SAMUEL DE CHAMPLAIN L’Entrepreneur Et Le Rêveur
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Maurice K. Séguin SAMUEL DE CHAMPLAIN L’entrepreneur et le rêveur septentrion Chapitre 31 le navigateur 1603-1629 l n’y a aucun doute sur le fait que Champlain maritimes ne l’effraient pas, bien au contraire, ils Iétait un bon navigateur, ses proches parents le fascinent. étant associés aux activités en mer. Toute la ques- Dans son manuscrit du Brief Discours, Cham- tion est de savoir s’il était moyennement bon ou plain rapporte tout ce qu’il a entendu, vu et lu dans s’il excellait vraiment dans cet art. De son père, les îles des Caraïbes, en Nouvelle-Espagne et en Anthoine Champlain, capitaine de navire sillon- Amérique centrale, mais demeure complètement nant les mers, et de son oncle maternel, Guillaume muette au sujet des péripéties de ses voyages en mer Hellaine, qui devint capitaine au long cours dans et de son statut à bord du vaisseau espagnol. Ce la marine espagnole, provient la destinée maritime qui demeure certain c’est que ce n’est que grâce à et américaine de Champlain. Il s’agit donc pour lui la pression et à l’influence de son oncle Provençal d’une tradition locale et familiale autant que d’une si Champlain peut se rendre en Amérique, car, à vocation. Dans la Saintonge de la fin du XVIe siècle, cette époque, ces régions sont fermées aux ressor- la majorité des emplois sont reliés au commerce tissants étrangers. Par conséquent, il n’occupe ni maritime, à la pêche en haute mer et à l’exploitation le poste de maître de bord ni celui de pilote. Il est des salines. Avant et pendant sa carrière militaire, tout au plus engagé comme marin ou comme ins- Champlain a visité la plupart des grands ports de pecteur du bâtiment sous l’ordre de son oncle, le Bretagne et de Normandie, tels que Dieppe, Saint-Julien (San Julian) étant le plus souvent com- Honfleur, La Rochelle, Le Havre et d’autres moins mandé par ce dernier. Parfois, il s’y rend en tant importants. La guerre religieuse de 1593-1598 ter- que passager ordinaire ou touriste grâce à l’entre- minée, Champlain revient au métier de marinier mise de son oncle. et laisse croire que cette profession lui plaît davan- Quoi qu’il en soit, en bon fils de capitaine mar- tage que celle de soldat. Son insistance auprès de chand, Champlain s’attache surtout au concret, son oncle Provençal pour se rendre en Espagne, aux ressources du pays, depuis le maïs jusqu’aux puis dans les colonies espagnoles, dans la flotte qui perles. Dès 1599, une doctrine de saine mise en rapatrie les troupes espagnoles de Bretagne à Cadix valeur et de colonisation humaine germe dans son démontre son intérêt pour la marine. Champlain esprit. Âgé d’une vingtaine d’années, doté d’une aspire à un emploi comme marin, mais aussi aux grande curiosité, à la recherche de l’aventure, voyages lointains ; l’inconnu et les grands espaces Champlain a commencé à naviguer et a sans doute samuel de champlain | 3 étudié la cartographie auprès de bons maîtres, car du Nord elle-même peut receler d’or, d’argent et de il sera dès 1603 un des pionniers de son époque pierres précieuses, au même titre que l’Asie. En dans cet art. Champlain écrit qu’il se rend dans les Espagne, Charles-Quint ne finance-t-il pas sa puis- colonies espagnoles pour se renseigner sur ce qui sante Armada avec les richesses aurifères des colonies s’y passe et en faire un rapport véridique au roi de en Nouvelle-Espagne (Mexique) et en Amérique du France. Le vrai but du rapport de Champlain est Sud (Bolivie, Chili, Pérou) ? de faire miroiter au roi Henri IV, notoire pour sa Le roi François Ier souhaite lui aussi trouver cupidité, les richesses des colonies espagnoles, de outre-mer un trésor de guerre. C’est lui qui finance lui démontrer son expérience américaine, de gagner les trois expéditions de Jacques Cartier en 1534, sa faveur et de pouvoir participer à des expéditions 1535-1536 et 1541. Les deux premiers voyages se résu- françaises en Amérique. Il cherchait donc à se ment à une exploration territoriale, mais en 1541 le mettre en valeur. roi charge Jean-François de La Roque, sieur de À la toute fin duXVI e siècle, il ne semble guère y Roberval, nommé premier lieutenant-général du avoir beaucoup de places pour la France en nouveau territoire, de procéder à une installation Amériques, découvertes par les Espagnols et les permanente des colons. La mésentente entre Portugais, qui en gardent farouchement l’exclusivité. Jacques Cartier et de Roberval fait avorter ce projet Toutefois, un recoin du continent échappe au mono- avant-gardiste. Cartier, qui croit avoir trouvé des pole ibérique et ses côtes sont périodiquement fré- diamants et de l’or, revient en France sans attendre quentées par les Français. Il se situe au nord, dans de Roberval. L’or et les pierreries sont reconnus la zone des glaces et des neiges. C’est un territoire comme étant faux. Il s’agissait en fait respective- mal connu des Européens et que l’on appelle les ment de pyrite et de quartz. Du coup, toute l’en- Terres Neuves. Explorées et habitées pour la pre- treprise est discréditée. mière fois par les Vikings scandinaves au Xe siècle, De Roberval reçoit l’ordre de revenir en France. elles sont ensuite fréquentées par John Cabot Par son geste inconsidéré, Cartier a tari la source (Giovanni Caboto) pour le compte de la couronne de financement alors favorable à la navigation et à anglaise en 1497, cinq ans après l’arrivée de la découverte, ce qui a eu pour effet de décourager Christophe Colomb en Amérique, puis par les frères la volonté du Roi français de coloniser le nouveau navigateurs portugais G. et M. Corte Real en 1500, territoire. De surcroît, le manque de fermeté de et enfin par les Basques, les Bretons et les Normands Cartier, la brutalité de ses hommes, et l’enlèvement depuis 1504. En 1524, Giovanni da Verrazano longe déloyal des sagamos ont aliéné aux Français la toute la côte est des États-Unis et une partie des sympathie des autochtones, qui les avaient reçus à Terres Neuves au Canada. Les marchands européens bras ouverts. Puis à partir du milieu du XVIe siècle, espèrent trouver un passage vers les richesses de les guerres entre la Ligue catholique et les hugue- l’Asie (épices, soie, or, argent, pierres précieuses), et nots et les intrigues politiques occupent les esprits, particulièrement celles du Cathay (la Chine), mais et le gouvernement français dédaigne les Terres G. da Verrazano arrive à la conclusion formelle que Neuves. toutes ces terres forment un continent qui constitue Malgré l’abandon officiel, la présence de la France une barrière entre l’Europe et l’Asie. L’expédition de en Amérique du Nord ne s’éteint pas tout à fait ; les G. da Verrazano ayant été patronnée par le roi fran- pêcheurs de morue ne cessent jamais de fréquenter çais François Ier, ce dernier ne se décourage pas ; ses côtes. Les capitaines marchands et traitants d’une part on peut rechercher un passage par le nord bretons et normands sont responsables d’un regain (passage du Nord-Ouest), et d’autre part l’Amérique d’intérêt et d’exploration des côtes du Canada et 4 | samuel de champlain des rives du Saint-Laurent. À la fin du XVIe siècle, navigation, mais ce qui est le plus étonnant est que des sociétés mercantiles se fondent ; un trafic avec ces deux hommes aux intérêts différents et aux les indigènes s’amorce, un centre d’échanges devient conceptions de la colonisation diamétralement actif à Tadoussac. Les profits de la pêche, et surtout opposées, s’entendent à merveille et semblent se de la traite des pelleteries, ramènent l’attention offi- compléter l’un et l’autre. Ils vivront ensemble pen- cielle de la France en Amérique du Nord. En 1597, dant vingt-six ans. Tous deux sont gens de bon sens le marquis de La Roche, nommé lieutenant-général et d’heureux caractère, laborieux, courageux, gais, par le roi Henri IV, recrute quelques colons dans robustes et respectueux l’un envers l’autre. Toute- les prisons et les dépose sur l’île de Sable au large fois, l’esprit d’aventure, le plaisir et la liberté que de la Nouvelle-Écosse, où il les oublie pendant cinq leur procure la navigation en haute mer est sans ans. En 1600, Henri IV accorde à Pierre de Chauvin, doute le plus grand dénominateur commun chez sieur de Tonnetuit, le monopole des pelleteries à ces deux individus. La passion pour la navigation condition d’installer 50 colons chaque année le long chez Champlain s’exprime en ces quelques mots du Saint-Laurent. De Chauvin érige un fort à dans son épître à la reine régente, Marie de Médicis, Tadoussac, mais il ne dure qu’un hiver (1600-1601). placée en tête de l’édition de 1613 des Voyages : À la suite de la mort de Pierre de Chauvin, son « C’est cet art [la navigation] qui m’a dès mon bas associé, François de Pont-Gravé, trouve un protec- âge attiré à l’aimer et qui m’a provoqué à m’exposer teur en la personne d’Aymar de Chaste(s), qui a presque toute ma vie aux ondes impétueuses de l’heureuse idée d’associer les intérêts mercantiles l’Océan ». Champlain a dû recevoir tout jeune la rivaux en créant une Compagnie. formation d’un marin appelé au commandement ; On décide qu’une mission d’études précédera il apprend alors à se servir des instruments, à les établissements commerciaux ; grâce à ses dres ser des cartes, à rédiger des rapports du bord, contacts personnels lors de son passage dans l’armée à observer, à manier et à donner des ordres aux et à la rédaction du Brief Discours qui attire l’atten- hommes.