A la mémoire des Fondateurs Aux membres du Bureau de la « PROVINCE DU » Hommage reconnaissant. F. L.

(Extrait de la Province du Maine, 1948-1952). CONTRIBUTION A L'HISTOIREDU XIX SIÈCLEPOLITIQUE ET ÉCONOMIQUE

A.-J. TROUVÉ-CHAUVEL BANQUIER ET MAIRE DU MANS

MINISTRE DES FINANCES DE LA DEUXIÈME RÉPUBLIQUE (1805-1883)

PAR Frédéric LEMEUNIER TRÉSORIER DE LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE DE LA PROVINCE DU MAINE

ÉDITIONS DE LA PROVINCE DU MAINE 26, Rue des Chanoines 1953

Ariste-Jacques TROUVÉ-CHAUVEL (1805-1883)

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE I Les Ancêtres. § I

Les Trouvé, « bordagers », et les Trouvé, « marchands ». — René II et fabricierFrançois I», Trouvé, François « pescheursI Trouvé, »« (1775).officier — municipal René Trouvé, » (1790). « procureur — René neurIII Trouvé, » à La «Suze. marchand — François » au Mans. II Trouvé, — René « IVmaire Trouvé, » de « Fillégarçon (1836- tan- 1845). Fille était à la fin du XVIII siècle une pauvre paroisse des « Quintes » du Mans, à 13 kilomètres sud de la ville. Le grand chemin royal du Mans à la traversait. Arrosé par la , son territoire se composait de terrains sablon- neux et peu fertiles sur la rive gauche, partie de la grande lande du Bourrai. Sur la rive droite au contraire, le sol plus productif permettait quelques prairies, des vignes « dont le vin rouge n'était pas mauvais », enfin la culture des céréales : seigle, avoine et « carabin » (1). La situation des 500 à 600 habitants était certainement médiocre, aussi les nombreux membres de la famille Trouvé sont-ils qualifiés indifféremment de « bordagers, vignerons ou journaliers ». Une branche de la famille fait cependant nette exception. Depuis le début du siècle, ses membres pren- nent le titre de « marchands ». Leur commerce pourtant devait être aussi médiocre que la production de la paroisse, car le bourg voisin de Guécélard est situé sur la route royale et les quelques industries de la région, « carrières de roussard, poteries et faïenceries, » sont sur son territoire. Aussi c'est sans trop d'étonnement que nous verrons, dans les dernières années du siècle, René II et François I Trouvé être qualifiés sur les registres paroissiaux indifféremment « marchands » ou « pescheurs ». Les fonds poissonneux de la Sarthe à Fillé étaient ainsi déjà appréciés des Manceaux de cette époque. Mais, loin d'avoir l'attrait de nos contemporains pour les plai- sirs de la pêche, il s'en remettaient à des professionnels du soin de les approvisionner en poissons. Trois générations de marchands campagnards avaient rompu la famille aux affaires et la fin de l'ancien régime les verra accéder aux tâches publiques. En 1790, François I Trouvé, le grarid-père du futur ministre, est « officier munici- pal », tandis que René Trouvé son bisaïeul ou son grand-oncle est « procureur fabricien ». Eloignés de toute opinion extrême, ils rentrent bientôt dans l'ombre et ce n'est qu'en 1836 que la famille figurera à nouveau à Fillé parmi les petits notables, lorsque François II Trouvé, oncle de notre personnage, sera élu maire de la commune de Fillé-Guécélard. Les années de la Révolution avaient amené un bouleverse- ment social et économique. Ce fut certainement la raison du départ de René III, qui quitte son magasin de Fillé pour s'éta- (1) Voir art. Fillé et Guécélard, dans les Dictionnaires de Le Paige et de Pesche. Les « Trouvé » de Fillé (XVIII siècle) blir vers 1807 au Mans, dans la « rue Impériale », qui vient d'être ouverte sur l'emplacement de l'église du couvent des Minimes. Son neveu René IV trouve lui aussi trop restreint le cadre ancestral : il quitte Fillé pour s'engager comme « gar- çon tanneur » dans une fabrique de la petite ville voisine de La Suze. Un siècle de labeur obscur se termine. La famille va évoluer maintenant à un rythme plus rapide vers une nouvelle destinée.

§ II Les « Trouvé » de La Suze (XIX siècle). La Suze au début du XIX siècle. — Vie artisanale. — Les tanneurs. — René IV Trouvé, « marchand tanneur ». Son mariage. — Ses affaires prospèrent.et fils. — Société — Conseiller Trouvé-Cutivel d'arrondissement. et C — Etablissement — Société Trouvé industriel. père — La nouvelle économie. La commune de La Suze (1), chef-lieu de canton à 7 kilomè- tres de Fillé-Guécélard qui lui était rattaché, comptait envi- ron 1.700 habitants en ce début du XIX siècle. Située à 18 kilomètres sud-ouest du Mans, la « ville » est sur la rive gauche de la Sarthe. Elle communique avec un petit faubourg au moyen d'un pont de neuf arches construit « sous le règne d'Henri IV ». Sur une « motte » dominant la Sarthe, il ne reste plus qu'une portion d'une ancienne forteresse entourée de fossés, « le vieux château ». Il sert alors de mairie et de caserne de gendarmerie. A ses pieds, et dans l'axe du pont tout proche, l'église, une place où se trouve une halle en bois. A l'est, une rue qui se dirige vers le pont. Derrière la place, la rue principale, la Grande-Rue. Des petites rues adjacentes, le collège, une promenade. Voilà la « ville, » qui fut « assez vivante » autrefois grâce au commerce « d'étamines » : une fabrique du Mans y entretenait un certain nombre de métiers. (1) Voir art. La Suze, Dictionnaires de Le Paige et de Pesche. Confection d'étamines à pavillon pour la marine et filature de laine emploient encore 150 ouvriers en 1804, 250 personnes vers 1810. Tannerie, chapelleries, teintureries, briqueterie et poterie se partagent l'activité plutôt artisanale de la petite ville, avec le commerce des matériaux, sels, fer, résine, ardoise, qui a là un point de déchargement grâce au port sur la Sarthe navigable. C'est à La Suze qu'en ces premières années du siècle, René IV Trouvé vient chercher une activité qui convienne à ses vingt ans. Il entre comme garçon tanneur dans une des fabri- ques de la ville. La tannerie est à cette époque une industrie tout à fait empirique (1). Elle dépend de la vie rurale envi- ronnante et est tributaire du milieu géographique. Il lui faut la présence de l'eau, le voisinage de la forêt et l'assurance de rapports continus avec l'animal. La forêt de Longaulnaye, la Sarthe, les prairies riveraines étaient donc le milieu convena- ble pour le développement de cette industrie à La Suze. Mais là, comme partout en , elle se trouvait dans un état lamentable. En effet, les abus fiscaux de l'ancien régime, « la régie des cuirs », avaient amené, dans le dernier quart du XVIII siècle, un fléchissement de la fabrication et par consé- quence un accroissement du nombre des tanneries. Ce n'étaient plus que « des établissements minuscules, munis d'installa- tions médiocres et exploités par des artisans ne possédant qu'une technique élémentaire » ; chaque tannerie n'employait ordinairement que 3 ou 4 ouvriers. Il semble bien que telle était la situation à La Suze au début du Premier Empire. Sept habitants sont qualifiés en 1810 de « marchands tanneurs », ce qui fait au minimum quatre établissements si les Guérin (Guérin Jean, Guérin André jeune, Guérin-Montabon) travaillaient ensemble. Nous ver- rons par la suite cette situation évoluer très rapidement vers la concentration. Sous la Restauration, il ne restera plus que (1) Recherches sur l'industrie des cuirs en France au XVIII siècle et au début du XIX s., par H. Depors, Paris, Imp. nationale, 1932. « deux fortes tanneries et corroieries », et à la fin de la Monarchie de juillet, une seule qui aura pris un caractère industriel et emploiera plus de 300 ouvriers. Nous allons d'ailleurs assister à cette évolution en suivant la famille Trouvé pendant deux générations. René IV Trouvé était encore « garçon tanneur » lorsqu'il épousa, le 18 prairial an XI (7 juin 1803), Anne-Magdeleine- Louise Dorizon (1), issue comme lui de plusieurs générations de « marchands ». Les « Dorizon » étaient établis depuis presque un siècle comme « marchands sergers » à La Suze et Jacques Dorizon dit « La Ferrière », père d'Anne, était propriétaire de la maison qu'il habitait dans la Grande-Rue. Dès l'année suivante, lors de la naissance d'un premier enfant, René-François, au jeune foyer, René IV est qualifié de « mar- chand tanneur », 14 thermidor an XII (2 août 1804) ; il a 23 ans. En 1810 nous le trouvons propriétaire d'une « maison avec cour » contigüe à la maison de son beau-père dans la « Grande-Rue ». Est-ce là son établissement ? Habite-t-il déjà la « belle maison » (2) devant le château sur la place de l'Église dont son père est propriétaire? En tous cas, son éta- blissement est certainement encore « minuscule » (3). Cepen- dant d'autres naissances se suivent au foyer, un autre garçon Ariste-Jacques le 17 brumaire an XIV (8 novembre 1805), Anne-Clémentine le 29 novembre 1807, enfin Edouard le 25 février 1809. Vingt ans plus tard, sous Louis-Philippe, l'établissement primitif a prospéré. Il n'y a plus que deux tanneurs à La Suze et leurs fabriques ont profité de la réduction du nombre des (1) Anne-Magdeleine-Louise Dorizon, fille de Jacques Dorizon dit La Ferrière, marchand serger, et de Anne Lebreton, Jacques D., fils de Louis Dorizon, marchand serger (1709-1789), et de Marie Choplin. (2) Une des plus imposées de la ville. Elle comprenait 1 porte cochère et 21 portes et fenêtres (cadastre, arch. dép.). (3) A l'exception du moulin à blé et du moulin à tan sur la Sarthe, la liste d'impositions de la propriété bâtie ne signale que des maisons (cadastre 1810). établissements et peut-être aussi de la décadence des fabri- ques d'étamine, qui a mis à leur disposition de la main-d'œuvre. Aidé de ses deux fils René-François et Edouard, René IV a pu donner plus d'ampleur à son activité : la fabrique compte maintenant 174 ouvriers. Il se livre également au « commerce des bois ». C'est à cette époque sans doute qu'il construit deux bâtiments importants dans la « rue derrière l'église » et qu'il achète la grande prairie entre le château et la Sarthe. Il fait maintenant figure de notable parmi les 2.000 habitants, la plupart d'ailleurs « petits propriétaires ». Sa maison sur la place principale est classée parmi « les lieux remarquables » de la petite ville (1). En compagnie des représentants des vieilles familles de La Suze, « les Gasselin », « les Guérin », il administre le « bureau de charité ». Après la Charte de 1830, son revenu lui permet de prendre rang parmi les 66 électeurs du canton (qui compte plus de 10.000 habitants). Conseiller d'arrondissement de 1836 à 1848, il sera, à l'avènement de la Deuxième République, élu président du Comité électoral où figure son gendre Gasselin-Trouvé (26 mars 1848). Son fils Edouard l'avait quitté depuis plusieurs années pour entrer en qualité de commis de banque dans,la maison de son frère au Mans. Lui-même, après une association avec son fils aîné, abandonne peu à peu les affaires. Mais la maison continue son activité et après avoir été « Trouvé père et fils » devient la Société importante « Trouvé-Cutivel & C » qui obtient en mars 1850 à la Grande Exposition Nationale de Paris une mention honorable pour la qualité des cuirs présentés. Avec plus de 300 ouvriers, l'établissement industriel est loin de la petite affaire artisanale du début du siècle. Toute la vie éco- nomique française a d'ailleurs suivi la même évolution. Elle a quitté vers 1840 la forme à prépondérance foncière et artisa- nale, et de 1840 à 1848 les progrès se sont précipités. Nous sommes arrivés à la nouvelle économie où dominent machi-

(1) C'est la maison occupée actuellement par M. Delosières. Les « Trouvé » de La Suze (XIXe siècle) nisme et concentration. La tannerie des « Trouvé » a suivi le mouvement grâce aux qualités de ses propriétaires. Mais voici un nouveau stade de l'expansion : c'est le début du cré- dit industriel qui marquera le triomphe du capitalisme dans la deuxième moitié du siècle. Cependant avant le triomphe, il y a la lutte et, cette fois, tous les Trouvé seront vaincus. René IV est mort heureusement avant la catastrophe, le 21 octobre 1850. Victime d'événements politiques et économiques, la tannerie de La Suze sombrera en 1851 et ne sera relevée que quelques années après par des mains étrangères. L'ascension des Trouvé sera terminée. La famille aura été presque jusqu'au faîte de la puissance en France pour sombrer brusquement et disparaître. Mais, avant cet épilogue, les plus belles pages restent à voir. C'est ce que nous allons faire en suivant Ariste-Jacques, second fils de René IV. DEUXIÈME PARTIE

Ariste-Jacques Trouvé-Chauvel (1805-1883).

CHAPITRE I « Le jeune Anacharsis sarthois ». § I Naissance et enfance à La Suze. — Le collège du Mans. — Etudiant en droit à Rennes-Angers. — Ecole spéciale de commerce de Paris. — Initiation pratique aux affaires. — Maisons de commerce du Havre. d'Irlande.— Stages —dans Formation les centres libérale. manufacturiers d'Angleterre, d'Ecosse et Ariste-Jacques naquit second enfant au foyer de René IV Trouvé le 17 brumaire an 14 (8 novembre 1805). Ses premiers jeux, il les prend au milieu des enfants de La Suze et peut-être ses premières lettres au collège de la petite ville. Quarante ans plus tard, alors que préfet de la Seine il viendra passer quelques jours près des siens, « il ne pourra dissimuler le bonheur et la joie qu'il éprouve, au milieu de ses camarades d'enfance » qui lui ont réservé « une réception des plus tou- chantes et des plus fraternelles ». Mais très tôt, il dut arracher sa nature sensible aux joies familiales et aux amitiés de l'enfance. Il poursuit en effet ses études au Mans, puis successivement à Rennes, où il étudie le droit, et à Angers. Les désirs paternels ne se contentent pas encore de ce cycle déjà étendu pour l'époque. Ariste-Jacques part à Paris à « l'Ecole spéciale de commerce », fondée seu- lement quelques années auparavant (1820). Il y sera formé aux disciplines nouvelles par les maîtres de la doctrine libérale. Il en sort avec le diplôme de capacité. Les détails et surtout un témoignage personnel nous manquent sur cette période de la vie du jeune étudiant. La vie errante va continuer. Il va maintenant s'initier pendant quatre années à la pratique des affaires dans diverses maisons de commerce du Havre et puis terminer sa préparation par des stages successifs de trois nouvelles années dans les grands centres manufacturiers d'An- gleterre, d'Ecosse et d'Irlande. Nul doute que ces dernières années n'aient été décisives pour sa formation. L'étude de toutes les questions commerciales et industrielles qu'il abordera avec les hommes d'affaires d'Outre-Manche et surtout le contact continuel avec les réalisations d'une économie dont l'évolution est beaucoup plus avancée qu'en France le marqueront pro- fondément. C'est au contact de l'Angleterre libérale qu'il acquiert des principes politiques et économiques auxquels il restera constamment fidèle et pour l'application desquels il luttera contre les préjugés de ses compatriotes. § II

Ariste-JacquesTrouvé. — «Ses négociant relations en avecdraps ses », voisinsrue Royale Hélix au et Mans.Chauvel. — L'oncle— Les Chauvel. — Installation place des Halles. — « La Biche ». — M. Trouvé-Chauvel. — L'homme privé. — Son foyer. — Ses enfants. Lorsque René III Trouvé, oncle d'Ariste-Jacques et « mar- chand » à Fillé, vint s'installer au Mans avant 1807, il avait plus de cinquante ans. Confiant cependant et sans doute doué pour les affaires, il sut faire prospérer son négoce de « sel et ardoises ». Il occupait dans la « rue Royale », appelée alors vulgairement « rue des Minimes » parce que construite sur l'emplacement de l'église et de l'enclos des Minimes, « l'une des premières belles rues du Mans, percées depuis le Con- sulat » (1), une maison dont il était propriétaire et qui com- prenait : bâtiment sur la rue, avec porche en côté, cour et (1) Pesche, Dict. art. Mans. bâtiment derrière. Cet immeuble était situé sur l'emplacement occupé actuellement par les magasins des « Dames de France », aussitôt après la literie Bellin. Attiré au Mans et aidé par la présence de René III, Ariste- Jacques, de retour d'Angleterre, vint lui-aussi s'installer en 1833 rue Royale, peut-être d'ailleurs dans la maison même de son oncle, comme « négociant en gros en draps, mousselines et dentelles ». Tous les regards de la société mancelle sont fixés sur ce jeune homme de 27 ans, car la légende de « jeune Anacharsis sarthois (1) » l'a précédé. D'ailleurs le monde des affaires « qui inclinait déjà fort au libéralisme sous Charles X » le trouve d'autant plus sympathique. L'oncle Trouvé a maintenant 83 ans, et habite depuis bien- tôt trente ans la « rue Royale » ; il entretient avec ses voisins et confrères de très bonnes relations : les Hélix, négociants, qui sont propriétaires de tous les immeubles bordant la rue Royale, depuis la maison de René Trouvé jusqu'à la place des Halles (2), et qui font le commerce de quincaillerie et faïences (Jacques) et de toiles et mousselines (Charles), et avec Louis-François Chauvel, leur beau-frère. ( 1) L'abbé J.-J. Barthélémy (1716-1795), membre de l'Académie française et de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, savant archéologue et érudit, auteur d'un grand nombre de dissertations savantes insérées dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions et d'œuvres diverses, publia en 1788 (1 édition chez Debure, 4 vol. in-4°) un ouvrage qui fut réimprimé un grand nombre de fois depuis, le Voyage d'Anacharsis. « Au moyen d'un cadre simple et ingénieux, il y présentait dans un style élégant le tableau fidèle de la Grèce au siècle de Périclès » (Dict. Bouillet). Cette expression, reprise par L. Guyon d'une manière ironique, dut être suggérée à la société mancelle par l'ouvrage de l'abbé Barthélémy sans doute alors encore en vogue. Dans la bibliothèque d'une vieille famille mancelle nous avons trouvé la 3e édition (Paris, de Bure, 1790) et la 4e édition (Paris, Didot, an VII). Cette bibliothèque enfermait également L'Anacharsis Indien ou les voyages en Asie, par C.-H. de Mirval. Paris, Lehuby, 1838. (2) N° 20 actuel de la place de la République (café du Nord), n 1 à 15 de la rue des Minimes (depuis la maison Hardyau, joaillier, jusqu'à la literie Bellin). Les « Chauvel-Hélix »

(1) Louis-Jean-Baptiste Lechesne était fils de Thomas Lechesne, entrepreneur, et de Marie-Françoise Lemaître, qui se rend acquéreur, le 10 septembre 1813, du « cirque où il existe encore partie de l'excavation d'un cirque romain », près la place des Jacobins (Voir Ch. Girault, La vente des biens nationaux situés dans la ville du Mans, art. 800). Marchand dans la paroisse du Mesnil-Gondouin et âgé de 37 ans, Louis-François Chauvel est venu épouser au Mans en 1813 Françoise Hélix, jeune veuve de 23 ans. Il s'est ins- tallé dans une des maisons de la rue Royale appartenant à ses beaux-parents comme marchand de dentelles en gros. René Trouvé a servi de témoin le 14 janvier 1818, lors de la déclaration de la naissance du troisième enfant du foyer Chau- vel-Hélix. Il a vu naître, le 16 octobre 1816, Justine-Louise Chauvel et, quoique le ménage Chauvel habite à présent au 12, place des Halles, dans une maison que Louis-François vient d'acheter, René Trouvé n'a certainement pas perdu de vue la jeune fille qui a maintenant 17 ans. L'idée d'unir les deux jeunes gens germa très vite, malgré une différence d'âge (dix ans) qui nous semble quelque peu énorme mais dont déjà les parents de la jeune fille avaient donné exemple. C'est ainsi que l'année suivante se présentaient à la mairie du Mans, à huit heures du soir, le 3 avril 1834, Ariste-Jac- ques Trouvé, âgé de 28 ans, accompagné de ses parents et de ses deux frères comme témoins, et Justine-Louise Chauvel, âgée de 17 ans, en compagnie de ses parents et de ses oncles Charles Hélix, négociant au Mans, et Jean-Jacques Chauvel, rentier à Caen. Après avoir vu la naissance d'une petite Marie au nouveau foyer, le 14 mars 1835, René III Trouvé s'éteignait à l'âge de 86 ans le 12 janvier 1836. Cette disparition est-elle la rai- son qui oblige Ariste-Jacques à trouver un nouveau logement? Son beau-père qui atteint la soixantaine désire-t-il lui céder son commerce de blanc qui sera continué par Mme Trouvé- Chauvel? En tout cas, Ariste-Jacques Trouvé-Chauvel, négo- ciant et banquier, s'installe sur la place des Halles. Homme cultivé, Ariste-Jacques porte-t-il quelque intérêt au souvenir attaché à sa nouvelle demeure ? Une tradition nous l'affirme qui lui prêtera l'intention de placer sur la façade de sa maison un buste de Scarron. C'est en effet sur cet emplacement que s'élevait, au début du XVII siècle, le fameux « tripot de la Biche », théâtre d'une scène du célèbre Roman Comique. Ce « grand corps de logis, où pendait pour enseigne la Biche (1) », était déjà tombé en ruines au début du XVIII siècle (2). Vite ressuscité, le jeu de paume est victime d'un incendie en 1714 (3). « Recons- truite, elle voit son nom figurer à nouveau dans l'histoire » ; les chefs de l'armée vendéenne y tiennent un conseil présidé par l'évêque d'Agra le 11 décembre 1793 (4). L'auberge porte alors le n° de ville 1991. Elle est séparée du n° 1993 (bel immeuble qui existe encore actuellement (5), appelé alors « Bureau des Marchands » et tenu par eux à bail emphytéo- tique de l'Hopital général) par une maison (n° de ville 1792) qui figure au cadastre de 1819 sous le n° K. 374, et qui prend du même par extension le nom de « La Biche ». C'est celle-ci que Louis-François Chauvel a achetée de Jacques Bourdy, marchand. Dès 1828, Louis-François Chauvel a l'intention de démolir sa maison, vu son état de vétusté, pour la reconstruire sur le nouvel alignement. Ses voisins sont alors « Messieurs les administrateurs des hospices civils du Mans » pour l'immeu- ble de gauche, M. Ménard-Dubois, négociant, rue Courthardy, dont la maison est mitoyenne avec un magasin de Louis- François, enfin, à droite, François Granger et son épouse qui habitent « La Biche ». Il ne semble pas que Louis Chauvel ait donné suite alors à son désir de reconstruire. Henri Char- don, chez qui nous puisons ces renseignements, nous dit dans un de ses ouvrages (6) : « la maison passa au banquier Trouvé. (1) Déclaration de 1620 (H. Chardon, Scarron Inconnu, p. 193). (2) Le 15 octobre 1711, un ami du maréchal de Tessé « ne vit que les débris de la Biche ». Idem, p. 205. (3) Un incendie prit au jeu de paume de la Biche et brûla toutes les maisons depuis le couvent des Minimes jusqu'à la rue Courthardy. (4) Idem, p. 206. (5) C'est le n° 11 actuel de la place de la République. Il comprend deux magasins de chaque côté du porche (Papeterie Leroy. Maison Ory. Café des Négociants. Coiffeur). (6) H. Chardon, Scarron Inconnu, Paris, 1904, t. II, p. 208. Elle fut démolie ». Et dans un autre (1) : « le banquier Trouvé- Chauvel acheta (vers 1845) la plus grosse partie de la Biche, la démolit pour la transformer en une grande maison ». Est-ce bien Trouvé-Chauvel qui acheta la Biche? On peut en douter. En effet, Louis-François Chauvel ne mourut qu'en 1853 (2). Or, il était propriétaire de la première maison pro- che l'immeuble de l'hôpital. Comme elle ne fut démolie ainsi que l'auberge voisine de la Biche que vers 1845, il est fort probable que ce fut lui qui acheta la seconde maison. D'ail- leurs sa veuve est toujours propriétaire en 1861 (3). Quoi qu'il en soit du propriétaire, les deux immeubles sont démolis vers 1845. Sur leur emplacement sont construites « deux grandes maisons, l'une sur la place même, l'autre au fond de la cour ». La maison située sur la place et qui porte le n° 12 est occupée par le libraire-éditeur Julien-Lasnier & C tandis que Trouvé-Chauvel habite le bâtiment du fond de la cour (n° 13) et y établit les bureaux de sa banque (4). Ces maisons disparaîtront à nouveau vers 1888 pour la construction de la Bourse de Commerce (5) qui occupe ainsi l'emplacement du tripot de la Biche du XVII siècle (6). C'est vers 1837 qu'Ariste Trouvé ajouta à son nom celui de (1) H. Chardon, Nouveaux documents sur les Comédiens de campagne, Paris, 1886, p. 35. (2) Louis-François Chauvel, en quittant la place des Halles, est allé demeurer au 7 de la rue Bourgeoise (rue Jankowski). Il habitait proba- blement le vieil hôtel situé dans la cour, tandis que la « Grande Pharma- cie Dallier » s'ouvrait en 1848 dans l'immeuble sur la rue (c'est mainte- nant la Pharmacie de la Sirène). C'est là qu'il mourut en 1853. Sa veuve, avec son fils Louis, avocat, y demeurait toujours en 1861. (3) H. Chardon, Scarron Inconnu, t. II, p. 207. Le bâtiment sur la place (n° 12) est occupé alors par le café de Paris tenu par Auguste Goussut. (4) C'est sur cette façade que Trouvé-Chauvel « eut l'idée, jamais réa- lisée, de placer le buste de Scarron comme un souvenir de la vieille répu- tation du tripot de la Biche ». H. Chardon, Scarron Inconnu, t. II, p. 208. (5) Le n° 13 de la place de la République est alors la propriété de M. Malmouche Pierre, propriétaire rue du Gué-de-Maulny (La Sarthe, 23 février 1886). (6) Arch. dép., rôle 1776, fonds Esnault. sa femme. Albert Dauzat, éminent spécialiste, nous précise que c'est là un usage de certaines régions pour distinguer les frères, les cousins. Si cet usage est maintenant tombé en désuétude dans la Sarthe, il paraît fort répandu à cette épo- que. Les actes de l'état-civil, les journaux en sont témoins. A La Suze, par exemple, on cite : les « Trouvé père », « Trouvé-Freslon », et leurs alliés, « Gasselin père », Gas- selin-Guérin », « Gasselin-Trouvé », les « Guérin-Montabon ». Au témoignage de Dauzat, ce fut aussi une habitude qui se répandit chez les commerçants pour attirer les amis et les relations de deux familles. Ce fut certainement pour suivre cette habitude fort avantageuse qu'Ariste Trouvé se fera nom- mer désormais Trouvé-Chauvel. D'ailleurs ses proches lui en donnaient l'exemple, car les annuaires mettent en évidence les « Chauvel-Hélix », « Letes- sier-Hélix », « Hue-Hélix », etc. Malgré que des témoignages intimes nous manquent, il semble bien qu'Ariste-Jacques fut très attaché à son foyer. Quelques phrases parfois pleines d'émotion, échappées à l'homme politique ou à l'homme d'affaires, nous le laissent apercevoir. Dans sa profession de foi de candidat à l'Assemblée Constituante, il dit « à ceux qui ne le connaissent pas » : « Examinez ma vie et voyez qui je suis. » Envisageant le cas où il ne serait pas élu, il précise « qu'il reviendrait avec joie... au doux foyer de la famille, toujours prêt à sacrifier ma for- tune, mon repos, mes affections, ma vie pour mon pays » (1). En 1849, lorsque viendront les premières attaques et qu'il lui faudra défendre son honneur, ne dira-t-il pas à ses conci- toyens : « Ai-je en tout temps et dans toutes les circons- tances respecté et défendu la religion et la famille ? — Ai-je été violent, injuste, haineux, vindicatif, dans ma vie pri- vée ? Que la conscience publique réponde ! (2) ». Ses amis à leur tour assureront qu'il a donné à ses concitoyens « l'exem- (1) Le Courrier de la Sarthe, 2 avril 1848. (2) Le Suffrage universel, 2 mai 1849, n° 71. pie de la pureté des mœurs, des vertus privées et du senti- ment religieux » (1) et ses ennemis ne l'attaqueront jamais sur sa vie privée. Cependant les tristesses ne manqueront pas à son foyer. Il perdra sa fille à l'âge de 7 ans. Son fils (2), après avoir épousé Marie-Céleste Thiébault, mourut sans doute relativement jeune et avant son père, sa veuve se remaria en troisièmes noces, au docteur Rey (3). (1) Le Suffrage universel, 9 mai 1849, n° 74. (2) Nous n'avons trouvé à l'état-civil du Mans que la naissance, le 3 mai 1843, d'Ariste-Paul. Henri Chardon, qui attribue à tort les prénoms de « Charles-Paul » à Trouvé-Chauvel, donne les mêmes à son fils. Trouvé-Chauvel eut-il deux fils ou est-ce une autre erreur d'H. Chardon ? (Scarron Inconnu, Paris, 1904, t. II, p. 208). Mme Lemonnier, petite- nièce de Trouvé-Chauvel, se souvient fort bien d'un portrait du jeune « Paul » aperçu autrefois chez sa grand'tante Clémentine Gasselin ou apparaissait une délicieuse figure d'enfant aux cheveux bouclés. (3) Le Dr Emile Rey, né le 4 octobre 1838, fut député de Cahors et sénateur du Lot. CHAPITRE II Sous la Monarchie censitaire (1834-1848). § I

L'accumulation des capitaux et le manque d'institutions de crédit. — Projets Bérard (1804 et 1828), Trouvé-Chauvel et Sévin (1838-1839). — Obstacles politiques et administratifs. — Création de la « Caisse commerciale, industrielle et agricole de la Sarthe » (1840). — « Af- fluence des capitaux ». — « Essor donné au commerce et à l'indus- trie ». — Trouvé-Chauvel, vice-président de la Société d'assurances mutuelles, administrateur de la Banque de France. — Commandites industrielles. — Participations diverses. A son commerce de tissus en gros, M. Trouvé-Chauvel ne tarda pas à joindre les opérations de banque, c'est-à-dire à cette époque l'escompte et le recouvrement des effets de commerce. C'était, en effet, une des graves difficultés du commerce d'alors que le manque d'institutions de crédit. La Banque de France, fondée en 1800, ne pouvait rendre que de médiocres services au moyen et au petit commerce. Son action était d'ailleurs limitée à Paris depuis la liquidation de ses trois comptoirs provinciaux entre 1813 et 1817. Trois ban- ques départementales, créées en 1817 et 1818, avaient vu res- treindre leur privilège d'émission à leur seul département. De 1815 à 1820, l'accumulation des capitaux avait d'ailleurs été assez lente. Dans les années suivantes, par contre, elle s'amplifie. Les économistes se posent la question de savoir d'où procédait cette accumulation qui semble à première vue contradictoire avec le déficit de la balance commerciale ? Deux solutions ont été données à ce difficile problème. Soit que l'or et l'argent, dissimulés aux époques de trouble, sor- tent peu à peu de leur cachette, soit encore que les capitaux qui avaient émigré à l'étranger soient maintenant rapatriés. LAVAL. — IMPRIMERIE GOUPIL.

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