Henry De Groux, Peintre Antimoderne À La Fin Du Xix E Siècle
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04 Les Errants, ca 1889-1890, I craie noire et de couleur, encre de Chine et gouache sur papier marouflé sur carton, 87,3 x 72,5 cm. Bruxelles, musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, inv. 6302 Henry de Groux, peintre antimoderne à la fin du XIXe siècle DENIS LAOUREUX Henry de Groux n’est pas né dans une dynastie de Groux étaient inscrits3. Les responsables de L’Art d’artistes comme les Kindt, les Ronner, les Meunier, moderne et du cercle des XX ont certainement dû les Danse ou encore les Stevens qui lui sont contem- rappeler Charles Degroux à leur souvenir en voyant porains. Bien évidemment, son père, Charles apparaître aux cimaises de l’Essor au milieu des Degroux, est un peintre très intégré au monde de années 1880 le patronyme d’un ami cher. Félicien l’art belge1, mais il est le seul artiste de la famille Rops et Alfred Stevens ont été des relais essentiels à et, quand sa mort précoce survient en 1870, son l’installation du jeune artiste en 1891 à Paris. fils Henry est âgé de quatre ans à peine. Si Henry De Groux franchit les portes de l’Académie de Groux n’a donc pas été formé par son père, en des beaux-arts de Bruxelles en octobre 1882. Les revanche, l’ombre de ce dernier a pris dans sa vie registres portent en effet la marque de son inscrip- la place d’un repère, et en cela il n’est peut-être tion. Il y reste un an. Peut-être est-ce dans ce cadre pas exagéré de dire que sa vocation artistique s’est qu’il rencontre Jan Toorop. Sa formation artis- construite sur un modèle parental. tique connaît une nouvelle étape en 1884 : le jeune Le réseau relationnel de Charles Degroux consti- homme est élève de l’École nationale des beaux- tue une assise sur laquelle son fils pourra prendre arts à Paris. Il est inscrit dans l’atelier de Jean-Léon appui. C’est auprès d’une connaissance de son père, le Gérôme, un formulaire signé par ce dernier en peintre Jean-François Portaels, que le jeune de Groux janvier 1884 en atteste indubitablement. Dans l’état aurait reçu ses premières leçons artistiques à la fin actuel des connaissances, il est toutefois impossible des années 1870. Il aurait en effet fréquenté l’ate- de dire combien de temps de Groux a suivi l’ensei- lier privé de Portaels à Bruxelles2 après avoir suivi gnement du maître. Un passage éphémère à l’Aca- les cours de dessin dispensés par le même Portaels démie des beaux-arts de Bruxelles en 1882-1883 et au collège de Vilvorde, où les enfants de la famille une inscription au cours de Gérôme à Paris en 1884 1 Jan Dewilde et Jean-Marie 2 Émile Baumann, La Vie terrible 275 ans d’enseignement, cat. exp., Duvosquel (dir.), Charles Degroux d’Henry de Groux, Paris, Grasset, Bruxelles, musées royaux des (1825-1870) et le réalisme en 1936, p. 37. Beaux-Arts de Belgique, 7 mai- Belgique, Bruxelles, Crédit 28 juin 1987, Bruxelles, Crédit 3 Danielle Derrey-Capon, communal, 1995. « De Groux, Henry », in Académie communal, 1987, p. 153. royale des beaux-arts de Bruxelles. 31 I constituent l’essentiel de ce que nous savons de la formation académique d’Henry de Groux. Le jeune peintre franchit en 1885 une étape déterminante : il participe à la neuvième exposition annuelle du cercle de l’Essor avec Maisons (allégorie) et un ensemble d’études sans titre précis. En 1886, il présente l’esquisse du Pèlerinage de saint Colomban, faisant ainsi intentionnellement écho au Pèlerinage de Saint-Guidon à Anderlecht (1857) (illustration Charles Degroux) avec lequel son père s’était fait un nom. Composé d’anciens étudiants de l’Académie des beaux-arts de Bruxelles, ce cercle organise une exposition annuelle permettant aux jeunes artistes de se faire connaître. Fondé en 1876, l’Essor est une sorte d’incubateur pour les artistes de la génération de 1860 comme James Ensor, Jean Delville, Albert Ciamberlani, Fernand Khnopff, Dario de Regoyos, 02 Procession des archers (fragment), photogravure rehaussée Léon Frederic et Henry de Groux, qui font leurs pre- d’après la peinture originale, 10,5 x 15 cm, planche pour le numéro de La Plume miers pas dans le monde de l’art par ce biais. consacré à Henry de Groux, 1899, p. 72. Lille, collection Jérôme Descamps des « paysans macabres dans [un] site malade avec AVEC LE GROUPE DES XX [des] fleurs roses, vertes [et des] bulles énormes6 ». La position d’Henry de Groux dans le champ Probablement est-ce à ces mêmes tableaux que, artistique belge se précise à l’issue des exposi- dans sa correspondance à Albert Mockel, Charles tions de l’Essor de 1885 et 1886. Un événement y Van Lerberghe compare les images contenues dans contribue singulièrement : fin 1886, de Groux est les vers libres du recueil Serres chaudes (1889) de son élu membre du cercle des XX en remplacement ami Maeterlinck7. Ces détails donnent à penser que de Charles Goethals4. Il peut désormais partici- de Groux se taille rapidement une place dans l’ima- per au salon annuel organisé par Octave Maus et ginaire visuel de ses contemporains. se retire dès lors de l’Essor. En 1887, il expose sept En 1888, de Groux expose au salon des XX pièces, dont le projet de fresque décorative prévue une série intitulée Waterloo qu’il présente comme pour l’hôtel du baron de Haulleville consacré à la Trois rêves après la bataille : Le Moulin de Fleurus, Procession des archers. (illustration) Les six autres La Route de Mont-Saint-Jean et Le Chemin creux tableaux ont déjà trouvé acquéreur, ce qui donne à d’Ohain. En 1889, il revient avec La Procession des penser que le nom de l’artiste circule parmi les col- archers à Machelen ainsi qu’une Charge de cuirassiers à lectionneurs5. Les deux tableaux littéraires inspirés Waterloo appartenant à Edmond Picard. Il aurait dû du roman Kees Doorik, publié en 1883 par Georges participer au salon des XX en 1890 avec sept tableaux, Eekhoud, ont peut-être attiré l’attention de jeunes dont Hougoumont ! (illustration) et Le Tambour, qui écrivains proches du milieu de L’Art moderne. C’est dépeignent la défaite napoléonienne8, mais il retire ainsi que, en visite au salon des XX de 1887, Maurice ses pièces en raison de la présence de tableaux de Maeterlinck voit dans les tableaux de De Groux Van Gogh dans la même salle – nous y reviendrons. 4 Peintre de paysage et de scènes appartient au peintre Willy Mauvais nuage appartient à lettre de Jeanne Degroux à William de genre formé à l’Académie des Schlobach ; Jurgen Faas mort Gustave Doperé. Il est à noter que Degouve de Nuncques, Bruxelles, beaux-arts de Bruxelles, Goethals appartient à Georges Eekhoud, la sœur d’Henry de Groux, Jeanne n.d., Bruxelles, Archives et Musée avait participé aux expositions de auteur, justement, du roman Degroux, intervient auprès de de la Littérature, 2167 / 97. l’Essor avant de contribuer à la Kees Doorik (1883) ayant inspiré William Degouve de Nuncques afin 6 Maurice Maeterlinck, Carnets fondation des XX. de Groux ; Au crépuscule appartient que ce dernier pousse son ami à de travail, 1881-1890, t. I, Bruxelles, à Joseph Dupont ; Un gansrijder achever les commandes de Joseph 5 L’Assassinat. D’après Kees Labor, coll. Archives du futur, 2002, (étude) appartient à M. de La Hault ; Dupont et Gustave Doperé : voir Doorik, de Georges Eekhoud p. 363. 32 03 Hougoumont !, ca 1888, gravure, 37 x 44,7 cm. Lille, collection Jérôme Descamps Plusieurs tableaux exposés en 1888 et 1889 ont scène un empereur ventripotent, défilant le regard donc l’épopée napoléonienne pour sujet. Entre 1889 vide devant des troupes dépourvues de conviction et et 1892, James Ensor réalise également plusieurs de détermination, le tout sous un étendard donnant dessins et peintures sur la bataille de Waterloo. Les le détail des défaites. Il est difficile d’entrer dans deux hommes se côtoient au sein des XX au moment une comparaison précise entre les deux peintres où leurs tableaux napoléoniens respectifs voient le faute d’avoir retrouvé l’ensemble des tableaux jour. L’approche du sujet est toutefois fort diffé- napoléoniens que de Groux prévoyait d’exposer aux rente. Il semble en outre qu’Ensor n’ait pas cherché salons des XX. Mais, au vu des multiples dessins et à exposer ce genre de tableaux au moment de leur peintures consacrés dans les années 1890 à la figure réalisation. Dans Le Remords de l’ogre de Corse (1890- de l’Empereur9, on imagine mal de Groux dévelop- 1891), il s’inspire de l’iconographie des adieux faits per à la fin des années 1880 les mêmes sarcasmes à par Napoléon à ses troupes à Fontainebleau en 1814 ; l’endroit de Napoléon : contrairement à Ensor, l’ar- il la revisite de manière sarcastique en mettant en tiste s’identifie à la destinée tragique d’un souverain 7 Lettre de Charles Van Lerberghe Carez), Le Tambour (collection Napoléon », p. 000, et, du même à Albert Mockel, s.l., [janvier 1889], de Camille Lemonnier), Lion auteur, « Henry de Groux (1866- in Charles Van Lerberghe. Lettres mourant (collection de Georges 1930) peintre symboliste de à Albert Mockel (1887-1906), t. I, Flé), Les Gitanos, La Parade, l’épopée napoléonienne », Sociétés Bruxelles, Labor, coll. Archives du Les Travestis et Bourgeoisie !. & Représentations, no 23, 2007 / 1, futur, p. 71. p. 283-295. 9 Voir dans le présent ouvrage 8 Les sept tableaux sont Bertrand Tillier, « Peindre un Hougoumont ! (collection d’Eugène “Raté grandiose” : de Groux et 33 I qu’il dépeint toujours en héros romantique brisé des XX votent à l’unanimité l’exclusion de leur dans son élan par des forces qui le dépassent.