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24 images

Au-delà des images Speaking parts, de Gérard Grugeau

Cinéma documentaire Number 46, November–December 1989

URI: https://id.erudit.org/iderudit/24466ac

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Publisher(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (print) 1923-5097 (digital)

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Cite this review Grugeau, G. (1989). Review of [Au-delà des images / Speaking parts, de Atom Egoyan]. 24 images, (46), 4–5.

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0I j i ¥ AU-DELA DES IMAGES i par Gérard Grugeau Le producteur () et Lance (Michael McManus). «L'impact des images sur nos comportements.» a séquence d'ouverture de Family mesurant le poids de cette omniprésence force de conviction Egoyan a toujours L Viewing hante encore nos mémoires. vampirique au sein d'une société de plus défendu son statut de cinéaste indépen­ Sur une musique pulsionnelle de Mychael en plus assujettie à la communication dant et les conditions de production de ce Danna, des chariots contenant les pla­ artificielle des écrans cathodiques. dernier film attestent une fois de plus son teaux destinés aux pensionnaires d'un Alors que , par le refus du compromis. hospice de vieillards sont déchargés en biais des différentes générations d'images Raconter un film d'Egoyan n'offre cuisine pour révéler progressivement à (film, vidéo, home movies), renvoyait qu'un intérêt somme toute limité tant la l'arrière-plan Van, le héros du film, dans métaphoriquement à la dynamique proposition fictionnelle à laquelle le spec­ la partie gauche de l'écran et un téléviseur interne d'une famille disloquée en voie de tateur est convié apparaît indissociable allumé dans la partie droite. L'individu et restructuration («meurtre» symbolique du dispositif filmique qui l'engendre. Un l'image, inscrits ici dans un même plan, du père et recentrage de la famille autour dispositif d'une extrême sophistication apparaissaient d'emblée comme le fonde­ de la figure maternelle), Speaking Parts qui, comme dans Family Viewing, ment dialectique de l'univers d'Atom renoue avec ce même métissage des sup­ débouche sur un irrépressible dérègle­ Egoyan. Comme les deux protagonistes ports pour mettre cette fois en scène la ment des images à partir duquel les per­ incontournables d'une lutte à finir dont dépersonnalisation de l'individu à travers sonnages jusque-là figurants de leur pro­ la représentation tiendrait lieu de fiction. l'impact des images sur les comporte­ pre vie parviennent à surmonter momen­ Avec Speaking Parts, Egoyan — cinéaste ments humains et rendre compte de l'im­ tanément leur état névrotique pour se obsessionnel s'il en est — explore plus possible cohabitation des cinémas d'au­ retrouver en prise sur le réel. Voir l'ul­ avant le territoire de l'image, tout en teur et de producteur. On sait avec quelle time séquence du film où Lisa (Arsinée Khanjian) et Lance (Michael Me Manus) se débanalisent et amorcent une timide Clara () se noie dans la contemplation vidéo de son frère disparu.» réappropriation du désir, sans qu'un cir­ Ï c sç "««, B cuit parasite ne vienne s'interposer entre • I la réalité et l'image. Des figurants — incidemment le titre français de Speaking Parts — tels i - i-I sont les personnages d'Egoyan. Des per­ sonnages sans racines, désespérément en I " quête d'une identité, qui se sont mis en exil de leurs émotions et ne semblent avancer dans l'existence que mus par la seule absorption des nourritures cathodi­ ques: Lisa visionnant ad nauseam les films de Lance dont elle est amoureuse, Clara (Gabrielle Rose) se noyant dans la contemplation de l'image vidéo de son frère disparu, Lance saturé d'images et réceptacle des désirs ambiants. Produits d'une société baignant dans un climat ENTRETIENS ET CRITIQUES

Lisa (Arsinée Khanjian) Lance et Lisa d'aliénation généralisée, ces êtres mani­ ble. Comme si l'aseptie des lieux et les de son auteur, le cinéma d'Egoyan semble pulés et souvent antipathiques manipu­ comportements névrotiques qui transpa­ avec ce dernier film comme pris au piège lent à leur tour un entourage qui n'a de raissent à travers les gestes quotidiens ne de cette réalité vendue corps et âme à la cesse de les vider de leur substance. À laissaient au désir aucune chance d'émer­ civilisation de l'image, réalité dont il l'hôtel dirigé par une mère maquerelle ger. entend rendre compte. Loin du creuset qui n'est pas sans rappeler physiquement De ces vies envahies et conditionnées familial de ses précédents films, son uni­ «l'Américaine» de Mauvais sang, on par le pouvoir de l'image, Atom Egoyan vers se désincarné. Et s'il tente non sans exploite sans vergogne l'image que pro­ dresse un constat froid et distancié. La un certain brio de renouer avec «l'exacer- jette les corps androgynes des garçons construction de l'argument filmique de bation du visible» qui constituait l'inté­ d'étage. À l'écran, un producteur sans Speaking Parts repose plus que jamais rêt majeur de Family Viewing, Speaking scrupules (David Hemblen) règne en sur une structure narrative à la logique Parts n'est pas exempt de confusions et de maître absolu sur les esprits en fabriquant implacable qui confine ici à l'extravagan­ lourdeurs démonstratives, quand le film de l'illusion à coups de «talk shows» sen- ce. Curieusement, l'écriture formelle de ne sent pas carrément le procédé. Non par sationnalistes et autres «contes de fée» plus en plus policée du jeune cinéaste volonté du cinéaste d'exploiter un filon suintant la fausse compassion. Quant à tend à perdre en consistance ce qu'elle a ou une formule gagnante — Egoyan est Eddie le propriétaire du club vidéo (Tony gagné en maîtrise de ses éléments consti­ bien trop intègre pour cela — mais Nardi), il emprunte déjà dans l'ombre, tuants. De Next of Kin à Speaking comme si l'univers obsessif qu'il met en par ses activités de vidéaste polyvalent, la Parts, le cinéma de Egoyan semble déri­ scène ne pouvait malgré le choc des diffé­ voie glaciale tracée par le producteur. ver insidieusement vers une sécheresse un rents supports filmiques, se dégager de Dans ces univers parallèles à connota­ peu vaine, tout en continuant de procurer ses points de fixation pour accéder à une tion œdipienne (troublante correspon­ une certaine jouissance intellectuelle et à véritable transcendance. De par l'origina­ dance entre les roucoulements des tourte­ dégager un pouvoir hypnotique indénia­ lité de sa démarche et l'exigence morale relles présentes dans la scène du marché ble, dû en grande partie aux variations qui sous-tend ses projets, Atom Egoyan entre Pierre et sa mère adoptive dans musicales obsessives de n'en demeure pas moins un cinéaste à Next of Kin et la bande son de Speaking qui viennent combler parfois jusqu'à satu­ suivre attentivement. • Parts où ces mêmes bruits hors-champ ration les vides d'un univers déserté par scandent les cruelles péripéties de la le réel. L'extrême cérébralité qui préside SPEAKING PARTS chambre 106), la sexualité ne trouve à la mise en place des réseaux de significa­ Canada 1989. Ré. et scé. : Atom Egoyan. Ph. : . Mus. : Michael Danna. Int. : Michael McMa­ comme terrain d'expression qu'un espace tion et au brouillage des niveaux de la nus, Arsinée Khanjian, Gabrielle Rose, , dépersonnalisé ou parasité et remis en perception vise bien sûr à servir méthodi­ David Hemblen, Patricia Collins. 92 minutes. scène à distance par une surenchère du quement un propos qui traite en filigrane Couleur. Dist.: Alliance/Vivafilm dispositif voyeuriste. Et, quand les épan- d'une incapacité douloureuse à s'ouvrir chements du cœur viennent par mégarde sur la vie. Mais, d'aucuns y verront une gripper les rouages trop bien huilés de ce certaine complaisance dans l'évocation monde impitoyable, comme justement d'un monde cerné de toutes parts par la dans le cas de l'occupant-e de la chambre mort que seule l'ironie cruelle du cinéaste 106, Thanatos reprend vite ses droits car, arrache aux sables mouvants de la stérilité. au royaume de l'illusion perverse, le bon­ S'il affiche une singulière cohérence heur même d'occasion demeure inaccessi­ dans la démarche thématique et formelle