Antoine Watteau Inconnu Et Trahi
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ANTOINE WATTEAU INCONNU ET TRAHI out le monde sait que Jean-Antoine Watteau naquit à Valen- T ciennes le 10 octobre 1684, qu'il était malade — probable• ment tuberculeux — et qu'après un voyage en Angleterre, en 1719- 20, il mourut à Nogent-sur-Marne le 18 juillet 1721 (1). C'est à peu près tout ce que nous pouvons tenir pour certain. Mort inconnu, l'un des plus grands découvreurs de l'art occi• dental est resté méconnu, malgré les textes, trop souvent fantai• sistes ou contradictoires, de centaines d'historiens et de critiques d'art qui, depuis le Père Orlandi (1719), s'intéressèrent à son œuvre plus qu'à sa personne. Après plusieurs années de recherches dans les instituts et col• lections publiques et privées d'une dizaine de pays, nous pouvons conclure que les deux tiers des œuvres qui lui sont attribuées sont apocryphes. Certes, le cas n'est pas unique dans l'histoire de l'art. Des mil• liers d'œuvres données au Tintoret, à Paul Véronèse, à Rubens, à Vélasquez, à Francesco Guardi, à Corot et à tant d'autres, sont des toiles d'atelier ou des pastiches décents. Horst Gerson a pu récemment enlever à Rembrandt deux cents toiles, parmi lesquelles beaucoup, en effet, nous semblent abusives. (1) Gravement malade, Antoine Watteau avait reçu, dans des conditions mal connues, l'hospitalité de Philippe Lefebvre, intendant des Menus et Trésorier de la Maison royale. Le marquis de Perreuse dans sa Notice histo• rique de Nogent-sur-Marne (1854), Virgile Josz dans son Antoine Watteau, Arsène Houssaye et quelques autres pensaient que la maison de l'Intendant Lefebvre était située rue Charles VII, au n° 14 ou 16. Emile Brisson, maire de Nogent, prouva que cette maison se trouvait au n° 76 de la Grande Rue. Après Watteau, Condorcet en 1775, et Chopin en 1831, y vécurent. Le document daté du 9 février 1909, se trouve aux Archives de la Seine. 282 ANTOINE WATTEAU INCONNU ET TRAHI Mais on attribue encore à Watteau un grand nombre de dessins et de tableaux parfois caricaturaux, qui discréditent ou défigurent son œuvre. Il n'est donc pas surprenant que sa place parmi les premiers maîtres soit encore discutée. C'est contre quoi nous ne saurions protester avec trop de force. Voici un premier exemple. On attribue à Watteau une quarantaine de dessins de Fontaines, que l'on peut voir au National Muséum de Stockholm. Us sont de Gilles-Marie Oppenordt. Le conservateur de ce beau musée, le Dr Cari Nordenfalk, en convient volontiers, à présent. Si Oppe• nordt ne peut être comparé à Watteau, c'est cependant un très bel artiste, qu'il est injuste de dépouiller des Fontaines, gravées d'ailleurs par Gabriel Huquier d'après Oppenordt, et de son vivant. Cette fausse attribution — comme tant d'autres — est sans doute fondée sur certains détails n'ayant rien à voir avec le dessin pro• prement dit. Un autre spécialiste des dessins wattesques, le Dr. Martin Ei- delberg, nous écrivait récemment : « Malheureusement, la qualité n'est pas toujours un facteur déterminant lorsqu'il s'agit des œuvres de jeunesse de Watteau, bien que j'estime que son style n'ait pas été aussi élastique qu'on voudrait nous le faire croire. » En fait, Martin Eidelberg est d'accord avec nous pour mettre en doute l'attribution à Watteau de certains dessins, grâce auxquels on prétend authentifier des tableaux comme les Petits Comédiens du musée Carnavalet, probable satire gillotesque contre le cardinal Dubois et la Tencin. D'autres critiques, considérant des tableaux « de même épo• que », tiennent le maître de Valenciennes pour « inégal ». Cette inégalité n'apparaît que si l'on accepte comme étant de Watteau les copies et les pastiches qui lui sont attribués par ignorance, ou pour des raisons commerciales. Le mystérieux Watteau La chronologie des originaux du maître, et surtout le classe• ment des œuvres d'atelier, présentent, il est vrai, de sérieuses difficultés. Tout serait plus facile si l'historien d'art ne se trouvait continuellement en présence de dessins et de « répliques » authen• tifiés par des fables, si Jullienne, le prétendu « fidèle amy », n'avait fait commerce de toiles, achevées ou non, si, surtout, la vie de cet artiste incomparable n'était aussi mystérieuse. Ce que nous en savons grâce à YAbecedario pittorico du Père ANTOINE WATTEAU INCONNU ET TRAHI 283 Orlandi, à quelques lettres de Crozat, à la Notice nécrologique publiée par Antoine de La Roque dans le Mercure de France en 1721, à l'Abrégé de sa vie par Jean de Jullienne (1736), aux Notes de Gersaint et de Mariette (1744), grâce enfin à l'étrange Eloge de Caylus, prononcé devant l'Académie en 1748, est extrêmement som• maire, parfois inexact. La façon de vivre d'un artiste peut être négligée par ses con• temporains pour diverses raisons. Ou bien sa vie privée est déplo• rable, ou bien elle ne présente guère d'intérêt. Les historiens ont accepté cette dernière hypothèse à propos de Watteau. Cependant la lecture attentive des textes anciens, ceux de Gersaint et de Caylus en particulier, ainsi qu'un certain nombre d'observations, nous permettent d'en proposer une troisième. Watteau était absolument désintéressé : tous les témoignages concordent sur ce point. Il est donc peu probable qu'il se soit rendu à Londres pour y faire fortune en vendant ses tableaux. Il est plus invraisemblable encore de supposer qu'il ne fit ce voyage que pour consulter à Londres le Dr. Richard Mead et se soigner. Il est vrai que Mead était alors le premier médecin d'Angleterre, qu'il avait étudié en Hollande et en Italie, qu'il avait commencé de collectionner œuvres d'art et livres. Mais les tableaux qu'il passe pour avoir commandés à Watteau, le Dernier Vaudeville et un Amour paisible gravé par Baron, par exemple, sont rien moins que convaincants. La collection du docteur étant fameuse certains eurent intérêt à accréditer la fable de Mead « médecin et mécène » de Watteau. En fait, le voyage de celui-ci à Londres coïncide curieusement avec l'avènement comme Grand Maître de la Franc-Maçonnerie de Rite écossais de lord Montagu, fils de l'ancien ambassadeur d'Angleterre à Paris. L'ambassadeur avait été l'authentique mé• cène de Charles de La Fosse, qu'il avait emmené à Londres en 1690 et 1692. Devenu directeur de l'Académie en 1699, La Fosse passe pour y avoir accueilli Watteau, qui travailla avec lui chez Crozat. Or, certaines inscriptions déchiffrées par Jeannette Saint- Paulien ( 1 ) semblent prouver que Watteau, Spoëde, Hénin, Laurent Cars, entre autres, faisaient partie d'une association secrète. Il s'agissait probablement d'une loge opérative, respectant certaines traditions de la vieille corporation de Saint-Luc : ces ateliers (1) L'examen attentif des œuvres de Watteau réserve de grande surprise. D'éminents spécialistes affirment par exemple que Watteau n'a signé aucune de ses œuvres. Il suffit de regarder le Pèlerinage pour Cythère pour se convaincre du contraire. 284 ANTOINE WATTEAU INCONNU ET TRAHI n'avaient pas complètement disparu, comme certains le croient, au début du xvnp siècle. On oublie aussi que, dès le début du siècle, des Français s'affi• lièrent aux Loges du vieux Rite d'York, d'obédience ultra-catholique et dont Jacques II Stuart, qui fit retraite à la Trappe de Rancé, était le Grand Maître. La cause de la restauration des Stuart sur le trône d'Angleterre fut soutenue en France, jusqu'à ce que le Régent et Dubois eussent renversé les alliances, par la Banque Crozat. Quant à la Papauté, c'est seulement en 1738 qu'elle con• damna la Franc-Maçonnerie, sous Clément XI. Ce dont nous sommes sûrs, c'est que Watteau était un homme très secret, changeant sans cesse de domicile « afin de dépister les fâcheux », ou pour d'autres raisons, peut-être politiques. De 1713 à 1717, il a pu faire le tour de l'Europe sans que nous en sachions rien. D'autres problèmes concernant ses disciples et compagnons sont à peine évoqués. Us n'ont pas été résolus. Son premier maître parisien, Claude Gillot (1673-1722), les Fla• mands Spoëde et Vleughels, Lajoue, Lancret, Pater, Boucher — avant son séjour en Italie —, le jeune Etienne Jeaurat lui-même, ont pu collaborer avec lui, ou tirer parti d'esquisses, d'ébauches, de dessins, de gravures dont il était l'auteur. Jean-Jacques Spoëde naquit à Anvers, probablement en 1680, et mourut à Paris le 26 novembre 1757. Professeur à l'Académie de Saint-Luc, puis recteur de cette compagnie, il exposait en 1725 en compagnie d'Oudry et de J.-F. de Troy. Sa dernière exposition date de 1753. Durant plus de cinquante ans, il peignit des cen• taines de tableaux, sujets pseudo mythologiques, animaux, scènes militaires et de la Commedia dell' Arte, etc. Il connut sans doute Watteau avant que ce dernier n'entrât chez Gillot, et il ne nous semble pas douteux qu'il ait peint à la manière du maître pour le marchand Tramblin, spécialisé, avec Derais et quelques autres, dans la fabrication et le commerce de toiles du « genre Watot ». Où sont les toiles de Spoëde ? Où sont ses dessins ? C'est sans beaucoup d'enthousiasme que les catalogueurs ont répondu à ces questions. On ne comprendrait pas qu'ils aient oublié de se la poser. Découverte de deux chefs-d'œuvre de Watteau Nous avons retrouvé deux œuvres disparues de Watteau, l'une sur bois, que nous avons intitulée Don Juan, l'autre sur toile, le Vielleur, toutes deux appartenant à une collection privée. Elles sont d'une grande importance artistique et historique.