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MICHEL-RICHARD DE LALANDE

VIE ET CARRIÈRE DE LALANDE

L'hiver de 1683-1684 fut l'un des plus froids que l'on ait connu en Europe. La mort de la reine Marie-Thérèse, survenue lors de l'été précédent, dut le faire paraître particulièrement lugubre à Versailles. Avec l'influence grandissante de la dévote Madame de Maintenon, l'hiver à la Cour dut paraître encore plus déprimant et plus triste qu'à aucun autre moment du règne du Roi-Soleil. Ce fut dans ces mornes circonstances que le jeune et énergique Michel-Richard de Lalande entra en sa première charge de Sous-Maître de Chapelle, le 1er octobre, à l'âge de 25 ans. Son enthousiasme juvénile et ses dons de composition, déjà manifestes, frappèrent certainement les chanteurs et les instrumentistes à son service, parmi lesquels se trouvaient nombre de musiciens fort expérimentés.

D'origine modeste (il naît le 15 décembre 1657, quinzième enfant d'un maître-tailleur parisien), Lalande bénéficie d'une solide éducation musicale. Le 15 avril 1667, à l'âge de neuf ans, il entre dans les chœurs de l'église royale de Saint-Germain-l'Auxerrois à Paris, en compagnie du jeune Marin Marais. Il y reste jusqu'au 18 novembre 1672, dans sa quinzième année. Le maître de chapelle François Chaperon réserve des solos au petit Lalande à cause de “ sa voix belle ” et parce qu'il “ aimait l'étude avec excès ”. En 1680, après son transfert à la Sainte-Chapelle à Paris, Chaperon invite Lalande, alors âgé de 22 ans, à enrichir le répertoire de la Semaine Sainte de quelques-unes de ses Leçons de Ténèbres. De nombreux renseignements sur la jeunesse de Lalande nous sont parvenus grâce au Discours sur la vie et les ouvrages de M. De la Lande, écrit par le poète Alexandre Tannevot, œuvre qui servit de préface à l'édition gravée posthume (1729-34) de 40 grands motets, du Miserere à voix seule et des Trois Leçons de Ténèbres. Nous savons, d'après le Discours, que le jeune Lalande préférait le violon parmi les instruments qu'il pratiquait, mais que, une fois son entrée à l'orchestre de l'Académie royale de Musique refusée par Lully, il “ renonça pour toujours au violon ”. C'est alors qu'il acquiert la maîtrise aussi bien du clavecin que de l'orgue. Le Maréchal de Noailles, qui l'a pris comme professeur de clavecin pour sa fille, recommande à Louis XIV de faire de même pour les deux filles que le roi a eues de Mme de Montespan, Louise-Françoise (Mlle de Nantes) et 22 MICHEL-RICHARD DE LALANDE

Françoise-Marie (Mlle de Blois). En 1678, Lalande participe au concours pour la charge d'organiste de la Chapelle royale à Saint-Germain-en-Laye, mais Louis XIV le trouve trop jeune pour être “ organiste du roy ”.

Quoi qu'il en soit, il est suffisamment bon organiste pour être nommé dans quatre églises parisiennes : l'église des Jésuites de Saint-Louis, l'église du Couvent du Petit Saint-Antoine, l'église Saint-Gervais et l'église Saint-Jean-en-Grève. Il compose aussi des intermèdes et des chœurs (aujourd'hui perdus) pour les productions théâtrales des Jésuites au Collège de Clermont (Collège Louis-le-Grand). À la mort de Charles Couperin en 1679, Lalande est nommé organiste de Saint-Gervais et y restera jusqu'à la majorité de l'aîné des fils Couperin, François, en 1686. Cependant, après la nomination de Lalande à la charge Sous-Maître de la Chapelle royale pour le quartier (trimestre) commençant en octobre 1683, le jeune Couperin, ainsi que le frère aîné de Lalande, François lui aussi, doivent le suppléer souvent à la tribune. En 1690, Lalande, dans son approbation, écrit que les deux messes pour orgue de François Couperin sont “ fort belles, et dignes d'estre données au Public ”. En 1682, Lalande remplace Pierre Meliton à Saint-Jean-en-Grève, où il reste jusqu'à ce que ses responsabilités de plus en plus prenantes à la Cour le contraignent à démissionner en 1691. (Aucune preuve solide n'a été avancée pour étayer l'affirmation récente qu'un lien musical particulier ait existé à cette époque entre Lalande et la Cour en exil de Jacques II d'Angleterre et de Marie de Modène à Saint-Germain-en-Laye.)

En 1683, lorsque Du Mont et Robert, Sous-Maîtres de la Chapelle royale, abandonnent leurs charges, le roi ordonne un concours pour les remplacer. Trente-cinq musiciens se présentent, parmi lesquels Charpentier, Desmarest, Lorenzani et Nivers. Ce nombre est ramené à quinze, et les candidats doivent tous mettre en musique le psaume 31, Beati quorum. (L'œuvre de Lalande, la seule à avoir survécu, sera donnée pour la première fois de nos jours, lors du concert du 12 octobre.) A l'issue de l'épreuve, quatre candidats sont choisis pour se partager la charge, chacun pendant un quartier : Goupillet (janvier), Collasse (avril), Minoret (juillet) et Lalande (octobre). Selon le Discours, Louis XIV en personne serait intervenu pour assurer son quartier à Lalande, ouvrant ainsi la voie au futur compositeur de prédilection de la Cour.

Après un peu plus d'un an, en janvier 1685, Lalande obtient une première charge au sein d'une organisation tout aussi prestigieuse, la Chambre. En tant que Compositeur de la Musique de la Chambre, il partage la moitié de l'année avec Pascal Collasse, l'autre moitié étant sous le contrôle de Pierre Robert. En janvier 1689, à l'âge de 31 ans, il devient Surintendant de la Musique de la Chambre, charge musicale la plus convoitée de la Cour, MICHEL-RICHARD DE LALANDE 23

à la place de Jean-Louis Lully. La même année, le Roi ordonne aux copistes de la Cour, François Fossard et André Danican Philidor l'aîné, de faire le recueil manuscrit complet des grands motets de Lalande, témoignage d'honneur bien rare. (Les quatre motets qui seront donnés lors du concert du 12 octobre, y compris le Beati quorum, se trouvent dans ce recueil). En septembre 1693, après la retraite forcée de Goupillet (notons que Henry Desmarest lui avait servi de “nègre” pour la composition de plusieurs de ses grands motets), Lalande ajoute au quartier d'octobre celui de janvier en tant que Sous-Maître de la Chapelle. En mars 1704, lorsque Collasse se retire, le Roi attribue le quartier d'avril à “ nostre bien aimé Richard Michel de La Lande ”. En 1714, le Marquis de Dangeau note dans son journal au 29 septembre : “ le maître de musique du quartier de juillet, l'abbé Minoret, se retire ”. La raison du départ de Minoret semble bien avoir été, non l'invalidité, comme la minute officielle le laisse entendre, mais, selon Marc-François Bêche, le dépit que lui inspira le choix de Louis XIV : plutôt qu'une œuvre de Minoret, dont c'était le quartier, le Roi avait choisi le motet Cantate Dominum canticum novum de Lalande dans le but de faire bonne impression sur l'Electeur de Bavière, alors en visite. Dangeau poursuit : “ Le Roi lui donne 3500 francs de pension et on réunit sa charge aux trois autres qu'a déjà La Lande, si bien qu'il aura présentement les quatre quartiers ; quand il sera malade et qu'il ne pourra point faire sa charge, Matho battra la mesure pour lui ”. Ainsi, à partir du 1er juillet 1715 et pour la première fois, la musique de la Chapelle royale fut sous le contrôle d'un seul homme, deux mois à peine avant la mort de Louis XIV.

Bien que Tannevot le décrive comme étant “ timide en public ”, Lalande ne semble pas avoir été gêné pour cumuler la plupart des charges officielles à la portée d'un musicien de Cour. En plus de celles citées auparavant, Lalande fut nommé Compositeur de la Musique de la Chambre pour trois quartiers en 1700, après la mort de Robert. Après celle de Collasse en 1709, il réunit toutes les charges de cet office. Lorsqu'il est nommé à la charge de Surintendant de la Musique de la Chambre en 1689, il partage l'année avec Jean-Baptiste Boesset. En 1695, Boesset vend sa charge de Maître de la Musique de la Chambre à Lalande pour 16.000 livres. Lalande, qui ne peut réunir qu'une partie de la somme, se tourne vers André Danican Philidor, un des bibliothécaires de la musique du roi, qui lui prête 14.400 livres sur deux ans.

Le 7 juillet 1684, Lalande épouse la chanteuse Anne Rebel, fille de Jean Rebel, Ordinaire de la Musique du Roy, et demi-sœur de Jean-Féry Rebel, violoniste, chef d'orchestre et directeur de l’Académie royale de Musique. Selon le Discours, c'est Louis XIV en personne qui pourvoit aux frais du mariage. Deux filles sont le fruit de cette union, Marie-Anne, née en 1686, 24 MICHEL-RICHARD DE LALANDE et Jeanne, née l'année suivante. Elles deviendront toutes deux des cantatrices de renom et seront distinguées par Louis XIV, qui en 1706 octroie à chacune une pension de 1000 livres, exprimant le vœu de les entendre chanter pendant la Messe du Roy. Selon le Mercure Galant, le Roi auditionne Marie-Anne en 1701, alors qu'elle n'a que 15 ans. Tannevot rapporte que “ on leur doit ces récits de dessus si gracieux, que M. De La Lande a composé pour répondre à la beauté de leurs voix ”. Malheureusement, elles succomberont toutes deux à la variole en mai 1711. La mort du Dauphin lors de cette même épidémie ne fait que resserrer les liens entre le roi de et le fils d'un tailleur parisien ; Louis XIV aurait dit à Lalande quelques jours après la mort des filles du compositeur : “ Vous avez perdu deux filles qui avaient bien du mérite : Moi, j'ai perdu Monseigneur… La Lande, il faut se soumettre ”. Quelques mois plus tard, le 18 avril 1712, à la demande du Roi, Lalande dirige les 129 musiciens de la Chapelle Royale lors d'un office à Saint-Denis à la mémoire du Dauphin et de son épouse. Il est probable que le Dies irae de Lalande, écrit à l'origine pour les obsèques de la Dauphine en 1690, puis révisé en 1711, compte parmi les œuvres interprétées à cette occasion.

La vie de Lalande a dû être profondément bouleversée après la mort du Roi en 1715, lorsque la Cour de la Régence se déplaça soudainement à Paris. Par exemple, la messe quotidienne chantée à Versailles est probablement abandonnée, et Lalande se trouve sans aucun doute dans l'obligation de se rendre à Paris à l'occasion des offices dominicaux. Curieusement, on sait très peu de choses sur les modalités pratiques de la musique de la Chapelle pendant la Régence, mais à cette époque, la plupart des chantres semblent avoir été défaits de leur charge ou gratifiés d'une pension. En février 1718, André-Cardinal Destouches prend l'une des charges de surintendant (il sera remplacé en novembre 1719 par son successeur, Collin de Blamont). En mars 1718, Jean-Féry Rebel, beau-frère de Lalande, et Jean-François de La Porte lui succèderont comme Compositeurs de la Musique de la Chambre.

L'épouse de Lalande meurt le 5 mai 1722. Quelque temps après, Louis XV fait du compositeur un Chevalier de l'Ordre de Saint-Michel, peut-être lors du sacre de le 25 octobre, au cours duquel Lalande dirige la musique. La même année, selon Tannevot, lorsque la Cour est revenue de nouveau à Versailles, Lalande exprime le désir de renoncer volontairement aux trois-quarts des gratifications qu'il reçoit à la Chapelle Royale afin de revenir au système initial des quatre Sous-Maîtres. Touché par sa requête, Louis XV donne son accord et en janvier 1723 lui octroie une rente à vie de 3000 livres. Trois représentants de la nouvelle génération de compositeurs, André Campra, Nicolas Bernier et Charles- Hubert Gervais, protégés du régent, Philippe d'Orléans, sont bientôt MICHEL-RICHARD DE LALANDE 25 nommés aux trois charges.

Lalande se remarie en 1723 ; son épouse est Marie-Louise de Cury (1692- 1775), fille du chirurgien de la Princesse de Conti. Ils ont une fille, Marie-Michelle (1724-1781). Selon le Discours, Lalande meurt d'une pneumonie le 18 juin 1726 ; il est enterré à l'église Notre-Dame de Versailles, près du château où il a servi quarante-trois ans.

MUSIQUE SACRÉE

Le “ style versaillais ” a été introduit par Veillot et Formé ; il a été développé ensuite notamment par Du Mont et a servi de modèle à Lully et à Robert ; il atteint son apogée dans les 77 grands motets authentiques composés et révisés par Lalande pendant une période de 46 ans. Au XVIIIe siècle, on les considère comme des “ chefs d'œuvre du genre ” (Laugier). Dès 1780, La Borde, dans son Essai sur la musique ancienne et moderne, considère Lalande comme “ le créateur de la musique d'église ”. Le message éloquent de ces œuvres touche tout à la fois ceux qui assistent à la Messe du roi à la Chapelle royale, et, après 1725, la foule qui se presse au tout nouveau Concert spirituel à Paris. Pendant les quarante-cinq premières années du Concert spirituel, on compte plus de 590 représentations de 41 grands motets de Lalande, et ces œuvres sont données à la Chapelle royale tout au long du XVIIIe siècle. La dernière édition du Livre de motets pour la Chapelle du Roy imprimé par Ballard en 1792 comporte les titres de 14 motets de Lalande inscrits au répertoire entre janvier et juin de cette année. Les copies manuscrites que l'on a trouvées dans certaines bibliothèques de province témoignent également de la pérennité des motets de Lalande. Du vivant du compositeur, par exemple, les académies lyonnaises qui organisent des concerts dans cette ville font l'acquisition de copies, actuellement conservées à la Bibliothèque municipale de Lyon, des premières versions de motets tels le Cantate Domino. La Bibliothèque Méjanes à Aix-en-Provence possède également des copies uniques (partition complète et parties séparées) des premières versions de certains autres motets. La popularité de ces œuvres au XVIIIe siècle est également démontrée par le grand nombre de récits extraits des grands motets et rassemblés dans des recueils manuscrits à destination des églises ou des couvents, ainsi qu'aux aristocrates mélomanes. Par ailleurs, un tel recueil, fait en 1765 dans la ville provençale d'Apt, est notre seule source de fragments de plusieurs grands motets de Lalande.

Les motets de Lalande réunissent des éléments totalement disparates avec une intensité sans précédent. Des airs d'opéras galants se trouvent côte à 26 MICHEL-RICHARD DE LALANDE côte avec le majestueux style officiel du motet versaillais. Des chœurs de bataille homophones, comme dans le Deus noster refugium, qui figure au programme du premier concert du 6 octobre, côtoient des mélodies grégoriennes qui tracent un cantus firmus dans la belle polyphonie d'œuvres telles Regina coeli, qui sera également au programme du premier concert du 6 octobre, Sacris solemniis ou Venite exultemus, qui seront donnés lors du concert du 28 novembre. Dans le cas du Sacris solemniis, la mélodie du cantique ancien est préfigurée plusieurs fois dans le chœur d'ouverture avant d'être entonnée en entier par les basses du chœur.

Lalande était profondément imprégné de l'esprit des psaumes en latin qu'il choisissait. Son langage musical chaleureux donnait une dimension humaine au grand motet. Un hommage à Lalande particulièrement sensible et senti se trouve dans une lettre qui sert d'avertissement à l'édition gravée posthume. L'auteur, Collin de Blamont (1690-1760), élève et protégé du compositeur, qualifie son ancien maître de “ Lully latin ” et poursuit : ” Le grand mérite de M. De la Lande consistait dans un merveilleux tour de chant, un précieux choix d'harmonie, une noble expression : faisant toujours valoir les paroles qu'il avait à traiter, en rendant le sens véritable, le majestueux, & le saint enthousiasme du Prophète… ici savant et profond, là simple et naturel, il faisait toute son étude et mettait toute son application à toucher l'âme par la richesse de l'expression, et des vives peintures, et à délasser l'esprit par les agréments de la variété, non seulement dans le merveilleux contraste de ses morceaux, mais dans le morceau même qu'il traitait ; ce qu'il est aisé de voir par les disparates ingénieuses dont il ornait ses ouvrages, et par les traits de chants gracieux, aimables, qui servaient, pour ainsi dire, d'épisodes à ses Chœurs les plus travaillés. ” Manifestement, Collin de Blamont décrit ici les motets tardifs ou les versions finales de motets écrits plus tôt qui constituent l'édition posthume.

La plupart des grands motets de Lalande sont réunis dans quatre grands recueils : la copie manuscrite de 27 motets, faite en 1689 et 1690 par Philidor, Fossard et un troisième copiste inconnu, dont le manuscrit se trouve actuellement à la Bibliothèque de Versailles ; des copies de 11 motets (partitions complètes et parties séparées) faites par Philidor pour le Comte de Toulouse à partir de 1704 ou 1705, conservées à la Bibliothèque nationale de France ; l'édition gravée de 40 motets, datant de 1729 ; ainsi qu'une copie manuscrite de 41 motets faite pour un certain Gaspard Alexis Cauvin, dont 20 volumes se trouvent à la Bibliothèque de Versailles, et un volume à la Bibliothèque nationale. Le manuscrit de Cauvin est une copie datant du milieu du XVIIIe siècle, manifestement basée sur des copies antérieures, dans laquelle la séquence des motets est modifiée et où MICHEL-RICHARD DE LALANDE 27 figurent les parties instrumentales intérieures (parties d’alto), omises dans l'édition gravée. Dans le cas de certains motets qui existent dans d'autres partitions complètes de l'époque de Lalande (quelques-uns dans le recueil de Toulouse-Philidor, par exemple, ou d'autres actuellement conservés à Lyon), on peut démontrer que les partitions de Cauvin, y compris les parties intérieures, correspondent à des versions antérieures à celles de l'édition gravée. Pour Exaudi Deus, la copie de Cauvin est pratiquement identique à celle du recueil de Philidor de 1689-90, si ce n'est que la plus grave des trois parties d'alto (la quinte de violon) est omise.

Lalande révisait sans cesse ses grands motets. Pour 29 d'entre eux, il existe au moins deux versions, et parfois plus. Dans d'autres cas, on trouve des versions recomposées de certains mouvements. On sait que d'autres, dont on n'a que des versions plus tardives, furent initialement composés bien avant. Selon le Discours, “ Du temps du feu Roi il avait commencé à faire quelques changements dans plusieurs de ses anciens motets ; Sa Majesté qui s'en aperçût l'empêcha de continuer, soit pour rendre plus sensibles les progrès que l'auteur faisait sous ses yeux, soit pour conserver les grâces et les beautés naïves de ses premières productions, soit enfin par la crainte que cette occupation ne lui prît trop de temps, et ne l'empêchât de composer de nouvelles choses. ”

Dans son Apologie de la Musique Françoise contre M. Rousseau (1754), l'Abbé Laugier écrit que Lalande, “ esprit lent et méditatif, n'a rien produit qui ne soit extrêmement travaillé ; on sent qu'il y est revenu à plusieurs fois, qu'il a touché et retouché, qu'il n'a réussi qu'à force d'étude et de patience ”. Si on peut faire confiance aux dates d’un manuscrit d'Avignon, 28 des motets de Lalande, soit plus d'un tiers du total, datent de la période 1680-1691, laquelle comprend les huit premières années de sa fonction à la Chapelle royale. On sait d'après d'autres sources que trois autres motets appartiennent également à cette première période. Parmi ces 31 œuvres en tout, 27 se trouvent dans la copie de Philidor de 1689-1690 conservée à Versailles. L'un d'entre eux, Audite coeli, existe en deux versions, ce qui montre que Lalande a pris assez tôt l'habitude de réviser ses œuvres. La version la plus ancienne de ce motet sera au programme du concert du 12 octobre. Ainsi, on peut affirmer que ce recueil est représentatif du style du jeune Lalande. L'auteur du Discours en parle en ces termes : “ Les premiers ouvrages de M. De La Lande ne sont pas, à beaucoup près, si travaillés que les derniers ; ils sont plus agréables que profonds, et moins les fruits de l'Art que ceux de la Nature. ”

Dans une certaine mesure, les premiers motets exploitent pour la plupart le style homophone et le traitement syllabique du texte qui caractérisent les motets versaillais de ses aînés Du Mont, Lully et Robert. Si l'on peut 28 MICHEL-RICHARD DE LALANDE constater une certaine influence de la musique française de la scène, par exemple dans l'air binaire “ Asperges me ” ou l'air en rondeau “Amplius lava me ”, tous les deux tirés du Miserere, dont la version révisée a été publiée récemment dans une édition moderne par les Editions Salabert, de nombreux récits, souvent accompagnés d'un orchestre à cordes à cinq voix, sont ouverts et s'enchaînent ou s'intercalent avec des mouvements pour chœur. Dans les œuvres de jeunesse, les grands chœurs à quatre et à cinq voix sont généralement homophones, mais dans ses musiques polyphoniques, Lalande fait souvent apparaître d'abord deux motifs indépendants et clairement définis dans un récit pour voix seule (ou dans une symphonie d'ouverture), pour les combiner par la suite dans un chœur. Dans ses œuvres plus tardives, Lalande manie cette technique de contrepoint du texte avec beaucoup de subtilité. Dans le huitième verset du De profundis, “Et ipse redimet Israel, Ex omnibus iniquitatibus ejus' (au programme du concert du 13 octobre), deux motifs sont utilisés pour représenter les deux parties du texte, l'un ascendant, l'autre descendant. Manifestement, Lalande les a choisis pour les utiliser consécutivement ou simultanément. Dans la plupart des passages en tutti, les motifs ainsi que leurs textes respectifs sont combinés, comme c'est le cas ici. Afin de rendre le texte compréhensible, Lalande en cite la première ligne au début du mouvement et la deuxième ligne à la fin.

Dans les premiers motets, d'une manière générale, l'orchestre double les voix du grand chœur et joue des symphonies à cinq voix ou des ritournelles à trois voix pour marquer les séparations structurelles. Cependant Lalande, comme Du Mont, se permet d'élaborer la ligne vocale en contrepoint libre dans la partie du deuxième violon. Quelquefois, notamment dans les chœurs à mouvement lent, l'orchestre est indépendant des voix. Mais avant la fin du siècle, la musique de scène française des successeurs de Lully, tels Campra, Destouches, Mouret et Montéclair, montraient des changements. Les compositeurs français devaient se faire aux cantates et sonates italiennes qui inondaient Paris. Bien qu'imprégné du style du motet versaillais, Lalande connaissait bien la musique italienne. Dès 1695, il avait contribué à six des douze ritournelles qui figurent dans un recueil d'Airs Italiens fait par Fossard et Philidor et imprimé par Pierre Ballard. (La même année, Philidor avait inscrit trois sonates en trio de Corelli dans l'un de ses recueils.) Pour la plupart, ces Airs sont tirés d'opéras italiens des années 1670 et 1680. Dans la dernière décennie du XVIIe siècle, Nicolas Mathieu, curé de Saint- André-des-Arts et italophile, organisait des concerts hebdomadaires à son domicile où “ l'on ne chantait que de la Musique Latine composée en Italie ”. Lalande et Charpentier faisaient partie du cénacle de l'Abbé Mathieu, et c'est Lalande qui hérita de sa collection de cantates et de motets. MICHEL-RICHARD DE LALANDE 29

Ainsi, les premiers motets de 1689-1690 se différencient à la fois par le temps et par le style des compositions et des révisions plus tardives, tandis que les copies Toulouse-Philidor de 1704 et certains motets conservés à Versailles dans des manuscrits de Philidor peuvent être considérés comme représentatifs d'une période de transition. Les révisions prennent plusieurs formes : (1) passage d'une structure plutôt hétérogène avec des sections enchaînées à des mouvements autonomes (solos et ensembles intercalés entre des chœurs) à la manière des “ cantates de la Réforme ” de Bach ou des motets (anthems) de Humfrey et Purcell de l'époque de la Restauration en Angleterre ; (2) la création, à partir de simples récits avec accompagnement homophone à cinq voix, d'arias ou de duos de concert très élaborés, souvent avec instruments obligés ; (3) la réécriture de chœurs surtout homophones dans un style plus polyphonique ; (4) le passage d'un orchestre dont le rôle est surtout de doubler les lignes du chœur à un orchestre indépendant des voix ; (5) une plus grande économie dans l'utilisation de certains éléments musicaux, alors que d'autres sont plus développés. Le “Requiem aeternam ” tiré du De profundis, au programme du concert du 13 octobre, est un excellent exemple de cette dernière catégorie. La partition est écrite dans une polyphonie dense à cinq voix, dont l'intensité fait penser à Bach, à laquelle participent les instruments et les voix. Il est possible que la structure harmonique des œuvres tardives de Lalande doive quelque chose à sa connaissance de la musique de Charpentier. L'accord dissonant de la neuvième de médiante avec septième majeure et quinte augmentée que l'on trouve dans la musique de Charpentier figure également dans les motets de Lalande. Dans Exaltabo te, Domine, au programme du premier concert du 6 octobre, cet accord est suivi de l'indication “ silence ” avant sa résolution, preuve que le compositeur avait soigneusement choisi la manière la plus efficace de mettre le texte en musique.

Le nombre de mouvements dans les motets tardifs varie énormément. Regina coeli laetare, au programme du concert d'ouverture du 6 octobre, est le plus court, comportant seulement six mouvements (symphonie, duo, chœur, récit, trio, chœur), alors que le Te Deum, au programme du concert du 28 novembre, en a dix-huit. Il est rare de trouver un ordonnancement symétrique similaire à celui que l'on remarque dans de nombreuses cantates de Bach ; ce n'est que dans le Deus noster refugium, également inscrit au programme du concert d'ouverture du 6 octobre, que l'on s'approche d'une structure où les récits alternent avec les chœurs.

Dans onze de ses grands motets, Lalande emploie la forme traditionnelle de l'ouverture du motet versaillais, c'est-à-dire que les mêmes thèmes sont utilisés dans la symphonie, le récit et le chœur d'ouverture, à la manière du De profundis - au programme du concert du 13 octobre. Plus de la 30 MICHEL-RICHARD DE LALANDE moitié des récits qui se trouvent dans l'édition gravée et dans les manuscrits de Cauvin sont écrits dans une sorte de forme binaire, avec quelques exemples du type A-B-B', la configuration binaire la plus usuelle dans la musique de scène de Lully et de ses successeurs. Dans ce type d'air, le texte est généralement en forme de quatrain. Dans la partie B', la reprise du texte ne donne jamais lieu à la reprise à l'identique de la musique, même si les valeurs des notes et la forme mélodique peuvent être similaires. Un exemple en est donné par l'air “Quae utilitas ” tiré du Exaltabo te, Domine, au programme du premier concert du 6 octobre.

L'influence de l'opéra transparaît dans de nombreux récits qui ressemblent aux airs développés que l'on trouve dans les cantates et les opéras-ballets français. Ces airs, caractérisés par des mélismes raffinés, des séquences enchaînées et des effets vocaux, souvent avec flûte, hautbois ou violon obligé, marquent la rupture la plus radicale avec le passé. Chose surprenante, il n'y a que deux véritables arias da capo dans les œuvres tardives : la plupart des récits de ce type sont en forme de rondeau (A-B-A') avec des modifications en A'.

Le 25 juillet 1726, moins de six semaines après la mort du compositeur, la veuve de Lalande demanda un privilège royal pour graver les motets de son mari défunt. Les deux premiers motets furent gravés “ chez Jacques Collombat ” en 1728, même si l'édition porte la date de 1729. Malgré les affirmations de plusieurs commentateurs modernes, rien n'indique que Collin de Blamont prît part de manière active à la préparation de l'édition gravée. Les preuves indirectes vont même à l'encontre d'une telle contribution. Dans l'avertissement à la fin de la préface, Tannevot explique qu'il avait demandé à Blamont d'écrire un avertissement afin de donner au public une idée générale de la musique de Lalande, car, Lalande et Blamont ayant des relations proches, celui-ci était mieux placé que qui que ce soit pour analyser sa musique. La lettre de Blamont, datée du 28 septembre 1728, peu avant l'impression du premier volume, en est le résultat. Blamont commence sa lettre en affirmant qu'il vient “ d'apprendre avec un sensible plaisir, Monsieur [Tannevot], le bon office que vous voulez bien rendre à la mémoire du feu M. De La Lande ”, avant de poursuivre : “ J'étais trop son serviteur et son ami, et j'avais reçu de lui trop de marques d'estime et de bonté, par les soins qu'il a pris de m'instruire dès ma plus tendre jeunesse, soit par ses conseils pour tout ce qui peut former le goût, soit par sa constance et son attachement inviolable au travail et à son devoir, pour ne pas sacrifier quelque chose de mon amour propre, en hasardant de mettre par écrit ce qui peut vous instruire de toutes les perfections que j'ai reconnues dans ce Lully latin. Trop heureux si cela peut vous être de quelque utilité dans votre projet ”. MICHEL-RICHARD DE LALANDE 31

Manifestement, Blamont n'aurait pas écrit ces mots après deux années de travail sur l'édition s'il avait été impliqué dans le projet en tant que directeur musical, surtout compte tenu de son caractère tel qu'il ressort de la querelle, bien documentée, entre les Sous-Maîtres et les Surintendants. Manifestement, des musiciens ont dû participer au travail, puisque la réduction de la partition complète n'a pas été effectuée simplement en supprimant les parties d'alto ; à de nombreux endroits, la partition d'orchestre est une réduction particulièrement habile de la partition complète. Le remplacement fréquent de l'indication de tempo C barré par 2, et la modification de certaines indications expressives font que l'édition est entièrement distincte des manuscrits existants et suggèrent qu'une intervention “musicale ” eut lieu avant ou pendant la gravure. Titon du Tillet (Le Parnasse françois, 1732) nous informe que la veuve de Lalande, “ attentive à tout ce qui peut faire honneur à la mémoire de feu son mari, ayant confié ses Motets à des Musiciens très entendus et amis du défunt, a commençé en 1728 à les faire graver ”. Mais, quelle que soit l'identité de ces musiciens, il semble probable d'après l'Avertissement que Collin de Blamont n'en faisait pas partie. Malgré ses liens avec Lalande, il n'est nul besoin de porter au crédit de Blamont un quelconque rôle dans la composition des affirmations éloquentes de la maturité de Lalande. L'étude de la musique sacrée existante de Blamont ne montre de trace ni de l'intensité d'expression ni du savoir polyphonique qui ressortent de plusieurs chœurs de l'édition gravée des motets de Lalande.

MUSIQUE PROFANE

Lalande écrit ses premières œuvres de concert et de scène entre 1682 et 1704, suivies du Divertissement sur la paix en 1713 et trois grands ballets pour Louis XV en 1720-1721. Il composa quelque 24 ballets,diver- tissements, intermèdes et pastorales pour divertir la Cour royale à Versailles, Marly, Fontainebleau et Sceaux, et de temps en temps à Paris - ces dernières œuvres comprenant celles écrites pour Louis XV. La musique de six d'entre elles seulement a survécu dans son intégralité, cependant il est possible d'en reconstruire quatre autres quasi intégralement. Pour neuf d'entre elles, des extraits ou des livrets nous indiquent la structure générale de l'œuvre, et le livret de deux œuvres seulement nous est également parvenu. Le Ballet de la jeunesse, qui sera donné au concert du 9 octobre, fut créé à Versailles le 28 janvier 1686 à la place de l' de Lully, inachevé. Synthèse de l'opéra et du ballet, le Ballet de la jeunesse est un précurseur important de l'opéra-ballet. Le poème est divisé en un prologue et trois intermèdes, parmi lesquels l'auteur du livret, Dancourt (Florent Carton), introduisit trois actes d'une comédie interprétée par des membres de la 32 MICHEL-RICHARD DE LALANDE

Comédie Française. La musique de Lalande comprend huit symphonies, quatorze airs, quinze chœurs et dix-huit danses, dont une “ Chaconne de la jeunesse ”. Ce morceau, au cœur de l'œuvre, comporte une série de 61 variations sur une basse de huit mesures et montre la capacité de Lalande, comme Lully, d'organiser une scène entière autour du modèle de la chaconne. Le thème et 28 variations sont joués par les instruments ; les autres variations sont écrites pour voix seule et pour un ensemble de voix et de chœurs. La pastorale L'Amour fléchi par la constance, dont la partition complète, découverte en 1974, fut créée à Fontainebleau en 1697 devant Jacques II, le roi d'Angleterre en exil, et sa femme, Marie de Modène. L'œuvre est caractérisée par une solidité formelle qui n'est pas sans rappeler celle déployée avec tant d'habileté par Lalande dans ses grands motets. Des scènes comportant surtout des récits pour voix seule et des duos alternent avec trois scènes comportant des divertissements chantés et dansés. Deux ans plus tard, Lalande s'associa de nouveau à Dancourt pour la composition d'une série d'intermèdes pour Les Fées, donnés pour la première fois à Fontainebleau et repris par la suite à la Comédie- Française à Paris. Les contes de fées et des pièces de théâtre construites autour de ceux-ci jouissaient d'une certaine popularité dans la dernière décennie du XVIIe siècle, et Dancourt, conteur et comédien le plus en vogue à l'époque (et protégé du Dauphin), sut suivre la tendance. Les compositions de Lalande comptent parmi les plus gaies et les plus vivement colorées du musicien, et il ne se priva pas d'y puiser la matière de ses œuvres postérieures.

Pour le premier ballet de cour, dansé par Louis XV dans l'antichambre, au palais des Tuileries, en février 1720, Lalande mit en musique les intermèdes révisés que Dancourt avait écrits pour L'inconnu. Il y intégra certains morceaux de Rebel et Destouches, et lui-même fournit l'ouverture (prise dans ses suites de symphonies de 1703 et révisée), 35 airs de danse et quelques-unes de ses ariettes vocales les plus osées.

Le deuxième ballet pour Louis XV, Les Folies de Cardenio, présenté en décembre 1720 et janvier 1721, fut beaucoup plus extravagant. Donnée dans la Salle des Machines du palais des Tuileries, l'œuvre ne nécessita pas moins de 68 danseurs et un orchestre de 65 musiciens. Malgré le coût énorme de 115.000 livres et l'extravagance du spectacle, dont des extraits seront joués au programme du concert du 14 octobre, le jeune roi le prit en grippe et la pièce ne fut jamais rejouée. En revanche, Les Elemens, “ Troisième Ballet dansé par le Roy dans son Palais des Tuileries “ créé le 31 décembre 1721, collaboration de Lalande et d'André-Cardinal Destouches, finit par devenir l'une des œuvres les plus souvent jouées au XVIIIe siècle. En mai 1725, le ballet, assorti de plusieurs révisions, fut représenté à l'Opéra de Paris en tant qu’opéra-ballet (concert du 7 octobre). MICHEL-RICHARD DE LALANDE 33

SYMPHONIES ET CAPRICES

Mis à part les suites instrumentales extraites des ballets, la première suite instrumentale de Lalande, la plus intime, s'intitule la Grande pièce royale, connue plus tard sous le nom Deuxième Fantaisie ou Caprice, et dont le sous-titre portait : “ que le Roi demandait souvent ”. Elle figure au programme du concert du 28 novembre. Trouvée dans un recueil de Philidor datant de 1695, la suite comporte six mouvements reliés entre eux, désignés seulement par des indications de tempo différentes. Les passages pour basson obligé montent dans un registre qui ne sera dépassé que par certains opéras de Rameau, vers la fin des années 1740. Parmi les autres suites et caprices qui ne sont pas contenus dans des ballets, le Caprice en passacaille comprend également des parties de basson obligé, tandis que le Troisième Caprice est écrit, avec beaucoup d'imagination, pour un quatuor de violons, altos, bassons et continuo. La partie d'alto ainsi que le chiffrage de la basse sont attribués au beau-frère de Lalande, “ M. Rebel ”. L'œuvre comprend un jeu de variations de belle facture, orchestré à la manière d'un concerto. Contrairement aux pratiques habituelles, ce sont les parties tutti qui sont plus complexes que les parties solo.

Le Concert de Trompettes est d'un tout autre caractère : il s'agit d'une musique d'extérieur destinée à accompagner les processions sur les canaux et lacs des jardins de Versailles. Cinq mouvements figurent pour la première fois dans le Ballet pour le Jour de Saint-Louis (1691). L'année 1695 vit également la première impression des œuvres de Lalande, dans deux publications. L'une est un recueil de douze Airs italiens empruntés par Fossard et Philidor principalement dans des opéras italiens, où l'on trouve des ritournelles de Lalande pour six d'entre eux ; l'autre est la mise en musique par Lalande d'un des cantiques spirituels de Racine.

Le premier de cinq (peut-être six) recueils de musique instrumentale et d'extraits de ballets fut fait en 1703, sous le titre Les Symphonies de M. de La Lande “ Qui se jouent ordinairement au souper du Roi… par la troupe des Petits Violons ”. Aucun de ces recueils ne semble porter le titre “ Symphonies pour les soupers du Roi ”, qui paraît être une appellation moderne utilisée pour la première fois par une maison de disques. Les quatre livrets de parties individuelles du recueil de 1703 furent copiés par Philidor l'aîné à la demande du Comte de Toulouse et comportent dix suites avec un total de 160 mouvements, dont presque la moitié fut initialement prévue pour la scène. Dix ans plus tard, un recueil, dont seul le répertoire nous est parvenu, montre que, si 9 mouvements avaient été retirés, 34 avaient été rajoutés, dont 23 tirés des ballets, avec le Troisième Caprice, ce qui donne 185 mouvements en tout. Deux recueils plus tardifs 34 MICHEL-RICHARD DE LALANDE et posthumes, puisent à l'évidence dans des sources contemporaines du compositeur : ils ont probablement été recopiés d'un recueil antérieur aujourd'hui perdu. Ceux-ci comprennent presque tous les morceaux des recueils de 1703 et de 1713, ainsi que plus de 100 mouvements supplémentaires tirés des ballets. Sur les 300 mouvements en tout, 206 sont tirés d'œuvres de scène connues. Dans ces deux recueils tardifs, dont le contenu est presque identique, l'ordre des mouvements a été adapté afin de les rassembler par tonalités en 18 suites, dont trois, les n°s 6-8, sont les trois caprices, alors que le Concert de trompettes est intégré dans la quatrième suite ; les mouvements intérieurs sont souvent dans des tonalités liées. Après les suites du premier volume de ces recueils tardifs se trouvent les Symphonies des Noëls, des adaptations de noëls traditionnels français, “ qui se jouaient dans la chapelle du Roy la nuit de Noël ”.

C'est dans cette vaste production musicale qu'ont été choisis les programmes de ces Grandes Journées, dans un souci de montrer toute l'étendue et l'originalité du compositeur le plus influent à la Cour de France après la mort de Lully. Par la richesse et la diversité qui s'étendent de ses grands motets à ses ballets pour la Cour, ces concerts révéleront toutes les facettes du talent de Michel-Richard de Lalande.

Le Colloque international Lalande a été organisé du jeudi 4 octobre au samedi 6 octobre dans la Salle de France, Galerie des Affaires Etrangères, de la Bibliothèque municipale de Versailles. Les conférences ont été données par des musicologues venus de France, d'Allemagne et du Royaume Uni, ainsi que des Etats-Unis, du Canada et du Japon, et des tables rondes ont été consacrées aux grands motets ainsi qu'aux musiques de scène. 35

DELALANDE OU LALANDE ?

En 1957, Norbert Dufourcq, musicologue très respecté, préparait un livre consacré au compositeur ; il opta pour la forme “ Delalande “ en se fondant sur les signatures qui se trouvaient dans des documents no- tariés ; et son choix a été largement suivi ces dernières années. Néanmoins, cette pratique, si on devait l’adopter pour tous les compositeurs, ne manquerait pas de soulever des difficultés dans le cas de ceux qui, nombreux, écrivaient leur nom de différentes façons selon le moment. Dowland, par exemple, signait son nom ainsi, mais parfois aussi “ Dolandi “ ou “ Doulande “.

Par ailleurs, il faut souligner qu'en ce qui concerne le cas de Lalande, les témoignages de l’époque, ainsi que le pragmatisme de la pratique bibliographique qui s'est développé depuis lors, apportent un soutien irrésistible à la forme “ Lalande “. Ainsi, sur le frontispice de l’édition de 1729 des motets de Lalande, édition produite sur l’initiative de la veuve du compositeur, on trouve ceci : “ A deux Divinitez Lalande doit ses Chants / Appollon le forma, C’est Louis qui l’inspire “. De même, le poète Alexandre Tannevot, dans la préface du même ouvrage, décrit la rencontre mémorable entre Louis XIV et Lalande au cours de laquelle le monarque lui aurait dit, évoquant la disparition récente de leurs enfants respectifs : “ Lalande, il faut se soumettre … “. La première page du tome 13 du Recueil Général des Opera reprend la page titre du texte des Elémens, qui porte la mention “ Musique de Messieurs Lalande et Destouches “. En 1773, dans L’Etat de la musique, on peut lire “ Lalande était un surnom qu’il est fait honneur de porter toute sa vie, parce qu’il lui avait été donné par Louis XIV “. Le compositeur apparaît sous la dénomination “ Lalande “ dans les catalogues de la Bibliothèque nationale de France, de la Bibliothèque municipale de Versailles, de la British Library et de la Library of Congress à Washington, ainsi que dans le New Grove Dictionary et le Répertoire International des Sources Musicales. Faire autrement pourrait sembler pittoresque, mais serait dénué de toute commodité ; c'est pourquoi, dans ce livre, nous avons préféré la forme “ Lalande “. Nous croyons par là recevoir l'approbation du compositeur.

LIONEL SAWKINS