BANVILLE

« Entre et Mets-toi, si tu peux, Et si tu veux être heureux Vis entre Caen et Bayeux ». (Vieux dicton normand)

PIERRE BIANQUIS

BANVILLE

Photographies Laurent Bianquis

CAEN LA ROSE DES VENTS 55, rue de l'Oratoire 1979

BANVILLE A TRAVERS LES SIÈCLES

Banville est un village du Calvados, situé à 3 km de Courseulles-sur- Mer, sur la route de Bayeux. Il n'a pas de passé héroïque, il ne possède ni monument historique, ni site classé, il n'a donné naissance à aucun personnage illustre. Et pourtant on trouve sur son territoire les preuves d'une occupation dès l'ère préhistorique, des vestiges de camps romains, des sépultures du Moyen Age, et il présente un aspect et des conditions de vie qui le distinguent des villages voisins. Des habitants de Banville, attachés à son avenir mais désireux de mieux connaître son passé, cherchent à retrouver les lointaines racines de son peuplement et à savoir son évolution au cours des siècles. C'est pour eux que ce dossier a été réuni. Plutôt que de prétendre raconter l'histoire de Banville en exploitant les quelques documents que nous avons trouvés et en brodant autour, nous avons jugé plus honnête de reproduire, après une présentation d'ensemble, les textes originaux, laissant à chaque auteur la responsabilité de ses écrits... et de ses erreurs éventuelles. Banville, aux points de vue géologique et agricole, se rattache à la Campagne de Caen. Son plateau, à une quarantaine de mètres d'altitude, est constitué de calcaire du bathonien inférieur, recouvert du limon des plateaux, donnant des terres franches, à bonne composition chimique, particulièrement fécondes, créant une économie céréalière très favorable. Le micro-climat est celui de la Plaine de Caen, tempéré par la proximité de la mer. Il est très modéré, comme la population du cru ! On relève une pluviométrie moyenne de 650 mm par an. La grande culture règne, sans haies ni clôtures, et relève des coutumes et usages de la Plaine de Caen. Pourtant Banville est depuis des siècles rattaché administrativement au Bessin, et il le reste, puisque situé dans le Canton de et dans l'Arrondissement de Bayeux, mais ce lien n'a guère de conséquences qu'électorales. Dans l'acte de vente du Fief de Banville en 1786, dont nous publions les précisions qu'il fournit aux points de vue social, agricole et économique, il n'est question, à part quelques prés humides et marais de la Seulles, que de terres labourables, et les redevances seigneuriales ne comportent ni bétail, ni produits laitiers. Le village de Banville, qui groupe toutes ses maisons serrées autour de son église, sans écart, forme un îlot boisé au milieu du plateau découvert, disposition essentiellement différente de celles du Bessin proprement dit. De même le fait que chaque cultivateur de Banville est propriétaire de son habitation avec son centre d'exploitation dans le village, et cultive les terres qu'il possède ou loue sur le territoire de la commune ou des communes proches. Les divers services publics ou para-publics concernant la vie de Banville sont situés dans l'Arrondissement de Caen : bureau de poste, gendarmerie, secteur scolaire et son collège, centre de secours contre l'incendie, coopérative agricole, Crédit Agricole. Il n'existe d'ailleurs aucune ligne de transport en commun pour se rendre à Bayeux, alors que six cars par jour, trois dans chaque sens, relient directement Banville à Caen. Banville est la seule commune de ce nom en . Dans le départe- ment de la se trouve un château de Banville, aux environs de Carentan, sur la commune de Catz. Il appartenait à la famille Faullin de Banville, dont un descendant, établi à Moulins en 1780, fut le grand-père du poète Théodore de Banville (1823-1891). Aucun lien ne rattache les Faullin de Banville aux seigneurs de Banville dans le Calvados. Une autre famille du même nom est celle qui descendait de Bernard de Banville, écuyer, seigneur et patron de Pierres, au XVIe siècle, près de , famille qui tint ce fief durant plusieurs siècles. Pas de lien avec les seigneurs de Banville. D'après Albert Dauzat (Dictionnaire des noms de lieux de France), le nom du village de Banville (Baainvilla, en 1215) vient de Bada, nom de femme germanique, et du latin " Villa

Au cours des siècles le centre de peuplement de Banville s'est déplacé d'Est en Ouest. A l'époque préhistorique, quelque 5 000 à 2 500 ans avant notre ère, un atelier néolithique occupait la terre de l'Ancle et le site de la Burette, sorte de presqu'île contournée par les méandres de la Seulles et rattachée au plateau par un isthme étroit. Il y avait donc là une peuplade qui déjà se livrait au travail de la pierre. Le site de la Burette a été à plusieurs reprises l'objet de recherches et d'études. Nous publions les conclusions de la brochure du Docteur Doranlo (1917) consacrée à l'étude de l'Atelier néolithique de Banville, ainsi que des extraits du Rapport de Jacques Bardot (1975). Actuellement encore on peut trouver de nombreux éclats de silex taillés sur la Burette. La situation privilégiée de ce site d'où l'on domine le cours de la Seulles, en aval vers la mer, en amont vers Creully, et d'où l'on pouvait ainsi se défendre contre les invasions venant de la mer, explique l'implantation au même emplacement, mais bien des dizaines de siècles plus tard, du plus important camp romain de la région. L'entrée du camp, située sur l'isthme entre le Val et le Bois des Roches, était défendue par un double rempart dont les vestiges souterrains existent encore et sont marqués par une levée de terre. Au pied du camp romain, creusées dans la falaise bordée par les marais, on remarque un groupe de niches, de cavités et une petite pièce voûtée, qui ont fait l'objet de plusieurs études et d'hypothèses variées, sans que puisse être éclaircie leur origine ni datée leur ancienneté. Un autre camp romain, moins important, contrôlait le gué de la Seulles, à l'emplacement du pont de . C'était le camp du Ganne. Pendant le Moyen Age, et jusqu'au XVIIIe siècle, des postes militaires furent maintenus sur la Burette. A l'époque gallo-romaine le centre de peuplement de Banville était situé plus à l'Ouest, au Camp du Houx, actuellement invisible sous la grande culture qui le recouvre, entre la route de Banville à Tierceville et le village de Sainte-Croix-sur-Mer. Enfin le village de Banville se constitua à son emplacement actuel. Des invasions que facilitaient les plages sablonneuses du littoral favorables à l'échouage, amenèrent successivement, bien après l'occupation

Niches et cavités des Roches romaine prolongée, des envahisseurs , puis normands, qui souvent s'installèrent sur place et s'unirent à la population locale d'origine celte mais à laquelle s'étaient déjà unis des éléments romains. Plusieurs noms de lieux dans la région sont d'origine saxonne. La fréquence relative de chevelures blondes ou rousses, d'yeux bleus ou pers, serait-elle due à la persistance de lointains gènes scandinaves ? Ce mélange de races, et les échanges maritimes avec la Grande-Bretagne qui auraient existé dès l'âge de bronze comme le prouverait une hache à talon trouvée à Courseulles et dont l'expertise a établi qu'elle provenait d'un atelier du Surrey en Angleterre, n'ont-ils pas contribué à donner à la population locale son caractère tolérant ? Dès le Moyen Age, et jusqu'à la Révolution de 1789, Banville fut le siège d'un plein fief de haubert, relevant du Roi. Guillaume de Banville accompagna Guillaume le Conquérant en Angleterre. En 1096 le Sire de Banville figure parmi les 400 seigneurs normands qui font partie de la 1 re Croisade, résolue au Concile de Clermont, tenu par le pape Urbain 11, et partent en Terre Sainte avec le Duc Robert, qui cède le gouvernement du Duché à son frère Guillaume le Roux, et avec leur oncle , évêque de Bayeux.

Niches et cavités des Roches En 1411 Jean de Royville, seigneur de Banville, resta fidèle à Charles VI, puis à Charles VII, refusant de se soumettre à Henri V, roi d'Angleterre. Des seigneurs de Banville furent capitaines du Château de Caen, d'autres lieutenants-généraux de Normandie. En 1540 Renée Daneau, héritière de Banville, épousa Christophe de Cyresmes, originaire de Vernon-sur-Seine, qui devint seigneur de Banville, et dont les descendants directs possédèrent le fief de Banville jusqu'en 1786. Nous renvoyons au chapitre consacré à Banville par l'Abbé Michel Béziers (1721-1782) dans ses « Mémoires sur le diocèse de Bayeux », chapitre que nous reproduisons in extenso, pour connaître la succession des possesseurs du fief de Banville. Plusieurs seigneurs de Banville furent vicomtes de Bayeux. Ce titre n'était ni à vie, ni héréditaire, mais c'était une charge de judicature très honorable et très lucrative (voir articles 5 à 11 des Coutumes du Pays et Duché de Normandie). François 1er désigna le 18 janvier 1520, comme vicomte de Bayeux, Hervé Daneau, seigneur de Banville, qui eut comme lieutenant- général Guillaume Liteux. Quand Hervé Daneau résigna son office, son gendre Christophe de Cyresmes, sieur de Banvil!e, fut désigné comme vicomte de Bayeux le 16 octobre 1540. Antoine de Cyresmes à son tour est vicomte de Bayeux dès 1582 et le reste durant 15 ans. Le vicomte de Bayeux, par un privilège particulier de sa charge, était le maire-né de la ville. Il n'y avait en Normandie que les vicomtes de Falaise et de Verneuil qui jouissaient du même avantage. Avant 1694 les affaires domaniales étaient portées devant les vicomtes de Normandie en vertu de l'article 9 de la Coutume de la Province. On distinguait alors à Bayeux ce qui était de la compétence du Vicomte de celle du Maire par la différence du lieu dans lequel les jugements étaient rendus. Tout ce qui concernait le domaine et la grande voirie était jugé par le vicomte, dans le prétoire ordinaire. Les affaires de la police étaient réglées dans l'hôtel de ville, par les échevins et les autres officiers municipaux. Le vicomte y présidait comme maire. Le pouvoir centralisateur de Louis XIV ôta progressivement aux vicomtes les attributions de leur charge, dont les dernières disparurent en 1699. Leurs fonctions furent transférées au Lieutenant Général de la Police et au Bureau Central des Finances.

Aux XVIe et XVIIe siècles, la réforme protestante avait pris une grande extension en Basse-Normandie dans toutes les classes de la société. Des paroisses furent créées, entre autres lieux, à Courseulles, Bernières, , . C'est ainsi que, de 1655 à 1664, peu de temps avant la Révocation de l'Edit de , les deux pasteurs de Basly baptisèrent trente enfants en moyenne par an dans leur paroisse et les villages voisins desservis par eux, dont Banville. Le chanoine Laffetay, dans son « Histoire du Diocèse de Bayeux » (1855) cite « la paroisse de Basly dans laquelle il n'était resté que sept ou huit catholiques au début du XVIIe siècle ». La répression systématique et implacable instituée par Louis XIV arrêta ce mouvement, et il ne resta finalement que quelques foyers protestants à Courseulles et Cresserons. Le chanoine Laffetay rejoint l'opinion de Saint- Simon évoquant, dans ses Mémoires rédigés sur le vif, à la cour de Louis XIV, « la Révocation de l'Edit de Nantes en 1685 et la façon barbare dont on usa pour forcer la conversion des huguenots ». A la fin du XVIIe siècle, à Basly, « le schisme ne comptait plus qu'un petit groupe d'adhérents ». L'Abbé Marcel, curé de Basly à cette époque et porté lui aussi à la tolérance, exprimait le vœu « que l'on se contente d'exhorter les dissidents charitablement et qu'on attende le succès du bénéfice du temps . Et il ajoutait, en bon Normand, toujours d'après l'ouvrage du chanoine Laffetay : « Toutes les poires ne murissent pas en même temps, et le bon chrétien se cueille des derniers sur l'arbre ».

Le puits de la place de l'église - Toiture pyramidale caractéristique L'Institution des Nouvelles Catholiques avait été fondée en 1659 à Caen par Mgr Servien, évêque de Bayeux, pour recevoir les filles protestantes enlevées de force à leurs familles, sur lettres de cachet, et obtenir leur conversion. Dans les états des « pensionnaires » conservés, on relève le nom de Marie-Anne Le Cavelier, placée en 1688 à l'âge de trois ans, qui s'évade en 1692, est reprise et s'évade de nouveau en 1693. Un de ses arrière-neveux, du même nom de famille qu'elle, devait se fixer à Banville au début du XXe siècle, et y être élu maire en 1918. En 1773, dans les mêmes états, on relève le nom de Marie-Françoise- Charlotte de Cyresmes. En 1786, Louis-Ferdinand-Auguste de Cyresmes vendit le fief, le château, les terres de Banville, avec tous les droits et privilèges féodaux attachés, à Mathieu-Louis-Simon de Lessard. Nous publions les passages de ce long acte - rédigé en la Cour du Châtelet, à - qui permettent d'aider à se faire une idée de ce qu'étaient les conditions de vie sous l'Ancien Régime à Banville. Le seigneur loue ses terres à soixante-deux fermiers, et il touche de plus des droits sur les marchés, les foires, le four banal, l'étalon bannier, les moulins, et des redevances en nature et en argent. Il présente à la nomination du curé. Il est responsable de la prévôté, il rend la basse et la haute justice, il autorise les mariages, il possède seul les droits de pêche et de chasse. Et à sa mort il est enterré dans le chœur de l'église. Les soixante-deux fermiers du seigneur, avec leurs familles et leurs commis constituaient la majorité de la population du village qui comptait alors sept cents habitants. Toutefois, se trouvaient aussi à Banville, quelques artisans, charpentiers, maréchaux-ferrants, forgerons ou toiliers, et surtout des tailleurs de pierre et des maçons qui ont toujours été réputés dans la région. Aucun commerçant, mais un marché hebdomadaire sur la place de l'église, dénommée place du marché. Pas d'industrie, mais les femmes font à domicile de la dentelle au fuseau, dite de Bayeux, pour compléter le maigre gain familial. Certains fermiers possèdent quelques terres personnellement, dont celles acquises du dernier seigneur de Banville. A l'acte de vente de 1786 est joint un état nominatif des baux et rede- vances de Banville, que nous reproduisons. Beaucoup de noms y figurant se retrouvent encore dans les familles habitant Banville. Cet état révèle le peu de terres dont disposait chaque fermier, et le montant des loyers dus au seigneur. Parmi les moulins, d'ailleurs en ruines précise l'acte de vente, se trouvent deux moulins à eau, dont l'un était sur l'îlot de la Seulles, l'autre au pont de Reviers, un moulin à vent dont l'emplacement est inconnu, et deux moulins à voëde. La voëde (ou vouëde, ou guède) était une plante cultivée particuliè- rement dans la Campagne de Caen et dans les terres les plus fertiles. Identique au pastel cultivé alors dans le Languedoc, cette plante était broyée et pilée dans des moulins, et le suc desséché donnait une pâte très recherchée pour teindre les étoffes. Elle donnait un bleu presque vernissé aux vastes blouses empesées des fermiers normands. Elle était aussi exportée de Caen aux Pays-Bas. Cette culture disparut, concurrencée par l'indigo, lorsque celui-ci fut importé en provenance de l'Inde et de l'Amérique. Certains fermiers doivent livrer au seigneur du glu (ou glui, ou glen), paille longue et préparée à la main, qui servait à couvrir les toits des chau- mières, de l'église, du presbytère. Dans le tableau des baux et revenus de 1787, nous voyons aussi du vin de revenu pour une de 487 livres. En ce temps, un vignoble couvrait une pente située près du Bois des Roches et exposée au midi. Un seigneur précédent avait fait venir de Champagne un vigneron appelé Hervot, dont les descendants donnèrent toute une lignée de cultivateurs qui, dès le XVIIIe siècle et jusqu'à présent, tinrent une place de plus en plus importante dans la vie de Banville. Dans un acte de baptême du 1/3/1775, on trouve le nom de « André Hervot, vigneron du seigneur de Banville ». Du vignoble, il ne reste que le nom de la Delle de la Vigne.

Ancien portail de ferme CET OUVRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D'IMPRIMER SUR LES PRESSES DE LA SOCIÉTÉ D'EXPLOITATION DE L'IMPRIMERIE R. LE BRUN A CAEN EN OCTOBRE 1979. LA CONCEPTION D'ENSEMBLE DU VOLUME EST DUE AUX SERVICES TECHNIQUES DE L'IMPRIMERIE

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