une grande concession. D’une manière ou d’une autre, cela va se traduire par une pression sur le marché foncier, que la famille obtienne la concession par la corruption ou par l’achat. Cela va entraîner une hausse du prix de la terre, surtout dans les régions proches de la capitale. Certains petits paysans, ayant besoin d’argent vont vendre leur parcelle ou un morceau de celle-ci, aux nouveaux arrivants. Le nombre de petits paysans indépendants va diminuer et celui des métayers augmenter.

La construction de la tombe est donc aussi un facteur de changement socio- économique, et ne peut donc être étudiée seulement comme un phénomène culturel, encore moins comme un héritage archaïque qui bloque l’évolution. La construction des tombes participe à l’ensemble des changements socio-économiques. En outre, elle a aussi toujours une dimension socio-politique. Les assemblées du fokonolona local vont devoir se prononcer sur le fait d’autoriser ou non la nouvelle concession. Les membres de l’assemblée vont être partagés entre l’intérêt d’accueillir de nouveaux venus disposant de moyens financiers, et le souci de garder les terres pour les habitants originaires. Les fokonolona continuent à jouir d’un droit de contrôle sur les opérations foncières, et dans de nombreux cas ils sont capables de bloquer les stratégies d’accumulation foncière mises en place par la bourgeoisie citadine. Les terres généralement vont être réservées par priorité pour les émigrés du village souhaitant investir leurs revenus urbains dans l’achat de terre au village, et la construction d’une nouvelle tombe qui exprime la réaffirmation de l’ancrage local.

Tout cela est au cœur d’une histoire des rapports sociaux invisible généralement aux observateurs ou experts extérieurs, qui peuvent parler alors tranquillement des

79 problèmes de l’aide au secteur informel, sous un angle purement technique ou financier. Avec comme conséquence l’échec de tous les projets présentés.

Le famadihana

Le famadihana tient aussi une place particulière dans la vie de la population de Masindray et aussi sur les Hautes Terres malgaches. Les familles s’efforcent d’épargner pour pouvoir le concrétiser. Le terme famadihana paraît s’être imposé tardivement, si l’on en croit une revue protestante de 1880. On insistait auparavant sur le « milalao faty », divertissement donné à la dépouille mortelle158 terme qui pouvait convenir aussi bien au contexte de l’enterrement qu’à celui du famadihana.

Le famadihana consiste en somme à sortir les morts de leur tombe159, à les envelopper dans un nouveau tissu, lambamena en soie, et de les remettre à leurs endroits respectifs. Ces rites se font dans une ambiance de festivité avec musique et réjouissance réunissant tous les membres de la famille dispersés dans toute l’île, les amis, les voisins, pendant trois à quatre jours selon les régions.

Le famadihana signifie aussi « déplacer un corps d’un lieu à un autre », pour le ramener au tombeau familial, après une mort au loin, ou pour le placer dans un tombeau nouvellement construit. On profite de ces occasions pour changer les linceuls de l’ensemble des morts présents dans le tombeau ou mamono lamba160. L’accomplissement de ces différents rites du famadihana s’accompagne d’une dépense conséquente de tous les membres des familles concernées, ce qui se traduit par d’importantes activités économiques (cfr. infra).

Du point de vue social, lors des trois jours de festivité et de rencontres, plusieurs choses se déroulent entre les différentes familles. C’est le moment où se règlent tous les problèmes familiaux, parfois liés à la répartition de l’héritage des biens laissés par les ancêtres, parfois l’occasion de partager les biens fonciers et immobiliers qui n’ont pas encore été distribués.

Eliane, 24 ans, de Tsarahonenana fait partie d’une famille de cinq enfants. Elle attend le moment du famadihana pour la réunion des grandes familles afin de régler le problème d’héritage entre les familles.

« Nous exploitons les terres de mes parents et grands parents. Ces terres ne sont pas encore toutes réparties entre les petits enfants. Selon la tradition, la répartition ne peut se faire que lorsque la personne qui possède les biens est décédée. Mais mon grand père (Randriamora) nous a déjà montré toutes ses terres, les forêts et les champs de culture, les biens qui sont exploités et ceux qui ne le sont pas encore. La grande occasion de rencontre entre les enfants et les petits enfants, les parents et les grands parents qui sont encore vivants, est le moment du famadihana, ou précisément après les festivités du famadihana. Notre famadihana est prévu pour l’année prochaine. Tout le monde est sensé être là »161.

158 « Ny fomban’ny ntaolo », Sakaizan’ny ankizy madinika, octobre 1880. 159 Il s’agit en fait de sortir les dépouilles du tombeau familial. 160 Mamono lamba s’agit de ré envelopper les morts avec les linceuls en soie. 161 Voir Annexes, n° 52.

80 C’est aussi une occasion de réconciliations familiales, une grande opportunité pour faire des grands projets familiaux, comme la réhabilitation des maisons ancestrales. Les familles qui ne se sont pas vues pendant des années se rencontrent à nouveau et font connaissance des nouveaux membres des familles élargies. Les membres de familles qui se sont trouvés à l’étranger, en Europe ou ailleurs viennent à la grande occasion apporter leur contribution, afin d’obtenir la bénédiction des ancêtres et la reconnaissance des vivants, mais aussi afin de renouer et revitaliser les liens sociaux, de renouveler les liens sociaux entre les familles vivant à l’extérieur et celles se trouvant sur place, de faire connaissance avec tout ce qui se passe au tanindrazana, dans tous les domaines162.

Si un membre de la famille ne participe pas au famadihana sans motif valable, il est systématiquement exclu de la communauté. Il est jugé indiscipliné. Toutes les relations sociales comme décès, naissance, travaux collectifs qui se déroulent dans un village font référence à ce qu’un individu a fait ou n’a pas fait pour la communauté et pour la famille.

Le famadihana est aussi l’occasion de parler des menaces qui éventuellement pèsent sur les terres du tanindrazana hérité, et de développer une stratégie familiale pour faire face aux menaces qui guettent les paysans en cas de tentatives d’installation de personnes extérieures achetant des terres. Les familles tiennent à préserver les terres face à cette situation.

La coutume du famadihana n’est donc pas seulement un ciment dans la reproduction des liens sociaux, mais aussi un moyen de mettre en œuvre une résistance de la population face à une intrusion extérieure cherchant à s’emparer des biens fonciers. À la fin du famadihana, tous les problèmes sociaux et matériels doivent être résolus, car il faut désormais penser à un nouveau départ pour l’avenir. Si les choses vont bien financièrement, matériellement et socialement, c’est que les ancêtres ont veillé sur ses descendants fitahian’ny razana et les ont béni « tson- dranon-drazana ». Si la situation se détériore, cela veut dire que les ancêtres étaient fâchés et qu’il va falloir agir en conséquences.

Rakotonandrianina, 70 ans, vit à Aminampanga nous confirme sa conviction :

« Je crois fermement à la bénédiction de Dieu et des ancêtres. Le famadihana a quelque chose de sacré qui relie les vivants des morts et qui revivifie les relations entre les vivants. Chaque descendant attend de cette bénédiction pour donner un sens à la vie et à la mort. La mort ne signifie pas la rupture, au contraire, la mort est une continuation, même si c’est dans l’au-delà. L’esprit des ancêtres veillent sur leurs descendants »163.

C’est une croyance qui reste toujours en vigueur, et à laquelle adhèrent les 85% de la population qui vivent en milieu rural, et les 78% qui pratiquent le famadihana. Tout le monde y trouve son compte, les morts et les vivants. Il existe toute une dynamique sociale et économique autour du famadihana en matière de

162 Cf. l’interview privée de Me Randrianarisoa Jeanine qui vit à Montpellier mais qui tient beaucoup à sa famille restée au pays et à son tanindrazana. 163 Voir Annexes, n° 127.

81 reproduction des liens sociaux. En même temps, ce sont des pratiques de résistance populaire, de défense des droits à la terre, et d’identification sociale face aux menaces d’appropriation de terres depuis l’extérieur.

Importance des sectes et place de la religion chrétienne

Une autre tendance qui s’est progressée depuis plus d’une décennie est la prolifération des sectes à caractère religieux dans les campagnes parallèlement à l’existence de longue date des églises chrétiennes. Dans la commune rurale de Masindray, il existe une église protestante et une église catholique, une église adventiste et une communauté Ara-pilazantsara qui représente l’assemblée de prière à caractère d’une secte.

Les fondations paroissiales protestantes dans l’espace rural merina remontent aux années entre 1861 et 1869164. Elles ont été mises en place par les missionnaires anglais dans le but d’évangéliser « ceux qui se trouvent dans les ténèbres ou tany maizina », par rapport à la capitale qualifiée de » tany mazava qui a déjà reçu la lumière », conception véhiculée par les mouvements d’évangélisation. Cette période du XIXe siècle correspondait à celle de la conversion royale, où le christianisme devenait la religion d’Etat.

L’influence du protestantisme et du catholicisme sur les conduites et les comportements de la population, très forte en apparence, ne doit cependant pas être surévaluée. En fait les pratiques chrétiennes ont été rapidement incorporées dans un nouveau syncrétisme populaire, où les valeurs liées aux fomba anciens continuent à jouer un grand rôle. On considère que la propagation du système paroissial en milieu rural est devenue un moyen d’une restauration des valeurs de lieu, de l’enracinement dans le terroir, de la solidarité de la communauté. La paroisse est une institution qui relie (religio, religere) les paysans entre eux, ainsi que leurs parents à la ville. On revient au temple comme à un port d’attache, un lieu identitaire, il est devenu le fiangonan-drazana (église des ancêtres)165.

Les confessions chrétiennes ont chacune leurs adeptes et ont des attitudes différentes, depuis maintenant plus d’un siècle, à l’égard des fomban-drazana.

Pour les catholiques, ils acceptent les pratiques traditionnelles notamment le famadihana. Depuis l’époque du royaume merina, certains nobles andriana s’étaient opposés au protestantisme du gouvernement, perçu comme une trahison des ancêtres royaux. Ces minorités ont joué à l’époque joué un rôle de conservateur de la mémoire, et contribué grandement au maintien d’une continuation historique, respectant les fomba166.

164 Selon les sources LMS, London Missionary Society, en 1862, on comptait déjà une trentaine de fondations et environ 2000 adhérents dans les campagnes. En 1867, on en comptait 92, avec 101 pasteurs et une foule de prédicateurs. Vers la fin de 1869 on passait à 148 congrégations, 115 pasteurs, 437 prédicateurs, 37 112 adhérents. En 1869 intervient après le baptême royal un changement radical d’échelle avec 468 congrégations, 153 pasteurs et 935 prédicateurs, 153 000 adhérents, in RAISON-JOURDE F., Bible et pouvoir à Madagascar au XIXe siècle, Paris, Karthala/CNRS, 1991, p. 348. 165 RAISON-JOURDE F., op. cit., p. 794. 166 RAISON-JOURDE F., op. cit., pp. 613-615.

82 D’où dans le cadre de l’inculturation, les catholiques observent une attitude de compréhension à l’égard des coutumes ancestrales. Ils s’accommodent des fomba, et ils sont proches des « petites gens ». Même les mpanandro167 et les ombiasy168, ne sont plus aujourd’hui unanimement rejetés et pourchassés par l’église catholique. S’ils n’utilisent que leurs connaissances des astres et des plantes, ils comptent des chrétiens parmi leurs consultants ou leurs patients. Cette tolérance de la part de l’église catholique encourage davantage les villageois au syncrétisme, à consulter à la fois les deux. Ils continuent leurs pratiques ancestrales tout en étant chrétiens. C’est une sorte de légitimation de leur pratique ancestrale.

Rakotoson Jean Pierre, 48 ans, est catholique :

« Le fait d’approcher Dieu et aller à l’église n’empêche pas de continuer les fomban-drazana surtout en ce qui concerne le famadihana. C’est une occasion pour recevoir la bénédiction de Dieu et des ancêtres, qu’on ne doit pas négliger. C’est ce qui fait la spécificité des Malgaches à mon avis car on se souvient des ancêtres et on renoue les liens familiaux qui se sont détériorés. C’est ça la bénédiction de Dieu et des ancêtres »169.

Chez les protestants, les adventistes et les sectes, la façon d’interpréter les fomba est différente. La continuation des ces pratiques ancestrales conduit à la pauvreté de ceux qui les pratiquent. Ils sont beaucoup plus rigoureux et distants sur tout ce qui touche les traditions ancestrales, le mode de vie et de comportement qui ne reflètent pas la conduite adéquate. Les Adventistes veulent de leur côté transformer la société rurale avec une interprétation rigoureuse de la Bible. La Bible devient le seul référent et, dans la confrontation à la vie quotidienne, le croyant s’y réfère sans cesse. Les communautés protestantes reposent sur une production normative hétéronome et transcendante qui leur confère, à leurs yeux, une supériorité absolue au regard des lois des hommes. Ainsi, l’exemple du lien de cause à effet entre la maladie, voire la pauvreté, et le non-respect des prescriptions établies par la Bible, autant de malheurs inhérents à la transgression de règles divines170.

Rasoanandrianina Marie Aimée, 40 ans, protestante réagit dans le même sens. Elle explique comment elle perçoit les fomban-drazana :

« Quand on reçoit en profondeur la sainte écriture de la bible, on se détache progressivement des coutumes et pratiques traditionnelles. On ne peut pas comparer et mettre ensemble la bénédiction de Dieu et la bénédiction des ancêtres. Les morts ne font plus partie des vivants. Lors de famadihana dans ma famille, comme nous n’assistons plus et ne participons plus financièrement, certaines familles sont devenues hostiles à notre égard puisqu’il s’agit du retournement des ancêtres communs. Alors que l’accomplissement du famadihana signifie l’accomplissement des devoirs envers les morts et envers les vivants. Toutes les familles le pratiquent encore »171.

167 Les mpanandro sont les personnes qui consultent les astres et lient le destin des humains, c’est une expression qui signifie mot à mot, « parcourir les astres ». 168 Les ombiasy sont des devins guérisseurs accusés de sorcellerie par les cadres de l’Eglise. 169 Voir Annexes, n° 61. 170 LAURENT P. -J., Les pentecôtistes au Burkina Faso, Paris, Karthala, 2003, pp. 255-265. 171 Voir Annexes, n° 54.

83 Les sectes les plus récentes sont les plus radicales dans leur volonté de rupture avec les coutumes du fomba. C’est le cas de la secte Ara-pilazantsara, assemblées de prière, créées seulement à la fin des années 1970 et au début des années 1980, dans le cadre du mouvements de Réveil, liés à l’arrivée des missionnaires évangéliques étrangers comme Jesosy Mamonjy de Daoud, les pentecôtistes, les Baptistes bibliques, etc. Elles se sont progressivement multipliées et envahissent surtout les grandes villes du pays. Elles ont su combiner le discours sur l’état de pauvreté de la population et le salut personnel par la régénération de la vie spirituelle. La secte Ara-pilazantsara, dont le nom se traduit par « selon l’annonce des bonnes paroles », veut transformer la société dans le sens d’un détachement vis-à-vis de tout ce qui est matériel et ancestral.

Les adeptes de la secte, qui ne sont pas nombreux, veulent rejeter les pratiques ancestrales. Ils ne pratiquent plus le famadihana et rejettent toutes les pratiques ancestrales car la Bible est en opposition aux coutumes, et en contrepartie ils consacrent leurs activités et leurs revenus à l’avancement de la secte.

George est chrétien pratiquant et adepte de la secte Ara-pilazantsara, il fait la relation entre la pauvreté et la religion :

« La pauvreté provient de la non croyance à Dieu. Les gens ne prient pas suffisamment Dieu, c’est pourquoi ils restent pauvres. Au niveau de la construction de tombeau, je pense que c’est une dépense inutile et qui empêche le développement. Si on veut se développer, la seule solution c’est de prier et de remettre tout entre les mains de Dieu, travailler pour lui et ainsi la pauvreté disparaîtra. Et quand on prie le Seigneur, lui seul peut vous montrer la solution à suivre pour vous sortir de vos problèmes. Le temps en ville est occupé à chercher de l’argent, tandis qu’à la campagne, le temps est consacré à Dieu, du moins le notre. Les fomban-drazana comme le famadihana ne sont pas utiles puisque nous remettons tout entre les mains du Seigneur. Les paysans, qui ne connaissent pas Dieu, dépensent leur argent au préparatif du famadihana et à la construction de tombeaux. A mon avis, il est sage du suivre l’enseignement de la Bible pour connaître sa volonté afin de ne pas dériver »172.

Le fait d’appartenir aux sectes change la perception de ce qui est important et prioritaire dans la vie de chacun. Les réponses fournies par les interviews nous révèlent que le spirituel prend apparemment le dessus par rapport au matériel. Mais en même temps, les adeptes attachent une grande importance à sortir de la pauvreté, et les respect des coutumes est dénoncé notamment parce qu’il entraîne des gaspillages en terme de dépenses. Le cadre de ce travail n’a pas permis de faire une étude approfondie de la base sociale de ces sectes nouvelles qui en apparence recrutent dans tous les milieux. Mais le discours de la secte rejoint et conforte les discours sur la pauvreté qui ont commencé à dominer le langage sur le développement à partir des années quatre-vingts : la sortie de la pauvreté dépend d’une attitude personnelle, individuelle, et il faut rompre avec les pratiques sociales de redistribution qui sont vues comme parasitaires pour la croissance du revenu individuel. Les dépenses financières importantes attribuées aux festivités associées au famadihana sont considérées comme des futilités et inutiles.

172 Voir Annexes, n° 56.

84 Georges évoque son opinion à ce propos. Pour lui,

« Les personnes qui ne connaissent pas Dieu dépensent et gaspillent leurs biens à l’entretien des tombeaux et au famadihana. C’est cette attitude qui fait la pauvreté des gens dans les milieux ruraux, attitude qu’il faut changer avec les mentalités »173.

Ramaromanana Jean Baptiste, 53 ans :

«L’ignorance de Dieu est la raison qui met les gens dans la pauvreté. La majorité des gens d’ici apportent beaucoup plus d’intérêt à consulter les mpisikidy, à continuer à pratiquer le famadihana qui est d’ailleurs défendu par la bible. Si les gens continuent à pratiquer tous ceux-là, ils resteront longtemps dans la pauvreté. C’est la mentalité qu’il faut changer. Les gens dépensent beaucoup d’argent pour construire les tombeaux, pour préparer le famadihana. Après ils disent qu’ils n’ont pas d’argent alors que l’argent qu’ils gagnent et économisent va à des choses qui ne leur permettent pas de progresser. Pour moi, ces pratiques sont des futilités. Les relations sociales se détériorent car il n’y a plus de solidarité à cause des idées contradictoires »174.

Rakotomamonjy Jean Simon, 35 ans :

« Si les gens veulent sortir de la pauvreté, il faut qu’ils se tournent vers Dieu. Beaucoup sont les familles qui pratiquent les fomban-drazana et le famadihana alors que ces derniers sont défendus par la Bible. Les tombes sont nécessaires pour se faire enterrer plus tard mais les tombes ne conduisent pas au développement. Si on veut se développer, il faut se confier à Dieu et remettre entre ses mains les occupations et les relations sociales »175.

Les sectes ont un langage très radical, obligeant leurs adeptes à la rupture avec les fomban-drazana, le famadihana, la consultation des mpanandro, spécialistes des astres et des mpisikidy, devins guérisseurs. Leur comportement est dicté par les principes qu’ils ont adoptés, jugés conformes à la Bible. Les adeptes des sectes adoptent un mode de vie discipliné, en rapport quotidien avec la Bible qui est alors devenue leurs véritables « mode d’emploi du monde » permettant de discriminer le bien du mal176. Ce mode de vie est ainsi suivi d’interdits qui se traduisent dans leurs activités. Leurs activités sont donc limitées par le cadre de leur éducation spirituelle en contradiction avec les fomban-drazana, comme le cas du famadihana.

Les pratiques économiques et sociales de l’économie populaire de ce fait sont triées et abandonnées par eux, si elles ne sont pas conformes au principe de la secte. Cela se constate notamment dans leurs activités économiques consacrées principalement à l’agriculture et l’élevage et à leurs activités dérivées. On observe qu’ils favorisent de moins en moins les activités artisanales correspondantes et utiles aux fomba comme la confection des lambamena au temps des famadihana.

Il en est de même aussi pour les fifohazana, similaires à l’enseignement de l’Ara- pilazantsara. Le fifohazana ou mifoha « réveillé » est devenu une référence pour

173 Voir Annexes, n° 55. 174 Voir Annexes, n° 70. 175 Voir Annexes, n° 83. 176 LAURENT P.-J., op. cit., p. 408.

85 ceux qui ont rompu avec les traditions ancestrales notamment le famadihana. La rupture est visible d’abord par la tenue vestimentaire dominée par le blanc uniquement, ensuite par le langage biblique assimilé à la vie de tous les jours177.

Les gens des sectes nouvelles sont dans une situation difficile en milieu rural. Ils s’isolent du milieu en refusant de pratiquer les fomba. Ils doivent donc vivre renfermés sur eux-mêmes, mais de ce fait ils aboutissent à devoir refonder une nouvelle communauté, parce que ils ne peuvent pas vivre seuls. Ils doivent fonder une sorte de fokonolona d’un nouveau type, à base exclusivement religieuse, au milieu du fokonolona existant. Le fait même de ne plus accepter les pratiques culturelles locales divise les gens du point de vue religieux. On peut faire le rapprochement de cette au comportement des adeptes de l’Eglise des Assemblées de Dieu étudié par P.-J. Laurent au Burkina Faso quant à l’éclatement de l’univers villageois. La population est éloignée de la « concorde coutumière » qui s’appuie sur la survie collective ou de la recherche de la meilleure sécurité économique, sociale et politique, pour un individu et pour sa famille que l’on rencontre notamment au sein du fokonolona traditionnel malagasy178.

Mais la base même du fokonolona historique, on l’a vu, est d’être basé sur l’interdépendance de liens multiples entre le culturel, le social et l’économique. Le famadihana par exemple, est un rite social qui permet de maintenir le lien avec l’accès garanti à la terre, le tanindrazana. Les gens des sectes qui refusent de pratiquer le famadihana, sont donc en danger d’être coupés des conditions de l’accès à la terre, car le fokonolona risque de ne pas prendre pas en considération leur demande de nouvelles concessions, par exemple pour des parents voulant acheter de la terre avec de l’argent venu de la ville.

Haja, 20 ans, mariée :

« Les populations sont solidaires sauf les sectes. Il en est de même pour le respect des pratiques ancestrales, les gens les respectent encore sauf ces « sectes ». Les gens n’arrivent pas à épargner sauf quand il s’agit de construire une tombe, faire le famadihana et construire une maison. Moi personnellement, je ne vois pas pourquoi on construit des tombes. Les tombes ne permettent pas le développement. Au contraire, ce n’est qu’une dépense futile »179.

Rasoanandrianina Marie Aimée, 40 ans :

« Quand on reçoit en profondeur la sainte écriture de la bible, on se détache progressivement des coutumes et pratiques traditionnelles. On ne peut pas comparer et mettre ensemble la bénédiction de Dieu et la bénédiction des ancêtres. Les morts ne font plus partie des vivants. Lors de famadihana dans la famille, comme nous n’assistons pas et ne participons pas financièrement, certaines familles sont devenues hostiles à notre égard puisqu’il s’agit du retournement des ancêtres communs. Toutes les familles le pratiquent encore.

177 Le fifohazana est une secte née d’un milieu rural à Soatanana, à 30 Km à l’ouest Fianarantsoa. Rasoalambo le nom du fondateur, l’avait créé en 1896 lorsque celui-ci recut la visite de l’esprit de Dieu. La communauté qui en est sortie s’est éloignée de toutes pratiques coutumières ancestrales. Leurs activités sont basées essentiellement sur l’agriculture et l’élevage. Comme vadin’asa, les femmes sont dans les activités de la couture et de la broderie. Les hommes peuvent aller jusqu’à la menuiserie mais pas plus. 178 LAURENT P. -J., op. cit., p. 255. 179 Voir Annexes, n° 78.

86 L’accomplissement du famadihana signifie l’accomplissement des devoirs envers les morts et envers les vivants »180.

Donc les sectes sont condamnées soit à être très puissantes pour leur permettre à leurs membres de survivre, soit à dépendre de l’assistance extérieure. Ou bien elles doivent tout simplement s’adapter en pratique aux règles du fokonolona. Ici encore, c’est la complexité des interactions entre les diverses composantes du fokonolona qui garantit sa capacité de résistance face à une invasion culturelle extérieure. Les sectes restent minoritaires, et on peut penser que peu à peu elles devront s’insérer dans un nouveau syncrétisme, comme ont dû le faire les confessions chrétiennes arrivées au XIXe, et qui n’ont pu empêcher l’immense majorité de la population de continuer à adhérer aux fomba et à les pratiquer.

En effet, malgré leur volonté affichée de rupture, les gens des sectes font toujours partie effective de la société et doivent se soumettre aux principes régis par le fihavanana. Ils participent normalement aux activités du fokonolona car ils en font partie, et ils doivent accomplir toutes les obligations sociales qui ne contredisent pas leurs principes. Ce qui n’est pas du tout facile à assumer compte tenu de leurs interdits conformes à leur interprétation de la Bible. C’est une situation où les conflits ne sont pas à écarter. Le fait même de ne pas occuper une place importante en nombre dans la communauté les oblige à respecter le fihavanana et maintenir d’autres relations sociales pour ne pas se faire exclure socialement.

Henriette, 46 ans, est confrontée au problème de cohabitation :

« Comme je suis adventiste, et dans mon foyer, tout le monde est adventiste, on ne travaille pas le samedi. Les gens du village sont nombreux à être catholiques. Très peu suivent les vraies religions. C’est pourquoi, ils travaillent le samedi et non pas le dimanche. Nous respectons les gens qui vont à l’église le dimanche alors que eux ne nous respectent pas, en nous critiquons de ne plus respecter les fomban- drazana. Les relations avec les voisins deviennent parfois difficiles car les gens d’ici sont encore très attachés aux pratiques coutumères. Nous n’en pratiquons plus puisque c’est contre notre religion. Nous pensons que c’est cela qui fait la pauvreté en milieu rural car les gens se comportent en tant que paien sans connaissance de Dieu dans leur vie. C’est pourquoi, ils font n’importe quoi. Ce n’est pas étonnant que les gens soient pauvres »181.

Jean Yves, 53 ans voient autrement les gens des sectes :

«Les disciples des sectes ne pratiquent plus les fomban-drazana. Ils ne font plus du famadihana car ils disent que c’est la profanation à Dieu et que la bible en est contre. Il est difficile de cohabiter avec ces gens dans tous les domaines, le fait de ne plus continuer à les pratiquer rend moins pauvre. Je ne comprends pas vraiment de ce qu’ils disent car moi personnellement je crois en la bénédiction des ancêtres. Ils ne perdaient pas la tête lorsqu’ils disent à leurs descendants de suivre et respecter les pratiques traditionnelles. Tous les biens que nous sommes en train d’exploiter maintenant sont l’héritage venant des ancêtres »182.

180 Voir Annexes, n° 53. 181 Voir Annexes, n° 119. 182 Voir Annexes, n° 86.

87 Les éléments évoqués ci-dessus ont illustré, une fois de plus, l’interaction existant en milieu rural, entre pratiques sociales et pratiques économiques, et elles ont montré aussi combien les pratiques sociales sont aussi fortement en relation avec la culture de la société. Les fomban-drazana jouent ainsi un rôle très important dans la permanence de l’économie populaire rurale.

Impacts des fomban-drazana sur l’économie populaire en milieu rural

Les fomban-drazana touchent à la fois le social et l’économique, et témoignent clairement de l’interdépendance entre la logique socioculturelle, la logique communautaire et la logique financière. Le famadihana et la construction de fasana sont une des manifestations socioculturelles de l’économie populaire. Les fomban- drazana engendrent des activités marchandes et non marchandes qui font vivre des familles. C’est un investissement à long terme avec une large participation financière et humaine. Les fomban-drazana dépendent en grande partie des artisans paysans qui confectionnent tout ce dont les praticiens ont besoin. Ainsi, l’économie populaire permet la poursuite des pratiques traditionnelles, tout en étant alimentée elle-même par leurs demandes.

La construction des tombeaux est devenue un métier à part entière si au XIXe siècle, elle exigeait la contribution de tout le fokonolona. La construction des tombeaux pendant les saisons sèches rapporte de l’argent aux maçons et fait travailler un certain nombre de personnes, aussi bien des hommes que des femmes. Les femmes et les hommes s’entraident à casser et à tailler les pierres pour en faire des moellons. Les femmes les transportent jusqu’à l’endroit où la tombe doit être construite. Le travail peut aller de trois mois à six mois, selon la distance entre la carrière de pierre et l’endroit et le nombre de personne qui y travaillent. Il dépend également de la disponibilité d’argent des familles qui font construire la tombe.

Il en est de même pour le tissage des linceuls, manenona lambamena et le tressage des nattes, mandrary tsihy que l’on ne retrouve qu’en milieu rural et qui rapportent de l’argent à ceux qui les pratiquent. Le tissage et le tressage sont des pratiques des femmes qui se sont transmises à travers les générations, et qui continuent à être pratiqués jusqu’à nos jours car les demandes sont toujours d’actualité.

Quand les gens projètent de construire un tombeau familial ou se préparent pour la festivité du famadihana, ils parviennent à épargner des sommes considérables et cette épargne est utilisée dans l’économie populaire.

D’après Emilie :

« Les gens arrivent à épargner quand il s’agit de faire du famadihana ou de construire une tombe. Les gens ne disent pas tous la vérité lorsqu’ils avancent qu’ils n’ont pas d’épargne. Il en existe même si ce n’est pas énorme car c’est un devoir à faire et tout le monde en est conscient »183.

183 Voir Annexes, n° 54.

88 Les dépenses effectuées pour les festivités associées au famadihana sont impressionnantes quand on les compare au revenu déclarés ou recensés officiellement. Ce décalage révèle une fois de plus le fossé existant entre les statistiques officielles et les réalités de l’économie populaire.

Tableau.17.Revenu moyen des ménages dans les zones rurales

Revenu moyen Pourcentage Rural du ménage des ménages Agriculteur/éleveur 250 000 Fmg 78 Artisan 190 000 Fmg 15 Autres activités agricoles 320 000 Fmg … Commerçant/marchand 350 000 Fmg 5 Employé d’usine 279 000 Fmg 2

Source : Enquête sur les ménages de la Commune rurale de Masindray, mars 2001.

Alors que le revenu moyen des ménages dans les zones rurales a été estimé aux environs de 250.000 Fmg, on peut constater que le coût de la cérémonie du famadihana célébré en août 1999 dans le fokontany de Tsarahonenana s’est élevé à près de 2,5 millions Fmg à partager entre douze familles.

Tableau.18.Dépenses collectives pour un famadihana

Achat de linceuls 100 000 Fmg Joueurs de musique184 75 000 Fmg Deux troupes de hira gasy185 400 000 Fmg Deux bœufs186 1 700 000 Fmg L’eau de vie 40 000 Fmg Vêtements neufs 150 000 Fmg Total 2 465 000 Fmg187 Source : Enquête sur les ménages de la commue de Masindray, mars 2001.

Dans le cas de Tsarahonenana, chaque groupe familial doit dépenser 205 416 Fmg, c’est l’adidy, obligation financière à laquelle tous les descendants héritiers de terres participent obligatoirement. Certaines dépenses sont à la charge des familles à la campagne. Il s’agit des dépenses pour les repas des invités, au moins au nombre de 200 familles, qui sont composées par les habitants des villages voisins et les familles et les connaissances des organisateurs venues de loin, à nourrir pendant deux à trois jours : une partie de l’achat des bœufs, 450 kg de paddy, déduits de la récolte de l’année en cours, le sel et l’eau de vie locale. Lors des spectacles de hira gasy, il faut offrir le tsipikely, pour féliciter les chanteurs. Chaque descendant des ancêtres peut dépenser 1000 à 5000 Fmg, suivant ses moyens. Les plus riches parmi le groupe prennent en charge la plus grande partie des dépenses, et il y a

184 Les joueurs de musique sont recrutés pour faire danser, la nuit de l’exhumation, les descendants de l’ancêtre dont le linceul va être changé. 185 Joute musicale, accompagnée de discours et de danse d’expression. 186 Le nombre des bœufs à abattre dépend de la possibilité de chaque famille participante. 187 Ce total a été partagé par douze familles.

89 donc un effet de redistribution important. Enfin, il faut acheter des vêtements neufs, que les familles portent pendant la cérémonie. L’épargne pour financer ces dépenses peut durer des années, car le famadihana ou la construction d’un tombeau est prévu plusieurs années en avance.

Pour le famadihana, les cérémonies se déroulent tous les cinq et sept ans. Tous les descendants d’un lignage se partagent tous les frais, qu’ils vivent en ville ou à la campagne pour l’achat des boeufs pour nourrir les invités durant trois à quatre jours, le paiement des musiciens, les linceuls, les nattes. Ils sont prévenus dès que le programme est fixé et se préparent pour l’objectif.

Lors des périodes de famadihana qui se déroulent généralement entre les mois de juillet et septembre188, les activités des paysans s’orientent vers les besoins utiles aux rites, comme le tissage des linceuls, le tressage des nattes, la confection des soubiques, confection des uniformes qui distinguent les descendants. On trouve ces articles en grande quantité aux marchés du village, mais surtout dans tous les grands marchés environnants, Anjeva, Ambatomanga, Ambohimangakely.

L’économie populaire joue un rôle très important dans la réussite du famadihana, à commencer par la préparation et le déroulement des festivités, et jusqu’à la fin des cérémonies. Il est donc intéressant de voir les aspects économique et marchand du famadihana, et l’accomplissement des pratiques qui indirectement ou directement les mettent en oeuvre. L’achat des linceuls ou lambamena189, des boeufs à abattre pour nourrir les invités, des toaka gasy ou l’eau de vie de fabrication artisanale et locale, contribue à faire fructifier les affaires des paysans artisans.

L’économie populaire dans la commune de Masindray est organisée pour faire face à ces besoins, c’est pourquoi on rencontre parmi les villageois des tisseuses de linceuls, mpanenona lambamena et des tresseuses de nattes mpandrary tsihy, articles qui servent pour le famadihana et les décès. Beaucoup de femmes savent tisser et tresser, savoir-faire qu’elles héritent des parents et que l’on retrouve partout dans tous les villages de Masindray. Il s’agit de pratiques populaires qui font vivre de nombreuses familles.

Ravaonasolo Berthine, 39 ans est tompontany, elle est divorcée et vit avec trois de ses quatre enfants. Elle est cultivatrice mais en même temps, elle tisse des nattes, des paniers en osiers qu’elle vend aux marchés d’Anjeva et d’Ambatomanga.

« J’ai hérité de mes grands-mères maternelle et paternelle le tressage. Nous tressons beaucoup de paniers et nattes parce que les gens de la campagne ont en besoin dans toutes leurs activités, pour les travaux agricoles dans les champs, pendant la moisson et surtout lors des famadihana. Tous les articles utilisés dans la vie quotidienne à la campagne sont à portée de main. Celui qui ne sait pas tresser sait tisser ou faire autre chose. Si l’article n’est pas produit par les villageois, on peut le trouver aux marchés d’Anjeva et d’Alarobia Ambatomanga. Les activités artisanales comme le tressage, le tissage complètent notre revenu agricole. Si nous disposons de plus de temps, nous pouvons produire en quantité de

188 Les tombeaux sont autorisés à l’ouverture uniquement pendant les saisons sèches pour cause d’hygiène. 189 Les lambamena sont faits en soie sauvage très résistant au séjour en terre pour envelopper les morts. Leur coût est assez élevé que parfois, les pauvres s’endettent pour acheter des linceuls. Un des cas qui font prospérer les usuriers. Le nombre des lamba à envelopper les morts varie selon la position sociale de la famille et la personne décédée.

90 paniers et de nattes que les intermédiaires viennent prendre directement chez nous pour aller vendre à Antananarivo. Maintenant, la demande des gens en ville a beaucoup évolué, la forme du panier a changé pour une utilisation plus spécialisée, il en est de même pour l’utilisation des lamba qui a évolué. Les lamba en soie destinée à embellir les morts servent maintenant à vêtir les vivants et sont devenus très à la mode »190.

Comme il y a un famadihana tous les ans dans tous les villages sur les Hautes Terres centrales, les demandes et les débouchés sont ainsi renouvelés continuellement. Il existe une sorte de compétition entre les familles organisatrices des famadihana dans les villages avoisinants quant à l’éclat de sa réussite, le nombre d’invités, le coût et la renommée de la fête, et donc cela stimule une augmentation des demandes des familles organisatrices. Le famadihana est indissociable des productions de l’économie populaire.

Les dépenses sont énormes compte tenu du nombre impressionnant des gens qui sont invités pendant la festivité par rapport à ce qu’ils gagnent dans leurs occupations quotidiennes et leurs vadin’asa. Ce qui nécessite une large participation de tous pour supporter les dépenses. Mais la participation n’est pas seulement financière. Ceux qui possèdent des bœufs, du riz ou autre chose peuvent très bien offrir ce qu’ils possèdent afin d’alléger les dépenses. Mais dans l’ensemble les dépenses s’effectuent quand même sur le marché local, au bénéfice des producteurs locaux. Les habitants de tous les fokontany riverains font de bonnes affaires pour compléter leurs revenus lors de cette période. Les éleveurs de boeufs engraissent au maximum les bêtes pour qu’ils puissent en tirer d’importants bénéfices à la vente. Même les fabricants de toaka gasy, genre d’une eau de vie fabriqués de façon artisanale, y trouvent un bon compte.

Cette intégration au circuit monétaire est une donnée fondamentale de la vie des ménages du fokontany de Tsarahonenana. Aussi longtemps que les fomban-drazana continuent d’être pratiqués comme le famadihana et la construction de fasana, les pratiques économiques et sociales de l’économie populaire qui y sont liées en milieu rural, subsistent aussi. Il ne faut donc pas analyser le phénomène économique de l’économie populaire rurale seulement au micro-local mais au niveau d’un circuit micro-régional. La circulation de l’argent entre les différents villages qui assistent au famadihana stimule le marché local et micro-régional. C’est un circuit qui fonctionne et se déplace entre les villages de façon régulière. Ainsi chaque local contribue à faire fonctionner le circuit micro-régional.

Ce point est important parce que dans l’économie populaire, à côté de la relation villes-campagnes, il y a une dimension importante de relations campagnes- campagnes qui stimulent les activités micro-régionales. Ce circuit micro-régional n’est d’ailleurs pas seulement économique. Il crée aussi de la sociabilité micro- régionale.

Les cérémonies sont la base d’un phénomène de sociabilité micro-régionale importante car tous les habitants des villages environnants sont invités à assister à toutes les cérémonies. Les familles organisatrices de la cérémonie commencent à donner à manger à tous les invités sans exception, c’est le « famahanana ». A leur tour, les invités offrent le sao-drazana, une participation symbolique en argent de la

190 Voir Annexes, n°49.

91 part de chaque famille, enregistrée dans un cahier qui sera bien conservé afin de ne pas oublier qui sont venus et combien ont-ils donné. Cette attention particulière de noter la participation de chacun permettra à l’avenir de répondre de la même manière à la famille organisatrice de famadihana d’un des villages invités. C’est ce qu’on appelle « aterokalao » qui signifie tout simplement « ce qu’on apporte, on peut le reprendre », donc c’est la réciprocité.

L’impact économique et social de l’économie populaire est très important car en plus de son effet de redistribution très large et de son aspect stimulateur de l’économie rurale, il produit de la paix locale. Les acteurs sociaux populaires produisent également un maillage socio-politique, qui ne tient pas compte du découpage administratif, et qui contribue à une stabilité socio-politique micro- régionale. Les villageois peuvent se procurer de la paix locale en maintenant leurs activités et leurs pratiques populaires.

Il ne faut cependant pas oublier que ces cérémonies fonctionnent dans le cadre de transferts considérables villes-campagnes. Une redistribution importante s’effectue des villes vers les campagnes à travers ces activités et ces articles achetés sur les marchés, car les gens de la ville viennent à la campagne pour se les procurer. Une grande partie des activités de l’économie populaire urbaine reste orientée vers la production des moyens qui permettent de maintenir les pratiques de fomba à la campagne. Cela fait partie aussi des réalités d’Anosibe.

Participation de tous les villageois voisins au famadihana

Village Village Village voisin voisin voisin

Village Village voisin voisin Village du famadihana

Village voisin Village voisin Village voisin

92 Rotation de participation du famadihana au niveau des villages

Village voisin Village voisin Village voisin

Village voisin Village voisin Un autre Village du famadihana

Village voisin Village voisin Village voisin

2- Anosibe, espace de reconstructions culturelles

Lieu d’adaptabilité et de confrontations culturelles

Hormis ses caractéristiques économiques191, le fokontany d’Anosibe représente une réalité d’hétérogénéité culturelle et ethnique192. Mais il faut rappeler aussi que le quartier est très structuré au niveau de l’économie populaire. Il existe en même temps, à la fois hétérogénéité et ordre. Étant donné la présence de la gare routière reliant la capitale avec les régions du sud du pays, des populations venant des quatre coins de l’île s’y rencontrent, tandis que le renouvellement de liens sociaux s’y effectue continuellement193.

L’hétérogénéité se manifeste notamment par la présence de cultures différentes, d’ethnies diverses et par la présence d’institutions à caractère religieux de

191 Chapitre V, première sous partie. 192Caractéristique fréquente dans tous les grands carrefours économiques et dans les grandes villes du pays. 193 Notamment Merina, Betsileo, Antandroy et Sihanaka. Ce sont les populations les plus représentées dans le quartier. Il existe évidemment des populations d’autres régions mais qui sont faiblement représentées.

93 confessions diverses194. Initialement, le seul facteur homogène des populations du quartier a été la langue malagasy officielle qui permet une communication des différentes populations de l’île entre elles.

Les individus et familles ayant choisi de s’installer et de vivre à Anosibe sont exposés à tous les problèmes rencontrés en milieu. La violence, la concurrence déloyale, la loi du plus fort sont à côtoyer tous les jours et tout au long de l’année, en dehors des soucis de ce que l’on va se mettre sous la dent chaque jour. On se rend compte que les gens élaborent la règle pour vivre ensemble bien que les menaces soient présentes en permanence dans un monde qui est loin d’être idyllique. Les gens font face à de multiples contraintes de divers domaines, à des niveaux différents qu’il faut surmonter et dont il est important d’assurer la sécurité, même si cette sécurité est souvent dérisoire.

Le point qui apparaît intéressant à souligner, est que dans un contexte général d’insécurité, les éléments culturels et religieux sont vus par la population comme pouvant contribuer à la sécurisation individuelle et collective.

Le fokontany d’Anosibe illustre une nouvelle dimension du syncrétisme en milieu urbain. Il s’agit d’une accélération du syncrétisme comme instrument de sécurisation. Confessions religieuses, notamment à travers le rôle des organisations catholiques, sectes et fomban-drazana sont évaluées en fonction de leur contribution potentielle aux différentes dimensions spirituelles, psychologiques et matérielles de la sécurisation. La population met la priorité parmi ces trois éléments en fonction de ce qu’ils peuvent lui apporter dans la vie pratique quotidienne. Il est évident que les gens réagissent par rapport à ce qu’ils estiment utile et nécessaire.

Les gens sont à la fois à l’église et aux sectes, mais en même temps pratiquent les fomban-drazana. Ils vont dans plusieurs endroits à la fois avec le souci de créer la sécurité et la paix. La population côtoie l’église catholique car cette dernière assure à travers son centre social la distribution gratuite de certains produits de première nécessité aux familles nécessiteuses qui fréquentent régulièrement l’église.

Les activités émanant de la paroisse catholique d’Anosibe sont accueillies par les gens avec intérêt, afin de pouvoir bénéficier de ses aides sociales. Comme dans beaucoup de quartiers populaires et pauvres de la capitale, les missions catholiques sont présentes et actives en matières religieuse, éducative et sociale. La présence de l’église catholique dans les milieux populaires fait partie de la politique d’évangélisation, depuis le temps des royaumes merina au XIXe siècle. C’est le cas de beaucoup de quartiers défavorisés de la capitale, comme à Anatihazo Isotry, Tsiadana, Manjakaray, Anosipatrana, Andavamamba, etc.

Noro, 40 ans, mariée vit à Anosibe. Elle est lavandière et son mari est tireur de pousse-pousse. Ils ont huit enfants.

194 Il existe une paroisse catholique à Anosibe sous la responsabilité du Père Sylvain Urfer, qui effectue des activités sociales importantes au niveau des aides alimentaires des familles nécessiteuses, au niveau de l’éducation par la présence d’une école missionnaire, au niveau de l’insertion sociale des jeunes qui représentent un taux de pourcentage élevé dans la capitale et notamment dans le quartier d’Anosibe.

94 « Mes deux derniers enfants vont à l’école missionnaire. Les deux aînés ne vont plus à l’école, ils m’aident à travailler pour compléter notre revenu. Les autres sont déjà mariés. L’église catholique aide les familles qui se trouvent vraiment dans le besoin et qui n’ont pas le moyen d’envoyer leurs enfants à l’école. Je ne suis pas catholique mais je me suis convertie pour l’éducation de mes enfants. Les soeurs distribuent du riz, de l’huile et du lait en poudre tous les quinze jours. Les gens revendent le lait en poudre. Elles distribuent également des effets vestimentaires quand il y a des arrivées et les gens les revendent également. Les familles ne peuvent pas bénéficier de ces aides si elles n’assistent pas à la messe dominicale. Nombreuses sont les familles qui reçoivent de l’aide. Cette conversion ne change rien à nos habitudes et à la continuation des fomban-drazana. Quand les grands moments arrivent au tanindrazana, nous participons par exemple au famadihana. Par ailleurs, en cas de maladie, il y en a qui vont voir le dispensaire des sœurs, et ceux qui vont consulter les guérisseurs et achètent des plantes médicinales. Mes enfants sont nés avec l’assistance d’une renin-jaza »195.

La paroisse octroie des aides alimentaires aux familles les plus démunies des quartiers environnants et assure l’éducation scolaire de leurs enfants. Pour le quartier d’Anosibe, les activités sociales sont focalisées sur les aides alimentaires aux familles nécessiteuses et l’éducation scolaire des petits enfants, moyennant en contrepartie notamment la participation aux activités paroissiales. Il en est de même pour les enfants qui fréquentent l’école missionnaire : ils bénéficient de la priorité aux aides alimentaires (huile, riz, lait en poudre distribués tous les quinze jours). La paroisse d’Anosibe s’occupe également de la réinsertion des jeunes sans travail et des délinquants. Dans ce sens, l’église organise des centres de recyclage des jeunes pour des formations professionnelles dans les domaines du travail de bois, de la mécanique auto196. Cette formation va conduire ces jeunes à monter leurs propres emplois.

Deux des fils de Mme Noro suivent la formation professionnelle dans le cadre de l’église. L’un se forme dans le travail de la menuiserie et l’autre dans la mécanique auto depuis six mois. Elle nous explique leurs attentes à suivre ces formations :

« Mes fils auront la possibilité de travailler chez les autres d’abord et plus tard quand ils auront assez économisé, ils pourront monter leurs propres affaires dans le quartier. C’est quand même une occasion pour les jeunes de s’épanouir. Il n’y a pas de frais de scolarité mais une seule participation à l’inscription. Ce n’est pas la même chose que dans les écoles professionnelles privées que l’on trouve dans la capitale»197.

Ce sont ces jeunes qui ont créé les petits ateliers de réparation de voiture, des ateliers de confection d’ouvrages métalliques ou de soudure, ou qui sont des menuisiers indépendants qu’on trouve en nombre impressionnant dans la capitale, et qui peuvent concurrencer le secteur moderne et privé de la même branche comme les garages et ateliers de confection de meubles. Ces jeunes contribuent à développer les activités de l’économie populaire car les apprentis travaillent dans le cadre familial et de voisinage, tout en s’inscrivant dans les registres de contribution fiscale.

Tovo, 24 ans, vit avec sa mère et ses sœurs :

195 Voir Annexes p. 6. 196 C’est le cas du CDA d’Andohatapenaka. 197 Voir Annexes, p. 6.

95 « J’ai été dans le groupe des jeunes ayant reçu la formation professionnelle dans la menuiserie de la paroisse catholique. C’est très important pour les jeunes car au lieu de faire de vandalisme dans le quartier, on est amené à créer quelque chose. Et cette sensation créative stimule et motive les jeunes à travailler afin de gagner leur vie. Je travaille en ce moment comme ouvrier apprenti dans une boutique de meubles. J’ai arrêté d’aller à l’école à l’age de 14 ans, parce que mes parents n’avaient plus le moyen de nous mettre à l’école. Je ne voulais plus aller à l’école. Et puis, quand il n’y a rien à manger à la maison, on réfléchit à ce qu’on va manger et non pas aux études, c’est très évident. Mon père travaillait à l’entreprise Colas d’Anosibe comme conducteur d’engins. Mais, il n’a pas respecté son travail et il s’est trouvé au chômage après cinq de service. Ils se sont séparés mon père et ma mère car il est devenu alcoolique et il ne donne plus d’argent. Et c’est ma mère qui s’est occupée de nous en travaillant comme femme de ménage. Elle gagne très peu. J’aide ma mère en complétant le revenu. Quand j’aurai suffisamment épargné, je ferai un atelier pou moi »198.

Les activités des paroisses ont contribué à l’évolution des activités populaires. Les gens vont à l’église et envoient leurs enfants à l’école missionnaire pour pouvoir bénéficier des aides. La présence à la messe dominicale est ainsi obligatoire pour les familles voulant recevoir les aides. Cette présence se traduit par un nombre élevé des fréquentations de la population à l’église.

En outre, on peut observer aussi l’attraction faite par les sectes qui sont fortement présentes dans la capitale. Le quartier d’Anosibe se trouve comme un carrefour des sectes à cause de la présence massive de personnes nécessiteuses en quête d’amélioration de leur situation et de leur niveau de vie. Parmi les sectes qui se trouvent dans les parages ayant attiré beaucoup de partisans, on peut citer à nouveau la secte Ara-pilazantsara199.

Elle s’est implantée à Antananarivo vers la fin des années 1970. Dès sa création, la secte choisissait d’être dans un quartier populaire de la capitale, à Manarintsoa Isotry pour se rapprocher davantage du milieu populaire. Elle s’est répandue dans toute l’île et s’est adaptée aux conditions difficiles. Après s’être installée dans la capitale, elle a progressé aussi en milieu rural. Ces adeptes sont coupés radicalement des pratiques culturelles traditionnelles. Vers la fin des années 1990, elle s’est construite un immense bâtiment de rassemblement pour la prière qui peut contenir jusqu’à 1500 personnes, et qui sert de siège central dans le quartier voisin d’Andavamamba, à Antsahanandriana à peine 2 Km d’Anosibe.

Les sectes pensent qu’en s’installant dans les quartiers populaires, il serait beaucoup plus facile d’évangéliser et d’attirer la population. Cette attitude est aussi valable pour l’église catholique qui a toujours oeuvré pour se rapprocher de la masse populaire. On peut croire que la population est facile à manipuler à cause de sa situation vulnérable. En fait, il semble que si elle est d’abord sensible à ce qui peut répondre à sa demande, en même temps, elle fait la part de ce qui est prioritaire ou pas en ce qui concerne la tendance à suivre. Ce comportement est à associer à l’attachement aux coutumes ancestrales qui malgré tout garde sa place

198 Voir Annexes, p. 10 199 Pour les couches populaires, la secte correspond aux groupements de personnes qui professent la religion qui ne font pas partie de la doctrine catholique et de la doctrine protestante.

96 importante dans les pratiques culturelles populaires, qui ne sont pas encore prêtes à se faire oublier.

Dès lors, les coutumes ancestrales ou fomban-drazana activement pratiquées en milieu rural, restent aussi la priorité de la majorité dans les milieux populaires urbains. Même si les fomba font partie souvent des non-dits, chacun connaît l’importance de la place des fomban-drazana et de tout ce qui touche aux aspects spirituel et mythique dans la vie quotidienne des habitants. L’imprégnation des missions religieuses dans le quartier ne transforme pas réellement l’attachement de la société aux pratiques anciennes. Quand il s’agit de participer à des rites coutumiers, chacun retourne à son tanindrazana dans sa région respective pour l’accomplir.

Une part importante des revenus finance les fomba et participe notamment aux frais de transport. Les sources de revenu pour la majeure partie des populations d’Anosibe relèvent généralement de l’économie populaire, et comme le transfert d’argent de la ville vers les campagnes ou de la capitale vers les provinces permet dans la majeure partie des cas à financer les fomban-drazana, il s’agit d’un transfert de l’économie populaire urbaine vers l’économie populaire rurale.

Ravo, 40 ans, mariée, lavandière vit avec ses sept enfants à Anosibe. Elle est issue d’une famille de 13 enfants qui se partagent le projet de construire une nouvelle tombe afin de transférer leurs parents. Ces derniers étaient enterrés dans le tombeau familial partagé avec les autres branches de la famille. C’est un projet qui datait depuis trois ans mais qui n’a commencé à se concrétiser qu’après la mort de leur mère en 1999.

« Après la mort de mon père en 1990, nous nous sommes concertés tous les enfants pour construire une tombe pour nous car des difficultés se sont posées pour le droit d’être dans la tombe familiale. Nous avons onze frères dont un est décédé. Pour cela, il faut que chacun mette de côté de l’argent pou pouvoir construire le nouveau tombeau. La mort de ma mère survenue en 1999, a poussé le projet à se concrétiser car nous pensons qu’il faut transférer la dépouille de nos parents et celle de notre frère dans une nouvelle tombe. C’est une grande somme qu’on devrait épargner car après la construction de la tombe, il y aura le transfert qui va aussi être coûteux. C’est l’équivalent d’un famadihana. C’est pour cela que je dois travailler fort pour participer à concrétiser ces projets »200.

En ce qui concerne la vie quotidienne en général, les mères de familles préfèrent recourir aux fomba gasy pour résoudre leurs problèmes domestiques. Ainsi, faire appel aux devins guérisseurs et aux talismans locaux est une attitude courante chez les petites gens aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain.

Lorsqu’un problème d’ordre médical se présente ou encore quand quelqu’un est jugé affligé d’un mauvais sort, on s’adresse aux devins guérisseurs et aux talismans. Pour l’accouchement d’une mère de famille, ce sont les renin-jaza, sages-femmes traditionnelles qui s’en occupent. Leurs interventions sont fréquentes et leur coût est relativement faible, accessible aux couches sociales défavorisées. Quoique le centre hospitalier universitaire se trouve au quartier voisin, les familles

200 Voir Annexes, p. 7.

97 préfèrent adopter les solutions faciles et moins chères. Si les plantes médicinales traditionnelles peuvent faire l’affaire, il n’est pas question de dépenser de l’argent à l’hôpital et chez les médecins modernes. Le résultat est parfois positif lorsqu’il s’agit d’un problème mineur qui ne nécessite pas d’intervention chirurgicale.

Rasoazanadrasoa Evelyne, 47 ans :

« Cela fait maintenant cinq ans que j’ai eu le problème d’estomac. Je vais chez le médecin généraliste, mais souvent le médicament qu’il me donne ne me guérit pas longtemps. Quand je prends son médicament, la crise est passée mais ça ne dure pas longtemps et en plus les médicaments que je prends coûtent très cher. Alors je préfère me faire ausculter par un guérisseur gasy et prendre les plantes médicinales qu’il me recommande. Je prends régulièrement les tambavy et je suis tranquille. Il y a toujours de réserve de plantes chez moi au cas où j’ai de la crise, mais maintenant, elle devient rare sauf quand je travaille dure, sinon tout va bien »201.

Les plantes médicinales très demandées sont vendues aux marchés par des personnes qui ont des connaissances particulières sur les caractéristiques des plantes et leurs fonctions. Les marchands des plantes médicinales ne sont pas des simples marchands car il y a une connaissance approfondie à acquérir de chaque plante pour chaque maladie. Cette connaissance relève d’abord d’un apprentissage de longue période qui se transmet aussi de génération en génération. Les marchands de tapa-kazo doivent connaître le rôle de chaque plante, la quantité utile pour le soin et ses effets secondaires. L’apprentissage des plantes exige beaucoup d’années et d’expérience.

Ensuite, les marchands de tapa-kazo se concertent avec les guérisseurs et les devins ou mpisikidy pour soigner différentes sortes de maladies et résoudre différents types de problèmes, du point de vue des soins et du point de vue spirituel. Les personnes qui consultent les mpisikidy achètent ce dont elles ont besoins auprès des marchands de tapa-kazo. On peut qualifier ces pratiques de services marchands étant donné qu’il y a toujours des marchandages monétaires à faire ou à négocier.

Raveloarisoa Beby, 70 ans est marchand de tapa-kazo à Anosibe :

« Le commerce de tapa-kazo est un métier dans la famille depuis au moins quatre générations avant moi. Je ne sais plus exactement, mais ce que je sais, c’est que mon grand-père vendait déjà des tapa-kazo et mon père vendait aussi des tapa- kazo à Isotry et à Analakely. Et parmi mes frères et sœurs, je suis la seule dans le domaine de tapa-kazo. Mes enfants aussi de leur ne s’y intéressent pas sauf mon fils cadet qui est toujours avec moi au marché et qui a grandi avec cela. Il n’est pas encore au point, mais je pense qu’il sera mon héritier à ce sujet. Le travail n’est pas comme celui de vendre des cigarettes ou du mofo gasy, vendre des tapa- kazo s’apprend et c’est un apprentissage à vie. C’est la vie de quelqu’un qui est en jeu et son avenir aussi, donc, il faut bien connaître les plantes, racines, les écorces, les grains, etc. qu’on utilise, la quantité nécessaire, tout. Il ne suffit pas seulement de connaître les plantes, il est important de connaître l’origine des plantes. Il y a des plantes qu’on ne trouve que dans un seul endroit à Madagascar. Si on ne connaît pas en profondeur ce qu’on propose, on risque de tuer le patient ou bien transgresser son destin. Si un malheur arrive, on ne peut pas dire qu’on va

201 Voir Annexes, p. 11.

98 seulement changer de métier, c’est de la malhonnêteté. On peut vous poursuivre en justice et c’est la prison. Et non seulement la prison mais la mauvaise conscience vous poursuivra jusqu’à la fin de vos jours. Heureusement pour nous, les risques étaient presque nuls, en tout cas, je n’ai jamais entendu quelqu’un décédé après avoir pris nos tambavy, du moins parmi nos clients. Vendre les tapa- kazo est un métier, mais un métier qui ne rapporte pas beaucoup d’argent. On ne compte pas s’enrichir avec cela. Mais c’est un travail qui a plein de mystère et qu’on a envie de connaître encore davantage »202.

Les fomba ne concernent pas uniquement les pratiques coutumières mais aussi les comportements des individus et les communautés, les valeurs morales et culturelles qui harmonisent les relations sociales. Le fihavanana joue ainsi un rôle important, même si il est différent en ville par rapport à ce qu’il est en milieu rural. La différentiation sociale grandissante qu’on rencontre en ville s’efface tant soit peu devant les pratiques des fomban-drazana. Les couches démunies et les couches aisées se trouvent sur le même pied d’égalité devant les fomba.

Le respect de certains principes anciens reste en vigueur, mais ils varient d’un groupe à un autre, d’une région à une autre. En ville, même si des changements surviennent par le fait même de vivre dans un milieu de confrontation de pratiques traditionnelles et modernes, où les sectes religieuses sont en pleine prolifération pour attirer les couches sociales les plus vulnérables, les pratiques anciennes, les fomban-drazana, sont loin d’être abandonnés et montrent une tendance à se réinventer dans un cadre nouveau.

Il existe une concentration culturelle et religieuse dans le quartier d’Anosibe, mais les familles ont de larges choix quant aux pratiques à suivre. Elles suivent les activités proposées par la paroisse catholique qui leur permettent de combler le manque, ne serait-ce qu’alimentaire, si du moins les dons ne sont pas détournés au marché noir. Mais en même temps, elles tiennent à leurs coutumes ancestrales, car c’est une façon de maintenir leurs identités territoriale et culturelle et leur raison d’être. Dans la capitale, on observe une tendance à reconstruire un nouveau syncrétisme, à partir d’éléments autochtones (le famadihana, les sampy, le fandroana ou bain royal, etc.) et étrangers, de sens contradictoire, avec la nécessité à la fois de s’affirmer face à l’acquisition du christianisme (culture étrangère) et de se construire dans la conservation des fomba gasy 203.

Cette double appartenance permet de choisir la priorité du moment, et de s’adapter facilement devant les situations qui se présentent. Ce comportement agit sur les activités économiques de la population et l’économie populaire en dépend, tout en tenant compte des réalités socio-économiques du fokontany d’Anosibe. D’où un syncrétisme très pragmatique, propre à l’économie populaire urbaine, qui n’hésite pas à participer à différents cultes et pratiques religieuses. On peut parler à ce propose de stratégie de « ruses » des acteurs concernés : les offreurs de religion

202 Voir Annexes, p. 11. 203 On pourra également se référer à la légitimation du pouvoir royal depuis le roi Radama II qui s’est converti au christianisme et s’est fait baptisé, par rapport à la fidélité aux coutumes et convictions des ancêtres royaux. Voir l’article de Françoise Raison-Jourde, « De la restauration des talismans royaux au baptême de 1869 en Imerina. Une tentative de légitimation des rapports entre pouvoir royal dominé et pouvoir d’Etat hova dominant au milieu du XIXe siècle, in : Les souverains de Madagascar, op. cit., pp. 337-369.

99 exigent la participation à leurs cultes en échange de l’aide, ce qui assurent leur visibilité, et les acteurs populaires se soumettent à cette exigence pour avoir l’aide, tout en maintenant leurs pratiques traditionnelles. La « ruse » se situe dans les deux côtés, avec une capacité d’adaptation aux situations204.

Les réalités sociales dans la capitale, comme le cas du quartier populaire d’Anosibe, montrent l’importance d’une approche interdisciplinaire en termes d’économie populaire, par rapport à une approche monodisciplinaire des mêmes réalités en terme de secteur économique informel.

Dans l’économie populaire on voit des acteurs, qui ont certes des activités et une rationalité économique, mais celles-ci sont indissociables des autres composantes sociales et culturelles de leurs stratégies de vie et de survie, individuelles et collectives. L’économie populaire urbaine a bien ses fondements dans la longue histoire de l’économie communautaire, qui sous la pression des changements qui lui ont été imposés du haut et de l’extérieur, a dû évoluer, en perdant certaines de ses caractéristiques, tout en en maintenant certaines autres, et en réinventant de nouvelles pour s’adapter au changement. L’attachement aux valeurs morales et culturelles ainsi qu’aux pratiques traditionnelles est lié au respect des principes séculaires établis dans toutes les communautés malagasy, les fokonolona historiques, principes qui ont maintenu leur importance dans le temps et dans l’espace et quelles que soient les circonstances. Malgré les diversités culturelle et géographique de la société malagasy, son unité est fondée sur ces principes.

L’attachement et le maintien des pratiques coutumières traditionnelles en ville entrent dans la même logique socioculturelle et communautaire que celle vécue en milieu rural. Elle peut justement se maintenir grâce aux pratiques économiques et sociales indissociables de l’économie populaire à la ville comme à la campagne. D’une certaine manière, le concept d’économie populaire permet de relativiser très fortement la dichotomie villes–campagnes qui est une des bases du développement tel que conçu dans les différentes versions de la théorie de la modernisation. L’intérêt porté au tanindrazana par les familles vivant en villes et par celles qui sont restées à la campagne traduit le fondement de l’interdépendance continuée entre économie populaire de la ville et des campagnes. Dans les deux cas, on l’a montré, les aspects religieux et culturels ne doivent pas être minimisés dans la manière de voir les réalités sociales. La différence des milieux urbains avec les milieux ruraux, c’est qu’il y a une plus forte hétérogénéité culturelle en milieu urbain dont il faut tenir compte.

204VERHAEGEN E., VANDAMME P., Introduction à l’atelier 1, « Ruses institutionnelles et détournement des pratiques populaires », CHARLIER S., NYSSENS M., PEEMANS J. -Ph., YEPEZ I., Solidarité en actes. Gouvernance locale, économie sociale, pratiques populaires, Louvain-La-neuve, Presses Universitaires de Louvain, pp. 55-74.

100 Chapitre VIII

L’approche historico-théorique de l’économie populaire

1- L’importance d’une approche interdisciplinaire et historique de l’économie populaire

Élaborer une théorie de l’économie populaire à Madagascar amène à souligner le rôle essentiel du regard historique pour comprendre la différence entre l’économie populaire et le secteur informel. Il s’agit plus que d’une simple différence de regard sur une même réalité.

Les différentes variantes de l’étude de l’économie informelle n’y voient qu’un phénomène économique marginal produit de la crise de l’Etat contemporain ou de ses mauvais choix économiques, et dont il faut stimuler la contribution à la croissance économique par des mesures appropriées de soutien du marché. Une abondante littérature a analysé tous les aspects économiques du secteur informel, présenté comme un secteur qui attend d’être intégré dans le système moderne et formel.

Du point de vue du développement, de nombreuses études ont parlé du caractère insatisfaisant de l’approche en terme de secteur informel, en montrant que celui- ci peut être interprété autrement, en y reconnaissant une pratique d’acteurs qui ont leur manière de vivre, leur stratégie d’action et de résistance qui dictent leurs comportements. L’approche interdisciplinaire reconnaît la grande complexité des réalités de l’économie populaire qui ne peuvent être réduites à leur seule dimension économique.

Dans son analyse de l’économie populaire, dans les quartiers périphériques de Santiago du Chili, M. Nyssens prend soin de démarquer son approche de celle du secteur informel. Elle montre clairement que l’économie populaire est celle des quartiers populaires. Selon elle, le monde populaire est un sujet, enchâssé dans une réalité sociale, économique, politique, culturelle « située », et il y a une économie populaire parce que ce sujet est aussi un protagoniste d’activités économiques, et ainsi développe des formes spécifiques d’organisation socio- économique205.

205 NYSSENS M., Quatre essais sur l’économie populaire urbaine : le cas de Santiago du Chili, Louvain-La- Neuve, CIACO, 1994.

101 Selon G. deVillers, l’économie populaire est plus vaste que l’économie de la pauvreté. C’est l’univers des gens d’en bas. C’est le champ dans lequel se déploient et où dominent numériquement les petites activités, mais où se noue aussi l’articulation de celle-ci à certains segments ou à certains aspects de l’économie pratiquée par des gens plus riches et plus aisés. C’est un champ où coexistent et interfèrent des activités « non modernes » et « modernes ». C’est encore un champ où les activités sont tantôt enregistrées, tantôt non enregistrées, tantôt réglementées, tantôt non réglementées206.

L’étude historique se présente alors comme une piste principale pour élucider cette complexité. Elle permet de faire une autre lecture du secteur informel : celle de l’histoire longue qui tient compte de plusieurs logiques, sociales, culturelles, économiques, voire communautaires, qui s’entrelacent de manière forte pour définir un processus de développement qui a une personnalité historique particulière.

L’approche interdisciplinaire en terme de développement reconnaît l’importance de l’histoire pour comprendre la nature de l’économie populaire, parce que l’approche historique permet de montrer que l’économie populaire est enracinée dans un processus historique long. À travers l’approche historique, on se rend compte que l’approche économique ne tient pas compte des aspects culturels et sociaux qui sont importants. Elle ne reconnaît pas non plus les acteurs populaires comme acteurs véritables du développement.

La contribution de cette recherche est que l’approche historique permet de voir autrement le secteur informel. L’enjeu est de changer le regard sur le secteur informel à Madagascar et de le lire en tant qu’économie populaire et non pas comme secteur qui attend de s’intégrer dans le système économique moderne.

L’approche de F.Braudel des processus historiques de développement en termes de trois niveaux aide à situer la place de l’économie populaire dans l’histoire de Madagascar. Cette approche de Braudel a déjà été évoquée brièvement dans le chapitre II. Il semble important à ce stade-ci de l’étude de rappeler brièvement le cadre conceptuel proposé par F.Braudel. Puis on montrera comment ce cadre conceptuel appliqué à Madagascar permet de se situer l’économie populaire dans une continuité historique qui éclaire beaucoup mieux sa nature que ne peut le faire le concept de secteur informel.

2- Le cadre conceptuel proposé par F. Braudel : un rappel de son intérêt pour le développement

Il faut d’abord resituer l’approche que Braudel propose de l’analyse du développement en longue période. Braudel ne confond pas la genèse du développement avec celle du capitalisme en Europe à partir du XVIe siècle. Pour lui le développement humain a une histoire bien plus longue et s’est manifesté

206 De VILLERS G., « Le Pauvre, le Hors-la-Loi, le Métis. La question de l’économie informelle en Afrique », Les Cahiers du CEDAF, n°5-6, CEDAF, 1992, p. 67.

102 dans toutes les sociétés. C’est l’histoire de la construction de la vie matérielle à travers laquelle tous les peuples ont peu à peu maîtrisé leur environnement matériel, et en ont mobilisé les ressources pour s’assurer des conditions de vie supportables. C’est là que se trouvent les bases de la vie quotidienne : la nourriture, l’habitat, le vêtement, et toutes les techniques qui peu à peu ont permis non seulement de maîtriser le milieu naturel, mais aussi d’améliorer sans cesse les conditions de la vie matérielle à travers un apprentissage continu dont les acquis se transmettent et s’enrichissent à travers les générations. Ce niveau a toujours un caractère local, même si les dimensions spatiales de ce local varient à travers les époques et les régions du monde.

C’est le premier étage du développement humain en longue période207.

Selon Braudel, c’est au-dessus de ce soubassement historique que se construit un second niveau, qu’il appelle le niveau des échanges, celui à partir duquel apparaît l’économie de marché. Les relations entre le premier niveau et le second niveau ne sont pas étanches. Ils s’interpénètrent.208

Le marché et les échanges, du point de vue spatial, engendrent une interaction entre le niveau local et un niveau régional plus large, qui recoupe aussi une relation entre régions rurales et centres urbains. La valeur d’échange prend le pas sur la valeur d’usage209.

La manière dont Braudel décrit les rapports entre les acteurs des deux niveaux ne laisse aucun doute sur le fait que les uns et les autres sont à la fois dans la sphère de l’autoproduction, de la production pour les besoins locaux, et en même temps dans la sphère des échanges. Ce sont essentiellement les paysans, les artisans et les petits boutiquiers et marchands.

Braudel voit l’émergence du capitalisme comme partiellement dérivée de l’évolution de l’économie de marché, mais surtout liée au changement du contexte historique en Europe à partir du XVe siècle. Ce contexte permet à une nouvelle catégorie de marchands qui contrôlent le commerce à longue distance, de mettre en place des monopoles qui sont la condition pour réaliser des profits exceptionnels et entamer un processus accéléré d’accumulation des profits et du capital. Les capitalistes essaient par tous les moyens de fausser le jeu de la concurrence qui caractérisait antérieurement le fonctionnement du deuxième niveau210.

Le passage au capitalisme se caractérise pour Braudel par une tentative réussie de prendre peu à peu le contrôle de la petite production qui se développait antérieurement au premier et au second niveau du développement local et régional. Il est important de souligner que pour Braudel l’émergence du capitalisme est associée à l’émergence de réseaux d’acteurs puissants, dont les

207 BRAUDEL F., La dynamique du capitalisme, Paris, Arthaud, 1985, p.39. 208BRAUDEL F., Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVème-XVIIIème siècle, Tome I, Les structures du quotidien, Paris, A.Colin, 1979, p. 12. 209 BRAUDEL F., La dynamique du capitalisme, op. cit. p. 23. 210 BRAUDEL F., Civilisation matérielle, économie et capitalisme, Tome II, Les jeux de l’échange, Paris, A.Colin, 1979, pp. 60-61.

103 intérêts convergent dans les affaires comme dans le domaine politique. Le capitalisme est caractérisé par l’affirmation du pouvoir de coalitions d’acteurs qui cherchent à établir des monopoles. C’est l’économie du troisième niveau211.

Celui-ci devient dominant et il impose sa loi progressivement au deux autres niveaux.

La grille d’analyse de Braudel permet d’élaborer une alternative à la théorie de la modernisation. Les différentes variantes de cette dernière sont basées sur une vision linéaire du progrès, dont les lois universelles permettent d’élaborer les étapes du passage de la société traditionnelle, agricole, rurale et arriérée à la société moderne, industrielle, urbaine et avancée. La théorie du « démarrage » de Rostow en a été une des formulations les plus connues. Cette théorie se base toujours sur une certaine interprétation de l’histoire, dont l’étape décisive est le déclenchement d’un processus d’industrialisation, dont le « take-off » miraculeux de la Grande-Bretagne, au XVIIIe siècle, serait le point initial, les autres pays devant répéter ce processus pour se développer. En attendant ils ne sont que « sous-développés ».

L’approche de Braudel aide à sortir de cette vision linéaire qui finalement repose sur une vision fort réductionniste de l’histoire. Elle aide à voir que l’économie du troisième niveau n’est pas le début de l’histoire du développement. Celui-ci a débuté avec la construction longue du premier et du deuxième niveau. Toutes les régions du monde, y compris l’Afrique et Madagascar, ont une longue histoire du premier et du deuxième niveau. Ils ont donc aussi construit les conditions du développement humain. L’histoire du troisième niveau dépend de la manière dont il a pu établir sa domination sur les deux autres niveaux, et imposer la logique de l’accumulation comme seule logique du développement. Les circonstances historiques ont fait que dans certaines régions du monde, notamment en Europe, par des voies très complexes, qui sont loin d’être seulement économiques, la logique du troisième niveau a fini par s’étendre à l’ensemble de la société et de la culture. Dans d’autres régions du monde, la logique du troisième niveau, n’a pas pu s’imposer totalement aux deux autres niveaux212.

Dans la théorie de la modernisation, comme le développement est confondu avec la seule croissance économique, la faiblesse du troisième niveau est assimilée au sous-développement. Dans les années 1970, l’école de la dépendance a mis en valeur la liaison entre l’histoire du capitalisme et celle du colonialisme et de l’impérialisme pour expliquer que le troisième niveau n’a fonctionné dans les pays dominés que comme un moyen de prélever des ressources au bénéfice des pays capitalistes dominants. Le troisième niveau dans les pays dominés est donc resté bloqué, comme l’a élaboré l’analyse en termes de centre-périphérie. Celle- ci a le grand mérite d’avoir ramené l’histoire réelle des rapports entre les nations, l’histoire réelle des rapports Nord-Sud, dans l’histoire du développement.

211 BRAUDEL F., La dynamique du capitalisme, op.cit., p.45 212 Cfr. PEEMANS J.Ph., Analyse comparative des processus de développement en longue période, Notes de cours inédites, SPED, UCL, 1998-1999.

104 Dans les années 1980 et 1990, de nouvelles approches ont insisté sur le fait que la théorie de la modernisation a totalement négligé le fait que dans certaines sociétés la faiblesse du troisième niveau traduit aussi peut-être une capacité de résistance plus grande du premier et du second niveau à la volonté d’hégémonie des acteurs du troisième niveau. Cela s’est accompagné de la réévaluation des réalités du secteur traditionnel et de la manière dont il était vu dans la théorie de la modernisation. Si on abandonne cette dernière conception, on se rend compte que les premier et second niveaux dans l’approche de Braudel peuvent être vus aussi comme des lieux où existent des acteurs qui ont d’autres attentes de développement que celles imposées par les acteurs du troisième niveau. Les deux premiers niveaux doivent être approchés à travers une démarche interdisciplinaire pour comprendre les interactions entre les aspects économiques, sociaux, institutionnels et culturels qui constituent la base des stratégies et des comportements des acteurs de ces niveaux213.

Dans cette perspective, le développement n’est pas vu comme un passage linéaire du traditionnel au moderne. Le développement se fait à travers les relations et les conflits qui existent entre les acteurs des trois niveaux, entre les acteurs dominants qui voient le développement comme la réussite de l’accumulation, exprimée à travers la croissance économique, et les acteurs dominés qui voient le développement comme la reproduction améliorée des conditions matérielles et spirituelles qui leur permettent de vivre en tant que familles et collectivités dans un milieu de vie donné. A travers ces relations, le premier et le deuxième niveau ne disparaissent pas nécessairement, à travers le temps, et il faut donc à chaque époque analyser leurs relations avec le troisième niveau, celui qui domine, mais n’occupe pas nécessairement tout l’espace social et culturel. Mais d’autre part, les acteurs du premier et second niveaux ne peuvent pas être confondus seulement avec le secteur traditionnel, parce qu’ils sont au contact du secteur moderne depuis des générations : ils vivent l’envers du moderne et ils doivent s’adapter aux contraintes imposées par ce dernier pour survivre et maintenir vivante ce qui est leur logique de reproduction socio- économique et socioculturelle214.

3- L’analyse historique de l’économie populaire à Madagascar, le rapport avec le cadre proposé par F.Braudel

La démarche élaborée dans le chapitre deux et le chapitre trois a permis de voir l’évolution de l’économie populaire à partir de la construction de l’économie communautaire et le rôle d’acteurs qui ont mis en place la communauté.

A condition d’une sérieuse adaptation, voire reformulation appropriée au contexte, l’approche de F. Braudel aide à situer l’histoire longue de l’économie populaire à Madagascar.

Il s’agit alors d’élaborer une approche historico-théorique qui reconnaît le passé historique des acteurs populaires, acteurs qui sont loin d’être homogènes, leurs

213 PEEMANS J.Ph., Le développement des peuples…, op.cit., Ch. 9, 12 et 13. 214 PEEMANS J.Ph., Le développement des peuples,…op.cit., pp.439-442.

105 pratiques complexes qui mettent en interaction l’économique à partir du vadin’asa, le social et le culturel qui sont perceptibles à travers le rôle du fihavanana, l’attachement au tanindrazana et aux coutumes ancestrales, les fomba, le tout dans le cadre institutionnel du fokonolona qui joue un rôle central dans l’évolution.

L’économie populaire à Madagascar s’est construite en trois étapes.

La première étape est celle de l’économie communautaire antérieure au temps du royaume merina, basée sur l’agriculture et l’artisanat local. Elle se fait sur les terres appropriées par les fokonolona, qui rassemblent une communauté, dans les premiers temps relativement peu différenciée. On y trouve l’équivalent de ce qui est le premier niveau selon F. Braudel. L’économie communautaire se réfère à un territoire, essentiellement la terre d’origine ou précisément les terres des ancêtres, le tanindrazana auquel les acteurs sont fortement attachés, de même qu’à leur culture et à leur civilisation. D’où la forte interaction entre le fokonolona, le tanindrazana, le fihavanana, le famadihana, le rapport avec les morts. Dans le cadre du tanindrazana, les acteurs populaires collectifs sont liés par le réseau familial et communautaire. Ils sont également attachés aux pratiques ancestrales. Ce sont les éléments fondateurs de l’économie communautaire, dont émergera plus tard l’économie populaire. (CH.II)

La deuxième étape est le début de la transition de l’économie communautaire à l’économie populaire avec toujours comme base l’agriculture. C’est la période de la construction du royaume merina, qui stimule le développement du deuxième niveau. L’économie communautaire s’est développée depuis l’apparition du tsena, marchés locaux, à travers les échanges des produits locaux correspondant. Le fokonolona ne se réfère plus à un cadre restreint limité au village mais à un cadre plus large. Un processus de différenciation sociale entre les andriana, les hova et les andevo s’accélère dans le cadre des fokonolona élargis mis en place par le pouvoir royal.

La population doit aussi faire face à la pénétration de la civilisation étrangère notamment le christianisme, pénétration qui a remis en cause la légitimité du pouvoir royal. Les fokonolona continuent à pratiquer les coutumes ancestrales et refusent le christianisme jusqu’au point où le christianisme est devenu la religion d’Etat par la conversion de la reine et de son premier ministre et l’autodafé des sampy. Cela va provoquer une scission à l’intérieur de certains fokonolona.

Il existe le fokonolona de base qui est lié au territoire d’origine, au tanindrazana, et il y a le fokonolona marginal formé par l’opposition de certains groupes à la conversion du royaume au christianisme et qui fondent un nouveau tanindrazana. Cette formation de population marginale en dehors du royaume merina va constituer la force d’opposition face à la pénétration étrangère (française). Elle continue les pratiques populaires, le mode de vie communautaire même dans une position marginale. Malgré la différenciation et la scission aussi bien le fokonolona traditionnel de base que le fokonolona marginal vivent de la même façon.

106 Les opposants au christianisme furent impliqués dans la préparation de l’insurrection des menalamba car ils voulaient retourner à un passé idéalisé dont la tradition coutumière constituait le point de référence de toute organisation sociale et de toute légitimation du pouvoir. Cette époque a montré que la population malagasy formait déjà une société fortement attachée aux traditions culturelles qui ont toujours été un point de repère et une manière de légitimer le pouvoir royal. La pénétration du christianisme a certainement affecté cet attachement aux coutumes ancestrales, mais en réalité ne l’a pas supprimé.

Sans insister ici longuement sur cet aspect, on pourrait dire que dans les termes de l’analyse de F.Braudel, l’impact du pouvoir royal sur le développement de long terme peut s’évaluer d’une double manière. D’une part, il a stimulé l’apparition d’une économie régionale du « deuxième niveau » (à travers la multiplication des tsena), ce qui a ouvert de nouveaux horizons pour le « premier niveau », sans menacer son équilibre. D’autre part , il a représenté une tentative de construire par la voie politique un embryon de « troisième niveau » en se servant des ressources humaines du « premier niveau », ce qui a déstabilisé ce dernier, qui avait déjà une longue histoire et où le fokonolona jouait le rôle d’une institution majeure 215.

La troisième étape est le stade de l’autonomisation progressive de l’économie populaire elle-même confrontée aux acteurs du troisième niveau de F. Braudel. Avec l’introduction de l’économie de marché à l’époque coloniale, l’invasion du capitalisme et la mise en place des structures économiques coloniales, la vie de la grande majorité de la population a changé. L’irruption étrangère va détruire le royaume merina, et vouloir dominer les acteurs du premier niveau. Pour honorer les obligations coloniales, les impôts qui pèsent lourd sur elle, la population est obligée de diversifier ses activités par le vadin’asa. D’un côté, pour pouvoir payer les impôts, elle doit entrer dans le système salarial instauré par la colonisation, et de l’autre côté, pour pouvoir subvenir à ses propres besoins quotidiens, elle continue à pratiquer un mode de vie lié aux terres, l’agriculture et l’artisanat. De ce fait l’économie communautaire se différencie et se diversifie allant progressivement, à travers cette évolution, vers l’économie populaire.

Vu la force des institutions de base, malgré la pénétration étrangère, les acteurs du premier niveau ont une capacité de résistance qui est en interaction avec le fihavanana, le tanindrazana et le fokonolona

Le contexte dans lequel l’économie populaire évolue, à l’époque coloniale, est très complexe dans la mesure où la masse populaire concernée est confrontée à plusieurs problèmes situés à plusieurs niveaux : faire face aux pressions coloniales, aux crises multiples, économiques, sociales, politiques.

La différenciation sociale s’affirme encore plus à l’intérieur des fokonolona, notamment parce que la période coloniale a permis à une partie des andriana et des hova de s’enrichir en utilisant le travail des anciens esclaves transformés en métayers. Une petite élite consolidée par le pouvoir colonial prend ses distances par rapport aux couches populaires. Cependant, une partie de ces métayers (les

215BRAUDEL F. op. cit., T I, p, 10.

107 andevo devenus mainty) a pu augmenter son revenu à travers les migrations et à travers cela a pu accéder à la terre, fonder aussi un tanindrazana. Cela a donc compensé par le bas, la différenciation sociale par le haut, en rapprochant métayers et petits paysans appauvris par la colonisation. A travers ce mouvement contradictoire, on peut dire que l’ancienne économie communautaire s’est érodée et que l’économie populaire, a peu à peu émergé de cette crise. Le fokonolona réel se maintient tout en se recomposant, et ce en filigrane du fokonolona administratif mis en place par le pouvoir colonial. C’est autour de lui que se recompose le lien communautaire. Mais dorénavant l’économie populaire occupe aussi la ville, à travers les migrations campagnes – villes, où la majorité des migrants restent fondamentalement liés au milieu rural. L’économie populaire apparaît bien dès cette époque comme l’économie des couches populaires, au fur et à mesure que se décompose l’ancienne économie communautaire peu différenciée socialement (ch. III).

L’évolution de cette économie populaire est fortement liée à l’évolution du vadin’asa dans l’économie communautaire qui se diversifie, s’individualise et s’étend dans le cadre urbain. Arrivé dans le milieu urbain, le vadin’asa est devenu très important pour permettre de survivre et de renvoyer de l’argent au village. A travers les nouvelles formes du vadin’asa se renouvellent continuellement des liens sociaux véhiculés par le fihavanana au sein d’un fokonolona renouvelé, à la campagne et à la ville.

Grâce à l’approche historique, on se rend ainsi compte qu’il faut analyser le secteur informel urbain en terme d’économie populaire, parce que historiquement celle-ci s’est développée comme une transposition des pratiques de l’économie paysanne en milieu urbain à travers les migrations paysannes et l’urbanisation progressive. Les études du secteur informel l’ont toujours vu comme un phénomène économique urbain, qui ne concerne que marginalement la campagne, alors qu’en terme de l’histoire des acteurs populaires, on se rend compte que la base de l’économie populaire urbaine est une transposition, voire une réinvention, des pratiques paysannes en milieu urbain. L’économie populaire des campagnes est toujours restée elle-même, centrée autour du fokonolona historique et de toutes les composantes socio-historiques qui entourent ce dernier.

Historiquement l’économie populaire s’est greffée et développée en ville comme une transposition des pratiques de l’économie paysanne en milieu urbain à travers les migrations paysannes et l’urbanisation progressive. L’autonomisation de l’économie populaire y a pu développer de nouvelles pratiques, parce que confrontée directement au secteur moderne, dont la base est historiquement urbaine.

Après l’indépendance, de 1960 à 1980, c’est le relais de la logique de l’époque coloniale par des acteurs nationaux dominants qui essaient d’imposer, appuyés par l’ancienne métropole, une politique de développement économique, social et culturel, en fonction d’une idéologie du développement conçue à travers la modernisation. La population est vue soit comme une variable démographique déréglée, obstacle à la croissance, soit comme une masse qui doit être modernisée parce qu’elle est en retard. La première phase est la politique de la

108 modernisation libérale de la première république au temps de Tsiranana depuis 1960 ; la deuxième phase est la modernisation volontariste de la Deuxième république. Leur seul résultat, a été l’échec de la politique de la modernisation forcée qui aboutit à l’endettement du pays.

Les deux tentatives ont échoué creusant la séparation entre les élites et les masses populaires urbaines et rurales. Ni la modernisation libérale, ni la modernisation volontariste n’ont pu fonctionner laissant les acteurs populaires livrés à eux-mêmes.

Dans les deux cas, les acteurs populaires sont abandonnés à elles-mêmes devant la différentiation sociale en ville et à la campagne. Ils parviennent à se maintenir grâce à leur capacité de résistance ou d’adaptation.

A partir des années 1980, le rôle de l’Etat et du secteur moderne se réduit laissant la place libre aux pratiques anciennes des acteurs populaires qui font preuve d’une grande créativité pour affronter les nouveaux défis, et occupent un espace plus large et plus visible. Les acteurs populaires sont désormais bien présents sur le devant de la scène en ville et à la campagne (Ch.IV).

La continuité de l’économie populaire qui est l’axe de ce travail renvoie aux différents facteurs qui historiquement ont permis le passage de l’économie communautaire à l’économie populaire. On a montré le rôle central joué par le fokonolona historique dans cette évolution, où se conjuguent changement et continuité. A travers le rôle et le fonctionnement du fokonolona dans le cadre local, on peut observer des pratiques économiques et des pratiques sociales connues des temps antérieurs et qui continuent d’exister jusqu’à l’époque présente. Le fokonolona vit dans le cadre qu’il définit lui-même comme la « norme » selon sa logique, dont la base est la recherche permanente d’une sorte d’harmonie à l’intérieur de la société locale, et d’une harmonie entre la société locale et son milieu. L’évolution y est lente puisque la population est fortement imprégnée de ses habitudes d’une part, et d’autre part, toutes les innovations et nouveautés sont vues comme risquant d’aboutir à des conflits sociaux. Le fokonolona est en ce sens le socle historique de l’auto-contrôle social au niveau local, du mode de vie, et du mode de pensée de la société malagasy. Les nouveautés sont ainsi triées et celles qui ne correspondent pas à la « norme » de la société sont exclues afin de ne pas perturber l’ordre déjà établi depuis des générations et l’équilibre social. Cette vision est très présente au sein du monde rural, encore aujourd’hui. Le fokonolona fait le choix de ce qu’il maintient ou de ce qu’il ne maintient pas au sein de la communauté. Le but est de maintenir l’équilibre entre les éléments vitaux de la reproduction de la collectivité (Ch.V).

On peut représenter les interactions entre ces éléments par le petit schéma ci- dessous.

109 Fig.11.Economie populaire en milieu rural

Economie populaire

Pratiques économiques Pratiques sociales Au niveau du fokonolona

Matérielle Non matériel, spirituel (maisons, terres, bétail) (vie éternelle, sociabilité) construction de tombe et famadihana

Tanindrazana

L’économie populaire en milieu rural n’a rien à voir avec ce qui est de l’économie « hors-la-loi »216 ou de la « seconde économie »217, voire encore de « l’économie souterraine » ou « clandestine », que l’on retrouve dans les différentes approches du secteur informel. Elle reflète toute une vie séculaire de la communauté, celle du fokonolona qui fonctionne selon une règle de conduite bien à lui, établie il y a bien longtemps et qui n’est pas à confondre avec la rationalité du monde occidental. Cette règle de conduite détermine le cadre des activités économiques à effectuer, le cadre des relations sociales de la communauté selon les interdits fady, et tout ce qui peut se faire ou non dans chaque région ou localité. C’est ainsi que chaque village a ses propres activités hormis l’agriculture et l’élevage, communs à tous les paysans malagasy et qui font partie bien évidemment de leurs pratiques économiques courantes. Ces activités existent et continuent d’exister à travers des générations puisqu’elles répondent aux besoins courants de la communauté.

216 De VILLERS G., « Le pauvre, le hors-la-loi, le métis », Les Cahiers du CEDAF, n° 6, 1992, pp. 7-16. 217 MACGAFFEY J., Entrepreneurs and parasites. The struggle for indigenous capitalism in Zaïre, Cambridge, Cambridge University Press, 1987, p. 23.

110 Comme on a tenté de le montrer tout au long de cette étude, l’économie populaire urbaine répond à la même logique, même si les conditions sont différentes et les contradictions plus fortes. (Ch.VI).

Fig.12.Économie populaire en milieu urbain

Economie populaire

Pratiques économiques

Pratiques sociales au niveau du fokontany

(vie matérielle vie non matérielle, spirituelle urbaine (vie éternelle, sociabilité) construction de tombe, Famadihana

Tanindrazana

Le phénomène de continuité de l’économie populaire peut être observé à travers les deux schémas. Il est applicable pour les périodes anciennes, du temps des royaumes jusqu’à nos jours, car les pratiques économiques et les pratiques sociales sont indissociables du mode de vie mené par la population tout au long de ces périodes. Il y a de part et d’autre une référence centrale tant pour la population du monde rural que celle du monde urbain : il s’agit du tanindrazana.

Les générations qui se sont succédées depuis le temps des royaumes, jusqu’à nos jours ont maintenu leur attachement pour leur tanindrazana qui est au cœur des stratégies économiques et sociales des acteurs populaires.

On a évoqué le fokonolona dans cette étude comme l’axe central de l’économie populaire. Le fokonolona représente l’acteur collectif populaire. Le centre d’intérêt de la recherche sur l’économie populaire repose sur la connaissance de cet acteur collectif qui s’exprime à travers une institution originale : le fokonolona vu non plus comme un simple élément de manipulation politique par les autorités étatiques, depuis l’époque du royaume merina jusqu’à aujourd’hui, mais comme un acteur collectif qui en réalité maintient son rôle quelles que

111 soient les circonstances. Le fokonolona « réel » est en fait le principal acteur populaire collectif qui a transmis de génération en génération des modes de vie qui ont su s’adapter aux difficultés socioéconomiques rencontrées par la population tout le long des périodes de l’histoire du pays, depuis le temps des royaumes merina, de la période coloniale et jusqu’à l’époque récente. Le poids du fokonolona dans la société malagasy et l’importance qu’on lui accorde jusqu’à nos jours démontre que l’étude de l’économie populaire en longue période n’est pas à séparer de l’étude du fokonolona en longue période.

L’économie populaire est ainsi véhiculée par le fokonolona, aussi bien par le fokonolona paysan en milieu rural, que par le fokonolona du monde paysan qui s’est transposé en ville et qui n’est plus identique au fokonolona rural.

L’observation de toutes ces réalités et de leur interaction est à mettre en rapport avec les nouvelles tendances dans la pensée sur le développement qui se sont faits jour dans les années 1990.

Le développement y est vu comme le processus durable de construction et de gestion d’un territoire, à travers lequel la population de ce territoire définit, au moyen d’un pacte socio-politique et la mise en place d’un cadre institutionnel approprié au contexte, son rapport à la nature et son mode de vie, consolide les liens sociaux, améliore son bien-être et construit une identité culturelle qui a sa base matérielle dans la construction de ce territoire218.

On peut remarquer dès lors que, si toutes les analyses conventionnelles du développement en terme de croissance économique voient dans Madagascar un cas qui est loin de correspondre aux critères d’une modernisation réussie, par contre l’expérience malagasy de développement satisfait la plupart des critères du développement énoncé dans la définition ci-dessus. Et c’est le fokonolona qui est historiquement le lieu de construction et d’intégration des différents éléments invoqués comme composantes du développement.

4. Pratiques populaires, fihavanana, réciprocité et réseaux.

On a déjà montré ci-dessus que la vie des fokonolona ruraux a pu maintenir une large autonomie à travers l’histoire longue, même s’il y a eu des périodes pendant lesquelles des autorités supérieures ont tenté d’en prendre le contrôle.

Dans le cadre de cette autonomie, les pratiques économiques dans l’économie populaire sont étroitement liées aux pratiques sociales des acteurs populaires à la campagne. Elles ne sont pas soumises directement aux contraintes de l’Etat ni d’un quelconque organisme, sauf quand il s’agit de pratiques exceptionnelles comme l’abattage des arbres où les paysans sont obligés de payer un droit auprès des bureaux forestiers. L’Etat n’a pas d’emprise directe sur les pratiques économiques et les activités des milieux ruraux.

218 PEEMANS J.PH., Le développement des peuples,..,op.cit., p. 477.

112 Tous les échanges qui se déroulent dans le cadre rural sont spontanés et ne nécessitent aucune participation financière et fiscale. La participation aux marchés hebdomadaires dans les régions rurales n’exige que le droit d’utilisation de l’endroit ou haban-tsena. Le rôle du fokonolona est de solliciter tous les paysans de participer, d’apporter leurs récoltes et d’animer le marché. La concurrence est moindre en milieu rural qu’en milieu urbain étant donné que chaque ménage est limité par le fait de partager le même territoire, la même famille et est lié par un rapport social fort aux autres membres du village.

La réciprocité dans les pratiques sociales est primordiale et s’il n’y a pas de réciprocité, la solidarité n’a pas de sens. Cette réciprocité est littéralement vécue dans le monde rural selon sa logique sociale et culturelle. C’est ainsi que toutes les pratiques économiques effectuées sont fortement liées aux pratiques sociales dans tous les domaines. Les pratiques qui ne sont pas monnayées reçoivent en retour d’autres services non marchands. Le respect de cette réciprocité fait le fihavanana dans le milieu rural. Cela ne veut pas dire qu’elle est gratuite. La non participation d’un individu à des travaux d’intérêt collectif ou le non paiement d’un adidy au sein de la collectivité l’écarte de toute la logique communautaire et donc l’exclut des privilèges auxquels donne droit l’appartenance à celle-ci. Si un décès survient dans un des foyers du village, ou une naissance s’annonce, c’est tout le village qui s’en occupe. Et ainsi de suite.

Cette réalité sociale forte amène à relativiser fortement la notion de pauvreté. La pauvreté est une vision de l’extérieur car les gens appelés pauvres dans le cadre de cette étude ne se classent pas eux-mêmes comme pauvres. Ils se voient comme des gens normaux, qui n’ont pas beaucoup d’argent, dans un monde dominé par l’argent, mais qu’ils voient comme un monde étranger. Ils ont besoin d’argent, mais ils ne définissent pas l’ensemble de leur vie et leur statut par le qualificatif de pauvre.

L’approche de la paysannerie en terme de pauvreté monétaire et de revenu monétaire, est lié à la conception de la modernisation qui ne voit comme seul critère de statut social que le revenu monétaire par tête .Une personne se définit entièrement par son niveau de revenu, sa capacité d’acquérir des marchandises sur le marché. D’où les controverses sur les seuils de pauvreté, toujours exprimés en termes monétaires, parce que le seul référent est le niveau de revenu « normal » procuré par l’insertion complète dans l’économie monétaire, ou le bien être est proportionnel au niveau du revenu, etc.

En fait dans la réalité, on voit qu’il y a des situations très différentes de « pauvreté ». Ainsi, on peut différencier dans le champ des petites activités, des activités de simple survie -qui ont recours aux bricolages de la misère- qui correspondent à des situations de « grande pauvreté », et des activités de « subsistance » permettant une existence conforme à des normes sociales minimales qui relèvent de la « pauvreté ordinaire »219.

219 De VILLERS G., op. cit., pp. 63-65.

113 En plus, l’économie de la pauvreté est une économie pratiquée par des pauvres au sens sociologique du terme, c’est-à-dire, des gens qui ont des revenus faibles et aléatoires parce qu’ils sont mal situés et sans pouvoir dans la société220, mais aussi par des pauvres accidentels. On peut « tomber » dans la pauvreté à la suite d’une maladie ou d’un accident ou « conjoncturels » (une situation de crise économique, une sécheresse peuvent ruiner des catégories sociales qui sociologiquement ne proviennent pas de l’univers de la pauvreté)221.

La question est de savoir par rapport à qui et par rapport à quoi les gens sont –ils pauvres ? Est-ce la pauvreté matérielle et financière qui prévalent ou bien y a-t-il d’autres caractéristiques en dehors de ces facteurs ?

Cela signifie deux choses. La première est que du point de vue des acteurs populaires la pauvreté n’est pas un état fixe, immuable, il peut être un moment de la vie, de la trajectoire d’une personne ou d’une famille. La pauvreté n’est pas une catégorie statistique où l’on range définitivement une catégorie plus ou moins grande de la population. Sinon on peut dire que 90% des Malagasy sont pauvres. Et avec cela que savons-nous de la société malagasy et des acteurs populaires ? Rien ou à peu près rien. Simplement que la population doit attendre son salut de l’aide extérieure et des investissements étrangers ? La deuxième est que la pauvreté dépend beaucoup de l’environnement social dans lequel on se trouve. Plus cet environnement est « riche » en qualités sociales et humaines, moins la pauvreté monétaire est un critère pertinent pour juger de la situation des gens vivant dans un tel environnement.

D’où la notion de pauvreté revêt un caractère très relatif quand on parle de l’économie populaire en milieu rural malagasy, car on a affaire à des pratiques sociales qui tissent un environnement social et culturel très dense, avec la réciprocité, l’entraide, éléments majeurs pour entretenir le fihavanana. Dans les catégories sociales du monde rural, la notion de pauvreté est ambiguë. On fait référence à la pauvreté quand une famille ne possède pas de terres ou encore de tanindrazana. Ce sont des familles qui ont coupé toutes relations avec la communauté villageoise, et donc, elles sont isolées222. Il existe des paysans qui ne possèdent plus de tanindrazana parce qu’ils ont quitté le leur à cause de conflits qu’ils n’arrivent pas à résoudre au niveau du fokonolona et du fokontany. Les gens qui ont vendu leurs biens immobiliers et qui se sont installés en ville ou à l’étranger et dont les relations avec le lieu d’origine sont coupées. Le fait de ne pas avoir un tombeau familial peut se traduire aussi par la pauvreté. La pauvreté est vue par les villageois surtout comme la conséquence d’une rupture du lien social, du fihavanana.

220 LABBENS cité dans VERHAEGEN B., Femmes zaïroises de Kisangani. Combats pour la survie, Paris/Louvain-La-Neuve, Enquêtes et documents d’histoire africaine, pp. 61-63. 221 De VILLERS G., « Le pauvre, le hors-la-loi, le métis », Les Cahiers du CEDAF, n° 6, 1992, pp. 61-62. 222 La rupture avec la communauté villageoise est l’une des situations très rares en milieu rural. Le fokonolona prend le rôle de médiateur pour régler des conflits familiaux ou communautaires pouvant aboutir à la rupture. À des cas extrêmes, le départ de l’un des deux côtés est sollicité afin de maîtriser l’équilibre social.

114 Un des apports de cette étude en terme d’économie populaire a été de montrer que la reconnaissance des acteurs populaires, notamment les paysans, comme acteurs à part entière permet, entre autre, d’aborder autrement la pauvreté et la paupérisation. Dans les approches traditionnelles de la pauvreté, on reconnaît généralement que l’endettement paysan est une cause de paupérisation. Combiné avec la faible productivité liée à la faiblesse des moyens techniques et de la capacité d’investissement, cela suffit souvent à expliquer pourquoi l’accélération d’une dynamique de marché aboutit à déposséder les petits paysans de leurs parcelles de terre, ce qui devient alors un facteur aggravant de la pauvreté.

Cette approche est conforme avec la vision des pauvres comme victimes de leur inadaptation individuelle au changement nécessaire pour soutenir un processus de croissance. Le pauvre est inscrit en fait dans la même catégorie idéologique que le traditionnel : il est passif ou réticent face au changement, ce qui maintient la pauvreté de l’un et le retard de l’autre.

L’analyse des réalités rurales à Madagascar nous a montré qu’au contraire les paysans ne sont nullement passifs. Il se fait que les aléas de leurs conditions les obligent parfois, même souvent à aliéner une partie de leur patrimoine foncier, voire sa totalité. Mais on a vu que l’histoire des individus et des familles ne s’arrête pas là .Il ne s’agit que d’un moment dans l’histoire des générations. Toute la stratégie des individus et des groupes va être de retrouver de la terre pour reconstituer, voire élargir le patrimoine perdu ou amoindri. Et cela passe par de multiples formes d’insertion dans le marché pour ce faire. Cela passe aussi par la migration vers la ville pour trouver le moyen d’amasser une épargne qui pourra permettre de reconstituer le tanindrazana dans le village d’origine. Le processus de paupérisation n’est donc pas irréversible .Toute la stratégie des acteurs populaires, ruraux et urbains, est de reconstituer le patrimoine foncier, ce qui suppose de passer par le marché pour constituer un revenu et stimule aussi le marché foncier. Cette reconstitution peut s’étendre sur plus d’une génération, mais reste l’axe d’un comportement dont l’insertion dans le marché n’est souvent qu’un auxiliaire.

Les familles aisées du milieu rural sont celles qui possèdent des maisons, rizières et terres de cultures, du bétail (zébus, vaches, porc223), de la volaille et des charrettes. Ces familles peuvent ainsi accomplir leurs obligations envers les vivants (obligations sociales : adidy) et envers les morts, le famadihana tous les cinq ans parce qu’elles possèdent les moyens de les accomplir ou mahavita adidy224. Même si la famille ne dispose pas de moyens, elle arrive à épargner pour satisfaire ces obligations. C’est une des composantes des liens sociaux qui crée l’attachement familial et social. C’est une pratique sociale tout à fait centrale, qui définit l’appartenance ou non à la communauté, que l’on soit pauvre

223 Le porc est interdit dans la commune de Masindray, interdit qui date des temps anciens mais respecter jusqu’à ce jour. Dans les régions qui n’ont pas d’interdits de porc, investir dans l’élevage de porc rapporte beaucoup d’argent. La viande de porc est mieux appréciée que celle de bœuf, d’où le prix élevé sur les marchés. 224 Nahavita adidy ou accomplir ses obligations est un acte important pour les familles malagasy quelle que soit leur origine. Les obligations concernent les vivants mais aussi les morts.

115 ou riche. La solidarité aidera la famille pauvre, en termes de biens matériels, à célébrer dignement le famadihana si elle veut montrer ainsi qu’elle contribue à entretenir la richesse spirituelle collective.

Les initiatives individuelles et collectives combinent à la fois les aspects économiques, sociaux et les aspects culturels. L’économie populaire repose sur des rationalités individuelles encastrées dans un ensemble de structures sociales en perpétuelle construction et en équilibre précaire.

Aucun groupe social, aucune entreprise déterminée, pas même l’Etat, ne peut imposer unilatéralement ni la nature ou la quantité de biens à acquérir, ni le type d’activité à entreprendre, ni les conditions de l’échange marchand.

Le cadre de travail familial est courant dans les villes et les campagnes quand on se rend compte de la part importante des apports familiaux en termes de capital financier et de capital humain. L’immense majorité du capital est financée par l’épargne individuelle, à raison de plus de 90% de sa valeur. Ce résultat montre l’importance de l’autofinancement dans la dynamique d’accumulation de l’économie populaire.

Dans les quartiers populaires d’Anosibe, une activité commence au sein d’une famille et de son voisinage et se répand ensuite dans le quartier. Ainsi, il est fréquent que les artisans travaillent, côte à côte dans les mêmes branches d’activités (menuiserie, petite mécanique,…), et collaborent à l’achat des matières premières afin de réduire leurs coûts ou pour assurer la commercialisation des produits. Certains artisans exerçant des activités différentes mais complémentaires coopèrent afin d’offrir à leurs clients des produits de meilleure qualité. On peut souvent observer une sorte de complémentarité entre de petites unités concernant les équipements. Les petits producteurs valorisent pour elle-même aussi la coopération avec d’autres producteurs, qui sont aussi des voisins, qui partagent dans un même milieu de vie les nombreux aléas de la vie quotidienne et de la survie d’un quartier. Le quartier urbain, comme lieu de vie et mini- territoire, entraîne des pratiques multiformes et informelles de coopération, de réciprocité et de solidarité, qui ne sont finalement qu’une des manifestations d’une capacité de réinvention permanente de formes actives de sociabilité dans des contextes changeants, mais dans le prolongement d’une trajectoire historique séculaire.

En fait, la petite production marchande urbaine est manifestement une composante de la production du « territoire » urbain, entendu comme lieu de reproduction des conditions de vie des populations urbaines. L’activité économique est aussi visiblement une composante de la production du tissu social.

Les réalités de l’économie populaire urbaine ne peuvent pas se séparer du fokonolona même s’il a progressivement perdu son rôle de rassembleur pour les

116 intérêts de tous. Le fokonolona se présente comme le défenseur des petites gens225.

Selon M.Nyssens, l’économie populaire est fortement imbriquée dans les réseaux sociaux et dans le tissu social local ; la production , la circulation et la consommation s’y articulent au sein des réseaux de réciprocité , et qu’il s’y développe une logique de réseau formel et informel. L’économie populaire fonctionne selon un mode d’organisation spécifique reposant à la fois sur une logique marchande et une logique réciprocitaire226.

Ces remarques s’appliquent bien au cas observé à Anosibe.

Le cas d’Anosibe peut être confronté aussi aux remarques faites par F.Leimdorfer et A.Marie, selon lesquelles en milieu urbain africain, on trouve des dynamiques combinant à la fois les logiques du lien social moderne et le lien social communautaire.

Les raisons qu’ils invoquent pour expliquer pourquoi le processus d’individualisation généralisé à l’occidentale n’a pas été mené à son terme, sont de trois ordres : la faiblesse du secteur moderne qui n’a pu absorber toute la main-d’œuvre disponible condamnée dès lors à rester dans le secteur informel ; l’entretien de réseaux clientélistes par les régimes post-coloniaux, combinant tyrannie et redistribution, entretenant ainsi les liens communautaires ; et enfin la crise de l’Etat délégitimé notamment à cause de son affaiblissement suite à l’ajustement. Selon eux, tous ces éléments ont contribué au maintien d’un lien communautaire fort à travers des formes d’entraides devenues cependant plus sélectives.

Pour eux cependant, le communautaire traditionnel, sur base de la famille élargie est en crise, et il y a bien une tendance à l’individualisation, qui s’exprime notamment par des réseaux de solidarité de type associatifs, où l’initiative individuelle est plus grande, et où l’associatif a pour but de procurer en fait une plus grande sécurité aux individus. Ces réseaux associatifs sont reconnus par les auteurs comme des acteurs collectifs qu’ils voient constitutifs de l’affirmation d’une « société civile » en gestation227.

La situation d’Anosibe et de Madagascar en général pourrait à première vue s’inscrire dans cette perspective. Cependant l’étude qui a été réalisée ici a montré qu’on ne doit pas nécessairement recourir à une hypothèse de tendance

225 Le fokonolona en milieu urbain n’est pas à confondre avec le comité du fokontany dirigé par un président du fokontany qui sont les porte-parole et exécuteurs d’ordre émanant des autorités municipales mais qui ont en même temps le rôle des représentants administratifs de la base. Son rôle est tout à fait différent de celui du fokonolona qui s’est formé par le voisinage. 226 NYSSENS M., Quatre essais sur l’économie populaire …op.cit., pp. 80-81. 227 LEIMDORFER F., MARIE A., eds., L’Afrique des citadins. Sociétés civiles en chantier.(Abidjan, Dakar), Paris, Karthala, 2003, pp. 12-18.

117 inéluctable à l’individualisation, inspirée par la conception de la modernisation, pour y saisir la complexité de l’évolution en cours. Une approche historique en terme d’économie populaire montre que les acteurs populaires ont combiné depuis longtemps, et bien avant la période de l’Etat post-colonial, des stratégies alliant l’intérêt individuel avec une stratégie d’acteurs collectifs. On n’y voit pas le passage du communautaire à base lignagère à l’associatif à base individuelle, mais une réinvention continuelle des conditions de sécurisation des acteurs populaires, acteurs collectifs, qui depuis de longues générations ont su faire face aux contraintes extérieures imposées par les acteurs de la modernisation royale d’abord, coloniale, post-coloniale ensuite.

Le fokonolona a été le lieu de cette réinvention continue, et il a été capable de s’adapter en se transformant, en intégrant de nouveaux immigrés dans la collectivité rurale, et en maintenant des liens forts avec les émigrés urbains, qui à la fois participent au maintien du territoire rural d’origine, tout en créant des fokonolona d’un nouveau type en ville.

On ne peut pas voir la famille étendue malagasy seulement comme une communauté de sang, fermée sur elle même à travers la célébration des ancêtres. Au contraire la famille a toujours été, et est toujours plus, un groupe ouvert qui se renouvelle à travers les mariages, l’adoption, les rapports d’amitié, l’accueil d’immigrés, la réinsertion des émigrés de longue durée, etc., pour autant que les nouveaux venus ou rentrés acceptent de célébrer les rites communs avec les anciens. A. Southall n’a pas hésité à dire que les liens de descendance appartiennent plus à la catégorie de l’aspiration (achievement) qu’à celle du prescrit (ascription)228.

On pourrait même dire que l’insistance sur l’importance des rites est une réponse à la dynamique de la mobilité, et à la facilité de la recomposition des liens familiaux et de leur volatilité.

Peut être que cette capacité est le produit de l’histoire spécifique à Madagascar, une très longue histoire de création de l’identité collective en dépit d’une forte ouverture vers l’extérieur depuis des siècles. Le métissage, on l’a dit au chapitre II, est un processus inhérent à l’histoire longue des Malagasy, et en même temps il se combine avec une culture d’une très grande spécificité. Depuis longtemps le fokonolona ne s’identifie plus seulement à la communauté lignagère, bien que cette composante soit restée un élément fort de l’identité locale.

C’est pour cette raison que le fokonolona rural ne peut pas être étudié comme une réalité repliée sur elle-même. Le fokonolona d’origine lignagère et communautaire, progressivement élargi en une collectivité fondée sur un pacte

228 SOUTHALL A., Common Themes in Malagasy Culture, in KOTTAK C.P., RAKOTOARISOA J.A., SOUTHALL A. et VERIN P., eds., Madagascar, Society and History, Durham, Carolina Academic Press, 1986, pp. 411-426.

118 d’attachement à des valeurs communes, est inséré dans une logique de réseaux, vastes et divers, unissant partenaires ruraux et urbains.

Dans le cadre rural, l’exemple recueilli pour le cas des petits producteurs des villages de Masindray montre que les agriculteurs travaillent en réseau avec des collecteurs qui viennent rassembler les récoltes. Ces réseaux sont des réseaux sociaux car la relation est basée sur la connaissance et la confiance mutuelle.

Fig. 13.Système de réseau du producteur au consommateur229

P P P P

COLLECTEURS

D D D D

D' D' D' D' D' D' D' D'

P = Producteurs indépendants ; C = Collecteurs ; D = Distributeurs ; D’ = Détaillants

229 Ce schéma est élaboré suivant le résultat d’enquêtes sur certains agriculteurs du fokontany de Tsarahonenana qui font partie d’un réseau commercial qu’ils établissent en formant un partenariat avec les collecteurs venus d’Anjeva ou d’Ambatomanga.

119 Des producteurs n’arrivent pas à écouler la totalité de leurs produits car ils ne font pas partie des réseaux. L’accès au sein des réseaux dépend de plusieurs facteurs dont le plus important est celui de l’entente au niveau du produit à vendre. Le produit doit correspondre aux demandes sur les marchés. Les producteurs doivent passer par la connaissance des membres du réseau et accomplir certaines conditions pour se faire accepter.

Ce système de réseau est nouveau, il constitue une nouvelle façon de réinventer les liens sociaux dans un espace élargi. Il s’est généralisé grâce au développement du marché dans les grandes villes mais surtout dans les provinces, notamment dans la partie Est du pays pour le cas de la commune rurale de Masindray qui est beaucoup plus ouverte aux marchés de l’Est que ceux de la capitale ou ceux du fivondronam-pokontany Antananarivo Avaradrano.

Les réseaux au niveau de l’économie populaire sont une nouvelle forme de continuation des pratiques économiques qui se sont développées antérieurement ; ces réseaux représentent une image de la dynamique existante au sein de la population, une dynamique sociale mais aussi une dynamique économique qui est à la base de l’interaction villes-campagnes.

C’est grâce à ces réseaux que les multitudes d’activités d’unités de production recensées dans l’économie populaire dans la capitale sont reliées aux vadin’asa dans les milieux ruraux, qui jusqu’à présent, fonctionnent et permettent à des milliers de ménages ruraux de subvenir aux besoins de leurs familles. C’est notamment grâce à la vitalité de ces réseaux et à la sécurité qu’ils procurent, que l’accès au progrès technique, apporté de l’extérieur, n’inspire pas nécessairement les gens en milieu rural, du fait qu’ils sont obligés de prendre d’énormes risques pour des résultats aléatoires, et sous l’égide d’intervenants avec lesquels ils n’ont aucun moyen ni désir de fonctionner en réseau.

Entre les producteurs de l’économie populaire rurale et urbaine se développe une logique de réseau qui engendre « le développement d’un processus de socialisation au sein de l’économie à partir des communautés. L’économie populaire s’inscrit donc dans le développement local et communautaire dans son ensemble »230. On ne peut séparer son fonctionnement de cet environnement, ni son identité du milieu populaire.

5. Acteurs populaires, culture de la mémoire, sectes et religions

Le fihavanana n’est pas nécessairement véhiculé par le lien de sang et le lien de parenté. Le fihavanana est aussi construit à partir des liens de voisinage, dans les

230 LARRAECHEA I., NYSSENS M., L’économie populaire : au-delà du secteur informel, vers un secteur d’économie populaire du travail et de la solidarité ? Regard métis, vol 3, 1994, p. 123.

120 réseaux. Il régule les tensions dans les relations sociales au sein de l’économie populaire. En d’autre terme, il est le filet de sécurité de la société.

À côté du fihavanana, il existe un autre régulateur du lien social : la crainte de la population malagasy devant le tsiny et le tody c’est-à-dire, les reproches, blâme et le retour des choses231 de la part de quelqu’un, mais aussi par rapport aux ancêtres. C’est pour cela qu’il y a un grand respect des normes établies par la société. Les mauvaises récoltes, la maladie, un échec quelconque dans la vie peuvent être interprétés comme infligés par les tsiny et tody.

On doit rappeler ici le rôle central joué par le famadihana dans la reproduction de la culture populaire. On l’a déjà dit le famadihana est relié au besoin permanent de réaffirmer le lien entre les vivants et les morts, et pour cela d’être toujours approuvé par les ancêtres dans les comportements de la vie sociale et individuelle. Autour du famadihana se noue et se renforce le fihavanana, les relations imaginaires au sein de la grande famille entre les gens, les vivants, et entre les vivants et les morts de différentes origines, mais habitant dans un même village ou quartier.

En fait le famadihana est au cœur de la culture de la mémoire qui est sans doute un des éléments qui fait la résilience de la culture malagasy, particulièrement dans les couches populaires.

Des études anthropologiques récentes ont montré combien la construction de la mémoire historique est un élément central dans le maintien de l’identité des acteurs populaires, particulièrement de la paysannerie, à Madagascar. A travers un travail permanent et conscient, les acteurs populaires parviennent à réincorporer une grande partie des influences extérieures subies en une partie du patrimoine culturel commun. Au lieu d’être vécu comme des éléments venus ou imposés de l’extérieur, ils sont redéfinis à l’intérieur de la culture forgée collectivement depuis des siècles. La construction collective de la mémoire des ancêtres, imaginés ou réels, est au cœur de ce processus permanent et toujours d’actualité.

Dans ses études sur les Betsimisaraka, J. Cole montre que ceux-ci ont maintenu leur identité malgré les tentatives anciennes de les coloniser politiquement et culturellement. Les Français ont essayé délibérément de transformer le rapport au monde des Betsimisaraka, notamment en leur imposant des regroupements forcés, des migrations obligées, de nouvelles techniques de construction de l’habitat et de nouveaux principes d’aménagement des villages. Les populations se sont rarement opposées de force à ces tentatives, mais elles ont élaboré des procédures de neutralisation symboliques de ces intrusions extérieures. Les rites de possession qui se perpétuent sont une expression de la mémoire collective qui montre une conscience aiguë de l’impact des forces extérieures sur la situation socio-économique locale, et cherche à circonscrire cet impact232.

231 RAISON-JOURDE F., Bible et pouvoir à Madagascar…, op. cit., pp. 828-829. 232COLE J., Sacrifice, “Narrative and Experience in East Madagascar”, Journal of Religion in Africa, 27, 4, 1997, pp. 401-425.

121 Tous les évènements extérieurs du dernier siècle, liés aux tentatives d’intrusion extérieure dans la vie locale, tentatives coloniales et post-coloniales, sont effacées ou banalisées, à travers une narration où ne comptent finalement que l’histoire des ancêtres et les éléments qui assurent la reproduction des conditions de la vie villageoise. Les effets de la domination étrangère ou extérieure sont neutralisés à travers un ensemble de rites qui permettent de les réincorporer comme un acquis qui ne perturbe pas le long cours de l’histoire de la collectivité. Dans tout ce qui a pu être réincorporé sans perturber l’équilibre de la collectivité, on efface le souvenir des évènements malheureux ou horribles.

Seuls les évènements qui n’ont pas pu être maîtrisés sont remémorés avec vivacité si se reproduit un événement nouveau qui menace la collectivité. Par exemple, les élections du début des années 1990, loin d’être vécues comme un espoir d’évolution vers la démocratie, comme le présentaient les observateurs étrangers ont été vécues, comme une grande menace du retour de l’Etat dans les affaires locales, alors que la période précédente de l’affaiblissement de l’Etat avait été vécu comme positive, car permettant une réaffirmation de l’autonomie locale. Les élections ont été vécues comme le retour d’une menace, comme celle de la répression après l’insurrection de 1947, pendant laquelle les forces coloniales avaient perpétré de nombreux massacres et brûlé complètement de nombreux villages. Ce souvenir de l’Etat répressif, auquel la population n’a pas pu opposer à l’époque une résistance effective, est alors rappelé pour exprimer une nouvelle forme de résistance face à ce qui est vécu comme une menace similaire233.

La plus grande partie des rites et des sacrifices qui jalonnent les saisons ont pour but de créer une mémoire collective du passé ancestral, qui résiste à tout, et où la participation de chacun est nécessaire pour montrer une adhésion active aux principes de l’ordre social.

Comme le souligne Lambek, à Madagascar, le processus actif de la mémorisation n’est jamais une expression individuelle, mais l’occasion de réaffirmer les relations avec les autres234.

Dans tout le processus de construction permanente de la mémoire collective, réaffirmée à travers de multiples rites collectifs, la vision est celle d’une dualité entre le village et le monde extérieur. Les apports extérieurs peuvent être acceptés, mais ils doivent être resocialisés dans le patrimoine de la communauté, à travers des rites appropriés. Encore aujourd’hui un émigré, un militaire qui reviennent au village, après une longue absence, se soumettent à un rite de purification, pour montrer leur volonté de réintégrer la communauté et de leur conscience de la frontière avec le monde extérieur. Les villageois sont cependant

233 COLE J., “The Work of Memory in Madagascar”, American Ethnologist, 25,4, 1998, pp.610-633 234 LAMBEK M., “The Past Imperfect : Remembering as Moral practice” , in ANTZE P. and LAMBEK M., eds., Tense Past: Cultural Essays in Trauma and Memory, New York, Routledge, 1996, pp. 235-254.

122 toujours liés au monde extérieur, et y participent sans problèmes, à travers le marché et la migration. Mais ils tiennent à réaffirmer la séparation entre des mondes parallèles. Il en est de même pour le monde du savoir où une distinction claire est faite entre ce qui est le savoir ancestral de la collectivité (fahendrena) à préserver, et le savoir acquis (fahaizana) à travers le système scolaire qui est vu comme pouvant être utile dans certaines circonstances.

C’est à travers ce processus culturel permanent que les Betsimisaraka sont parvenus à faire une subversion des éléments imposés de l’extérieur à l’époque coloniale, et à maintenir leur autonomie, tout en ne donnant pas l’impression d’une résistance ouverte.

Divers auteurs ont mis récemment en valeur ces aspects de résistance culturelle comme un trait caractéristique de la culture populaire malagasy qui a su préserver ainsi son autonomie face aux offensives culturelles tant du pouvoir colonial que des élites modernisatrices post-coloniales235.

Ce trait est évidemment constitutif de l’identité des acteurs populaires, bien loin d’être de simples agents économiques d’un secteur informel en attente d’une modernisation aidée de l’extérieur. Malgré des crises multiples et multiformes, la grande majorité de la population rurale et urbaine a pu montrer sa capacité de résistance, grâce à son ancrage dans les valeurs populaires séculaires.

Même si Madagascar est sous développé économiquement, le pays est développé à d’autres niveaux, notamment l’attachement aux valeurs sociales et culturelles. Jusqu’à maintenant, l’attachement à ces valeurs a montré sa force de résistance et a permis à l’ensemble de la population de ne pas sombrer tout en gardant avec confiance une vie meilleure dans l’avenir. C’est une autre manière de percevoir l’avenir. 90% de la population vivent avec le même point de vue, ce qui a permis cette résistance de l’économie populaire, qui malgré les tergiversations et les perturbations provoquées par des facteurs externes, persiste à pratiquer les traditions ancestrales.

C’est ainsi que le christianisme et les sectes religieuses n’ont pas pu détruire les pratiques et les valeurs traditionnelles qui sont toujours bien présentes dans le mode de vie de la population rurale et population urbaine, quoique le christianisme ait une longue histoire avec l’implantation des églises protestantes et catholiques dans les villages merina depuis la moitié du XIXe siècle. Ce qui n’a pas entraîné la suppression des cultes des sampy royaux et les pratiques coutumières ancestrales. Un syncrétisme en est sorti avec comme composante une formidable « pensée hybride », un « bricolage » social et culturel, mais qui fait la différence entre les deux tendances et leurs apports respectifs (Ch.VII).

235Cfr. LARSON P., “Capacities and Modes of Thinking : Intellectual Engagements and Subaltern Hegemony in the Early History of Malagasy Christianity” , American Historical Review,102,4, 1997, p. 969-1002 ; SHARP L., Playboy Princely Spirits of Madagascar: Possession as Youthful Commentary and Social Critique, Anthropological Quarterly, 68, 2, 1995, pp. 75-88.

123 Madagascar montre que donc la pénétration religieuse étrangère, notamment celle des églises protestantes, ne s’est pas soldée par un abandon des pratiques culturelles ancestrales. Ce qui permet de se demander si l’invasion récente des sectes, et que certains voient comme une nouvelle menace sur l’identité culturelle, aura à long terme un autre effet que celui de susciter un nouveau type de syncrétisme. On a vu suffisamment que dans la société malagasy la pratique religieuse n’est qu’un élément d’un ensemble culturel plus vaste, qui lui-même est indissociable d’un ensemble de pratiques sociales vécues quotidiennement. Le religieux à cause de cela ne peut à lui seul se présenter comme une alternative globale, pouvant se substituer à toutes ces pratiques entrelacées, et dont le rejet de l’ensemble signifie la mort sociale pour celui qui s’y risque. Les membres des sectes les plus radicales ne peuvent se couper des obligations du fokonolona où ils vivent et d’y pratiquer le fihavanana. Mais ce thème dépasse largement le champ de cette étude, même s’il concerne bien le cœur des pratiques populaires236.

6. Le caractère symbolique du territoire, le local et le tanindrazana

En étudiant les cas de Masindray et d’Anosibe, on a pu montrer combien la dimension territoriale est importante dans ce que sont les pratiques des acteurs populaires. Le fokonolona rural et urbain est bien un territoire, un lieu où se construit l’identité. Une identité qui n’a rien de statique et de figé, on l’a vu, mais qui s’accommode bien de la mobilité, du mouvement, du changement. C’est autour de ce lieu que s’articulent les différentes composantes économiques, sociales et culturelles de l’identité. La terre tanindrazana joue un rôle central dans cette articulation, et son rôle ne se limite pas à être un simple support de l’activité agricole. Elle est le lieu où se construisent et se reconstruisent les tombes familiales. C’est autour de la terre que se construit l’identité, notamment parce qu’elle est le lieu de la mémoire. Les arbres, les bosquets, les pierres, les cours d’eaux sont toujours associés à la mémoire d’un ancêtre plus ou moins lointain. Les paysages sont ainsi des lieux de mémoire dans pratiquement tous leurs éléments. Les tombes elles-mêmes sont les composantes majeures de ce paysage. A la fois parce qu’elles sont vastes, et que leur construction a une durabilité plus importante, par le matériau employé, que le plupart des maisons d’habitation. Le paysage est donc le lieu vivant de la rencontre permanente entre les morts et les vivants237. Le lien social englobe à la fois les morts et les vivants, les liens entre ceux-ci passent par la réinsertion continue du souvenir fahatsiarovana des premiers qui leur donnent force et vitalité pour accomplir ce qui doit être fait pour le bien de tous238.

236 Sur ce sujet voir la contribution de P.-J.Laurent dans le cas du Burkina Faso : LAURENT P. J., Les pentecôtistes du Burkna Faso, Paris, Karthala, 2003, pp. 17-18. 237 GRAEBER D., “Dancing with Corpses reconsidered: an interpretation of famadihana (in Arivonimano, Madagascar)”, American Ethnologist, 22, 2, 1995, pp. 258-278. 238 COLE J., “The Work of Memory…”op.cit. , p. 614.

124 L’aspect symbolique est donc essentiel dans la notion de territoire. Ce dernier est bien un espace public parce qu’il est le lieu de mémoire collective. La hiérarchie des tombes dans le territoire est le reflet de la hiérarchie familiale et sociale dans le village. En même temps dans l’histoire et le présent de Madagascar, à cause de ces aspects, le véritable territoire producteur d’identité est le territoire rural, c’est lui qui doit produire de l’identité. Le territoire urbain gagne en importance, mais il reste quand même pour la plupart un lieu de passage, avant de retourner vers le tanindrazana rural.

La reprise symbolique du contrôle du territoire, même quand la forme de ce dernier a été imposée par un intervenant extérieur est toujours vue comme essentiel pour maintenir le lien social. Dans le cas d’Ambodiharina, le pouvoir colonial avait imposé la construction d’une route coupant le village en deux. Ce choix était vu comme réellement sacrilège par les villageois, puisqu’il détruisait l’unité du village. Finalement une procédure rituelle a été inventée pour remédier symboliquement à la coupure : lorsque un sacrifice cérémoniel est accompli par une famille située d’un côté de la route, elle veillera toujours à inviter comme témoins les représentants d’une famille située de l’autre côté de la route. Procédure invisible à l’occupant, mais qui assure au niveau symbolique l’unité du territoire. Le rite se poursuit ainsi jusqu’aujourd’hui239.

Le tanindrazana occupe une place centrale dans le fondement de l’identité territoriale d’une collectivité qui fonctionne comme acteur collectif en tant que fokonolona. Le tanindrazana se construit à partir de trois fonctions : l’habitat, les tombes des ancêtres, et les champs ou rizières.

D’abord la présence des maisons d’habitation, en tant que lieu de vie. Les maisons sont construites côte à côte orientées vers le nord dans le souci de préserver les relations et la cohésion sociales et respecter l’orientation cardinale.

Ensuite, le tanindrazana en tant que lieu d’origine des ancêtres et lieu de destination finale, les tombeaux familiaux y sont construits, suivant les recommandations des mpanandro. La construction de tombeau est un élément majeur dans la construction du tanindrazana.

Enfin, sur le tanindrazana même se trouve le lieu de production. Les champs de cultures sont situés sur les tanety et les rizières dans les bas fonds.

La multifonctionnalité du tanindrazana est donc un élément majeur pour comprendre que les gens font bien la distinction entre les différentes fonctions des différents endroits, mais aussi que toutes les fonctions doivent être réunies pour définir le sens réel du tanindrazana. Les acteurs populaires ont le sens du territoire. À partir de ces trois fonctions, le tanindrazana représente un avenir sûr pour les familles. Ces trois fonctions sont étroitement liées par le rôle des acteurs qui mettent en valeur l’intérêt du lien social au sein du village. Cette socialité tient

239 COLE J., idem, p. 621.

125 compte du lien de parenté qui existe entre les habitants du village, mais aussi des liens de voisinage qui est élément d’unité. Toutes les stratégies de vie et de survie au tanindrazana visent la reproduction de la famille paysanne dans la collectivité villageoise. Les paysans sont ainsi obligés de veiller à ce que ce territoire soit le centre d’intérêt de tous les domaines, du point de vue économique, socioéconomique et socioculturel.

L’utilisation de l’espace à la campagne répond aux trois critères de la construction du tanindrazana. En outre le tanindrazana, par sa nature même, est l’espace territorial où l’économique et le social sont indissociables. Il existe une forte articulation entre la dimension territoriale de l’économie populaire, sa dimension sociale et son insertion dans le marché, dans le cadre du fokonolona.

Les marchés locaux ou tsena qui se trouvent principalement à l’entrée des villages jouent aussi un rôle très important en termes d’échange et de rencontre. D’ailleurs, ce fut le rôle initial du tsena. Ces endroits du marché ne sont pas d’ailleurs destinés exclusivement aux échanges et au commerce, ils gardent jusqu’à nos jours le rôle qu’ils avaient bien longtemps comme point de rencontre des populations des régions différentes, c’est un lieu d’animation. C’est au marché que hommes et femmes se rencontrent pour fonder un foyer. La diversité du rôle des marchés dans les régions rurales ne permet pas de rendre les activités marchandes formelles, réglementaires, ou simplement réduites à leur rôle économique. C’est ainsi que souvent se déroulent au tanindrazana des festivités d’ordre culturel et rituel. Ces cérémonies ne se limitent pas seulement à l’accomplissement des rites coutumiers, mais permettent à tout un chacun d’apporter sa participation par le biais de ses activités économiques et d’exprimer visiblement sa solidarité avec la communauté. Le marché est aussi un lieu central de la sociabilité populaire. Il fonctionne comme espace public.

J. Habermas définit l’espace public comme un « débat à l’intérieur d’une collectivité, d’une société ou entre l’une et l’autre. Il rythme la vie politique (et sociale) d’une société. Mais c’est aussi un lieu de confrontation de pratiques sociales où s’exerce la culture comme ensemble de manière d’être, de faire, de dire et de penser, comme ensemble d’attentes à l’endroit des autres »240. Bien que loin de la modernité accomplie, le fokonolona et le tazindrazana malagasy historiques accomplissent ensemble ces fonctions.

Selon B. Declève « un des enjeux de la production de l’espace est d’introduire une culture de l’espace public qui induise des comportements citadins et qui favorise l’arbitrage citoyen entre les différents usages publics de l’espace »241. A Madagascar, cette sociabilité est autant à mettre en relation avec les comportements ruraux dans le cadre de la construction du tanindrazana, qu’avec les comportements citadins dans la construction du territoire dans un quartier urbain.

Pour le cas d’Anosibe, les populations d’origine différente qui se trouvent à Anosibe ont créé leur propre territoire par le fait de partager le même lieu pour la sécurité commune. Même s’il n’y a pas d’espace public de qualité, matérialisé et

240 HARBEMAS J., L’espace public, Paris, Payot, 1978. 241 DECLEVE B., Scénographie des projets d’espaces publics urbains, URBA, UCL, Louvain-La-neuve, 2004.

126 organisé dans le sens que les Occidentaux l’ont conçu, il existe une conception de l’espace public à partir d’un lien de convivialité tissé par la création d’un fokonolona limité dans l’espace. L’objectif commun est de travailler et gagner de l’argent pour le bien être de chacun et de subvenir aux besoins de la famille dans le territoire et cela suffit à créer un espace de convivialité pour tous. L’aspect physique de ce dernier est indissociable du lien social.

En dernière instance, c’est l’examen concret du rôle du tanindrazanna comme espace d’intégration entre les composantes économiques, sociales et culturelles du fokonolona qui permet de prendre ses distances avec une approche des populations concernées seulement en terme de pauvreté. Même si leur performance n’est pas élevée en termes des seuls indicateurs économiques, les membres d’un fokonolona, où le tanindrazana remplit de manière satisfaisante ses fonctions, sont les acteurs d’un mode de développement d’une richesse humaine élevée.

7- Les acteurs de l’économie populaire : le fokonolona et le genre

Femmes et hommes tant en milieu rural qu’en milieu urbain sont des acteurs fortement impliqués dans l’économie populaire. Les travaux d’enquêtes dans les chapitres V et VI ont montré le rôle respectif des femmes et des hommes. Quand on étudie l’économie populaire, on ne peut pas ne pas parler des femmes. La place des femmes dans la société malagasy est à comprendre à partir de la culture traditionnelle : la subordination, les femmes sont toujours après les hommes. Quand elles se marient, elles suivent leurs époux ou manarabady. Mais cette subordination n’est d’une certaine façon qu’apparente dans la mesure où elles détiennent des rôles importants et des responsabilités importantes dans la vie sociale et économique. La femme malagasy joue un rôle important dans les milieux populaires, aussi bien à la campagne qu’en ville.

Les femmes ont une manière spécifique de gérer à la fois, dans un temps morcelé le productif et le reproductif242 parce qu’elles interviennent majoritairement dans les activités pour subvenir aux besoins de la famille, tout en jouant un rôle central dans la production et dans la reproduction des liens sociaux. Les activités des femmes populaires concernent à la fois le travail agricole de subsistance dans les champs de cultures, à la rizière, le soin des animaux, l’artisanat domestique, le ménage dans les foyers, et les femmes paysannes utilisent une plus grande partie de leur temps à travailler que les hommes.

La gestion du foyer, la répartition du budget et des ressources, la gestion du patrimoine individuel et commun dans les ménages sont variées d’une région ou d’une ethnie à l’autre.

Le vécu quotidien des femmes malagasy du milieu urbain et rurale rejoint le propos de I.Yepez et S. Charlier selon qui « par les pratiques populaires, les femmes participent au développement local et il existe une spécificité dans les

242 YEPEZ I., CHARLIER S., « Genre et pratiques populaires des femmes : contradictions et enjeux », atelier 4 du Forum, Une solidarité en actes. Gouvernance locale, économie sociale, pratiques populaires face à la globalisation, Louvain-La-neuve, UCL presse universitaire de Louvain, 2004, p. 302.

127 pratiques économiques des femmes »243. Elles ne suivent pas une logique qui est liée seulement à l’augmentation des revenus mais elles participent à plusieurs logiques qui peuvent répondre à des besoins individuels ou collectifs. Ainsi les femmes sont au centre de la cohésion sociale tant en milieu urbain qu’en milieu rural244.

L’analyse des pratiques d’économie populaire faite en Amérique latine et en Afrique peut être aussi appliquée sur le cas de Masindray et d’Anosibe. Dans les rapports de production et d’échanges, les femmes montrent des capacités relationnelles, elles privilégient la création et le maintien de relations multiples245.

Elles utilisent de ce fait une série de moyens différents pour construire et entretenir des relations sociales, que l’on pourrait qualifier de « société de réseau ». On a constaté ces initiatives parmi les acteurs populaires à Masindray et à Anosibe. Par la mise en honneur des fomba au sein du village notamment, le famadihana est l’un des moyens pour satisfaire plusieurs demandes à la fois, individuelle, familiale et communautaire. Un rôle central au niveau symbolique est joué par les femmes dans les cérémonies de famadihana : on leur remet les reliques des morts qu’elles placent sur leur giron, comme si elles berçaient des nouveaux-nés, symboles de leur place vitale dans la reproduction et le maintien de la vie, dans le maintien du fil des relations entre les vivants et les morts246.

Les femmes ont une place centrale dans les pratiques que les acteurs populaires, en ville et à la campagne, utilisent afin de préserver les relations en nourrissant du fihavanana. La participation aux obligations familiales adidy et sociales, et plus récemment la participation des gens dans le cadre des groupements de base sont à attribuer prioritairement aux femmes. Les femmes prennent le rôle principal dans l’accomplissement des adidy.

Dans les pratiques économiques, les femmes accèdent à la fois aux marchés locaux et aux marchés régionaux, quand elles vont dans la capitale pour vendre les produits agricoles et artisanaux. Mais pour faire face aux périodes de soudure, elles conservent toujours une part de la production agricole pour assurer la consommation de la famille et aussi pour écouler par le biais de troc entre les voisins et les familles. Les familles en ville comptent sur elles aussi.

Elles jouent ainsi un rôle central dans les pratiques de sécurisation matérielle, psychologique, culturelle et sociale des familles et des collectivités locales.

C’est dans ce sens que I. Yepez et S. Charlier expliquent que « les initiatives économiques des femmes font partie d’un tout où s’entremêlent économie, culture et socialité, où cohabitent accumulation monétaire et accumulation « relationnelle » régie par le principe de réciprocité, où la rationalité socio- économique n’est pas dissociable de l’ensemble de la socialité »247.

243 YEPEZ I., CHARLIER S., op. cit., p. 302. 244 LORA C. « L’expérience de cuisines populaire au Pérou », in Solidarité en actes. Gouvernance locale, économie sociale, pratiques populaires face à la globalisation, op.. cit., pp. 309-322. 245 YEPEZ I., CHARLIER S., op. cit., pp. 300-301. 246 GRAEBER D., « Dancing with Corpses…, op.cit., p.270 247 YEPEZ I., CHARLIER S., Idem, p. 303.

128 Les réalités des rapports de genre à Madagascar, illustrent les positions de analystes qui insistent sur les éléments d’innovation que portent les pratiques d’économie populaire : par les nouvelles formes d’action politique où s’articulent différemment vie privée et sphère publique, permettant la constitution des nouveaux mouvements sociaux autour des problèmes liés à la reproduction sociale et au droit à une vie digne pour les êtres humains. A Madagascar, l’acteur femme populaire joue un rôle déterminant pour résoudre les problèmes liés à la précarité de la vie quotidienne, tout en tissant en même temps des liens sociaux au niveau local.

8- L’économie populaire et l’articulation villes-campagnes

Dans ce point, il a paru important de rassembler les constatations faites dans d’autres parties de cette étude concernant les relations entre villes et campagnes. Il a semblé intéressant de les remettre dans une perspective cohérente avec les autres éléments concernant l’identité des pratiques populaires. La mise ensemble de tous ces éléments permet en effet de voir que l’observation des pratiques populaires rurales et urbaines et des liens qui les unissent, donnent une toute autre image des rapports villes-campagnes que l’image fournie par les théories de la modernisation.

L’économie populaire renferme une double identité qui se réfère à des modes de vie et pratiques économiques et sociales différentes mais conciliables. L’acteur populaire rural et urbain possède une double identité. Cette double identité relève de deux mondes juxtaposés, celui des sociétés rurales qui vivent toujours avec des moyens traditionnels, mais sont insérées aussi dans le monde moderne, et celui des sociétés urbaines, qui en fait sont entre le monde rural et le monde urbain. En combinant les anciennes pratiques à celles empruntées à la modernité, et venues de la ville, les paysans se mettent à renouveler leur style de vie et leur mode de production. La grande majorité des paysans ne peuvent plus concevoir leur vie sans un lien quelconque avec la ville, et la grande majorité des petits producteurs urbains ne peuvent pas concevoir abandonner le lien avec la campagne.

Cette double identité qui, est en fait une réalité contradictoire et complexe, constitue l’originalité de l’économie populaire, permettant aux petites gens de renforcer leurs liens sociaux ; c’est un élément déterminant pour s’accepter et accepter les autres face aux différentiations sociales au sein de la communauté. Il s’agit de réalités complexes dans la mesure où plusieurs facteurs deviennent des enjeux dans le quotidien de la population, se traduisant en un comportement de résistance et d’adaptation à toutes les éventualités.

En milieu rural et en milieu urbain, la population fonctionne à partir de trois éléments interdépendants : la logique économique, la logique socioéconomique et la logique socioculturelle qui engendrent la reproduction des liens sociaux et leur réinvention dans les relations d’échanges économiques pour faire face aux problèmes rencontrés dans la vie.

129 Toutes les activités économiques et les pratiques sociales vont dans le sens de pouvoir réinventer les relations sociales et de reproduire les liens sociaux et familiaux afin de satisfaire les attentes et besoins de chaque ménage.

Les crises multiformes traversées par la société malagasy n’ont nullement entraîné le repli sur soi des communautés villageoises. Bien au contraire, elles leur ont fait forger une grande capacité d’adaptation. La volonté d’échapper au dépérissement ou à l’étouffement s’est notamment traduite par la diversification des activités et des sources de revenus, tout en les combinant avec une importante articulation villes-campagnes. Cette articulation est basée sur l’attachement au tanindrazana qui renferme tout le patrimoine de la communauté et de l’individu, de son histoire, sa raison d’être, sa place dans la société, son identité, son origine et sa destinée, et tout ce que la communauté ou l’individu représente.

La perpétuation du tanindrazana repose sur la capacité de l’économie populaire rurale de générer de l’argent. L’argent obtenu permet d’entretenir le tanindrazana, le renouvellement des liens sociaux et la reproduction sociale sur le territoire. Et l’accès à l’argent passe par la dépendance à l’égard de la ville d’une manière ou d’une autre.

L’étroitesse des marchés en milieu rural oblige les paysans à être en contact permanent avec les villes afin d’écouler leurs produits agricoles. Les jours du marché tels que nous les connaissons aujourd’hui sont ceux du siècle dernier248.

Ces jours de marché entrent dans le calendrier hebdomadaire et journalier des paysans. Les produits à vendre en ces lieux restent les mêmes exposés qu’il y a un siècle : les produits agricoles courants, ensuite le bétail (bœufs utilisés pour les travaux des champs et porc selon les régions et les interdits fady) et les articles confectionnés qui spécifient les régions et sa population. Les produits des paysans sont alors destinés à être écoulés sur ces marchés et sur le marché de la capitale. L’écoulement des produits ruraux ne peut se faire que dans les grandes villes et surtout la capitale.

A côté de la vente pour le marché urbain, les ruraux vont souvent chercher l’argent directement en ville en s’y installant provisoirement pour la plupart.

Une grande majorité de la population prend la ville comme un lieu de passage où toutes les sources d’argent sont destinées à accomplir toutes les obligations sociales afférant au tanindrazana. Les familles des quartiers populaires urbains dans beaucoup de cas louent leur habitation, et donc n’éprouvent pas un attachement affectif à l’endroit. Chaque famille constituant le fokonolona urbain possède son propre territoire ou tanindrazana dans différents parties rurales du pays et procède différemment à la façon dont elle le met en valeur.

Le rapport entre le fokonolona et le territoire en milieu urbain existe mais avec un autre degré d’importance qu’en milieu rural. Le territoire qui est ici le fokontany n’a qu’une fonction bien déterminée, un lieu d’habitation et à la limite un lieu de

248 Voir la monographie sur l’Avaradrano.

130 travail. Les pratiques sociales sont donc limitées à des relations d’intérêt mais qui s’étendent progressivement à de nouvelles relations de convivialité à cause du partage obligé du même territoire.

La dépendance des citadins à l’égard des campagnes est double. Economiquement elle est visible dans la vie quotidienne des familles citadines au niveau de leur approvisionnement par la campagne, directement ou indirectement liée à leur région d’origine. Socialement et surtout culturellement, les citadins ont besoin de se ressourcer à la campagne. Les citadins maintiennent leur tradition, liées directement ou indirectement au tanindrazana, et sont en relation permanente avec le milieu rural. D’où, en milieu urbain, on rencontre des comportements qui cherchent à intégrer divers éléments identitaires, à savoir l’identité ethnique, culturelle et régionale des acteurs populaires.

Enfin, les gens qui ont vécu en ville, mais sont revenus à la campagne, phénomène massif on l’a déjà dit à la fin des années 1980, maintiennent eux des liens forts avec la ville. Ils n’ont pas coupé les liens avec le monde urbain parce que leurs récoltes de produits agricoles y sont acheminées soit par le biais des associations ou des réseaux commerciaux, soit par eux-mêmes à travers le marché des grandes villes et de la capitale, dont par expérience vécue, ils connaissent toutes les particularités.

Les activités de l’économie populaire sont ainsi en évolution permanente et se renouvellent continuellement en fonction des besoins sociaux et des besoins économiques tant en milieu rural qu’en milieu urbain. Les comportements des individus en milieu rural et urbain sont différents car leurs besoins sont différents, bien que la fusion avec la modernité agisse sur ces comportements populaires, tant en milieu rural qu’urbain. Les activités dépendent des moyens disponibles dans la localité ainsi que des besoins réels de la communauté, au sein du système marchand mais aussi au niveau du cadre non marchand.

Schéma de l’articulation villes-campagnes

Milieu urbain

Milieu rural

131 Il existe un lien étroit entre les villes et les campagnes si l’on tient compte de la dépendance des pratiques économiques et des pratiques sociales des deux côtés. Il faut voir cette dépendance dans la complémentarité. C’est ainsi que dans son ensemble l’articulation villes-campagnes prend une dimension spatiale originale. L’articulation vécue par les acteurs populaires traduit celle d’une double de dépendance : celle des villes à l’égard des campagnes et celle des campagnes à l’égard des villes.

En conclusion de ce point, on peut donc dire que si les théories de la modernisation sont bâties sur le principe de dichotomie entre le traditionnel et le moderne, recoupant la dichotomie entre la campagne et la ville, l’approche centrée sur les acteurs populaires révèle une interaction organique très forte entre la campagne et la ville. Et ce sont les réseaux, visibles et invisibles, de ces acteurs populaires, l’immense majorité de la population, qui tissent des liens multiples entre les deux espaces et y produisent des flux d’échanges de tous genres, économiques, mais aussi sociaux et symboliques. On peut ainsi élaborer une compréhension différente des enjeux du développement durable.

9-Remarques finales : l’économie populaire sous le regard de K. Polanyi

En conclusion de ce chapitre de synthèse, on voudrait souligner l’intérêt de croiser les contributions théoriques de K. Polanyi avec l’apport de F. Braudel, pour comprendre la nature de l’économie populaire à Madagascar.

Le concept d’économie populaire est cohérent avec la vision de K. Polanyi selon laquelle le marché avant le passage au capitalisme a fonctionné pendant des siècles comme encastré (embedded) dans la reproduction des structures sociales, et régulé par des institutions cherchant à assurer la reproduction de ces dernières, à travers la réciprocité et la redistribution.

Selon Polanyi, le marché laissé à lui-même, désencastré, aboutit à libérer le processus d’accumulation du capital, qui transforme toutes les ressources matérielles et le travail humain lui-même en marchandises. C’est lorsque ce processus a envahi la société dans son ensemble, que le travail et la terre sont devenus des moyens de procurer du capital, que l’on peut dire que le capitalisme a transformé la société selon sa logique249. Mais en même temps selon Polanyi, ce système n’est pas durable, car tel quel il conduit à la barbarie.

Polanyi attache une grande importance aux dimensions non économiques des relations entre capitalisme et développement. Pour lui le capitalisme, l’impact négatif du capitalisme n’est pas seulement lié à l’exploitation économique de ses victimes, mais c’est la désintégration de l’environnement culturel de la victime qui

249 POLANYI K., La grande transformation aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983, p.215.

132 est la cause la plus profonde de la dégradation : elle se trouve dans la blessure mortelle infligée aux institutions dans laquelle son existence sociale s’incarne250.

Cependant on se rend compte que la vision de K.Polanyi, très pessimiste sur la relation entre capitalisme et développement humain, partage d’une certaine manière une vision linéaire de l’histoire du développement. Il voit le capitalisme comme étant capable d’éradiquer ce qui existait des sociétés fondées sur la réciprocité et la redistribution.

On a vu dans ce travail qu’une réinterprétation de la conception de Braudel, en terme de développement, permet de nuancer cette approche. Le troisième niveau domine les premiers et seconds niveaux mais ne les élimine pas nécessairement. En tous cas, on a vu que c’était bien la réalité dans le développement de Madagascar. Et le premier niveau et le second niveau sont les lieux où se manifestent les pratiques des acteurs populaires, toujours bien vivants, et qui montrent à la fois une capacité d’adaptation et de résistance aux contraintes imposées par le troisième niveau.

L’acteur populaire défini par rapport au fokonolona dans le cadre communautaire est le coordonnateur de tous les facteurs juxtaposés et de tous les systèmes qui fonctionnent ensemble et qui se complètent pour permettre la continuation de la vie au niveau local. Cet acteur populaire, contrairement à ce qu’en dit le discours dominant, joue plusieurs fonctions à la fois, il est chef de famille, producteur en tant qu’agent économique, il équilibre les relations sociales et communautaires en tant qu’agent social. La rationalité économique des acteurs populaires du premier et second niveaux ne correspond pas à la rationalité économique des acteurs modernes du troisième niveau. Sa rationalité économique dépend aussi de l’environnement social et physique, de l’attente à l’égard de la communauté, des besoins socioculturels. Cette rationalité ne répond pas à la rationalité observée dans une approche strictement économique par rapport au calcul qui se fait sur l’investissement en capital humain et financier. Elle intègre les facteurs socioéconomique, socioculturel et économique du milieu et est le reflet de la double identité de l’économie populaire qui combine les pratiques traditionnelles et les pratiques modernes.

L’économique y est réellement encastré dans le social. Il faut donc apprendre à cerner cette interaction entre l’économique et le social, à reconnaître la grande complexité du fonctionnement de l’économie populaire, à la ville et à la campagne251.

On peut comprendre ainsi mieux l’importance d’une approche en termes d’économie populaire du point de vue du développement, et la différence radicale avec une approche en terme de secteur informel. Alors que cette dernière ne voit que l’aspect économique des pratiques populaires, et les définit par rapport à leur

250 POLANYI K., La grande transformation …,op.cit., p.212. 251 PEEMANS J. Ph., Le développement des peuples…, op. cit., p. 384.

133 possible formalisation selon les normes de l’accumulation, l’approche en termes d’économie populaire met en valeur les dimensions culturelles, institutionnelles et sociales qui sont au cœur des pratiques populaires, autant que les activités économiques qui en font partie. Ce sont elles qui permettent d’identifier l’identité des acteurs populaires et la nature de leurs demandes de développement.

Dans le cas de Madagascar, on a pu voir que l’articulation entre fokonolona, tanindrazana, famadihana, fihavanana et identité est centrale, et ce sont eux qui montrent l’importance centrale de la relation entre territoire et pratiques populaires. C’est dans leur articulation complexe entre le social, l’institutionnel et le culturel que l’économique reste encastré.

Conclusion

Nous arrivons à la fin de notre périple sur l’analyse de l’économie populaire à Madagascar à travers un processus de longue période. L’approche historique a été importante pour comprendre l’enracinement de l’économie populaire dans les pratiques populaires séculaires en matière économique et sociale.

La prise en considération des acteurs des trois niveaux proposés par F. Braudel appliquée au cas de Madagascar a permis d’analyser l’évolution de l’économie populaire à travers le temps. Le maintien des acteurs du premier niveau aujourd’hui, malgré les tentatives de suppression et de domination par les acteurs du troisième niveau, a montré la capacité de résistance de ces premiers. Cette résistance a pu se faire grâce à leurs longues expériences de pratiques traditionnelles économiques, sociales et culturelles, à leur capacité d’adaptation face à différentes contraintes, face à la différenciation sociale, à l’exclusion, à l’exploitation, à la domination et à la répression. Ces pratiques sont enracinées dans une interdépendance de l’économique, du social et du culturel à travers le fihavanana, le tanindrazana, et le fokonolona.

La mise en perspective avec le regard de K.Polanyi a permis aussi de montrer que le rapport au monde des acteurs populaires n’est pas une singularité exotique propre à Madagascar, mais appartient à une réalité reconnue depuis longtemps par des théoriciens importants dans le domaine du développement.

L’économie populaire est donc indissociable du social et du culturel. Cette lecture de l’économie populaire a élargi la façon dont on étudie le secteur informel considéré, par beaucoup d’auteurs, seulement comme la conséquence de crises économiques dues à l’échec de la politique de modernisation de la Première et la Deuxième république malagasy.

Il s’agit en fait d’un système global d’adaptation et de flexibilité en terme de sociabilité qui répond aux besoins concrets de la population, surtout de la

134 paysannerie et des couches populaires urbaines. C’est un mode de vie produit par une longue trajectoire historique, une extériorisation ou une manifestation d’une volonté ou d’un dynamisme économique, culturel et social qui ne résulte pas spécialement de l’existence impromptue des crises ou d’autres événements. Une logique de réseau formelle ou informelle s’est développée en fonction des demandes du marché mais aussi en harmonie avec les attentes locales.

L’économie populaire a existé, continue d’exister et continuera d’exister avec ou sans crises. Elle est tout simplement un mode de vie qui englobe le social en interaction avec l’économique et le culturel dans des pratiques simples qui s’accommodent des réalités vécues par l’immense majorité de la population, et s’adaptent aux besoins les plus élémentaires d’une société, ancrée dans ses valeurs morales et culturelles.

Les pratiques économiques populaires ont permis de satisfaire non seulement la subsistance matérielle, mais aussi de répondre à des aspirations socioculturelles.

Dans cette étude on a pu montrer que l’économie populaire ne peut se comprendre sans prendre en compte le rôle du fokonolona, que l’on peut considérer comme un acteur collectif qui, à travers toutes les vicissitudes de l’histoire, a construit les institutions de sécurisation requises par ses membres pour vivre ensemble. La prise en considération du fokonolona comme acteur collectif à part entière, dans son environnement, de son rôle dans la société du point de vue économique, social, culturel et économique, son efficacité et la durée de son existence est très importante pour comprendre la capacité de résistance de la paysannerie malagasy. L’acteur collectif incarné par le fokonolona a transmis de génération en génération des modes de vie qui ont su s’adapter aux difficultés socioéconomiques rencontrées par la population tout le long des périodes de l’histoire du pays, depuis le temps des royaumes malagasy, de la période coloniale et postcoloniale et de l’actualité. L’économie populaire est ainsi véhiculée par le fokonolona.

En ce sens, le fokonolona est un exemple très concret de gouvernance historique, concept mis à jour récemment dans les études de développement252.

Cette logique de gouvernance historique s’est révélée en opposition depuis un siècle avec les tentatives de construction successives d’un Etat moderne.

Les tentatives de l’Etat de soumettre le fokonolona à plusieurs reprises, depuis le royaume merina jusqu’à la Troisième république, en passant par le système colonial, ont été vouées à l’échec. L’Etat a toujours voulu dominer et instrumentaliser le fokonolona pour le soumettre à ses objectifs. Cet échec politique s’est accompagné d’un échec économique, puisque l’Etat a montré aussi son incapacité de contrôler l’économie populaire. Les tentatives de rapprochement de l’Etat avec le fokonolona ont toujours été tournées vers une logique de soumission et d exploitation au détriment des acteurs locaux. On peut dire que l’écart qui sépare le fokonolona de l’Etat subsiste depuis le temps de la monarchie

252 DE LEENER Ph., DEBUYST F.,KHADER B., PEEMANS J.PH., « Offre et demandes de gouvernance locales : pratiques d’acteurs », in CHARLIER S.,NYSSENS M.,PEEMANS J.PH., YEPEZ del CASTILLO I., Une solidarité en actes…,op.cit., pp.221-296.

135 jusqu’à présent, écart qui est difficile à combler à cause des objectifs étatiques qui ne correspondent pas aux demandes des populations.

Tous les gouvernements ont souhaité que l’institutionnalisation du fokonolona soit un moyen pour l’Etat de contrôler la population qui vit au jour le jour, et pour contrôler toutes les activités populaires qui lui échappent. Du côté de la répression, on peut citer aujourd’hui, les velléités périodiques de l’Etat de fiscaliser ce secteur, que l’on imagine capable de soulager les problèmes de déficit public. On citera encore les tentatives tout aussi régulières que vaines de déloger les commerçants ambulants qui envahissent les chaussées du centre ville, au nom de la politique d’aménagement urbain253.

La logique d’intervention de l’Etat ne semble pas avoir changé jusqu’aujourd’hui. Les projets de décentralisation et de gouvernance locale, appuyées par les organisations multilatérales sont toujours inspirés par les mêmes préoccupations de contrôle et de soumission à une logique extérieure. Le discours récent sur la gouvernance locale a cherché à donner une nouvelle légitimation à la décentralisation en la présentant comme une voie nouvelle de démocratisation, élargissant le champ politique ouvert aux représentants locaux de la « société civile ». Par rapport au rôle des institutions de la gouvernance historique locale, on peut dire que le discours sur la décentralisation et l’intégration au marché a changé de ton, mais pas vraiment d’objectif.

Les interventions des organisations non gouvernementales ne semblent pas fondamentalement inspirées par une autre logique que celle de l’Etat. Elles partent dans l’ensemble du discours sur la pauvreté, et les slogans sur la participation populaire cachent mal une volonté d’approcher les acteurs populaires à travers une logique extérieure à leurs attentes.

Seules les actions humanitaires menées par les ONG nationales ou internationales, à savoir les aides directes en matières de santé, d’alimentation et d’éducation, ont pu trouver grâce aux yeux des petites gens car il s’agit des intérêts vitaux pour l’ensemble de la population. Les autres projets de « développement » ont échoué à cause de l’inadéquation entre les attentes des protagonistes concernés. Cette inadéquation a entraîné la méfiance des populations vis-à-vis des ONG autant qu’envers l’Etat et envers des stratégies qui ne tiennent pas compte des réalités des gens.

En attendant le fokonolona réel laissé à lui-même s’est renouvelé en fonction des nouvelles circonstances, et notamment, on l’a vu, en s’insérant dans une nouvelle logique de réseau, plus large et dynamique qu’auparavant. Le fokonolona et le système de réseau fonctionnent à peu près de la même manière lorsqu’on se rend compte du rôle majeur que jouent la connaissance et le lien de proximité pour aboutir à leurs objectifs. Ils ont le même intérêt, celui de satisfaire la demande de leurs membres respectifs qu’il s’agisse des ménages dans le fokonolona, ou des

253Les agents de la commune urbaine d’Antananarivo et les forces de l’ordre font des descentes en ville et dans les quartiers populaires, arrêtent les commerçants ambulants et ramassent leurs articles afin de les amener à l’Hôtel de la Police centrale pour s’acquitter des amendes. Les différents régimes politiques au pouvoir ont procédé aux arrestations dans le cadre de l’aménagement urbain et ils ont obligé les gens à passer aux activités légales. Ces descentes ne sont pas systématiques.

136 cellules locales dans les réseaux. Les deux entités agissent parallèlement et dans le même sens, et elles se complètent en quelque sorte.

Les crises multiformes traversées par le pays n’ont certainement pas entraîné le repli sur soi des communautés villageoises. Bien au contraire, elles ont forgé, à travers elles, une nouvelle faculté d’adaptation. La volonté d’échapper au dépérissement ou à l’étouffement s’est notamment traduite par la diversification des activités et des sources de revenus tout en les combinant avec une importante articulation villes-campagnes.

Cette articulation est enracinée dans la permanence de l’attachement au tanindrazana qui est le socle de tout ce que la communauté ou l’individu représentent, de leur histoire, leur raison d’être, leur place dans la société, leur identité, leur origine et leur destinée. Qu’elle soit en ville ou à la campagne, la population se réfère à son origine territoriale, à son tanindrazana. Il referme la boucle du cycle de vie de l’individu et de sa communauté.

Le tanindrazana est le symbole et la base de la sécurisation grâce aux moyens dont il dispose : terre, forêt, eau. Mais il est ainsi une forme de reconstruction de l’« espace public ». Les acteurs populaires ont construit leur propre espace en fonction de leurs pratiques et attentes en tant qu’« acteurs du bas ».

L’observation des pratiques populaires dans le monde contemporain et à l’échelle historique a bien montré que la question de la sécurisation est un axe central de ces pratiques. Le thème de la sécurisation est étroitement lié à celui de la production de l’identité pour aller vers une approche en termes d’interaction entre les composantes culturelles, matérielles, morales et sociales de l’identité, notamment la question de la relation entre solidarité communautaire et sécurisation collective254.

Le thème de la sécurisation est au cœur d’une réarticulation entre production de lien social et production du contrôle social, conçu comme réapropriation par une collectivité des moyens d’un auto-contrôle social au cœur d’un projet de « démocratie substantive ». Il suppose une approche qui incorpore clairement l’interaction entre la personnalité collective et l’aspect territorial dans la production de l’identité, et il montre concrètement que le développement s’occupe essentiellement d’acteurs collectifs, de la production des conditions de l’action d’acteurs collectifs dans les contextes spatiaux et historiques concrets255.

C’est dans ce sens que l’économie populaire a été historiquement avant tout une création du monde rural avant de devenir urbaine.

La multitude et la diversification d’activités économiques que l’on rencontre en ville ou dans les campagnes révèlent un grand dynamisme des pratiques populaires en fonction du temps. Cette dynamique est synonyme d’action contre

254 MORMONT M., Développement durable et relation entre science et société, Communication à la Chaire Quetelet, 2000, Louvain-La-Neuve, Département des Sciences de la Population et du Développement, 21-24 novembre 2000, p. 15. 255 PEEMANS J. –Ph., Le développement des peuples…, op. cit., p. 471.

137 l’appauvrissement et ce mode de vie de l’économie populaire est le fil conducteur qui fait la résistance de la population en ville et à la campagne.

On a déjà dit ici que beaucoup de chercheurs ont interprété l’économie populaire comme synonyme de pauvreté car elle ne contribue pas directement à l’augmentation de la croissance nationale ni au PIB. Les revenus par habitant par an et la valeur du PIB par an encore faibles à Madagascar ne représentent rien par rapport à ceux des pays industrialisés, et le classent parmi les pays les plus pauvres.

Nous estimons que face à cette vision et interprétation négatives, l’économie populaire qui tient compte de tous les facteurs (social, économique, culturel et même politique) fait partie d’une des réalités positives qui mérite d’être considérée en tant que telle, car 90% de la population malagasy, tant en milieu urbain qu’en milieu rural, vivent dans l’économie populaire. C’est aussi une manière d’avoir une vision positive des pays en développement, car derrière l’économie populaire il existe une population qui agit en sous - bassement avec un potentiel immense de résistance et de créativité. Il s’agit là d’une réalité très loin de la vision universelle et modernisatrice du développement qui s’appuie sur le rationalisme, l’accumulation du capital, mettant le côté social en marge, et où le culturel est vu sous le seul aspect du marché.

L’économie populaire pourra-t-elle poursuivre son chemin face à la mondialisation croissante de l’économie ? La réflexion à faire pour le développement économique à Madagascar, c’est d’essayer de consolider l’économie populaire en un secteur d’économie sociale. Cette consolidation peut être une composante axiale d’un processus permanent de mise en œuvre de formes diverses d’auto-contrôle social articulées sur la reconstruction du lien social. Elles peuvent correspondre à la logique de gouvernance historique qui a caractérisé le fokonolona depuis des générations.

Nous reprenons ici les idées proposées par J.-Ph.Peemans quant à la formation d’un réseau puissant d’organisations d’économie sociale, coopératives et mutuelles, qui permettrait de consolider les initiatives associatives en respectant leur esprit, la nature de leurs pratiques, en élargissant leur champ d’action et en permettant la complémentarité entre leurs diverses activités agricoles, non agricoles, les caisses d’épargne et de crédit, les mutuelles, les coopératives de producteurs et de consommateurs256.

On ne doit pas négliger non plus le fait majeur que les initiatives collectives et associatives des femmes sont des réalités très concrètes à travers lesquelles se modifient les rapports de force et de genre, et à travers lesquelles se construisent des espaces de développement différents qui sont aussi des espaces potentiels de construction de l’égalité257.

256 Idem, p. 486. 257 Cf. BASU A., The challenge of Local Féminisms, women’s movements in global perspecyive, Bolder, Westview Press, 1995.

138 L’économie sociale a donc, une composante forte de démocratie économique et sociale, puisque ce sont les assemblées des membres qui y détiennent le pouvoir ce qui est différent de l’économie capitaliste. Le secteur d’économie sociale peut participer de manière tout à fait active aux activités marchandes, et produire des biens et services pour le marché.

Une chose est sûre, le fait de ne pas travailler uniquement pour le profit, permet aux petits producteurs, organisés collectivement, en associations, réseaux ou coopératives, d’avoir une capacité de survie plus grande que les entreprises du genre capitaliste. Cette capacité de survivre est encore accrue du fait que ces producteurs indépendants, organisés collectivement, se contentent souvent d’un revenu inférieur au salaire touché dans les entreprises concurrentes du secteur moderne. En outre les multitudes d’activités et d’unités de production recensées dans l’économie populaire dans la capitale, et surtout les vadin’asa dans les milieux ruraux, jusqu’à présent, fonctionnent à merveille sans l’intervention continue et massive du progrès technique, alors que dans le secteur moderne, ce dernier devient une contrainte incontournable et souvent insupportable financièrement et socialement. C’est un élément potentiel supplémentaire de résistance pour un secteur d’économie populaire, consolidé en secteur d’économie sociale.

L’existence des crises multiformes a permis à la population vulnérable de montrer sa capacité de résistance et de montrer le degré d’importance de la culture dans les milieux populaires de la société malagasy. Il faut espérer que les élites politiques et économiques du pays prendront à l’avenir finalement en compte ce potentiel extraordinaire de développement humain et durable, si oublié, voire méprisé jusqu’ici.

À la fin de notre parcours, nous pensons avoir contribué un tant soit peu à faire reconnaître ce potentiel. Et particulièrement son enracinement dans l’histoire longue. Faire cette rétrospective c’est refaire le travail historique en matières économique, sociale et culturel du pays mais avec une vision tournée vers le futur. Mais en même temps nous avons une conscience aiguë des insuffisances de cette étude, et nous nous rendons compte que l’étude de l’économie populaire de longue période que nous avons menée est loin d’être parfaite et exhaustive. Il reste encore d’autres pistes à envisager et beaucoup de questions sont encore à résoudre. Au terme de ce travail, la seule chose que nous osons dire c’est que le contact avec les acteurs de l’économie populaire nous a appris la modestie et le caractère relatif de toute connaissance scientifique ou autre.

139 Glossaire

Adidy amin’ny mpiara-monina : Obligations sociales. Adidy amin’ny fianakaviana : Obligations familiales. Alahamady : Premier mois du calendrier lunaire traditionnel. Andevo :Esclave. Andriamanitra :Dieu. Andriana : Roi, noble. Angady : Bêche de jet, à long manche. Dabokandro : commerce de zébu. Dina : Règlement ; convention villageoise. Fady : Interdit. Fahavalo :Brigand. Famadihana : Retournement des morts, réenveloppés de lambamena. Fanajana : Respect Fandroana :Bain royal. Fanjakana : Etat, la puissance publique. Fanompoana : Corvée. Faritany : Province, regroupement de fivondronam-pokontany ; échelon au sommet de la pyramide des collectivités décentralisées. Fasana : Tombeau familial. Fata-pera : Foyer ou rechaud à charbon de bois pour cuire de la nourriture. Fifankatiavana : Amitié. : Lieu de rencontre. Fihavanana : Le fait d’être parents ; mode de relation idéal basé sur la compréhension mutuelle et la solidarité. Fiompiana : Elevage. Firaisam-pokontany : Groupement de fokontany ; ce niveau correspond à l’ancien canton. Firaisankina : Solidarité. Firenena : Nation. Fivondronam-pokontany : Regroupement de firaisam-pokontany ; ce niveau correspond à l’ancienne sous- préfecture. Foko : Dème, groupe défini par la parenté et l’appartenance à un même territoire. Fokonolona : Communauté villageoise. Fokontany : Village, quartier, cellule territoriale administrative de base à l’échelle des villages et hameaux ; il y a plus de 11000 fokontany sur l’espace national. Fomba : Pratiques coutumières traditionnelles. Fotsy : « Blanc » par opposition au « Noir ». Hajia : Redevance seigneuriale. Hasina : Vertu efficace d’un être ou d’une chose, force d’origine sacrée qui rend les actes féconds. Herana : Buisson.

140 Hetra : Parcelle de rizière attribuée à un ménage ; impôt levé sur la parcelle de terre. Hova : Homme libre dans la société merina ; équivalent des andriana merina en pays betsileo. Kabary : Proclamation royale ; discours. Kelimalaza : Talisman royal. Ketsa : Repiquage. Lamba : Toge ; tissu. Lambamena : Linceuil en soie. Lapa : Palais. Mainty : « Noir », d’ancienne souche, par opposition au « Blanc ». Manarabady : Qui suit son conjoint. Maromita : Transporteur. Menabe : Domaine royal. Menakely : Territoire confié à un andriana, qui y exerce le pouvoir judiciaire et y perçoit les impôts, dont il garde une part. Mitondra hetra : Porteur de hetra. Mofogasy : Galette faite avec de la farine de maïs ou farine de manioc ou encore farine de riz. Mpanandro : Astrologue spécialisé dans la détermination des jours fastes et néfastes pour une action. Mpanefy : Soudeur. Mpanera : Intermédiaire ou démarcheur. Mpiadidy : Chef de village. Mpiavy : Non originaire d’une région. Mpilanja : Porteur. Mpisikidy :Devin. Paraky gasy : Tabac à chiquer. Peta-kofehy : Broderie. Ray aman-dreny : père et mère, parents. Razana : Ancêtres. Renin-jaza: Accoucheuse traditionnelle. Risoriso : Marché noir. Ron’akoho : Bouillon de poulet avec du gingembre qu’on prépare pour les malades et qu’on prend dans d’autres occasions. Saonjo :Taro. Sampy : Talisman familial, de groupe, royal. Sorabe : Ecriture arabe de la langue malagasy dans le Sud-Est. Tanety : Colline aux versants converses recouverts d’herbacées. Tanimboly : Champs ; terres de cultures. Tanin’anana : Terre de culture de brèdes. Tanindrazana : Terres des ancêtres, c’est aussi la patrie. Tapa-kazo : Plante de la pharmacopée traditionnelle. Tavim-boninkazo : Pots de fleur. Tavi-mofo : Moules à galette. Tavy : Culture sur brûlis. Terak’i… Descendant de… Tiatanindrazana : Patriote. Toaka gasy : Eau de vie locale, alcool. Tody : Retour des choses. Tompomenakely : Titulaire de menakely. Tompontany : Autochtone. Tsena lava : Marché quotidien. Tsena : Marché. Tsiny : Blâme ; reproche. Vadin’asa : « Conjoint du travail », travail complémentaire. Vadintany : Conjoint de la terre ; représentant du roi et entremetteur avec le roi. Valin-tanana : Rendre la main. Varo-mandeha : Commerce ambulant. Vary aloha : Riz de première saison. Vary sosoa : Riz doux cuit avec beaucoup d’eau. Vary vaky ambiaty : Riz de la floraison de l’ambiaty.

141 Vavy : Femme ; le terme précédé d’un chiffre, désigne la surface qu’une femme peut repiquer en un jour. Vazaha : Etrangers, surtout Européens. Vazimba : Premiers occupants. Vilany tany : marmite faite en argile. Vohitra : Village. Vohitse : Fokonolona chez les Betsileo. Zanaka : Descendance. Zazahova : Personne déchue, andriana ou hova

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