Année 2020

ÉVOLUTION DE LA REPRODUCTION COOPÉRATIVE : ÉTUDE CHEZ UN CICHLIDÉ, PULCHER

THÈSE pour obtenir le diplôme d’État de DOCTEUR VÉTÉRINAIRE présentée et soutenue publiquement devant la Faculté de Médecine de Créteil (UPEC) le 17 décembre 2020

par Alexis Élie Jean PERRET né le 21 avril 1994 à Courcouronnes (Essonne)

sous la direction de Caroline GILBERT

Président du jury : M. Jean-Claude PAIRON Professeur à la Faculté de Médecine de CRÉTEIL 1er Assesseur : Mme Caroline GILBERT Professeur à l’EnvA 2nd Assesseur : M. Pascal ARNÉ Maître de Conférences à l’EnvA

Octobre 2020 Liste des personnes intervenant dans l’enseignement Professeurs émérites : Pr Combrisson Hélène, Pr Enriquez Brigitte, Directeur : Pr Christophe Degueurce Pr Panthier Jean-Jacques, Pr Bernard Paragon Directeur des formations : Pr Henry Chateau Directeurs honoraires : MM. les Professeurs C. Pilet, B. Toma, Directrice de la scolarité et de la vie étudiante : Dr Catherine Colmin A.-L. Parodi, R. Moraillon, J.-P. Cotard, J.-P. Mialot & M. Gogny

Département d’Elevage et de Pathologie des Équidés et des Carnivores (DEPEC) Chef du département : Pr Grandjean Dominique - Adjoint : Pr Blot Stéphane

Discipline : anesthésie, réanimation, urgences, soins intensifs Unité pédagogique de médecine de l’élevage et du sport - Pr Verwaerde Patrick* - Dr Cabrera Gonzales Joaquin, Chargé d’enseignement contractuel - Pr Fontbonne Alain Unité pédagogique de clinique équine - Pr Grandjean Dominique* - Pr Audigié Fabrice - Dr Hoummady Sara, Chargée d’enseignement contractuelle - Dr Bertoni Lélia, Maître de conférences - Dr Maenhoudt Cindy, Praticienne hospitalier contractuelle - Dr Bouvet Simon, Praticien hospitalier contractuel - Dr Nudelmann Nicolas, Maître de conférences - Dr Coudry Virginie, Praticienne hospitalier contractuelle - Dr Ribeiro dos Santos Natalia, Praticienne hospitalier contractuelle - Pr Denoix Jean-Marie - Dr Giraudet Aude, Ingénieure de recherche - Praticienne hospitalier Unité pédagogique de pathologie chirurgicale - Dr Jacquet Sandrine, Ingénieure de recherche - Praticienne hospitalier - Dr Decambron Adeline, Maître de conférences - Dr Mespoulhès-Rivière Céline, Ingénieure de recherche-Praticienne - Pr Manassero Mathieu hospitalier* - Pr Viateau-Duval Véronique* - Dr Moiroud Claire, Praticienne hospitalier contractuelle - Dr Tanquerel Ludovic, Chargé d’enseignement contractuel Discipline : cardiologie - Pr Chetboul Valérie Unité pédagogique de médecine et imagerie médicale - Dr Saponaro Vittorio, Praticien hospitalier contractuel - Dr Benchekroun Ghita, Maître de conférences - Pr Blot Stéphane* Discipline : nouveaux animaux de compagnie - Dr Canonne-Guibert Morgane, Maître de conférences - Dr Pignon Charly, Ingénieur de recherche - Praticien hospitalier - Dr Freiche-Legros Valérie, Praticienne hospitalier contractuelle - Dr Volait Laetitia, Praticienne hospitalier contractuelle - Dr Maurey-Guénec Christelle, Maître de conférences Discipline : ophtalmologie - Dr Chahory Sabine, Maître de conférences

Département des Productions Animales et de Santé Publique (DPASP) Chef du département : Pr Millemann Yves - Adjoint : Pr Dufour Barbara

Unité pédagogique d’hygiène, qualité et sécurité des aliments Unité pédagogique de reproduction animale - Dr Bolnot François, Maître de conférences* - Dr Constant Fabienne, Maître de conférences* - Pr Carlier Vincent - Dr Denis Marine, Chargée d’enseignement contractuelle - Dr Gauthier Michel, Maître de conférences associé - Dr Desbois Christophe, Maître de conférences (rattaché au DEPEC) - Dr Mtimet Narjes, Chargée d’enseignement contractuelle - Dr Mauffré Vincent, Maître de conférences

Unité pédagogique de maladies réglementées, zoonoses et épidémiologie Unité pédagogique de zootechnie, économie rurale - Dr Crozet Guillaume, Chargé d’enseignement contractuel - Dr Arné Pascal, Maître de conférences - Pr Dufour Barbara* - Dr Barassin Isabelle, Maître de conférences - Dr Guétin Poirier Valentine, Chargée d’enseignement contractuelle - Pr Bossé Philippe - Pr Haddad/Hoang-Xuan Nadia - Dr De Paula Reis Alline, Maître de conférences* - Dr Rivière Julie, Maître de conférences - Pr Grimard-Ballif Bénédicte - Pr Ponter Andrew Unité pédagogique de pathologie des animaux de production - Pr Adjou Karim - Dr Belbis Guillaume, Maître de conférences* Rattachée DPASP - Dr Delsart Maxime, Maître de conférences associé - Dr Wolgust Valérie, Praticienne hospitalier contractuelle - Pr Millemann Yves - Dr Plassard Vincent, Praticien hospitalier contractuel - Dr Ravary-Plumioën Bérangère, Maître de conférences

Département des Sciences Biologiques et Pharmaceutiques (DSBP) Chef du département : Pr Desquilbet Loïc - Adjoint : Pr Pilot-Storck Fanny

Unité pédagogique d’anatomie des animaux domestiques Unité de parasitologie, mycologie - Pr Chateau Henry - Dr Blaga Radu, Maître de conférences (rattaché au DPASP) - Pr Crevier-Denoix Nathalie - Dr Cochet-Faivre Noëlle, Praticienne hospitalier contractuelle (rattachée DEPEC) - Pr Robert Céline* - Pr Guillot Jacques - Dr Polack Bruno, Maître de conférences* Unité pédagogique de bactériologie, immunologie, virologie - Dr Risco-Castillo Veronica, Maître de conférences - Pr Boulouis Henri-Jean - Pr Eloit Marc Unité pédagogique de pharmacie et toxicologie - Dr Lagrée Anne-Claire, Maître de conférences - Dr Kohlhauer Matthias, Maître de conférences - Pr Le Poder Sophie - Dr Perrot Sébastien, Maître de conférences* - Dr Le Roux Delphine, Maître de conférences* - Pr Tissier Renaud

Unité pédagogique de biochimie, biologie clinique Unité pédagogique de physiologie, éthologie, génétique - Pr Bellier Sylvain* - Dr Chevallier Lucie, Maître de conférences (Génétique) - Dr Deshuillers Pierre, Maître de conférences - Dr Crépeaux Guillemette, Maître de conférences (Physiologie, Pharmacologie) - Pr Gilbert Caroline (Ethologie) Unité pédagogique d’histologie, anatomie pathologique - Pr Pilot-Storck Fanny (Physiologie, Pharmacologie) - Dr Cordonnier-Lefort Nathalie, Maître de conférences - Pr Tiret Laurent (Physiologie, Pharmacologie)* - Pr Fontaine Jean-Jacques - Dr Titeux Emmanuelle (Ethologie), Praticienne hospitalier contractuelle - Dr Jouvion Grégory, Chargé d’enseignement contractuel - Dr Reyes-Gomez Edouard, Maître de conférences* Rattachée DSBP - Mme Dalaine Stéphanie, Professeur agrégée (Sciences de la Vie et de la Terre) Unité pédagogique de management, communication, outils scientifiques - Mme Conan Muriel, Professeur certifié (Anglais) - Pr Desquilbet Loïc, (Biostatistique, Epidémiologie) - Dr Legrand Chantal, Maître de conférences associée - Dr Marignac Geneviève, Maître de conférences* - Dr Rose Hélène, Maître de conférences associée * responsable d’unité pédagogique

Remerciements

Au Président du Jury de cette thèse, Professeur à la Faculté de Médecine de Créteil, Pour me faire l’honneur d’accepter la présidence du jury de ma thèse, je vous présente mes hommages respectueux.

A Mme Caroline GILBERT, Professeur à l’EnvA, Pour avoir accepté d’encadrer cette thèse, pour votre soutien et vos conseils avisés lors de sa réalisation, mes plus sincères remerciements. A M Pascal ARNÉ, Maitre de conférences à l’EnvA, Pour avoir accepté l’assessorat de cette thèse, pour votre bienveillance et votre intérêt pour le projet, mes plus sincères remerciements. A M Michael TABORSKY, Professeur à l’Université de Berne, Pour m’avoir accepté dans son unité afin de réaliser ce projet, mes plus sincères remerciements. A Mme Irene Garcìa-Ruìz, Doctorante à l’Université de Berne, Pour m’avoir aidé à la création et l’exécution de ce projet, pour avoir été présente et à l’écoute tout au long de sa réalisation, mes plus sincères remerciements.

Table des matières Liste des figures ...... 3 Liste des tableaux ...... 5 Liste des abréviations ...... 7 Introduction ...... 9 Première partie : bibliographie ...... 11 1. La coopération et son évolution ...... 11 A. Le paradoxe de l’évolution des comportements altruistes ...... 11 B. L’étude de l’évolution de la coopération ...... 12 C. Les deux modalités de coopération ...... 13 a. La mutualisation des bénéfices ...... 13 b. La réciprocité ...... 13 D. Une forme particulière de coopération : la reproduction coopérative ...... 14 E. Une première approche via des bénéfices indirects : la sélection de parentèle ...... 15 a. Aspects théoriques ...... 15 b. Un exemple de la sélection de parentèle : l’haplodiploïdie ...... 16 c. Prérequis et prédictions clefs ...... 16 d. Limites ...... 17 F. Les alternatives à la sélection de parentèle : autres théories s’appuyant sur les bénéfices directs 17 a. Les bénéfices de la vie en groupe ...... 17 b. Les coûts de la vie en groupe ...... 19 G. Payer pour rester dans le groupe ...... 19 a. Théorie ...... 19 b. Prédictions clefs ...... 19 H. La sélection par le prestige ...... 20 a. La sélection sexuelle ...... 20 b. Théorie du handicap ...... 20 c. Cadre théorique de la sélection par le prestige ...... 20 d. Prédictions clefs (Wong et Balshine, 2011) ...... 21 I. Théorie de la maximisation des bénéfices par l’augmentation de la taille du groupe ...... 21 a. Théorie ...... 21 b. Prérequis et prédictions clefs ...... 21 J. Vers une approche globale : l’interdépendance ...... 22 2. Le modèle biologique étudié : Neolamprologus pulcher ...... 23 A. Généralités ...... 23 a. Présentation et phylogénie ...... 23 b. Écologie ...... 23 c. Organisation sociale ...... 24 d. Reproduction ...... 26 B. Évolution de la reproduction coopérative chez N. pulcher ...... 27 a. Un modèle d’étude adapté à l’évolution des comportements sociaux ...... 27 b. Une influence de la sélection de parentèle ...... 27 c. Influence de l’hypothèse « payer pour rester » ...... 28 d. Influence de l’hypothèse de « sélection par le prestige » ...... 28 e. Influence de l’hypothèse « augmentation de groupe » ...... 29 Deuxième partie : étude expérimentale ...... 31 1. Introduction ...... 31 2. Matériels et méthodes ...... 32 A. Animaux utilisés ...... 32 a. Nombre et espèces ...... 32 b. Taille des poissons ...... 33 c. Sexe des poissons N. pulcher ...... 34 d. Degré d’apparentement ...... 34

Page 1 B. Hébergement ...... 34 C. Constitution des groupes ...... 35 D. Évaluation des comportements d’aide ...... 37 a. Choix des tâches ...... 37 b. Protocole général ...... 37 c. Expérience d’entretien du territoire ...... 39 d. Expérience de défense contre T. vittatus ...... 39 E. Analyses statistiques ...... 41 3. Résultats ...... 41 A. Entretien du territoire ...... 41 B. Défense contre T. vittatus ...... 42 C. Régularité du comportement d’aide ...... 45 4. Discussion ...... 46 Conclusion ...... 49 Liste des références bibliographiques ...... 51 Annexe 1 : Données brutes de l’étude ...... 57

Page 2 Liste des figures

Figure 1 : Schématisation du mécanisme de la sélection naturelle (figure personnelle). Cette modélisation présente une population d’individu se reproduisant seul et mourant après s’être reproduit...... 11

Figure 2 : Schéma explicatif du mécanisme de reproduction haplodiploïde et son effet sur le degré de parenté (D'après « Haplodiploidy », 2020)...... 16

Figure 3 : Photographie de Neolamprologus pulcher (« Neolamprologus pulcher - lamprologien • Fiche Poisson • Fishipédia », 2013 ; crédit : Jérôme Hugues)...... 23

Figure 4 : Photographie d’un couple de Telmatochromis vittatus (« Telmatochromis vittatus », 2018)...... 33

Figure 5 : Représentation schématique d'un aquarium et de son organisation (Source personnelle)...... 35

Figure 6 : Représentation schématique de l'organisation de l'aquarium pour les tests (Source personnelle)...... 38

Figure 7 : Dispositif expérimental pour filmer (Source : A. Perret)...... 39

Figure 8 : Séparation permettant de montrer le prédateur en position fermé (à gauche) et ouverte (à droite) (Source : A. Perret)...... 40

Figure 9 : Corrélation entre les nombres de comportements d'entretien et la taille du FH au moment du test (A) ou l’heure du test (B)...... 42

Figure 10 : Représentation des résultats d'entretien de l'abri. A gauche (A) le nombre d'excavation de chaque individu pour chaque situation (chaque individu est représenté par un trait) ; à droite (B) est représenté la différence entre le nombre d’excavation en situation bas rang et en situation haut rang...... 42

Figure 11 : Représentation de la taille (A) du pourcentage d’activité du prédateur (B) et de l’heure du test (C) en fonction du nombre d’agression restreinte...... 43

Figure 12 : Représentation des résultats d’agression restreinte. A gauche (A) le nombre d’agression restreinte de chaque individu pour chaque situation (chaque individu est représenté par un trait) ; à droite (B) est représenté la différence entre le nombre d’agression restreinte en situation bas rang et en situation haut rang...... 43

Figure 13 : Représentation de la taille (A) du pourcentage d’activité du prédateur (B) et de l’heure du test (C) en fonction du temps de latence face au prédateur...... 44

Figure 14 : Représentation des résultats de temps de latence face au prédateur. A gauche le temps de latence face au prédateur de chaque individu pour chaque situation (chaque individu est représenté par un trait) ; à droite est représenté la différence entre temps de latence face au prédateur en situation bas rang et en situation haut rang...... 44

Page 3 Figure 15 : Représentation du nombre d’agressions restreintes en fonction du temps de latence face au prédateur...... 45

Figure 16 : Représentation du nombre d’agression restreinte (A et B) et du temps de latence (C et D) en fonction du nombre d’excavation. Les individus n’ayant pas creusé dans les deux situations sont pris en compte (A et C) ou non (B et D)...... 45

Page 4 Liste des tableaux

Tableau 1 : Définition détaillée du vocabulaire utilisé dans l'étude de la coopération selon l’objet et le type de bénéfices étudiés (Bshary et Bergmüller, 2008)...... 13

Tableau 2 : Matrice de répartition des gains lors du dilemme du prisonnier (D'après Rapoport et Chammah, 1965). (Dans chaque situation, le gain de A est à droite et celui de B à gauche ; « + » signifie coopère et « - » ne coopère pas) ...... 14

Tableau 3 : Bénéficies de la vie en groupe ...... 18

Tableau 4 : Éthogramme de N. pulcher (Traduction de Kalas, 1975, par M. Taborsky)...... 25

Page 5 Page 6 Liste des abréviations

FH : « Focal Helper » (auxiliaire testé). C’est comme cela que sont appelés les individus qui sont testés dans l’étude.

GLMM : « Generelized Linear Mixed-effect Model » (Modèle linéaire généralisé à effet mixte).

HR : « high rank » (haut rang). C’est l’une des deux situations de test dans lesquelles sont placés les FH lors de l’étude. Ils sont ici dans une position de haut rang dans leur groupe.

LED : « Light-Emitting Diode » (diode électroluminescente)

LMM : « Linear Mixed-effect Model » (Modèle linéaire à effet mixte).

LR : « low rank » (bas rang). C’est l’une des deux situations de test dans lesquelles sont placés les FH lors de l’étude. Ils sont ici dans une position de bas rang dans leur groupe.

OH : « Other Helper » (autre auxiliaire). C’est le nom de l’autre subordonné présent dans les groupes lors de l’étude.

PVC : « Polyvinyl Chloride » (polychlorure de vinyle). C’est une matière plastique.

SL : « Standard length » (longueur standard). C’est la longueur du poisson en le mesurant de la pointe de la bouche à la base de la nageoire caudale.

Page 7

Page 8 Introduction

Le monde vivant dont nous faisons partie est d’une grande complexité : on y observe une nombre d’organismes tous différents sous de nombreux aspects comme leur morphologie, leur taille ou leur mode de vie. La biologie, via une approche scientifique cherche à comprendre cette surprenante diversité. Cette entreprise passe notamment par la recherche de similitudes entre les organismes vivants afin d’en déduire une organisation sous-jacente. A ce jour, parmi les nombreuses théories formalisées pour expliquer cette cohérence, c’est la théorie de l’évolution qui demeure la plus robuste. En effet, elle parvient, avec des règles simples, à expliquer comment et pourquoi le monde vivant a été amener à varier de cette manière. D’abord élaborée par Darwin dans « On the origin of species by means of natural selection » (Sur l'Origine des Espèces au moyen de la Sélection Naturelle) publiée en 1859, elle a été progressivement améliorée au fil du temps. Elle est devenue ce que l’on appelle aujourd’hui « la théorie synthétique de l’évolution » qui fait consensus au sein de la communauté scientifique. Elle présente tout de même des failles auxquelles s’attèlent les chercheurs en biologie évolutive afin de compléter cette théorie et ainsi d’affiner notre compréhension du vivant.

L’une des singularités de la théorie synthétique de l’évolution est la coopération et les comportements altruistes. Ils avaient été déjà identifiés par Darwin dans son livre majeur, mais n’ont toujours pas été complètement compris. En effet, le fait que certains comportements aient été sélectionnés alors qu’ils contribuent à la reproduction d’autres individus, ne peut pas être d’emblée expliqué par la théorie de la sélection naturelle, qui favorise les gènes qui augmentent la reproduction de leurs porteurs par rapport aux autres membres de sa population. L’adaptation qui a été le plus étudiée autour de cette question est la reproduction coopérative. Son étude a d’ailleurs conduit à l’une des plus grandes avancées dans ce domaine, à savoir, la théorie de sélection de parentèle proposée par Hamilton (Hamilton, 1964). Elle permet en effet d’expliquer les comportements altruistes entre individus apparentés : le fait d’aider un autre individu apparenté augmente les chances de transmettre ses propres gènes, indirectement, au sein de la population. Cependant l’existence d’aidants non apparentés au sein de structures de reproduction coopérative a stimulé la recherche de mécanismes alternatifs. Trois modèles majoritaires sont plébiscités (Bergmüller et al., 2007 ; Wong et Balshine, 2011) : « payer pour rester », « la sélection par le prestige » et « l’augmentation de groupe ». La validation de ces hypothèses passe par deux étapes. La première est une phase de modélisation théorique, montrant qu’il est mathématiquement possible que ces mécanismes conduisent à la sélection du comportement d’aide, menant à définir des prérequis. La deuxième consiste en une vérification empirique de ces prérequis et prédictions.

« L’augmentation de groupe » a la particularité d’inclure deux mécanismes distincts pouvant indépendamment conduire à l’émergence et à la sélection des comportements altruistes. Le premier est dit « passif » et le second « actif ». Dans cette thèse, nous avons étudié « l’augmentation de groupe active » et essayé de fournir des preuves expérimentales de son action sur l’évolution de la reproduction coopérative. Pour cela, nous avons utilisé un modèle biologique respectant en grand partie les prérequis associés à cette hypothèse : le cichlide jonquille, Neolamprologus pulcher. C’est une espèce de poissons endémique du lac Tanganyika, en Afrique, qui possède une reproduction quasiment exclusivement coopérative. Ce modèle

Page 9 présente de plus l’avantage d’avoir été déjà très étudié du point de vue biologique, écologique et éthologique. Les modèles de sélection de parentèle et l’hypothèse « payer pour rester » ont aussi été partiellement explorés.

L’une des prédictions que l’on peut faire à partir du mécanisme « d’augmentation de groupe active » chez cette espèce est que le rang hiérarchique aurait une influence sur la quantité de comportements d’aide fournis par les subordonnés du groupe. Les individus de plus haut rang auraient tendance à aider davantage que les autres. Pour cela, chaque individu testé a été placé dans deux situations hiérarchiques différentes, leur comportement a ensuite été évalué dans des tâches d’aide et comparé entre les deux situations.

Cette étude a été réalisée dans un laboratoire de l’université de Berne lors de mon stage de Master 2 Écophysiologie, Écologie et Éthologie, de l’Université de Strasbourg. J’étais sous la tutelle du professeur Michael Taborsky et de sa doctorante Iréné Garcia-Ruìz travaillant à L’Université de Berne, en Suisse.

Page 10 Première partie : bibliographie

1. La coopération et son évolution A. Le paradoxe de l’évolution des comportements altruistes Lorsque Darwin a établi les bases de la théorie de l’évolution, il est parti du postulat que le vivant manifeste une tendance naturelle à varier, que ces variations sont héritables, sélectionnables, et que les populations d’êtres vivants ont tendance à pulluler (Darwin, 1859). Dans ce cadre, lorsque les porteurs d’une variation sont plus aptes à se reproduire que ceux qui en sont dépourvus, celle-ci se trouvera de fait surreprésentée au sein des générations suivantes (Figure 1). Ce phénomène naturel visant à sélectionner tout trait affectant la capacité à survivre et se reproduire, est appelé la sélection naturelle. On mesure cette capacité avec la fitness, aussi appelée « valeur sélective », qui représente la contribution effective d’un individu à la génération suivante, c’est-à-dire le nombre descendants arrivant en âge de se reproduire qu’il produira.

Figure 1 : Schématisation du mécanisme de la sélection naturelle (figure personnelle). Cette modélisation présente une population d’individu se reproduisant seul et mourant après s’être reproduit.

… Pourcentage de vert

Génération 3 84 %

Naissances Les Individus ayant le trait jaune offrant un taux de survie de 0,5 et Survie permettant de produire un descendant

Génération 2 70 % Individus ayant le trait vert offrant un taux de Naissances survie de 0,66 et permettant de produire deux descendants Survie

Génération 1 50 %

Il est important de noter qu’un trait ne peut être sélectionné que s’il augmente la fitness de ses porteurs relativement au reste de la population (Darwin, 1859). A priori, les traits bénéfiques pour l’individu porteur, tels que les comportements égoïstes, seront favorisés par la sélection naturelle, à l’inverse des autres traits. De la même manière, les comportements altruistes, qui sont des comportements coûteux pour l’émetteur et bénéfiques pour le récepteur, devraient être sélectionnés négativement et donc disparaitre.

Page 11 Il existe de nombreux exemples de comportements a priori altruistes dans la nature. Leur stabilisation semble donc mettre en défaut la théorie de l’évolution, problème déjà soulevé par Darwin dans son livre princeps. La recherche dans ce domaine s’avère particulièrement prolifique visant à affiner notre compréhension des mécanismes évolutifs régissant le monde vivant.

B. L’étude de l’évolution de la coopération La coopération est étudiée dans de nombreuses disciplines allant de la biologie évolutive à la sociologie en passant par l’économie, ce qui a conduit à formaliser quatre approches majoritaires (Bshary et Bergmüller, 2008) :

• La première approche s’intéresse aux chemins évolutifs ayant conduit à l’apparition et au maintien des comportements d’aide. On veut identifier ici les forces influençant la valeur sélective des individus exprimant de tels comportements. Pour qu’ils soient sélectionnés, il est nécessaire qu’il y ait une augmentation du succès reproducteur moyen des individus les exprimant par rapport à ceux ne les exprimant pas.

• La seconde approche s’intéresse au contexte écologique de la coopération. On cherche à identifier quels sont les paramètres de l’environnement comme par exemple la densité en ressources alimentaires, la densité de population ou son degré de dispersion, qui vont influencer la stabilité des comportements d’aide (Schradin et al., 2010).

• La troisième approche s’intéresse aux stratégies coopératives en recourant à la théorie des jeux (Smith, 1982). Ce qui est étudié ici est la prise de décision lors d’une interaction permettant la coopération. La réciprocité et les mécanismes associés constituent le sujet de prédilection de ce domaine de recherche.

• La dernière approche porte sur les capacités cognitives nécessaires à la coopération. Elle est issue des questionnements des sociologues sur la complexité de la coopération chez l’espèce humaine en comparaison avec les autres espèces.

On peut donc distinguer ces approches par leur objectif. Certaines s’intéressent aux mécanismes conduisant à l’évolution de la coopération et d’autres aux conditions favorisant cette évolution.

Une autre différence réside au niveau de l’objet d’étude, qui peut être l’individu émetteur uniquement ou, au contraire, l’interaction entre receveur et émetteur. Enfin, lors de la recherche des bénéfices conférés par la coopération, certains examinent les gains immédiats et d’autres les effets sur la valeur sélective globale de l’individu.

Ces différences dans la conceptualisation de la coopération ont conduit à des divergences sémantiques qui ont ralenti la mise en commun des connaissances dans ce domaine. Bshary et Bergmüller (2008) ont donc proposé une terminologie commune (Tableau 1).

Bien que cette thèse aborde majoritairement les chemins évolutifs de la coopération, elle sera complétée avec des connaissances provenant également des trois autres approches.

Page 12 Tableau 1 : Définition détaillée du vocabulaire utilisé dans l'étude de la coopération selon l’objet et le type de bénéfices étudiés (Bshary et Bergmüller, 2008).

Comportements sociaux Interactions sociales

Répartition des Receveur noms bénéfices

+ - (+/+) Coopération mutuelle Gains imédiats Comportement interessé + Tricherie (+/-) Exploitation mutuellement bénéfique Acteur - Inverstissement Punition (-/-) Défection mutuelle

Répartition des Receveur noms bénéfices

Coopération (intraspécifique) ou + - (+/+) Effet sur la Mutualisme (interspécifique) fitness globale Comportement Altruisme, Parasitisme ou + comportement égoïste (+/-) mutuellement bénéfique Prédation Acteur - Comportement altruiste Comportement malvailant (-/-) Compétition ou malveillance

C. Les deux modalités de coopération La coopération est une interaction entre deux ou plusieurs individus qui sera bénéfique pour tous les intervenants (cf. tableau 1). Il existe deux modalités pour atteindre ce résultat : les comportements à bénéfices mutuels et la réciprocité de comportement altruiste.

a. La mutualisation des bénéfices Lorsqu’un individu (acteur) exprime un comportement intéressé envers un autre (récepteur), cela peut aussi bénéficier à un individu additionnel (individu tiers). C’est le cas par exemple, lors de la vie en groupe où la simple présence des autres autour produit des bénéfices que nous détaillerons plus loin (cf. paragraphe F.a.). Pour cette modalité, le postulat est que les bénéfices perçus par l’individu tiers ne peuvent être supérieurs à ceux perçus par l’acteur du comportement. Si c’est le cas, la fitness de l’acteur sera inférieure à celle du receveur ce qui mènerait à l’exploitation du comportement du premier par d’autres (Roberts, 1998).

Cette mutualisation des bénéfices est aussi possible lorsque les coûts d’un comportement a priori altruiste sont contrebalancés par des bénéfices dérivés de ce comportement (West et al., 2007). Ces bénéfices dérivés sont la base de deux des théories qui seront présentées par la suite : la sélection de parentèle et l’hypothèse « d’augmentation de groupe ».

b. La réciprocité Une autre manière de compenser les coûts d’un comportement altruiste est qu’un comportement altruiste réciproque soit produit en réponse (Trivers, 1971). Ce comportement réciproque peut être produit par le récepteur du comportement initial ; on parle dans ce cas de

Page 13 réciprocité directe, ou par un autre individu, correspondant cette fois ci à une réciprocité généralisée (Pfeiffer et al., 2005).

Ce mécanisme est très sensible à la tricherie. En effet, un individu peut profiter des comportements altruistes des autres sans leur rendre la pareille. L’utilisation de la théorie des jeux dans le cadre du dilemme du prisonnier a ainsi pu aisément mettre en évidence la tricherie (Rapoport et Chammah, 1965).

Le dilemme du prisonnier correspond à la situation suivante (Rapoport et Chammah, 1965) : On offre à deux individus A et B la possibilité de coopérer ou non entre eux avec une répartition des gains présentée dans le tableau 2. Tricher (T) permet de gagner les récompenses résultant de la coopération (C) sans payer les coûts de celle-ci, alors que lorsque l’on est exploité (E) on ne paye que les coûts sans gagner les récompenses. Ensuite, lorsque personne ne coopère (N) les individus ne gagnent ni les récompenses de la coopération ni ne payent ses coûts. Ces gains respectent donc l’inéquation suivante : T > C > N > E. Dans cette situation lorsque l’on calcule le gain moyen de la coopération et de la tricherie, on obtient un gain moyen plus important pour la tricherie. Il est donc plus avantageux de ne pas coopérer dans cette situation.

Tableau 2 : Matrice de répartition des gains lors du dilemme du prisonnier (D'après Rapoport et Chammah, 1965). (Dans chaque situation, le gain de A est à droite et celui de B à gauche ; « + » signifie coopère et « - » ne coopère pas)

A B + - + C,C E,T

- T,E N,N

Pour éviter d’être exploité par des tricheurs, les individus coopérant par cette modalité doivent mettre en place des stratégies décidant de « quand, avec qui et comment coopérer ». Trivers (1971) a pu modéliser la façon dont certaines stratégies coopératives permettaient de maximiser le gain moyen lorsque deux individus sont soumis à une succession de situations équivalentes à ce dilemme du prisonnier.

Deux des théories présentées dans cette thèse se basent sur cette modalité de coopération : « payer pour rester » et « le prestige ».

D. Une forme particulière de coopération : la reproduction coopérative La reproduction coopérative se caractérise par la présence d’individus (auxiliaires) aidant le couple reproducteur à prodiguer les soins parentaux, au détriment de leur propre reproduction (Bergmüller et al., 2007). Ce type de structure se retrouve chez de nombreuses espèces disséminées dans tout le règne animal : chez les mammifères (Solomon et French, 1997), les oiseaux (Downing et al., 2020), les arthropodes (Bourke et Franks, 1995) et les poissons (Taborsky, 2016).

Page 14 Chez certaines de ces espèces la reproduction des subordonnés est uniquement retardée, et les individus auront généralement la possibilité de produire une descendance plus tard. Mais pour d’autres, dites eusociales, cette opportunité est complètement supprimée. Les organismes eusociaux vivent en colonies de grandes tailles et sont majoritairement des arthropodes (Crespi et Yanega, 1995) mais il existe aussi une espèce de mammifère, les rats-taupe-nus (Heterocephalus glaber) (Jarvis, 1981) qui présente ce système de reproduction. Dans les colonies d’arthropodes, il existe deux castes distinctes : les reproducteurs et les travailleurs. La quasi-totalité des membres de la colonie sont des travailleurs qui réalisent la majorité des taches de fourragement, de défense et de soins au couvain. Ils sont stériles soit par absence d’organe reproducteur, soit par blocage de leurs organes reproducteurs à un stade pré-pubère. Seul un petit nombre d’individus appartiennent à la caste des reproducteurs, qui produisent les descendants.

La reproduction coopérative étant, en apparence, clairement altruiste et associée à une complexité sociale importante, a toujours été au centre de l’étude de l’évolution de la coopération. Nous détaillerons par la suite les mécanismes évolutifs sous-jacents à l’évolution de la reproduction coopérative.

E. Une première approche via des bénéfices indirects : la sélection de parentèle a. Aspects théoriques C’est Hamilton (1964) qui a développé le modèle de sélection de parentèle dont le concept clef est la « fitness inclusive ». Sa théorie repose sur le partage d’une partie du patrimoine génétique entre individus apparentés. Dans ce cas, l’augmentation de la fitness d’un individu conduira à une augmentation de la présence dans la génération suivante des traits héréditaires qu’il a en commun avec un autre individu. Il y aura alors une augmentation indirecte de la fitness du second via l’augmentation de la fitness du premier. La fitness inclusive est l’association de cette fitness indirecte à la fitness directe classique. Hamilton a ainsi pu montrer que les comportements d’aide pouvaient être sélectionnés via ce mécanisme à condition que la règle suivante soit respectée : ! × $ < &

C est le coût en fitness directe du comportement d’aide pour l’émetteur.

r est le degré d’apparenté entre l’émetteur et le récepteur.

B est le bénéfice en fitness direct du comportement d’aide pour le récepteur.

Dans un système de reproduction coopérative, celui qui aide un apparenté à se reproduire apporte donc des bénéfices à l’émetteur en termes de fitness indirecte. Ces individus peuvent donc obtenir une fitness inclusive relative, au sein de la population, plus importante que celle des autres individus ne pratiquant pas la reproduction coopérative. Cela conduit donc à la stabilisation de cette stratégie dans la population.

Page 15 b. Un exemple de la sélection de parentèle : l’haplodiploïdie Certains arthropodes eusociaux ayant une structure génétique particulière : ils sont haplodiploïdes. C’est le cas par exemple de l’abeille domestique (Apis mellifera). Cela signifie que les femelles sont diploïdes, c’est-à-dire qu’elles ont deux copies de chacun de leurs chromosomes, et les mâles sont haploïdes, soit pourvu d'une seule. Cette spécificité va conduire à une répartition inhabituelle des degrés de parenté (Figure 2). En effet, avec une structure diploïde, plus classique, le plus haut degré de parenté entre un individu et sa progéniture est en moyenne de 50 % alors qu’elle est de 25 % en moyenne entre frères ou sœurs. Pour les espèces haplodiploïdes, les individus partagent aussi en moyenne 50 % du génome de leurs progénitures. En revanche, les femelles ont en commun en moyenne 75 % de leur génome avec leurs sœurs et 50 % avec leurs frères. Les mâles, quant à eux, partagent en moyenne 50 % de leur génome avec leurs frères. En suivant la théorie de sélection de parentèle, il est donc plus avantageux dans ces conditions de s’occuper de ses frères et sœurs plutôt que de ses propres enfants. On remarque que cet avantage est plus marqué pour les femelles et, qu’en effet, les colonies de ces espèces présentent bien un sex-ratio biaisé en faveur des femelles (Gardner et Ross, 2013).

Figure 2 : Schéma explicatif du mécanisme de reproduction haplodiploïde et son effet sur le degré de parenté (D'après « Haplodiploidy », 2020).

Cellules des parents

Méiose avec crossing-over Mitose Légende :

Gamètes Une copie du génome r 50 % r : degré de parenté

Cellules des descendants

r 75 %

c. Prérequis et prédictions clefs Toute théorie va, à partir de postulats de départ, faire des prédictions. Une fois qu’une validation théorique a été faite, il est nécessaire de procéder à une validation expérimentale. Celle-ci consiste en la vérification des prédictions de la théorie dans un modèle biologique respectant les prérequis associés. Nous allons donc, pour chaque théorie présentée, préciser les prérequis et les prédictions les plus générales.

Le modèle de sélection de parentèle fait deux prédictions. La première est une préférence pour les individus qui sont apparentés par rapport à ceux qui ne le sont pas, comme cible d’un comportement d’aide. La seconde, qui découle de la règle d’Hamilton, est une dépendance entre

Page 16 le degré de parenté et le niveau d’aide : plus un individu est apparenté à un autre plus il pourra investir dans des comportements d’aide dirigé vers lui.

Pour que ces deux prédictions soient possibles, il est nécessaire de pouvoir faire la distinction pour un individu donné entre les individus qui lui sont apparentés et ceux qui ne le sont pas. Ceci passe par la reconnaissance des apparentés qui peut se faire via une véritable reconnaissance individuelle ou une simple attraction pour les apparentés par la détection de signaux (visuels, chimiques…)(Ward et al., 2020). Il est toutefois possible qu’une sélection de parentèle puisse se faire sans reconnaissance, si la discrimination s’opère par le biais des conditions écologiques de l’espèce. Le scarabée ambrosia, Xyleborinus saxesenii, est un bon exemple de ce cas de figure (Peer et Taborsky, 2007). La femelle fécondée creuse un trou dans un tronc d’arbre mort et y fonde une colonie dont elle bloque toute entrée ce qui permet de s’assurer que tout individu présent est apparenté aux autres. Ils peuvent ainsi n’aider que leurs parents au sein de la colonie.

d. Limites Cette théorie est particulièrement robuste car il suffit que le degré de parenté moyen dans un groupe soit différent de zéro pour qu’elle puissent avoir un impact sur la sélection des comportements d’aides (Queller et Goodnight, 1989). Pour autant, la règle d’Hamilton montre que le niveau d’aide dépend du degré de parenté et il existe bon nombre d’exemples de coopération animale pour lesquels le degré de parenté est trop faible pour l’expliquer (Clutton-Brock, 2009). Il est donc nécessaire de trouver d’autres mécanismes pouvant remplacer ou compléter la sélection de parentèle dans ces cas-là. En l’absence de bénéfices indirects via les apparentés, les chercheurs se sont concentrés sur les bénéfices directs de la vie au sein d’un groupe.

F. Les alternatives à la sélection de parentèle : autres théories s’appuyant sur les bénéfices directs a. Les bénéfices de la vie en groupe Dans un groupe pratiquant la reproduction coopérative, il existe de nombreux bénéfices pour les subordonnés du groupe. On peut les classer dans quatre catégories selon deux critères (Tableau 3) (Kingma et al., 2014) :

• La modalité de coopération produisant les bénéfices : les bénéfices peuvent être mutuels, c’est-à-dire produits par leur seule présence, ou réciproques.

• Le moment d’impact des bénéfices sur le subordonné : à court terme, quand il est dans le groupe en tant que subordonné, ou à long terme, quand il devient reproducteur.

Page 17 Tableau 3 : Bénéficies de la vie en groupe Court terme Long terme

Réduction de la prédation par : la réduction de la probabilité d’être attrapé

par effet de dilution, confusion des Réduction de la prédation par : prédateurs et amélioration de la vigilance la réduction de la probabilité d’être passive (Rasa, 1989 ; Le Roux et al.,

attrapé par effet de dilution, 2009). confusion des prédateurs et

amélioration de la vigilance passive

(Rasa, 1989 ; Le Roux et al., 2009). Amélioration de la santé ou des Bénéfices conditions de vie par :

mutuels la dispersion en groupe (Ridley, 2012), une diminution de la charge de coopération (Cockburn, 1998) et Amélioration de la santé ou des l’expansion territoriale (Marino et al., conditions de vie par : 2012). de l’acquisition ou consommation de nourriture (Stacey et Ligon, 1987 ; Creel et Creel, 1995), le gain de Une augmentation des chances de temps permis par la vigilance réduite reproduction par : (Beauchamp, 2008 ; Radford et al., un groupe plus stable (Heg et al., 2005a ; 2009) et la thermorégulation de Clutton-Brock et al., 1999), la défense du groupe (Du Plessis et Williams, 1994 territoire face au compétiteur (Port et al., ; Hatchwell et al., 2009). 2010 ; Mares et al., 2012 ; Marino et al., 2012) et la dispersion en groupe (Clutton- Brock et al., 1999).

Réduction de la prédation par : les comportements de cris d’alarme Réduction de la prédation par : (Hughes et al., 2012), le partage de les comportements de cris d’alarme la vigilance active (Rasa, 1989 ; Le (Hughes et al., 2012), le partage de la Roux et al., 2009) et la défense vigilance active (Le Roux et al., 2009) et contre les prédateurs (Heg et al., la défense contre les prédateurs (Clutton- Bénéfices 2005a ; Clutton-Brock et al., 1999). Brock et al., 1999). réciproques Amélioration de la santé ou des

conditions de vie par : acquisition ou consommation de Un succès reproducteur accru par : nourriture (Stacey et Ligon, 1987 ; l’expansion du territoire (Marino et al., Creel et Creel, 1995), et le toilettage 2012) et les comportements d’aide aux mutuel (Cheney et al., 2010). soins parentaux (Wiley et Rabenold, 1984).

Page 18 b. Les coûts de la vie en groupe Il existe tout de même des coûts liés à la vie en groupe. Ceci est principalement dû à une augmentation de la compétition au sein du groupe. Cette compétition peut se faire pour des ressources alimentaires (Jakob, 1991), pour un lieu (cachette, lieu de repos) et surtout pour la reproduction (Schradin et al., 2010).

D’autres coûts sont également décrits, comme l’effet négatif sur la fécondité que l’on retrouve par exemple chez les femelles Stegodyphus dumicola, une espèce d’araignée (Bilde et al., 2007), et une augmentation du risque de consanguinité (Nichols et al., 2015).

Enfin, les individus vivant en groupe sont plus exposés au risque d’une contamination par des maladies contagieuses par l’augmentation des contacts entre individus. Cela a notamment été observé chez les passereaux pour certains ectoparasites (Poulin, 1991).

G. Payer pour rester dans le groupe a. Théorie Gaston (1978) émet l’hypothèse que les comportements d’aide exprimés par les membres subordonnés d’un groupe sont un paiement pour être acceptés dans le groupe et ainsi profiter des bénéfices en résultant. Ce serait donc une forme de réciprocité entre les dominants du groupe et les subordonnés : les dominants les laissent rester dans le groupe s’ils compensent, par leur aide, le coût qu’ils imposent par leur présence. Comme expliqué plus haut, les stratégies de réciprocité sont sensibles à la présence de tricheurs et doivent donc comprendre des mécanismes de protection. Ici, la tricherie est empêchée par la surveillance et la punition des individus n’aidant pas suffisamment. La punition peut aller de la simple agression jusqu’à l’éviction définitive du groupe.

L’analyse de cette théorie à mis en évidence qu’elle n’était pas, à elle seule, suffisante pour provoquer l’émergence de la coopération mais qu’elle pouvait contribuer à maintenir des comportements d’aides déjà présents (Kokko et al., 2002 ; Hamilton et Taborsky, 2005).

b. Prédictions clefs L’une des deux prédictions critiques du modèle « payer pour rester » est que la réduction ou l’absence d’aide conduit à une punition. Il est toutefois possible que les punitions ne soient pas visibles si les subordonnées répondent à la menace de punition plutôt qu’à la punition elle-même (Wong et al., 2007). La seconde est que cette punition doit provoquer une augmentation des comportements d’aide produits par les individus punis. Encore une fois, l’augmentation d’aide peut être provoquée par la menace de punition.

Pour qu’un subordonné soit puni, il faut que le reproducteur s’aperçoive qu’il aide moins. Les comportements d’aide doivent donc être influencés par la présence ou non du reproducteur : son absence conduira à une diminution de leur expression (McDonald et al., 2008).

Enfin, le besoin en aide est variable au cours du temps. Cela peut être dû au cycle reproducteur (nécessité ou non de soins parentaux), au nombre de jeunes présents dans le groupe, à la taille du groupe ou bien aux conditions environnementales (Hellmann et Hamilton, 2018). La quantité de punitions doit donc dépendre du besoin d’aide.

Page 19 H. La sélection par le prestige a. La sélection sexuelle La sélection sexuelle est une forme particulière de sélection naturelle que Darwin a proposé dans son livre « The descent of man, and selection in relation to sex » (La Filiation de l'homme et la sélection liée au sexe) (Darwin, 1871). Elle se base sur l’importance de trouver un partenaire pour se reproduire : tout trait augmentant les chances d’être choisi comme partenaire offrira un gain de fitness à leurs possesseurs. Une fois qu’un trait devient attirant pour l’autre sexe, même s’il n’apporte pas d’avantage en termes de survie, de fertilité ou de fécondité, il reste avantageux de choisir des partenaires en étant pourvu pour produire une descendance plus attractive. Ce mécanisme est intéressant pour comprendre l’évolution des traits de parades sexuelles.

b. Théorie du handicap Zahavi a formulé en 1975 la théorie du handicap pour expliquer la préférence de certains attributs extravagants chez le partenaire sexuel, comme la queue des paons Pavo cristatus (Zahavi, 1975). Ces caractères seraient des signaux « honnêtes » marquant la qualité du partenaire sexuel. Un signal est dit « honnête » lorsqu’il ne peut être falsifié par son émetteur. Représentant un handicap pour leur porteur (la queue du paon le gène pour voler par exemple), seuls les individus pouvant en assumer le coût pourront survivre en exprimant ce caractère extravagant et donc être choisis comme partenaire. Plus un individu supporte un handicap important, plus il doit avoir de bonnes capacités de survie. Il est donc avantageux de préférer un partenaire avec un handicap important qui sera ainsi sélectionné sexuellement. L’importance du handicap est tout de même limitée par la sélection naturelle classique. Chez les guppies, Poecilia reticulata, les mâles arborent des couleurs vives qui attirent les femelles mais aussi les prédateurs. On a remarqué que le type de partenaire choisi par les femelles dépend de la quantité de prédateurs présents dans le milieu (Godin et Briggs, 1996).

c. Cadre théorique de la sélection par le prestige En appliquant cette idée à la coopération, il est possible d’envisager les comportements altruistes comme un signal de la qualité de l’émetteur (Zahavi, 1995). En effet, il serait avantageux de se choisir comme partenaire un individu coopérant beaucoup, car il a plus de chance de nous aider en retour. De même, il serait préférable de le choisir comme partenaire sexuel car il a plus de chance de prodiguer des soins parentaux importants. Il sera donc avantageux d’émettre des comportements d’aides pour accumuler du « prestige » auprès des autres membres de son groupe.

Si le comportement d’aide est coûteux il pourra faire office de signal honnête. De cette manière, on obtient une stratégie de réciprocité où la tricherie n’est pas avantageuse pour le tricheur.

Le modèle a été validé théoriquement (Gintis et al., 2001 ; Lotem et al., 2003) mais il existe cependant deux limites. La première est que si d’autres signaux honnêtes plus directs de la qualité d’un individu sont perceptibles, la présence de comportements d’aide comme signaux n’est plus nécessaire (Grafen, 1990). Ensuite, les bénéfices inhérents aux comportements d’aides peuvent être multiples, ce qui va générer une variabilité des comportements d’aide exprimés par un même

Page 20 individu. Dans cette situation, il sera difficile de les utiliser comme signaux et ceci implique que les individus ait la capacité d’éliminer les variations d’aide dû aux autres bénéfices (Wright, 2007).

d. Prédictions clefs (Wong et Balshine, 2011) Le modèle du prestige génère trois prédictions quant aux comportements d’aide :

• Les comportements d’aide étant, selon la théorie, un signal honnête de la qualité de l’individu, le niveau d’aide fourni doit donc être dépendant de la qualité intrinsèque de l’émetteur.

• Le niveau d’aide influence la probabilité d’être choisi en tant que partenaire sexuel ou de coopération.

• Il y a un effet d’audience sur la quantité d’aide fournis. En effet, seuls les comportements d’aide faits en présence d’autres membres du groupe permettent d’augmenter le prestige de l’émetteur. La quantité d’individus présents ainsi que la qualité des individus présents doivent aussi avoir une influence.

I. Théorie de la maximisation des bénéfices par l’augmentation de la taille du groupe a. Théorie Woolfenden (1975) a constaté que les bénéfices de la vie en groupe augmentent avec la taille du groupe. En se basant sur ce constat, il a proposé que les comportements d’aide, dans la mesure où ils augmentent la taille du groupe, sont sélectionnés par cet accroissement de bénéfices. La modélisation de cette théorie a montré que ce mécanisme pouvait expliquer l’évolution de la coopération, depuis son émergence jusqu’à sa stabilisation, de deux manières indépendantes (Kokko et al., 2001). En effet, Kokko et ses collaborateurs ont fait la distinction entre ce qu’ils ont appelé « l’augmentation de groupe active » et « l’augmentation de groupe passive ». Cette distinction s’opère par le type de bénéfices perçus par les individus qui aident, lors de l’augmentation de la taille du groupe. « L’augmentation de groupe active » concerne les bénéfices réciproques à long terme, tandis que « l’augmentation de groupe passive » concerne les bénéfices mutuels à court et long termes. Ce modèle a tout de même quelques limites : un groupe de trois individus seulement a pu être modélisé. D’autres modélisations théoriques seraient nécessaires pour approfondir cette théorie.

b. Prérequis et prédictions clefs Dans la construction de leur modèle, Kokko et ses collaborateurs (2001) sont partis des cinq postulats suivants pour que « l’augmentation de groupe » fonctionne :

• Les subordonnés ont la possibilité d’hériter la position de reproducteur dans le groupe.

• Au moins une partie des jeunes que les subordonnés ont aidé à élever reste dans le groupe.

• Les comportements d’aide sont coûteux à fournir et le coût augmente avec la quantité d’aide fournie.

Page 21 • Les coûts immédiats des comportements d’aide sont plus faibles que les bénéfices au long terme.

• Les autres membres du groupe ne compensent pas complètement si l’un des subordonnés n’aide pas.

Les prédictions de cette théorie ont rarement été faites de manière explicite. Les implications principales de ce modèle sont que :

• Les comportements d’aide doivent conduire à l’augmentation de la taille du groupe. Cela peut se faire par une augmentation de la productivité des reproducteurs du groupe mais aussi par l’augmentation du recrutement d’individus au sein du groupe.

• Les bénéfices de la vie en groupe augmentent bien avec la taille du groupe.

J. Vers une approche globale : l’interdépendance Les théories que nous avons évoquées ne sont pas mutuellement exclusives et il y a même de bonnes chances pour que l’évolution de la coopération soit une combinaison de ces mécanismes. Il serait donc intéressant de produire un cadre théorique synthétique englobant tous ces principes. C’est ce qu’a réalisé Roberts (2005) en formalisant la théorie de l’interdépendance.

Ce que Roberts entend par interdépendance est la présence, pour un individu, d’un « intérêt » chez un autre individu. Cela se traduit par la dépendance entre la fitness de deux individus : les variations de la fitness de l’un fait varier celle de l’autre. Cet « intérêt » que l’on a pour un autre va lui donner de la valeur au même titre que le lien de parenté dans la théorie de sélection de parentèle. On peut donc calculer un degré d’interdépendance entre deux individus qui est le degré de dépendance entre leurs fitness. En reprenant la règle d’Hamilton et en remplaçant le degré de parenté par le degré d’interdépendance, on obtient donc une règle régissant les comportements altruistes dirigés vers les individus vis-à-vis desquels un individu a un intérêt à collaborer.

La source de « l’intérêt » peut prendre un grand nombre de formes. Ce peut être une proximité génétique, ce qui équivaut à la théorie de sélection de parentèle. L’intérêt peut aussi être le produit d’un lien de réciprocité, ce qui se rapproche selon le cas des théories « payer pour rester » et « sélection par le prestige ». Enfin, si l’intérêt résulte de l’appartenance à un même groupe, il entre en résonnance avec la théorie « d’augmentation de groupe ».

Bien que cette théorie soit récente et que la notion d’intérêt manque de précision, elle en reste néanmoins prometteuse. Elle n’est pour le moment utilisée que pour les primates (humains et non humains). Cette théorie nécessite donc plus de travaux théoriques sur ce sujet et des tests sur d’autres modèles biologiques.

Page 22 2. Le modèle biologique étudié : Neolamprologus pulcher A. Généralités a. Présentation et phylogénie Neolamprologus pulcher est un vertébré de la classe des , qui regroupe les poissons à nageoires rayonnées. Il appartient à l’ordre des Perciformes et fait partie de la famille des Cichlidés. N. pulcher a été décrit pour la première fois avec Neolamplrologus brichardi, en 1952, en tant que sous-espèce de Neolamprologus savoryi, avant d’être tous deux considérés comme deux espèces à part entière en 1974 (Trewavas et Poll, 1952 ; Poll, 1974). Une étude génétique plus récente a finalement démontré une absence de séparation marquée entre ces deux taxons qui ont donc été regroupés sous un seul et même nom d’espèce à savoir N. pulcher (Duftner et al., 2007). Le nom de N. brichardi est toutefois encore utilisé.

N. pulcher, aussi appelé cichlidé jonquille, est un poisson de forme allongée doté d’une nageoire caudale en forme de lyre. Sa nageoire dorsale est continue et, comme toutes ses nageoires impaires, se prolonge par un filament. Ces poissons sont de couleur gris clair avec de petits points jaunes, comprenant quelques zones bleues brillantes comme les filaments des nageoires ainsi qu’autour des yeux. Ils arborent aussi des bandes noires sur les opercules qui sont à l’origine de la distinction brichardi/pulcher (Figure 3).

N. pulcher fait partie des poissons ayant une croissance indéterminée, c’est-à-dire qui ne s’arrête pas après avoir atteint sa maturité sexuelle. Dans son milieu naturel, il peut vivre plus de quatre ans et mesurer jusqu’à 65 mm (taille standard : SL) (Taborsky, 1984).

Figure 3 : Photographie de Neolamprologus pulcher (« Neolamprologus pulcher - lamprologien • Fiche Poisson • Fishipédia », 2013 ; crédit : Jérôme Hugues).

b. Écologie • Habitat Neolamprologus pulcher est, comme tous les membres du genre Neolamprologus, endémique du lac Tanganyika, en Afrique. On retrouve deux populations en zone sublittorale au

Page 23 Nord (originellement N. brichardi) et au Sud de ce lac. Ces poissons fréquentent une grande diversité d’habitats allant des socles de pierre nue avec quelques fissures et trous servant de cachette à des terrains beaucoup plus chaotiques comme des amoncellements de roche ou de coquilles de gastéropodes vides. L’habitat préféré par les groupes de grande taille est constitué d’un substrat de sable parsemé de roches sous lesquelles ils creusent leurs abris. C’est une espèce territoriale et chaque groupe défend une zone semi-sphérique d’en moyenne 25 à 50 cm de rayon autour d’un ou plusieurs abris (Taborsky, 1984 ; Balshine et al., 2001).

• Comportement alimentaire (Taborsky, 2016) Les adultes se nourrissent majoritairement de zooplancton qu’ils trouvent au milieu de la colonne d’eau hors de leur territoire. Ce faisant, les reproducteurs passent 90 % de leur temps hors du territoire lorsqu’aucune ponte n’est présente. Les individus plus jeunes se nourrissent plutôt du plancton et des crustacés présents en faible quantité dans leur territoire.

c. Organisation sociale • Structure sociale La majorité des individus vit au sein de groupes reproducteurs composés d’un couple reproducteur et de subordonnés, aussi appelés auxiliaires. Il existe très peu de couples reproducteurs sans subordonnés : 5 % des unités reproductrices dans la population « Nord » et moins de 1 % des unités dans la population « Sud » (Heg et al., 2005a ; Taborsky et Limberger, 1981).

Les individus non-reproducteurs n’appartenant pas à des groupes reproducteurs sont retrouvés dans deux types de structures. Au Nord du lac, 20 % de la population appartiennent à des agrégations stables présentes aux alentours des groupes reproducteurs (Taborsky, 1984). Les membres de ces agrégations n’ont pas accès à un abri mais ont une croissance plus rapide. Bien que l’on y retrouve des individus des deux sexes, une plus grande proportion de mâles est notée. Au Sud du lac, on retrouve des individus vivant seuls dans un abri ou partageant un abri avec un voire deux conspécifiques. Ces groupes indépendants représentent 5 % de la population (Heg et al., 2005b ; Stiver et al., 2004).

• Structure du groupe Le mâle dominant d’un groupe reproducteur peut être polygame et défendre plusieurs groupes distincts (Desjardins et al., 2008). Ces groupes sont constitués d’une femelle reproductrice, et en moyenne de 5 à 6 subordonnés de plus de 15 mm SL, avec les alevins du couple reproducteur. Ces subordonnés sont d’anciens alevins du groupe ne s’étant pas dispersé ou bien des individus provenant d’autres groupes (Heg et al., 2005b).

Dans un groupe, plus un individu est grand, plus son degré de parenté avec les reproducteurs est faible (Dierkes et al., 2005). En effet, les individus immigrant dans un groupe sont généralement de taille moyenne à grande. De plus, lorsqu’un reproducteur est remplacé par un autre, les subordonnés restent généralement dans le groupe. Ainsi, les individus les plus grands ont généralement connu plusieurs reproducteurs dans le groupe qui leurs sont de moins en moins apparentés au fils du temps.

Page 24 Tableau 4 : Éthogramme de N. pulcher (Traduction de Kalas, 1975, par M. Taborsky).

Catégories Comportement Description

Pilonnage ; frappe en Approche linéaire très rapide vers un autre poisson se terminant par un contact physique arc (pilonnage) ou un coup lors d'une trajectoire en forme d'arc (frappe en arc) Attaques Mordre un autre poisson ou le poursuivre pour essayer de le mordre (avec contact (Agressions Morsure, poursuite franches) physique) Joute Saisir un adversaire par la mâchoire et tirer ou pousser intensément

Ouverture des nageoires Toutes les nageoires, en particulier les nageoires non appariées, sont écartées au avec ou non une posture maximum, le corps maintenu dans une posture rigide ; le corps peut être incliné avec la tête en bas tête dirigée vers le bas (posture tête basse)

Approche frontale ; Approche linéaire vers un autre poisson qui est brusquement arrêté avant le contact Mises à distance ouverture des opercules physique ; généralement en combinaison avec l’ouverture des opercules. (Agressions type menaces) Posture en S ; coup de Corps maintenu raide dans une posture en forme de S ; le coup de queue ressemble à queue une forme dynamique de la posture en S exposée à plusieurs reprises vers un adversaire

Saccades latérales de la tête, se produisant généralement en série et souvent associées à Saccades de la tête des cercles autour d'un adversaire

Autres Évitement Le poisson fait un petit mouvement pour s'éloigner de l'approche d’un conspécifique comportements agonistiques Fuite Le poisson s'éloigne rapidement d'un agresseur

Le poisson fait vibrer son corps et ses nageoires (surtout sa caudale) parfois en se Vibration pressant contre le sol

Donne un léger coup du bout du nez à un autre poisson, en nageant en arc de cercle, puis Crochet s'arrête près de lui. Comportements de soumission Zig-zag Nager par petites rafales en zig-zag devant un poisson (généralement dominant)

Un poisson nage devant un autre vers ou dans un abri, généralement en frémissant Nage en tête intensément avec la caudale

Posture tête en bas Un poisson prend une position tête haute avec les nageoires repliées

Rallier L'individu nage à proximité d'un autre poisson, ils restent à proximité l'un de l'autre

Comportements Approche linéaire vers un autre poisson se terminant par un léger contact avec la bouche Toucher affiliatifs (ouverte ou fermée) ; souvent, l'élan est ralenti peu avant le toucher

Suivre Un poisson nage à distance constante d'un autre sans aucun signe d'agression

Prendre du sable avec la bouche et le recracher plus loin. Rarement, le sable peut être Excavation poussé vers l'avant avec la bouche ouverte ou des battements de queue de grande amplitude Maintenance du Les particules de grande taille (coquilles d'escargot, petites pierres, etc.) sont saisies et territoire Transport emportées

Aspiration de ce qui recouvre le substrat (algues ou autre). Attention : ressemble à un Nettoyage du substrat nettoyage des œufs

Nettoyage des œufs ou Aspire l'eau autour des œufs ou des larves qui sont attachés au substrat (généralement des larves au plafond de l'abri)

Soins parentaux Nettoyage des alevins Prendre dans sa bouche des larves ou des alevins nageant librement, puis les recracher

Ventilation Souffle de l'eau (riche en O2) vers les œufs avec un déplacement léger d'avant en arrière

Page 25 • Hiérarchie au sein des groupes Au sein des groupes, une hiérarchie très stricte est établie et maintenue par de nombreux comportements d’agressions, de soumissions ou affiliatifs (Tableau 4). Cette hiérarchie est fortement influencée par la taille des individus, même lorsque les différences sont faibles (Hamilton et al., 2005). La croissance de ces poissons étant indéterminée, elle peut être influencée par leur environnement et notamment leur position dans la hiérarchie : la présence d’un autre individu dans le groupe de taille proche ou sa disparition peut conduire à une croissance plus rapide (Hamilton et Heg, 2008).

• Division du travail Tous les membres du groupe participent à l’entretien du territoire, à la défense contre les prédateurs ou les conspécifiques et aux soins parentaux (Tableau 4). Cependant, les individus ne participent pas tous de la même manière en termes d’investissement selon la tâche à effectuer. Il semblerait que la répartition des tâches dans les groupes de cette espèce soit dépendante de la taille des individus. Lors d’une expérience en laboratoire, la défense contre un prédateur était partagée entre les individus de grande taille (30 % par les grands subordonnés, 26 % pour la femelle reproductrice et 44 % pour le mâle reproducteur) alors que les subordonnés de taille moyenne n’ont que très peu participé et les plus petits individus pas du tout (Heg et Taborsky, 2010). De même, une expérience de terrain a aussi montré une répartition des tâches selon la taille : les subordonnés de petite taille fournissaient plus d’effort dans les tâches de défense contre les prédateurs des œufs, tandis que les plus grands creusaient plus lors des tâches d’entretien des abris (Bruintjes et Taborsky, 2011). La taille d’un individu étant corrélée à son âge, cette répartition s’apparente à un polyéthisme temporel, c’est-à-dire une spécialisation des fonctions assumées au sein d’un groupe variant au cours de la vie d’un individu, que l’on retrouve chez certains insectes (Robinson et al., 1994). Etant donné que l’efficacité d’un individu dans une tâche varie en fonction de son âge et de sa morphologie, l’intérêt de ce type de spécialisation repose dans une optimisation de la coopération. Le tableau 4 reprend l’ensemble des comportements observés chez N. pulcher.

d. Reproduction La maturité sexuelle intervient lorsque les individus atteignent 35 mm SL, mais ces derniers parviennent rarement à se reproduire à ce stade. En effet, la reproduction n’est possible quasiment que dans les groupes reproducteurs. Pour qu’un individu se reproduise, il faut ainsi qu’il devienne le dominant d’un des groupes. En créant artificiellement des places de reproducteur vacantes, une étude de terrain a pu identifier les individus susceptibles de devenir reproducteurs (Stiver et al., 2006). Les positions de mâles reproducteurs pouvaient être héritées par un subordonné mais étaient captées en majorité (71 %) par des individus extérieurs au groupe, provenant d’autres groupes ou d’agrégations environnantes. Les places de femelles étaient, quant à elles, majoritairement héritées par une subordonnée du groupe et, dans 15 %, des cas par un individu étranger au groupe.

Il existe tout de même des subordonnés qui arrivent à se reproduire au sein des groupes reproducteurs. Les mâles peuvent essayer de féconder les œufs du couple reproducteur en l’absence du mâle dominant et les femelles peuvent tenter de produire une ponte annexe. Ces comportements restent minoritaires : entre 3 et 20 % des jeunes produits selon les études (Heg et al., 2006 ; Heg et al., 2008). Enfin une dernière option est de parasiter les pontes des autres groupes (Heg et al., 2006).

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B. Évolution de la reproduction coopérative chez N. pulcher a. Un modèle d’étude adapté à l’évolution des comportements sociaux L’étude de la coopération s’est surtout concentrée sur les mammifères, les oiseaux et les insectes eusociaux dans la littérature scientifique. La reproduction coopérative est en effet très peu représentée chez les poissons. N’ont en effet été répertoriées que 25 espèces de cichlidés et quelques autres espèces appartenant à d’autres familles, ayant cette structure sociale (Taborsky, 1994). N. pulcher est l’une de celles chez qui la reproduction est le plus fortement inégalement répartie dans le groupe, c’est-à-dire que les subordonnés ont très peu de chances de se reproduire. Ce cichlidé est donc le modèle biologique approprié afin d’élargir nos connaissances sur la reproduction coopérative. De plus, les groupes de N. pulcher rassemblent des individus apparentés ou non, ce qui permet d’explorer la théorie de sélection de parentèle et ses alternatives.

b. Une influence de la sélection de parentèle N. pulcher peut distinguer les individus de son groupe, de ceux des autres groupes (Jordan et al., 2009). De plus, les individus préfèrent s’associer avec des individus inconnus qui leur sont apparentés qu’avec des inconnus qui ne leur sont pas apparentés (Le Vin et al., 2010). Cette deuxième expérience ne montre ainsi pas de préférence d’association entre les individus apparentés familiers et inconnus. Cela suppose que cette espèce de poisson soit capable de discriminer les individus qui leurs sont apparentés des autres, indépendamment des interactions qu’ils ont pu avoir. Le mécanisme proposé par les auteurs est la correspondance phénotypique, c’est-à-dire la reconnaissance de signaux visuels et chimiques correspondant à la représentation que se fait l’individu d’un « apparenté ». Cette représentation peut être innée ou acquise, mais sa construction n’a pas été étudiée chez N. pulcher.

Le lien entre l’aide fournie par un subordonné et son degré de parenté avec le couple reproducteur n’est pas encore clairement défini dans cette espèce. Stiver et ses collaborateurs (2005) ont exploré cette question sur le terrain et en laboratoire. L’étude de terrain n’a pas trouvé de corrélation entre le niveau d’aide globale et le degré de parenté avec le mâle dominant ou la femelle dominante. Par contre, en restreignant l’analyse aux comportements de défense, les auteurs ont observé une corrélation positive entre le niveau d’aide lié aux comportements de défense et le degré de parenté avec la femelle, ainsi qu’une corrélation positive avec le degré de parenté avec le mâle. L’étude de laboratoire a montré que les subordonnés vivant en groupe avec un couple apparenté aidaient moins que ceux vivant en groupe avec un couple non apparenté. Ce résultat est contradictoire avec l’hypothèse de sélection de parentèle. Les auteurs proposent que l’effet selon le sexe du reproducteur observé dans leur étude de terrain, pourrait expliquer ce résultat. Les auxiliaires aidant plus les femelles qui leur sont apparentées mais moins les mâles dans ce cas, aideraient par conséquent moins un couple composé par un mâle et une femelle qui leur seraient tous deux apparentés. Il a aussi été montré que des individus ayant le choix entre rejoindre un groupe apparenté et non apparenté préfèreraient le second choix (Heg et al., 2011).

Au regard de ces résultats, même si la sélection de parentèle a été identifiée comme étant le moteur de l’évolution de la coopération chez de nombreuses espèces, il ne semble pas qu’elle ait une influence chez N. pulcher ou, tout du moins, cette théorie ne parait pas s’appliquer

Page 27 clairement chez cette espèce. Il est toutefois nécessaire de recueillir davantage de données sur le sujet pour pouvoir exclure ou non cette hypothèse de sélection.

c. Influence de l’hypothèse « payer pour rester » La punition d’une absence d’aide et son effet sur les comportements d’aide ont été longuement explorés chez cette espèce. Une étude de terrain a montré que le retrait temporaire d’un subordonné du groupe, afin de l’empêcher d’aider, conduit à une augmentation des agressions envers lui (Balshine-Earn et al., 1998). Présentée tout d’abord comme une punition, une analyse plus détaillée a montré que l’agressivité était exprimée par d’autres subordonnés de même sexe et taille (Balshine et Buston, 2008). Ces comportements d’agression correspondraient ainsi plus à l’augmentation des conflits de hiérarchie résultant de l’absence de l’individu (Field et Cant, 2009). Une deuxième étude, en laboratoire cette fois, a montré qu’empêcher un subordonné de défendre le territoire sans le retirer du groupe ne conduisait pas à un accroissement des agressions subies, que ce soit de la part du reproducteur ou des autres individus (Bergmüller et Taborsky, 2005). Il faut toutefois noter que, dans ces deux études, les individus testés présentaient un niveau d’aide plus important que les autres et que dans la deuxième étude, ils émettaient aussi plus de comportements de soumission. Cela a conduit les auteurs à supposer que les subordonnés répondaient à une menace de punition en émettant des comportements préventifs d’apaisement (aide et soumission). Dans deux études récentes, Naef et Taborsky ont pu mettre en évidence que des mécanismes de punition et d’apaisement préventif sont présents mais seulement pour certaines tâches. Leur première étude montre qu’empêcher un subordonné de défendre le groupe contre un prédateur mangeant les œufs de N. pulcher conduit à un apaisement préventif (Naef et Taborsky, 2020a). Toutefois, lorsque l’individu subordonné est empêché d’entretenir le territoire, cela conduit à une augmentation de l’agressivité des reproducteurs. Dans leur seconde étude, les auteurs ont comparé la défense face à deux types de prédateurs, l’un mangeant les œufs et l’autre consommant les alevins et les adultes (Naef et Taborsky, 2020b). Ils ont pu montrer qu’un comportement de punition n’était présent que lorsque l’on empêchait d’aider le subordonné face au premier type de prédateur, s’attaquant aux œufs.

L’influence de la présence des reproducteurs sur le niveau d’aide fournie et l’influence du besoin en aide sur le niveau de punition en cas de « tricherie » n’ont quant à elles pas encore été testées chez N. pulcher.

Bien que toutes les prédictions du modèle « payer pour rester » n’aient pas encore été explorées, les résultats disponibles à ce jour semblent indiquer qu’il existe bien une « négociation » entre les reproducteurs et les subordonnés concernant les comportements d’aide. Les détails de cette négociation restent à étudier plus précisément.

d. Influence de l’hypothèse de « sélection par le prestige » D’un point de vue théorique, l’application de cette hypothèse chez N. pulcher est limitée. En effet, l’importance de la taille dans toutes les interactions sociales de cette espèce semble montrer que tous les individus sont capables de l’évaluer chez les autres. Or la taille représente un signal difficilement falsifiable de la qualité d’un individu et serait donc un signal honnête bien meilleur que les comportements altruistes. De plus, aucune des prédictions de cette théorie n’a été testée empiriquement pour le moment. Bien que cette hypothèse d’évolution de la coopération ne semble pas, a priori, jouer un rôle chez N. pulcher, il reste néanmoins nécessaire de l’approfondir.

Page 28 e. Influence de l’hypothèse « augmentation de groupe » N. pulcher est bon modèle biologique pour étudier la sélection par l’augmentation de la taille du groupe, car il valide au moins trois des prérequis du modèle de Kokko et ses collaborateurs. L’héritage de la position de reproducteur est possible pour les subordonnés des deux sexes bien que les femelles aient plus de chance que les mâles de devenir dominantes dans leur groupe à partir d’une position de subordonné (Stiver et al., 2006). Une partie importante des individus subordonnés est issue d’une ponte du groupe, surtout ceux de plus petite taille (Heg et al., 2005b). Il y a donc de fortes chances pour que les jeunes, que les subordonnés ont aidé à élever, restent dans le groupe. Enfin, dans les groupes où un subordonné a été retiré, les subordonnés restants passent moins de temps à manger et visitent plus l’abri où sont les œufs tandis que les reproducteurs défendent moins l’abri (Brouwer et al., 2005). La diminution de la défense par les reproducteurs est interprétée comme le résultat de l’augmentation des soins portés à la couvée par les subordonnés. Lorsqu’un subordonné n’est pas là, les autres compensent mais pas complètement car les alevins des groupes avec un subordonné en moins ont une survie plus faible. Il n’existe, par contre, pas d’information permettant de statuer sur deux des prérequis de ce modèle : les comportements d’aide sont coûteux à fournir, le coût augmentant avec la quantité d’aide fournie et les coûts immédiats des comportements d’aide sont plus faibles que les bénéfices au long terme.

Le nombre de subordonnés semblent bien influencer la productivité des reproducteurs. Comme évoqué précédemment, la réduction du nombre de subordonnés au sein d’un groupe conduit à une réduction de la survie des alevins (Brouwer et al., 2005). De plus, le nombre d’alevins par couvée est positivement corrélé au nombre de subordonnés dans le groupe (Balshine et al., 2001). Ces études par contre ne permettent pas de distinguer si c’est la présence des subordonnés ou leur comportement d’aide qui influence la productivité des reproducteurs.

Cependant, il n’y a pas encore de preuve directe que cette augmentation de productivité conduit bien à un accroissement de la taille du groupe. Cela est fortement suggéré par la dynamique des groupes chez N. pulcher et il existe une preuve indirecte : la taille d’un groupe exerce une influence positive sur sa taille l’année d’après (Heg et al., 2005a). L’étude cependant ne permet pas de distinguer si cet effet est le résultat de la productivité des reproducteurs ou de la qualité du territoire, elle-même également corrélée à la taille du groupe.

L’influence bénéfique de la taille du groupe sur ses membres est bien documentée chez N. pulcher. Les groupes de plus grande taille bénéficient d’une meilleure survie (Heg et al., 2004 ; Heg et al., 2005a) et d’un risque de prédation diminué (Balshine et al., 2001). Les reproducteurs profitent aussi, dans les grands groupes, d’une réduction de la charge de travail (Balshine et al., 2001), d’une meilleure productivité, et peuvent consacrer plus de temps à se nourrir (Balshine et al., 2001 ; Brouwer et al., 2005). Malgré tout, ces études ne permettent pas de faire la distinction entre les bénéfices de la forme active et de la forme passive de « l’augmentation de groupe ».

L’hypothèse de sélection d’augmentation de groupe reste encore peu étudiée chez N. pulcher mais les résultats actuels montrent qu’il est possible qu’elle ait une influence. Un travail théorique pour produire des prédictions plus précises est nécessaire mais un travail empirique plus important est particulièrement nécessaire pour valider ces nouvelles prédictions. De plus, réussir à différencier les formes active et passive de ce mécanisme d’augmentation de groupe est crucial pour approfondir son fonctionnement. La deuxième partie de ce travail vise ainsi à explorer cette hypothèse.

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Page 30 Deuxième partie : étude expérimentale

1. Introduction Bien que le modèle N. pulcher soit étudié depuis une quarantaine d’années, les mécanismes ayant conduit à l’apparition de leur système de reproduction avec une reproduction coopérative quasiment exclusive, n’ont toujours pas été identifiés de manière précise. Parmi les quatre théories principales, seules deux ont été explorées : la sélection de parentèle et « Payer pour Rester ». La sélection de parentèle, bien qu’étant l’acteur majoritaire de l’évolution de la coopération chez de nombreuses espèces, ne semble pas agir de manière prépondérante chez N. pulcher. Au contraire, les subordonnés de N. pulcher semblent bien « monnayer » leur aide contre une place dans le groupe. Mais d’après les études théoriques du modèle « Payer pour Rester », il semblerait que ce mécanisme puisse seulement aider à stabiliser une coopération déjà présente et non permettre son émergence.

Parmi les deux théories restantes, la plus prometteuse est « l’augmentation de groupe ». En effet, la présence de signaux honnêtes plus simples chez N. pulcher que les comportements d’aide fait obstacle à la sélection par le prestige dans cette espèce. Le modèle « d’augmentation de groupe » correspond par ailleurs bien à l’organisation sociale de N. pulcher où la position de dominant est héritable et où les comportements d’aide semblent bien conduire à un accroissement de la taille du groupe. De plus, ce modèle permettrait l’émergence et la stabilisation des comportements d’aide via deux mécanismes distincts et indépendants. Le premier, dit passif, se base sur les bénéfices à court terme de la vie en groupe. Le second, dit actif, est fondé sur les bénéfices réciproques à long terme. Il n’existe cependant pas d’études testant directement cette hypothèse de sélection et ses prédictions chez N. pulcher. Ce manque d’études provient notamment d’un manque de prédictions clairement établies pouvant être évaluées.

Les bénéfices de la vie en groupe sont inégalement répartis au sein du groupe. En particulier, les bénéfices à long terme qui sont fortement impactés par les chances d’hériter du territoire. Si la coopération est sélectionnée par un mécanisme actif « d’augmentation de groupe », cette variabilité devrait avoir une répercussion sur les investissements auxquels peut consentir un individu donné. Les individus ayant le plus de chances d’hériter du groupe exprimeraient ainsi un niveau d’aide plus élevé que les autres. Chez N. pulcher, les individus qui héritent du groupe lorsqu’une place se libère sont ceux de plus haut rang et du sexe correspondant à la place vacante (Stiver et al., 2006). L’influence de la sélection par « l’augmentation de groupe actif » prédirait donc qu’entre deux individus qui ne diffèrent que par le rang, celui ayant le plus haut rang fournirait un niveau d’aide plus élevé. C’est dans le but de tester cette prédiction que nous avons réalisé cette étude.

Page 31 2. Matériels et méthodes A. Animaux utilisés a. Nombre et espèces Deux espèces de poissons ont été utilisées au cours de cette expérience : Neolamprologus pulcher et Telmatochromis vittatus. Ces deux espèces sont endémiques du lac Tanganyika et les poissons utilisés étaient tous des descendants de poissons sauvages prélevés dans le milieu naturel et conservés au laboratoire de Berne. Ils sont placés dans ce laboratoire sous la surveillance d’une animalière. Toutes les personnes manipulant les poissons sont formées au préalable par l’animalière. L’infrastructure et le projet ont été validés par le comité d’éthique de l’université (permis n° BE 93/18).

Pour évaluer l’influence du rang hiérarchique sur les comportements d’aide, onze individus auxiliaires femelles, appelées FH (pour « Focal Helper » ; auxiliaires testées), ont été placés dans deux situations hiérarchiques successives :

- une situation où chaque individu était le subordonné de plus haut rang (HR ; High Rank ; Haut Rang) ;

-une situation où il était celui de plus bas rang (LR ; Low Rank ; Bas Rang).

Dans chaque situation, l’individu auxiliaire FH testé était en groupe avec un couple reproducteur et un autre subordonné, nommé OH (Other Helper ; autre auxiliaire). C’est avec la taille de ce dernier que le rang du FH a été manipulé : un OH de plus grande taille que le FH était utilisé pour la situation LR (OH > FH ; Low Rank) et un OH de plus petite taille était utilisé pour la situation HR (OH < FH ; High Rank).

Cinq FH ont été étudiés en situation HR en premier, et six en situation LR. On a ensuite comparé entre ces deux situations la quantité d’aide fournie par les FH au cours de deux tâches : l’une d’entretien du territoire et l’autre de défense contre un prédateur mangeant les œufs des N. pulcher.

Au total, 77 N. pulcher ont été utilisés soit 22 reproducteurs (11 couples mâles et femelles), 11 FH (auxiliaires testés) femelles, 22 OH (autres auxiliaires pour manipuler le rang de l’individu testé) femelles et 22 individus, appelés « voisins », utilisés pour stabiliser les groupes.

T. vittatus est un poisson de forme allongée avec une tête ronde (Figure 4) qui abonde dans l’habitat naturel de N. pulcher. Il représente un prédateur opportuniste ne constituant cependant pas une menace pour les N. pulcher adultes mais mangeant volontiers leurs œufs et alevins. Onze T. vittatus ont été utilisés, chacun associé à un FH.

Ces poissons ont été gardés au laboratoire après les tests et pourront être utilisés pour d’autres expériences.

Page 32 Figure 4 : Photographie d’un couple de Telmatochromis vittatus (« Telmatochromis vittatus », 2018).

b. Taille des poissons Toutes les mesures de taille ont été faites sur une planche de mesure ayant une précision d’un millimètre. La mesure utilisée est la taille standard (SL) qui correspond à la distance entre la pointe de la bouche et la base de la nageoire caudale.

Comme évoqué précédemment, la taille a une grande importance pour la hiérarchie de N. pulcher. Pour créer rapidement des groupes stables, il faut que les différences de taille entre chaque individu soient suffisantes pour éviter les conflits. On a donc veillé à maintenir au moins 6 mm de différences de taille entre les reproducteurs, 10 mm entre le plus grand subordonné et la femelle du couple et enfin 4 mm entre les subordonnés. De plus, la taille influence aussi le comportement d’aide, en particulier l’entretien du territoire qui est peu réalisé par les individus de petite taille (Heg et Taborsky, 2010). Il fallait donc que le FH soit de taille suffisamment grande pour nos expérimentations. Enfin, les chances qu’un subordonné soit exclu de son groupe augmentent lorsqu’il dépasse 35 mm (Taborsky, 1985). Les plus grands subordonnés utilisés devaient donc mesurer au maximum de 35 mm de long.

Pour former les couples, des femelles de taille de 47 à 55 mm et des mâles de 53 à 65 mm de long ont été sélectionnés. Pour respecter les contraintes établies ci-dessus, lors de la première situation (LR ou HR en fonction des FH), les FH étaient choisis entre 29 mm et 31 mm, les OH pour la situation LR entre 34 mm et 35 mm et les OH pour la situation HR entre 25 mm et 26 mm. Lors de la deuxième situation (HR ou LR en fonction des FH), le même couple était associé aux FH. De plus, les FH ayant grandi de 0 à 2 mm au cours de notre étude, la taille des OH était adaptée à la taille du FH pour conserver 4 mm de différence (même si celle-ci excédait 35 mm).

Deux voisins étaient présents à côté de chaque groupe pour assurer une pression de compétition sur les reproducteurs et augmenter ainsi leur tolérance. Pour être des compétiteurs efficaces sans risquer qu’ils ne prennent le dessus sur les reproducteurs, ils mesuraient de 40 à 50 mm. Etant par deux, au moins 5 mm de différence de taille était maintenus entre eux.

Page 33 Afin d’homogénéiser le stimulus provoqué par la présentation d’un prédateur, les T. vittatus ont tous été choisis de la même taille avec une moyenne de 47 ± 2 mm (± écart-type).

c. Sexe des poissons N. pulcher Le sexe de chaque poisson a été vérifié par observation de leur papille génitale à la loupe binoculaire au grossissement x40. Les individus de moins de 35 mm n’étaient pas encore matures sexuellement ; il n’était parfois pas possible de déterminer leur sexe de façon certaine. Ainsi, seuls les individus dont le sexe était clairement déterminé ont été utilisés lors de cette expérience.

Les chances d’hériter le territoire sont largement influencées par le sexe ; les femelles ayant une chance nettement plus importante (Stiver et al., 2006). Pour éliminer le facteur sexe dans notre étude, et pour maximiser les probabilités d’observer un effet de « l’augmentation de groupe active », tous les FH étaient des femelles. Pour que la présence du OH influence les chances d’hériter du territoire pour le FH, ils doivent tous deux être du même sexe. Les OH étaient donc aussi des femelles.

Les voisins n’étaient pas sélectionnés selon leur sexe et pouvaient donc être mâles ou femelles.

d. Degré d’apparentement Afin de s’affranchir d’une influence possible de la sélection de parentèle sur les comportements observés, les subordonnés sélectionnés devaient avoir un degré de parenté faible avec le couple reproducteur. Ce faible degré d’apparenté n’est pas contrôlé mais fortement probable car les reproducteurs et subordonnés sont issus d’aquariums différents sans échange de population. B. Hébergement Les poissons étaient gardés dans des aquariums de 200 litres (100x50x40cm) contenant une eau maintenue entre 26 et 28,8°C. L’eau proviens du circuit d’eau potable complémentée avec du sel (NaCl, 15ml de sel pour 100L d’eau). Le fond de l’aquarium était recouvert d’un à quatre centimètres d’un sable fin et grossier. Il était divisé en trois compartiments (figure 5) :

• Le compartiment central (60x50x40cm) est habité par le groupe testé. Il contient un filtre, trois abris de tailles différentes (des demi-pots de fleurs de 6 cm, 9 cm et 12 cm de diamètre) et trois cachettes flottantes (deux bouteilles plastique découpées et un assemblage de fibres de plastique vert emmêlés).

• Le compartiment de gauche (20x50x40cm) est habité par T. vittatus. Il est séparé du compartiment central par une plaque de PVC opaque et contient un filtre et un abri.

• Le compartiment de droite (20x50x40cm) est habité par les voisins. Il est séparé du compartiment central par une plaque de plexiglas transparent perforé permettant aux voisins et au groupe test d’interagir ensemble. Cela permet aux subordonnés d’être plus facilement tolérés par le couple. Ce compartiment comporte deux abris, un filtre et une cachette flottante (une bouteille plastique coupée).

Page 34 Figure 5 : Représentation schématique d'un aquarium et de son organisation (Source personnelle).

Abri (demi pot de fleur) 1 2 Cachette flottante (bouteille plastique 3 trouée)

T. vittatus Filtre 50 cm

Agrégat flottant de fils en plastique vert N. pulcher Séparation opaque

100 cm Séparation transparente 20 cm 20 cm

Toutes les six semaines les filtres et parois de tous les aquariums du laboratoire sont nettoyés puis un tiers de l’eau est renouvelé. Ce nettoyage provoquant beaucoup de perturbations et dure une journée. Aucune observation ni test n’ont été réalisés sur ces périodes.

Les aquariums sont éclairés individuellement par des lampes LED de la même longueur que l’aquarium. La photopériode est de 13 heures de jour et 11 heures de nuit avec une transition de 30 minutes entre les deux (augmentation graduelle de l’intensité lumineuse). Les poissons sont nourris tous les jours, sauf le dimanche. L’aliment principal est de la nourriture industrielle de marque JBL sous la forme de flocons secs. Une fois par semaine, cet aliment est remplacé par une mixture de larves de moustique (Culicidés), d’Artémis (Artemia), et de Daphnies (Daphnia). C. Constitution des groupes N. pulcher est une espèce territoriale et les intrus sont généralement violemment agressés lorsqu’ils pénètrent dans le territoire d’un autre. La constitution des groupes nécessite donc un protocole strict pour être un succès et éviter toutes blessures.

Au court de la formation d’un groupe, un poisson peut être dans trois situation différentes selon la stabilité du groupe :

• « Exclu » : le poisson est attaqué à vue par un ou plusieurs individus du groupe. On le retrouve dans ce cas caché dans un coin de l’aquarium ou dans une des cachettes flottantes. Ces cachettes lui permettent dans ce cas d’échapper aux agressions de ses congénères et donc de limiter les risques de blessures. Tout poisson vu dans cette position nécessite une intervention de l’expérimentateur.

• « Toléré » : le poisson peut nager dans une partie de l’aquarium sans se faire attaquer mais l’accès à la zone où sont les abris lui est interdit. Il ne fait donc pas partie du groupe.

• « Accepté » : le poisson fait partie du groupe et peut aller partout dans l’aquarium. Des comportements agonistiques peuvent cependant toujours être présents mais sous la forme de mises à distance s’arrêtant lorsque l’individu émet des comportements de soumission.

Page 35 Pour que la constitution du groupe soit un succès, il faut que tous les individus soient acceptés dans le groupe.

Entre les deux situations hiérarchiques (LR et HR), les FH étaient avec le même couple reproducteur et restaient dans le même aquarium. La construction du groupe lors de la seconde situation était différente de la première, l’individu OH étant différent pour faire varier le rang hiérarchique du FH.

Lors de la première situation, le territoire constitué par les abris du compartiment central n’avait pas encore été revendiqué par le couple, puisqu’aucun poisson n’avait encore été introduit dans le compartiment. Les subordonnés (FH et OH) ont été ajoutés en premier par ordre croissant de taille, puis le couple reproducteur a été ajouté, mâle et femelle ensembles. Tant que les reproducteurs n’étaient pas dans l’aquarium, les voisins étaient masqués par une plaque de plastique opaque.

Chaque ajout de poisson dans l’aquarium a été séparé par une journée. Cela permettait d’observer s’il était accepté par ceux déjà présents et de s’acclimater. Une introduction était toujours suivie d’une observation de cinq minutes pour vérifier le niveau d’agressivité entre les poissons. Si on constatait des attaques violentes comme des joutes ou s’il y avait toujours des attaques à la fin des cinq minutes, le ou les poissons introduits étaient isolés dans un filet cubique, appelé « isonet », que l’on attachait à une paroi de l’aquarium. Le lendemain, on essayait à nouveau de l’introduire dans l’aquarium. Si l’introduction échouait encore, le subordonné (OH ou FH en fonction du cas) ou le couple était changé. Lorsque l’introduction échouait une première fois, elle échouait la seconde fois dans la majeure partie des cas.

Les groupes stables ont été contrôlés au moins une fois par jour et ceux en construction, au moins deux fois. Lorsqu’un poisson exclu était repéré, celui-ci ou son agresseur était isolé dans un « isonet » et la constitution du groupe était reprise depuis le début en changeant soit le poisson exclu, soit son agresseur s’il n’y en avait qu’un. Si un individu toléré était repéré dans un groupe stable, le groupe était considéré comme instable et s’il n’était pas accepté au bout de deux jours, la construction du groupe était reprise depuis le début. S’ils étaient repérés dans un groupe en construction, les individus ayant été ajoutés en dernier (le couple ou le plus gros des subordonnés) étaient isolés dans un « isonet ». Leur introduction était réitérée le lendemain et en cas d’échec d’autres individus étaient utilisés. En particulier, pour une situation HR (OH < FH), même si l’OH était accepté par le FH, ce dernier avait tendance à repousser l’OH lors de l’introduction du couple reproducteur. Pour éviter cela, lors de l’introduction du couple, le FH était isolé dans un banc flottant transparent. Cela lui permettait d’être présent dans le territoire et de pouvoir interagir avec le couple, sans pouvoir exclure l’OH. Il était relâché un ou deux jours après.

Une fois tous les tests réalisés dans la première situation (pour rappel cinq FH en situation HR en premier, et six FH en situation LR en premier), la constitution du groupe pour la seconde situation a pu débuter. La construction du second groupe suit le même protocole que le premier groupe, à la différence que seul l’OH était échangé par un autre poisson OH (le couple, le FH et les voisins étaient inchangés). Il a été observé au cours d’une étude préliminaire à ces expérimentations qu’un poisson était plus facilement accepté par un autre si ce dernier n’était pas déjà dans l’aquarium depuis plusieurs jours. Ainsi, le couple et le FH ont été placés dans des « isonets » pendant un à trois jours avant de débuter la seconde constitution de groupe, consistant à introduire un nouvel OH.

Page 36 D. Évaluation des comportements d’aide a. Choix des tâches Cinq tâches étaient réalisées par les subordonnés lorsqu’ils aidaient le couple reproducteur : les soins directement apportés à la couvée, l’entretien des abris du territoire et la défense contre les prédateurs des adultes, la défense contre ceux qui mangent les œufs et la défense contre les conspécifiques. Cependant, ces cinq tâches ne sont pas équivalentes pour tester l’évolution de la coopération, car certaines présentent une ambiguïté quant à leur caractère purement altruiste. En effet, la défense contre les prédateurs des adultes, celle contre les conspécifiques et l’entretien des abris sont plus proches d’un comportement « mutuellement bénéfique », ces comportements pouvant bénéficier à l’individu qui les exprime. Les comportements d’intérêt pour notre étude seraient donc la défense contre les prédateurs des œufs et les soins à la couvée. Les soins à la couvée sont une tâche nécessitant forcément la présence d’œufs dans le groupe. Attendre une ponte peut être extrêmement chronophage et n’était pas réalisable pour la durée impartie à ce projet. Cette tâche a donc été remplacée par l’entretien des abris. Pour les mêmes raisons, la défense contre le prédateur des œufs a été testée en l’absence d’œufs.

Les tâches retenues dans cette étude sont ainsi 1) l’entretien des abris et 2) la défense contre un prédateur des œufs, T. vittatus.

b. Protocole général Seuls les groupes stables ont pu être testés. Pour qu’un groupe soit considéré comme stable, tous ses membres devaient être acceptés pendant quatre jours consécutifs. Par ailleurs, les subordonnés provenaient d’aquariums sans abris et n’avaient donc jamais pu expérimenter ou observer comment entretenir un abri. Ils devaient donc valider une phase d’apprentissage avant de pouvoir réaliser le test d’entretien. Cet apprentissage consistait au recouvrement partiel et journalier des abris du groupe par du sable. Cet apprentissage durait au moins sept jours. Lorsqu’un abri était recouvert de sable, un espace d’environ 1,5 cm au-dessus de l’abri était maintenu libre. Cet espace était obtenu en passant un pouce sur le plafond de l’abri lorsqu’il avait été recouvert.

Les groupes une fois construits étaient testés selon cette séquence d’au moins huit jours :

• Les quatre premiers jours, les abris étaient recouverts et la stabilité des groupes vérifiée.

• Le cinquième jour, la stabilité du groupe était vérifiée puis le test de défense contre le prédateur des œufs était effectué. Enfin, les abris étaient recouverts.

• Les sixième et septième jours : conditions similaires aux quatre premiers jours.

• Le huitième jour, le test d’entretien de l’abri était réalisé puis les poissons mesurés et, si nécessaire, la transition vers la seconde situation initiée.

Cette séquence pouvait être interrompue puis reprise après un ou deux jours de pause. Ces jours de pause ont pu être imposés par l’absence de l’expérimentateur ou lorsque les poissons étaient dérangés par le nettoyage ou des travaux dans le laboratoire. Lorsqu’une ponte

Page 37 est présente, les reproducteurs sont plus agressifs envers les subordonnés (Taborsky, 1985). Pour éviter qu’une ponte n’influence le comportement des poissons lors des tests, toutes les pontes ont été retirées et données au T. vittatus. De plus, aucun test n’a été réalisé sur le groupe en question dans les trois jours suivants. Les groupes ont été testés sur huit à treize jours.

Lors des tests, le compartiment central est divisé en trois (Figure 6). La partie de gauche où sont les abris est la zone de test dans laquelle uniquement le FH était placé. La partie centrale, séparée de celle de gauche par une plaque de plexiglas transparent, contient seulement l’OH. Ce dispositif empêchait d’influencer, par ses comportements d’aide, la quantité d’aide fournie par le FH sans isoler complétement celui-ci. La partie de droite contient le couple, le filtre et les cachettes flottantes. Elle est séparée du reste de l’aquarium par une plaque de PVC opaque, ceci afin d’éviter qu’ils ne renforcent les comportements d’aide du FH. Dans la nature, les reproducteurs passent beaucoup de temps hors du territoire pour se nourrir. L’absence du couple dans le groupe ne devait donc pas perturber les comportements d’aide du FH.

Figure 6 : Représentation schématique de l'organisation de l'aquarium pour les tests (Source personnelle).

Abri (demi pot de fleur) 1 2 Cachette flottante (bouteille plastique 3 trouée)

T. vittatus Filtre 50 cm

Agrégat flottant de fils en plastique vert

FH OH Couple Séparation opaque

100 cm Séparation transparente 20 cm 20 cm

La mise en place de cette configuration était réalisée juste avant chaque test. Afin de limiter les perturbations, cette mise en place suivait le protocole suivant : le couple était doucement repoussé avec la main dans la partie droite du compartiment central, puis la plaque de PVC opaque installée. Ensuite, de la même manière, l’OH était isolé et la plaque de plexiglas installée.

Les comportements étaient filmés avec une caméra (de marque GENETEC) et enregistrés via le logiciel Security desk. La caméra était fixée aux aquariums grâce à un dispositif permettant aussi d’isoler le groupe du reste de la salle évitant ainsi les reflets et les perturbations lors du test (Figure 7). Les vidéos ainsi enregistrées sont analysées avec le logiciel BORIS.

Page 38 Figure 7 : Dispositif expérimental pour filmer (Source : A. Perret).

Aquarium

Caméra masquée par un morceau de tissu

Dispositif de fixation de la caméra et d’isolation de l’aquarium

c. Expérience d’entretien du territoire Pour ce test, une fois que la configuration de test général et la caméra étaient en place, les deux abris les plus petits ont été sortis de l’aquarium. Ceci permettait d’augmenter les besoins en entretien du territoire et donc les chances que le FH creuse l’abri restant. Une fois que tout était en place, l’expérimentateur attendait que le FH nage de nouveau librement dans son compartiment avec un temps d’attente minimum de cinq minutes. Tous les poissons nageaient librement en moins de dix minutes. L’abri était ensuite recouvert de sable de la même manière que lors de la phase d’apprentissage et le comportement du FH était enregistré pendant quarante-cinq minutes.

Chaque excavation et transport de débris réalisés par le FH ont été comptabilisés comme un comportement d’entretien de l’abri. C’est ce nombre qui a été comparé pour chaque FH dans les différentes situations.

Afin d’éviter une influence du moment de la journée sur l’activité des poissons, tous les tests ont été faits entre 9h58 et 14h25. Les horaires des tests d’un même FH n’étaient pas séparés de plus d’une heure.

d. Expérience de défense contre T. vittatus Avant la mise en place de la configuration de test, la plaque séparant le compartiment central du compartiment du T. vittatus était remplacée par une séparation spéciale. Celle-ci est composée de deux parties : une partie fixe dont la moitié inférieure est transparente et la moitié supérieure opaque, ainsi qu’une partie mobile maintenue sur cette partie fixe par des rails. La partie mobile équivaut à la moitié de la hauteur de la partie fixe et masque la partie transparente de la partie fixe. Un câble lui est attaché et l’expérimentateur peut y accéder de l’extérieur de l’aquarium. Lorsqu’il tire dessus la partie mobile remonte en dévoilant la partie transparente de la partie fixe (Figure 8). Une fois que cette séparation était en place, le filtre et l’abri du compartiment du prédateur ont été retirés pour qu’il soit bien visible par le FH.

Page 39 Figure 8 : Séparation permettant de montrer le prédateur en position fermé (à gauche) et ouverte (à droite) (Source : A. Perret).

De la même manière que pour l’expérience d’entretien, lorsque tout était en place, l’expérimentateur attendait que le FH nage de nouveau librement dans son compartiment avec un temps d’attente minimum de cinq minutes. Là aussi, tous les poissons nageaient librement en moins de dix minutes. Une fois ce délai passé, l’expérimentateur tirait sur le câble et le fixait puis le comportement du FH était enregistré pendant quinze minutes.

Afin d’éviter une influence du moment de la journée sur l’activité des poissons, tous les tests ont été faits entre 10h15 et 14h28. Les horaires des tests d’un même FH n’étaient pas séparés de plus de quarante-cinq minutes.

Pour évaluer la défense du FH face au T. vittatus, trois critères ont été évalués : le délai de réaction, le niveau d’agression « ouverte » et le niveau d’agression « restreinte ».

Le délai de réaction correspond au temps entre le moment où le prédateur entre dans le champ de vision du FH et le premier comportement agonistique exprimé par ce dernier.

Pour évaluer les comportements d’agressions « restreintes » nous avons compté le nombre d’approches frontales, d’ouvertures d’opercule et de positions tête en bas. C’est le nombre total d’agressions restreintes qui a été utilisé dans les analyses.

Pour ce qui est des agressions ouvertes, la présence d’une plaque de plexiglas entre le FH et le prédateur empêchait l’expression de ces comportements. Nous avons donc tenté d’utiliser deux comportements intermédiaires : le temps passé par le FH contre la séparation et le nombre de fois où le FH percutait la vitre. Mais pour que ces comportements soient suffisamment représentatifs d’une volonté d’attaque du FH, il fallait qu’ils soient réalisés lorsque le prédateur était à proximité de la vitre. Trop peu d’occurrence de ces comportements ayant été observées, l’analyse des résultats des agressions ouvertes n’a pu être retenue.

Page 40 L’activité du prédateur a aussi été mesurée pour s’assurer que cela n’impactait pas la réponse du FH. Elle est quantifiée en pourcentage du temps passé comme « visible et actif » sur la totalité du test. Le prédateur est considéré « actif » s’il est visible par le FH (donc situé dans la moitié basse du compartiment car la moitié haute de la séparation est opaque) et qu’il n’est pas resté immobile plus de trois secondes.

E. Analyses statistiques L’analyse statistique des données a été réalisée sous R en utilisant R studio et le package lme4 (Bates et al., 2015). La comparaison des comportements du FH entre les deux situations a été faite via des modèles linéaires à effet mixte (LMM). Lorsque la variable réponse était une durée (délai de réponse), un LMM avec une répartition normale a été utilisé. Pour les comportements dénombrés (nombre d’agressions restreintes ou de comportements d’entretien), c’est une version généralisée avec une répartition de Poisson qui a été utilisée (GLMM). Tous ces modèles prennent en compte deux facteurs fixes, le rang et l’ordre des situations hiérarchiques et l’identifiant du FH comme facteur aléatoire (pour obtenir une structure en mesures répétées). Les critères de validité de ces modèles ont été vérifiés graphiquement. L’ajout de facteurs supplémentaires dans les modèles comme la taille des FH ou l’activité du prédateur conduisent à un écart important à l’hypothèse de normalité des résidus du modèle. Cela est probablement dû au faible nombre de données. Bien que cela ne soit pas optimal, l’influence de ces facteurs sur nos variables réponses a donc été testé à part avec des tests de corrélation utilisant la méthode de Spearman. Le comportement des FH a aussi été comparé entre les tâches par un test de corrélation utilisant la méthode Spearman.

Pour l’expérience d’entretien du territoire, on observe un effet seuil. En effet, trois FH n’ont pas creusé dans l’abri dans les deux situations hiérarchiques même s’ils l’ont visité. L’absence de différence entre les deux situations chez ces individus serait donc plutôt le résultat de cet effet seuil et non celui d’une absence d’effet du rang sur le comportement d’aide. Ces individus n’apportant pas d’infirmation quant à l’effet du rang et risquant d’introduire un biais dans notre modèle, ils ont été retirés de l’analyse du comportement d’entretien.

3. Résultats A. Entretien du territoire Parmi les onze FH testés, trois n’ont pas creusé dans les deux situations, deux n’ont creusé qu’en situation HR, deux autres uniquement en situation LR et enfin quatre ont creusé dans les deux situations.

Aucune corrélation significative n’a été trouvée entre le nombre de comportements d’entretien et la taille du FH au moment du test (rho = 0,096 et p = 0,723, Figure 9A) ou l’heure du test (rho = - 0,060 et p = 0,826, Figure 9B). Ces deux facteurs auraient donc été contrôlés avec succès par notre protocole.

Page 41 Figure 9 : Corrélation entre les nombres de comportements d'entretien et la taille du FH au moment du test (A) ou l’heure du test (B).

A B Excavation Excavation

Taille Heure du test

La différence moyenne entre le nombre de comportements d’entretien lorsque le FH était de rang inférieur et lorsqu’il était de rang supérieur était de - 0,45 (± 5,50, erreur standard ; Figure 10). Le modèle ne montre pas d’effet statistiquement significatif du rang (estimateur = - 0,031±0,225 ; Z = - 0,138 et p = 0,890) ni de l’ordre des situations hiérarchiques sur ce comportement (estimateur = 1,331±0,738 ; Z = 1,802 ; p = 0,072).

Figure 10 : Représentation des résultats d'entretien de l'abri. A gauche (A) le nombre d'excavation de chaque individu pour chaque situation (chaque individu est représenté par un trait) ; à droite (B) est représenté la différence entre le nombre d’excavation en situation bas rang et en situation haut rang.

A B

B. Défense contre T. vittatus Pour le nombre d’agressions restreintes, aucune corrélation significative n’a été trouvée avec la taille du FH au moment du test (rho = - 0,060 et p = 0,790, Figure 11A), l’heure du test (rho = - 0,054 et p = 0,810, Figure 11B) ou l’activité du prédateur (rho = - 0,236 et p = 0,290 ; Figure 11C).

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Figure 11 : Représentation de la taille (A) du pourcentage d’activité du prédateur (B) et de l’heure du test (C) en fonction du nombre d’agression restreinte.

A B C Agression Restreinte Agression Restreinte Agression Restreinte

Taille Activité du Prédateur Heure du test

Sept FH ont réalisé plus de mise à distance en situation de LR que de HR et inversement pour quatre autres FH (Figure 12). La différence moyenne entre le nombre d’agressions restreintes lorsque le FH est de rang inférieur et lorsqu’il est de rang supérieur est de 3,82±15,46 (écart-type). Le modèle montre la présence d’un effet du rang (estimateur = 0,229±0,093 ; Z = 2,453 et p = 0,014) mais aussi de l’ordre des traitements (estimateur = - 0,469±0,203 ; Z = - 2,313 et p = 0,021). Les subordonnés de bas rang seraient plus agressifs à l’encontre du prédateur que ceux de haut rang mais les individus d’abord placés en situation de haut rang seraient également plus agressifs que les individus d’abord placés en situation de bas rang.

Figure 12 : Représentation des résultats d’agression restreinte. A gauche (A) le nombre d’agression restreinte de chaque individu pour chaque situation (chaque individu est représenté par un trait) ; à droite (B) est représenté la différence entre le nombre d’agression restreinte en situation bas rang et en situation haut rang.

A B

Pour le temps de réaction face au prédateur, aucune corrélation significative n’a été trouvée avec la taille du FH au moment du test (rho = 0,226 et p = 0,312, Figure 13A), l’heure du

Page 43 test (rho = 0,202 et p = 0,368, Figure 13B) ou l’activité du prédateur (rho = - 0,006 et p = 0,980 ; Figure 13C).

Figure 13 : Représentation de la taille (A) du pourcentage d’activité du prédateur (B) et de l’heure du test (C) en fonction du temps de latence face au prédateur.

A B C Latence Latence Latence

Taille Activité du Prédateur Heure du test

La différence moyenne entre le temps de réaction lorsque le FH était de rang inférieur et lorsqu’il était de rang supérieur était de 4,6±127,3 (écart-type) secondes (Figure 14). Le modèle n’a montré aucun effet significatif ni du rang (Chi² = 0,204 ; df = 1 et p = 0,652), ni de l’ordre des traitements (Chi² = 0,229±0,093 ; df = 1 et p = 0,920).

Figure 14 : Représentation des résultats de temps de latence face au prédateur. A gauche le temps de latence face au prédateur de chaque individu pour chaque situation (chaque individu est représenté par un trait) ; à droite est représenté la différence entre temps de latence face au prédateur en situation bas rang et en situation haut rang.

A B

Une corrélation négative significative a été trouvée entre le délai de réaction et le nombre d’agressions (rho = - 0,590 et p = 0,004 ; Figure 15).

Page 44 Figure 15 : Représentation du nombre d’agressions restreintes en fonction du temps de latence face au prédateur. Agressions restreintes

Latence

C. Régularité du comportement d’aide Il semblerait que le niveau d’aide exprimé par un individu ne soit pas consistant entre les différentes tâches qui lui sont présentées. En effet, aucune corrélation n’a été mise en évidence entre le niveau d’agressivité lors de la défense contre le prédateur et l’entretien du territoire lorsque l’on prend en compte tous les FH (rho = 0,259 et p = 0,245 ; Figure 16A), ou seulement ceux qui ont creusé au moins une fois dans l’abri (rho = 0,294 et p = 0,270 ; Figure 16B). De même, le délai de réponse face au prédateur n’était pas significativement corrélé au nombre de comportements d’entretien de l’abri que ce soit en considérant tous les individus (rho = - 0,386 et p = 0,076 ; Figure 16C) ou seulement ceux ayant creusé au moins une fois (rho = - 0,473 et p = 0,064 ; Figure 16D).

Figure 16 : Représentation du nombre d’agression restreinte (A et B) et du temps de latence (C et D) en fonction du nombre d’excavation. Les individus n’ayant pas creusé dans les deux situations sont pris en compte (A et C) ou non (B et D). Excavation Excavation

Agression Restreinte Agression Restreinte A B

C D Excavation Excavation

Latence Latence

Page 45 4. Discussion D’après notre étude, le rang hiérarchique d’un subordonné ne semble pas avoir d’influence sur le comportement d’aide lors de tâche d’entretien du territoire. Par contre, il semblerait que les subordonnés de bas rang soient plus agressifs envers les prédateurs des œufs que ceux de plus haut rang. Ils n’ont cependant pas une réaction plus rapide face au prédateur. Ces résultats sont en désaccord avec les prédictions faites par la théorie d’augmentation de groupe active. Il semblerait donc que ce mécanisme ne soit pas impliqué dans la sélection de la reproduction coopérative, ou tout du moins les comportements d’aide dans les tâches testées, chez cette espèce. Il est cependant possible que notre expérience n’ait pas réussi à mettre en évidence son effet. En effet, la différence de rang entre les deux situations n’était que d’une position et donc a pu être insuffisante pour que la variation de chance d’hériter du territoire puisse impacter le comportement d’aide des FH testés. De plus, les individus testés mesurent moins de 35 mm et sont donc immatures sexuellement. Seuls les individus matures pouvant hériter d’un territoire (Stiver et al., 2006), les chances d’hériter pouvaient donc être trop minimes quel que soit le rang hiérarchique des FH. Augmenter le nombre d’individus dans nos groupes ou prendre des FH de plus grande taille n’était pas réalisable sur la durée de ce projet ni avec les poissons à notre disposition. Enfin, le faible nombre de données récoltées ne nous a pas permis d’inclure tous les facteurs dans nos modèles statistiques ce qui a pu conférer un biais dans notre analyse. Le protocole original de l’étude prévoyait de tester vingt FH mais la crise sanitaire mondiale qui s’est déclarée pendant le projet nous a conduit à réduire le nombre d’individus testés.

L’influence limitée de « l’augmentation de groupe active » chez N. pulcher est peut-être le produit d’une trop grande variabilité de la chance d’hériter le territoire. En effet, un subordonné de trop grande taille finira par se faire exclure du groupe par les reproducteurs et s’il est trop jeune il ne pourra pas hériter. L’héritage n’est donc possible pour un subordonné que si une place se libère sur une période limitée entre sa maturité sexuelle et le moment où il ne sera plus toléré dans le groupe. Donc, même si le rang hiérarchique a une influence importante sur l’héritage du territoire, il ne serait pas suffisamment prédictif des chances d’hériter du territoire. Chez certaines espèces, il existe un système de « file d’attente » pour devenir le reproducteur du groupe, comme par exemple Ropalidia marginata. Il a été montré que chez ces guêpes eusociales il existe une file d’attente linéaire et prédéterminée (Gadagkar, 2009). Lorsque l’on retire la reine d’une colonie, il n’y a pas de combat pour la position mais tout simplement un seul individu qui devient temporairement plus agressif et prend la place de reproducteur. Si cette reine potentielle est retirée à son tour, alors un nouvel individu, et un seul, fait de même. Dans ce type de structure il y a de forte chance pour que « l’augmentation de groupe active » ait participé à la sélection de la reproduction coopérative. Il serait donc intéressant d’utiliser ce modèle pour mettre à l’épreuve cette théorie. Cela restera ardu sur ce modèle animal car il faudra le réaliser indépendamment des effets de l’hypothèse de sélection de parentèle.

Nos résultats sont cohérents avec ceux de Bruintjes et Taborsky (2011). Ces auteurs avaient trouvé que les individus de plus petites tailles se spécialisaient dans les comportements de défense contre les prédateurs des œufs tandis que ceux plus grandes tailles se focalisaient sur les comportements d’entretien. Etant donné que la taille et le rang sont fortement corrélés et que dans cette étude de terrain, leurs effets ne sont pas distingués, il se pourrait que la spécialisation dépendante de la taille qu’ils avaient observée, soit en fait dépendante du rang. La spécialisation permet une optimisation des tâches au sein du groupe car celles-ci sont ainsi réalisées par ceux

Page 46 qui sont les plus efficaces pour les réaliser. La répartition selon la taille permet aux plus grands de faire les tâches réclamant de la force comme creuser du sable et aux plus petits d’assumer les tâches moins exigeantes physiquement comme défendre contre les prédateurs de petite taille. Cette répartition est très efficace chez les espèces où les groupes rassemblent toutes les gammes de tailles. Chez N. pulcher, toutes les tailles ne sont pas toujours toutes représentées dans les groupes et une spécialisation selon le rang permettrait une optimisation similaire à celle selon la taille mais avec une plus grande flexibilité : même si les subordonnés sont tous petits ou tous grands, on aurait les subordonnés de plus haut rang, donc les plus grands, qui entretiennent le territoire et ceux de plus bas rang, les plus petits, qui défendent contre l T. vittatus. Il serait donc intéressant de vérifier le mode de répartition des tâches chez N. pulcher en utilisant des groupes de grande taille et de les tester sur un plus grand nombre de tâches que dans notre étude.

On peut aussi expliquer pourquoi les individus de bas rang défendent plus contre les prédateurs des œufs que ceux de haut rang grâce à l’hypothèse « payer pour rester ». Il est d’habitude considéré que les comportements d’aide sont renforcés par les reproducteurs menaçant de punir ceux qui n’aident pas. S’il est possible que les subordonnés de haut rang participent au renforcement du comportement d’aide, les subordonnés de bas rang auront pu être influencés par l’autre subordonné lors de l’expérience de défense. Mais, cela aurait aussi dû être le cas lors de l’expérience d’entretien du territoire, ce qui ne correspond pas aux résultats obtenus. Cependant, creuser du sable est deux fois plus coûteux en énergie que la réalisation de comportements agonistiques (Taborsky et Grantner, 1998). Les comportements d’entretien du territoire seraient donc trop coûteux pour que les menaces et punitions des subordonnés de haut rang soient une motivation suffisante pour réaliser la tâche. Le comportement du OH n’a pas été analysé dans notre étude et ne permet donc pas de statuer sur son effet. Cela reste une hypothèse qu’il serait intéressant d’expérimenter.

Lors de l’expérience de défense, les individus ayant d’abord été placés dans une situation de haut rang émettaient plus de comportements d’agressions restreintes que ceux ayant débuté en situation de bas rang. Cette différence pourrait s’expliquer par des différences intrinsèques aux individus testés : plus d’individus aux tendances agressives auraient été sélectionnés pour être testés dans l’ordre haut rang – bas rang. Le faible nombre d’individus utilisés n’aurait pas permis de compenser les différences inter-individuelles. L’existence de « syndromes comportementaux » chez N. pulcher est soutenue par quelques études. Elles supposent d’ailleurs que les comportements d’aide puissent en faire partie. Par exemple, il a été montré que l’exploration est positivement corrélée à la défense du territoire face aux conspécifiques ; ainsi ces comportements de défense étaient négativement corrélés avec l’entretien du territoire (Bergmüller et Taborsky, 2007). Schürch et Heg (2010) ont montré une influence du sexe de l’individu sur ces questions : les comportements d’aide ne s’intégraient qu’au syndrome comportemental des femelles. N’ayant utilisé que des femelles, cela soutiendrait que le comportement de défense contre le prédateur puisse faire partie du syndrome comportemental des individus testés. Enfin, Il existe aussi des données de terrain suggérant que le syndrome comportemental impacte les comportements de défense mais pas ceux d’entretien du territoire (Witsenburg et al., 2010). Ces résultats confortent l’hypothèse que l’effet d’ordre observé dans notre modèle soit un effet d’une mauvaise répartition de syndrome comportemental entre les groupes bas rang – haut rang. En effet, la différence entre les individus haut/bas et bas/haut est visible uniquement lors de l’expérience de défense contre le prédateur. Nous n’avons d’ailleurs pas trouvé de corrélation entre le niveau d’aide entre les tâches.

Page 47 Enfin, même si les résultats présentés ici ne sont pas en faveur de la théorie « d’augmentation de groupe active », il ne faut pas oublier que les mécanismes actifs et passifs sont indépendants. Il est donc toujours possible que l’hypothèse « d’augmentation de groupe » soit active dans la sélection de la reproduction coopérative chez N. pulcher via le mécanisme passif. Ce mécanisme manque de prédictions spécifiques pour pouvoir être testé. Il est donc nécessaire qu’un effort théorique et empirique soit fourni pour faire progresser notre compréhension de l’évolution de la coopération chez ce poisson.

Page 48 Conclusion

L’évolution de la reproduction coopérative serait possible selon quatre mécanismes : la sélection de parentèle, « payer pour rester », « la sélection par le prestige » et « l’augmentation de groupe ». Pour le moment, seules les hypothèses de sélection de parentèle et « payer pour rester » ont été étudiées chez N. pulcher. La sélection de parentèle ne semble avoir qu’une influence très faible sur ses comportements de coopération au contraire du mécanisme « payer pour rester ».

Notre étude semble montrer que le rang hiérarchique chez N. pulcher n’influence pas les comportements d’entretien des subordonnées femelles mais impacte négativement les comportements de défense contre les prédateurs des œufs. Ces résultats ne correspondent pas aux prédictions du modèle « d’augmentation de groupe active ». Celui-ci ne doit donc pas avoir eu un rôle notable dans l’émergence ou la sélection de la reproduction coopérative chez cette espèce. L’influence négative du rang sur le comportement de défense serait par contre en faveur d’une répartition des tâches d’aide dans le groupe en fonction du rang des subordonnés et non en fonction de leur taille comme cela avait été démontré auparavant. Cela permettrait une meilleure flexibilité dans les groupes n’ayant pas beaucoup de subordonnés de tailles suffisamment variées.

Nous avons ainsi une meilleure compréhension des mécanismes régulant les comportements d’aide et leur évolution chez N. pulcher. Nous n’avons cependant toujours pas de preuves permettant de savoir quel chemin évolutif aurait permis l’émergence de la reproduction coopérative car le mécanisme « payer pour rester » ne permet que sa stabilisation. Il est donc important que l’hypothèse « d’augmentation de groupe passive » et celle de « sélection par le prestige » soit étudiée en profondeur chez cette espèce.

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Page 56 Annexe 1 : Données brutes de l’étude 11,37 11,80 14,47 12,85 12,88 12,38 13,87 11,27 13,37 12,07 10,25 13,67 12,12 11,70 14,42 12,25 13,92 11,00 13,37 12,33 10,45 13,37 10,58 (heure) de défense Heure du test 0,894 0,762 0,954 0,971 0,719 0,838 0,623 0,871 0,912 0,950 0,820 0,900 0,884 0,895 0,868 0,661 0,654 0,642 0,793 0,915 0,748 0,793 0,699 Activité du prédateur (%) 1 9,5 6,25 14,75 87,25 3,052 448,35 35,999 44,695 43,778 65,714 62,001 130,15 20,112 160,192 203,247 284,224 263,974 184,558 378,657 440,703 260,753 115,027 Temps de lantence (s) 4 9 8 2 8 40 14 14 23 19 37 45 38 29 17 20 28 17 15 57 20 38 35 Nombre restraites d'agressions 9,97 9,98 11,77 11,85 14,08 14,28 14,35 10,80 10,32 13,82 12,70 10,25 11,15 10,77 11,95 14,42 10,38 11,30 13,38 12,72 10,47 11,57 14,68 (heure) d'entretien Heure du test 1 0 0 0 0 7 7 0 0 0 1 0 0 0 7 1 1 7 11 10 10 13 18 Excavation 3 3 3 3 3,3 3,2 3,2 3,3 2,9 3,3 3,4 3,1 2,9 3,1 3,1 3,3 3,2 3,2 3,2 3,2 3,2 3,1 3,1 Taille (cm) LR LR LR LR LR LR LR LR LR LR LR LR HR HR HR HR HR HR HR HR HR HR HR Rang HL HL LH LH HL LH LH HL HL LH LH HL HL LH LH HL LH LH HL HL LH HL LH Ordre FH FH10 FH24 FH22 FH17 FH26 FH20 FH27 FH19 FH23 FH12 FH18 FH10 FH24 FH22 FH17 FH26 FH20 FH27 FH19 FH23 FH12 FH18 FH33

Identifiant du

Page 57

Page 58 ÉVOLUTION DE LA REPRODUCTION COOPÉRATIVE : UNE ÉTUDE CHEZ UN CICHLIDÉ, NEOLAMPROLOGUS PULCHER

AUTEUR : Alexis PERRET

RÉSUMÉ :

Depuis Darwin, l’existence de la reproduction coopérative demeure un défi pour la biologie évolutive. La première proposition avancée pour expliquer les comportements d’aide des auxiliaires dans des groupes pratiquant la reproduction coopérative a été la sélection de parentèle. Elle est toujours l’hypothèse la plus plebiscitée de nos jours. Malgré tout, cette théorie ne parvient pas à expliquer comment les comportements d’aide ont été sélectionnés lorsque le niveau de parenté entre les individus concernés est faible. Trois autres théories ont été proposées pour comprendre la reproduction coopérative. L’une de ces théories est l’hypothèse de « l’augmentation de groupe ». Elle postule que les comportements d’aide qui augmentent la taille du groupe sont sélectionnés grâce à l’accroissement des bénéfices conférés par la vie au sein du groupe. Bien que la capacité de cette théorie à participer à l’émergence et la stabilisation de la coopération ait été démontrée sur le plan théorique, il manque toujours des preuves empiriques. Dans cette étude, nous avons cherché à tester l’influence de l’augmentation de groupe « active » chez un cichlidé, Neolamprologus pulcher. Cette forme d’augmentation de groupe est basée sur les bénéfices réciproques à long terme de la vie en groupe reçus par un auxiliaire. Ces bénéfices sont dépendants des chances d’héritage du territoire de l’auxiliaire. L’hypothèse sous-jacente prédit que le niveau d’aide fourni par un auxiliaire augmente avec ses chances d’hériter le territoire. Chez N. pulcher, la probabilité d’héritage du territoire par les femelles est fortement dépendante du rang. Pour mettre à l’épreuve cette prédiction, le rang de onze auxiliaires femelles a été manipulé et leur niveau d’aide lors de tâches d’entretien du territoire et de défense contre un prédateur des œufs a été comparé. Aucun effet du rang n’a été mis en évidence lors de l’entretien du territoire mais la défense des œufs semble augmenter avec la réduction du rang hiérarchique. Ces résultats ne sont pas en faveur d’une action de l’hypothèse d’augmentation de groupe active sur la reproduction coopérative chez N. pulcher.

De futures études sont nécessaires afin de mieux comprendre les théories pouvant expliquer l’émergence et le maintien de comportements altruistes au sein du règne animal.

MOTS CLÉS : ÉCOLOGIE, ÉTHOLOGIE, ÉVOLUTION, REPRODUCTION COOPÉRATIVE, COOPÉRATION, CICHLIDÉ, NEOLAMPROLOGUS PULCHER.

JURY : Président : Pr Jean-Claude PAIRON 1er Assesseur : Pr Caroline GILBERT 2nd Assesseur : Dr Pascal ARNÉ

THE EVOLUTION OF COOPERATIVE BREEDING: A STUDY OF A CICHLID FISH, NEOLAMPROLOGUS PUCLHER

AUTHOR: Alexis PERRET

SUMMARY:

Since Darwin’s theory, cooperative breeding represents a challenge for evolutionary biology. The first theory developed to explain altruistic behaviours displayed by subordinates is the kin selection hypothesis. It is still nowadays the hypothesis the more validated. However, this theory cannot explain situations where helpers are not related or share a low relatedness with the group. Three other theories have been explored to complete our understanding of cooperative breeding.

One of these models is the “group augmentation” hypothesis. It suggests that helping that increase group size will be selected thanks to long and short term benefits of the group increase. Even if its theoretical capacity to drive the helping evolution has been supported, we still lack empirical evidence of its impact on it.

In this study, we tested the hypothesis of the “active group augmentation” in a cooperative breeding cichlid fish, Neolamprologus pulcher. Since long-term benefits are the ones received by the helper when it becomes a breeder, these benefits are highly dependent on the likelihood to inherit a territory. The group augmentation hypothesis predicts that the helping level will increase with the breeding territory inheritance probability. In our model species, the inheritance likelihood of female is possible and depends on their rank.

To challenge this prediction, we manipulated the rank of eleven female helpers and tested their helping level through digging behaviour and defence against eggs predator. We found no effect of rank on digging behaviour and a decrease of defence with the rank. Our results do not support the hypothesis that active group augmentation may influence the evolution of helping behaviour in N. pulcher.

Further studies are needed to better understand how altruistic behaviours can emerge and be selected among a wide variety of animal species.

KEYWORDS: ECOLOGY, ETHOLOGY, EVOLUTION, COOPERATIVE BREEDING, COOPERATION, CICHLID, NEOLAMPROLOGUS PULCHER.

JURY: Chairperson: Pr Jean-Claude PAIRON 1st Assessor: Pr Caroline GILBERT 2nd Assessor: Dr Pascal ARNÉ