ENNEW COUVERTURE YORK LE RÉVEIL A l’heure où, élection oblige, tous les regards se tournent vers l’Amérique, la plus emblématique de ses cités reste un observatoire unique. Big Apple n’échappe pas à la crise, mais ne s’apitoie pas sur son sort. Elle y puise la force de se trans- former... et de s’humaniser. Plongée dans une mégalopole qui, de Harlem à , cultive plus que jamais ses villages. G. GAUDET EN COUVERTURE

CHRISTIAN MAKARIAN rebond est encore plus visible, partout, dans cet appétit inex- haque matin qui se lève tinguible de nouveauté, ces man- sur New York confirme geoires cosmopolites avides de le prodige : c’est un mi - clients, ces ouvertures tapageuses racle que tout y fonc- de concept stores, cet affaire- tionne encore, qu’on ment constant que l’on mesure Cy dispose de l’électri- au pas pressé des citadins. Le cité, de l’eau courante, New-Yorkais donne toujours l’im- de services publics, de tous les pression d’aller quelque part, il corps de métier imaginables et ne marche pas au rythme non- de toutes les denrées nécessaires chalant du Parisien, il lui faut un aux besoins boulimiques d’une objectif – si possible chiffré. population éclectique de 9 mil- Ce n’est donc pas à un grand lions d’âmes. Nulle part ailleurs distributeur de providence que on n’y parviendrait en mainte- les habitants ont confié le redres- nant une telle poussée, une telle M. SEGAR/REUTERS sement de leur ville. Il revient à impression de puissance, un tel bassinscreusés à l’emplacement MÉMOIRE Onze ans Michael Bloomberg de veiller bourdonnement créatif, un tel précis où se trouvaient les Twin après les attentats, aux hallucinants comptes et vertige. New York, métaphore Towers. La race des architectes une foule afflue mécomptes publics, aux équili- monumentale de la destinée audacieux a toujours carte blanche chaque jour pour se bres sociaux et ethniques, mais humaine : tout y est en équilibre à New York. A la place des tours recueillir à Ground aussi à la sécurité et à la propreté instable, mais tient toujours jumelles, ces deux précipices Zero, devant les deux d’une mégalopole dont le tissu debout et ne cesse de croître, on géométriques engloutissent dans bassins creusés ne cesse de se transformer, de se ne sait comment. Ce n’est pas tant leurs profondeurs les flots d’eau à l’emplacement rapiécer, de se rebroder. Plus qu’un le gigantisme qui nous fascine continus qui dévalent le long des Twin Towers. paradoxe, la figure de Bloomberg que le défi incessant lancé par de leurs parois granitiques, sym- est une sorte de provocation pour cette Babel intrépide, que des bole d’une descente aux enfers, les sympathisants du grand sit- fous de Dieu ont voulu dévaster. mais aussi d’un Niagara urbain in contestataire « Occupy Wall La plus orgueilleuse des cités dont l’énergie blanche rappelle Street », lancé avec un succès garde, certes, la trace du projet que la vie est une force. foudroyant en septembre 2011. apocalyptique de 2001, comme Premier magistrat de la ville de- en témoigne le pénétrant et si La crise puis 2001, deux fois réélu pour sobre mémorial dédié aux vic- est partout perceptible un mandat de quatre ans, il est times du 11 septembre. Mais, plus New York n’a guère de complai- aussi la vingtième fortune mon- qu’à la désolation, Ground Zero sance envers elle-même et refuse diale. Démocrate au départ, puis est désormais un espace dévolu obstinément la victimisation. républicain, il s’est fait le cham- à la méditation, malgré le va-et- Une leçon. Les victimes sont doré- pion des péages à l’entrée de Man- vient incessant des bétonneuses navant celles de la crise, toujours hattan, le principal planteur d’es- qui s’activent tout alentour à plus nombreuses, mais qui vivent paces verts des Etats-Unis, le ériger de nouvelles termitières chacune leur propre destin dans grand réducteur des émissions humaines. On y achève la tour la jungle de la débrouille. Au de dioxyde de carbone, le pour- d’acier et de verre qui accueillera hasard de la promenade, il n’est fendeur des fumeurs dans les parcs le groupe de presse Condé Nast, pas rare, à vrai dire, que l’on croise publics, le chef de la croisade dont les publications portent la une vieille dame noire en haillons, contre les fast-foods et les dis- marque même de l’esprit new- errant entre les façades lisses tributeurs de sodas… Sa déme- yorkais, mélange de foire et de des banques, à la recherche d’un sure est à l’image de la ville dont vanités; les autres édifices sor- relief de nourriture abandonné il conduira les destinées jus- tis de terre récemment sont dévo- sur un pas de porte, ou un homme qu’en 2013. Mais Bloomberg a lus aux énièmes sociétés de ser- de bonne mise, subitement déchu, déplacé les lignes; ce n’est pas vices financiers. Les médias et la qui n’a pas besoin de s’adresser EMMERT/AFP D. lui faire justice que de s’en tenir finance, soit Remus et Romu- à vous pour vous apitoyer. La crise PARADOXE à la caricature. L’homme est aussi lus tétant les mamelles de la louve est partout perceptible et, à maints Le maire de la ville, un formidable repreneur de muni- . Le choc post-trau- égards, la faillite de Lehman Bro- Michael Bloomberg. cipalité. Sous son impulsion, les matique de « Nine Eleven » se thers, en septembre 2008, a laissé Cette figure du écoles publiques sont en train de lit davantage sur les visages des sur les visages et les fronts, sou- capitalisme est redorer leur blason, les services foules émues, venues du monde vent plissés, des marques plus également à l’origine sociaux ont été développés, une entier, qui déambulent en silence visibles que l’attaque du World d’une mutuelle pour mutuelle a été instituée pour les autour des deux impressionnants Trade Center. Il reste que le les plus pauvres. plus pauvres, des food stamps ●●●

58 I24 OCTOBRE 2012 I L’EXPRESS N°3199 BARS D’HÔTELS LA FIÈVRE et le Boom Boom Room (hôtel the Standard) CLARMONT ballroom de l’hôtel The Jane Hotel JAZZ CLUBS ton DU BLACK Washing TriBeCa Grand Hotel Shrine Bridge WASHINGTON HEIGHTS Electric Room (Dream Hotel) Lenox Lounge (Quisqueya Heights) 6 Le nouvel hôtel Standard 9 L’Apollo Theater FRIDAY Columbia BRONX Presbyterian SPEAKEASIES, BARS Hospital (Please Don’t Tell) NoN Name Bar ux Etats-Unis, le dernier Winnie’s KinfolfK Studios jeudi de novembre est la 12 Lit Lounge 17 Moto WOODSTOCK 13 Lucy’s 18 BBar Bruno fête familiale par excel- HAMILTON 14 Doc Holliday’s lence. Plus encore que HEIGHTS A RESTAURANTS Pâques et Noël. A l’origine, Hamilton Terrace MOTT HAVEN ChezC Lucienne Pulqueria Thanksgiving commémore le repas CornerCoC Social Lovely Day que les pères pèlerins, premiers

n Sylvia’sSyy Harlem Restaurant MissionM Chinese Food 7 e HARLEM immigrants dans ce Nouveau Len L Lenox Av. Lenox Le Red Rooster M.M Wells Dinette au PS1 g 32 Monde, prirent en commun pour Convent Av. 9 AcmeA NhaN Toi LaL taqueria Super Linda 33 PizzaP Moto remercier Dieu et les Indiens

F. Douglass Blvd. F. Douglass TheTh Spotted Pig 34 DinnerD LITTLE EAST 35 de leur avoir permis de survivre Columbia University HARLEM LesLe Enfants terribles La Superior 42 27 Miss Lily’s 36 Samurai Mama à leur premier hiver. Aujourd’hui, MORNINGSIDE HEIGHTS SNACKS, AUTRES si la dimension religieuse a pra- 37 tiquement disparu, il n’est pas TheT Commodore 44 38 Mast Brothers Chocolate interdit de faire œuvre de cha- CENTRAL 39 PARK rité. En invitant une personne HUDSON 40 seule à sa table ou, plus rarement, RIVER 41 42 LesLe Ambassades WytheW Hotel dans un restaurant ouvert en Guggenheim 49 Nitehawk Cinema Museum 43 Bakeri ce jour férié. Pour déguster la tra- Metropolitan ditionnelle dinde à la sauce à la UPPER Museum WEST SIDE of Modern Art QUEENS canneberge, les patates douces ASTORIA UNION UPPER et la tarte à la citrouille, les plus CITY EAST SIDE fortunés peuvent tenter le Sea MANHATTAN Grill du Rockefeller Center, le Porter House New York de Colum- Quennsboro SUNNYSIDE THEATER Bridge bus Circle ou le Water Club. Le DISTRICT Candle Cafe, en revanche, reste 5 31 Queens surtout indiqué pour les végéta- Midtown riens. Quant au Ted’s Montana Times Square Tunnel 32 Lincoln Tunnel ek Nat Grill, il n’est pas nécessaire d’y MIDTOWN Cre ur to e W w alk effectuer une réservation. 3 e Empire N State Building Le lendemain, Black Friday EAST GREENPOINT marque le premier jour du shop- RIVER 38 ping de Noël et de ses incroya- 13 15 bles soldes. Presque tous les Unionn SquSSqSquarea 48 GREENWICH magasins de Manhattan et des VIVVILLAGEI 6 43 1 14 45 boroughs sont ouverts parfois 25 même dès 4heures ou 5heures 39 47 27 du matin. Attention, les New-Yor- 2 BBROOKLYN 30 29 rgg TTRIANGLE kais n’hésitent pas à faire la queue Williamsburgurgur l Tunne LOWER Bridge en pleine nuit. On peut se risquer Holland à une visite, par exemple, aux 28 26 M 24 anha boutiques du West Ridge Mall, Br idgettan qui attendent les clients à partir Ground Zero de minuit. Chez Barney’s et Bloo- Brook Charter Bridgelyn JERSEY School mingdale’s, tous les articles, chics CITY FINANCIAL BROOKLYN BROOKLYN et chers, ne sont pas en pro- DISTRICT HEIGHTS motion, mais ces établissements valent de toute façon le détour. Tout comme les très middle class 1 km et néanmoins incontournables Fond de carte : © les contributeurs d’OpenStreetMap 18 Macy’s et Walmart. ●

N° 3199 L’EXPRESS I 24 OCTOBRE 2012 I 59 EN COUVERTURE NEW YORK BALADE LE LONG DE L’HUDSON RIVER

’est une façon inédite d’aller à la rencontre de New York que de se promener Cdans ce parc de 250 hec- tares. A pied ou à vélo, on longe l’Hudson sur 8 kilomètres. Démarrer au nord, à la 180e Rue, permet d’admirer de plus près le fameux Washington Bridge et les rives encore un peu sauvages de ce vaste fleuve. A la 158e Rue, B. MCDERMID/REUTERSB. drôle d’ambiance, avec ces voies ●●● (coupons alimentaires muni- UNITÉ Séance un antidote à l’anonymat, à la de chemin de fer en activité qui cipaux) sont distribués, un de yoga lors du solitude, à la crise. Prodigieuse jouxtent des aires de pique-nique. numéro d’urgence (le 311) per- coucher du soleil, addition de villages, parfois consti- On y rencontre le dimanche les met à tout citoyen de se plaindre au pied du pont tués de deux blocs d’immeubles, Dominicains et leur bonne humeur. d’un quelconque dysfonction- de Brooklyn, au bord empilement de traditions et de Plus on descend, plus les joggeurs nement municipal et d’obtenir de l’East River, folklores qui se contentent d’un ont le look bobo ; les chiens et une intervention rapide. le 11 septembre 2012. coin de rue. Chaque quartier leurs propriétaires font, eux, très paraît vivre dans l’autosuffisance. upper class. Les quadrupèdes peu- Chaque quartier paraît vivre La ville offre à tous les citoyens vent d’ailleurs détendre leurs pattes dans l’autosuffisance du monde la possibilité de s’en- dans trois endroits réservés. Amé- Dans cette ville où, pour la plu- raciner en un temps record et de rique oblige, tout est prévu : ins- part des gens, l’indemnisation du trouver tout ce qui leur est néces- tallations pour enfants, dont un chômage est limitée à six mois et saire à deux pas de chez eux. Dans minigolf, magasins où acheter des plafonnée à 500 dollars mensuels, un livre devenu mythique, Here journaux et des crèmes solaires, on ne se plaint pas, on s’exprime. Is New York, publié en 1949, l’es- comme de nombreux restaurants. « Occupy Wall Street » a libéré sayiste Elwyn Brooks White écri- Des œuvres d’art sont parsemées la parole, plus débridée que jamais, vait : « La ville se doit d’être tolé- sur ce parcours qui fait face au et a opéré une transformation rante, autrement elle exploserait New Jersey. Déjà un spectacle en notable : on ne désigne plus les dans un nuage radioactif de soi, surtout par une brumeuse pauvres du doigt, comme on le haine, de rancœur et de bigo- journée d’hiver. ● faisait naguère en les considérant terie. » « Les générations se sont comme responsables de leur ruées à travers le chas d’une situation, mais on dénonce les aiguille », ajoute magnifique- en ridiculisant l’Amérique bi- abus des riches. Lesquels font ment le Nigérian Teju Cole, dans gote des prêcheurs de pacotille désormais attention à la dépense, son premier roman, Open City – l’allusion au républicain mormon y compris dans les bijouteries les (Denoël), publié cette année. Mitt Romney est fortuite, elle n’en plus fameuses de la 5e Avenue. Belle lignée de talents de plume, est que meilleure. Cet univers est Signe des temps, la salle à manger jamais démentie, jamais éteinte. le nôtre. C’est à Manhattan que du Stock Exchange – la Bourse – Le résultat est inégalable : l’aris- DSK est sorti de la scène politique n’est plus en activité ! La pression tocrate trouve ses aises, le pro- et que Nicolas Sarkozy a effectué subie par les classes moyennes létaire pakistanais reconnaît les sa rentrée médiatique. engendre de nouveaux réflexes siens, le citoyen du monde reprend N’en doutez pas, les entrailles d’entraide, de voisinage solidaire, confiance. Nous pourrions tous de New York abritent encore de regroupement d’intérêts. New être new-yorkais et rire du monde quelques scandales en prépara- York reprend de l’humanité et entier depuis Broadway, où le tion, quelques monstres en ges- cultive, plus que jamais, le réflexe désopilant musical, The Book tation. Il n’empêche, on s’y presse de groupe – ethnique, religieux, of Mormon (Le livre de mormon) pour se faire peur, on s’y rue parce sociologique, local –, conçu comme fait un malheur depuis des mois qu’on l’aime. ● C. M.

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plus chers avec Hamilton Heights. Mais cela n’a pas empêché, en août dernier, certains de leurs amis d’être « bouleversés » par le déménagement. « Ils se sont HARLEM demandé comment nous pou- vions envisager une telle chose », raconte cette authentique Wasp, Le quartier qui fut tout en jetant un regard à John pour obtenir son approbation. Il le refuge des déshé- GHETTO sourit. Autour d’eux tout respire rités est en pleine le calme, l’aisance. Au mur de leur trans formation. Après living-room, une petite toile de Braque et, au sol, une autre attend l’élite noire, nombre DE d’être accrochée. Il leur reste de Blancs s’installent. encore quelques travaux à effec- tuer, les ouvriers s’en chargent. Profitant de prix plus Jamais dans les années 1960, abordables et d’un lorsqu’elle étudiait l’archi- BOBOS tecture à Columbia, elle n’avait nouvel art de vivre. osé descendre 100 mètres plus bas, dans « ce coin vraiment « oyons honnêtes, nous Pourquoi, passé la soixantaine, horrible », confie-t-elle encore. sommes fauchés. Ici le une architecte qui a bien réussi A l’époque, et plus encore dans loyer reste cher, mais, et un mari écrivain vendent-ils les années 1970 et 1980, peu de au moins, il est raison- un appartement dans le très chic Blancs se risquaient vraiment nable. » Installée dans Chelsea pour prendre leurs dans le « hood » – l’abréviation Sle salon cossu de son quartiers à Harlem? Certes, leur de « neighborhood » utilisée dans cinq-pièces, pompeu- nouveau domicile est situé sur le ghetto de Harlem –, sous peine sement rebaptisé « penthouse » Frederick Douglass Boulevard, à de revenir dépouillés, blessés. par les promoteurs, Leslie lâche South Harlem, actuellement l’un Ou de ne pas revenir du tout. les mots censés tout expliquer. des coins les plus en vue et les Désormais, tout a changé.

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Mc MANNUS GTX®

RESTAURATION De fait, Harlem, capitale uni- marginaux. Selon le dernier Page de gauche : verselle du monde noir, creuset recensement, entre 2000 et 2010, symboles de l’identité black, est en pleine leur proportion est passée du nouveau révolution. En pleine boboïsa- de 2 % à 9,8 %. Harlem, tion. Ici, on appelle cela la « gen- les fameuses trification ». Ce mot anglais (de « Il faut remercier l’ancien brownstones, gentry), qui signifie « petite maire. Il a tout nettoyé » ces maisons noblesse », désigne l’arrivée Cette migration continue et les de ville d’une middle et upper middle class, transformations qu’elle entraîne rénovées en l’occurrence dans le sud et dans des territoires historique- et investies l’ouest de Harlem. C’est elle qui, ment noirs sont vécues par cer- par la jeune année après année, s’installe tains Afro-Américains comme bourgeoisie dans les superbes maisons de une défaite culturelle et éco- dans les ville appelées « brownstones » de nomique. C’est pourquoi ils refu- années 1990. Convent Avenue et de Hamilton sent souvent d’employer le mot Ci-dessus : Terrace, les immeubles luxueux de « gentrification », dont la le Red Rooster de Central Park North ou les buil- connotation est raciale et sem- accueille dings refaits de Frederick Dou- ble désigner leur relégation. depuis 2010 glass Boulevard, de Lenox Ave- Pourtant, c’est avec une classe une clientèle nue et des rues adjacentes. Ces noire aisée que le phénomène qui reflète Harlémites sont célibataires, a commencé au milieu des la diversité – et vivent en couple ou en famille, années 1990. Vingt, voire trente le train de vie – qu’ils soient étudiants, artistes, ans après avoir quitté en masse de la population musiciens, écrivains, analystes à le ghetto, une bourgeoisie jeune du quartier. Wall Street ou encore politiques et dynamique y revient. Elle – Bill Clinton y a installé des retape les maisons et les appar- REPORTAGE bureaux en 2001. Blancs pour la tements, obtenus parfois pour PHOTO : plupart, les nouveaux résidents une bouchée de pain. Dans cer- SCOTT forment par endroits presque tains blocks en effet, la ville vend HOUSTON/ un tiers de la population, là où des brownstones à... 1 dollar, à POLARIS POUR auparavant ils n’étaient qu’une condition de les rénover et L’EXPRESS poignée, voire complètement de les habiter. Pour rendre ●●● www.gore-tex.com EN COUVERTURE NEW YORK

transports publics et qu’il est très vivant : on y trouve des restau- rants, des galeries d’art et même des magasins de vélos! Nous louons essentiellement à des étu- diants, des artistes, des jeunes diplômés, dont de 60 à 70 % res- tent sur place une fois leur car- rière démarrée. » Car, à leurs yeux, Harlem cumule des avantages non négligeables : des prix compéti- tifs et une vie nocturne trépidante. Jazz session au Shrine ou au Lenox Lounge, spectacles d’impros au mythique Apollo Theater, dîner chez Lucienne, au Corner Social, au Sylvia’s Harlem Restaurant ou, plus modestement, dans un petit boui-boui qui sert de la soul food; les noctambules n’ont que l’em- barras du choix. D’autant que, pra- tiquement chaque mois, de nou- veaux lieux se créent. ●●● leur offre plus attrayante VITALITÉ « C’est très simple, explique Alex Mais si cette effervescence en encore, les autorités munici- Des habitants Friedman, cofondateur et direc- séduit beaucoup, c’est plutôt pales développent pour ces attendent l’ouverture teur de la société d’investissement l’aspect environnemental qui futurs contribuables des infra- des portes d’une immobilier Sugar Hill Property convainc les familles de s’expa- structures et des services. Des toute nouvelle Fund. Actuellement, le marché en trier plus au nord. Avec ses immeu- arbres sont plantés, des trot- agence bancaire. dessous de la 96e Rue, la limite bles construits durant la fin du toirs élargis et les rues éclairées Un signe positif. entre Harlem et Upper West Side, XIXe et la première moitié du XXe siè- la nuit. Peu à peu, Harlem devient de moins en moins abor- cle, dont plus de 700 se retrou- reprend vie. De grandes chaînes dable pour les jeunes et les classes vent classés au patrimoine his- nationales comme Gap, Star- moyennes. Louer un trois-pièces torique et architectural, ses bucks ou Rite Aid s’implantent revient environ à 3 400 dollars bâtiments qui ne dépassent pas ici et là, de petits commerces par mois (soit 2 597 euros). A Har- cinq ou six étages et qui donnent ouvrent, comme en 2002 la bou- lem, on trouve le même produit des appartements plus lumineux langerie francophone les Ambas- pour 1 600 ou 1 700 dollars par qu’à downtown, ses vastes espaces sades : « Le climat avait soudain mois (soit 1 200-1 300 euros). verts, ses rues vivantes, Harlem changé, se souvient son gérant, S’ajoute à cela le fait que c’est offre un cadre qui semble accueil- Jean Ahmadou. On pouvait mar- un quartier bien desservi par les lant aux couples avec enfants. cher tard le soir sans avoir peur de se faire agresser. Il faut remer- cier Rudolph Giuliani [le pré- cédent maire], il a fait le boulot, il a tout nettoyé. Cela a drainé une population qui travaille et aspire à la tranquillité. Ici, le dimanche, les gens s’habillent, vont à l’église et font des barbe- cues. » Ce retour à une certaine sécurité plaide alors en faveur du quartier, qui devient une alter- BUSINESS A la fin native envisageable pour des des années 1990, New-Yorkais célibataires ou en en s’implantant famille qui ont du mal à se loger dans Harlem, à Manhattan. Depuis deux ans, de grandes enseignes, avec la hausse vertigineuse des telle Starbucks, prix de l’immobilier, le mou- en ont accéléré vement s’est accéléré. la métamorphose.

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Et puis, il y a cette atmosphère s’alarment même les agents immo- CARREFOUR particulière : « Dehors, je vois tou- biliers, une pénurie se profile. Le Studio 1912 by Camper jours plein de gens, ils parlent La casse sociale, conséquence Museum, anglais, des dialectes africains, prévisible de cette mutation, se dans la 125e Rue, du français, un peu d’espagnol, fait déjà sentir depuis quelque est une s’enthousiasme Leslie. Ils sou- temps. Marcy habite un trois- véritable rient, vous parlent facilement, je pièces dans un HLM dans l’ouest institution. trouve cela très sympathique. » de Harlem depuis dix ans, date Un lieu vivant Et de se rappeler en riant qu’en à laquelle Columbia University, où, à travers sept ans de vie à Chelsea aucun le plus grand propriétaire foncier expositions et camper.com de ses voisins ne l’a jamais saluée. de toute la ville, a décidé de s’éten- programmes dre encore. Et donc d’acheter sys- éducatifs, « Harlem, c’est toute l’histoire tématiquement chaque parcelle dialoguent du monde noir américain » libre ou « se libérant »... grâce aux les cultures et Cédric Lecendre, propriétaire du préemptions et expulsions réali- les générations. bistrot français branché du même sées par la municipalité de New nom – CharlElie Couture, Samuel York. « Les petits commerces doi- L. Jackson, Chris Noth ou le rap- vent fermer, ils n’ont plus les peur Nas y dînent parfois –, ren- moyens de payer leurs loyers, chérit : « Ici, c’est un petit village, en augmentation constante, tout le monde se connaît et dis- constate avec amertume Marcy. cute. » Ce climat chaleureux trouve Et ceux qui tiennent encore ont un écho favorable chez ceux qui monté leurs prix à l’arrivée des cherchent à acheter plus grand Blancs. Pour les appartements, pour un tarif raisonnable. Or, dans c’est pareil. En plus, maintenant, ce domaine-là également, l’ancien la police fait du zèle. Tous les jours, ghetto reste une très bonne affaire. il y a des incidents, des gens arrê- Le prix du mètre carré y demeure tés, voire tués quand ils tentent non seulement plus bas qu’ail- de s’échapper. » Même constat leurs, mais, en plus, il ne fluctue chez Martine Barrat, photographe, pas selon la surface. Du coup, vidéaste et cinéaste française, depuis 2010, la demande pour les qui travaille depuis plus de trente appartements condominiums et ans sur le ghetto noir. « La gen- les maisons de ville croît si vite trification est terrible et sans que les prix ont augmenté de 10 % limites, dit-elle. Récemment, un ces six derniers mois. Attention, de mes amis qui était assis ●●● www.gore-tex.com EN COUVERTURE NEW YORK LES FRANÇAIS AUSSI DÉBARQUENT

es Français sont des New- Yorkais comme les autres. S’ils sont installés depuis Llongtemps dans toute la ville, eux aussi privilégient désormais Harlem . « Beaucoup achètent actuellement ici, au point qu’un de mes collègues parle d’“invasion française”, confie René Fauchet, agent immobilier chez Prudential Douglas Elliman, et spécialiste de la clientèle hexagonale. Je crois que nos compatriotes apprécient ce lieu parce qu’ils y trouvent de l’histoire et de la culture. » Sans doute, mais TENDANCE ●●● sur les marches de sa brown- si certains partent, d’autres, en cette migration a aussi été faci- Les boutiques de mode stone s’est vu proposer 1 million revanche, arrivent. Sharifa Rhodes- litée par l’ouverture, en 2010, et de luxe prolifèrent, cash pour la vendre! Mais il n’est Pitts, étoile montante de la litté- de la charter school franco-amé- tandis que ferment pas seulement question d’argent. rature, Darryl Pinckney, essayiste, ricaine sur la 120e Rue, à quelques de nombreux La vie communautaire a disparu, Kara Walker et Rashid Johnson, pas de la 8e Avenue. C’est dans petits commerces les clubs d’amis dans lesquels les artistes qui travaillent sur la ques- ce quartier très francophone, « populaires ». gens se réunissaient pour jouer tion de la négritude, ont par exem- surnommé « Little Senegal », aux cartes et faire de la musique ple récemment élu domicile dans que beaucoup choisissent de ont fermé. Des familles qui ont ce quartier. poser leurs valises, les loyers vécu des années ensemble sont étant moins chers qu’ailleurs obligées de se séparer pour occu- Un espace multiculturel, pour les grandes surfaces. Cer- per des logements moins chers. laboratoire du vivre-ensemble tains commencent même à FRENCH CLASS Certaines rues sont méconnais- Fief (re)naissant d’une partie monter de petits business sur La New York French- sables avec leurs boutiques et res- de l’intelligentsia black, il attire la 125e Rue. Mais des Français American Charter taurants de luxe. Cela me révolte. d’autres personnalités, comme le plus fortunés acquièrent éga- School, créée en 2010, Harlem, c’est quand même toute célèbre réalisateur Albert Maysles, lement des maisons ou des a encouragé l’histoire du monde noir améri- qui, il y a cinq ans, a créé une ciné- appartements à Harlem sans nombre de Français cain. » Un reproche que les tenants mathèque où il initie les jeunes envisager d’y habiter. A l’image à venir s’installer du revival de Harlem balaient défavorisés aux subtilités du 7e art. des Canadiens, des Chinois et dans Harlem. du revers de la main. Pour eux, Et puis il y a le Studio Museum, des Russes, ils investissent dans qui, entre expositions et pro- ce qu’ils considèrent constituer grammes éducatifs, tente de créer un nouvel eldorado. « Il s’agit les conditions d’un dialogue dans souvent d’un placement refuge, la société. Quant à la question éco- car certains sont effrayés par nomique, Londel Davis, proprié- les mesures fiscales annoncées taire du restaurant Londel’s Sup- par le gouvernement français, per Club et Harlémite de souche, ou d’un achat pour un enfant l’expédie d’une phrase : « Non seu- qui va un jour faire des études lement nous disposons de plus de à New York. » Et, pour faciliter lieux de culture et de distractions cette gestion à distance, René qu’il y a vingt ans, mais en plus ils Fauchet leur propose même un sont tenus par des Noirs. Le temps package qui va de la recherche où les propriétaires étaient presque du bien à sa gestion. Entre huit tous blancs est révolu. » Après des et dix clients sont conquis chaque années de désespoir et de vide, le année. ● M.-A. P. quartier noir a, semble-t-il, trouvé

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un second souffle, un élan qui lui ici dans une double optique : per- DÉBAT permet de créer un nouvel espace pétuer l’histoire de Harlem, celle L’ancien MIDFORD ON GTX® adapté aux réalités du XXIe siècle. des communautés juive, italienne, ghetto a-t-il Et il suffit de traverser quelques afro-américaine, caribéenne qui perdu son blocs pour le constater. vivaient ensemble, tout en démar- atmosphère A l’angle de la 125e Rue et de rant simultanément une autre particulière ? Lenox Avenue, le Red Rooster, du histoire. La vraie richesse du quar- Ses nouveaux nom du célèbre speakeasy, un des tier, c’est cette diversité, qui s’ex- habitants restaurants les plus hype, ouvert prime notamment dans la nour- se disent en 2010, requiert une réservation riture, la musique, l’art. Voilà ce charmés par effectuée plusieurs jours à l’avance. que nous voulons célébrer et déve- la convivialité Son fondateur, le quadragénaire lopper. Chez nous, vous trouvez qui y règne. Marcus Samuelsson, est en pleine un Egyptien assis à une table, à Nombre ascension. Chef reconnu, il accu- côté d’un couple gay, d’une famille d’« anciens » mule les distinctions, a réguliè- blanche et de deux bigotes noires. » déplorent rement les honneurs de la presse Cette mixité ethnique, sociale, au contraire et a même concocté en tant que culturelle, sexuelle se retrouve de que son esprit chef invité, en 2009, le premier plus en plus dans les rues comme communautaire dîner officiel du président Obama, dans les immeubles. Petit à petit, ait disparu… pour le Premier ministre indien. elle est en train de s’ériger en valeur Outre ses talents culinaires, ce suprême dans ce laboratoire du pur produit du multiculturalisme vivre-ensemble qu’est devenu Har- – né en Ethiopie, adopté à l’âge de lem. Ici, plus qu’ailleurs, cette phi- 3 ans par une famille suédoise, il losophie s’accompagne dans la a vécu en France, puis en Autriche pratique quotidienne d’une grande et en Suisse, avant de poser ses tolérance. Et c’est cette nouvelle livres de cuisine à New York – forme de communauté qui donne a montré la voie à suivre. Derek envie à beaucoup d’y rester. Fleming, directeur du dévelop- A Washington Heights, cepen- pement du Marcus Samuelsson dant, on n’en est pas encore là. Group, ajoute son expertise : « La Ici, ça frémit, ça bouge, on assiste bonne réponse pour Harlem ne aux prémices de cette transfor- peut être : “Surtout, ne changeons mation. On peut presque comp- rien, n’amenons pas de nouvelles ter les changements de visu : des personnes, n’investissons pas d’ar- bodegas ferment et sont rempla- gent.” Nous nous sommes installés cées par des delicatessen, ●●● www.gore-tex.com EN COUVERTURE NEW YORK QUARTIER HISPANIQUE : UN AIR DE SIXTIES ’abord on ne voit qu’elles, ces petites échoppes, un peu vieillottes, aux Dvitrines peu éclairées. Au-dessus, un store per- gola bleu, vert, jaune ou rouge, souvent délavé, indique « Fer- CONTAGION nandez Beauty », « Carnice- Au nord de Harlem, ria », « Botanica ».... Parfois y Washington Heights figure également un portrait se métamorphose en noir et blanc du propriétaire à son tour. En douceur. et un slogan publicitaire : « Lieberto vend moins cher ». Il y a aussi ces boutiques de ●●● un Starbucks Coffee vient Donc, peu à peu, les gens migrent tissus qui proposent du tergal, OÙ SUIVRE de s’implanter sur la 163e Rue, vers le nord. Et, en plus, les écoles du satin et du gros coton. Ou une banque américaine a ouvert publiques sont bonnes… » encore ces anciens magasins LES récemment ses portes. Une de photos. En devanture, le librairie aussi, la première dans Des logements pour des cliché d’un bébé nu ou l’image ÉLECTIONS ? ce lieu. Et, le fin du fin, une trat- familles riches et des artistes d’époux posant le jour de leur toria comme en Italie, avec des Signe des temps, une halte-gar- mariage sont exposés. Quand es New-Yorkais ont l’ha- cappuccinos dignes de ceux de derie franco-américaine com- ce n’est pas une grand-mère bitude de se retrouver Greenwich Village, accueille mence à accueillir les moins entourée des siens. Bienvenu dans des lieux publics depuis trois ans les pionniers de de 4 ans. Car ce quartier est prisé des à Quisqueya Heights, le quar- Lpour suivre les débats la gentrification. Devant leurs tribus : avec ses grands parcs et tier hispanique de Washington et découvrir les résul- copains médusés, Ira et Ales- ses vastes appartements (certains Heights, au nord de Harlem. tats. Le Frederick E. Samuel sandro, la trentaine passée, s’amu- dotés de deux entrées, dont une C’est sur Broadway, entre Community Democratic Club sent à décrire leur environne- de service), l’espace n’y manque la 155e et la 190e Rue, que les et le Inez Dickens Democra- ment entre la 148e et la 190e Rue. pas. Mieux, beaucoup d’immeu- Dominicains se sont installés tic Club vont organiser une Comme beaucoup, au début, ce bles ont été construits en même il y a une cinquantaine d’an- soirée, dont le lieu reste à jeune couple d’architectes, parents temps et par les mêmes archi- nées. Depuis, rien, ou presque, définir. De même pour le d’une petite fille de 2 ans et demi, tectes que ceux de Park Avenue. ne semble avoir bougé. Le di- Kennedy Community Center. aurait préféré ne pas s’exiler si Autant dire conçus pour de riches manche, les églises sont pleines Comme il y a quatre ans, en au nord de Manhattan. Dans ce familles ou des artistes – comme de familles bien habillées qui se revanche, le Londel’s reste quartier, certes beau mais un peu le fameux chef d’orchestre Tos- rassemblent ensuite pour déjeu- une adresse sûre, tout comme excentré, les échoppes dominico- canini. Résultat, on voit des Blancs, ner à la maison ou dans un des le Sylvia’s, le restaurant de portoricaines laissent toujours des Noirs, des couples mixtes restaurants de comida domi- soul food le plus ancien de aussi peu de place aux grandes et beaucoup d’étudiants déam- nicana. En semaine, c’est dans Harlem. A quelques pas de là, chaînes new-yorkaises. On peut buler dans les rues. La plupart de un barber shop ou dans un salon le Red Rooster veut, lui aussi, adorer le pittoresque, de là à s’en ces citadins « reclassés » suivent de manucure que l’on va prendre participer à l’événement. De satisfaire toute l’année! Mais, des stages en médecine chez le un café. Ici, même les jeunes filles toute façon, Harlem sera en voilà : Washington Heights reste plus grand pourvoyeur d’emplois ne ressemblent pas aux ado- ébullition le 6 novembre au extrêmement abordable pour la de Washington Heights : le Colum- lescentes de la ville, avec leurs soir (la quasi-totalité de ses middle class. « A Harlem, il faut bia Presbyterian Hospital. Un cheveux longs sagement atta- habitants vote Obama). Pas compter 4 500 dollars par mois établissement hospitalier gigan- chés. D’ailleurs, dans la rue, il un restaurant, pas un bar pour un appartement de trois tesque, avec ses propres boutiques n’y a qu’aux enfants que l’on tient qui ne retransmette la soirée chambres situé en dessous de et appartements. Une ville dans la main. Les couples, eux, mar- électorale. La plus belle fête la 125e Rue, précise Alex Fried- la ville qui ne cesse d’enfler. Et chent côte à côte sans se tou- sera dans la rue. Comme en man. Ici, on en dépense 1 000 de une véritable fabrique à... futurs cher. Une pudeur décidément 2008. ● M.-A. P. moins pour la même surface. bobos. ● MARIE-AUDE PANOSSIAN d’un autre temps. ● M.-A. P.

70 I 24 OCTOBRE 2012 I L’EXPRESS N° 3199 EN COUVERTURE NEW YORK TOUTE LA VILLE EN PARLE De la mairie aux start-up de la Silicon Alley, New York reste une pépinière de talents. Et de fortes têtes... Portraits choisis.

D. KAMBOURIS/GETTY IMAGES/AFP de 35 ans considère comme sa première source d’information Jon Stewart ce vrai-faux journal satirique, Arthur Sulzberger Jr Le parti du rire où se succèdent des invités Le Times change de marque, célébrités et u-dessus de l’entrée grands noms de la politique A 61 ans, il est le petit dernier sou, en raison de sa constante du studio, sur américaine, de Jimmy Carter d’une dynastie propriétaire chasse au gaspi, due à la baisse la glauque 11e Avenue, à Barack Obama. L’animateur depuis 1896 du New York Times. inexorable du tirage papier et Aune affiche géante comique s’est même mué Quatre générations d’Ochs des recettes publicitaires à l’ère ornée de la trogne de en voix de la raison dans Sulzberger se sont succédé aux d’Internet. Le fiston n’a pourtant Jon Stewart rappelle à ceux qui un paysage dominé par le commandes de la « vieille dame pas démérité, engageant se seraient trompés d’adresse sensationnalisme des chaînes grise » de New York, et la mort, la modernisation du journal que « le club de strip-tease d’info permanentes comme à 86 ans, le 29 septembre, et promouvant son site Web, Hustler se trouve un peu plus CNN, Fox News et MSNBC. du patriarche Arthur Ochs devenu l’un des cinq portails de loin sur la droite ». C’est tout Son décryptage corrosif Sulzberger, artisan, entre 1963 news les plus visités au monde. Jon : le mélange d’autodérision des talkshows en vogue et 1990, de l’extraordinaire Mais Arthur sera peut-être et de sincère surprise devant et des sorties outrancières essor du titre, donne l’occasion le dernier des Sulzberger à la cohue du public et le million des candidats constitue de méditer sur les avanies de la diriger l’entreprise Times. Après et demi de téléspectateurs maintenant un antidote presse américaine. Si son père la cession du concurrent Wall rivés à son Daily Show au clivage politique américain. portait le surnom Street Journal à Rupert de 23 heures. Depuis 1999 et Né Jonathan Stuart Leibowitz, de « Punch », Murdoch par la famille l’irruption de ce saltimbanque ce fils d’universitaires incarne son fils, Arthur Bancroft en 2007, érudit sur Comedy Central, d’autant mieux la quintessence Sulzberger Jr, en une vente du dernier la chaîne des gags de potache new-yorkaise qu’il vient poste depuis 1992, monument familial a amassé des fortunes. d’ailleurs, d’une morne écope de « Pinch », de la presse n’est L’écrasante majorité des moins banlieue du New Jersey voisin. évoquant un grippe- plus impensable. B. MCDERMID/REUTERS

72 I 24 OCOTOBRE 2012 I L’EXPRESS N° 3199 Thomas Farley Christine Quinn Eric Hippeau Croisé Révolution High-tech de la santé à City Hall ? au sommet Thomas Farley, adjoint Le prochain maire de New York Si New York rivalise au maire chargé de la santé pourrait être une femme, aujourd’hui avec le génie publique, peut se targuer et cet événement historique de San Francisco, grâce aux d’avoir fait interdire la cigarette en appelle un autre. Christine quelque 1000 start-up créées jusque dans les milliers Quinn serait aussi la première depuis cinq ans dans sa Silicon de parcs de la ville, d’avoir élue homosexuelle à accéder Alley, un quartier high-tech proscrit les ventes de sodas à City Hall (la mairie) si elle qui s’étend de Union Square en gobelets géants, banni emporte, en 2013, la victoire au Flatiron District, elle le doit les graisses hydrogénées à la succession de Michael entre autres à cet entrepreneur des cuisines de restaurants. Bloomberg, dont le dernier de 61 ans, partenaire influent Les diktats de ce docteur mandat arrive à échéance. Sans de Lerer Ventures, fleuron du F. HARRISSON/GETTY F. WEEK/AFP IMAGES FOR MERCEDES-BENZ FASHION en médecine, un marathonien avoir annoncé officiellement capital-risque spécialisé dans chevronné qui s’inflige la mise en ligne des obsessions Diane 6 kilomètres de jogging ou new-yorkaises : les médias, 16 de vélo avant de rejoindre le marketing et la mode. von Furstenberg chaque matin ses bureaux Après avoir dirigé le Huffington du Queens, ont certes relevé Post pendant deux ans, Reine du style l’espérance de vie des New- Eric Hippeau a quitté le géant Diane Halfin est devenue Yorkais, et réduit les dépenses de l’information en ligne pour von Furstenberg par de la municipalité, responsable marquer son désaccord son premier mariage, à 18 ans, en partie de l’assurance-santé avec sa vente à AOL, et revenir avec un héritier allemand des plus démunis. Mais à son dada originel, la création de la fortune Fiat. Mais, la révolte gronde contre cet d’entreprises. Ce Français dès son arrivée à New York, affront aux droits individuels. élevé à Londres, où son père en 1969, à l’âge de 23 ans, La presse a soulevé un vrai était l’un des dirigeants de la jeune Belge huppée, formée scandale cette année l’agence de presse UPI, a plaqué chez un industriel du textile en révélant qu’un diabétique, la Sorbonne à l’âge de 20 ans italien, n’a eu de cesse présenté comme amputé pour rejoindre ses parents de se faire elle-même par une campagne d’affiches au Brésil. A Rio, il s’essaie un nom dans la mode. de la mairie contre au journalisme sportif dans En 1976, le gigantesque la malbouffe, disposait en fait un canard anglophone, avant succès de sa petite robe toujours de ses jambes : elles KASZERMAN/ZUMAN. PRESS/CORBIS de fonder Data News, premier portefeuille, plébiscitée avaient été effacées par un sa candidature, la présidente magazine informatique, par les Américaines, lui vaut photomontage. Il n’empêche, démocrate du conseil qu’il revend 50000 dollars la couverture de Newsweek. New York, aujourd’hui ville municipal, représentante au groupe Sa chère « wrap dress » la plus saine d’Amérique, fait d’un district comprenant le International est exposée au Costume des émules dans tout le pays. West Village, Chelsea et SoHo, Data Group. Institute du Metropolitan peut déjà compter sur un tiers Fondateur Museum of Art, et Diane, des électeurs de son parti du magazine multimillionnaire s’est lors des prochaines primaires. InfoWorld, remariée au titan du téléachat Quinn a défrayé la chronique en 1986, dans Barry Diller. Son organisation en vilipendant pour leur la Silicon TALAIE/CORBIS R. Vital Voices se charge de homophobie les organisateurs Valley, patron de PCWorld puis promouvoir le rôle des femmes de la parade de la Saint-Patrick du groupe d’édition Internet leaders dans l’économie et le et en tentant d’obtenir Ziff Davis, membre du conseil monde associatif. Sa fondation l’annulation d’un discours d’administration de Yahoo! Diller-von Furstenberg Family de Mahmoud Ahmadinejad et dirigeant de la firme de a versé quelque 35 millions à l’université Columbia capital-risque Softbank, Eric de dollars – un record – en 2007. Même Bloomberg, Hippeau n’a jamais manqué pour la construction un républicain dont Christine de flair. En 2006, il avait ainsi de la High Line, la coulée Quinn avait soutenu été l’un des premiers à investir verte de Manhattan, qui l’adversaire en 2009, lui dans le Huffington Post. ● e e s’étend de la 14 à la 30 Rue… JENNINGS/RETNA, LTD/CORBIS T. apporte son discret soutien. PHILIPPE COSTE

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Sur la rive orientale de DERNIER l’East River, lieux ten- dance et résidences ont remplacé les usines à CHIC À l’abandon. Et les yup- pies investissent cette aire incontournable du BROOKLYN New York branché.

orsque Andrew Tarlow inau- pour lui, l’immeuble d’en face, à enfler, son empire grossit aussi. gura son restaurant le Diner une ancienne manufacture, venait Au fil des ans, il ouvrit un dans l’ombre du pont de d’être investi par des artistes. deuxième restaurant, puis une Williamsburg, en 1998, le La plupart n’avaient pas de cui- boucherie artisanale, la seule quartier était encore un sine; le restaurant devint leur de la ville à ne proposer que de Linquiétant no man’s land. cantine. Entrepreneur intuitif, la viande locale. « Nous étions à un quart Andrew Tarlow était arrivé au Début mai, l’inauguration du pre- d’heure de marche de la station bon moment, au début de la vague mier hôtel bobo chic de Brooklyn de métro la plus proche, raconte- d’embourgeoisement qui devait (à partir de 179 dollars la nuit), t-il. Je me disais que personne ne métamorphoser ce quartier de dans une ancienne usine textile viendrait jamais. » Heureusement Brooklyn. Quand la vague se mit de Wythe Avenue, a marqué à

74 I24 OCTOBRE 2012 I L’EXPRESS N°3199 la fois son couronnement et celui parkings grillagés. Le quartier MÉTAMORPHOSE du quartier. Créé en partenariat était pauvre. Les maisons ouvrières Oublié le paysage GREENPOINT avec le jeune promoteur Jed des rues résidentielles héber- désolé de terrains Walentas, le Wythe Hotel attire, geaient pour l’essentiel des immi- vagues et d’usines SOUS LES selon le New York Times, « des grants polonais (au nord), des désaffectées. hordes venues de Manhattan, Dominicains et des Portoricains Désormais, les bords SUNLIGHTS d’Asie ou d’Europe à la recherche (au sud), et des juifs orthodoxes de l’East River d’une aventure à Brooklyn ». (à l’est). C’est à ce moment-là que offrent un cadre ans les années 2000, c’est la « classe créative », pour emprun- de détente idéal. exclusivement à Manhattan Immeubles de luxe, ter l’expression du sociologue que Carrie Bradshaw et ses bars et marinas… ‹ MUTATION américain Richard Florida, entama Dtrois acolytes de Sex and the La créatrice de mode Alice Ritter, son exode vers Brooklyn, chas- Partie de Manhattan City sirotaient des cocktails qui réside sur le trottoir d’en face sée de Manhattan par l’inflation à cause de l’inflation en narrant leurs déboires amou- depuis onze ans, confirme l’am- des loyers. Premier arrêt sur la des loyers, « la classe reux. Le départ de Miranda pour pleur de l’impact : « Le soir et ligne de métro en provenance de créative » s’est Brooklyn lors de la dernière saison le week-end, il y a du monde par- l’East Village, Williamsburg avait installée à Brooklyn inspira même à ses amies des com- tout. C’est arrivé d’un coup. Du de l’espace à revendre, et une belle et a « chassé » mentaires horrifiés. Autres temps, jour au lendemain, j’ai commencé lumière rasante en fin de journée. les habitants, des autre décor: plus jeunes et moins à voir des taxis dans ma rue. » Toutes les histoires de renou- immigrants polonais, nanties, les quatre héroïnes de la Dans les années 1990, on ne croi- veau urbain se ressemblent. dominicains et nouvelle série de HBO sur l’ami- sait jamais de taxi et rarement D’abord, les indigènes et les enva- des juifs orthodoxes. tié féminine, Girls, passent leur âme qui vive sur Wythe Avenue. hisseurs coexistent, plus ou moins vie dans les rues et les cafés de Au terme d’une désindustriali- pacifiquement. « La semaine où Greenpoint, quartier situé au nord sation amorcée trente ans plus j’ai emménagé, je me suis fait de Williamsburg. Le maire, Michael tôt, la rive orientale de l’East River insulter dans la rue par une vieille REPORTAGE PHOTO : Bloomberg, fan de la série, espère déroulait un paysage désolé Polonaise, raconte Alice Ritter. SCOTT HOUSTON/ qu’elle incitera la jeunesse améri- d’usines désaffectées, de terrains Pour eux, nous étions le début POLARIS POUR caine à s’installer à Brooklyn. A quand vagues semés d’ordures et de des mauvaises nouvelles. » ●●● L’EXPRESS les cars de touristes japonais? ● S. C.

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PROMENADE INDUSTRIELLE

vec ses entrepôts convertis en lofts, res- taurants et galeries A d’art, Brooklyn arri- verait presque à faire oublier qu’elle n’a pas entiè- rement perdu sa vocation industrielle. Pour se le rap- peler, rien ne vaut d’emprunter le mal nommé Newtown Creek Nature Walk. Suivant l’un des cours d’eau les plus

DR pollués d’Amérique, cette pro- menade plantée traverse un ●●● Puis le remodelage du quar- pour la transformer en immense PRISÉ Inauguré paysage fascinant de conduits, tier commence. A Williamsburg, complexe résidentiel. En matière en mai dernier, grues, barges, carcasses de les boucheries polonaises furent de « gentrification », ce promo- le Wythe Hotel a été voitures et usines en activité. remplacées par des épiceries fines teur en connaît un rayon. Son bâti dans une ancienne Les huit énormes dômes en et des cavistes bio. En 2005, plu- père, David Walentas, a fait for- usine de textile acier qui scintillent en arrière- sieurs promoteurs demandèrent tune en transformant le berceau sur Wythe Avenue. plan digèrent quotidienne- à la ville un vaste changement du de l’industrie du carton, Dumbo, . ment 60000 hectolitres plan local d’urbanisme pour per- en quartier résidentiel, aujourd’hui d’eaux usées. C’est en contre- mettre la construction d’im- le plus cher de la circonscription. YUPPIES partie de l’agrandissement meubles résidentiels au bord Jusqu’où le développement éco- Dans la partie de cette station d’épuration, de l’eau. D’étincelants grands nomique peut-il aller? Selon littorale de la ville, aujourd’hui la plus vaste des ensembles furent érigés sur les Andrew Tarlow, tout dépendra la population a crû 14 installations de ce type que berges, désormais à portée de des acteurs immobiliers. ●●● de 125 % en dix ans. compte New York, que le parc Wall Street grâce à une nouvelle fut consenti aux riverains liaison en ferry, et on vit appa- en 2007. raître des poussettes de marque La qualité du silence y est sur les trottoirs du quartier. Les exceptionnelle: cinq ans après artistes avaient pavé le chemin son inauguration, la prome- pour les yuppies. nade, qui offre pourtant le Le dernier recensement confirme seul accès public aux berges ces changements visibles à l’œil de Newtown Creek, est nu. La partie littorale de Wil- déserte la plupart du temps. liamsburg a vu sa population aug- Il faut dire que cet estuaire menter de 125 % entre 2000 séparant Brooklyn du Queens et 2010. Dans le même temps, a mauvaise réputation. Vic- l’ensemble du quartier a perdu time, en 1950, de la pire marée 25 % de ses résidents hispaniques. noire de l’histoire américaine Les loyers ont augmenté de 30 % (trois fois le volume de l’Exxon par endroits, et le revenu médian, Valdez), il renferme une telle de 22 %. Et ce boom ne fait peut- concentration de résidus être que commencer. Cet été, Jed pétroliers que l’Agence fédé- Walentas a racheté la célèbre rale de protection de l’envi- usine Domino, une raffinerie ronnement l’a inscrit en 2010 de sucre dont la haute cheminée au registre des sites les plus est emblématique de la berge, contaminés du pays. ● S. C.

76 I24 OCTOBRE 2012 I L’EXPRESS N°3199 EN COUVERTURE NEW YORK

« GENTRIFICATION » Par endroits, ce phénomène d’embourgeoisement urbain provoque CE SOIR, une augmentation ON DÎNE des loyers de 30 % ! AU CINÉMA ! epuis la fermeture du vieux Commodore, splendide cinéma D des années folles rasé en 2002, on ne pouvait plus voir de films sur grand écran dans les quartiers nord de Brooklyn. Cette cruelle absence a pris fin l’année der- nière avec l’ouverture du Nite- hawk. Nouveauté : servis par des ouvreuses aussi furtives que des ninjas, les spectateurs peuvent y boire et dîner pen- ●●● « Si l’approche des pro- LES MEILLEURES ADRESSES dant les projections. La for- moteurs est respectueuse des équi- DE WILLIAMSBURG mule existait déjà au Texas, où libres, le quartier ne perdra pas a grandi Matthew Viragh, le son âme », dit-il. S’ils sont moins Diner, 85 Broadway, Moto, 394 Broadway, jeune propriétaire de cette scrupuleux, il pourrait connaî- 718-486-3077. 718-599-6895. nouvelle salle indépendante tre un sort comparable à celui du Wythe Hotel, 80 Wythe En plein quartier juif de Williamsburg. Débarqué à MeatMarket de Manhattan, ancien Ave, 718-782-2945. orthodoxe, un bar romantique New York, il fut surpris de ne district des grossistes en viande Nitehawk Cinema, dans l’ombre du métro aérien. rien trouver d’équivalent. Et devenu night-club à ciel ouvert. No Name Bar, 136 Metropolitan Ave, 597 Manhattan Ave. pour cause. Une loi puritaine La pression est bien là : lors de sa 718-384-3980. datant de la prohibition inter- dernière assemblée, le commu- Un petit « dive bar » disait de servir de l’alcool dans nity board de Williamsburg (sorte ET AUSSI : avec un immense jardin et La Superior, 295 Berry St, des serveuses entièrement les cinémas de l’Etat. Obstiné de conseil d’administration com- 718-388-5988. tatouées. Y aller en été. (« ou naïf », dit-il), Viragh enga- munautaire, formé de résidents Bonne cantine inspirée par Kinkfolk Studios, gea un lobbyiste, qui persuada élus) a dû examiner 99 demandes la cuisine de rue de Mexico 90 Wythe Ave, 347-799-2946. les sénateurs de la faire abroger. d’autorisation administrative à City. Branché, bon marché. Bar branché, DJ pointus, Depuis, on peut donc boire servir de l’alcool, un record. Depuis Egg, 135N 5th St, 718-302-5151. et baie vitrée donnant sur des cocktails en regardant Drive, deux ans, il se bat en vain pour Un petit déjeuner à partir un trottoir où la fête continue. La Nuit du chasseur ou Melan- obtenir de la ville un moratoire des meilleurs ingrédients. Amarcord, 223 Bedford cholia. Adaptée à la sociologie sur ces permis. Bakeri, 150 Wythe Ave, Ave, 718-963-4001. du quartier, la programmation « Il serait dommage que la rive 718-388-8037. Belle boutique de vêtements mélange intelligemment nou- ne soit plus qu’immeubles de luxe, Tout est bon dans cette jolie vintage, fin des années 1970. veautés grand public, films de bars et marinas, estime pour sa boulangerie, qui sert aussi KCDC, 85 N 3rd St, répertoire, navets cultes et part l’écrivain Phillip Lopate, auteur des soupes et des salades. 718-387-9006. productions indépendantes. d’un livre sur les berges de Broo- Roebling Tea Room, 143 Un magasin de skate Quant au menu, il se compose klyn. New York n’est pas juste une Roebling St, 718-963-0760. mythique, avec une rampe pour l’essentiel de plats faciles ville de loisirs et de consomma- Dans un décor rustico- à démonstrations. industriel impressionnant, Nightwood, 111 Grand Street, à manger sur une tablette, dans tion. C’est un lieu où se fabriquent 718-596-1545. le noir, avec les doigts : sand- et se transportent des biens manu- l’un des brunchs les plus courus du quartier. Ce mobilier à partir de bois et wichs, croquettes, tacos, bei- facturés, et c’est une ville d’im- Samurai Mama, textiles recyclés est l’essence gnets de calamars. Pour ne pas migration, qui a besoin d’emplois 205 Grand St, du style de Brooklyn. déranger les spectateurs, on non qualifiés. » Les artistes, eux, 718-599-6161. Mast Brothers Chocolate, griffonne silencieusement sa ne sont plus là pour déplorer les Délicieux sushis 111 N 3rd St, 718-388-2625. commande sur un morceau de changements. Ils ont décampé et nouilles japonaises Le chocolat artisanal papier. Et on règle l’addition depuis longtemps vers d’autres à petits prix autour aux beaux emballages que avant le générique de fin. ● S. C. horizons. ● STÉPHANIE CHAYET d’une table communale. tout New York s’arrache.

78 I 24 OCTOBRE 2012 I L’EXPRESS N° 3199 EN COUVERTURE NEW YORK RUSSIE SUR PLAGE

Au sud de Brooklyn, les commu-

nautés venues de l’ex-URSS donnent /RÉA à Brighton Beach des allures de bord de la mer Noire. Un monde à part,

qui tient à garder son mode de vie. E. MICHAEL JOHNSON/ TIMES THE NEW YORK

ssise dans la grande salle le foyer de l’une des plus grandes APPARENCES ils foncent vers le Volna ou le du restaurant encore communautés de la région à l’iden- Entre plage, shopping Tatiana, ces restaurants avec vue vide, Ludmila a les tité juive, ukrainienne et russe. et Botox, la télé-réalité sur mer où il fait bon être aperçu. larmes aux yeux. Elle Il suffit de sortir dans la rue Russian Dolls a suivi Les poses de certains de ces moins écoute cette vieille chan- pour s’en persuader. Des enseignes le quotidien de riches de 35 ans tiennent parfois tel- Ason russe qui raconte des magasins aux journaux femmes au foyer, lement de la caricature qu’en 2011 l’histoire d’un destin vendus, tout s’écrit en cyrillique. immigrées la chaîne Lifetime leur a consacré brisé. Une vie ratée, comme la Et c’est en russe qu’on s’exprime à Brighton Beach. un reality-show, Russian Dolls. sienne, murmure la quinquagé- pour effectuer une visite chez La vie de quelques femmes au naire, sans donner plus de détails. le médecin ou consulter une foyer et riches héritières dés- Puis, la rengaine terminée, elle cartomancienne. Plus rarement œuvrées et botoxées a cepen- appelle la serveuse et fait sèche- en yiddish. dant rapidement fait un flop, ment renvoyer son café tiède. « Il Le dimanche, sur les planches même si elle correspond à une y a vingt ans, on pouvait l’ac- le long de la plage, le spectacle réalité sociologique, celle des cepter, mais c’est fini. Nous ne des passants rappelle l’univers nouveaux riches russes. sommes plus là-bas! » se justifie- soviétique. Des femmes d’un t-elle. Cette New-Yorkaise, venue certain âge aux cheveux courts, « La jeunesse d’Odessa en Ukraine dans les teints en blond ou en noir, mar- s’américanise » années 1990, refuse un service « à chent au bras de leur mari. Pour Cette atmosphère très contrastée la soviétique ». « Nous sommes beaucoup, ces hommes au ventre favorise l’installation de nouveaux en Amérique quand même! » Et proéminent – un signe de réus- migrants. Contrairement aux pourtant si peu. Brighton Beach, site, selon Ludmila – sont vêtus précédentes vagues de migrants, petite station balnéaire dans le d’un survêtement impeccable- les russophones s’expatrient sud du borough de Brooklyn, a ment repassé et de chaussures aujourd’hui pour des raisons éco- plutôt un faux air d’Odessa. Dans de sport blanches, parfaitement nomiques ou pour poursuivre des les années 1970, 40000 d’entre lustrées. Tous les quelques mètres, études. Parfois russes, plus fré- eux, des refuzniks, ont immigré les couples s’arrêtent pour se quemment citoyens d’une ex-répu- dans ce qui constituait le bastion saluer, discuter. Ou observer blique soviétique, ces transplan- des juifs d’Ukraine et de Russie les petits groupes qui jouent aux Ces transplantés tés ne partagent avec les précédents depuis la fin du XIXe siècle. D’au- dominos et aux échecs. Tenants ni la culture ni la langue yiddish, tres sont arrivés une vingtaine d’une modernité radicale, de ne partagent avec et pas davantage la religion juive. d’années plus tard, à la faveur de jeunes gens filiformes passent en les précédents Mais qu’importe à ces chrétiens la perestroïka et de l’écroulement coup de vent sur la promenade. orthodoxes, musulmans ou athées de l’Union soviétique. Aujourd’hui, Portant, eux, des vêtements de ni la culture ni qui font, à leur tour, de la petite cet épicentre de l’immigration marque avec décolleté plongeant Brighton Beach leur point de chute. juive soviétique constitue encore et accessoires haut de gamme, la langue yiddish Parfois définitif.

80 I24 OCTOBRE 2012 I L’EXPRESS N°3199 et très chères. La scolarité coûte jusqu’à 800 dollars par mois et par enfant; une broutille pour ceux qui possèdent de luxueux condominiums avec vue sur mer ou… s’enferment dans des com- munity gates, à une centaine de mètres de la plage. Les synagogues et mouvements religieux ortho- doxes proposent aussi d’encadrer les petits après la classe et durant les vacances. Il n’empêche, le secondaire s’effectue en priorité dans des établissements améri- cains. Et dès que les jeunes entrent à l’université, il n’y a plus moyen de les empêcher de migrer vers d’autres quartiers de New York. Mais peut-on vraiment quitter les siens? Ce quadragénaire de Manhattan qui déjeune avec sa

M. PSAILA/ABACAPRESS.COM fiancée israélienne au Tatiana répond par la négative. Il a besoin, Irina, 23 ans, est ukrainienne et parents –, est un problème pour IDENTITÉ « Little dit-il, « de sentir l’odeur parti- a vécu en Moldavie avant d’ob- de nombreuses familles. « La jeu- Odessa », véritable culière de ce monde juif russe, de tenir une green card il y a trois nesse ne s’attache plus aux lieux. enclave russe dans se remémorer des souvenirs ». Le ans. « Un ami de Brooklyn m’a Elle s’américanise », déplore Lud- laquelle les enseignes dimanche, ils sont nombreux à parlé de cet endroit, j’ai su immé- mila. « Ils essaient plutôt de vivre des restaurants faire ce pèlerinage. Des juifs ortho- diatement que c’était un lieu fait dans la vraie Amérique », corrige sont affichées en doxes des alentours y voient l’oc- pour moi », explique la serveuse. Irina. De fait, dès qu’ils le peu- caractères cyrilliques. casion de prêcher pour leur syna- Et même si elle maîtrise désor- vent, beaucoup déménagent à gogue en invitant les passants mais parfaitement l’anglais, elle Long Island, dans le New Jer- INFLUENCE masculins à faire une prière. Sans a choisi de rester. Farik, un Ouz- sey ou, pour les plus favorisés, Cet épicentre de grand succès généralement. Brigh- bek de Tachkent, immigré depuis à Manhattan. l’immigration juive ton Beach n’a jamais été très reli- dix ans, partage cette impression. Pourtant, la communauté fait soviétique constitue gieux, contrairement à d’autres « Ici, vivre me paraît plus facile. tout pour les retenir. Des crèches encore le foyer de quartiers juifs orthodoxes de Broo- La police, les médecins, les assu- et haltes-garderies juives russes l’une des plus grandes klyn, comme Crown Heights, où rances, tout se déroule en russe. ont été ouvertes, puis des écoles communautés est implantée la communauté des Nous avons un passé identique maternelles et primaires, privées de la région. Loubavitch – originaire de Bié- et parlons la même langue. Nous lorussie –, Borough Park, où vivent formons une communauté, comme les Bobov – issus de Pologne –, avant. » Il constate que, depuis ou Williamsburg, qui abrite les cinq ans, beaucoup de ses core- Satmar – venus de Roumanie et ligionnaires le rejoignent, après de Hongrie. Chez eux, on parle avoir obtenu des cartes vertes à encore yiddish couramment, les la loterie. Sans ce précieux sésame, hommes portent de longs man- Zevoda, 40 ans, n’aurait jamais teaux noirs et se coiffent d’une quitté Tachkent il y a sept ans. toque de fourrure ou d’un large A l’époque, elle ne parlait pas amé- feutre noir. Les jeunes garçons se ricain. Aujourd’hui, elle connaît reconnaissent à leur kippa et à dix mots. « Nous n’avons pas ces boucles qui encadrent leur besoin d’apprendre, nous parlons visage. Les jeunes femmes, elles, tous russe. C’est une agence d’ici se promènent avec des ribam- qui m’a recrutée pour devenir belles d’enfants. Ces clichés nous baby-sitter. Tout va bien, je vais renvoient à un temps où les juifs rester. Mais ma fille de 18 ans, elle, de l’Est faisaient partie du fol- souhaite rentrer. » klore européen. A New York, ils Le départ des jeunes, qui eux perpétuent un monde plus vivant s’intègrent – à l’inverse de leurs IMAGES/AFP PLATT/GETTY S. que jamais. ● M.-A. P.

N° 3199 L’EXPRESS I 24 OCTOBRE 2012 I 81 EN COUVERTURE NEW YORK

NÉO-CANTINE Mission Chinese Food est l’un des restaurants les plus appréciés de Chinatown. D. KRIEGER D.

de carte des vins. La bière (offerte New York Times « K.O., heureux, par la maison) est servie dans le souffle coupé. » des gobelets. Mais allez-y un Est-ce un effet de la crise ? Est- mardi soir à 19 heures, et vous ce parce que les chefs, en rock- devrez patienter au moins une stars des temps modernes, atti- SAVEURS heure avant de pouvoir vous atta- rent un public toujours plus bler. Le week-end, l’attente peut jeune, donc moins fortuné ? A durer trois heures. Et les New- New York, en tout cas, il n’a Oui, on peut Yorkais attendent sans broncher. jamais été aussi facile de bien DE se régaler pour Il fut une époque où dîner dans manger. Comme Danny Bowien, le restaurant le plus couru de les cuisiniers sont nombreux pas trop cher à Manhattan impliquait non seu- à revisiter, avec du talent, de New York, et lement une queue invraisem- l’audace et les meilleurs ingré- pas seulement blable, mais aussi une addition dients, le répertoire populaire CRISE salée. Les temps ont changé. Dans des snacks américains et des cui- avec des ham- la néo-cantine de Danny Bowien, sines immigrées. Nouilles ramen, burgers. Des le plat le plus cher, un ragoût falafels, pizzas, tacos, porchet- vec ses photos de plats de langue de bœuf aux navets tas, hamburgers, hot-dogs, pickles rétro-éclairées, l’entrée stands itiné- braisés, coûte l’équivalent de ou beignets : tout y passe. « Les de Mission Chinese rants aux can- 12 euros. Fraîchement débarqué chefs américains n’hésitent pas Food est typique des tines, des chefs de San Francisco, ce jeune chef à réinventer leurs basiques, à cantines miteuses de aux longs cheveux décolorés jouer avec eux, à les anoblir. AChinatown. La salle du réinventent les et aux mollets tatoués, nouvelle Résultat, on peut vraiment se restaurant, au bout d’un plats simples. coqueluche de la critique, entend régaler à New York avec des couloir étroit longeant la cui- Succès mondial. cuisiner pour le plus grand choses simples et pas chères », sine, est bruyante, baignée de nombre le tofu sauté au poivre constate Alexandre Cammas, lumière rouge et décorée de de Sichuan (9 euros) qui a laissé fondateur du mouvement culi- dragons en papier. Il n’y a pas le critique gastronomique du naire français Le Fooding.

82 I 24 OCTOBRE 2012 I L’EXPRESS N° 3199 Souvent, cette cuisine fausse- COCKTAIL ment modeste s’élabore dans des camions, des restaurants éphé- DERNIER CRI... mères ou sur des stands itinérants. Pionnier de ce mouvement, le À LA BIÈRE Smorgasburg, un marché de Broo- klyn consacré à la nourriture arti- mpossible d’y échapper. Ser- sanale, a reçu plus de 2 000 can- vie dans les bars élégants de didatures depuis son inauguration, Manhattan comme sur les en mai 2011. « C’est beaucoup Iplanches de Rockaway Beach, plus facile de venir cuisiner ici la michelada s’est imposée à que d’ouvrir un restaurant, New York comme la boisson de explique Eric Demby, fondateur l’été 2012. Signe particulier ? Ce du marché. L’investissement est cocktail d’origine mexicaine faible, le risque, minimal. Cela HOUSTON/POLARIS S. POUR L’EXPRESS ne contient ni tequila ni vodka, permet aux chefs de se concen- mais un ingrédient plus modeste : trer sur le produit plutôt que sur « CHEAP ET CHIC », de la bière. « C’est le cocktail de le business, et de rencontrer leurs LES ADRESSES DU FOODING crise par excellence », explique clients plutôt qu’être enfermés le barman du Bar Bruno, qui les en cuisine. » L’équipe new-yorkaise du revisité. Les sauces sont prépare on the rocks avec du Frappé par la qualité de son offre Fooding livre ses adresses exquises. Attention : ça ferme jus de citron vert, du sel et du alimentaire, Alexandre Cammas pas chères à Manhattan et à 21 heures pile. » piment (d’autres variantes com- a choisi le Smorgasburg pour à Brooklyn. The Doughnut Plant portent du tabasco ou de la sauce accueillir une partie des événe- Mission Chinese Food 379 Grand Street (Lower Worcestershire). L’avènement ments de son 4e festival new- 154 Orchard Street (), 212-505-3700. de la michelada accompagne un yorkais. En septembre dernier, les East Side), 212-529-8800. « Les meilleurs doughnuts engouement plus général pour stars de la jeune gastronomie inter- « Une cuisine chinoise inven- (beignets) du monde. Super- la bière, en particulier artisanale. nationale sont venues collaborer tive et moderne, à base de frais, donc très périssables. Selon l’Association des brasseurs avec les artisans et cuisiniers du bons ingrédients. Il faut goû- Dommage de ne pas pou- américains, 350 brasseries arti- marché. Les pizzas et les hot-dogs ter le bouillon aux feuilles voir en rapporter en France. » sanales – un record – ont été ont bluffé les chefs français. « Nous de poivre et les ailes de pou- Pizza Moto créées ces douze derniers mois n’avons rien de comparable en let. On y va aussi pour sa au Brooklyn Flea aux Etats-Unis. ● S. C. France, où le bel ordinaire n’a pas faune tendance, son décor Itinérant : Où boire une bonne voix au chapitre, explique Cam- kitsch, son karaoké. » www.brooklynflea.com michelada ? mas. Depuis toujours, les écoles The Commodore « Notre pizza préférée ! Déli- Bruno Bar 520 Henry Street hôtelières et la critique considè- 366 Metropolitan Avenue cieuse. Dave Sclarow construit (Carroll Gardens). 347-763-0850. rent nos crêpes et jambon-beurre (Williamsburg), 718-218-7632. ses fours lui-même et utilise comme de la sous-cuisine. Mais « Un bar faussement miteux les ingrédients les plus frais. » je pense que cela va changer. » qui sert des cheeseburgers, Mile End Sandwich Selon lui, le sandwich « à la fran- sandwichs au poisson et 53 (NoHo) MOUSSEUSE Venue çaise » revisité pourrait faire son “grilled cheese” mortels. michelada 212-529-2990. du Mexique, la come-back à Paris. Sous l’influence Particulièrement adaptés « Une interprétation créa- S. C. a conquis les New-Yorkais. de Brooklyn. ● aux faims nocturnes. » tive et goûteuse de la cui- M. Wells Dinette au PS1 sine juive canadienne par 4601 21st Street (Long Island Noah et Rae Bermanoff. City, Queens), 718-433-4807. Prenez le sandwich à la « Le chef anar Hugue Dufour, poitrine de bœuf fumée ou avec Sarah Obraitis, vient celui au pastrami frit. » d’ouvrir ce café aux allures The Morris Truck de cantine scolaire au sein Itinérant : Morrisgrilled- du centre d’art contempo- cheese.com rain PS1. Sa cuisine est aussi « Deux amis obsédés par les décadente que réjouissante. » “grilled cheese” (sandwichs Nha Toi pressés au fromage) ont 160 Havemeyer Street (Wil- ouvert ce camion itinérant. liamsburg), 718-599-1820. Leur sandwich sucré, au miel « Un minuscule resto viet- et mascarpone, est un namien au menu subtilement délice. » ● S. HOUSTON/POLARIS S. POUR L’EXPRESS

N° 3199 L’EXPRESS I 24 OCTOBRE 2012 I 83 EN COUVERTURE NEW YORK « Cette ville va toujours de l’avant »

Adam Moss, directeur de la Il est vrai que l’argent a toujours rédaction de New York Maga- eu beaucoup d’importance ici. zine, est le témoin privilégié La ville s’est relevée beaucoup plus vite du 11-Septembre que de du dynamisme de la cité. Il livre la crise financière de 2008, qui a sa vision de cette « île amar- engendré un malaise, une para- rée au large de l’Amérique ». noïa, une frustration proche de la dépression collective. Vous dirigez un magazine qui Mais bien des changements reste l’un des rares succès dans positifs sont intervenus : la sécu- un paysage médiatique ravagé rité s’est considérablement amé- par Internet. Comment expli- liorée, le maire actuel, Michael quez-vous le miracle? Bloomberg, est beaucoup plus › Depuis quarante ans, notre sensible au renouveau de l’ar- magazine s’est nourri de New chitecture, à l’esthétique des rues, York, mais Internet a bouleversé aux espaces et parcs publics. nos ambitions, car il nous a per- Comme ailleurs, effectivement, mis de devenir une publication les inégalités sociales ont empiré. d’envergure nationale. Mais le New York légendaire, créa- Il s’agit maintenant de four- tif et cosmopolite, existe toujours. nir aussi une vision new-yorkaise Il s’est même étendu bien au-delà du monde, applicable à tous les de Manhattan, auquel Brooklyn sujets – politiques, culturels –, n’a strictement plus rien à envier…

qui reflète le mode de vie des /AFP New York reste un lieu à part, citoyens urbains. En retour, cela c’est une île amarrée au large influe sur la façon dont nous cou- de l’Amérique, plus proche de- vrons la ville. Par exemple, nous Berlin ou de Londres que d’Omaha,

avons consacré la Une au nouveau MAGAZINENEW YORK Nebraska. Elle est à la fois une stade couvert, le Barclays Center, cité mondiale et une cité améri- l’un des plus grands bâtiments caine. Elle a élu deux maires répu- construits à New York, à Brooklyn blicains, mais il s’agissait de poli- précisément. En fait, par ce biais, ticiens pragmatiques, toujours

nous abordons la promotion de ACH/GETTYB. IMAGES FOR plus attachés aux valeurs locales la nouvelle « marque Brooklyn », qu’à leur étiquette politique, tant transformée en produit d’ex- s’est assagie. Même notre pagi- INTEMPOREL Pour du point de vue de l’immigration portation copié aux quatre coins nation, nos rubriques évoquent Adam Moss, le New que du contrôle des armes à feu… des Etats-Unis. le mélange de sobriété et de York « légendaire, Je sais que certains reprochent Comment voyez-vous person- chaos, de confinement urbain et créatif et cosmopolite à la ville d’avoir « trivialisé » le nellement New York? d’horizons ouverts, qui fait le existe toujours ». World Trade Center, devenu main- › La ville est teintée d’ambi- charme unique de New York. tenant, aussi imposant soit-il, un tion, obsédée par la nouveauté, Beaucoup de New-Yorkais sem- lieu de business comme un autre. en constant mouvement, géné- blent regretter la normalisation New York est comme ça. Il faut y reuse, tolérante à l’extrême, de la ville... voir une preuve de résilience, une distraite par le superficiel, drôle ›Ça, c’est typiquement new-yor- manière de répondre aux terro- et un peu infantile, parfois. kais, ces constantes nostalgies. ristes. Ici, on refuse le senti- Lorsque je suis arrivé, en 2004, Dans les années 1970, tout le mentalisme. Plutôt que de regar- le magazine s’efforçait toujours monde pleurait les années 1960, der en arrière, on avance. Cette de représenter une époque mais on découvre aujourd’hui ville va toujours de l’avant. ● révolue, un New York excitant que les seventies étaient une ère PROPOS RECUEILLIS mais un peu louche. Or la ville de créativité fulgurante… PAR PHILIPPE COSTE

62 I 24 OCTOBRE 2012 I L’EXPRESS N° 3199 EN COUVERTURE NEW YORK LES MILLE ET UNE NIGHTS

Fini, les grands clubs mythiques. Mais la ville qui ne dort (presque) jamais fourmille de propositions pour sor- tir et faire la fête. Revue de la nuit new-yorkaise

en sept familles. E. GROOM/RETNA LTD/CORBIS a nuit n’est plus ce New York a encore le génie de la au succès insolent. C’est intri- qu’elle était. Voilà plus de nuit. Quelques pistes pour s’y gant de savoir qu’il y a des cham- quinze ans que les New- retrouver. bres à proximité. » Yorkais entonnent ce refrain déprimé. Quand Rudolph Les bars Parce qu’il leur est Les boîtes Comme le cham- LGiuliani, le précédent d’hôtel plus facile d’obtenir françaises pagne, les experts maire, fit condamner le roi des permis dans un français du clubbing incontesté de la nuit, Peter Gatien, contexte réglementaire généra- sont, semble-t-il, de bons produits à fermer ses clubs légendaires, on lement hostile, les nouveaux rois d’exportation. Au début de jan- pleura la fin d’un âge d’or. de la nuit sont les hôteliers. Leurs vier s’ouvrait à Chinatown l’éta- Mais n’écoutez pas les esprits bars sont devenus des clubs à part blissement qui devait, selon l’heb- chagrins. Si New York a perdu entière, contribuant largement domadaire The Observer, « sauver ses boîtes de nuit géantes, elle à la notoriété, et au chiffre New York ». L’homme attendu n’a rien perdu de son noctam- d’affaires, des établissements qui comme le Messie était le graffeur bulisme. C’est une ville qui ne les abritent. Le Bain et le Boom André, et la boîte en question, dort pas beaucoup, une ville où Boom Room, au dernier étage de sa succursale américaine du Baron. l’on trouvera toujours, à 4 heures l’hôtel Standard, dans le West En septembre, son club éphémère, du matin, un métro, une part Village, dominent la nuit new- « Chez André », a vu défiler tout de pizza ou une pharmacie. La ÉNERGIE Groupe, yorkaise depuis leur ouverture, New York pendant vingt-deux nuit new-yorkaise est fluide : club, bar... la nuit, il y a trois ans. Autres lieux incon- nuits au sous-sol du nouvel hôtel jamais à court de taxis, on y saute il y a toujours une tournables : la somptueuse ball- Standard, dans l’East Village. Et de bar en vernissage et de club nouveauté à découvrir. room de l’hôtel The Jane, le bar l’inventeur des soirées « Respect en soirée en finissant par un gril- En haut, Samantha feutré du Bowery Hotel, ou le is burning », institution pari- led cheese sandwich. On peut s’y Urbani, de Friends, nouveau club souterrain du Tri- sienne des années 1990, amuser tous les soirs de la semaine au Baron, à Chinatown. BeCa Grand. « Les bars d’hô- une fête « Nouveau York » tous en variant les plaisirs, car il y a Ci-dessus, séance tels sont sexy par essence, estime les dimanches au Bain. « Les impré- toujours un nouvel endroit, une de karaoké Nur Khan, qui gère l’Electric room sarios français infiltrent le milieu nouvelle fête à découvrir. Bref, à Lower East Side. du Dream Hotel, un autre club de la nuit! » titrait le New York

84 I 24 OCTOBRE 2012 I L’EXPRESS N° 3199 AUTHENTIQUE Marcy Hotel (qui n’a rien d’un Sans prétention, hôtel) le sont pour leurs jolies filles voire banals, d’Europe de l’Est et leurs excel- les dive bars lents DJ, « les meilleurs du monde » sont plébiscités selon Bjorn Larsen, noctambule par les noctambules infatigable. « Ils les programment anti-bling-bling. quand ça leur chante, ne pré- Ci-contre et page viennent personne, et c’est quand de gauche, au même bondé. » Winnie’s, à Chinatown, très fréquenté Les dive Un dive (prononcer par les artistes. « daïve »), c’est un Ci-dessous, des jeunes bars bar de quartier ordi- devant un jeu vidéo naire, voire miteux. Les serveuses au Doc Holliday’s, n’aspirent pas à une carrière dans l’East Village. d’actrice, les toilettes sont par- fois douteuses, mais les jeunes Times l’hiver dernier, peut-être un New-Yorkais qui ont dévoré les peu hâtivement. En tout cas, ils Mémoires de Patti Smith et rêvent ont un certain succès. d’une nuit plus bohème et moins bling-bling adorent leur authen- Les res- Dîner, puis clubber? ticité. « La bière n’est pas chère Parfois, il suffit de des- et l’atmosphère est sans préten- taurants cendre un escalier. La tion », explique le photographe jeunesse dorée et cocaïnée du Emile Dubuisson, un habitué de lower Manhattan se retrouve au Lucy’s, dans l’East Village, tenu sous-sol bien gardé du restau- par une grand-mère polonaise. rant Acme, et les yuppies de Tri- Autres exemples de dives appré- BeCa dans le lounge souterrain ciés des artistes : le Lit Lounge, de la taqueria Super Linda, où aussi dans l’East Village, et le bar l’on croise parfois le musicien à karaoké Winnie’s, à Chinatown. Gnarls Barkley. Ailleurs, il faut Tout noctambule qui se respecte monter. Bien après le dernier ser- speakeasy de l’East Village, auquel se doit de fréquenter un dive de vice, le deuxième étage du Spot- on accède par une vieille cabine temps en temps. ted Pig, célèbre gastropub de la téléphonique, puis Dutch Kills, chef britannique April Bloom- dans le Queens, ou encore le char- Les fêtes Longtemps domaine field, accueille des oiseaux de nuit mant Hotel Delmano, à Brooklyn. réservé de la fête, la triés sur le volet, parmi lesquels Comme le montre l’ouverture diurnes nuit est aujourd’hui le rappeur Jay-Z, qui est pro- récente de Maison Premiere, un concurrencée par le jour, en tout priétaire de l’immeuble. Autres bar spécialisé dans les cocktails cas à la belle saison. Le centre restaurants prisés des noctam- à base d’absinthe, la formule a d’art contemporain PS1 a lancé bules, mais plus accessibles : encore de l’avenir. la tendance il y a quinze ans les Enfants terribles, Miss Lily’s, avec ses célèbres journées Pulqueria, et Lovely Day. Les fêtes Elles sont souvent « Warm Up » les samedis d’été. underground itinérantes, par- Depuis, la formule (de l’alcool, Les speak- Il y a douze ans, fois clandestines, de bons DJ, et un dance floor enso- Sasha Petraske et le niveau de décibels y frise tou- leillé) a fait des émules. Un temps easies ouvrait un minus- jours l’illégalité. Malgré leurs dates illégales, les fêtes « Mister Sun- cule bar au numéro de téléphone imprévisibles, elles font danser day » font danser jeunes bran- secret dans l’ancienne échoppe jusqu’au matin une foule bigarrée chés et bobos trentenaires dans d’un tailleur du Lower East Side, d’artistes, de bêtes de mode et de une ambiance étonnamment et un mouvement était né. Avec « club kids » dans des entrepôts familiale près du canal Gowa- son décor évoquant la Prohibi- désaffectés. Elue « Best Dance nus, à Brooklyn. Dans leur troi- tion, Milk and Honey marqua Night » par l’hebdomadaire culturel sième saison, les après-midi le début d’une époque, celle des The Village Voice en 2011, la soirée « Tiki Disco » du restaurant cocktails élaborés dans les règles « Ghe20 Goth1k » de la rappeuse Roberta’s ont suscité de lon- de l’art par des puristes. D’autres lesbienne Venus X est connue pour REPORTAGE PHOTO : gues files d’attente tout l’été à bars ont suivi, comme PDT son audience excentrique et son SCOTT HOUSTON/ Bushwick et sur les planches de (Please Don’t Tell), un faux électro déchaînée. Les fêtes du POLARIS POUR L’EXPRESS Rockaway Beach. ● S. C.

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