L'hiver De 1683-1684 Fut L'un Des Plus Froids Que L'on Ait Connu En Europe

L'hiver De 1683-1684 Fut L'un Des Plus Froids Que L'on Ait Connu En Europe

21 MICHEL-RICHARD DE LALANDE VIE ET CARRIÈRE DE LALANDE L'hiver de 1683-1684 fut l'un des plus froids que l'on ait connu en Europe. La mort de la reine Marie-Thérèse, survenue lors de l'été précédent, dut le faire paraître particulièrement lugubre à Versailles. Avec l'influence grandissante de la dévote Madame de Maintenon, l'hiver à la Cour dut paraître encore plus déprimant et plus triste qu'à aucun autre moment du règne du Roi-Soleil. Ce fut dans ces mornes circonstances que le jeune et énergique Michel-Richard de Lalande entra en sa première charge de Sous-Maître de Chapelle, le 1er octobre, à l'âge de 25 ans. Son enthousiasme juvénile et ses dons de composition, déjà manifestes, frappèrent certainement les chanteurs et les instrumentistes à son service, parmi lesquels se trouvaient nombre de musiciens fort expérimentés. D'origine modeste (il naît le 15 décembre 1657, quinzième enfant d'un maître-tailleur parisien), Lalande bénéficie d'une solide éducation musicale. Le 15 avril 1667, à l'âge de neuf ans, il entre dans les chœurs de l'église royale de Saint-Germain-l'Auxerrois à Paris, en compagnie du jeune Marin Marais. Il y reste jusqu'au 18 novembre 1672, dans sa quinzième année. Le maître de chapelle François Chaperon réserve des solos au petit Lalande à cause de “ sa voix belle ” et parce qu'il “ aimait l'étude avec excès ”. En 1680, après son transfert à la Sainte-Chapelle à Paris, Chaperon invite Lalande, alors âgé de 22 ans, à enrichir le répertoire de la Semaine Sainte de quelques-unes de ses Leçons de Ténèbres. De nombreux renseignements sur la jeunesse de Lalande nous sont parvenus grâce au Discours sur la vie et les ouvrages de M. De la Lande, écrit par le poète Alexandre Tannevot, œuvre qui servit de préface à l'édition gravée posthume (1729-34) de 40 grands motets, du Miserere à voix seule et des Trois Leçons de Ténèbres. Nous savons, d'après le Discours, que le jeune Lalande préférait le violon parmi les instruments qu'il pratiquait, mais que, une fois son entrée à l'orchestre de l'Académie royale de Musique refusée par Lully, il “ renonça pour toujours au violon ”. C'est alors qu'il acquiert la maîtrise aussi bien du clavecin que de l'orgue. Le Maréchal de Noailles, qui l'a pris comme professeur de clavecin pour sa fille, recommande à Louis XIV de faire de même pour les deux filles que le roi a eues de Mme de Montespan, Louise-Françoise (Mlle de Nantes) et 22 MICHEL-RICHARD DE LALANDE Françoise-Marie (Mlle de Blois). En 1678, Lalande participe au concours pour la charge d'organiste de la Chapelle royale à Saint-Germain-en-Laye, mais Louis XIV le trouve trop jeune pour être “ organiste du roy ”. Quoi qu'il en soit, il est suffisamment bon organiste pour être nommé dans quatre églises parisiennes : l'église des Jésuites de Saint-Louis, l'église du Couvent du Petit Saint-Antoine, l'église Saint-Gervais et l'église Saint-Jean-en-Grève. Il compose aussi des intermèdes et des chœurs (aujourd'hui perdus) pour les productions théâtrales des Jésuites au Collège de Clermont (Collège Louis-le-Grand). À la mort de Charles Couperin en 1679, Lalande est nommé organiste de Saint-Gervais et y restera jusqu'à la majorité de l'aîné des fils Couperin, François, en 1686. Cependant, après la nomination de Lalande à la charge Sous-Maître de la Chapelle royale pour le quartier (trimestre) commençant en octobre 1683, le jeune Couperin, ainsi que le frère aîné de Lalande, François lui aussi, doivent le suppléer souvent à la tribune. En 1690, Lalande, dans son approbation, écrit que les deux messes pour orgue de François Couperin sont “ fort belles, et dignes d'estre données au Public ”. En 1682, Lalande remplace Pierre Meliton à Saint-Jean-en-Grève, où il reste jusqu'à ce que ses responsabilités de plus en plus prenantes à la Cour le contraignent à démissionner en 1691. (Aucune preuve solide n'a été avancée pour étayer l'affirmation récente qu'un lien musical particulier ait existé à cette époque entre Lalande et la Cour en exil de Jacques II d'Angleterre et de Marie de Modène à Saint-Germain-en-Laye.) En 1683, lorsque Du Mont et Robert, Sous-Maîtres de la Chapelle royale, abandonnent leurs charges, le roi ordonne un concours pour les remplacer. Trente-cinq musiciens se présentent, parmi lesquels Charpentier, Desmarest, Lorenzani et Nivers. Ce nombre est ramené à quinze, et les candidats doivent tous mettre en musique le psaume 31, Beati quorum. (L'œuvre de Lalande, la seule à avoir survécu, sera donnée pour la première fois de nos jours, lors du concert du 12 octobre.) A l'issue de l'épreuve, quatre candidats sont choisis pour se partager la charge, chacun pendant un quartier : Goupillet (janvier), Collasse (avril), Minoret (juillet) et Lalande (octobre). Selon le Discours, Louis XIV en personne serait intervenu pour assurer son quartier à Lalande, ouvrant ainsi la voie au futur compositeur de prédilection de la Cour. Après un peu plus d'un an, en janvier 1685, Lalande obtient une première charge au sein d'une organisation tout aussi prestigieuse, la Chambre. En tant que Compositeur de la Musique de la Chambre, il partage la moitié de l'année avec Pascal Collasse, l'autre moitié étant sous le contrôle de Pierre Robert. En janvier 1689, à l'âge de 31 ans, il devient Surintendant de la Musique de la Chambre, charge musicale la plus convoitée de la Cour, MICHEL-RICHARD DE LALANDE 23 à la place de Jean-Louis Lully. La même année, le Roi ordonne aux copistes de la Cour, François Fossard et André Danican Philidor l'aîné, de faire le recueil manuscrit complet des grands motets de Lalande, témoignage d'honneur bien rare. (Les quatre motets qui seront donnés lors du concert du 12 octobre, y compris le Beati quorum, se trouvent dans ce recueil). En septembre 1693, après la retraite forcée de Goupillet (notons que Henry Desmarest lui avait servi de “nègre” pour la composition de plusieurs de ses grands motets), Lalande ajoute au quartier d'octobre celui de janvier en tant que Sous-Maître de la Chapelle. En mars 1704, lorsque Collasse se retire, le Roi attribue le quartier d'avril à “ nostre bien aimé Richard Michel de La Lande ”. En 1714, le Marquis de Dangeau note dans son journal au 29 septembre : “ le maître de musique du quartier de juillet, l'abbé Minoret, se retire ”. La raison du départ de Minoret semble bien avoir été, non l'invalidité, comme la minute officielle le laisse entendre, mais, selon Marc-François Bêche, le dépit que lui inspira le choix de Louis XIV : plutôt qu'une œuvre de Minoret, dont c'était le quartier, le Roi avait choisi le motet Cantate Dominum canticum novum de Lalande dans le but de faire bonne impression sur l'Electeur de Bavière, alors en visite. Dangeau poursuit : “ Le Roi lui donne 3500 francs de pension et on réunit sa charge aux trois autres qu'a déjà La Lande, si bien qu'il aura présentement les quatre quartiers ; quand il sera malade et qu'il ne pourra point faire sa charge, Matho battra la mesure pour lui ”. Ainsi, à partir du 1er juillet 1715 et pour la première fois, la musique de la Chapelle royale fut sous le contrôle d'un seul homme, deux mois à peine avant la mort de Louis XIV. Bien que Tannevot le décrive comme étant “ timide en public ”, Lalande ne semble pas avoir été gêné pour cumuler la plupart des charges officielles à la portée d'un musicien de Cour. En plus de celles citées auparavant, Lalande fut nommé Compositeur de la Musique de la Chambre pour trois quartiers en 1700, après la mort de Robert. Après celle de Collasse en 1709, il réunit toutes les charges de cet office. Lorsqu'il est nommé à la charge de Surintendant de la Musique de la Chambre en 1689, il partage l'année avec Jean-Baptiste Boesset. En 1695, Boesset vend sa charge de Maître de la Musique de la Chambre à Lalande pour 16.000 livres. Lalande, qui ne peut réunir qu'une partie de la somme, se tourne vers André Danican Philidor, un des bibliothécaires de la musique du roi, qui lui prête 14.400 livres sur deux ans. Le 7 juillet 1684, Lalande épouse la chanteuse Anne Rebel, fille de Jean Rebel, Ordinaire de la Musique du Roy, et demi-sœur de Jean-Féry Rebel, violoniste, chef d'orchestre et directeur de l’Académie royale de Musique. Selon le Discours, c'est Louis XIV en personne qui pourvoit aux frais du mariage. Deux filles sont le fruit de cette union, Marie-Anne, née en 1686, 24 MICHEL-RICHARD DE LALANDE et Jeanne, née l'année suivante. Elles deviendront toutes deux des cantatrices de renom et seront distinguées par Louis XIV, qui en 1706 octroie à chacune une pension de 1000 livres, exprimant le vœu de les entendre chanter pendant la Messe du Roy. Selon le Mercure Galant, le Roi auditionne Marie-Anne en 1701, alors qu'elle n'a que 15 ans. Tannevot rapporte que “ on leur doit ces récits de dessus si gracieux, que M. De La Lande a composé pour répondre à la beauté de leurs voix ”. Malheureusement, elles succomberont toutes deux à la variole en mai 1711. La mort du Dauphin lors de cette même épidémie ne fait que resserrer les liens entre le roi de France et le fils d'un tailleur parisien ; Louis XIV aurait dit à Lalande quelques jours après la mort des filles du compositeur : “ Vous avez perdu deux filles qui avaient bien du mérite : Moi, j'ai perdu Monseigneur… La Lande, il faut se soumettre ”.

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