Manuel Matamoros. Itinéraire Photographique
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1 MANUEL MATAMOROS ITINERAIRE PHOTOGRAPHIQUE Philippe CHAREYRE A la fin de l’année 2012, le CEPB s’est tographe local qu’aux personnages repré- porté acquéreur auprès d’un vendeur spé- sentés, et comprenant notre démarche, a cialisé dans les photographies anciennes, courtoisement proposé de nous revendre à d’un lot de « photographies-cartes de vi- prix coûtant les cinq photographies qu’il site » en grande partie dédicacées ayant avait précédemment acquises. Le CEPB appartenu à l’évangéliste espagnol Manuel possède donc actuellement 169 photos sur Matamoros (1834-1866) qui, malgré une les 251 du fonds mis en vente. Fort heu- vie très courte, connut en son temps une reusement, en raison de la vente au détail très grande renommée dans le monde pro- sur internet, l’ensemble avait été reproduit testant. Ce lot à l’origine homogène était et était encore disponible en ligne. Nous en train d’être vendu au détail depuis le avons donc pu récupérer ces 82 reproduc- mois de janvier ; le CEPB a donc négocié tions qui, quoique d’une qualité médiocre, un prix global dont il n’a pu s’acquitter permettent d’avoir un aperçu général de que grâce à une souscription qui a permis l’ensemble. de couvrir la plus grande partie des frais d’acquisition. C’est donc grâce à ces géné- Ce lot ne constitue toutefois qu’une reux donateurs que ces photos sont dépo- partie de ce que fut la collection de Ma- sées aujourd’hui dans notre collection de nuel Matamoros. En effet, un document documents aux Archives départementales d’archive qui souligne l’attachement de des Pyrénées-Atlantiques sous la cote 60J l’évangéliste espagnol à ces photogra- 649, et que ce bulletin spécial a pu voir le phies, donne des indications chiffrées jour. beaucoup plus importantes. En 1863, trois ans avant sa mort, ce nombre s’élevait déjà à 300 ce qui permet d’estimer au plus bas HISTOIRE D ’UN FONDS la perte à 49. Parmi celles qui nous sont parvenues, aucune de celles qui sont da- L’intégralité du fonds mis en vente tées n’est postérieure à juillet 1865, c’est-à- était de 251 photographies. Le CEPB a pu dire un an avant sa mort. Il convient donc en acquérir 164 car malheureusement une de rajouter aux 49 manquantes, non seu- partie non négligeable d’entre elles, soit lement toutes celles qui auraient pu être 87, avait déjà été vendue au détail sur un acquises avant l’échange de courrier avec site d’enchères sur internet à des Français, Casalis, mais aussi celles qui ont été per- mais aussi des Suisses et des Hollandais. A dues à partir de cette date et notamment l’occasion de l’achat, le vendeur a très ai- au cours de la dernière année de sa vie. mablement accepté de demander aux pré- Des personnages que Matamoros connais- cédents acquéreurs de nous contacter afin sait parfaitement bien ne figurent en effet que nous leur présentions une offre de ra- pas dans ce fonds, comme Joseph Nogaret, chat. Un seul a répondu, un collectionneur Jacques Reclus, Alphonse Cadier, Abra- bergeracois qui, s’intéressant plus au pho- ham Capadose, Louis Bridel ou bien 2 même sa propre mère. Il y en a donc sans doute encore bien d’autres, de person- nages moins connus. Les photos-cartes ou portraits-cartes sont le fruit de deux inventions récentes. La première est celle en 1850 de l’impression à l’albumine qui permet de fixer les éléments photographiques chi- miques sur une feuille de papier. La se- conde est celle en 1854, par Eugéne Disdéri (1819-1883) ou selon certains par le mar- seillais Louis Dodéro 1 du procédé consis- tant à placer plusieurs objectifs sur un ap- pareil photo, permettant ainsi de repro- duire autant d’images sur la plaque néga- tive qu’il y a d’objectifs. Les photographies étaient ensuite découpées, puis collées sur une plaque de carton de 10,5x6,5 cm, d’où le nom de carte de visite. Abaissant consi- dérablement les coûts de fabrication ainsi que la taille des photographies, cette tech- nique permet une diffusion considérable des portraits portatifs qui rencontrent très rapidement un énorme succès jusqu’au début du XX e siècle. Ces cartes sont d’abord très prisées par les militaires et les ecclésiastiques, mais très rapidement, l’usage d’offrir un portrait à sa famille et à ses amis en généralise l’usage. Un réseau d’artistes peintres se convertissant à la CEPB, 60J 60/21 photographie, comme Subercaze à Pau, trouve un nouveau moyen d’expression Matamoros, contemporain de cette in- pour un public plus large et contribue à novation, lui a manifesté un vif intérêt, cette mode. non seulement car, incessant voyageur, Par les formes des représentations, vê- elle permet non seulement de conserver la tements, décors, pose, composition, et par mémoire de sa famille et de ses amis, mais les dédicaces qui les accompagnent par- aussi d’afficher les noms et les visages de fois, les « photographies-cartes de visite » ses hôtes, et de ceux qui le soutiennent sont donc aujourd’hui de véritables objets dans son combat pour la liberté de cons- d’histoire relevant de la documentation cience en Espagne. C’est sans doute pour privée au même titre que les correspon- cela qu’il demande à l’automne 1863 à Eu- dances, et le présent lot de par sa taille ap- gène Casalis de lui trouver des cadres porte un témoignage exceptionnel des pra- pour les afficher. Estimant qu’il en fau- tiques de ce temps. Ainsi la collection Ma- drait environ une dizaine pour tous les tamoros revêt une importance toute parti- présenter, celui-ci préfère, connaissant ses culière. difficultés financières, lui conseiller de les rassembler dans des albums présentant le 1 François Boisjoly, La Photo-carte. Portrait de la double avantage d’être d’une plus grande France du XIXe siècle , Lyon, éd. Lieux Dits, 2006, contenance et surtout moins chers : 160 p. 3 « Je désirais m’assurer de ce que coû- d’albums. On ne sait rien sur le nombre to- teraient les cadres que demande Matamo- tal d’albums qu’a pu posséder Matamoros, ros. Je n’ai pu sortir courir les boutiques en plus de ces trois initiaux. En effet, les que hier. Le pauvre homme risque de se photographies mises à la vente avaient été ruiner avec ces 300 cartes de visite. On initialement achetées en vrac dans une demande 30 F pour les cadres les plus brocante parisienne, peut-être parce que le simples offrant place pour 32 portraits & vendeur estimait faire davantage de profit 45 pour les cadres où se trouvent déjà pré- en proposant celles-ci séparément de leurs parées les cases destinées à chaque carte. contenants actuellement très recherchés. Je ferai l’achat, s’il le faut, mais je conseil- L’acquisition de ce fonds apparaît lerais plutôt l’acquisition de [sic] albums maintenant d’autant plus importante au portatifs. On en a à 10 F qui peuvent loger regard de l’attachement que son proprié- 100 portraits. »1 taire initial lui a porté. Ce corpus, bien qu’incomplet, est également suffisant pour être représentatif du parcours de Manuel Matamoros depuis ses années de prison à ses derniers jours à Lausanne. Il livre une série d’informations sur ses voyages après son bannissement d’Espagne, sur les ré- seaux qui l’ont accueillis comme aussi tout particulièrement grâce aux dédicaces, sur la perception de son personnage par ses contemporains. Ces cartes sont autant de jalons de son histoire personnelle et consti- tuent une galerie de portraits de l’Europe protestante des années 1860. LES PHOTOGRAPHIES TEMOINS DES PERSECUTIONS DE MATAMOROS Les cartes ont donc été plus que les lettres destinées à un public bien ciblé, un instrument de publicité de l’expérience d’intolérance religieuse dont il avait été la victime. Ainsi, celles qu’avait conservées Eugène Casalis Joseph Nogaret, pasteur de Bayonne por- CEPB, 60J 649 tent la mention au dos : « Après 33 mois On ne connaîtra donc pas la disposi- de prison, condamné à 9 ans de galères tion et la répartition que Matamoros sou- pour le crime d’avoir répandu les Ecri- haitait donner aux différents portraits. Son tures, cette peine a été commuée en 9 ans 2 choix initial de rassembler ces tirages sur de bannissement » . Il ne s’agit pas ici de un cadre témoigne d’une conception an- reconstituer par le détail la biographie de cienne du portrait que l’on suspend au Matamoros qui ne pourrait tenir dans ce mur, mais Casalis lui conseillant une for- bulletin, mais de resituer ces photogra- mule plus économique, l’engage à la mo- phies comme témoins de son histoire et dernité qui se manifeste par la constitution révélateurs de son itinéraire et de ses ré- seaux amicaux. 1 Bibl. SHPF, Ms 1686-39. Lettre d’Eugène Casalis à Joseph Nogaret (n° 53), Paris, le 7 novembre 1863. Document aimablement communiqué par Hé- lène Lanusse-Cazalé. 2 ADPA/CEPB, 60J 64/21 4 dans la collection acquise par le CEPB, de même que le portrait de Rafael Blanco réa- lisé à Lausanne. Matamoros découvre le protestan- tisme au cours d’un séjour de cinq mois à Gibraltar en 1858 où il écoute les sermons du barcelonais Francisco de Paula Ruet (1826-1878), formé au ministère chez les Vaudois, qui vient d’être condamné à l’exil perpétuel deux ans auparavant. Alors qu’il est affecté à Séville après une conscription par tirage au sort, Matamoros est introduit dans la communauté protestante locale par le coiffeur Fernando Bonhomme qui le recommandera pour être formé par le Comité de Paris.