La forma ecclesiae comme langage

Mémoire

Léandre Syrieix

Maîtrise en théologie Maître ès arts (M. A.)

Québec, Canada

© Léandre Syrieix, 2017

La forma ecclesiae comme langage

Mémoire

Léandre Syrieix

Sous la direction de :

Gilles Routhier, directeur de recherche

RÉSUMÉ

Le détachement des catholiques de l’Église telle qu’elle se présente aujourd’hui dans ses pratiques et dans ses formes institutionnelles est dû au fait que sa crédibilité comme témoin du Christ à travers ce qu’elle « est », ses paroles et ses gestes, est mise à l’épreuve. Il y a de ce fait une crise de la forma ecclesiae qui introduit la question relative à quelle est la forme de l’Église qui est plus appropriée pour permettre d’annoncer de manière crédible l’Évangile dans le monde contemporain. Ce mémoire de Maîtrise traite ainsi de la forma ecclesiae comme langage en trois chapitres. Le premier présente le concept de forma ecclesiae dans la littérature et en dégage quelques aspects mis en avant par le concile Vatican II. Le second traite de la vie de l’Église comme signe à travers le développement de la conception de l’Église comme « sacrement de Salut » soulignant que toute sa vie est témoignage. Le troisième présente la vocation de l’Église, qui est d’annoncer l’Évangile, à partir de l’Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi du pape Paul VI, il présente aussi la reformatio de l’Église qu’implique l’annonce de l’Évangile à partir de l’Exhortation apostolique Evangelii Gaudium du pape François.

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ABSTRACT

Catholics have turned back on the contemporary Church, its practices and institutional structures because they question its credibility as a witness for Christ in what it “is”, it says and does. There is, therefore, a crisis of the forma ecclesiae that introduces the question of what is the form of the Church, which is more appropriate to allow the credible proclamation of the Gospel in the world today. This Master’s dissertation thus treats “La forma ecclesiae comme langage” (the forma ecclesiae as a language) in three chapters. The first presents the concept of forma ecclesiae in the literature and highlights some aspects put forward by the Second Vatican Council. The second deals with the life of the Church as a sign through the development of the concept of the Church as “sacrament of salvation”, stressing that all of its life is testimony. The third, presents the vocation of the Church, which is to proclaim the Gospel, even since the publication of the Apostolic Exhortation Evangelii nuntiandi of pope Paul VI, and focuses also on the reformatio of the Church implied by the proclamation of the Gospel found in the Apostolic Exhortation Evangelii Gaudium of .

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SOMMARIO

Il distaccamento di tanti cattolici dalla Chiesa così com’è oggi nelle sue pratiche e nelle sue forme istituzionali è legato al fatto che la sua credibilità viene messa alla prova come testimone di Cristo, attraverso ciò che ‘‘è’’, le sue parole e i suoi gesti. C’è quindi una crisi della forma ecclesiae che introduce la domanda relativa a qual è la forma della Chiesa più in grado di permettere l’annuncio credibile del Vangelo nel mondo contemporaneo. Questa tesi di Laurea affronta il problema della forma ecclesiae come lingua in tre capitoli. Il primo introduce il concetto di forma ecclesiae nella letteratura e identifica alcuni aspetti presentati dal Concilio Vaticano II. Il secondo si occupa della vita della Chiesa come segno attraverso lo sviluppo della progettazione della Chiesa come ‘‘sacramento di salvezza’’ sottolineando che tutta la sua vita è una testimonianza. Il terzo presenta la vocazione della Chiesa che è di annunciare il Vangelo, secondo l’Esortazione apostolica Evangelii nuntiandi di papa Paolo VI, e anche la reformatio della Chiesa che derive dell’implicita l’annuncio del Vangelo secondo l’Esortazione apostolica Evangelii gaudium di papa Francesco.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ...... III

ABSTRACT ...... IV

SOMMARIO ...... V

TABLE DES MATIÈRES ...... VI

LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES ...... VIII

REMERCIEMENTS ...... X

INTRODUCTION GÉNÉRALE ...... 1

1 Problématique ...... 1 2 La question de recherche ...... 9 3 Objectif et plan du mémoire ...... 17

CHAPITRE I : REVUE DE LA LITTÉRATURE ...... 19

1 Différentes allusions à la forma ecclesiae ...... 19 1.1 Notion de forma ecclesiae ...... 19 1.2 La forma populi ou la forma di popolo ...... 20 1.3 La forma Evangelii : la forma di povertà ...... 23 1.4 La forma maternae ...... 24 1.5 Le stilus pastoralis ...... 27 1.6 Les formes théoriques ...... 28 2 Conclusion ...... 29

CHAPITRE II : LA VIE DE L’ÉGLISE COMME SIGNE ...... 31

1 L’Église veluti sacramentum ...... 31 1.1 Sacramentalité et signes ...... 32 1.2 Fondement christologique de l’Église veluti sacramentum ...... 34 1.3 Développement pneumatologique de l’Église veluti sacramentum ...... 36 1.4 Orientation eschatologique de l’Église veluti sacramentum ...... 41 1.5 L’Église veluti sacramentum et l’humanité ...... 43 2 La vie de l’Église comme témoignage ...... 47 2.1 Style et « pastoralité » ...... 50 2.2 La forma ecclesiae comme langage ...... 57 3 Conclusion ...... 61

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CHAPITRE III : LA VOCATION DE L’ÉGLISE : ANNONCER L’ÉVANGILE .... 65

1 Evangelii nuntiandi ...... 65 1.1 L’Évangile au cœur de l’activité missionnaire de l’Église ...... 66 1.2 Les destinateurs et destinataires de l’activité missionnaire de l’Église ...... 69 1.3 Le style évangélique : le témoignage ...... 73 2 La reformatio ou renovatio de l’Église comme condition de l’évangélisation ...... 77 2.1 La reformatio : principe dynamique de la forma ecclesiae ...... 80 2.2 Le rapport entre la forma ecclesiae, la renovatio et l’Évangile ...... 85 2.3 La « Nouvelle Évangélisation » comme outil de la reformatio de la forma ecclesiae ...... 94 3 La forma ecclesiae pour la vie de l’Église et l’annonce de l’Évangile ...... 99 3.1 La forma ecclesiae et la vie de l’Église ...... 99 3.2 La forma ecclesiae et l’annonce de l’Évangile ...... 104 4 Conclusion ...... 105

CONCLUSION GÉNÉRALE ...... 108

1 Le témoignage et la crédibilité de la vie de l’Église aujourd’hui ...... 108 2 Perspectives d’avenir ...... 113

BIBLIOGRAPHIE ...... 115

1 Concile Vatican II ...... 115 2 Ecclésiologie ...... 115 3 L’évangélisation ...... 116 4 La forme de l’Église ...... 116 5 La pastorale ...... 117 6 La réforme ecclésiale ...... 118 7 Le langage ...... 118 8 Le témoignage ...... 119 9 Thèmes généraux ...... 119

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LISTE DES ABRÉVIATIONS ET DES SIGLES

Abréviations utilisées pour les livres de la Bibles Ac Actes des Apôtres Ap Apocalypse 1 Co 1e lettre aux Corinthiens 2 Co 2e lettre aux Corinthiens Col Lettre aux Colossiens Ep Lettre aux Éphésiens Ga Lettre aux Galates He Lettre aux Hébreux Is Isaïe Jn Évangile selon S. Jean 1 Jn 1e lettre de S. Jean Jr Jérémie Lc Évangile selon S. Luc Mc Évangile selon S. Marc Mt Évangile selon S. Matthieu Os Osée 1 P 1e lettre de S. Pierre 2 P 2e lettre de Pierre Ph Lettre aux Philippiens Ps Psaumes Rm Lettre aux Romains 1 Th 1e lettre aux Thessaloniciens 1 Tm 1e lettre à Timothée Tt Lettre à Tite

Autres abréviations AA Apostolicam actuositatem AG Ad gentes CD Christus dominus DC Documentation catholique DH Dignitatis humanae EG Evangelii gaudium, Exhortation apostolique du pape François (24 novembre 1975) EN Evangelii nuntiandi, Exhortation apostolique du pape Paul VI (8 décembre 1975) L Lineamenta, XIIIe assemblée générale du synode des évêques (2011) LG Lumen gentium NE Nouvelle Évangélisation PO Presbyterorum ordinis RM Redemptoris missio, Encyclique de Jean-Paul II (7 décembre 1990)

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« Les paroles peuvent persuader, mais les exemples entraînent »

Saint Jean-Marie Vianney, Sermons « Devoir des parents », IV 377.

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REMERCIEMENTS

Alors que j’achève la rédaction de mon mémoire, j’ai le plaisir de remercier tous ceux et celles qui m’ont apporté leur soutien et m’ont aidé dans cette tâche.

En tout premier lieu, je tiens à remercier Monsieur l’Abbé Gilles Routhier, mon directeur de mémoire, professeur et actuel doyen de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval. Par sa patience, sa disponibilité, son écoute et son accompagnement, il m’a permis de clarifier davantage mon projet en lien avec mon discernement vocationnel ainsi que les préoccupations pastorales que je porte au sujet de l’évangélisation dans le contexte actuel. Il mérite aussi une pensée affectueuse de rigueur et d’honnêteté intellectuelle.

Je remercie particulièrement le Grand Séminaire de Québec, qui m’a permis de poursuivre mes études de 2e cycle en mettant à ma disposition différents moyens : matériel, humain, moral et spirituel. Les contributions enrichissantes et les conseils de toute la famille du Grand Séminaire de Québec m’ont sans conteste été utiles, non seulement durant la période de formation au Séminaire de Québec, mais aussi à l’Université Laval. Les conseils avisés de Madame Martine Dumais et tout le temps qu’elle a consacré pour la relecture et la correction de ce mémoire m’ont été d’un grand apport. Qu’elle m’autorise à lui exprimer ma profonde gratitude.

Lorsque j’ai intégré le programme de Maîtrise en théologie avec mémoire, il m’a au départ été difficile de saisir les exigences de la formation du programme. Monsieur Guy Jobin, responsable par intérim du 2e cycle a su à cet effet faire preuve de patience à mon égard. Il est intervenu lors des étapes cruciales du « séminaire de mémoire », et a toujours su me motiver et m’encourager. Qu’il trouve ici l’expression de ma reconnaissance. Mes plus sincères remerciements vont également à Monsieur Louis Painchaud, professeur à la Faculté de théologie, pour m’avoir stimulé lors du « séminaire de mémoire ». Dans le cadre de mes travaux de recherche et de rédaction, j’ai été confronté à quelques difficultés auxquelles Monsieur Étienne Pouliot, chargé d’enseignement à la Faculté de théologie, a su

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répondre promptement, en me faisant profiter de son expertise. Qu’il en soit vivement remercié, ainsi que tous les professeures et professeurs de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval pour leur dévouement, pour tout ce qu’ils ne cessent de mettre en œuvre pour la crédibilité et la pérennité de la qualité de la formation donnée aux étudiantes et étudiants.

Je voudrais aussi dire ma reconnaissance à Monsieur l’Abbé Mario Côté qui a été disponible, patient, et m’a apporté une aide précieuse à sa façon dans la réalisation de mon projet d’études de 2e cycle. Je remercie également vivement Messieurs Vincent Deschenes, Cyril Frazao, Michael Pouivet, André Smyelov, Madame Cécilia Leblanc ainsi que Mademoiselle Sabrina Brochu et je leur manifeste toute mon amitié et ma reconnaissance pour leur soutien moral, leur accompagnement et tout le temps qu’ils m’ont consacré sur le plan amical. Aussi, que soit remercié Monsieur François Mounet pour son amitié indéfectible, ses encouragements et son soutien qui m’ont été d’une précieuse aide tant sur le plan personnel que scolaire.

Si j’ai pu tenir bon durant ma recherche et ma rédaction, c’est aussi grâce au soutien de mes confrères séminaristes. Qu’ils reçoivent ma profonde amitié, plus particulièrement Messieurs Guy Pelletier, Monsieur Gilles Roberge, Monsieur Jean-François Lapierre et Monsieur Christian Larose. Je profite également de cette occasion pour exprimer un grand merci à la famille Blanchette, à Madame Denise Giguère et Monsieur Roger Audet pour m’avoir encouragé et inspiré par leur vie familiale, leur expérience d’Église, leur vie professionnelle et sociale. Mademoiselle Solange Kay trouvera ici toute ma gratitude pour la bonne humeur qu’elle sut m’apporter ainsi que pour tous ces moments de joie et de peines passés en sa compagnie avant son retour vers la maison du Père. Je ne saurais terminer sans exprimer toute ma gratitude à ma grande famille (mes parents, mes frères et mes sœurs) qui m’a encouragé et a été près de moi dans les moments de joie et de peine.

Un grand merci à tous ceux et celles dont les noms ne figurent pas ici, et qui ont participé de près ou de loin non seulement à la réussite de mes études, mais aussi à la rédaction de ce mémoire.

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INTRODUCTION GÉNÉRALE

Le titre de ce mémoire, La forma ecclesiae comme langage, indique qu’il y a un rapport entre la forme de l’Église, sa vie, ses gestes et ses actions, en somme sa présence et tout ce qu’elle est et le langage entendu comme paroles, ce qu’elle proclame et ce qu’elle dit dans ses discours. C’est cette réalité que nous développerons dans ce travail. D’emblée, nous voudrions présenter les raisons du choix de ce sujet, et comment nous entendons le traiter.

Ayant vécu au Cameroun, au Gabon et en France, ayant été engagé plusieurs années dans l’Église qui est située en ces trois pays, je poursuis actuellement ma formation presbytérale dans le diocèse de Québec. J’y rencontre un contexte nouveau et différent dans les pratiques religieuses, au niveau des formes institutionnelles, à l’instar d’un curieux écart entre ce que j’avais déjà vécu ailleurs et ce que je vois ici au Québec. Cet écart porte notamment sur l’attitude des gens à l’égard du christianisme, des pratiques de l’Église, de ses conduites et ses formes institutionnelles. Alors, je me suis demandé pourquoi la population locale est arrivée à rompre avec le catholicisme ? Qu’est-ce qui génère tant de réactions chez les gens vis-à-vis de l’Église ? Comment corriger une certaine vision ou conception du catholicisme qui n’est pas toujours conforme à la réalité, notamment chez certains jeunes ? Quels sont les éléments structurels ou dogmatiques de l’Église catholique rejetés actuellement ? Ces interrogations m’ont ainsi poussé à essayer de comprendre la relation entre la forme de l’Église et son langage présentée dans la problématique et la question de recherche qui feront de ce fait l’objet des deux premières parties de cette introduction générale. La troisième partie présente l’objectif et le plan du mémoire.

1 Problématique

Le développement de l’urbanisation, de l’industrialisation et des communications ainsi que l’essor « de nouveaux modèles culturels et de nouvelles façons de penser, qui imposent alors leurs propres valeurs1, » ont eu des répercussions importantes au sein du catholicisme. Dans un tel contexte, et plus particulièrement celui de la Révolution tranquille au Québec,

1 Raymond Lemieux et Jean-Paul Montminy, Le catholicisme québécois, Ste-Foy, IQRC/PUL (Diagnostic 28), 2000, p. 19. 1

la paroisse, qui autrefois était un lieu d’intégration et d’encadrement, est devenue un univers parmi tant d’autres2 dans la mesure où une nouvelle culture est offerte. On relève une déconnexion importante entre le milieu rural et le milieu urbain. Les institutions qui étaient sous la responsabilité de l’Église, à l’instar des établissements de santé et d’éducation, se sont progressivement laïcisées. Les sociologues Raymond Lemieux et Jean- Paul Montminy soulignent que la Révolution tranquille représentait à ce moment de changements sociaux une rupture, une modernité enfin intégrée3.

De manière générale, il y a une certaine remise en question du catholicisme et de ses formes institutionnelles. Aussi, on relève l’essor de rapports complexes avec l’institution ecclésiale exprimés au niveau de la pratique, de la non-adhésion au contenu de la foi. De toute évidence, un fossé s’est creusé entre les fidèles et l’institution. Cela est notamment reflété dans la baisse de la pratique religieuse en lien avec des facteurs organisationnels. Le catholicisme en modernité, comme le souligne Bruno Seveso, est vécu de diverses manières, car certains semblent croire sans appartenir, appartenir sans croire, avoir une appartenance sélective, pratiquer une religiosité duelle4. Dans un tel contexte, l’Église a pris acte de ces divers changements sociaux et, à travers le concile Vatican II, elle s’est interrogée sur l’annonce de l’Évangile à ses contemporains ainsi que sur la méthode pour le faire. En ce sens, dans le discours d’ouverture du concile prononcé par le pape Jean XXIII en 1962, on relève une prise de conscience par l’Église des changements survenus avec la modernité ainsi que des signes de sa volonté de travailler sur la forme et le style du catholicisme :

Ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est l’adhésion de tous, dans un amour renouvelé, dans la paix et la sérénité, à toute la doctrine chrétienne dans sa plénitude, transmise avec cette précision de termes et de concepts qui a fait la gloire particulièrement du concile de Trente et du premier concile du Vatican. Il faut que, répondant au vif désir de tous ceux qui sont sincèrement attachés à tout ce qui est chrétien, catholique et apostolique, cette doctrine soit plus largement et hautement connue, que les âmes soient plus profondément imprégnées d’elle, transformées par elle. Il faut que cette doctrine certaine et

2 Ibid., p. 43. 3 Ibid., p. 54. 4 Bruno Seveso, « Un ‘corpo per la fede’. Forme del cristianesimo », dans Giuseppe Angelini (dir.), In gesti e parole : la fede che passa all’atto, Milano, Glossa (Disputatio ; 23.), 2013, p. 44. 2

immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui réponde aux exigences de notre époque. En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. Il faudra attacher beaucoup d’importance à cette forme et travailler patiemment, s’il le faut, à son élaboration ; et on devra recourir à une façon de présenter qui correspond mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral5.

L’Église amorce l’aggiornamento, la renovatio (renouvellement) de son style. Elle a en outre pris en compte les réalités de l’expérience humaine en cherchant à réunir plutôt qu’à condamner comme ce fut le cas au cours des deux conciles modernes précédents6. L’Église a également adopté un nouveau style en prenant en compte son interlocuteur. Elle a eu une attitude plus pastorale dans la mesure où elle ne s’est plus adressée à un groupe restreint de personnes, mais à toute la communauté humaine : « C’est pourquoi, après s’être efforcé de pénétrer plus avant dans le mystère de l’Église, le deuxième concile du Vatican n’hésite pas à s’adresser maintenant, non plus aux seuls fils de l’Église et à tous ceux qui se réclament du Christ, mais à tous les hommes. À tous il veut exposer comment il envisage la présence et l’action de l’Église dans le monde d’aujourd’hui. » (GS 2)7

Aujourd’hui, on relève une mutation de plus en plus importante du statut public de la foi. Dans les pays développés, l’espérance croyante vit une situation de marginalisation dans l’espace public8. Aussi, des relations de plus en plus difficiles avec l’institution ecclésiale sont exprimées comme les rapports compliqués entre les Québécois et l’Église dans les formes instituées à travers lesquelles elle se présente. Les relations peuvent être qualifiées de brouillées et en même temps complexes dans la mesure où il n’y a pas un détachement radical, mais une certaine hostilité et un décrochage. Un sondage réalisé en 2005 par Reginald W. Bibby et Isabelle Archambault auprès de Québécois non-pratiquants sur la question « Qu’est-ce qui vous inciterait à vous impliquer davantage ? » a révélé que :

5 Jean XXIII, « Gaudet Mater Ecclesia. L’ouverture solennelle du XXIe concile œcuménique », dans Vatican II, Les seize documents conciliaires. Texte intégral, Montréal & , Fides, 1966, p. 587. 6 Trente (1545-1563), Vatican I (1869-1870). 7 Constitution pastorale Gaudium et spes sur l'Église dans le monde de ce temps. 8 B. Seveso, « Un ‘corpo per la fede’. Forme del cristianesimo », p. 44-45. 3

Quelques quatre répondants sur dix ont dit que la clé se trouvait du côté d’un ministère en lien avec leurs préférences et besoins personnels, incluant des ministères qui visent les enfants, les jeunes adultes et les personnes âgées. Les autres six sur dix sont presque également répartis entre (1) l’importance des questions organisationnelles, comme le besoin de changements dans le style et la perspective ecclésiale ; (2) le désir de ministères qui démontrent les valeurs qu’ils chérissent, incluant la pertinence, l’authenticité et l’intégrité ; et (3) les obstacles à l’engagement relevant de facteurs dans leur propre vie, dont l’horaire, le temps, la famille ainsi que les questions d’âge et de santé9.

D’autre part, 39 % des réponses portent sur les facteurs ministériels, 22 % sur les facteurs organisationnels, c’est-à-dire sur la structure, 20 % sur la qualité des ministres et 19 % sur les facteurs personnels. Cela traduit un phénomène de religiosité à la carte qui s’explique par le rapport compliqué entre les Québécois et l’Église. Aussi, le catholicisme est tantôt embrassé comme étant un élément culturel, tantôt perçu comme une appartenance. C’est ce que révèle une décennie plus tard l’étude réalisée par Jean-Philippe Perreault auprès de quelques jeunes au sujet de leurs rapports avec le religieux, notamment le catholicisme. Cet auteur indique que, « quel que soit le parcours des jeunes rencontrés, leur rapport à l’Église catholique est marqué par l’ambivalence. On perçoit un écart [entre ce que l’Église annonce ou proclame et ce qu’elle « est » ainsi que ce qu’elle « fait », mais aussi], un décalage, une désynchronisation entre l’institution religieuse et la société contemporaine. Il y a un malaise dont l’intensité et la teneur varient10. » Perreault constate chez ces jeunes à la fois une ambivalence généralisée, un recours paradoxal aux valeurs (reçues, à transmettre, etc.) qui signale une certaine expression et inscription religieuse11. D’un autre côté, les résultats de l’enquête de Bibby évoquée précédemment révèlent de fait que la baisse de la pratique religieuse au Québec entre 1995 et 2005 est associée à des facteurs organisationnels comme le changement de style12.

9 Reginald W. Bibby, et coll., « La religion à la carte au Québec. Un problème d’offre, de demande, ou des deux ? », Globe 11/1 (2008), p. 171-172. 10 Jean-Philippe Perreault, « L’imaginaire religieux de jeunes Québécois et leurs rapports au catholicisme », Thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 2015, p. 325. 11 Ibid., p. 357-369. 12 R.W. Bibby, I. Archambault, K. Larose, É. Trudel, R. Mager et E.M. Meunier, « La religion à la carte au Québec. Un problème d’offre, de demande, ou des deux ? », p. 171-172. 4

Ce constat du rapport entre la baisse de la pratique religieuse et les facteurs organisationnel indique que la forma ecclesiae, toute la vie de l’Église, parle aux gens. Autrement dit, l’Église, dans ce qu’elle a de tangible et de visible, c’est-à-dire ses fonctionnements et ses formes institutionnelles, ne rejoint plus. Pourtant, tel qu’elle fut présentée à Vatican II, c’est-à-dire veluti sacramentum, elle est appelée, à travers son rapport au monde, sa représentation au regard de l’histoire, son appartenance ainsi que son approche spirituelle et sociétaire à interpeler tous les humains13. De fait, elle est « dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG 1)14. En ce sens, comme l’indique Gilles Routhier, « la compréhension de l’Église à partir de la notion de sacrement, conçu comme une réalité visible faisant signe dans l’histoire et comportant un élément intérieur de grâce, conduit à considérer la vie de l’Église elle-même, sa réalité comme peuple de Dieu rassemblé et sa figure institutionnelle, comme langage qui dit quelque chose dans le monde, devient un signe renvoyant à l’Évangile de la réconciliation15. » Or, il existe un écart entre ce que l’Église « est », ce qu’elle « fait » et ce qu’elle « dit » à travers sa parole et son discours. Autrement dit, « l’Église connaît l’écart qui existera toujours entre ce qu’elle proclame et ce qu’elle est et ce qu’elle vit »16. Cela est en rapport avec le fait que l’Église est pécheresse puisqu’elle est constituée de personnes humaines, mais son péché ne vient pas uniquement des humains et de leur faiblesse, mais aussi de ses structures. Finalement, l’Église veluti sacramentum soulève les questions de la pauvreté et de l’insuffisance du signe, ainsi que du péché qui affecte ce signe17. Par ailleurs, dans la mesure où elle est veluti sacramentum dans et pour le monde, instrument et « signe levé à la vue des nations » (Is 11, 12), on se demande, au regard du concile Vatican II et de ses développements postérieurs ainsi que des changements sociaux et culturels dans le contexte actuel, « quel est son rôle, au milieu des nations, alors que son signe semble si effacé et si fragile, pour ainsi dire insignifiant18 ? »

13 Gilles Routhier, « Al di là della Chiesa ad intra/Chiesa ad extra: la Chiesa come sacramento di salvezza », dans Giovanni Tangorra (dir.), La Chiesa, mistero e missione. A cinquant’anni dalla Lumen gentium (1964-2014), Vaticano, Lateran University Press, 2016, p. 7. 14 Lumen Gentium, constitution dogmatique sur l'Église. 15 Ibid., p. 8. 16 Ibid., p. 10. 17 Gilles Routhier, « L’Église comme sacrement du Salut. Une réception encore en attente », Paradyz (Pologne), (coll. Colloque international « Le concile Vatican II aujourd’hui sa réception et ses défis »), 2012, p. 12. 5

La situation plusieurs décennies après le concile Vatican II indique une certaine ambiguïté du message des institutions ecclésiales. Les sociologues Lemieux et Montminy évoquent par exemple au Québec « la difficulté d’accorder le dire et le faire19 » au sujet des relations entre clercs et laïcs. Aussi, il y a eu une certaine distance entre l’Église et le peuple ainsi qu’une tendance à la baisse de la considération de la « théologie contemporaine et des pratiques de valorisation du laïcat20 ». En ce qui concerne la vie chrétienne dans les Églises particulières, Lemieux et Montminy soulignent par exemple que malgré les efforts de renovatio de la paroisse dans le souffle de Vatican II, il y a eu des « remises en question inlassables de la catéchèse et des modes de transmission de la foi21. » Les écarts relevés dans la période post-conciliaire ne portent pas uniquement sur le plan structurel, mais la foi est également concernée. Ainsi, « dans ce contexte, le défi contemporain du christianisme québécois n’est plus seulement de rénover ou de réparer ses cathédrales, mais de trouver des moyens de prendre soin de ses expériences de foi22. » Et cela est alors possible à travers l’éducation chrétienne, la conversio (conversion) et une certaine culture chrétienne. Les écarts entre ce que l’Église annonce ou proclame et ce qu’elle « est » ainsi que ce qu’elle « fait » sont aussi étroitement liés à l’institution.

Dans le cadre de notre travail de recherche, le concept « institution ecclésiale » renvoie à la structure hiérarchique du gouvernement de l’Église. En effet, l’aspect hiérarchique est lié au ministère ordonné qui, dans l’Église, comme le signale Leonhard Hell, « a pour fin non seulement le gouvernement ecclésiastique, mais aussi la proclamation autorisée du dogme (fonction d’enseignement) et la célébration des sacrements (fonction de sanctification) ; il est structuré sur le plan local en trois degrés (évêques, prêtres, diacres ; voir LG 27-29)23 ». Ainsi, lorsque nous parlerons de l’institution de l’Église, il sera question de l’autorité qui revient aux prêtres, de l’autorité des évêques fondée sur leur pouvoir juridictionnel en communion hiérarchique avec le pape qui, quant à lui, détient une autorité suprême et

18 Ibid., p. 10. 19 R. Lemieux et J.-P. Montminy, Le catholicisme québécois, p. 115. 20 Ibid., p. 116. 21 Ibid., p. 123. 22 Ibid., p. 126. 23 Leonhard Hell, « Catholicisme », dans Jean-Yves Lacoste et Olivier Riaudel (dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, Quadrige/PUF, 2007, p. 256. 6

absolue24. Par ailleurs, la structure ecclésiale est évoquée dans ce travail pour signifier la forme relationnelle dans l’Église à l’instar de « la structure primatiale, épiscopale, synodale, congrégationnelle, consistoriale25 », etc. La notion d’Église présentée par Otto Semmelroth nous permet aussi de spécifier les sens d’« institution ecclésiale » et de structure ecclésiale. Il envisage deux éléments pour l’interprétation de l’Église : « la hiérarchie et la communauté, l’Époux et l’Épouse, la tête en relation vitale avec le corps, bref l’Église tout entière26. » Cette indication met en lumière le rapport hiérarchie-communauté de fidèles qui rend compte de la vie de l’Église et de son gouvernement fondé sur l’autorité conférée par l’Ordre. Finalement, les termes « institution ecclésiale » et « structure ecclésiale » sont liés dans la mesure où ils rendent compte du fonctionnement de la vie de l’Église comme organe régi par des décisions de type juridique.

Au sujet de l’ambiguïté que nous évoquions précédemment, qu’est-ce qui, de fait, pourrait expliquer les rapports compliqués avec l’institution ecclésiale ? Nous suggérons comme éléments de réponse deux hypothèses. En premier, la désaffection, les rapports compliqués avec l’Église, etc., pourraient s’expliquer par une transmission inefficace. Manifestement, l’Église dit quelque chose qui n’est pas cohérent avec ce qu’elle pose explicitement comme geste. Considérant donc que le « dire » de l’Église, ce qu’elle transmet dans son enseignement (catéchèse, prédication, etc.) ne rejoint plus de manière crédible nos contemporains, il s’en suit un décrochage. Donc, la première hypothèse consisterait à travailler sur la transmission afin de devenir plus efficace à ce chapitre. Mais, jusqu’ici on a beaucoup étudié la question comme nous le présenterons.

En second, le désintéressement de l’Église saurait s’expliquer par le fait que la façon dont elle se présente, c’est-à-dire ses formes et structures ou encore ce qu’elle « est », ne favorise pas la réception de son message ainsi que l’annonce de l’Évangile. Indubitablement, comme le souligne Seveso, la figure ecclésiale est parsemée de points négatifs qui doivent être surmontés, à savoir, « des coutumes ou pratiques dépassées, des

24 Wolfgang Beinert, « Structures eeclésiales », dans Jean-Yves Lacoste et Olivier Riaudel (dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, Quadrige/PUF, 2007, p. 1351. 25 Ibid., p. 1350. 26 Otto Semmelroth, L’Église, sacrement de la rédemption, Paris, Éditions Saint-Paul, 1962, p. 171. 7

‘‘bizarreries’’ retardées, des formes incompréhensibles, des distances neutralisantes, des ignorances vaniteuses et inconscientes, une déférence servile à la mode capricieuse et éphémère, l’existentialisme27 ». Luca Bressan, quant à lui, indique que le problème de l’infécondité de l’évangélisation aujourd’hui, de la catéchèse en ces temps modernes, est un problème ecclésiologique qui porte sur la capacité de l’Église à se configurer comme réelle communauté, comme vraie fraternité, comme corps et non comme machine ou compagnie 28 . Par ailleurs, le pape François parle par exemple dans le contexte de transformations sociales de structures qui peuvent être propices ou non à l’évangélisation, notamment celle des jeunes :

Dans les structures habituelles, les jeunes ne trouvent pas souvent de réponses à leurs inquiétudes, à leurs besoins, à leurs questions et à leurs blessures. Il nous coûte à nous, les adultes, de les écouter avec patience, de comprendre leurs inquiétudes ou leurs demandes, et d’apprendre à parler avec eux dans le langage qu’ils comprennent. Pour cette même raison, les propositions éducatives ne produisent pas les fruits espérés. La prolifération et la croissance des associations et mouvements essentiellement de jeunes peuvent s’interpréter comme une action de l’Esprit qui ouvre des voies nouvelles en syntonie avec leurs attentes et avec la recherche d’une spiritualité profonde et d’un sens d’appartenance plus concret. Il est nécessaire toutefois, de rendre plus stable la participation de ces groupements à la pastorale d’ensemble de l’Église. (EG 105)

Le pape insiste aussi sur les aspects bureaucratique et administratif de l’institution ecclésiale qui peuvent parfois devenir de véritables barrières entre l’Église et les personnes vers qui elle est envoyée : « En beaucoup d’endroits, il y a une prédominance de l’aspect administratif sur l’aspect pastoral, comme aussi une sacramentalisation sans autres formes d’évangélisation. » (EG 63) Il met ainsi en exergue l’impact que peut avoir la manière de faire Église à l’instar de la paroisse sur la fréquentation des fidèles :

De plus, il faut reconnaître que, si une partie des personnes baptisées ne fait pas l’expérience de sa propre appartenance à l’Église, cela est peut-être dû

27 B. Seveso, « Teologia pastorale e cifre sintetiche della riforma ecclesiale », dans G. Angelini et M. Bergottini (dir.), Invito alla Teologia. Vol. III : La teologia e la questione pastorale, Milano, Glossa, 2002, p. 64. 28 Luca Bressan, « Quale forma di Chiesa per l’evangelizzazione oggi? Nuova evangelizzazione e riforma della Chiesa », dans Facoltà teologica dell'Emilia-Romagna. Convegno (dir.), Teologia dell’evangelizzazione: fondamenti e modelli a confronto. Proceedings of the conference held in Vatican City, Nov. 7-28, 2012, Bologna, Dehoniane, 2014, p. 299. 8

aussi à certaines structures et à un climat peu accueillant dans quelques-unes de nos paroisses et communautés, ou à une attitude bureaucratique pour répondre aux problèmes, simples ou complexes, de la vie de nos peuples. (EG 63)

En outre, « un changement des structures qui ne génère pas de nouvelles convictions et attitudes fera que ces mêmes structures tôt ou tard deviendront corrompues, pesantes et inefficaces. » (EG 189) Il nous apparaît donc que la question de la forma ecclesiae est en lien avec l’Église comme signe et instrument de l’union intime avec Dieu et l’unité de tout le genre humain (LG 1), mais aussi avec le constat évoqué précédemment, c’est-à-dire l’écart entre ce que l’Église annonce ou proclame et ce qu’elle « fait » ainsi que ce qu’elle « est » dans ses pratiques et dans ses formes institutionnelles. Alors, nous retenons cette seconde hypothèse pour ce travail, car la transmission de la foi, c’est-à-dire sur le « dire » de l’Église, a été jusqu’ici assez développée par rapport à cet autre langage qu’elle présente dans ses pratiques et par sa forme29.

2 La question de recherche

Les constats évoqués précédemment indiquent que l’Église telle qu’elle se présente dans ses modes d’organisation, dans ses pratiques, dans ses formes institutionnelles, dans son langage, bref dans tout ce qu’elle « est » et montre d’elle-même, ne rejoint plus nos contemporains dans la mesure où ils lui tournent le dos. Autrement dit, ce qu’elle « est », ce qu’elle « fait », toute sa vie qui est langage ne rejoint plus nos contemporains. La question de recherche qui présuppose que la forma ecclesiae est langage est alors formulée ainsi : « Quelle forma ecclesiae (ce qui implique une renovatio ou une reformatio) est mise en avant par le concile Vatican II en vue d’annoncer de manière plus crédible l’Évangile dans le monde contemporain ? ».

Il existe une multiplicité de formes de l’Église telle qu’illustrée par Mark Brocklehurst, mais les formes essentielles de l’Église ne se limitent pas à la morale ni aux idéaux

29 Manifestement, quelques théologiens ont travaillé sur la catéchèse, les moyens de transmission de la foi, l’évangélisation, la missiologie, etc., c’est-à-dire sur le « dire » et l’activité de l’Église et non pas sur ce qu’elle « est », sur ce qu’elle présente dans ses pratiques, sur la forme. 9

religieux30. La forma ecclesiae est définie par Bressan comme l’ensemble des figures établies du christianisme à partir de celle de la religion de peuple31. L’Église, par sa forme, est comme signe du Christ dans le monde : « Church as a visible and organic body32. » Aussi, le Peuple de Dieu, les membres de l’Église, la rendent de fait visible et tangible33. À partir de là, la foi prend corps en cette l’humanité qui rend visible l’Église, c’est-à-dire le corps du Christ puisque le chrétien est plus qu’une composante essentielle de la vie communautaire ecclésiale34. Bien que la foi soit générée au cœur de la conscience humaine pour devenir par la suite le « sentir » et l’« agir » de la personne, Seveso signale à quel point la vie chrétienne est intimement liée à la forma ecclesiae35, à la structure ecclésiale. Un autre concept, le style36, est aussi associé à la forma ecclesiae, car il renvoie à la forme, à la manière ou au mode de formulation.

Le théologien orthodoxe Athanasios N. Papathanasiou parle de l’existence de l’Église comme étant un langage en soi, car la dimension langagière ecclésiale ne se limite pas uniquement, selon lui, aux paroles de l’Église, c’est-à-dire à l’aspect verbal37. On retrouve quelque chose de ce type dans la constitution dogmatique Dei Verbum (DV) lorsque les Pères conciliaires mentionnent que « le Christ a instauré le Règne de Dieu sur terre ; par ses gestes et ses paroles, il a révélé et son Père et lui-même ; par sa mort, sa résurrection, son ascension glorieuse et par l’envoi de l’Esprit Saint, il a parachevé son œuvre. » (DV 17) Manifestement, les paroles et les gestes sont ce par quoi le Christ se révèle, se communique. L’Église, à travers ce qu’elle « est », ses paroles et ses gestes témoigne du Règne de Dieu et est de fait « évènement de parole. » En somme, le témoignage, celui de

30 Mark Brocklehurst, « ‘The Form of the Church’ », New Blackfriars 26/298 (1945), p. 8. 31 Luca Bressan, « Transmissione della fede? Ministero ecclesiastico e forma religiosa nelle’età secolare », dans Giuseppe Angelini (dir.), Una fede per tutti: forma cristiana e forma secolare, Milano, Glossa (Disputatio ; 24), 2014, p. 157-158. 32 Avery Dulles, « Nature, Mission, and Structure of the Church », dans Matthew L. Lamb et Matthew Levering (dir.), Vatican II : renewal within tradition, Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 27. 33 Ibid., p. 30. 34 B. Seveso, « Un ‘corpo per la fede’. Forme del cristianesimo », p. 9. 35 Ibid., p. 10. 36 Christoph Theobald, Le christianisme comme style. Une manière de faire de la théologie en postmodernité, Paris, Éditions du Cerf, 2007, p. 18. 37 Athanasios N. Papathanasiou, « The Language of Church and World », The Ecumenical Review 51/1 (1999), p. 45. 10

l’Église, exprime ce qu’elle « dit », la rencontre de sa réalité et de son langage. Par conséquent, dans le contexte actuel de désaffection de l’institution ecclésiale, la reformatio ou renovatio de l’Église est une nécessité. En effet, pour que la forma ecclesiae devienne un langage plausible, il est impératif qu’elle soit décodable par le monde contemporain.

Le concept de forma ecclesiae semble de fait vaste vu qu’il renvoie à plusieurs réalités, entre autres à l’institution, au Peuple de Dieu, à son style, à son langage, etc. D’un autre côté, Giuseppe Alberigo souligne le lien entre l’institution et sa renovatio ou reformatio. Il illustre ce point à partir du contexte de crises européennes de la fin du XIVe siècle à la fin du XVe siècle. Cet auteur met en évidence des tensions entre les pouvoirs impériaux38 d’une part, et le pontificat romain divisé en trois obédiences en compétition. Dans un tel contexte, le système institutionnel est remis en question et ne permet plus à l’Église de refléter sa « pureté originelle39 ». Alberigo explique que la forma ecclesiae entendue comme étant l’institutionnalité de l’Église suppose une renovatio ou reformatio dont la visée est eschatologique. En ce sens, Nicolas de Cuse, selon Alberigo, propose comme critère de reformatio la « conformité au Christ40 » en vue de passer de la forma ecclesiae à la forma Christi (forme du Christ), c’est-à-dire à une recherche de l’imitatio Christi (imitation du Christ). Finalement, cette reformatio porte notamment sur la figure papale et celle de la curie romaine comme exemples pour la renovatio générale de l’Église. Par une analyse du concept de forme du point de vue philosophique et théologique, Ulderico Parente souligne la nécessité de la renovatio ou reformatio de la forma ecclesiae41. Or, la reformatio suppose un processus ou un chemin de conversio. Alors, la reformatio d’une institution renvoie à ses moments de genèse comme le montre l’Évangile qui fait référence aux communautés apostoliques, et d’autres contextes historiques de renouvellement de structures ecclésiales42.

38 Entre la couronne d’Angleterre et celle de France. 39 Giuseppe Alberigo, « “Forma ecclesiae” dans l’humanisme chrétien, en particulier chez Nicolas de Cusa », Istina 19 (1974), p. 113. 40 Ibid., p. 118. 41 Ulderico Parente, « Circa la plausibilità dell’elaborazione di un modello di Chiesa alla luce della storia della Chiesa », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 144. 42 Ibid., p. 145-146. 11

Les termes renovatio et reformatio semblent donc fondamentalement liées à la forma ecclesiae dans la mesure où l’Église est une institution humaine, et l’on peut même dire qu’ils sont la condition sine qua non pour que cette forma ecclesiae permette l’annonce de l’Évangile. De fait, les documents conciliaires43 emploient reformatio six fois44. Par exemple, on y lit : « l’Église est appelée par le Christ à cette réforme [reformatio] permanente dont elle a continuellement besoin, en tant qu’institution humaine et terrestre. » (UR 6) En outre, renovatio est plus employé que reformatio, car le terme revient à 39 reprises45 dans quelques documents conciliaires46 et cela n’est pas sans signification même si les deux termes renvoient à la même réalité, c’est-à-dire la conversio de l’Église. Dans les textes de Vatican II, la renovatio porte par exemple sur la liturgie (SC 10 et 71), sur la vie religieuse (PC 2, 4, 8 et 18), sur la structure même de l’Église : « Comme toute rénovation [renovatio] de l’Église consiste essentiellement dans une fidélité accrue à sa vocation, c’est là sans aucun doute la raison qui explique le mouvement vers l’unité. » (UR 6) Le concile parle aussi de renovatio à propos des formes de vie ecclésiale, ce qui montre que la forma ecclesiae47 s’étend à différentes sphères de l’Église :

Les différentes formes de vie de l’Église par lesquelles se réalise déjà une rénovation [renovatio] — comme le mouvement biblique et liturgique, la proclamation de la Parole de Dieu et la catéchèse, l’apostolat des laïcs, les nouvelles formes de vie religieuse, la spiritualité du mariage, la doctrine et l’activité de l’Église dans le domaine social — sont à considérer comme des gages et des signes, qui laissent bien augurer des futurs progrès de l’œcuménisme. (UR 6)

43 UR (Unitatis redintegratio) et GS. 44 Philippe Delhaye, Michel Gueret et Paul Tombeur, Concilium Vaticanum II : concordances, index, listes de fréquence, tables comparatives, Louvain, Publications du CETEDOC, Université catholique de Louvain, 1974, p. 869. 45 Ibid., p. 869. 46 LG, SC (Sacrosanctum concilium), GS, CD (Christus dominus), PO (Presbyterorum ordinis), OT (Optatam totius), PC (Perfectae caritatis).

47 Dans les tables comparatives des documents conciliaires, on ne retrouve pas explicitement le terme forma ecclesiae (Philippe Delhaye, Michel Gueret et Paul Tombeur, Concilium Vaticanum II : concordances, index, listes de fréquence, tables comparatives, Louvain, Publications du CETEDOC, Université catholique de Louvain, 1974, p. 116). L’absence de forma ecclesiae dans les documents conciliaires ne signifie pas que le concile Vatican II n’en parle pas. Le fait est que le concile en parle puisque d’autres termes employés illustrent cela. Le terme structura (structure) en est un exemple. En ce sens, on relève l’emploie de structura en référence à la forma qui revient 18 fois (Ibid., p. 874) dans les documents conciliaires avec divers sens, notamment au niveau liturgique dans SC 23 et 28, au sujet de la structure des communautés de l’Église dans UR 13, AG 16, etc. 12

La forma ecclesiae qui réfère à l’institutionnalité de l’Église dit de fait quelque chose d’elle au-delà des dispositions des personnes, de leurs propres intentions, etc. Par ailleurs, comme l’a souligné Vatican II, le langage ne se limite pas uniquement aux paroles, mais c’est également ce que l’on voit et, en ce sens, le Christ parle par exemple par autre chose que ses paroles :

[…] C’est donc lui — le voir, c’est voir le Père (Jn 14, 9) — qui, par toute sa présence et par la manifestation qu’il fait de lui-même par ses paroles et ses œuvres, par ses signes et ses miracles, et plus particulièrement par sa mort et sa résurrection glorieuse d’entre les morts, par l’envoi enfin de l’Esprit de vérité, achève en l’accomplissant la révélation, et la confirme encore en attestant divinement que Dieu lui-même est avec nous pour nous arracher aux ténèbres du péché et de la mort et nous ressusciter pour la vie éternelle […]. (DV 4)

La forma ecclesiae est ainsi un langage parce qu’en représentant l’institutionnalité de l’Église et son autorité, elle communique à ses contemporains un discours sur elle-même. Or, la crise du catholicisme indique une remise en question d’une certaine autorité de l’Église, d’une forme ou structure qui est elle-même langage. Alors, pour que cette forma ecclesiae devienne un langage plausible, nous n’aurons rien à gagner si nous travaillons exclusivement sur la transmission, la catéchèse, sur ce que l’Église « dit ». L’on perçoit cela au regard de quelques mémoires de maîtrise et thèses de doctorat réalisés à l’Université Laval durant la dernière décennie. Certaines études portent par exemple sur la catéchèse comme moyen d’évangélisation. C’est le cas de « La mystagogie, voie d’avenir en catéchèse 48 », travail dans lequel Charles Bilodeau évoque l’apport de la catéchèse mystagogique comme nouvel effort indispensable d’évangélisation dans un contexte québécois marqué par une variété de courants spirituels et, par conséquent, d’une croissance d’offres religieuses concurrençant celles du catholicisme. Dans le même domaine, Yves Guérette a abordé, pour ce qui concerne le diocèse de Québec, la catéchèse des adultes en lien avec « la détermination de nouvelles modalités d’exercice du ministère pastoral permettant aux responsables pastoraux de soutenir et de favoriser les déplacements

48 Charles Bilodeau, « La mystagogie, voie d’avenir en catéchèse ? », Mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, 2011. 13

chez les catéchisés 49 . » Perreault a, quant à lui, orienté ses travaux sur le lien qu’entretiennent certains jeunes Québécois (entre 18 et 29 ans) avec le christianisme dans le contexte actuel de sécularisation50. La missiologie est également un autre aspect relevé dans ce survol des travaux de recherche effectués sur le catholicisme québécois. En effet, Christian Busset a étudié la mission vécue en communio dans le contexte de l’expérience de la Société des Missions-Étrangères du Québec à travers laquelle il présente les rapports entre laïcs et prêtres, mais aussi entre l’individu et l’organisation51. Les travaux de ces auteurs mentionnés soulignent le fait que l’on a travaillé sur le « dire » de l’Église et non pas sur ce qu’elle « est », sur ce qu’elle présente dans ses pratiques, sur la forme. Alors, comment s’y prendre ? Le pape François, dans son Exhortation apostolique52, nous oriente vers le rapport entre la forma ecclesiae et l’évangélisation. Il parle notamment de la conversio qui permet la reformatio des structures en vue de l’évangélisation, car c’est par elles que l’annonce de l’Évangile se réalise :

Le concile Vatican II a présenté la conversion ecclésiale comme l’ouverture à une reforme permanente de soi par fidélité à Jésus-Christ : « Toute rénovation de l’Église consiste essentiellement dans une fidélité plus grande à sa vocation […] L’Église au cours de son pèlerinage est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a perpétuellement besoin en tant qu’institution humaine et terrestre ». Il y a des structures ecclésiales qui peuvent arriver à favoriser un dynamisme évangélisateur ; également, les bonnes structures sont utiles quand une vie les anime, les soutient et les guide. Sans une vie nouvelle et un authentique esprit évangélique, sans « fidélité de l’Église à sa propre vocation », toute nouvelle structure se corrompt en peu de temps. (EG 26)

Il nous apparaît donc pertinent de travailler sur la forma ecclesiae à travers laquelle l’Église peut être langage pour ses contemporains. L’évangélisation est possible, selon le pape François, grâce à une reformatio afin que les paroles et les gestes de l’Église soient en adéquation avec le message de l’Évangile. La non-adhésion au contenu de la foi, la

49 Yves Guérette, « Catéchèse et renouveau ecclésial : la catéchèse comme édification du sujet croyant et acte instituant de l’Église », Thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 2008. 50 J.-P. Perreault, « L’imaginaire religieux de jeunes Québécois et leurs rapports au catholicisme ». 51 Christian Busset, « L’association, catalyseur de la communion en vue de la mission : l’expérience de la Société des Missions-Étrangères du Québec et le défi de l’appartenance », Thèse de doctorat, Québec, Université Laval, 2010. 52 François, La joie de l’Évangile. Exhortation apostolique, Paris, Bayard/Fleurus/Mame/Cerf, 2013. 14

désaffection croissante, les rapports brouillés entre l’Église et ses contemporains également mentionnés précédemment, illustrent une réaction face au langage de l’Église, à ses paroles et gestes, à ce qu’elle est dans ses formes et ses pratiques.

L’analyse de quelques documents conciliaires de Vatican II révèle que le discours de l’Église sur elle-même, sa nature et son activité missionnaire est, en lien étroit avec la Révélation divine, ainsi que son interlocuteur, c’est-à-dire le monde vers qui elle est envoyée. Les thématiques abordées par Vatican II sont articulées dans une dynamique trinitaire puisqu’à plusieurs reprises les Pères conciliaires soulignent le dessein du Père pour l’humanité, la portée eschatologique de l’Église qui est le corps du Christ, figure du Père, ainsi que le lien avec l’Esprit Saint qui anime l’œuvre missionnaire de l’Église dans le monde. Plusieurs images et figures de l’Église sont présentées par Vatican II, de même que des pistes pour la renovatio ou reformatio pour qu’elle puisse, par ses formes institutionnelles, rejoindre toute la communauté humaine. Son style est nouveau et davantage pastoral dans la mesure où il vise à réunir plutôt qu’à condamner comme l’a indiqué le pape Jean XXIII dans son discours d’ouverture du concile en 1962. La conversio que requiert sa renovatio ou reformatio est un passage obligé pour lui permettre de poursuivre son activité missionnaire de manière crédible, de façon à rejoindre ses interlocuteurs. Le pape François souligne de ce fait le lien existant entre la forma ecclesiae et la reformatio qui lui est nécessaire dans le contexte actuel (EG 26). C’est la raison pour laquelle la conversio ouvrant sur la renovatio ou reformatio ne saurait se limiter à des questions administratives. En ce sens le lien entre la forma ecclesiae et le langage de l’Église est mis en lumière par le pape à travers l’exemple des structures dont le langage est actuellement incompris des jeunes (EG 105).

L’Église est née de l’Évangile et annoncer l’Évangile est sa tâche première53. Alors, se demander quelle forma ecclesiae est nécessaire aujourd’hui revient à se demander quelles pratiques et formes instituées sont en lien avec l’Évangile ou encore s’enracinent dans la dynamique évangélique54 et peuvent de ce fait permettre la transmission de l’Évangile au

53 Severino Dianich, « Dall’atto del “vangelo” alla “forma ecclesiae” », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 95. 54 Ibid., p. 113. 15

monde de ce temps dans un langage compréhensible. Dianich appuie : la forme authentique procurée continuellement à l’Église par l’évangélisation est sujette à la dérive. Il soutient cela par des exemples comme la question de la hiérarchie, celle du pouvoir et le manque de collégialité dans l’Église, ou encore la question juridique relative à l’administration des sacrements qui, dans bien de cas, s’érige en barrière. La forma ecclesiae procède de l’acte même de l’Évangile, et dans ces conditions, son langage peut être plausible pour le monde contemporain dans la mesure où il y a adéquation entre ce qu’elle « est » par sa forme, ce qu’elle « dit » dans son discours et le message de l’Évangile. Alors, la renovatio ou reformatio de l’Église nécessite d’être réalisée à partir de sa raison d’être ou de sa vocation évangélique : « l’efficacité de la proclamation de l’Évangile55. » Le passage obligé est ce qu’a souligné le concile Vatican II, repris par le pape François, une conversio personnelle par la fidélité au Christ : « Toute rénovation de l’Église consiste essentiellement dans une fidélité plus grande à sa vocation […] L’Église au cours de son pèlerinage est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a perpétuellement besoin en tant qu’institution humaine et terrestre. » (EG 26) Alors, n’y aurait-il pas un lien entre cette forma ecclesiae, le langage de l’Église et le Christ ? Toutes les réformes que l’Église a connues au cours de l’histoire ou qu’elle connaît encore aujourd’hui ne sont pas uniquement morales, mais aussi structurelles, spirituelles et évangéliques.

Cette analyse de notre question de recherche indique que le concept de forma ecclesiae n’est pas nouveau. Il a été abordé par divers auteurs en lien avec la renovatio ou la reformatio qu’elle implique, et cela en vue de la conformatio Christi ainsi que l’annonce de l’Évangile. Dans le discours d’ouverture du concile Vatican II, le pape Jean XXIII énonce clairement la manière, le style avec lequel l’Église est appelée à s’adresser à ses contemporains. Theobald développe ce concept en lien avec la forma ecclesiae. Cela renvoie également à la question du langage. Toutefois, notre analyse montre que la forma ecclesiae comme langage n’a point été développée vu que la plupart des auteurs mentionnés ont davantage traité du concept de forma ecclesiae en rapport avec, soit la renovatio ou reformatio, soit l’évangélisation dans le souffle de Vatican II.

55 ATI, « Annuncio del Vangelo, forma ecclesiae » [http://teologia.it/index.php?option=com_content&view=article&id=62:forum-52003&catid=10:forum-ati- su-rdt&Itemid=18] (consulté le 29-09-2015). 16

3 Objectif et plan du mémoire

Notre objectif de recherche est alors de dégager, s’il y a lieu, la forma ecclesiae mise en avant par le concile Vatican II pour l’évangélisation. Comme évoqué antérieurement, le détachement des catholiques de l’Église telle qu’elle se présente aujourd’hui dans ses pratiques et dans ses formes institutionnelles est dû au fait que sa crédibilité comme témoin du Christ à travers ce qu’elle « est », ses paroles et ses gestes, est mise à l’épreuve. Le décret sur l’activité missionnaire de l’Église souligne de fait le témoignage chrétien comme le point de départ de toute l’activité missionnaire de l’Église :

Il faut que l’Église soit présente dans ces groupes humains par ses enfants, qui y vivent ou sont envoyés vers eux. Car tous les fidèles, partout où ils vivent, sont tenus de manifester, par l’exemple de leur vie et le témoignage de leur parole, l’homme nouveau qu’ils ont revêtu par le baptême et la force du Saint Esprit qui les a fortifiés par la confirmation, afin que les autres, considérant leurs bonnes œuvres, glorifient le Père (Mt 5, 16) et perçoivent plus pleinement le sens authentique de la vie humaine et le lien universel de communion entre les hommes… (AG 11, § 1)

Toutefois, ce témoignage des chrétiens et de l’Église est vécu au cœur des rencontres, dans « un dialogue sincère et patient » (AG 11, § 2). Pour y parvenir, nous allons dans un premier temps présenter l’état de la littérature sur le concept de forma ecclesiae. Dans un second temps, nous allons évoquer la vie de l’Église comme signe. Ce chapitre nous permettra de développer la conception de l’Église comme « sacrement de Salut » soulignant que toute sa vie est témoignage. Par ailleurs, il s’agira pour nous d’exposer la nature de l’Église, car, comme le souligne Seveso, la recherche de la figure de l’Église est liée à deux interrogations interconnectées, mais non solubles l’une dans l’autre : « Qu’est-ce que l’Église ? Comment doit être l’Église ?56 » Selon nous, elle est comme « sacrement de Salut », elle doit l’être pour le monde et dans le monde à travers son institutionnalité ainsi que ce qu’elle a de visible et de tangible. Dans un troisième temps, nous présenterons la vocation de l’Église, annoncer l’Évangile, à partir de l’Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi du pape Paul VI. En effet, l’Église existe pour porter la Bonne Nouvelle à toute l’humanité. Ainsi, ce qu’elle « dit », ce qu’elle « fait » et ce qu’elle « est » dans ses pratiques et dans ses formes conditionnent cette annonce. Nous verrons alors par la suite ce

56 B. Seveso, « Teologia pastorale e cifre sintetiche della riforma ecclesiale », p. 82. 17

qu’implique l’annonce de l’Évangile, à savoir la reformatio de l’Église, sa conversio. À ce chapitre, nous nous appuierons sur l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium du pape François. Ainsi nous analyserons le rapport entre la forma ecclesiae, l’annonce de l’Évangile et la reformatio qui en découle à travers le témoignage que doit rendre l’Église dans le monde. Finalement, nous montrerons, à partir de tout ce qui aura été exposé comment la vie de l’Église est appelée à être un témoignage crédible pour l’annonce de l’Évangile à nos contemporains.

18

CHAPITRE I : REVUE DE LA LITTÉRATURE

L’expression forma ecclesiae se répand de plus en plus dans la littérature théologique et la question est aujourd’hui mise en avant en ecclésiologie. Toutefois, cette expression « nouvelle » n’est pas comprise d’emblée et son contenu peut demeurer obscur. Pour aborder la forma ecclesiae dans ce travail, nous allons d’abord présenter ce qui en est dit dans la littérature théologique récente, les différentes allusions auxquelles elle fait référence, à savoir : la forma populi ou la forma di popolo, la forma Evangelii ou la forma di povertà, la forma maternae, le stilus pastoralis et les formes théoriques. De fait, nous montrerons le lien entre ces expressions et la forma ecclesiae.

1 Différentes allusions à la forma ecclesiae

La forma indique la protection, l’expression et la manifestation extérieure de la partie intérieure d’une entité1. Par analogie, on pourrait alors dire que la forma ecclesiae est l’expression et la manifestation extérieure de l’Église. Celle-ci est visible et tangible à travers ses structures hiérarchiques et sociales, ses figures institutionnelles entendues comme les formes d’expression de l’institution qu’elle est, c’est-à-dire des types de relations qui régissent sa vie ou les rapports entre ses membres. C’est dans cette perspective que l’on aborde le concept de forma ecclesiae présentée de différentes manières dans la littérature.

1.1 Notion de forma ecclesiae

Deux questions essentielles permettent de parler de la figure de l’Église : (1) Qu’est-ce que l’Église ? (2) Comment doit être l’Église ? Seveso indique que ces deux questions sont liées bien qu’elles ne peuvent être résolues l’une dans l’autre. En effet, la première renvoie à la recherche de ce qu’« est » l’Église, tandis que la seconde est relative à sa perception2. Par ailleurs, la recherche de forma ecclesiae survole les questions de la forme historique de l’Église, de la nature de l’Église, ainsi que de l’attention aux structures historiques de

1 B. Seveso, « Teologia pastorale e cifre sintetiche della riforma ecclesiale », p. 84. 2 Ibid., p. 82. 19

l’Église3. Toutefois, la discussion sur la forma ecclesiae, comme le dit Bressan, n’est pas une invention récente puisqu’elle apparaît déjà dans les années 1940 en Europe dans un contexte de forte discussion autocritique autour de la figure de l’Église, sa structure institutionnelle, sa manière d’habiter et d’interagir avec la culture et la société4. Un auteur comme Parente aborde la question de la forme ou du modèle de l’Église à la lumière de l’histoire. Il indique que la forma renvoie à plusieurs réalités : l’aspect d’un objet permettant de le caractériser extérieurement, sa structure, son mode de représentation ; en philosophie, c’est un principe actif de distinction de l’essence opposé à la matière ; en grammaire, c’est l’aspect qu’assume une parole une fois que celle-ci est qualifiée du point de vue morphologique ; c’est l’outil ou le modèle qui sert à conférer une configuration déterminée à la matière ; en latin la forma peut indiquer l’aspect, la figure, l’image, mais aussi la beauté5. Ainsi, la forme, tout comme le concept forma ecclesiae, est un terme polysémique et dynamique. Ses caractéristiques permettent l’auto-compréhension ecclésiale, la détermination des structures sociales et collectives à partir de la société, de la communauté et du peuple6.

1.2 La forma populi ou la forma di popolo

La détermination de la forma ecclesiae consiste alors « à décider comment structurer la figure institutionnelle de l’Église, choisir l’ordre des priorités dans l’organisation de l’action pastorale, opter pour un modèle déterminé de l’exercice de l’autorité au sein de diverses structures ecclésiales, imaginer quels contenus donner à la catégorie ecclésiologique du “Peuple de Dieu”7 ». On voit de fait qu’il y a un lien entre la forma ecclesiae et l’identité fondamentale de l’Église qui porte sur « sa nature, ses fonctions, ses

3 Ibid., p. 83. 4 Luca Bressan, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui convivere », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 30. 5 U. Parente, « Circa la plausibilità dell’elaborazione di un modello di Chiesa alla luce della storia della Chiesa », p. 144. 6 Ibid., p. 145. 7 L. Bressan, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui convivere », p. 43. 20

relations, ses tâches, les instruments dont elle dispose pour se réaliser8. » La forma ecclesiae est également entendue comme le modèle de l’Église [corps] issu de l’évènement du Christ [âme] qui l’anime9.

Le concept de forma ecclesiae fait aussi référence au « Peuple de Dieu » dans la mesure où l’Église n’est pas essentiellement réduite à une entité juridique, mais elle est également un corps formé de plusieurs membres qui vivent en communion et au service de l’humanité10. Selon Yves M.-J. Congar, « l’Église, pour les Pères, était “le Nous des chrétiens11” », c’est- à-dire l’ensemble du Peuple de Dieu. En ce sens, son gouvernement, par exemple, « est inséparable hiérarchiquement et communautairement : saint Cyprien, en qui l’on peut voir un exemple d’autorité épiscopale “s’est fait une règle, dès le début de son épiscopat, de ne rien décider sans le conseil des prêtres et des diacres et sans le conseil du peuple, d’après son opinion personnelle12”. » La forma ecclesiae entendue comme forma populi ou la forma di popolo reflète alors le fait que « l’Ecclesia est un corps organique et structuré, elle a des organes qualifiés par une institution qui vient d’en haut ; mais elle est un corps tout entier vivant, dont les membres exercent, chacun à sa manière, les actes par lesquels le corps se forme, vit et grandit13. » Par ailleurs, Paolo Carrara a largement développé le rapport entre la forma ecclesiae et le « Peuple de Dieu » à partir de la Joie de l’Évangile. Il rappelle que le Peuple de Dieu est sujet de l’évangélisation (EG 111) tout en signalant qu’il forme l’Église, c’est-à-dire la maison de Dieu. Ce Peuple de Dieu n’est pas un groupe constitué d’une élite en particulier (EG 113) ou d’une catégorie de personnes ; mais il est divers et varié aux fonctions multiples à l’instar des dons de l’Esprit Saint. Aussi, le Peuple de Dieu s’incarne dans les divers peuples de la terre (EG 115). Carrara indique de ce fait

8 Ibid., p. 41. 9 Marco Vergottini, « Fede, dottrina, Chiesa. A misura di Vangelo. Bilancio dell'itinerario precongressuale », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 17. 10 « La Chiesa è “popolo di Dio”, non è solo “istituzione”, in quanto è riposta libera dell’uomo a una chiamata dall’alto; d’altro lato, è anche “società visibile”, quindi istituzione collocata nello spazio e nel tempo. In lei, inoltre, c’è l’aspetto di koinonia, di comunione, partecipazione a un dono di grazia e di carità che unisce; c’è d’altro lato, l’aspetto di diakonia, tensione che spinge all’esterno, alla missione, al servizio. », Franco Imoda, « “In mezzo a voi come uno che serve”. Spunti psicosociali sulla leadership », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 206. 11 Yves M.-J. Congar, « Préface », dans Karl Delahaye (dir.), Ecclesia mater, chez les Pères des trois premiers siècles, pour un renouvellement de la pastorale d’aujourd’hui, Paris, Éditions du Cerf, 1964, p. 10. 12 Ibid., p. 13. 13 Ibid., p. 8. 21

que « le Peuple de Dieu est comme un sujet polyédrique14 », c’est-à-dire aux multiples visages. On relève chez cet auteur que la forma ecclesiae est associée à la forma populi ou la forma di popolo pérégrinant puisque l’Église est elle-même pèlerine en ce monde dans le cadre de son activité missionnaire : « Par nature, l’Église, durant son pèlerinage sur terre, est missionnaire, puisqu’elle-même tire son origine de la mission du Fils et de la mission du Saint-Esprit, selon le dessein de Dieu le Père. » (AG 2) Finalement, Carrara souligne avec insistance le fait que le pape François présente la figure du Peuple de Dieu incarnée dans les divers peuples de la terre (EG 115) comme la forma ecclesiae dont l’Église a besoin pour annoncer de manière crédible l’Évangile dans les cultures15. D’un autre côté, le pape François, dans La joie de l’Évangile, dit qu’« être Église, c’est être Peuple de Dieu, en accord avec le grand projet d’amour du Père. » (EG 114) Ainsi donc, l’Église prend forme à travers ses figures institutionnelles, sa forma ecclesiae et la figure du « Peuple de Dieu », à savoir la forma populi. Par ailleurs, « être Peuple de Dieu », c’est être « un Peuple aux multiples visages », c’est-à-dire un « Peuple de Dieu qui s’incarne dans les peuples de la terre, chacun de ses membres a sa propre culture. » (EG 115) Routhier souligne également le lien entre cette notion de « Peuple de Dieu » et celle de la diversité exposée dans l’article 13 de Lumen gentium16. En effet, cet article traite de l’unité et de la catholicité de l’Église dans la mesure où elles mettent en évidence la diversité des nations qui constituent le « Peuple de Dieu ». Il ne s’agit donc pas d’un peuple en particulier, mais de toute l’humanité, de tous les croyants et non-croyants :

On the other hand, the call to diversity immediately recalls the development of article 13 of Lumen gentium that repeats the same themes of the “universality and ‘catholicity’ of the one people of God.” “In virtue of this catholicity each individual part contributes through its special gifts to the good of the other parts and of the whole Church. Through the common sharing of gifts and through the common effort to attain fullness in unity, the whole and each of the parts receive increase.” Once again an emphasis is placed on a return to particular churches and their proper traditions and legitimate diversity in unity: “Moreover, within the Church, particular

14 Paolo Carrara, « Forma ecclesiae. Per un cattolicesimo di popolo oggi: “per tutti” anche se non “di tutti” », Thèse en cotutelle de doctorat, Québec/, Université Laval/Facoltà Teologica dell'Italia Settentrionale, 2016, p. 14-15. 15 Ibid., p. 23. 16 Gilles Routhier, « The Reform of the in the Context of a World Church », The Jurist: Studies in Church Law and Ministry 71 (2011), p. 404. 22

Churches hold a rightful place; these Churches retain their own traditions, without in any way opposing the primacy of the Chair of Peter, which presides over the whole assembly of charity and protects legitimate differences, while at the same time assuring that such differences do not hinder unity but rather contribute toward it.” This key paragraph of Lumen gentium elaborates a vision of “the catholic unity of the people of God,” a unity of fullness that assumes the proper gifts of each church and the gifts of the nations. The rootedness of the Church in different human spaces and the resulting relationship with that particular “world” is a condition for the constitution of diverse particular churches so that the Church assumes all the richness, resources and forms of life of peoples in whatever good they have thus determining the construction of these particular churches. Finally, this “catholic unity” welcomes the diversity and traditions proper to particular churches and situates the role of the Chair of Peter in the universal gathering17.

Alors, la question du « Peuple de Dieu » est liée à la diversité des nations, et par le fait même à la question de l’espace, du temps et de la culture. En outre, si « être Église, c’est être Peuple de Dieu… aux multiples visages » (EG 114-115), alors l’Église se doit d’être une maison pour « tous » dans le sens de Vatican II18, c’est-à-dire pour toute créature, pour tous les « hommes », pour tout le genre humain, pour ses fidèles et le monde entier : « L’Église est appelée à être toujours la maison ouverte du Père. Un des signes concrets de cette ouverture est d’avoir partout des églises avec les portes ouvertes. » (EG 47) Finalement, au sujet de la forma populi, comme le soutient Stefano Martelli, « l’ecclésiologie du “Peuple de Dieu” et l’émergence de la “structure charismatique de l’Église” sont non seulement cohérents avec le tournant donné par Vatican II, mais aussi imposés par les changements en acte tant au niveau structurel que socioculturel19. »

1.3 La forma Evangelii : la forma di povertà

Notre question de recherche a permis de relever que la forma ecclesiae, qui renvoie à diverses réalités de l’Église telle sa structure, son institutionnalisation, sa morale, sa pastorale, etc., vise, pour certains auteurs comme Alberigo, la forma Christi. En effet, le Christ est présenté comme la forme même de l’Église, comme sa figure et son modèle, et de

17 Ibid., p. 404-405. 18 Cf. LG 9, 14, 23, 30 et 38. 19 Stefano Martelli, « Trasformazione strutturale della Chiesa come compito et come chance », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 176. 23

fait, elle le manifeste par sa structure20. Giuseppe Ruggieri associe, quant à lui, la forma ecclesiae au style de l’activité missionnaire de l’Église : la pauvreté. Il propose le concept de « style de pauvreté ». En effet, l’auteur développe son argumentation à partir de Lumen gentium 8, 3 qui établit le lien entre la pauvreté et l’action de l’Église21. Cette forma ecclesiae vise, selon l’auteur, la forma Christi dans la mesure où l’Église a pour vocation de suivre les traces de Jésus-Christ à travers l’imitatio Christi, en particulier la pauvreté. Par ailleurs, Ruggieri fait une analogie entre la forma Christi et ce qu’il appelle la forma Evangelii22 entendue comme étant le « style de l’Évangile ». L’auteur illustre le lien entre la forma ecclesiae et le « style de pauvreté » en appuyant qu’au regard de l’histoire récente de l’Église, la croissance de la pauvreté est le signe que l’institution ecclésiale résiste fortement à épouser la sobriété comme style23. Autrement dit, la forma ecclesiae est appelée à devenir véritablement « style de pauvreté » afin de rapprocher l’Église de la forma Christi en imitant le Christ pauvre qui s’est fait proche des pauvres dans tous les sens du terme24. La forma Evangelii/Christi et la forma ecclesiae ne coïncident pas, car la seconde vise à atteindre la première.

1.4 La forma maternae

L’image de la maternité de l’Église réintroduite par Vatican II25 illustre un autre sens de la forma ecclesiae développée par Giampietro Ziviani à travers le concept de forma maternae (forma materna/forme maternelle). De fait, il montre que la typologie « Église-Mère » attribuée à l’Église découle de l’expérience humaine et est en même temps liée à celle

20 M. Brocklehurst, « “The Form of the Church” », p. 11-12. 21 Giuseppe Ruggieri, « Evangelizzazione e stili ecclesiali: Lumen Gentium 8,3 », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 225-235. 22 Ibid., p. 251. 23 Ibid., p. 253. 24 « Ma, limitandoci a dire che i poveri sono tutti coloro che soffrono di qualche privazione (economica, fisica, morale, intellettuale, sociale, politica), tutto ciò non elude la domanda seria se questi siano parte privilegiata, oltre che destinatari preferenziali della Chiesa. », Giovanni Mazzillo, « Una Chiesa povera per essere Chiesa dei poveri: proponibilità e attualità », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 266. 25 « Église comme mère » (LG : 6, 15, 41, 42 ; GS : 43.6 ; GE : 3 ; IM 2) ; « Maternité de l’Église » (DV : 22 ; LG : 15, 65) ; « Sollicitude maternelle de l’Église » (CD : 13 ; IM 1) ; « Cœur maternel de l’Église » (IM : 2) ; « Maternité de la communauté ecclésiale » (PO : 6). 24

d’« Église-Épouse »26. L’Église est mère dans le sens qu’elle engendre spirituellement : « Il s’agit d’une activité véritable d’engendrement spirituel, non d’un titre de prestige ou d’autorité, comme ce sera le cas au Moyen âge. Il s’agit de l’activité par laquelle l’Ecclesia fait des chrétiens27. » Alors, cette maternité de l’Église, comme le souligne Congar, est celle de tout le Peuple de Dieu28. Manifestement, c’est toute la communauté des fidèles qui est appelée à refléter cette forma maternae de l’Église : « Par la charité, la prière, l’exemple, les efforts de pénitence, la communauté ecclésiale exerce encore une véritable maternité pour conduire les âmes au Christ : elle constitue un instrument efficace pour montrer ou préparer à ceux qui ne croient pas encore un chemin vers le Christ et son Église, pour réveiller les fidèles, les nourrir, leur donner des forces pour le combat spirituel. » (PO 6) Ainsi, la maternité de l’Église se manifeste lorsqu’elle engendre spirituellement le Peuple de Dieu. Par la suite, cette maternité spirituelle de l’Église est exercée par tous les chrétiens29 :

Chacun des laïcs doit devant le monde être le témoin de la résurrection et de la vie du Seigneur Jésus et signe du Dieu vivant. Tous ensemble et chacun pour sa part doivent nourrir le monde des fruits spirituels (Ga 5, 22) et répandre sur lui cet esprit qui anime les pauvres, les doux, les pacifiques que le Seigneur dans l’Évangile a proclamés bienheureux (Mt 5, 3-9). En un mot « ce que l’âme est dans le corps, il faut que les chrétiens le soient dans le monde ». (LG 38)

Ziviani, d’un autre côté, signale aussi que les deux typologies, « Église-Mère » et « Église- Épouse », sont complémentaires : la première s’adresse aux fidèles tandis que la seconde, la « sponsalité », porte sur son rapport au Christ époux30. Par ailleurs, Ziviani s’appuie sur la constitution Lumen gentium, notamment au chapitre VIII, pour montrer que la forma maternae entendue comme la forma ecclesiae ou encore la typologie « Église-Mère » est associée à la figure de Marie, modèle de l’Église mère des humains31. La relation de Marie à l’Église est évoquée par Joachim Lell comme le second développement majeur du concile

26 Giampietro Ziviani, « La Chiesa Madre: immagine di rinnovamento », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 347. 27 Y. M.-J. Congar, « Préface », p. 7. 28 Ibid., p. 9. 29 Ibid., p.9. 30 G. Ziviani, « La Chiesa Madre: immagine di rinnovamento », p. 348-349. 31 Ibid., p. 351. 25

Vatican II, car l’Église a opéré, selon lui, un retour aux sources puisque « la typologie Marie-Église32 » était déjà relevée chez saint Irénée de Lyon. Ainsi, la mariologie est intégrée à l’ecclésiologie (LG 52-69) et plus tard on retrouve par exemple l’expression « Marie “Mère de l’Église” »33 dans l’Exhortation apostolique Marialis cultus du pape Paul VI. Aussi, Lell expose les clarifications postconciliaires de sujets théologiques à l’instar du « rapport entre typologie et exégèse historico-critique, sens des symboles, importance du vocabulaire, appréciation du sensus fidei des fidèles34. »

Dans la deuxième section de Marialis cultus, la Vierge Marie est présentée comme modèle de l’Église dans l’exercice du culte. Ses gestes et attitudes sont mis en évidence dans l’Écoute, la Prière, la Maternité (enfantement) et l’Offrande. Ainsi, Marie est modèle de l’Église dans la foi, la charité et la parfaite union au Christ. Elle est la Vierge qui écoute, accueille la Parole de Dieu avec foi et la proclame par ses actes. Marie est aussi la Vierge priante qui visite la mère du précurseur et chante le magnificat, intercède à Cana et supplie avec l’Église à la Pentecôte, tout en étant attentive aux nécessités temporelles. Elle est la Vierge-Mère enveloppée de l’Esprit, source de la vie qui enfante à une vie nouvelle des fils et des filles de Dieu. La Vierge est également celle qui offre lorsqu’elle présente Jésus au Temple. Elle est le modèle de toute l’Église dans l’exercice du culte divin, éducatrice de vie spirituelle. La maternité spirituelle de Marie qui enseigne à tous les membres du corps mystique du Christ est aussi mise en évidence. On peut voir dans « Marie qui enseigne » la responsabilité éducative de la maternité de l’Église illustrée dans les documents conciliaires. Par ailleurs, la maternité ecclésiale vue comme la forma maternae, se présente sous plusieurs dimensions : anthropologique illustrée dans l’Écriture à travers les figures d’Ève et de Marie ; christologico-pneumatique mise en évidence par la « sponsalité » du Christ et la liturgie de l’Église ; ecclésiologique développée dans la vie sacramentelle de l’Église ; eschatologico-mariologique déployée dans le rapport et le lien de Marie à l’Église35. Toutes ces illustrations permettent de relever le lien entre la forma maternae et la forma ecclesiae vu que Marie est modèle de l’Église.

32 Joachim Lell, « Marie/Mariologie », dans Nouveau dictionnaire de théologie, Paris, Cerf, 1996, p. 552. 33 Ibid., p. 553. 34 Ibid., p. 554. 35 G. Ziviani, « La Chiesa Madre: immagine di rinnovamento », p. 353-354. 26

1.5 Le stilus pastoralis

Force est de relever qu’il existe d’autres formes institutionnelles à prendre en compte en postmodernité parmi lesquelles Ambrosio propose la pastorale, car c’est un style ou un modèle. Il situe cela au cœur de la tâche du concile Vatican II36 en insistant également sur le fait que c’est un élément qui donne un sens à l’activité missionnaire de l’Église. Seveso, quant à lui, met en relation le ministère pastoral et la forme de l’« agir » ecclésial : « Il ministero pastorale della Chiesa vive della pluralità di iniziative ed istituzioni in cui si determina e nella contrazione della particolarità i singoli gesti ripropongono la forma complessiva dell’agire ecclesiale37. » La figure de l’Église est donc pastorale en ce sens que la forma ecclesiae est assumée dans le stilus pastoralis de l’Église opposé à toute vision réductivement cléricale qui empêche la lumière du Christ de resplendir sur le visage de l’Église (LG 1). Manifestement, le stilus pastoralis ne porte pas uniquement sur des gestes ad intra, mais aussi sur des comportements ad extra dans la mesure où il s’agit de toute la vie de l’Église. Alors, la forma ecclesiae entendue comme stilus pastoralis engage l’Église par le biais de son activité missionnaire d’évangélisation dans la production de formes multiples à travers lesquelles la communauté chrétienne est invitée à faire mémoire de son Seigneur, mais encore dans le discernement des formes que le témoignage de l’Évangile est appelé à assumer devant toute l’humanité38. Ce rapport entre la forma ecclesiae et la « pastoralité » est appuyé par Theobald39 qui met davantage en évidence la forme pastorale de la doctrine de Vatican II dans son style de communication, sa manière de parler et de proclamer l’Évangile dans le monde de ce temps, particulièrement dans la constitution Gaudium et spes. Selon lui, la question des langues et des cultures est incontournable dans ce style mis en avant par le concile.

36 Gianni Ambrosio, « Forme di cattolicesimo nella postmodernità. Limiti e chances di un “cattolicesimo fragile” », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 84-85. 37 B. Seveso, « Teologia pastorale e cifre sintetiche della riforma ecclesiale », p. 85. 38 Ibid., p. 91. 39 C. Theobald, Le christianisme comme style. Une manière de faire de la théologie en postmodernité, p. 15- 197. 27

1.6 Les formes théoriques

La notion de modèle est aussi associée à des concepts théologiques qui apportent quelques éléments de compréhension de la forma ecclesiae. En ce sens, selon Stephan Bevans, une théologie contextuelle suit le modèle et les caractéristiques de la culture. Toutefois, elle tient également compte de la situation de la foi chrétienne40. Bevans propose six modèles de théologie contextuelle : transcendante, anthropologique, « praxis », synthétique, « translation » et « countercultural41 ». Cet auteur présente aussi les rapports de chaque modèle avec les Écritures et la tradition, la Révélation, le contexte, la méthode, et propose aussi une analyse critique de chacun, c’est-à-dire les points positifs ou négatifs par rapport à la culture et au message du christianisme. La validité et la valeur de chaque modèle constituent un fait sur lequel l’auteur insiste, ainsi que le contexte ou les circonstances qui ne sont pas dissociables de chaque modèle42. Le modèle « praxis » semble adéquat pour un changement social radical ou pour une action pastorale créative43. On voit alors que le concept de forma ecclesiae associé à la notion de modèle est aussi liée à la représentation de l’Église dans l’espace et le temps. Alors, la forma ecclesiae peut être comprise dans le sens de la théologie contextuelle qui englobe par exemple l’expérience humaine, le contexte social, la culture et ses importantes évolutions. Néanmoins, la théorie des modèles est sujette à des applications oscillantes ou incertaines parce qu’elle n’est qu’un instrument interprétatif44. Seveso associe la forma ecclesiae à l’« agir ecclésial », l’initiative ecclésiale et la maturation de la conscience de l’Église45. Par ailleurs, tout modèle théorique de l’Église, aussi performant soit-il, ne pourra jamais remplacer l’expérience. C’est par exemple le cas de la vie chrétienne, de la vie de l’Église dans la société, de sa confrontation avec les cultures, de son expérience concrète au quotidien dans le temps et l’espace. L’expérience chrétienne humaine et sociale est donc essentielle dans toute entreprise de renovatio ou reformatio. De fait, cela est en rapport avec la question de la « pastoralité » et

40 Stephen B. Bevans, Models of Contextual Theology, Maryknoll, N.Y, Orbis Books, 1992, p. 25. 41 Ibid., p. 27. 42 Ibid., p. 139. 43 Ibid., p. 142. 44 Dario Vitali, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui vivere », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 55. 45 B. Seveso, « Teologia pastorale e cifre sintetiche della riforma ecclesiale », p. 85-87. 28

constitue une des visées de Vatican II également abordée par O’Malley. Aussi, la forma ecclesiae a permis au cours de l’histoire le développement de l’étude de l’Église à partir de l’analyse de son fonctionnement, de ce qui l’institue, de ce qui l’organise46.

2 Conclusion

En somme, la revue de littérature effectuée montre que la forma ecclesiae présente plusieurs sens. Elle est liée à un type de rapport ou de relation particulier entre les membres de l’Église, notamment entre la hiérarchie et la communauté des fidèles ou encore entre les ministres ordonnées et les laïcs. Nous avons indiqué comment des auteurs comme Parente, Bressan et Carrara associent le concept de forma ecclesiae à la forma populi ou forma di popolo dans la mesure où le Peuple de Dieu constitue la maison de Dieu, c’est-à-dire son Église : « Dieu a convoqué l’assemblée de ceux qui dans leur foi regardent vers Jésus, auteur du Salut et principe d’unité et de paix, et l’a constitué en Église, afin qu’elle soit pour tous et pour chacun le sacrement visible de cette unité Salutaire. » (LG 9) La forma ecclesiae est aussi évoquée comme la forma di povertà par Ruggieri et Mazzillo qui avancent que c’est par un style de sobriété que l’Église est appelée à rejoindre nos contemporains à la suite du Christ qui est allé vers les pauvres. C’est dans ce sens que le pape François indiquait : « Pour cette raison, je désire une Église pauvre. » (EG 198) Ziviani a, quant à lui, présenté la forma maternae comme forma ecclesiae à travers la figure de Marie et plusieurs typologies : Église-Mère, Église-Épouse. En effet, c’est à travers sa maternité et son affection que l’Église, comme une Mère, est conviée à écouter le monde, à effectuer l’annonce de l’Évangile. Le stilus pastoralis également employé pour désigner la forma ecclesiae a été mentionné et présenté par Ambrosio, Seveso et Théobald. Ces auteurs rappellent la manière dont l’Église à travers ses figures et toute sa vie doit être pastorale pour permettre une communication plausible de l’Évangile. C’est cette manière d’exprimer l’Évangile que Vatican II a mise en avant suivant les orientations du pape Jean XXIII : « Il faudra attacher beaucoup d’importance à cette forme et travailler patiemment, s’il le faut, à son élaboration ; et on devra recourir à une façon de présenter qui correspond mieux à un

46 L. Bressan, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui convivere », p. 41. 29

enseignement de caractère surtout pastoral47. » En somme, plusieurs auteurs cités présentent différentes approches mises en avant par Vatican II pour l’évangélisation. C’est le cas de Theobald qui a exposé la question du style et de la « pastoralité », ainsi que de Bevans avec son idée de « théologie conceptuelle ». La notion de la « pastoralité » comme style est par ailleurs appuyée par Seveso et Ambrosio.

« Quelle forma ecclesiae (ce qui implique une renovatio ou une reformatio) est mise en avant par le concile Vatican II en vue d’annoncer de manière plus crédible l’Évangile dans le monde contemporain ? » À la suite de notre analyse, nous constatons que Vatican II a présenté plusieurs aspects de la forma ecclesiae illustrés par quelques auteurs mentionnés. Toutefois, il nous apparaît justifié d’articuler dans ce travail de recherche les liens entre la forma ecclesiae et ce que « dit », ce que « fait » l’Église, c’est-à-dire son langage, qui favorise l’annonce de l’Évangile. La recherche de la forma ecclesiae adéquate pour l’annonce crédible de l’Évangile à nos contemporains comporte le risque de conduire à la quête d’une figure idéale de l’Église. La recherche d’un tel modèle ecclésial représente une inconnue, un besoin d’une institution ecclésiale capable de répondre à toutes les attentes et demandes à son égard48. Une telle entreprise est utopique dans la mesure où toute forma ecclesiae est contextuelle, car elle correspond à une époque donnée et est appelée à se transformer pour permettre l’évangélisation dans la culture et les réalités humaines. Alors, on est en droit de se demander quelle forma ecclesiae permet à l’Église au 21ème siècle d’être comme un « signe levé pour les peuples » (Is 11, 10), mais aussi comme un signe du Salut qu’elle annonce ?

47 Jean XXIII, « Gaudet Mater Ecclesia. L’ouverture solennelle du XXIe concile œcuménique », p. 587. 48 L. Bressan, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui convivere », p. 34. 30

CHAPITRE II : LA VIE DE L’ÉGLISE COMME SIGNE

Le deuxième chapitre de ce travail porte sur le signe que l’Église elle-même représente. Après avoir présenté, à travers la revue de littérature, plusieurs aspects de la forma ecclesiae adéquate pour l’annonce crédible de l’Évangile à nos contemporains, nous nous concentrons davantage sur l’Église elle-même : « Qu’est-ce que l’Église ? Comment doit être l’Église ?1 » Selon nous, à la suite de Vatican II, elle est comme un « sacrement de Salut ». Elle doit l’être pour le monde et dans le monde à travers son institutionnalité ainsi qu’à travers ce qu’elle présente d’elle-même, son caractère visible et tangible.

Nous développerons alors dans la première partie de ce chapitre l’Église veluti sacramentum (comme un sacrement) à partir de son fondement christologique et pneumatologique, ainsi que de son orientation eschatologique dans la mesure où elle est comme sacrement et signe de Salut. Nous présenterons aussi l’Église comme un sacrement et le lien avec monde. Par la suite, nous exposerons le témoignage que l’Église doit porter à l’humanité en tant que signe. Cela nous permettra d’établir, à partir du style ecclésial, le lien entre la forme de l’Église et son langage.

1 L’Église veluti sacramentum

La constitution dogmatique sur l’Église du concile Vatican II énonce que « l’Église est dans le Christ en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain. » (LG 1) Dans cette proposition, les Pères conciliaires présentent l’Église à la manière d’un sacrement en ce sens qu’elle est non seulement le signe visible de la volonté de Dieu pour le monde et l’instrument permettant sa réalisation, mais aussi elle est une réalité spirituelle exprimant l’union de l’humanité avec la Trinité2. Dans cet énoncé, l’Église n’est pas un sacrement à l’instar de l’Eucharistie, du baptême, etc., mais veluti sacramentum3 dans la mesure où elle est signe et instrument par lesquels s’opère l’union intime avec Dieu et les humains. Parler donc de l’Église veluti

1 B. Seveso, « Teologia pastorale e cifre sintetiche della riforma ecclesiale », p. 82. 2 Todd Walatka, « Church as Sacrament: Gutiérrez and Sobrino as Interpreters of Lumen Gentium », Horizons 42/01 (2015), p. 78. 3 G. Routhier, « Al di là della Chiesa ad intra/Chiesa ad extra: la Chiesa come sacramento di salvezza », p. 57. 31

sacramentum n’est pas une image ou un concept parmi tant d’autres, mais comme l’appuie Otto Semmelroth, c’est l’expression même du principe de base de la compréhension de l’Église4. La notion de sacrement attribuée à l’Église met en évidence « son rapport au monde, sa représentation au regard de l’histoire, son appartenance, son approche spirituelle et sociale5 » que nous évoquerons par l’intermédiaire des différentes sections du présent chapitre pour mettre en évidence un volet de la forma ecclesiae comme langage.

1.1 Sacramentalité et signes

Dans le sacrement, il y a deux dimensions : l’une visible et l’autre spirituelle. Et lorsque l’Église est présentée veluti sacramentum, elle manifeste une réalité spirituelle, le mystère du Salut de l’humanité à travers ce qu’elle a de visible et de tangible. De fait, l’Église est signe sous divers aspects mis en évidence dans les documents conciliaires : « le signe et l’instrument de l’union à Dieu » (GS 42, 3), « signe de Salut » (GS 43, 6), « signe de son unité dans le Christ » (GS 44, 3), « le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine » (GS 76, 2), « le signe de cette fraternité qui rend possible un dialogue loyal et le renforce » (GS 92, 1), « signe levé à la vue des nations » (UR 2). Somme toute, l’Église est veluti sacramentum en tant qu’elle est signe « sacramentel » (visible) d’une réalité spirituelle (invisible), d’un signifié.

Lorsqu’on affirme que le sacrement est un signe, on met en évidence le fait qu’il désigne une certaine réalité que l’on assimile au signifié. Le sacrement présente alors une réalité surnaturelle et naturelle. La notion de signe est également utilisée dans d’autres domaines tel le langage qui est conventionnellement défini comme étant un « système de signes6 », un moyen pour mener à une conversation7, un espace et une médiation. « Les signes pouvant être de nature variés, il y a plusieurs espèces de langages […]. Il y a le langage olfactif et le langage tactile, le langage visuel et le langage auditif. Il y a langage toutes les fois que deux

4 Dennis M. Doyle, « Otto Semmelroth and the Advance of the Church as Sacrament at Vatican II », Theological Studies 76/1 (2015), p. 66. 5 G. Routhier, « Al di là della Chiesa ad intra/Chiesa ad extra: la Chiesa come sacramento di salvezza », p. 65. 6 Joseph Vendryes, Le langage : introduction linguistique à l’histoire, Paris, A. Michel, 1968, p. 19. 7 Hans Georg Gadamer, « Troisième partie — Tournant ontologique pris par l’herméneutique sous la conduite du langage », dans Vérité et méthode : les grandes lignes d’une herméneutique philosophique, Paris, Seuil, 1996, p. 405. 32

individus, ayant attribué par convention un certain sens à un acte donné, accomplissent cet acte en vue de communiquer entre eux8. » Comment cela peut s’appliquer à l’Église ? Gadamer soutient que le langage ne se limite pas uniquement aux mots, mais renvoie aussi à son objet9. Le langage est alors une combinaison de paroles, de gestes et de regards vu que cela fait appel à plusieurs sens chez l’humain. Nous retrouvons une analogie avec l’Église dans le corpus du concile Vatican II dont la nouveauté a consisté dans l’évènement de langage qu’il représente10. En effet, le style de l’Église, son regard sur le monde, sa « pastoralité », ses actes et ses paroles sont langage. On peut alors avancer que l’Église veluti sacramentum est langage dans la mesure où elle dit quelque chose d’elle à partir de ce qu’elle est, de ce qu’elle présente. Comme sacrement, l’Église est un signe qui manifeste l’union avec Dieu et tout le genre humain (LG 1). Elle est de ce fait langage. En outre, la notion de transmission est véritablement liée au langage qui, selon Gadamer, englobe en même temps une tradition, une mémoire, une continuité et une communication11. Or, l’Église naît, selon Dario Vitali de « l’action de communication de la foi12 » qui constitue l’origine et le fondement du christianisme comme grand mouvement historique, ainsi que comme entité sociale et empirique13. Alors, il existe un lien entre l’acte de transmission, de la communication et du langage. [L’Église] consiste essentiellement, comme le souligne Dianich, en un processus de transmission de la mémoire de la foi en Jésus qui est en même temps une condition absolue et nécessaire de son existence14. Aussi, cette communication suppose un dialogue et une relation dans lesquels le langage employé est compréhensible par les interlocuteurs. Ce langage et cette communication sont illustrés à travers l’Église veluti sacramentum puisque, en tant que signe, elle communique ce qu’elle est, ce qu’elle signifie. L’acte de communication de la foi de l’Église veluti sacramentum s’enracine dans l’expérience humaine et a pour tâche de créer des espaces d’accueil de nouveaux croyants,

8 J. Vendryes, Le langage : introduction linguistique à l’histoire, p. 19. 9 H.G. Gadamer, « Troisième partie - Tournant ontologique pris par l’herméneutique sous la conduite du langage », p. 430. 10 Christoph Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, Paris, Éditions du Cerf, 2015, p. 57. 11 H.G. Gadamer, « Troisième partie - Tournant ontologique pris par l’herméneutique sous la conduite du langage », p. 412. 12 D. Vitali, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui vivere », p. 55. 13 S. Dianich, « Dall’atto del ‘‘vangelo” alla ‘‘forma ecclesiae” », p. 106. 14 Ibid., p. 106-107. 33

de leur offrir la grâce des sacrements et de garantir l’authenticité de la foi qui leur est transmise15 et qui a pour fondation le Christ.

1.2 Fondement christologique de l’Église veluti sacramentum

« Le Christ est la lumière des peuples ; réuni dans l’Esprit Saint, le saint concile souhaite donc ardemment, en annonçant à toutes les créatures la bonne nouvelle de l’Évangile, répandre sur tous les hommes la clarté du Christ qui resplendit sur le visage de l’Église (Mc 16, 15). » (LG 1) Routhier souligne que cette première phrase de la constitution dogmatique Lumen gentium met en lumière le rapport entre le Christ, l’Église et l’humanité : « Le Christ est la lumière des nations et, l’Église, comme la lune par rapport au soleil, réfléchit cette lumière qui resplendit sur son visage et, ainsi, illumine tous les hommes de la lumière du Christ16. » Il y a donc une dépendance de l’Église par rapport au Christ. Celle-ci trouvant son fondement en lui : « The founding of the Church is an extension of the sacramental mystery of Christ which ensues from Christ’s incarnation and the sending of the Spirit. It is a “kind of extension of the mystery of the incarnation”17. » En outre, l’Église, corps du Christ, est entendue comme Peuple de Dieu, car la notion de « Peuple de Dieu » renvoie à l’Alliance, à la filiation qui est complétée en Jésus-Christ :

Il faut bien mesurer tout ce qu’implique, dans l’expression « Peuple de Dieu », non seulement le mot Peuple, mais son déterminant : de Dieu. Le programme de l’Alliance, de la filiation, de l’héritage, ne peut être rempli que « in Christo » et dans la mesure où, vraiment, « un seul monte au ciel, le Fils de l’homme qui est dans le ciel » (Jn 3, 13). Quant à cette réalité de l’« in Christo », [quelques auteurs] parlent d’une identification spirituelle (« mystique ») avec le corps pascal et glorifié du Christ Jésus18.

L’Église, Temple de Dieu (Ap 3, 12), construit à partir de pierres vivantes (1 P 2, 5), c’est- à-dire le Peuple de Dieu, a pour pierre angulaire (Mt 21, 42) et pour fondation (1 Co 3, 11)

15 Ibid., p. 125. 16 Gilles Routhier, « La miséricorde : fondement, principe et critère de toute réforme dans/de l’Église », À paraître dans la revue Théoforum (2016), p. 12. 17 Leo Scheffczyk, « The Church as the universal sacrament of Jesus Christ », International journal for the Study of the Christian Church 10/1 (2010), p. 30. 18 Yves Congar, Le concile du Vatican II : son Église, Peuple de Dieu et Corps du Christ, Paris, Beauchesne, 1984, p. 125. 34

le Christ. Le Père Congar présente ainsi le rapport entre le Christ et l’Église tel que développé au concile Vatican II comme suit :

Relecture attentive faite, j’affirme qu’on ne peut taxer Lumen Gentium de « Christocentrisme ». Christocentrisme, soit, si toutefois cette étiquette a un sens : Vatican II est christocentrique comme S. Paul, pas autrement, c’est-à- dire que notre communion avec Dieu ne se fait que par union au Christ, qui a accompli l’œuvre que le Père lui a confiée (SC 5). Il est très souvent donné aussi comme le modèle absolu. Certes, il est fondateur. Il a fondé l’Église comme un tout social (LG 8) ; il a institué les Douze comme un groupe stable, principe du corps ou collège des évêques (Mc 3, 13) ; il a ainsi établi ceux-ci maîtres, pontifes et pasteurs (CD 2) ; il a disposé les ministères. En envoyant les apôtres avec Pierre à leur tête, le Christ a établi la forme du pouvoir pastoral dans l’Église, continué dans le collège des évêques avec le pontife romain à sa tête (LG 18 ; 22 ; 27, et Nota praevia § 2). C’est une fondation de l’Église par le Christ en la chair. Cependant souvent on se réfère à la mission donnée par Jésus ressuscité, avec renvoi à Mt 28, 18-26. Cela répond bien au caractère dynamique et missionnaire que Vatican II met en avant dans toute l’économie de grâce : Christ, Église – Peuple de Dieu19.

Par ailleurs, on peut avancer que l’Église rend le Christ visible dans la mesure où elle est animée par son Esprit et l’exprime à travers diverses activités. En ce sens, « l’Église est seulement la manifestation de ce qui est en lui [le Christ], la réalité visible animée par son Esprit. Et, cependant, il nous faut encore réaliser le Christ et construire son corps20. » On retrouve en ce sens chez Thomas d’Aquin un rapprochement entre le type « Église- institution » ou « Église-société » et le type « Église-Corps mystique » : « l’Église- institution est la forme d’existence du Corps mystique et de la vie nouvelle dans le Christ ; elle est le sacrement et le ministère, bref l’instrument de réalisation du Corps mystique21. » Or, parler de l’Église comme « Corps mystique » revient à souligner, comme l’a fait Vatican II, qu’elle est animée de l’Esprit du Christ, son principe de vie :

Dans son corps, c’est-à-dire dans l’Église, il dispose continuellement les dons des ministères par lesquels nous nous apportons mutuellement, grâce à sa vertu, les services nécessaires au Salut, en sorte que, par la pratique d’une charité sincère nous puissions grandir de toutes manières vers celui qui est notre tête (Ep 4, 11-16 grec) pour que nous puissions nous renouveler en lui

19 Ibid., p. 164-165. 20 Yves Congar, Esquisses du mystère de l’Église, Paris, Éditions du Cerf, 1953, p. 26. 21 Ibid., p. 80. 35

sans cesse (Ep 4, 23), il nous fait part de son Esprit qui, unique et présent, identique à lui-même dans la tête et dans les membres, vivifie le corps entier, l’unifie et le meut, si bien que son action a pu être comparée par les saints Pères à la fonction que remplit dans le corps humain, l’âme, principe de vie. (LG 7)

L’Église veluti sacramentum est aussi l’œuvre de l’Esprit Saint qui vient du Christ22. Sa présence dans l’Église est de ce fait pneumatique, ce qui signifie que l’action de l’Esprit Saint dans sa vie est essentielle puisque c’est par sa puissance ou son intervention que se réalisent le Salut de l’humanité et l’union avec Dieu. Ainsi, le Christ réalise l’Église d’une double manière, par le Peuple de Dieu en qui il se fait présent de manière permanente23, par l’Esprit et sa puissance24. Participer à la vie concrète de l’Église, à sa réalité visible, c’est participer à sa vie dans l’Esprit comme l’exprime saint Irénée de Lyon : « Là où est l’Église, il y a aussi l’Esprit de Dieu, et là où est l’Esprit de Dieu, il y a l’Église et toute grâce25. » Finalement, on peut dire dans le sens de Congar qu’il y a dorénavant en ecclésiologie l’idée essentielle selon laquelle, le Verbe et l’Esprit accomplissent ensemble la même œuvre26. Ainsi, la pneumatologie et la christologie sont liées. Congar rappelle ces mots de Paul VI lors de l’audience générale du 6 juin 1973 : « À la christologie et spécialement à l’ecclésiologie du concile doivent succéder une étude nouvelle et un culte nouveau de l’Esprit-Saint, précisément comme complément indispensable de l’enseignement du concile27. »

1.3 Développement pneumatologique de l’Église veluti sacramentum

C’est l’Esprit Saint qui nous fait reconnaître que Jésus-Christ est Seigneur, que Dieu est Père (1 Co 12, 3). Par analogie, c’est le même Esprit qui nous fait reconnaître en l’Église le corps du Christ formé de diverses instances : « Si le Saint Esprit n’existait pas, il n’y aurait

22 Ghislain Lafont, « La trasformazione strutturale della Chiesa come compito e come chance », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 165. 23 « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28, 20) 24 « Lorsque le Consolateur que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, sera venu, il rendra témoignage de moi. Et vous aussi, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi dès le commencement. » (Jn 15, 26) 25 O. Semmelroth, L’Église, sacrement de la rédemption, p. 201. 26 Jean Rigal, « L’ecclésiologie trinitaire du Père Congar », Bulletin de Littérature Ecclésiastique 106/2 (2005), p. 164. 27 Y. Congar, Le concile du Vatican II : son Église, Peuple de Dieu et Corps du Christ, p. 176. 36

dans l’Église ni pasteur, ni docteurs, car c’est l’Esprit qui les fait, selon ce que dit Paul : “le Saint Esprit vous a établi évêques et pasteurs”. (Ac 20, 28)28 » L’Église est veluti sacramentum grâce à l’action de l’Esprit Saint vu qu’elle « est au service de l’Esprit du Christ qui lui donne la vie, en vue de la croissance du corps (Ep 4, 16)29 » ainsi que de la réalisation de l’union avec Dieu et de l’unité entre les humaines (LG 1). Manifestement, « l’Église n’est pas un grand système où, […] l’individu ne serait qu’une somme d’un million divisée par un million. Elle est une communion, une fraternité de personnes. En elle vont donc s’unir un principe personnel et un principe d’unité. C’est le Saint Esprit qui les harmonise30. » Et c’est de cette unité dont il est question en LG 1. L’œuvre du Fils est liée à l’activité missionnaire de l’Église, et en ce sens, Congar avance que l’Esprit Saint est « Co- instituant » de l’Église dans la mesure où c’est « l’Esprit [qui] lui donne la vie et la fait croître en tant même qu’elle est Corps du Christ31. » Pour sa part, Jean Rigal observe que l’Esprit Saint est « Co-instituant » de l’Église parce qu’il n’est pas une « simple fonction du Christ », c’est-à-dire qu’il n’effectue pas uniquement dans l’Église l’œuvre du Christ32. Congar souligne que ce qui revient à l’Esprit Saint vis-à-vis de l’Église est « l’animation de l’institution ecclésiale33. » De même, l’Esprit Saint est « Co-instituant » de l’Église en ce sens qu’il « ne vient pas seulement animer une institution totalement déterminée en ses structures34 ». Toutefois, dans la conception orthodoxe, « le Christ institue et l’Esprit constitue35 ». Cette idée de « constitution » de l’Esprit suppose la participation des fidèles, du Peuple de Dieu dans le corps ecclésial qui est due à sa grâce. De plus, alors qu’en théologie catholique on parle de l’Esprit Saint en tant que « Co-instituant » de l’Église, la théologie orthodoxe emploie plutôt le terme « Con-stituant » pour souligner l’idée de participation, d’engagement et d’acceptation libre :

Dans une seule perspective christologique nous pouvons parler de l’Église comme in-stituée (par le Christ), mais dans une perspective pneumatologique

28 Yves Congar, Je crois en l’Esprit Saint, Paris, Éditions du Cerf, 1979, p. 11-12. 29 Ibid., p. 16. 30 Ibid., p. 27. 31 Ibid., p. 16. 32 J. Rigal, « L’ecclésiologie trinitaire du Père Congar », p. 162. 33 Y. Congar, Le concile du Vatican II : son Église, Peuple de Dieu et Corps du Christ, p. 169. 34 Y. Congar, Je crois en l’Esprit Saint, p. 19. 35 J. Rigal, « L’ecclésiologie trinitaire du Père Congar », p. 167. 37

il nous faut parler comme con-stituée (par l’Esprit). Le Christ institue et l’Esprit constitue. La différence entre ces deux préfixes in— et con— peut être énorme ecclésiologiquement. L’« institution » est quelque chose qui se présente à nous comme un fait, plus ou moins un « fait accompli ». En tant que telle, c’est une provocation à notre liberté. La « constitution » est quelque chose que nous acceptons librement, parce que nous avons part à son surgissement même36.

Par ailleurs, « le Seigneur Jésus et l’Esprit Saint sont ensemble les auteurs du Corps, c’est- à-dire de l’Église en son unité37 ». Il apparaît alors que la relativité du Christ par rapport à l’Esprit Saint constitue le fondement de l’ecclésiologie. Mais aussi, l’Esprit et l’Église, par leur action conjointe, réalisent l’œuvre du Christ. On relève de fait un rapport entre le Christ, l’Esprit Saint et l’Église présenté par Congar comme suit :

Devenu Kyrios et esprit vivifiant, il [le Christ] devient immanent à son corps par son esprit : la Pentecôte suit l’Ascension ; l’Église, qu’il a fondée en lui- même à sa Passion soufferte pour nous, il la fonde maintenant en nous et dans le monde, par l’envoi de son Esprit. Aussi tout ce que fait le Christ Jésus pour la constitution de son Église qui est son Corps, soit en chacun de nous, soit dans la vie totale au groupe, est-il désormais attribué aussi bien à son Esprit : c’est l’Esprit, l’« autre Paraclet », qui est l’agent du Christ dans son Église, et l’on a pu appeler le livre des Actes l’Évangile du Saint-Esprit ; mais tout ce que saint Paul attribue au Christ dans la vie du chrétien, il l’attribue aussi bien, à quelques nuances près, au Saint-Esprit38.

L’Église est veluti sacramentum dans la mesure où l’Esprit du Christ agit au dedans de manière visible tandis que le corps apostolique agit au dehors également de façon visible39. L’Esprit peut par ailleurs être perçu comme l’âme de l’Église, c’est-à-dire l’âme du corps du Christ dans la mesure où elle joue, dans l’Église, le même rôle que l’âme pour le corps humain40. L’Esprit Saint l’éclaire et guide toute sa vie. Ainsi, on peut avancer que la forma ecclesiae est le reflet de l’action de l’Esprit Saint, et c’est pourquoi l’Église doit demeurer constamment attentive à ses motions et se laisser réformer de l’intérieur par son action salvifique. En effet, l’action de l’Esprit Saint vise toujours la construction de l’Église ainsi

36 Jean Zizioulas, Grigorios et Hyacinthe Destivelle, L’Église et ses institutions, Paris, Cerf, 2011, p. 26-27. 37 Y. Congar, Je crois en l’Esprit Saint, p. 33-34. 38 Y. Congar, Esquisses du mystère de l’Église, p. 24. 39 Ibid., p. 36. 40 Y. Congar, Le concile du Vatican II : son Église, Peuple de Dieu et Corps du Christ, p. 31. 38

que sa reformatio ou renovatio. L’Esprit Saint est comme le « principe actif » de l’Église en ce sens qu’il lui permet de scruter, de discerner les signes des temps (GS 44, 2 ; 11, 1), de s’engager dans l’histoire de l’humanité (GS 1) et de transmettre l’héritage du Christ (DV 8, 2 ; 23)41. Mais aussi, l’Esprit Saint est le « principe de vie42 » de l’Église, son « principe de communion et d’unité43 » ainsi que son « principe de rassemblement44 ».

L’Église a un fondement pneumatologique qui repose sur une christologie de l’Esprit que Congar présente comme une christologie s’articulant autour de la christologie classique du Verbe et celle de l’union hypostatique telle que définie au concile de Chalcédoine45 (451). Alors, l’Esprit Saint qui est le moteur de l’Église est le même Esprit de la Trinité, c’est-à- dire « le même Esprit qui est en Dieu, comme Personne procédant par mode d’amour, commun au Père et au Fils, est aussi dans le Christ, Fils incarné, pour le sanctifier, et en nous, dans l’Église46. » Aussi, le fondement pneumatologique de l’Église repose sur le fait que c’est l’Esprit Saint qui anime et habite le corps ecclésial, y distribue ses dons et charismes tout en favorisant la coopération du Peuple de Dieu à l’œuvre de Salut de Dieu47. La pneumatologie de l’Église est par ailleurs développée dans l’ecclésiologie orthodoxe, notamment par le métropolite et théologien Jean (Zizioulas) de Pergame qui soutient que la christologie est éminemment pneumatologique :

Ici le Saint Esprit n’est pas quelqu’un qui nous assiste en comblant la distance entre le Christ et nous-mêmes, mais il est la personne de la Trinité qui réalise actuellement dans l’histoire ce que nous appelons le Christ, cette

41 Ibid., p. 170. 42 Y. Congar, Esquisses du mystère de l’Église, p. 64. 43 « Tous les fidèles, en effet, dispersés à travers le monde, sont, dans l’Esprit Saint, en communion avec les autres, et, de la sorte « celui qui réside à sait que ceux des Indes sont pour lui un membre […] ». (LG 13) 44 « L’évêque, revêtu de la plénitude du sacrement de l’Ordre, porte “la responsabilité de dispenser la grâce du suprême sacerdoce’’, en particulier dans l’Eucharistie qu’il offre lui-même ou dont il assure l’oblation, et d’où vient à l’Église continuellement vie et croissance. Cette Église du Christ est vraiment présente en toutes les légitimes assemblées locales de fidèles qui, unies à leurs pasteurs, reçoivent, dans le Nouveau Testament, eux aussi, le nom d’Églises. Elles sont, en effet, chacune à sa place, le peuple nouveau appelé par Dieu dans l’Esprit Saint et dans une grande assurance (1 Th 1, 5). En elles, les fidèles sont rassemblés par la prédication de l’Évangile du Christ, le mystère de la Cène du Seigneur est célébré ‘‘pour que, par le moyen de la Chair et du Sang du Seigneur, se resserre, en un seul Corps, toute la fraternité’’. » (LG 26.1) 45 Y. Congar, Je crois en l’Esprit Saint, p. 59. 46 Ibid., p. 60. 47 Y. Congar, Le concile du Vatican II : son Église, Peuple de Dieu et Corps du Christ, p. 173. 39

entité absolument personnelle et relationnelle de notre Sauveur […] les fondements même de la christologie sont posés de manière pneumatologique […], le Christ n’existe que de manière pneumatologique et non en Lui-même, tant dans sa particularité de personne distincte que dans Sa capacité de corps de l’Église et de récapitulation de toutes choses48.

L’Esprit Saint est ainsi présenté comme la personne qui réalise historiquement l’évènement du Christ et donc de l’Église qui est son corps. Il assure par le fait même le rassemblement de ce corps qui entoure le Christ, le Peuple de Dieu. L’ecclésiologie est alors pneumatologique vu que « le mystère de l’Église naît ainsi de l’intégralité de l’économie trinitaire et de la christologie constituée de manière pneumatologique49 ». Il y a de fait une articulation entre christologie, pneumatologie et ecclésiologie. On peut cependant avancer que la vie de l’Église est épiclétique puisque la mission de l’Esprit Saint est en lien avec celle du Verbe incarné et que « “l’Église est [alors] le lieu concret où l’œuvre du Salut de Dieu en Jésus-Christ est présente par le Saint Esprit. L’ecclésiologie est [par le fait même] une fonction de la pneumatologie50.” » Cette idée de la « nature épiclétique de l’Église » est empruntée au métropolite Zizioulas qui voit cette réalisation dans l’épiclèse eucharistique51. Toutefois, il affirmait :

L’une des critiques fondamentales que les théologiens orthodoxes ont exprimées quant à l’ecclésiologie de Vatican II concernait la place que le concile a donnée à la pneumatologie dans son ecclésiologie. En général, on avait le sentiment que, en comparaison de la christologie, la pneumatologie ne jouait pas un rôle important dans l’enseignement du concile sur l’Église. Plus particulièrement, on observait que le Saint Esprit entrait dans l’ecclésiologie après que l’édification de l’Église eut été construite avec le seul matériau christologique. Cela, bien entendu, a d’importantes conséquences pour l’enseignement du concile sur des sujets comme les sacrements, le ministère et les institutions ecclésiales en général52.

Pourtant, tel que nous l’avons montré en nous appuyant sur Congar, l’ecclésiologie de Vatican II est christologique et pneumatologique, elle est trinitaire comme l’illustre le schéma et les titres du premier chapitre de la constitution dogmatique sur l’Église Lumen

48 Jean Zizioulas, L’être ecclésial, Genève, Labor et Fides, 1981, p. 99. 49 Ibid., p. 100. 50 Y. Congar, Je crois en l’Esprit Saint, p. 66. 51 Ibid., p. 70. 52 J. Zizioulas, Grigorios et H. Destivelle, L’Église et ses institutions, p. 9. 40

gentium53. Par ailleurs, Zizioulas souligne que la particularité primordiale et essentielle de l’Esprit ou de la pneumatologie est l’eschatologie. En effet, c’est l’Esprit Saint qui ressuscite le Christ et nous introduit dorénavant avec lui dans l’accomplissement définitif du Règne de Dieu. On peut alors parler de diverses fonctions de l’Esprit Saint et par conséquent de la pneumatologie dans l’Église : communion, inspiration, sanctification et eschatologique54.

1.4 Orientation eschatologique de l’Église veluti sacramentum

L’Église veluti sacramentum a une dimension eschatologique, c’est-à-dire un rapport avec le Règne de Dieu55. Aussi, l’Église veluti sacramentum dit de fait comment l’œuvre de Salut du Christ, le dessein d’amour du Père est présent à travers le signe visible56 qu’elle représente, c’est-à-dire le corps du Christ. L’Église est tangible et rend présente l’œuvre de rédemption du Fils de Dieu. Elle est veluti sacramentum dans la mesure où elle est l’image symbolique de la rédemption et remplit par la réalité qu’elle représente. Elle est par ailleurs « l’image, la représentation de la communauté eschatologique57. »

Le Salut est eschatologique vu que l’Église l’espère : « Pour nous, notre cité est dans les cieux, d’où nous attendons aussi comme Sauveur le Seigneur Jésus-Christ » (Ph 3, 20). Ce Salut est déjà inauguré par le Christ, il se poursuit par l’Église et doit être accompli. Il y a là une sorte d’antinomie, « car c’est en espérance que nous sommes sauvés. Or, voir ce qu’on espère, ce n’est plus espérer : car ce qu’on voit pourquoi l’espérer encore ? Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec patience. » (Rm 8, 24) En outre, l’espérance projette l’Église dans l’avenir58, mais comme le Royaume de Dieu est déjà commencé sans être totalement là, elle se dresse au milieu des peuples (Is 11, 10) en signe

53 1. Le but de la Constitution sur l’Église ; 2. Le dessein universel de Salut du Père éternel ; 3. La mission et l’œuvre du Fils ; 4. La sanctification de l’Église par le Saint-Esprit ; 5. Le Royaume de Dieu ; 6. Les diverses images de l’Église ; 7. L’Église, corps mystique du Christ ; 8. L’Église, à la fois visible et spirituelle. 54 J. Zizioulas, Grigorios et H. Destivelle, L’Église et ses institutions, p. 16-17. 55 D.M. Doyle, « Otto Semmelroth and the Advance of the Church as Sacrament at Vatican II », p. 76. 56 Ibid., p. 78. 57 J. Zizioulas, Grigorios et H. Destivelle, L’Église et ses institutions, p. 472. 58 « En vue de l’espérance qui vous est réservée dans les cieux et dont vous avez eu connaissance par la prédication de la vérité évangélique. » (Col 1, 5) 41

de Salut à travers toute sa vie « en attendant la bienheureuse espérance et l’apparition glorieuse de Dieu et Sauveur » (Tt 2, 13). L’Église veluti sacramentum met en évidence l’espérance chrétienne du Salut puisque la communauté des fidèles en pèlerinage chemine au cœur des réalités terrestres dans l’attente eschatologique, de la parousie. C’est ce que l’Église proclame après la prière eucharistique dans la « première acclamation » : « Mortem tuam annuntiamus, Domine, et tuam resurrectionem confitemur, donec venias59. » Les Pères conciliaires énoncent que « Dieu a convoqué l’assemblée de ceux qui dans leur foi regardent vers Jésus, auteur du Salut et principe d’unité et de paix, et l’a constitué en Église, afin qu’elle soit pour tous et pour chacun le sacrement visible de cette unité Salutaire. » (LG 9) En effet, l’assemblée des fidèles est constituée selon la volonté de Dieu en Église, comme signe visible. En ce sens, l’Église est au milieu des nations un signe (Is 11, 10). Alors, parce qu’elle est comme un signe pour les peuples, la forma ecclesiae doit pouvoir signifier ce Salut que l’Église non seulement montre à travers son visage, mais aussi annonce. Elle est par conséquent appelée à être le modèle vivant de la communion d’amour dans le Christ qu’elle proclame et tend à réaliser.

La dimension eschatologique de l’Église se situe dans la continuité de l’action du Christ et de l’Esprit Saint qui la fait vivre, qui l’anime : « Le Christ, unique médiateur, crée et continuellement soutient sur la terre, comme un tout visible, son Église sainte, communauté de foi, d’espérance et de charité, par laquelle il répand, à l’intention de tous, la vérité et la grâce. » (LG 8) De toute évidence, parler de l’orientation eschatologique de l’Église veluti sacramentum revient à mettre en avant la figure du Christ qui en est le rédempteur tel qu’énoncé dans le second article de la constitution dogmatique sur l’Église :

Le Père éternel par la disposition absolument libre et mystérieuse de sa sagesse et de sa bonté a créé l’univers ; il a voulu élever les hommes à la participation de la vie divine ; devenus pécheurs en Adam, il ne les a pas abandonnés, leur apportant sans cesse les secours Salutaires, en considération du Christ rédempteur, « qui est l’image du Dieu invisible, premier-né de toute la création » (Col 1, 15). (LG 2)

59 Tirée du Missel Romain dont la traduction dans le Missel français est « nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire. » 42

L’Église espère le Règne de Dieu par l’intermédiaire du développement du corps du Christ qu’elle est60. Elle est alors signe avant-coureur du Royaume de Dieu. Ce développement se déploie notamment dans l’activité missionnaire de l’Église puisque, veluti sacramentum, elle a pour finalité, non seulement son œuvre missionnaire au sein des sociétés contemporaines, mais aussi l’eschatologie61. L’Église poursuit l’œuvre rédemptrice du Christ dans le monde ainsi que la transfiguration de l’humanité et du cosmos62. L’Église veluti sacramentum est le symbole plein et efficace de la vie ainsi que du Salut divin. Toutefois, ce rôle symbolique est réalisé lorsque les effets de la grâce signifiée s’actualisent dans la réalité humaine, dans le monde. À travers l’Église, le Salut du Christ prend effet dans le monde, se développe et s’étend à travers son activité missionnaire63, mais aussi par l’intermédiaire de toute sa vie.

1.5 L’Église veluti sacramentum et l’humanité

Parler de l’Église veluti sacramentum revient à évoquer la notion de Peuple de Dieu dans la mesure où c’est pour l’humanité qu’elle est dressée et présentée comme un signe de Salut. L’importance du lien entre le signe de l’Église et le Peuple de Dieu est notable dans les documents conciliaires au regard de la récurrence de la terminologie. Congar dit à cet effet que « l’expression [Peuple de Dieu] se trouve dans onze [documents conciliaires], et 39 fois dans Lumen Gentium.64 » Dans le même sens, il ajoute que « la théologie de l’Église comme Peuple de Dieu dans LG s’avère dès maintenant devoir être une valeur ecclésiologique d’avenir. Elle partage ce privilège avec l’idée de “sacrement du Salut” et avec celle de communion, collégialité, réalité ecclésiale des Églises particulières65. » La vision conciliaire de l’Église est celle du Peuple de Dieu entendue comme « communauté de grâce en dépendance de la Trinité par les missions du Fils et de l’Esprit66. »

60 G. Lafont, « La trasformazione strutturale della Chiesa come compito e come chance », p. 151. 61 Hervé Legrand, « Pour quoi l’Église ? Réflexions sur l’Église comme signe et instrument du rassemblement eschatologique des peuples », Prêtres diocésains Mars-Avril (1996), p. 119-120. 62 L. Scheffczyk, « The Church as the universal sacrament of Jesus Christ », p. 27. 63 Ibid., p. 31. 64 Y. Congar, Le concile du Vatican II : son Église, Peuple de Dieu et Corps du Christ, p. 134. 65 Ibid., p. 135. 66 Ibid., p. 166. 43

L’Église veluti sacramentum est aussi une réalité, un rassemblement comme l’indique la notion de Peuple de Dieu. En effet, « l’Église est la réalité de la Nouvelle Alliance, le rassemblement des hommes qui, réconciliés avec Dieu dans le Christ mort et ressuscité pour nous, sont appelés à vivre avec Dieu une vie de fils, de citoyens de la cité céleste, et à entrer en part des biens patrimoniaux de Dieu67. » Congar parle alors de « réalité raciale et charnelle68 » pour bien mettre en évidence le rapport entre l’Église et l’humanité. Il la présente aussi comme « Agapè69 », c’est-à-dire comme une communauté fraternelle. Cela suppose l’engagement du Peuple de Dieu dans l’« agir » chrétien, dans les réalités concrètes du monde de manière à faire sienne « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent ». (GS 1) L’Église est veluti sacramentum, mais aussi apostolique et sociétaire dans la mesure où elle a la forme et les nécessités d’une société. Manifestement, « le Corps mystique n’est pas une chose spirituelle sans rapport avec le monde des réalités et des activités humaines : il est l’Église visible elle-même70 » qui est appelée à s’incarner sans cesse dans le réalisme de l’existence humaine. La vie chrétienne est en ce sens enracinée dans le Christ, elle est spirituelle, mais aussi sociale et ecclésiastique vu que « l’union au Christ, vie intérieure, […] est vécue et procurée socialement dans l’Église71 » que nous avons par ailleurs évoquée comme réalité sociale.

L’Église est signe de Salut, non pas pour elle-même, mais pour le monde, car « [elle n’a] jamais cessé d’être dans le monde le signe du Salut » (GS 43, 6). Cela met en évidence l’identité relationnelle de l’Église puisqu’elle « n’est jamais conçue pour elle-même mais en rapport avec quelque chose d’autre, que ce soit Dieu ou le Christ, ou bien une certaine localité, c’est-à-dire le monde qui l’entoure72. » Cette identité relationnelle présente alors divers aspects : communion avec Dieu (2 P 1, 4) ou encore « l’union intime avec Dieu » (LG 1) ; communion avec les personnes ou « l’unité de tout le genre humain » (LG 1). Il y a de fait une relation dynamique entre l’unité de l’Église et celle de l’humanité : « Ce

67 Y. Congar, Esquisses du mystère de l’Église, p. 11. 68 Ibid., p. 12-13. 69 Ibid., p. 29. 70 Ibid., p. 44. 71 Ibid., p. 62. 72 J. Zizioulas, Grigorios et H. Destivelle, L’Église et ses institutions, p. 107. 44

caractère d’universalité qui brille sur le Peuple de Dieu est un don du Seigneur lui-même, grâce auquel l’Église catholique, efficacement et perpétuellement, tend à récapituler l’humanité entière avec tout ce qu’elle comporte de bien sous le Christ chef, dans l’unité de son Esprit. » (LG 13) Cette unité est le fondement de l’œuvre missionnaire de l’Église dans le monde et dans la continuité de l’action conjointe du Christ et de l’Esprit Saint. D’un autre côté, l’Église n’est pas uniquement veluti sacramentum tel que mentionné dans LG 173, mais plus que cela, elle est sacrement universel de Salut :

Le Christ élevé de terre a tiré à lui tous les hommes (Jn 12, 32) ; ressuscité des morts (Rm 6, 9), il a envoyé sur ses Apôtres son Esprit de vie et par lui a constitué son Corps, qui est l’Église, comme le sacrement universel du Salut ; assis à la droite du Père, il exerce continuellement son action dans le monde pour conduire les hommes vers l’Église, se les unir par elle plus étroitement et leur faire part de sa vie glorieuse en leur donnant pour nourriture son propre Corps et son Sang. (LG 48)

Cela veut dire que l’Église est comme un signe pour tout le genre humain, tant pour les membres de l’Église que pour ceux qui ne le sont pas, car comme signe, elle est dressée au milieu des nations (Is 11, 10) afin d’être visible par tous. Routhier indique en ce sens que dans le contexte actuel où toute la famille humaine n’appartient pas à l’Église, sa fonction est alors d’être au milieu des nations un signe eschatologique : « Non tutta la famiglia umana appartiene alla Chiesa, ma la Chiesa ha, nei suoi confronti, la funzione di essere segno del destino escatologico del mondo e della famiglia umana, cioè segno di riconciliazione o di comunione, ovvero segno di salvezza74. » L’eschatologie est ainsi en lien direct avec ce que nous avons exposé précédemment, c’est-à-dire le Christ, l’Esprit Saint et l’Église. En effet, l’Église est appelée à être dans le monde ce Peuple de Dieu dont l’activité missionnaire se situe dans la continuité de celle du Christ et de l’Esprit. Selon Congar, cela peut être notable à deux niveaux : dans ses charismes, vu que c’est l’Esprit Saint qui édifie la « communauté-Église » à travers ses différents dons75 ; et dans les Églises particulières vu qu’elles illustrent dans leur rapport avec l’Église universelle le

73 « L’Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ». (LG 1) 74 G. Routhier, « Al di là della Chiesa ad intra/Chiesa ad extra: la Chiesa come sacramento di salvezza », p. 66. 75 Y. Congar, Je crois en l’Esprit Saint, p. 38. 45

« principe de rassemblement » et le « principe de communion » de l’Esprit Saint76. Ces dimensions de communauté et communion sont essentielles puisqu’« il n’y a pas d’Église sans la communauté, comme il n’y a pas de Christ sans le corps, ou d’ “un” sans le “multiple77’’. » L’Église veluti sacramentum renvoie de fait à ce qu’elle est dans/pour le monde comme le souligne Routhier :

L’Église ne peut être conçue comme sacrement pour le monde que lorsqu’elle est l’autre du monde. On n’est pas surpris alors que la notion de sacrement du Salut ait été si souvent reprise dans le document conciliaire qui s’intéresse à la relation entre l’Église et le monde, ou dans le Décret Ad gentes sur l’activité missionnaire de l’Église. Même dans Lumen gentium, poser l’Église « comme un sacrement » exprime immédiatement ce qu’elle prétend être dans le monde et pour le monde comme le montre éloquemment le texte : « Le Christ est la Lumière des nations » enseigne les premiers mots de la Constitution, le situant d’emblée dans son rapport au monde. Quant à l’Église, elle est « pour sa part, dans le Christ comme un sacrement »78.

L’Église s’inscrit dans le désir de Dieu de sauver tous les humains : « Cela est bon et agréable aux yeux de Dieu notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. » (1 Tm 2, 4) Le Salut apporté par l’intermédiaire de l’Église n’altère cependant pas la liberté humaine dans la mesure où cela « consiste en ce que Dieu intervient dans l’histoire pour instaurer un nouveau rapport dialogual avec l’[humanité], une [humanité] qui demeure pleinement elle-même face à un Dieu distinct de lui79. »

L’Église veluti sacramentum a des effets sur toute sa vie et à tous les niveaux, notamment sur sa réalité spirituelle et humaine, mais aussi un effet sur son activité missionnaire qui est en même temps l’activité humaine et le travail de la divine Trinité, car « l’Esprit Saint pousse [l’Église] à coopérer à la réalisation totale du dessein de Dieu qui a fait du Christ le principe du Salut pour le monde tout entier. » (LG 17) Toutefois, dans le contexte actuel, elle aspire, comme le signale Congar, à une plus grande liberté, à une universalité majeure

76 Ibid., p. 40. 77 J. Zizioulas, Grigorios et H. Destivelle, L’Église et ses institutions, p. 23. 78 G. Routhier, « L’Église comme sacrement du Salut. Une réception encore en attente », p. 10. 79 Romano Penna, « Salut », dans Jean-Yves Lacoste et Olivier Riaudel (dir.), Dictionnaire critique de théologie, Paris, Quadrige/PUF, 2007, p. 1277. 46

et à une réconciliation avec le monde moderne80. Ainsi, comme signe de Salut, l’Église est appelée à travers toute sa vie à témoigner de manière crédible au cœur de l’humanité afin d’être ce signe levé pour les peuples.

2 La vie de l’Église comme témoignage

Comment doit être l’Église dans le monde ou dans son rapport au monde ? Cette interrogation, souligne Seveso, porte sur l’action et l’« agir » de l’Église et non pas sur la connaissance ou le savoir ; car il y a davantage besoin de personnes « saintes » que de personnes qui « connaissent », il y a davantage besoin de « témoins » qui rendent comptent de leur vie au cœur de l’existence humaine que de « maîtres » qui enseignent81. Il n’y a pas d’opposition, mais un écart entre les charismes donnés à l’Église par l’Esprit Saint et l’institution. En effet,

Après qu’on ait vu dominer une tendance à subordonner étroitement, sinon même à réduire les charismes à l’autorité instituée, on a constaté chez quelques-uns une tendance contraire : l’organisme ecclésial serait de structure charismatique, l’institutionnel n’ayant qu’un rôle second de suppléance. Il faut reconnaître à chaque type de don et d’opération sa place dans l’édification de l’Église82.

Il n’est alors pas possible de parler de témoignage en faisant fi de l’Esprit Saint puisque c’est lui qui assure le lien de continuité dans l’activité missionnaire de l’Église avec l’œuvre du Christ. Autrement dit, l’Esprit Saint est le « principe actif » du témoignage chrétien qui est, non seulement prophétique, mais aussi apostolique. Il unit deux valeurs, la mémoire et l’attestation des évènements survenus, ainsi que la dynamique des évènements présents y compris ceux à venir83. « Ainsi la fidélité au témoignage n’est pas tournée seulement vers le passé, mais vers l’eschatologie et donc un accomplissement dans toute

80 Nunzio Capizzi, « “Vera e false riforma nella Chiesa: rilettura di un’opera di Y.M. Congar” », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 287. 81 B. Seveso, « Teologia pastorale e cifre sintetiche della riforma ecclesiale », p. 87. 82 Y. Congar, Esquisses du mystère de l’Église, p. 22-23. 83 Ibid., p. 59. 47

l’histoire84. » En ce sens, il y a une dimension eschatologique du témoignage que l’Église est appelée à porter aux nations à travers son signe.

L’Église en vue de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain est aussi invitée à rendre témoignage au mystère de réconciliation et de communion. « Il n’y a plus alors de dissociation entre l’être et le faire de l’Église, entre ce qu’elle est et ce qu’elle annonce85. » Alors, l’Église est dans le monde le signe qui interpelle par le témoignage :

Nel mondo o in mezzo alle nazioni la Chiesa è segno, interpella. Lo fa in ragione della sua presenza nel mondo, lasciando che la luce di Cristo risplenda sul suo volto. Essa stessa è dunque proposta del vangelo della riconciliazione. Pensare alla Chiesa come “sacramento di salvezza” significa dunque mettere l’accento sul valore del segno e della testimonianza donata dalla Chiesa, testimonianza di un mondo riconciliato e di comunione con Dio e tra gli uomini. Questa testimonianza resa dalla Chiesa come assemblea e come popolo, e non solamente come testimonianza individuale dei battezzati, conduce naturalmente a esaminare tutto ciò che è visibile nella Chiesa86.

Le témoignage renvoie aussi à l’interrogation sur le but de l’Église : Pour quoi l’Église? Ou « l’Église pour quoi faire ? Pour témoigner de cette réconciliation qui nous vient de Dieu, par grâce87. » L’accueil et la réconciliation sont donc les moyens à travers lesquels l’Église peut être aujourd’hui un véritable signe crédible « entre les personnes et les groupes aux appartenances culturelles et sociales différentes88. » La relation de l’Église avec le monde est alors celle de l’amour, car c’est à travers cela que l’Église est capable de témoigner que la proposition de la foi pour laquelle elle existe est un reflet de l’amour du Père qui, en Jésus-Christ aime et sauve le monde89. L’activité missionnaire de l’Église passe par le témoignage comme l’atteste le livre des Actes des Apôtres qui fait état du témoignage des

84 Ibid., p. 69. 85 G. Routhier, « L’Église comme sacrement du Salut. Une réception encore en attente », p. 8. 86 G. Routhier, « Al di là della Chiesa ad intra/Chiesa ad extra: la Chiesa come sacramento di salvezza », p. 66-67. 87 H. Legrand, « Pour quoi l’Église ? Réflexions sur l’Église comme signe et instrument du rassemblement eschatologique des peuples », p. 130. 88 Gilles Routhier, « L’Église : “sacrement” du vivre ensemble de la diversité de la famille humaine », Lumen Vitae LXX/4 (2015), p. 391. 89 S. Dianich, « Dall’atto del “vangelo” alla “forma ecclesiae” », p. 139. 48

disciples du Christ, non seulement par leur parole90, mais aussi par leurs gestes. De la sorte, « tous les baptisés sont appelés à s’assembler en un seul troupeau, afin de pouvoir ainsi de façon unanime rendre témoignage du Christ leur Seigneur devant les nations. S’ils sont encore incapables de donner le témoignage d’une foi unique, il faut au moins qu’ils soient animés par une estime et une charité réciproques. » (AG 7) C’est donc par toute leur vie que les fidèles qui constituent le corps du Christ sont appelés à témoigner, et comme l’énoncent les Pères conciliaires,

Il faut que l’Église soit présente dans ces groupes humains par ses enfants, qui y vivent ou sont envoyés vers eux. Car tous les fidèles, partout où ils vivent, sont tenus de manifester, par l’exemple de leur vie et le témoignage de leur parole, l’homme nouveau qu’ils ont revêtu par le baptême et la force du Saint-Esprit qui les ont fortifiés par la confirmation, afin que les autres, considérant leurs bonnes œuvres, glorifient le Père (Mt 5, 16) et perçoivent plus pleinement le sens authentique de la vie humaine et le lien universel de communion entre les hommes. (AG 11)

Le témoignage est aussi le signe visible de ce que l’Église « est » et « fait », car cela précède ce qu’elle « dit ». En ce sens, si elle est par exemple une Église pauvre et miséricordieuse, reflet de l’amour du Père, alors elle ne peut qu’annoncer de manière crédible la pauvreté du cœur, la miséricorde et l’amour dans la mesure où elle est elle- même le discours qu’elle annonce. Routhier parle alors de la transparence du discours91. La constitution dogmatique sur la révélation divine du concile Vatican II présente le message de l’Évangile, non pas comme un exposé synthétique des dogmes de la foi, mais comme le témoignage d’une histoire de Salut92. Ainsi, « Dieu, qui crée (Jn 1, 3) et conserve toutes choses par le Verbe, donne aux hommes dans les choses créées un témoignage incessant sur lui-même (Rm 1, 19-20). » (DV 3) C’est encore « lui-même qui, à travers les prophètes en acquit une intelligence de jour en jour plus profonde et plus claire, et en porta un témoignage grandissant parmi les nations (Ps 21, 28-29; 95, 1-3; Is 2, 1-4; Jr 3, 17). » (DV 14) Finalement, « il n’échappe à personne qu’entre toutes les Écritures, même celles du Nouveau Testament, les Évangiles possèdent une supériorité méritée, en tant qu’ils constituent le témoignage par excellence sur la vie et sur la doctrine du Verbe incarné, notre

90 Y. Congar, Esquisses du mystère de l’Église, p. 37. 91 G. Routhier, « L’Église : “sacrement” du vivre ensemble de la diversité de la famille humaine », p. 17. 92 G. Lafont, « La trasformazione strutturale della Chiesa come compito e come chance », p. 157. 49

Sauveur. » (DV 18) La vie dont l’Église est porteuse et qui constitue son identité même ainsi que l’objet de son action apostolique dans l’histoire est gratuitement donnée par Dieu à l’être humain et est visible dans l’institution93. Le témoignage de l’Église est alors un langage puisque c’est à travers toute sa vie, ses formes institutionnelles, ses pratiques, etc., qu’elle parle de Dieu et annonce l’Évangile aux nations :

The Church makes herself more credible if she speaks less of herself and ever more preaches Christ Crucified (1 Cor 22) and witnesses with her own life. In this way the Church is sacrament, that is, sign and instrument of communion with God and also of communion and reconciliation of men with one another. The message of the Church, as described in the Second Vatican Council, is Trinitarian and Christocentric94.

L’Église vise à faire don au monde de la lumière et du pouvoir spirituel dont il a besoin pour réaliser sa tâche et son but, c’est-à-dire « l’unité de la famille humaine » (LG 42, 1). Finalement, l’enracinement de l’Église dans la société se fait en trois étapes identifiées par Ad gentes (numéros 7 à 11 et 13) : (1) le témoignage chrétien permettant de créer des liens entre les humains, (2) la prédication de l’Évangile qui vise l’unité du Peuple de Dieu, (3) la formation de la communauté chrétienne95. Ceci montre que le rapport de l’Église avec le monde ne commence pas par son « dire », par son enseignement ou ses dogmes, mais par sa présence ainsi que son style, sa manière d’entrer et d’être en relation avec le monde dans sa réalité.

2.1 Style et « pastoralité »

L’Église, à travers sa vie, témoigne au milieu des nations sous différentes formes. En ce sens, la forma ecclesiae mise en avant pour rejoindre nos contemporains se présente comme la forma di povertà. Ainsi, l’Église qui, dans son souci d’annoncer l’Évangile aux peuples, prend la forma di povertà signifie qu’elle s’approprie sérieusement et systématiquement

93 Sandra Mazzolini, « Immagini ecclesiali e natura essenzialmente missionaria della Chiesa », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 341. 94 D.M. Doyle, « Otto Semmelroth and the Advance of the Church as Sacrament at Vatican II », p. 82. 95 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 165-166. 50

l’exemple du Christ96, dans la poursuite de sa tâche messianique ; qu’elle s’identifie avec l’urgence et les problèmes actuel de nouveaux pauvres et des formes de pauvreté97. Cette forma di povertà identifiée dans LG 898 reflète comment doivent être le style et l’action de l’Église. Il y a de fait une analogie entre ce que « fait » l’Église et le Christ, entre la forma ecclesiae et la forma Christi. En effet, à l’instar du Christ qui s’est « autoanéanti » et « autoappauvri » par amour pour l’humanité, l’Église est appelée à suivre la même voie : « Car vous savez la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui pour vous s’est fait pauvre, de riche qu’il était, afin de vous faire riches par sa pauvreté. » (2 Co 8, 9) La forma ecclesiae adéquate pour l’annonce de l’Évangile est donc liée au service et à l’« agir » pastoral de l’Église99.

Parmi les tares qui minent l’existence humaine aujourd’hui, Repole signale les limites culturelles et parle d’une croissance de l’individualisme, une grande valorisation de la différence qui engendre l’indifférence, le paradoxe de l’exaspération de l’individu qui s’accompagne de la recherche d’harmonie avec l’autre, mais aussi avec Dieu et qui risque de se convertir en fusion ou confusion, une forte crise liée à l’espérance. Devant un tel constat, il présente une Église appelée à être une Église de communion ; une Église fraternelle où la vie fraternelle se vit dans la filiation divine ; une Église au visage mystique

96 « Mais, comme c’est dans la pauvreté et la persécution que le Christ a opéré la rédemption, l’Église elle aussi est appelée à entrer dans cette même voie pour communiquer aux hommes les fruits du Salut. Le Christ Jésus “qui était de condition divine s’anéantit lui-même prenant condition d’esclave’’ » (Ph 2, 6), pour nous « il s’est fait pauvre, de riche qu’il était’’ (2 Co 8, 9) […] » (LG 8, 3) 97 G. Ruggieri, « Evangelizzazione e stili ecclesiali: Lumen Gentium 8, 3 », p. 265. 98 « Mais, comme c’est dans la pauvreté et la persécution que le Christ a opéré la rédemption, l’Église elle aussi est appelée à entrer dans cette même voie pour communiquer aux hommes les fruits du Salut. Le Christ Jésus “qui était de condition divine s’anéantit lui-même prenant condition d’esclave” (Ph 2, 6), pour nous “il s’est fait pauvre, de riche qu’il était” (2 Co 8, 9). Ainsi l’Église, qui a cependant besoin pour remplir sa mission de ressources humaines, n’est pas faite pour chercher une gloire terrestre mais pour répandre, par son exemple aussi, l’humilité et l’abnégation. Le Christ a été envoyé par le Père “pour porter la bonne nouvelle aux pauvres,... guérir les cœurs meurtris” (Lc 4, 18), “chercher et sauver ce qui était perdu” (Lc 19, 10) : de même l’Église enveloppe de son amour ceux que l’infirmité humaine afflige, bien plus, dans les pauvres et les souffrants, elle reconnaît l’image de son fondateur pauvre et souffrant, elle s’efforce de soulager leur misère et en eux c’est le Christ qu’elle veut servir. Mais tandis que le Christ saint, innocent, sans tache (He 7, 26) ignore le péché (2 Co 5, 21), venant seulement expier les péchés du peuple (cHe 2, 17), l’Église, elle, enferme des pécheurs dans son propre sein, elle est donc à la fois sainte et toujours appelée à se purifier, poursuivant constamment son effort de pénitence et de renouvellement. » 99 P. Carrara, « Forma ecclesiae. Per un cattolicesimo di popolo oggi: “per tutti” anche se non “di tutti” », p. 4. 51

vécue dans une commune de participation à la vie divine ; une Église comme signe d’espérance au cœur de l’existence humaine ; une Église responsable du monde100.

Bressan propose, quant à lui, d’effectuer un passage de la gouvernance à la représentativité dans la vie de l’Église, car une telle attitude pourrait favoriser une nouvelle manière de regarder l’Église aujourd’hui. Pour ce faire, il décrit le passage à la communauté chrétienne future de la manière suivante : (1) d’une paroisse traditionnelle et froide à une communauté chaleureuse et accueillante ; (2) d’une célébration fatiguée et distante à une liturgie vivante et participative ; (3) d’une institution éloignée et distante à des formes communautaires de solidarité bienveillantes et ouvertes ; (4) d’une autorité cléricale et tyrannique à un partage global de la responsabilité de la vie communautaire ; (5) d’une prédication morale et légaliste à une annonce passionnée de la Bonne Nouvelle qu’est l’Évangile ; (6) d’une fermeture stérile dans ses propres espaces et rites à une ouverture enthousiaste au monde, un envoi décidé à la mission101. Ainsi donc, c’est toute la vie de l’Église qui est concernée, car son style lui permettrait de rejoindre ses interlocuteurs. La question de l’autorité dans le gouvernement ecclésial doit, selon le cardinal Martini, s’exprimer dans une collégialité effective, une communication catholique et des relations à l’intérieur des Églises locales (ministères, charismes, mouvement)102.

La sollicitude maternelle et la sollicitude pastorale de l’Église associées à la forma maternae et au stilus pastoralis de l’Église sont des postures qui devraient, elles aussi, caractériser le gouvernement et l’autorité. C’est ce qu’énonce par exemple le décret sur la charge pastorale des évêques dans l’Église (CD 13)103. En effet, les pasteurs y sont invités à

100 Roberto Repole, « Quale Chiesa per l’uomo che abita la postmodernità? », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 325-326. 101 L. Bressan, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui convivere », p. 37-38. 102 Carlo Maria Martini, « “In mezzo a voi comme chi serve” (Lc 22,27). L’esercizio dell’autorità nella Chiesa a misura di Vangelo », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 195. 103 « Les évêques doivent proposer la doctrine chrétienne d’une façon adaptée aux nécessités du moment, c’est-à-dire en répondant aux difficultés et questions qui angoissent le plus les hommes ; il leur faut veiller sur cette doctrine, apprenant aux fidèles eux-mêmes à la défendre et à la répandre. Dans sa transmission, qu’ils manifestent la sollicitude maternelle de l’Église à l’égard de tous les hommes, fidèles ou non, et qu’ils accordent une particulière attention aux pauvres et aux petits, que le Seigneur les a envoyés évangéliser. […]Pour annoncer la doctrine chrétienne, il faut user des moyens variés qui sont aujourd’hui à 52

exprimer dans le munus docendi une véritable sollicitude pastorale ainsi que la maternelle sollicitude de l’Église envers tous les peuples. Chaque action pastorale est ainsi appelée à devenir une modalité maternelle dans la façon de faire. « Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus avoir de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierai pas. » (Is 49, 15) À l’instar de Dieu qui n’oublie pas ses enfants, l’Église est appelée par toute sa vie à se tourner vers l’humanité avec un regard de tendresse, à ne point abandonner l’humanité quelles qu’en soient les raisons : « Vais-je t’abandonner, Éphraïm, et te livrer, Israël ? Vais-je t’abandonner comme Adma, et te rendre comme Seboïm ? Non ! Mon cœur se retourne contre moi ; en même temps, mes entrailles frémissent. » (Os 11, 8) En effet, « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur » (GS 1), tout comme dans le cœur de Dieu.

En outre, puisque Dieu, à la manière d’une mère, se laisse toucher au plus profond de ses entrailles par l’humanité, l’Église qui poursuit la mission du Christ et de l’Esprit dans le monde est invitée à sa suite à être miséricordieuse, à être le signe de l’amour inconditionnel du Père : « Éphraïm n’est-il pas pour moi un fils précieux, n’est-il pas un enfant de délices, puisque son souvenir ne me quitte plus chaque fois que j’ai parlé de lui ? Voilà pourquoi, à cause de lui, mes entrailles frémissent ; oui, je lui ferai miséricorde — oracle du Seigneur. » (Jr 31, 20) Une telle attitude maternelle de l’Église suppose donc une place centrale de la miséricorde qui, selon Routhier, est « de l’ordre de l’agir104 ». En ce sens, les œuvres de l’Église dans les champs pastoraux et toutes les autres sphères de sa vie, notamment dans son engagement envers les personnes victimes de toute forme de pauvreté, doivent en être habitées. L’Église est donc appelée à être un signe vivant parmi les peuples par son attitude miséricordieuse et maternelle, à travers son amour pour tout le genre humain. Ziviani

notre disposition : avant tout, la prédication et l’enseignement catéchétique qui tiennent toujours la première place ; également la présentation de la doctrine dans les écoles et les académies par des conférences et des réunions de tout genre ; enfin sa diffusion par des déclarations publiques faites à l’occasion de certains évènements, ainsi que par la presse et les divers moyens de communication sociale qu’il importe absolument d’utiliser pour annoncer l’Évangile du Christ. » 104 G. Routhier, « La miséricorde : fondement, principe et critère de toute réforme dans/de l’Église », p. 1. 53

soutient que la maternité de l’Église influence sa dynamique communicationnelle qui est plutôt dialoguale dans la mesure où elle est capable d’accepter la confrontation à travers diverses sensibilités dans la patience, l’écoute plutôt que l’argumentation et l’apologie105. Aussi, l’écoute de la Parole de Dieu et la rencontre avec les personnes ou les peuples divers constituent de fait l’expression de la « pastoralité » de l’Église. L’attitude dialoguale de l’Église avec le monde consiste alors en ce qu’elle le considère comme un interlocuteur en vue d’avancer avec lui sous l’action de l’Esprit Saint. De la sorte, le rapport de l’Église avec le monde est celui d’un échange, d’un dialogue dans la mesure où, comme énoncé dans GS, l’Église apporte quelque chose au monde et reçoit aussi de lui en retour106. C’est également une nécessité dans la vie même de l’Église. Dianich avance par exemple le fait que l’Église a aussi besoin d’effectuer un véritable travail sur le plan théologique, car la théologie systématique doit nécessairement recourir à un véritable dialogue avec la théologie pratique, le droit canonique et le ministère des pasteurs dans la mesure où cela doit refléter une dynamique de participation, de coresponsabilité, de synodalité dans toute sa vie107. Ziviani emploie l’image de la femme en gestation pour montrer l’importance du choix post-conciliaire de la synodalité et de la participation à tous les niveaux de la vie de l’Église. En effet, c’est comme une sorte de gestation de l’Église au cours de laquelle elle est plus écoutante, où elle est présente à l’autre. L’approche maternelle de l’Église peut aussi orienter l’« agir » chrétien tant au niveau personnel que communautaire 108 . Finalement, la forma maternae est pour l’Église une voie de service qui l’engage dans le monde, non pas de manière rhétorique ni simpliste, mais à travers l’existence humaine, c’est-à-dire « les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent » (GS 1) à l’instar de la fatigue et des douleurs de l’accouchement. Ce faisant, l’Église se décentre d’elle-même, par rapport à sa

105 G. Ziviani, « La Chiesa Madre: immagine di rinnovamento », p. 356. 106 « L’Église constate avec reconnaissance qu’elle reçoit une aide variée de la part d’hommes de tout rang et de toute condition, aide qui profite aussi bien à la communauté qu’elle forme qu’à chacun de ses fils […] » (GS 44, 3) 107 Piero Coda, « Conclusioni », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 273. 108 G. Ziviani, « La Chiesa Madre: immagine di rinnovamento », p. 356-359. 54

propre vie institutionnelle, car c’est là une exigence de sa sacramentalité et « ce qui doit l’intéresser, ce n’est pas sa propre survie, mais le témoignage rendu à un autre109. »

La question pastorale de l’Église dans le contexte actuel est aussi une question politique et culturelle dans la mesure où elle et son activité missionnaire sont interpelées par la situation actuelle, mais aussi la société110. « Certes, la mission propre que le Christ a confiée à son Église n’est ni d’ordre politique ni d’ordre économique ou social : le but qu’il lui a assigné est d’ordre religieux. Mais, précisément, de cette mission religieuse découlent une fonction, des lumières et des forces qui peuvent servir à constituer et à affermir la communauté des hommes selon la loi divine. » (GS 42, 2)

Aux yeux du pape Jean XXIII, la pastorale est le fait que l’Église se préoccupe non seulement de la garde du dépôt de la foi, mais aussi qu’elle considère comme faisant partie de sa tâche la préoccupation de la « Tradition/traduction » de ce dépôt qui permet aux humains d’aujourd’hui d’accéder à son contenu. En effet, la « pastoralité » est la posture que le pape Jean XXIII a voulu pour la transformation de toute la vie de l’Église. Et au cœur de cette réflexion se situe la question du rapport entre la forma ecclesiae et la « Nouvelle Évangélisation » (NE). Le principe de « pastoralité » renvoie à la manière évangélique de procéder et d’être en relation avec l’autre111, mais aussi à une manière d’agir qui « comporte deux versants : une manière d’entendre la Parole de Dieu et une manière de s’entendre mutuellement112. »

Le concept de principe pastoral de Bressan ou de « pastoralité » de Theobald permet à l’Église de déterminer une forma ecclesiae moins complexe de son institution, car c’est une des attitudes sine qua non pour l’évangélisation. En effet, ce principe pastoral en question favorise une considération plus avancée de la dimension sociale de l’Église qui est essentielle dans son rapport au monde. D’ailleurs, la tâche de la dimension sociale de l’Église porte sur le rapport avec la culture qui conditionne l’annonce de l’Évangile.

109 G. Routhier, « L’Église comme sacrement du Salut. Une réception encore en attente », p. 6. 110 G. Ambrosio, « Forme di cattolicesimo nella postmodernità. Limiti e chances di un “cattolicesimo fragile” », p. 70. 111 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 68. 112 Ibid., p. 169. 55

L’écoute de la culture et l’emploi de la langue sont des instruments pour dire l’Évangile dont l’Église ne peut se passer. De toute évidence, la culture a un rôle actif dans la construction de l’Église et de sa pastorale113. Selon les Pères conciliaires, « comme elle possède une structure sociale visible, signe de son unité dans le Christ, l’Église peut aussi être enrichie, et elle l’est effectivement, par le déroulement de la vie sociale : non pas comme s’il manquait quelque chose dans la constitution que le Christ lui a donnée, mais pour l’approfondir, mieux l’exprimer et l’accommoder d’une manière plus heureuse à notre époque. » (GS 44, 3) Bressan lie ensemble le principe pastoral et le principe théologique qui, selon lui, structurent une idée de pastorale basée sur deux axes : un axe vertical ou théologique qui fonde l’identité de l’Église et donne un contenu, ainsi qu’une forme pratique à son institution, et un axe horizontal ou ecclésiologique structuré comme institution symbolique qui porte sur la Parole, les sacrements et ministères114.

La pastorale doit guider la pratique de toute la vie de l’Église, car c’est elle qui anime l’« agir » ecclésial. Alors, le développement de la théologie est appelé à prendre en compte l’étude de la structure ecclésiale ainsi que de la vie même de l’Église. La doctrine et les décisions relatives à la forma ecclesiae, à toute la vie de l’Église, pourraient de fait se faire dans le cadre de réflexions théologico-pastorales115. En effet, l’approche théologico- pastorale suppose, selon Seveso, une identification de la compétence pastorale non identique à des acquisitions d’habiletés techniques, mais plutôt considérée comme une culture de la capacité du sujet à déterminer des actions réalistes116. En outre, selon Bressan, le principe pastoral est au centre de la question de la forma ecclesiae en vue de l’évangélisation. Il fonde sa thèse sur le concile Vatican II dans la mesure où il a situé ou orienté la « pastoralité » en vue de l’évangélisation, de la forme de proposition du message chrétien. Il s’agit de fait d’une forme qui entend exprimer un nouveau style de présence, d’action et d’autoconscience de l’Église, une nouvelle attitude117. Une telle attitude est

113 L. Bressan, « Quale forma di Chiesa per l’evangelizzazione oggi? Nuova evangelizzazione e riforma della Chiesa », p. 304. 114 Ibid., p. 305. 115 B. Seveso, « Teologia pastorale e cifre sintetiche della riforma ecclesiale », p. 89. 116 Ibid., p. 92. 117 L. Bressan, « Quale forma di Chiesa per l’evangelizzazione oggi? Nuova evangelizzazione e riforma della Chiesa », p. 301. 56

basée sur le langage de l’Église, son dialogue avec le monde « sous l’impulsion de l’Esprit consolateur, l’œuvre même du Christ, venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité, pour sauver, non pour condamner, pour servir, non pour être servi. » (GS 3, 2) L’attitude de l’Église porte aussi sur sa capacité à lire sa propre réalité, c’est-à-dire sa dimension institutionnelle, mais aussi son aptitude à habiter l’Écriture d’une manière adéquate avec la réalité du monde, c’est-à-dire à « scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques. » (GS 4, 1) Manifestement, le stilus pastoralis de l’Église l’oriente sur une forme d’évangélisation adaptée au contexte. C’est de fait un style nouveau de présence, d’action, de conscience de soi et d’attitude, c’est un langage.

2.2 La forma ecclesiae comme langage

L’Église est veluti sacramentum parce qu’elle est « à la fois le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG 1). Cette conception de l’Église l’engage au témoignage, à être un signe de l’amour entre les humains, un signe de miséricorde, de réconciliation et de communion entre tous les peuples de la terre telle que l’énoncent les Pères conciliaires :

En effet, promouvoir l’unité s’harmonise avec la mission profonde de l’Église, puisqu’elle est « dans le Christ, comme le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu, et de l’unité de tout le genre humain ». Sa propre réalité manifeste ainsi au monde qu’une véritable union sociale visible découle de l’union des esprits et des cœurs, à savoir de cette foi et de cette charité, sur lesquelles, dans l’Esprit Saint, son unité est indissolublement fondée. (GS 42, 3)

Parce que l’Église est veluti sacramentum, c’est-à-dire comme un signe, elle parle au monde et annonce la réalité qu’elle est : « Non c’è più allora dissociazione fra l’essere e il

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fare della Chiesa, fra ciò Che essa è e ciò che essa annuncia.118 » La constitution dogmatique sur la révélation divine, dans le quatrième paragraphe indique :

Jésus-Christ donc, le Verbe fait chair, « homme envoyé aux hommes », « prononce les paroles de Dieu » (Jn 3, 34) et achève l’œuvre de Salut que le Père lui a donnée à faire (Jn 5, 36 ; 17, 4). C’est donc lui — le voir, c’est voir le Père (Jn 14, 9) — qui, par toute sa présence et par la manifestation qu’il fait de lui-même par ses paroles et ses œuvres, par ses signes et ses miracles, et plus particulièrement par sa mort et sa résurrection glorieuse d’entre les morts, par l’envoi enfin de l’Esprit de vérité, achève en l’accomplissant la révélation, et la confirme encore en attestant divinement que Dieu lui-même est avec nous pour nous arracher aux ténèbres du péché et de la mort et nous ressusciter pour la vie éternelle. (DV 4)

Par analogie, si l’Église est veluti sacramentum, alors, elle est signe du Salut conféré par le Christ à travers sa présence au monde, ce qu’elle montre à son sujet, ainsi que par ses œuvres. La forma ecclesiae par laquelle l’Église est tangible est alors langage dans la mesure où toute sa vie est comme un signe qui indique ce qu’elle « est », ce qu’elle « fait », et ce qu’elle « dit ». Papathanasiou présente le langage de l’Église comme une invitation119 tel que perçu dans la conception orthodoxe. Le langage ecclésial ne se limite donc pas uniquement aux mots, mais il exprime pour le genre humain des réalités indescriptibles par des mots. C’est une invitation qui met en mouvement, qui ouvre à la rencontre avec la vérité, le Christ : « Moi, je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. » (Jn 14, 6) Si donc le langage de l’Église est une invitation qui met en chemin, qui interpelle les hommes et les femmes de chaque époque dans leur réalité, il s’en suit que la renovatio ou la reformatio ecclésiale est une nécessité permanente qui garantit la transmission du message de l’Évangile. C’est d’ailleurs en ce sens que

Le concile Vatican II a présenté la conversion ecclésiale comme l’ouverture à une réforme permanente de soi par fidélité à Jésus-Christ : « Toute rénovation de l’Église consiste essentiellement dans une fidélité plus grande à sa vocation […] L’Église au cours de son pèlerinage est appelée par le Christ à cette réforme permanente dont elle a perpétuellement besoin en tant qu’institution humaine et terrestre. » (EG 26)

118 G. Routhier, « Al di là della Chiesa ad intra/Chiesa ad extra: la Chiesa come sacramento di salvezza », p. 68. 119 A.N. Papathanasiou, « The Language of Church and World », p. 42. 58

L’Église, à travers toute sa vie, est comme une présence (espace) qui exprime (langage) l’attitude de Dieu envers l’humanité. Cet espace et ce langage sont au cœur de la culture en vue de permettre une annonce crédible de l’Évangile, une annonce qui rejoint ses interlocuteurs. Le langage, comme le dit Gadamer, ne suppose pas uniquement une parole, un « dire », mais aussi l’écoute de son interlocuteur, la prise en compte de sa réalité120. Ce n’est qu’à cette condition que l’Église peut savoir si son signe est effectivement visible, si son langage est compris par le monde à qui elle d’adresse, si sa présence et son témoignage sont véritablement un langage. L’institutionnalité de l’Église, comme le souligne Routhier, ainsi que ses pratiques et sa réalité extérieure sont langage puisque « l’Église ne parle pas au monde seulement à travers sa proclamation en parole, mais elle parle d’abord par ce qu’elle “est” et ce qu’elle “fait”. Si l’on réalise cela, on passe alors du dit au dire, de l’énoncé à l’énonciation121. » En effet, DV 4 mentionné précédemment indique que toutes les œuvres et les paroles du Verbe sont langage et par analogie, l’Église qui s’inscrit dans la continuité de la mission du Verbe parle au monde à travers ses œuvres et ses paroles. Aussi, comme l’appuie Routhier, il y a de fait une adéquation entre la parole et les actions, entre le « dire » et le « faire » de l’Église à travers son institution, sa forma ecclesiae, bref, toute sa vie.

Nous pouvons alors dire que l’Église veluti sacramentum du Salut met en évidence le caractère langagier de sa forma ecclesiae, car par ce qu’elle « est » et « fait », par son témoignage, elle parle à nos contemporains du mystère du Salut de Dieu. Elle est davantage langage pour aujourd’hui par sa présence et ses gestes, plus que par ses mots. Ainsi, parler de la forma ecclesiae comme langage met en jeu la crédibilité du témoignage de l’Église dans la mesure où ce qu’elle « est » doit se refléter dans toute sa vie, dans tout ce qu’elle « fait » et dans ce qu’elle « dit ». Par exemple, « si le nom de Dieu est Miséricorde, la figure de l’Église, sur laquelle doit resplendir la lumière du Christ, doit être miséricorde. Le fait que l’on croit que le nom de Dieu est Miséricorde doit s’exprimer et se manifester à travers le droit de l’Église, ses formes institutionnelles, ses procédures et ses pratiques122. » Il est

120 H.G. Gadamer, « Troisième partie – Tournant ontologique pris par l’herméneutique sous la conduite du langage », p. 487. 121 G. Routhier, « La miséricorde : fondement, principe et critère de toute réforme dans/de l’Église », p. 8. 122 Ibid., p. 17. 59

en effet question de la concordance entre ce que l’Église « est », ce qu’elle « fait » et ce qu’elle « dit ». Theobald évoque en ce sens, par exemple, la concordance entre ce que l’Église « est », ce qu’elle « fait » et ce qu’elle « dit » dans les textes magistériels, car leur réception en dépend :

Qu’il s’agisse d’un texte qui, comme Evangelii nuntiandi, vient à la suite d’une expérience synodale de délibération ou d’un autre qui, comme Ut unum sint, garde jusque dans sa structure méthodologique une visée programmatique ou qu’il s’agisse encore d’une journée comme celle d’Assise où l’évènement et son interprétation différenciée sont intrinsèquement liés dans un seul et même signe, chaque fois c’est la concordance entre ce qui est communiqué et la manière de le faire dans une recherche commune de la vérité qui constitue la crédibilité ou la qualité la qualité stylistique de l’acte de réception123.

La communication de l’Église ne se fait pas seulement avec son langage verbal, mais aussi avec son langage gestuel, ses pratiques. Sa communication sociale est par exemple exprimée au concile Vatican II comme l’expression de sa maternité, son attention et son souci pour tous ses enfants de la terre, ainsi que sa responsabilité éducative à travers la liberté religieuse, la dignité humaine et la révélation chrétienne :

L’Église, donc, fidèle à la vérité de l’Évangile, suit la voie qu’ont suivie le Christ et les Apôtres lorsqu’elle reconnaît le principe de la liberté religieuse comme conforme à la dignité de l’homme et à la Révélation divine, et qu’elle encourage une telle liberté. Cette doctrine, reçue du Christ et des Apôtres, elle l’a, au cours des temps, gardée et transmise. Bien qu’il y ait eu parfois dans la vie du peuple de Dieu, cheminant à travers les vicissitudes de l’histoire humaine, des manières d’agir moins conformes, bien plus même contraires à l’esprit évangélique, l’Église a cependant toujours enseigné que personne ne peut être amené par contrainte à la foi. (DH 12)124

Puisque l’évangélisation est la tâche de toute la communauté ecclésiale, la forma ecclesiae devrait alors permettre l’adhésion de tous tel qu’énoncé par le pape Jean XXIII. Mais, selon Bressan, les figures établies du christianisme à partir de celle de la religion du peuple (catholicisme populaire, paroisse, etc.) apparaissent obsolètes et ne sont plus à la hauteur de

123 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 84. 124 Dignitatis humanae, Déclaration sur la liberté religieuse. 60

la tâche confiée initialement à l’Église125. Il s’en suit que la forma ecclesiae n’est plus capable d’être témoin et de communiquer de manière crédible l’Évangile, non seulement aux yeux des personnes non croyantes, mais aussi de celles vivant et professant la foi chrétienne. Alors, comprendre l’Église, selon lui, nécessite la recherche ou la détermination d’une forma ecclesiae qui exprime sa véritable réalité. Or, le langage récent de l’Église met en évidence l’inculturation de la foi, ainsi que l’équilibre nécessaire entre la foi de l’individu et l’autorité institutionnelle de la foi elle-même en vue d’éviter l’aliénation silencieuse des croyants dans l’Église. Alors, la foi chrétienne présente une certaine influence sur les coutumes, l’organisation individuelle et collective126 (institutionnelle) qui, de fait, ne peuvent être ignorées dans la manière de concevoir la forma ecclesiae.

3 Conclusion

La vie de l’Église comme signe nous a permis d’exposer la forma ecclesiae comme langage. Le signe cache une réalité, car par ce qu’il signifie, il dit quelque chose. Or, le langage est un système de signes qui permet de véhiculer un message, de communiquer, etc. Nous avons en ce sens vu que dans le sacrement, il y a ce rapport entre le signe et la réalité qu’il représente, c’est-à-dire le Salut. L’analogie avec l’Église a permis de la présenter veluti sacramentum. En effet, son signe sacramentel met en évidence son fondement christologique et son orientation eschatologique. En outre, nous avons dans ce chapitre présenté la source trinitaire de l’Église puisqu’elle est située comme Peuple de Dieu, comme corps du Christ et comme Temple de l’Esprit Saint127. Nous avons également exposé trois caractéristiques de l’Église : christologique, pneumatologique et anthropologique.

L’aspect christologique est illustré dans le fait que c’est le Christ qui est au cœur de l’activité missionnaire de l’Église décrite par le concile Vatican II à travers la structure trinitaire de l’histoire du Salut (LG 2, 3 et 4). Ainsi, comme sacrement, l’Église est le signe de la grâce salvifique du Christ tel que déployé dans LG 9. Le Christ est dans l’Église en

125 L. Bressan, « Transmissione della fede? Ministero ecclesiastico e forma religiosa nelle’età secolare », p. 157-158. 126 B. Seveso, « Un ‘corpo per la fede’. Forme del cristianesimo », p. 45-46. 127 Y. Congar, Le concile du Vatican II : son Église, Peuple de Dieu et Corps du Christ, p. 175. 61

tant que tête, époux et fondement. Le Christ promet aux disciples d’être parmi eux jusqu’à la consommation des temps (Mt 28, 20) et de leur envoyer sa force, celle de l’Esprit Saint (Lc 24, 49). « Ainsi l’Église est née et vit de deux missions. Elle est, à la fois, et dans sa source et en sa vie, le fruit de deux missions divines, celle du Verbe et celle du Souffle128. » L’apport de la pneumatologie en ecclésiologie présente alors plusieurs dimensions : (1) communion, car c’est grâce à l’Esprit Saint que l’on peut parler de l’Église comme corps du Christ ; (2) inspiration et (3) sanctification dans toute la vie de l’Église ; (4) eschatologique puisque l’Esprit Saint est engagé dans l’Économie129. L’orientation eschatologique de l’Église qui révèle sa nature sacramentelle est mise en lumière dans LG 48. Manifestement, les Pères conciliaires y énoncent que l’Église a un caractère eschatologique vu qu’elle est, par sa vie, sa réalité dans le monde, le signe et l’anticipation de la réalité à venir. En outre, elle est continuellement appelée à œuvrer pour devenir un signe crédible de la gloire à venir du rédempteur. C’est ce que souligne LG 8 en rappelant en même temps l’attente dans laquelle l’Église veluti sacramentum introduit la communauté des fidèles. Cette attente passe par son activité missionnaire et « il apparaît clairement ainsi que la sacramentalité de l’Église est présentée comme un thème de théologie missionnaire et non pas sacramentaire. Cette dernière approche bien entendu reste légitime au plan de la recherche théologique, mais ce n’est pas l’enseignement officiel de l’Église catholique130. »

L’Église n’a pas uniquement pour but d’offrir à l’humanité la possibilité de Salut, mais aussi de manifester et produire dans l’histoire des prémices du Royaume de Dieu qui est déjà commencé bien que pas encore totalement réalisé. C’est aussi à travers son caractère social, ce qu’elle présente d’elle, que l’Église rend le Christ tangible, qu’elle vit aussi sa vocation qui est d’annoncer l’Évangile. Ainsi, l’Église, par sa forma, notamment sa forma populi ou forma di popolo, en plus d’être une réalité mystérique, est aussi une réalité psychosociale appelée à être comme signe de Salut, à demeurer dans la tension continuelle et transformante qui caractérise le sacrement même. Il existe un rapport entre l’Église veluti sacramentum, le monde et l’action de Salut du Christ, car, comme le signale Routhier, « le

128 J. Rigal, « L’ecclésiologie trinitaire du Père Congar », p. 164. 129 J. Zizioulas, Grigorios et H. Destivelle, L’Église et ses institutions, p. 16-17. 130 H. Legrand, « Pour quoi l’Église ? Réflexions sur l’Église comme signe et instrument du rassemblement eschatologique des peuples », p. 122-123. 62

sacrement est cette réalité mondaine saisie ou habitée par la grâce131. » Aussi, l’Église veluti sacramentum met en évidence son rapport au monde, sa représentation au regard de l’histoire, son appartenance, son approche spirituelle au-delà de son approche sociétaire132.

C’est à travers la relation, le type de rapport au monde que l’Église, par son stilus pastoralis, par toute sa vie, peut être un signe levé pour les peuples (Is 11, 10), c’est-à-dire veluti sacramentum pour le monde. En effet, le principe pastoral de l’Église mis en avant au concile Vatican II par le pape Jean XXIII est « une relation de communication que les chrétiens et l’Église entretiennent avec les autres […]. C’est dans cette relation — réversible —, relation portée par l’Esprit, que se manifeste l’ultime Parole de Dieu qu’est le Christ133. » Une telle relation suppose une prise en compte du contexte historique et culturel des destinataires de l’Évangile. Zizioulas parle par ailleurs de structure relationnelle ecclésiale reposant sur la communion dans le rapport entre les Églises particulières et l’Église universelle, sur la sauvegarde de l’unité et l’unicité, sur l’existence d’une interdépendance absolue entre tous les membres de la communauté, et finalement sur la prise en compte de la diversité134.

Aussi, Vatican II a souligné l’adhésion libre et responsable à la foi chrétienne, à l’annonce de l’Évangile ainsi qu’au témoignage afin que toute l’humanité connaisse le Christ. Alors, rechercher la forma ecclesiae ou définir un modèle d’Église en vue de l’annonce de l’Évangile ne peut se faire qu’en tant qu’un instrument de compréhension de l’Église, car ce qui est essentiel, c’est son témoignage135 en tant que signe pour les nations : « Il modello euristico infatti non è forma ecclesiae, è solo strumento per individuarla e meglio comprenderla. Il nostro studio invece vuol risolvere il problema della forma che la Chiesa deve avere per essere adeguata all’annuncio del vangelo.136 » La compréhension de l’Église veluti sacramentum suppose de fait que c’est à partir de ce qu’elle « est » qu’elle peut

131 G. Routhier, « L’Église comme sacrement du Salut. Une réception encore en attente », p. 3. 132 G. Routhier, « Al di là della Chiesa ad intra/Chiesa ad extra: la Chiesa come sacramento di salvezza », p. 7. 133 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 163. 134 J. Zizioulas, Grigorios et H. Destivelle, L’Église et ses institutions, p. 108-109. 135 L’Église célèbre notamment le témoignage dans la liturgie où elle fait mémoire du mystère de Dieu avec l’humanité, où elle Écoute Dieu qui lui parle dans l’Écriture et où elle s’ouvre aux dons de l’Esprit Saint, pratique la charité ainsi que l’option préférentielle pour les pauvres à la suite du Christ. 136 S. Dianich, « Dall'atto del “vangelo” alla“forma ecclesiae” », p. 97. 63

véritablement évangéliser et être par le fait même un langage, un signe qui parle aux nations. Puisque la pratique croyante se configure comme une imitatio Christi, l’Église, à travers sa forma, par toute sa vie est appelée à se conformer au Christ par le biais de ce qu’elle « est », ce qu’elle « fait » et ce qu’elle « dit », c’est-à-dire son témoignage de vie. De toute évidence, le témoignage est la forme par laquelle l’Église peut annoncer l’Évangile de manière crédible : « En effet, la vie de l’Église parle plus fort que ce qu’elle annonce par l’intermédiaire de tous ses discours et déclarations et l’on ne prête attention à son témoignage que dans la mesure où il est livré dans sa vie. Paul VI écrivait que “l’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres — [...] ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins” (EN 41)137. » La crédibilité de l’Église dans son annonce de l’Évangile est possible si sa compréhension est mise en évidence à travers des thèmes comme la synodalité et la communion, le principe eucharistique comme principe instituant de l’Église, la primauté de l’annonce, l’exaltation du principe d’accueil et de solidarité138, etc.

Somme toute, l’aspect langagier de la forma ecclesiae est explicitement mis en évidence par l’Église veluti sacramentum énoncé par Vatican II dans la constitution Lumen gentium en ce sens que « l’Église est dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG 1). Puisque la communication passe par des signes et que, de manière générale, le signe renvoie à une réalité ou exprime quelque chose, l’Église, à travers ses différentes figures déjà évoquées139, est un signe qui dit et parle au monde de sa réalité, qui lui communique la Bonne Nouvelle du Christ. Si l’on peut dire que « l’Église fait l’Eucharistie, l’Eucharistie fait l’Église », alors, puisque l’Église poursuit l’œuvre du Christ à travers l’évangélisation, nous pouvons dire que « l’Église fait l’évangélisation et l’évangélisation fait l’Église140 ».

137 G. Routhier, « La miséricorde : fondement, principe et critère de toute réforme dans/de l’Église », p. 17. 138 L. Bressan, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui convivere », p. 43. 139 La forma populi ou la forma di popolo ; la forma Evangelii : la forma paupertatis ou la forma di povertà ; la forma maternae ; le stilus pastoralis ; les formes conceptuelles. 140 S. Dianich, « Dall’atto del “vangelo” alla “forma ecclesiae” », p. 99. 64

CHAPITRE III : LA VOCATION DE L’ÉGLISE : ANNONCER L’ÉVANGILE

Nous avons présenté la forma ecclesiae dans la littérature à travers différentes expressions telles que la forma populi ou la forma di popolo, la forma Evangelii ou la forma di povertà, la forma maternae, le stilus pastoralis et les formes théoriques. Cela nous a ensuite permis d’aborder la représentation de l’Église comme signe ou sacramentum. À ce chapitre, nous avons exposé les aspects christologique, pneumatologique et eschatologique qui fondent l’Église comme sacrement du Salut du genre humain, et nous avons aussi mis en avant son témoignage de vie, sa relation et son type de rapport au monde comme la forme à travers laquelle elle peut annoncer l’Évangile de manière crédible à nos contemporains. Cette annonce de l’Évangile qui constitue le cœur de l’activité missionnaire de l’Église fera l’objet de ce troisième chapitre.

Nous présenterons dans un premier temps l’objet ainsi que les destinateurs et destinataires de l’activité missionnaire de l’Église à partir de l’Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi. Cela nous permettra de montrer que l’Évangile est au cœur de la vie de l’Église et l’oblige à réformer continuellement ses pratiques et formes institutionnelles en vue de l’évangélisation. Cette réforme de l’Église sera, dans un second temps, développée et exposée comme une condition sine qua non à l’évangélisation à partir de l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium. Finalement, nous montrerons le lien essentiel de la forma ecclesiae avec la vie de l’Église et l’annonce de l’Évangile afin de mettre en lumière le but de ce travail illustré dans le titre même du mémoire : La forma ecclesiae comme langage.

1 Evangelii nuntiandi

Le terme « Évangélisation » n’a pas une longue histoire dans l’Église catholique, car il est d’abord typique du protestantisme puis on le retrouve en France, particulièrement avec la « Mission de France », dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. Ce terme est peu employé lors de Vatican II, car il est mentionné à trente une reprises dans les documents

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conciliaires1. De fait, on mentionne principalement, voire plus la « mission ». Cependant, c’est avec l’Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi (EN) du pape Paul VI que l’on parle davantage d’évangélisation ainsi que de NE sous le pontificat du pape Jean-Paul II2. Cela sera notamment abordé dans ce chapitre avec la Lettre apostolique Redemptoris Missio (RM), mais aussi avec les Lineamenta (L) de la XIIIe assemblée ordinaire du synode des évêques tenue en 2011 sous le pontificat du pape Benoît XVI.

L’évangélisation est l’annonce de l’Évangile de Jésus, la proclamation de l’avènement du Règne de Dieu3. Ce « n’est pas seulement un acte de l’Église parmi d’autres, mais [un acte qui] la définit en sa “nature” même (AG 2 et 6), [c’est une] “loi” [qui] peut être appelée “norme de toutes les normes4” » et qui sera présentée à partir d’EN. Par ailleurs, l’activité missionnaire de l’Église, selon le pape Paul VI, est en lien avec l’œuvre du Christ (LG 3) dans la mesure où elle accomplit « son office de messagère de la Bonne Nouvelle de Jésus- Christ. » (EN 2) L’évangélisation est donc la vocation propre de l’Église comme le proclame saint Paul : « Pour moi, évangéliser ce n’est pas un titre de gloire, c’est une obligation. Malheur à moi si je n’évangélise pas ! » (1 Co 9, 16) Le secrétariat pour le synode des évêques a aussi défini cet Évangile comme « une Parole vivante et efficace, qui met en pratique ce qu’elle dit. » (L 12) Elle est alors au centre de l’activité missionnaire de l’Église puisque l’Église existe pour annoncer, pour évangéliser (EN 14), pour porter le Christ le monde : « Allez donc, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit » (Mt 28, 19-20).

1.1 L’Évangile au cœur de l’activité missionnaire de l’Église

Dans le terme « mission » on retrouve « missio » qui vient du verbe latin « mittere » et qui signifie « action d’envoyer ». Or dans la première phrase du Décret sur l’activité missionnaire de l’Église, les Pères conciliaires indiquent que c’est Dieu qui pose l’action

1 LG, GS, CD, PO, AA, AG. P. Delhaye, M. Gueret et P. Tombeur, Concilium Vaticanum II : concordances, index, listes de fréquence, tables comparatives, p. 839. 2 G. Ruggieri, « Evangelizzazione e stili ecclesiali: Lumen Gentium 8,3 », p. 225-226. 3 Ibid., p. 227. 4 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 144. 66

d’envoyer. Ainsi, l’Église est envoyée : « Envoyée par Dieu aux nations pour être “le sacrement universel du Salut”, l’Église, en vertu des exigences intimes de sa propre catholicité, est obéissante au commandement de son fondateur (Mc 16, 16), est tendue de tout son effort vers la prédication de l’Évangile à tous les hommes. » (AG 1) L’expression conciliaire « Église envoyée » est employée à trois reprises par Paul VI dans son l’Exhortation apostolique (EN) et cela illustre que l’Église reçoit son activité missionnaire, elle ne décide pas de ce qu’elle veut faire. Il y a de ce fait une relation entre Dieu, l’Église et l’humanité : « Née par conséquent de la mission, l’Église est à son tour envoyée par Jésus. (EN 15) Envoyée et évangélisée, l’Église elle-même envoie des évangélisateurs. (EN 15) Que l’Église soit envoyée et mandatée pour l’évangélisation du monde, cette observation devrait éveiller en nous une double conviction. » (EN 60) Dans le même ordre d’idée, l’Église se situe aussi au service de la relation trinitaire, c’est-à-dire du dessein d’amour du Père (LG 2), de la mission du Fils (LG 3) qui consiste à annoncer la Bonne Nouvelle (EN 6), et de l’Esprit (LG 4) qui sanctifie l’Église. Donc, lorsqu’on parle de l’activité missionnaire de l’Église, il ne s’agit pas de ce qu’elle veut, mais du dessein du Père dans la mesure où l’Église est agente de l’action. Autrement dit, l’activité missionnaire, pour l’Église, consiste à « porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-même : “Voici que je fais l’univers nouveau !” » (EN 18) :

Cette mission continue et déploie au cours de l’histoire la mission du Christ lui-même, qui fut envoyé pour annoncer aux pauvres la bonne nouvelle ; c’est donc par la même voie qu’a suivie le Christ lui-même que, sous la poussée de l’Esprit du Christ, l’Église doit marcher, c’est-à-dire par la voie de la pauvreté, de l’obéissance, du service et de l’immolation de soi jusqu’à la mort, dont il est sorti victorieux par sa résurrection. Car c’est ainsi dans l’espérance qu’ont marché tous les apôtres, qui ont achevé par leurs multiples tribulations et souffrances ce qui manque à la passion du Christ au profit de son Corps, l’Église (Col 1, 24) ; souvent aussi le sang des chrétiens fut une semence. (AG 5)

L’évangélisation se situe donc dans l’activité missionnaire de l’Église dont l’objet est exposé comme suit :

L’Église, envoyée par le Christ pour manifester et communiquer la charité de Dieu à tous les hommes et à toutes les nations, a conscience qu’elle a à faire

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une œuvre missionnaire énorme […] L’Église, afin de pouvoir présenter à tous le mystère du Salut et la vie apportée par Dieu, doit s’insérer dans tous ces groupes humains du même mouvement dont le Christ lui-même, par son incarnation, s’est lié aux conditions sociales et culturelles déterminées des hommes avec lesquels il a vécu. (AG 10)

En effet, il s’agit pour l’Église de présenter à l’humanité le mystère du Salut vu que son activité missionnaire se situe dans la continuité de l’œuvre du Christ. Ziviani souligne que l’activité missionnaire est comme une action maternelle, car c’est à travers cela que l’Église engendre de nouveaux chrétiens. Elle donne ainsi naissance (AG 1) par le biais de l’annonce de la Parole, de l’exercice et de la vie des sacrements5. D’une autre manière, « l’Église naît de l’action évangélisatrice de Jésus et des Douze [et] née par conséquent de la mission, [elle] est à son tour envoyée par Jésus » (EN 15) devenant par le fait même, tel que mentionné par le pape Paul VI, « comme un signe à la fois opaque et lumineux d’une nouvelle présence de Jésus, de son départ et de sa permanence. Elle le prolonge et le continue. » (EN 15) Le message de l’Évangile est aussi un devoir de l’Église par mandat du Christ. (EN 5) Or la mission du Christ est d’« annoncer la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu » (EN 6), car il est lui-même l’Évangile de Dieu et le premier évangélisateur (EN 7) comme on peut le voir à travers sa prédication infatigable qui porte sur la proclamation du Règne de Dieu (EN 11), mais aussi sur une proclamation par d’innombrables signes : « Et entre tous, le signe auquel il donne une grande importance : les petits, les pauvres sont évangélisés, deviennent ses disciples, se réunissent “en son Nom” dans la grande communauté de ceux qui croient en lui. » (EN 12)

Selon le secrétariat pour le synode des évêques, « la tâche de l’Église consiste donc à réaliser la traditio Evangelii, l’annonce et la transmission de l’Évangile, qui est “une force de Dieu pour le Salut de tout homme qui croit” (Rm 1, 16) et qui en dernière instance s’identifie avec Jésus-Christ (1 Co 1, 24). » (L 11) On peut alors voir dans l’évangélisation un acte de communication de la foi. La tâche ou la mission de l’Église consiste à évangéliser toutes les nations, car c’est « sa grâce et sa vocation propre, son identité la plus profonde. » (EN 14) L’évangélisation et l’implantation de l’Église constituent par ailleurs la visée de la mission de l’Église telle qu’illustrée dans le Décret sur l’œuvre missionnaire de

5 G. Ziviani, « La Chiesa Madre: immagine di rinnovamento », p. 352. 68

l’Église : « Ce qui a été une fois proclamé par le Seigneur ou accompli en lui pour le Salut du genre humain doit être proclamé et répandu jusqu’aux extrémités de la terre (Ac 1, 8), en commençant par Jérusalem (Lc 24, 47), de sorte que ce qui a été accompli une fois pour toutes en vue du Salut de tous, produise ses effets chez tous au cours des âges. » (AG 3) En outre, l’Église, à cause de l’Évangile, est au service de l’unité de tout le genre humain en vertu de son ministère apostolique de réconciliation et dans la mesure où l’annonce chrétienne n’est rien d’autre qu’un Évangile de paix : « Soyez donc fermes, les reins ceints de la vérité, revêtus de la cuirasse de justice, et les sandales aux pieds, prêts à annoncer l’Évangile de paix. » (Ep 6, 14-15) En effet, l’évangélisation est authentique lorsqu’elle est un acte d’amour à l’égard de ses destinataires, lorsqu’elle constitue une relation vraie et respectueuse avec ses interlocuteurs qui répondent par une adhésion à ses propositions de foi.

1.2 Les destinateurs et destinataires de l’activité missionnaire de l’Église

Le Christ a annoncé que le Règne de Dieu est tout proche (Mt 4, 17 ; 10,7). Ce Règne est devenu une réalité à travers ses paroles et ses gestes, mais se poursuit encore aujourd’hui par l’activité missionnaire de l’Église. Ainsi, le Royaume de Dieu est inséparable de la personne du Christ ainsi que de l’activité missionnaire de l’Église entendue veluti sacramentum. Comme le souligne le pape Paul VI, l’Église est inséparable du Christ : « Il y a donc un lien profond entre le Christ, l’Église et l’évangélisation. Pendant ce “tempus Ecclesiae”, c’est l’Église qui a la tâche d’évangéliser. Cette tâche ne s’accomplit pas sans elle, encore moins contre elle. » (EN 16) L’activité missionnaire de l’Église peut être perçue comme une imitatio de l’Évangile proclamée par le Christ indiquant les pauvres comme destinataires d’un « amour étreint » de la part de l’Église qui, dans les pauvres et les souffrants, reconnaît « l’image de son fondateur6 ». Dans l’Écriture, notamment dans le Livre d’Isaïe et l’Évangile de Luc, les destinataires de l’évangélisation sont les pauvres, les esclaves, les personnes au cœur brisé, les prisonniers, etc. (Is 61, 1-s; Lc 4, 16-21).

L’Église tout entière est destinatrice de l’évangélisation comme l’a affirmé le concile Vatican II vu que « par mandat divin, incombe à l’Église la fonction d’aller dans le monde

6 G. Ruggieri, « Evangelizzazione e stili ecclesiali: Lumen Gentium 8,3 », p. 236. 69

entier et d’annoncer l’Évangile à toute créature » (DH 13). Et dans un autre texte du même concile, il est dit que « l’Église tout entière est missionnaire ; l’œuvre d’évangélisation est un devoir fondamental du peuple de Dieu (AG 35) ». (EN 59) En effet, c’est tout le Peuple de Dieu qui a la responsabilité de l’évangélisation : « L’Église étant tout entière missionnaire, et l’œuvre de l’évangélisation étant un devoir fondamental du Peuple de Dieu, le saint concile invite tous les chrétiens à une profonde rénovation intérieure, afin qu’ayant une conscience vive de leur propre responsabilité dans la diffusion de l’Évangile, ils assument leur part dans l’œuvre missionnaire auprès des nations. » (AG 35) Le Peuple de Dieu est alors le sujet fondamental de l’activité missionnaire vu qu’il est formé d’hommes et de femmes qui sont membres de la cité terrestre et de « l’Église, à la fois “assemblée visible et communauté spirituelle” » (GS 40). Le sujet de l’acte de l’évangélisation est le fidèle chrétien (qu’il soit laïc ou clerc) indépendamment de son statut dans l’Église ou au sein de la société7. C’est aussi un sujet collectif ou corps ecclésial qui s’articule autour de la diversité des ministères et des charismes appartenant au corps ecclésial8. Chaque baptisé est sujet actif de l’évangélisation, ce qui implique qu’il faille surmonter toute séparation injustifiée entre clercs et laïcs9. Aussi, affirmer que l’Église a pour vocation d’annoncer l’Évangile revient à soutenir que l’évangélisation n’est pas un acte individuel, mais ecclésial (EN 60). Ainsi, toute personne mandatée pour annoncer l’Évangile le réalise « au nom de l’Église, qui le fait elle-même en vertu d’un mandat du Seigneur, [car] aucun évangélisateur n’est le maître absolu de son action évangélisatrice, avec un pouvoir discrétionnaire, pour l’accomplir suivant des critères et perspectives individualistes, mais en communion avec l’Église et ses Pasteurs. » (EN 60)

Le pape Paul VI indique, en ce sens, comme destinateurs de l’évangélisation : le successeur de Pierre en tant qu’il est « par la volonté du Christ, chargé du ministère prééminent d’enseigner la vérité révélée » (EN 67) ; les Évêques qui ont reçu « par la force de leur ordination épiscopale, l’autorité pour enseigner dans l’Eglise la vérité révélée » (EN 68) ; les prêtres, c’est-à-dire « ceux qui par l’ordination sacerdotale “tiennent la place du Christ”,

7 S. Dianich, « Dall’atto del “vangelo” alla “forma ecclesiae” », p. 123. 8 Ibid., p. 124. 9 P. Carrara, « Forma ecclesiae. Per un cattolicesimo di popolo oggi: “per tutti” anche se non “di tutti” », p. 19-20. 70

en tant qu’éducateurs du Peuple de Dieu dans la foi, prédicateurs, tout en étant ministres de l’Eucharistie et des autres sacrements » (EN 68). Les religieux et religieuses sont également destinateurs de l’évangélisation puisqu’ils « trouvent dans leur vie consacrée un moyen privilégié d’évangélisation efficace. Par leur être le plus profond, ils se situent dans le dynamisme de l’Église, assoiffée de l’Absolu de Dieu, appelée à la sainteté. C’est de cette sainteté qu’ils témoignent. » (EN 69) Le pape Paul VI désigne également comme destinateurs de l’annonce de la Bonne Nouvelle les laïcs à travers toute leur vie à cause de « leur vocation spécifique [qui les] place au cœur du monde et à la tête des tâches temporelles les plus variées ». (EN 70) En effet, ils sont des acteurs majeurs de l’évangélisation sur le plan politique, social, économique, culturel, scientifique et artistique. Par ailleurs, dans la mesure où ils sont les responsables et les premiers acteurs de l’éducation de leurs enfants, les parents et les familles, de manière générale, ont aussi un rôle crucial dans l’apostolat de l’évangélisation. De fait, comme « Église domestique », les familles sont un espace, un lieu du rayonnement de l’Évangile, où les parents, par le biais de leur vocation première, communiquent l’Évangile et la foi à leurs enfants, évangélisent et sont de la sorte évangélisés à leur tour. (EN 71) Finalement, les jeunes occupent une place spéciale dans l’activité missionnaire de l’Église en tant qu’ouvriers de l’Évangile, car comme le mentionne le pape Paul VI, « il faut par ailleurs que les jeunes, bien formés dans la foi et la prière, deviennent toujours davantage les apôtres de la jeunesse. L’Église compte beaucoup sur cet apport et Nous-même, à bien des reprises, Nous avons manifesté notre pleine confiance envers eux. » (EN 72) Il incombe donc à tous les ministères diversifiés de l’Église (ordonnés ou non ordonnés), à la famille humaine (EN 73), etc., d’assurer l’évangélisation de l’Église qui se situe dans la continuité de la mission du Christ.

S’appuyant sur l’Écriture, « Allez par le monde entier, proclamez l’Évangile à toutes les créatures » (Mc 16, 15), le pape Paul VI mentionne que la destination de l’Évangile est universelle parce qu’elle est sans frontières. (EN 49) Il soutient que les destinataires de l’évangélisation sont ceux et celles qui ne connaissent pas le Christ et à qui il faut le révéler (EN 51), ce sont les personnes déchristianisées vu qu’elles « ont reçu le baptême, mais vivent en dehors de toute vie chrétienne » (EN 52). Les religions non chrétiennes sont aussi identifiées comme destinataires de l’Évangile, car

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Elles portent en elles l’écho de millénaires de recherche de Dieu, recherche incomplète, mais réalisée souvent avec sincérité et droiture de cœur. Elles possèdent un patrimoine impressionnant de textes profondément religieux. Elles ont appris à des générations de personnes à prier. Elles sont toutes parsemées d’innombrables « semences du Verbe » et peuvent constituer une authentique « préparation évangélique », pour reprendre un mot heureux du concile Vatican II emprunté à Eusèbe de Césarée. (EN 53)

L’Évangile est également porté aux croyants eux-mêmes en vue de soutenir leur foi, c’est- à-dire « approfondir, consolider, nourrir, rendre toujours plus mûre la foi de ceux qu’on appelle déjà fidèles ou croyants, afin qu’ils le soient davantage. » (EN 54) Sont aussi considérés comme destinataires de l’Évangile les non-croyants (EN 55) et les non- pratiquants, car il y a « aujourd’hui un grand nombre de baptisés qui, dans une large mesure, n’ont pas renié formellement leur baptême, mais sont entièrement en marge de lui, n’en vivent pas. (EN 56)

Toutefois, les destinataires de l’évangélisation deviennent à leur tour destinateurs puisque « celui qui a été évangélisé évangélise à son tour […], car il est impensable qu’un homme ait accueilli la Parole et se soit donné au Règne sans devenir quelqu’un qui témoigne et annonce à son tour. » (EN 24) Les destinataires de l’évangélisation, tout comme dans toute activité missionnaire de l’Église, ne sont pas uniquement des récepteurs, c’est-à-dire passifs, mais ils deviennent à leur tour acteurs de l’évangélisation comme le met en évidence le cas des premières communautés chrétiennes qui « ne sont pas seulement des “récepteurs” passifs, mais aussi des “apprenants” créatifs, redevables de ce qu’ils “apprennent” au contact de leur propre situation culturelle et qu’ils attribuent à juste titre au travail de l’Esprit Saint (Spiritu Sancto suggerente)10. » L’annonce de l’Évangile suppose donc l’implication des destinataires, ils sont actifs dans la mesure où ils œuvrent en toute liberté dans cette annonce de la Bonne Nouvelle11.

La vocation de l’Église qui est d’annoncer l’Évangile aux nations nécessite de la part de ses destinateurs une certaine attitude vis-à-vis de la Bonne Nouvelle d’une part, mais aussi à l’égard de ses destinataires : « In una riflessione su come l’annuncio del Vangelo esige e

10 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 143. 11 Ibid., p. 217. 72

promuove un certo modo di essere Chiesa oggi voi avete voluto anche un intervento di un pastore su come l’esercizio dell’autorità è chiamato a configurarsi per essere anche esso capace di dire il Vangelo o ameno di non oscurarlo troppo, e avete chiesto a me di introdurre questo tema12. » Il s’agit d’un style, d’une manière dans ce qu’elle « dit » et « fait », c’est-à-dire dans ses paroles et ses gestes en vue de permettre une annonce évangélique plausible à nos contemporains.

1.3 Le style évangélique : le témoignage

Le pape Paul VI propose le témoignage comme le moyen à travers lequel l’Évangile doit être proclamé. En effet, dans EN 21, il déploie le rapport entre le témoignage de vie et l’évangélisation. Il parle par exemple du « témoignage sans paroles », c’est-à-dire des gestes, à l’instar de la capacité de compréhension et d’accueil, la communion de vie, la communion au destin des autres ou de ses semblables, la solidarité, le rayonnement simple et spontané de la foi, etc. Un tel témoignage, selon lui, est « déjà proclamation silencieuse, mais très forte et efficace de la Bonne Nouvelle. Il y a là un geste initial d’évangélisation. » (EN 21) Évangéliser c’est aussi, selon le pape Paul VI, « témoigner, de façon simple et directe, du Dieu révélé par Jésus-Christ, dans l’Esprit Saint » (EN 26), c’est-à-dire témoigner de l’amour trinitaire. Autrement dit, c’est manifester le Salut en Jésus-Christ (EN 27), annoncer l’espérance de la promesse du Père ainsi que l’amour de Dieu et des humains (EN 28), proclamer un message de vie pour l’humanité sur le plan social et personnel (EN 29), annoncer un message de libération (EN 30) en lien avec la promotion humaine dans la mesure où « l’homme à évangéliser n’est pas un être abstrait, mais qu’il est sujet aux questions sociales et économiques. » (EN 31) Ce faisant, l’évangélisation porte sur l’annonce du Règne de Dieu (EN 34).

Le style évangélique passe donc par un témoignage de vie, car, comme le souligne le pape Paul VI,

Pour l’Église, le témoignage d’une vie authentiquement chrétienne, livrée à Dieu dans une communion que rien ne doit interrompre, mais également

12 C.M. Martini, « “In mezzo a voi comme chi serve” (Lc 22, 27). L’esercizio dell’autorità nella Chiesa a misura di Vangelo », p. 189. 73

donnée au prochain avec un zèle sans limites, est le premier moyen d’évangélisation. « L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres — disions-Nous récemment à un groupe de laïcs — ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins ». (EN 41)

Il s’agit donc d’évangéliser par des gestes. Toutefois, cette proclamation par les gestes est aussi accompagnée d’une proclamation verbale du message, c’est-à-dire une prédication vivante (EN 42) qui prend plusieurs formes tels la liturgie de la Parole (EN 43), la catéchèse (EN 44), l’utilisation des mass médias (EN 45), l’indispensable contact personnel (EN 46), les sacrements (EN 47). Bref, cela concerne toute la vie de l’Église, et particulièrement tous les milieux où ses enfants sont impliqués :

Dans leur vie et leur activité, les disciples du Christ, étroitement unis aux hommes, espèrent leur présenter le vrai témoignage du Christ et travailler en vue de leur Salut, même là où ils ne peuvent annoncer pleinement le Christ. Car ils ne recherchent pas le progrès et la prospérité purement matériels des hommes ; mais ils entendent promouvoir leur dignité et leur union fraternelle, en enseignant les vérités religieuses et morales que le Christ a éclairées de sa lumière ; et ainsi, ils ouvrent pas à pas un chemin plus parfait vers Dieu. C’est ainsi que les hommes sont aidés dans l’obtention de leur Salut par la charité envers Dieu et le prochain ; c’est ainsi que commence à luire le mystère du Christ, en qui est apparu l’homme nouveau, créé selon Dieu (Ep 4, 24), en qui la charité de Dieu se révèle. (AG 12)

Le témoignage est une catégorie humaine et de ce fait, l’Église comme Peuple de Dieu ne peut guère en faire fi dans sa vie, dans son activité d’évangélisation : « l’être humain appartient au témoignage, au même titre que le prophète appartient à la Parole qu’il annonce13. » En outre, « le témoignage coïncide avec la condition humaine14 » et engage le témoin dans son intégralité, c’est-à-dire ce qu’il est, sa manière de faire ou son style. Cependant, le style évangélique est un témoignage authentique vu que « ce siècle a soif d’authenticité […] Plus que jamais le témoignage de la vie est devenu une condition essentielle de l’efficacité profonde de la prédication. » (EN 76) En effet, comme l’énonce le pape Paul VI, l’authentique témoignage à travers lequel l’Évangile doit être amené aux nations est appelé à jaillir d’une véritable sainteté de vie soutenue par la prière, en

13 Guy Jobin et François Nault, « Liminaire », Laval théologique et philosophique 71/1 (2015), p. 5. 14 Étienne Pouliot, « Au travers de la représentation du témoignage », Laval théologique et philosophique 71/1 (2015), p. 39. 74

particulier l’amour de l’Eucharistie. Cela fait écho à quelques propos du Curé d’Ars : « Les paroles peuvent persuader, mais les exemples entraînent15. » C’est en ce sens que le pape Paul VI affirme :

Le monde qui, paradoxalement, malgré d’innombrables signes de refus de Dieu, le cherche cependant par des chemins inattendus et en ressent douloureusement le besoin, le monde réclame des évangélisateurs qui lui parlent d’un Dieu qu’ils connaissent et fréquentent comme s’ils voyaient l’invisible. Le monde réclame et attend de nous simplicité de vie, esprit de prière, charité envers tous, spécialement envers les petits et les pauvres, obéissance et humilité, détachement de nous-mêmes et renoncement. Sans cette marque de sainteté, notre parole fera difficilement son chemin dans le cœur de l’homme de ce temps. Elle risque d’être vaine et inféconde. (EN 76)

Aussi, le secrétariat pour le synode des évêques énonce dans le même esprit que le pape Paul VI que l’évangélisation authentique est possible par l’expérience, par le témoignage personnel et communautaire de tous les destinateurs et destinataires de la mission de l’Église. Manifestement, l’annonce de l’Évangile à l’instar de

La transmission de la foi est donc une dynamique très complexe qui implique totalement la foi des chrétiens et la vie de l’Église. On ne peut pas transmettre ce en quoi on ne croit pas et que l’on ne vit pas. Le signe d’une foi enracinée et mûre c’est justement le naturel avec lequel nous la communiquons aux autres. « Il appelle à lui ceux qu’il voulait [...] pour être ses compagnons et pour les envoyer prêcher » (Mc 3, 13-14). On ne peut pas transmettre l’Évangile sans avoir à la base un « être » avec Jésus, un vivre avec Jésus l’expérience du Père dans l’Esprit ; et, en correspondance, l’expérience de l’« être » pousse à l’annoncer, à proclamer, à partager ce qu’on a vécu, parce que l’ayant expérimenté comme quelque chose de bon, de positif et de beau. (L 12)

De fait, « le témoignage apparaît lui-même alors comme attestation de soi et comme attestation de Dieu dans l’histoire16 ». L’expérience de vie, le témoignage des paroles et des gestes sont des moyens à travers lesquels les fils et filles de l’Église peuvent évangéliser. C’est ce que mettent en avant les Pères conciliaires dans LG 11 lorsqu’ils soutiennent que le témoignage authentique interroge l’environnement, le milieu des vies des enfants de

15 Bernard Nodet, Jean-Marie Vianney Curé d’Ars. Sa pensée - Son cœur, Paris, Cerf, 2006, p. 225. 16 Jean Richard, « Foi, confession de foi et témoignage », Laval théologique et philosophique 71/1 (2015), p. 7. 75

l’Église puisqu’ils doivent être présents dans la vie culturelle et sociale, dans toutes les strates de la vie humaine : « Les fidèles incorporés à l’Église par le baptême ont reçu un caractère qui les délègue pour le culte religieux chrétien ; devenus fils de Dieu par une régénération, ils sont tenus de professer devant les hommes la foi que par l’Église ils ont reçue de Dieu. » (LG 11) Le témoignage met en évidence l’identification du témoin à l’objet de sa foi ainsi que la cause de son engagement. En effet, témoigner c’est plus qu’affirmer, reporter ou constater des faits et préceptes auxquels l’on adhère. C’est aussi, comme le souligne Paul Ricœur, une affirmation de soi, une conscience de soi dans la mesure où le « sujet-témoin » s’identifie à l’objet de sa foi à l’instar de saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis c’est le Christ qui vit en moi » (Ga 2, 20). Alors, l’Église, en témoignant au cœur du monde par ses figures, s’affirme et prend conscience de son identification personnelle au Christ qu’elle confesse et annonce. C’est là un témoignage authentique, qui fait sens et dont le monde a besoin. Aussi, c’est en s’identifiant avec la cause de sa foi qu’elle s’engage. Autrement dit, c’est en s’engageant dans toutes les sphères de la vie humaine pour le Salut du monde que l’Église s’identifie à l’œuvre de rédemption du Père17.

C’est donc par des paroles et des gestes que se réalise l’économie de la Révélation (DV 2), c’est aussi par ses paroles et ses gestes ainsi que par toute sa vie, sa présence, ses signes, etc., que le Christ annonce le Règne de Dieu et l’œuvre de Salut du Père (DV 4). Poursuivant cette œuvre de Salut, l’Église, à travers son activité missionnaire, à la suite du Christ, est appelée, par ses paroles et ses gestes, par son signe, à annoncer l’Évangile. Pour ce faire, son évangélisation doit être exclusivement par amour de l’humanité et non pas par intérêt ni calculs. Alors, le choix de la sobriété, de l’essentiel comme style de vie et comme possibilité concrète de fraterniser avec les autres est aussi un moyen d’évangélisation qu’elle est invitée à mettre en avant dans le contexte actuel. Sa manière d’être, son rapport avec le monde, son « style pastoral » ou encore son « principe de pastoralité » présenté par Theobald comme étant une « manière évangélique de procéder et d’être en relation avec l’autre18 » doit pouvoir permettre une annonce crédible aujourd’hui. Cette « pastoralité »

17 Ibid., p. 12. 18 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 68. 76

met en relation les destinateurs et destinataires de l’évangélisation19 qui sont appelés à une conversion continuelle de leur propre vie dans la mesure où c’est la condition sine qua non pour que l’Église, à travers ses structures et toute sa vie, fasse resplendir la lumière du Christ et se dresse au milieu des nations comme signe et instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain. (LG 1)

2 La reformatio ou renovatio de l’Église comme condition de l’évangélisation

Marco Vergottini a affirmé que « l’annuncio del vangelo si configura come il fondamento, il criterio, la misura della forma ecclesiale20 ». Ainsi, pour que l’Église soit capable d’annoncer la Bonne Nouvelle à travers ce qu’elle « est » et ce qu’elle représente, elle est appelée à se réformer, car la reformatio est la condition de cette annonce. De fait, la reformatio renvoie à un mouvement ou à une mesure visant à réaliser la renovatio profonde d’une condition ou d’une situation existante pour l’adapter à une nouvelle et différente exigence21. Aussi, la reformatio vise la conformatio Christi et elle a par conséquent une valeur sotériologique 22 . C’est la raison pour laquelle « la forma ecclesiae non può rinunciare alla forma Christi23 » qui réconcilie l’Église avec l’essentiel même de sa vocation : annoncer l’Évangile.

La question de l’herméneutique de la reformatio a été évoquée par quelques auteurs comme étant un concept adéquat pour l’interprétation de Vatican II. Theobald mentionne qu’elle passe par un processus d’apprentissage (apprendre à comprendre et à reconnaître)24. C’est par ailleurs, selon lui, la tâche kérygmatique et herméneutique des croyants, c’est-à-dire poser l’acte d’écoute et d’apprentissage25. Dans ce sens, O’Malley a par exemple développé l’histoire de la reformatio avant, pendant et après Vatican II, tout en soulignant les apports

19 Ibid., p. 137. 20 M. Vergottini, « Fede, dottrina, Chiesa. A misura di Vangelo. Bilancio dell’itinerario precongressuale », p. 18. 21 U. Parente, « Circa la plausibilità dell’elaborazione di un modello di Chiesa alla luce della storia della Chiesa », p. 147. 22 Ibid., p. 148. 23 G. Ruggieri, « Evangelizzazione e stili ecclesiali: Lumen Gentium 8,3 », p. 250. 24 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 149-150. 25 Ibid., p. 38. 77

et nouveautés de Vatican II à ce sujet. La compréhension de l’Église est, selon le pape Benoît XVI, une condition essentielle qui précède toute reformatio26. Alors, O’Malley met en évidence l’insistance du pape Benoit XVI sur la continuité avec la tradition dans l’acte même de la reformatio, ainsi que la nécessité d’une conversio personnelle et ecclésiale dans un tel processus. Mais, la reformatio ecclésiale ne porte pas uniquement sur les structures, mais aussi sur le langage de l’Église : « These “reforms” rode on the wave of a “new” mode of discourse.27 » La combinaison à la fois de la continuité et de la discontinuité met en lumière la vraie nature de la reformatio28. Ainsi, le but des théologiens à Vatican II fut de rechercher l’esprit ou le style pour l’Église à travers la renovatio ou transformatio. Lorsqu’on parle de conversio, il s’agit, selon Mazzillo, d’une catégorie biblico-théologique qui jaillit de la conscience de l’Église comme Peuple de Dieu qui favorise en permanence le dessein de Dieu, se convertie continuellement. C’est en lien avec le Règne de Dieu29.

L’adhésion au Christ nécessite une conversio individuelle au sens spirituel, car c’est, selon Mazzillo, un critère de l’apostolicité de l’Église30. Alors, la reformatio de l’Église en vue de l’évangélisation est possible grâce à la conversio des personnes et des structures, car c’est une nécessité intérieure, spirituelle et non pas d’abord organisationnelle ou mécanique. Comme le montre Routhier à la suite de Congar, lorsque ce qui règle la reformatio est « un élément du dehors », celle-ci demeure purement une adaptation mécanique et l’Église court alors le risque de s’éloigner de la conformatio Christi à laquelle elle est appelée afin de poursuivre son activité missionnaire à la suite du Christ à travers l’évangélisation. À l’inverse, lorsque ce qui anime toute reformatio est un « élément du dedans » à l’instar de la « miséricorde » qui naît de l’expérience intérieure, l’Église peut véritablement se rénover, et cela à partir d’un renouveau spirituel et pastoral31. Routhier énonce alors deux manières de réformer selon Congar, par une adaptation mécanique ou par

26 John W O’Malley, « ‘The Hermeneutic of Reform’: A Historical Analysis », Theological Studies 73/3 (2012), p. 519-521. 27 Ibid., p. 529. 28 Matthew L. Lamb, « The Challenges of Reform and Renewal within Catholic Tradition », dans Matthew L. Lamb et Matthew Levering (dir.), Vatican II : Renewal within Tradition, Oxford, Oxford University Press, 2008, p. 439. 29 G. Mazzillo, « Una Chiesa povera per essere Chiesa dei poveri: proponibilità e attualità », p. 265. 30 Ibid., p. 260. 31 G. Routhier, « La miséricorde : fondement, principe et critère de toute réforme dans/de l’Église », p. 4. 78

un retour au principe. Une reformatio sans renouveau spirituel et dans laquelle c’est « l’élément du dehors » qui domine donne lieu à une « substitution mécanique » qui n’est rien d’autre qu’un remplacement32. Son fondement est fragile et repose sur du sable (Mt 7, 24-27).

L’évangélisation, tout comme l’activité missionnaire de l’Église dans son ensemble, doit faire face aux contextes sociaux, culturels, aux situations religieuses complexes et innovantes telles que soulignées par le pape Jean-Paul II :

Il suffit d’évoquer ici certains phénomènes tels que l’urbanisation, les migrations massives, les mouvements de réfugiés, la déchristianisation de pays anciennement chrétiens, l’influence croissante de l’Évangile et de ses valeurs dans des pays dont les habitants, en très grande majorité, ne sont pas chrétiens, sans oublier le foisonnement des messianismes et des sectes religieuses. Il y a un bouleversement des situations religieuses et sociales qui rend difficile l’application effective de certaines distinctions et catégories ecclésiales jusque-là communément utilisées. Avant même le concile, on disait de certaines grandes villes ou de terres chrétiennes qu’elles étaient devenues des « pays de mission » et la situation ne s’est certainement pas améliorée dans les années qui ont suivi. (RM 32)

Manifestement, ces situations et changements opérés ainsi que la diffusion de nouvelles conceptions théologiques questionnent sur le sens même de l’œuvre missionnaire de l’Église :

À cause des changements de l’époque moderne et de la diffusion de nouvelles conceptions théologiques, certains s’interrogent : la mission auprès des non-chrétiens est-elle encore actuelle ? N’est-elle pas remplacée par le dialogue inter-religieux ? La promotion humaine n’est-elle pas un objectif suffisant ? Le respect de la conscience et de la liberté n’exclut-il pas toute proposition de conversion ? Ne peut-on faire son Salut dans n’importe quelle religion ? Alors, pourquoi la mission ? (RM 4)

En effet, la communication de la foi à travers l’évangélisation constitue l’origine, le fondement du christianisme comme grand mouvement historique et l’Église comme entité empirique33. Ainsi, toutes les formes structurelles ecclésiales existent pour réaliser cette

32 Ibid., p. 7. 33 S. Dianich, « Dall’atto del “vangelo” alla “forma ecclesiae” », p. 106. 79

communication. Or, comme le mentionne Bressan, les problèmes de la structure de l’Église sont ceux du rapport entre les évêques et le pape, entre les ministres ordonnés et les laïcs, entre les structures locales et celle universelle de l’Église34. Mais l’autre problème auquel fait face l’Église se situe dans la proposition de la foi aux nouveaux croyants devant l’ampleur doctrinale du patrimoine de la foi chrétienne aussi bien dans le champ dogmatique que morale35. Il s’agit par ailleurs d’un malaise ecclésial et dans un tel contexte, l’approche d’une « Église en malaise » consiste nécessairement à s’écouter elle- même ainsi que ses malaises. Cela est de fait possible à travers un regard lucide sur la vie ecclésiale et l’histoire de la communauté croyante36. Aussi, comme le soutient Vitali, « l’annuncio fonda e suscita la comunione et ha come esito la comunità, la quale ritrova le sue ragioni di esistenza sempre e solo nella dinamica originaria dell’annuncio37. » Et pour que cela soit possible, l’Église est dans l’urgence de réformer ses structures.

2.1 La reformatio : principe dynamique de la forma ecclesiae

Parente se sert de quelques images pour illustrer l’articulation du concept de forma en théologie dans l’histoire de l’Église, plus particulièrement des binômes charisme- institution, Église sainte-Église pécheresse, le grain et l’ivraie (image évangélique). Il analyse la forme ecclésiale dans l’histoire de l’Église qui lui permet de relever que lorsqu’on parle de reformatio, on fait souvent référence à un moment de genèse d’une institution donnée et ainsi, la reformatio a eu la signification d’une renovatio de la structure, d’un renouvellement nécessaire à la suite de ce que l’Église est devenue dans le temps38. Comme le souligne le cardinal Martini, l’Église est alors tentée d’être décrite comme un champ où abonde à la fois le bon grain et l’ivraie, mais aussi comme le reflet de la splendeur du Christ ressuscité39. Penser la reformatio de la forma ecclesiae nécessite de

34 Ibid., p. 117. 35 Ibid., p. 119. 36 D. Vitali, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui vivere », p. 52. 37 Ibid., p. 57. 38 U. Parente, « Circa la plausibilità dell’elaborazione di un modello di Chiesa alla luce della storia della Chiesa », p. 147. 39 C.M. Martini, « “In mezzo a voi comme chi serve” (Lc 22,27). L’esercizio dell’autorità nella Chiesa a misura di Vangelo », p. 189. 80

ne pas considérer la forma d’un point de vue nostalgique, comme une re-proposition d’une structure déjà donnée par le passé. Cela implique plutôt d’emprunter un chemin de conversio qui ne peut que partir du discernement amoureux et en même temps sévère des actions de l’Église ainsi que de la reconnaissance de ses responsabilités. Manifestement, la faillibilité structurelle de l’Église illustre l’exigence de son besoin de reformatio en vue de l’annonce de l’Évangile40. Aussi, cette reformatio ecclésiale ne peut et ne doit que se faire dans la conscience du fossé existant entre l’Église et le monde moderne, dans le besoin de l’Église d’aller vers le monde de manière évangélique41.

Vatican II, dans Gaudium et spes et Ad gentes, a développé la question de la prise en compte des réalités de son interlocuteur, c’est-à-dire du monde à qui elle s’adresse. Il s’en suit que l’exercice de la liberté et la considération de l’expérience du sujet sont essentiels. L’approche pastorale de l’Église, celle de l’« agir » chrétien, n’est point possible dans la déduction ou le calcul, mais elle porte sur une certaine acquisition de techniques comme le signale Bevans. Lorsque la théologie pastorale accompagne l’Église sur les chemins de l’histoire, celle-ci consolide ses voies et apporte des corrections de trajectoire. Elle peut ainsi trouver la forme adéquate à son époque à travers des actions appropriées. C’est, selon Seveso, une tâche récurrente puisque l’Église est appelée à une renovatio continuelle de sa forma ecclesiae. L’auteur illustre cela à travers l’image de la manne dans le désert qui doit être recueillie chaque matin (moment adéquat) et qui ne peut être conservée pour le lendemain (puisqu’elle est circonstancielle). Cette manne est fraîche aujourd’hui et le lendemain elle est abîmée. Procéder à la reformatio du style pastoral de l’Église est une façon de réformer la forma ecclesiae à travers la manière de formuler la doctrine qui requiert une conversio permanente.

Alors, la forma ecclesiae implique une renovatio ou reformatio nécessaire prenant en compte l’expérience humaine dans la culture. D’un autre côté, Brocklehurst identifie la forma de l’Église comme étant l’autorité d’enseigner, de gouverner et de sanctifier, mais une autorité qui renvoie à la fois au service et au pouvoir. Toutefois, la nature et l’identité

40 N. Capizzi, « “Vera e false riforma nella Chiesa: rilettura di un’opera di Y.M. Congar” », p. 284. 41 Ibid., p. 292. 81

de l’Église sont reliées à son institutionnalité ou à sa structure. Trois dimensions structurent toute opération de re-institution de l’Église dans la culture et dans la société. La première consiste à « transmettre » et porte sur la dimension de l’écoute, de la compréhension et de l’annonce non seulement de l’Évangile, mais aussi de la mémoire chrétienne. La seconde consiste à « instituer » et renvoie à la dimension de l’institution du corps social du christianisme, du corps ecclésial. La troisième consiste à « habiter » et fait référence aux modalités avec lesquelles une mémoire chrétienne déterminée ainsi que les institutions ecclésiales habitent une culture. C’est donc à partir de ces trois dimensions que peut être pensée la reformatio de la forma ecclesiae.

Ruggieri relève une certaine opposition entre la forma primitive de l’Église et les formes du moment comme ce fut notamment le cas avec les formes ecclésiales romaines42 entre le XIIe et le XIIIe siècle dans le contexte de saint François d’Assise, et comme c’est aussi le cas aujourd’hui. Ces oppositions ou le fossé qui sépare ces formes ecclésiales nécessitent une renovatio ou reformatio permettant à l’Église de faire briller sur son visage et sur celui de toute l’humanité la clarté du Christ (LG 1). Par ailleurs, au sujet de la forma di povertà évoquée précédemment comme forma ecclesiae à travers laquelle l’Église est appelée à vivre l’option préférentielle pour les pauvres à la suite du Christ, Mazzillo souligne que c’est une exigence qui ne peut que passer par une réelle conversio de l’Église, c’est-à-dire de ses structures. Ainsi, « demander à l’Église, c’est-à-dire à nous, de devenir une Église de pauvres n’est point quelque chose d’esthétique ou de rhétorique, mais une réelle exigence théologique qui part de la conviction d’une continuité entre prédication/agir de Jésus et la prédication pratique de l’Église, entre son annonce de l’Évangile, la Bonne Nouvelle aux pauvres, et notre évangélisation43. » Dans ce sens, le pape François affirme que « sans l’option préférentielle pour les plus pauvres “l’annonce de l’Évangile, qui demeure la première des charités, risque d’être incomprise ou de se noyer dans un flot de paroles auquel la société actuelle de la communication nous expose quotidiennement”. » (EG 199) Aussi, Mazzillo indique que « le lien entre la forma Christi et la forma ecclesiae se trouve

42 G. Ruggieri, « Evangelizzazione e stili ecclesiali: Lumen Gentium 8,3 », p. 229. 43 G. Mazzillo, « Una Chiesa povera per essere Chiesa dei poveri: proponibilità e attualità », p. 257. 82

dans la messianité de l’Église44 », c’est-à-dire dans sa capacité à se constituer comme « Peuple de Dieu » et à annoncer l’Évangile aux nations de manière crédible. Cela se concrétise dans des gestes de miséricorde, car comme le mentionne Routhier, la miséricorde est indissociable de l’acte même de reformatio de l’Église puisque sa transformatio avant d’être structurelle est d’abord spirituelle. Pour illustrer cela, il rappelle la portée institutionnelle de l’année de la miséricorde convoquée par le pape François, son pontificat et la vie de nos Églises locales :

La miséricorde, s’il est vrai qu’elle naît d’une expérience intérieure, celle d’avoir été miséricordié, doit-elle pour autant être refoulé dans la sphère pré juridique et ne pas affecter l’Église jusque dans son institutionnalité, ses procédures, ses figures, ses modes d’agir, son style, etc.? Je ne saurais m’y résigner, car je soutiens le continuum entre intériorité et extériorité et jamais leur séparation. Sans nier, l’expérience spirituelle intérieure, largement développée au cours de notre colloque, je voudrai indiquer dans cette communication la portée institutionnelle de l’année de la miséricorde. Je le fais avec le souci de rattacher deux traits qui caractérisent le pontificat du pape François et la vie de nos Églises : le souci de la réforme-conversion de l’Église et son insistance sur la miséricorde. Je ne voudrais pas que l’on considère ces deux traits comme deux développements parallèles, deux rails qui avancent, sans contact et sans jamais se rencontrer : d’une part, le discours sur la réforme visant une adaptation des structures de l’Église et, d’autre part, son enseignement sur la miséricorde un thème spirituel édifiant visant à nourrir la vie intérieure des fidèles. Si c’était le cas, on serait en pleine schizophrénie et on n’honorerait pas les premiers mots de la Bulle d’indiction de l’Année de la miséricorde, Misericordiae vultus, le visage renvoyant à la fois à l’intériorité et à l’extériorité45.

Par ailleurs, Routhier soutient que l’approche spirituelle de la reformatio à travers la considération de la miséricorde au cœur du chantier de transformatio de l’Église lui permet d’être véritablement veluti sacramentum de Salut, signe levé parmi les nations.

Nous avons indiqué que la forma ecclesiae faisait aussi référence à la forma di povertà et au stilus pastoralis, ce qui signifie donc que toute renovatio ou reformatio de la forma ecclesiae renverrait également à celle de l’attitude de l’Église, à la renovatio de ses paroles et de ses gestes. En ce sens, comme le dit Capizzi, la reformatio évoquée par Yves Congar

44 Ibid., p. 257-258. 45 G. Routhier, « La miséricorde : fondement, principe et critère de toute réforme dans/de l’Église », p. 1. 83

dans Vraie et fausse réforme dans l’Église tient compte du service et de la solidarité avec les membres du « Peuple de Dieu »46. Aussi, Yves Congar dans son travail sur la renovatio ou reformatio ecclésiale a souligné que celle-ci porte la reformatio « dans l’Église » tout en précisant les conditions générales d’une vraie reformatio qui ne regarde pas les éléments structurels de l’Église, mais sa vie concrète47. Alors, cette reformatio de la vie concrète de l’Église « consiste in un rinnovamento mediante un ritorno al principio della tradizione: tradizione che è “la continuità dello sviluppo a partire dal dono iniziale e l’integrazione nell’unità di tutte le forme che questo sviluppo ha assunto e presenta attualmente. Essa à la presenza del principio in tutte le tappe del suo sviluppo”48. » Il s’en suit que l’Église, entendue comme « Peuple de Dieu » ou communauté habitée par l’Esprit Saint réforme sa vie, se rénove par son retour aux sources et dans la fidélité à la tradition, dans l’unité non seulement synchronique, mais aussi diachronique tel qu’indiqué par Capizzi. Cet auteur souligne l’importance de la notion de « Peuple de Dieu » dans la question de la reformatio de l’Église chez Congar. Ainsi, à la question « pourquoi et en quel sens l’Église se réforme ? », il semble crucial de distinguer d’une part l’institution qui provient de Dieu avec ses éléments constitutifs, qui est infaillible, sainte et sans tâche ; et d’autre part l’institution qui est le « Peuple des fidèles », la communauté sainte qui est tachée du péché de ses membres et qui est appelée à se réformer. Alors, l’appel de l’Église à la reformatio porte dans un premier temps sur un état des choses, sur les formes historiques qu’elle peut présenter comme communauté de fidèles au niveau des pratiques acquises. Dans un second temps, cela concerne le « Peuple de Dieu », non pas dans sa structure essentielle, mais dans toute sa vie49.

Finalement, parler de la renovatio ou de la reformatio de l’Église à partir de la forma populi ou la forma di popolo signifie souligner la valeur donnée à la vie laïque. Ainsi, comme le présente Riccardo Battocchio, la reformatio politique de l’Église a des conséquences

46 N. Capizzi, « “Vera e false riforma nella Chiesa: rilettura di un’opera di Y.M. Congar” », p. 293. 47 Ibid., p. 295-296. 48 Ibid., p. 296. 49 Ibid., p. 296-297. 84

ecclésiales et ecclésiologiques50 sur le « Peuple de Dieu ». Bressan, quant à lui, signale que le malaise de l’Église est un malaise structurel, mais au regard des diverses références à la forma ecclesiae évoquée antérieurement51 ainsi que de la renovatio ou reformatio associée à chacune de ces figures ecclésiales également exposées, son malaise est un malaise global. Alors, comme le dit l’auteur, une institution ecclésiale sans défauts structurels, un christianisme qui ne connaît pas de limites et d’appauvrissements de ses liens sociaux n’est qu’un mythe. Finalement, observer le christianisme dans ses figures historiques et sociales signifie apprendre à percevoir le malaise que cette observation provoque, l’interpréter à la lumière de la tradition chrétienne, recueillir les exemples d’amélioration critique que produit un tel exercice et apprendre à vivre avec ce malaise52. Toutefois, l’Église est appelée à être audacieuse et à se tourner vers une transformatio structurelle radicale dans le contexte actuel de plus en plus sécularisé53. C’est cette radicalité de l’Évangile que l’Église doit vivre au cœur de ses réformes, car l’évangélisation suppose sa renovatio dans ses pratiques, son fonctionnement et ses figures institutionnelles.

2.2 Le rapport entre la forma ecclesiae, la renovatio et l’Évangile

L’Église a pour vocation d’apporter l’Évangile aux nations, de faire connaître le Christ à tout le genre humain, de préparer le Royaume de Dieu à travers le développement du corps du Christ54. Ainsi, « les chrétiens ont le devoir de l’annoncer sans exclure personne, non pas comme quelqu’un qui impose un nouveau devoir, mais bien comme quelqu’un qui partage une joie, qui indique un bel horizon, qui offre un banquet désirable. » (EG 14) Pour ce faire, l’Église a recours à ses structures. Elle possède différentes formes institutionnelles qui ne sont pas toujours compatibles les unes avec les autres (fonctions, ministères, services, etc.). Bressan parle en ce sens d’un malaise provoqué par les figures ecclésiales de l’époque jugées inaptes ou inadaptées pour garder et transmettre le « dépôt de la foi », la

50 Riccardo Battocchio, « Politica, ecclesiologia e riforma della Chiesa: l’esempio di Marsilio da Padova », dans Annuncio del Vangelo, forma Ecclesiae, Cinisello Balsamo (Milano), San Paolo, 2005, p. 322. 51 La forma populi, la forma di popolo ; la forma Evangelii : la forma di povertà ; la forma maternae ; le stilus pastoralis; les formes conceptuelles. 52 L. Bressan, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui convivere », p. 47. 53 P. Carrara, « Forma ecclesiae. Per un cattolicesimo di popolo oggi: “per tutti” anche se non “di tutti” », p. 10. 54 G. Lafont, « La trasformazione strutturale della Chiesa come compito e come chance », p. 151. 85

mémoire chrétienne. Ces figures traditionnelles ne sont pas capables d’annoncer le message chrétien à la société et à la culture. C’est en ce sens que l’auteur énonce deux tentatives de relance de la forma ecclesiae : rechercher des énergies pour ne point succomber au pessimisme, commencer les opérations de relance capables de redonner une crédibilité future et souhaitable à l’Église et à ses institutions55.

L’Église est appelée à se réformer parce que, d’une certaine manière, elle s’écarte du Christ, de son activité missionnaire et de ce qu’elle est. Routhier dit alors qu’« à la suite d’une “mondanisation” de l’Église, le miroir-Église peut être dépoli, devenir mat et n’avoir aucune résonance, c’est-à-dire ne plus refléter la lumière du Christ, ne plus être lumineux et ne plus éclairer l’humanité. Alors, l’Église n’est plus, dans le monde, un “signal levé au milieu des nations” (Is 11, 12)56. » Autrement dit, elle doit se purifier dans la mesure où

Elle n’est plus langage compréhensible du mystère du Salut (mystère de miséricorde et de communion) qu’elle doit être dans et pour le monde. Elle est devenue opaque. Elle peut parler du Salut, discourir à son sujet, mais elle n’est plus, comme le Christ qui révèle le Père par toute sa présence, par tout ce qu’il est et fait, annonce effective par ce qu’elle est et ce qu’elle fait. En somme, sa réalité et sa vie n’est plus langage parlant57.

C’est donc à partir de ce que l’Église « est » et « fait » qu’elle évangélise plutôt que par ce qu’elle « dit ». Cela revient à dire que l’évangélisation ne se résume pas uniquement à développer le rapport à la parole, à la prédication ou à l’enseignement, mais aussi une manière d’être. C’est ce qu’a mis en avant le concile Vatican II à travers « les manières de procéder » et « l’enjeu d’une telle lecture génétique ou processuelle de Vatican II est de pouvoir mettre l’avenir de l’Évangile et de l’Église dans la société entre les mains de tout le Peuple de Dieu ; ce qui a été la visée principale du concile58. » Il n’y a pas, selon Routhier, de renouveau de l’Église sans renovatio de l’institution ecclésiale59, de toute la vie de

55 L. Bressan, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui convivere », p. 31-33. 56 G. Routhier, « La miséricorde : fondement, principe et critère de toute réforme dans/de l’Église », p. 12. 57 Ibid., p.12 58 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 160-161. 59 Gilles Routhier, « Quel type d’institutionnalité pour l’Église catholique ? Le renouveau de la figure ecclésiale à la lumière de l’exhortation apostolique Evangelii gaudium », Lumen Vitae LXX/1 (2015), p. 50. 86

l’Église, c’est-à-dire la manière dont elle se représente dans ses formes structurelles, dans son « agir ». Et pour qu’il y ait conversio pastorale, le pape François mentionne la nécessité d’une « réforme des structures » (EG 27). À ce propos, Theobald parle de « l’articulation entre la [vision globale du mystère de l’Église au sein de l’histoire de l’humanité, vision programmatique] et les solutions d’une série de problèmes particuliers (comme par exemple les rapports entre collégialité et primat pontifical, Églises locales et Église universelle ou encore entre laïcs et ministres ordonnés, etc.), articulation pas toujours parfaitement ordonnée60. » Alors, la renovatio de l’Église, comme mentionne le pape François, concerne l’institution papale et les structures centrales de l’Église universelle en vue de déterminer des formes nouvelles et moins complexes favorables à l’annonce de la Bonne Nouvelle ; les conférences épiscopales afin qu’elles occupent plus de place et répondent aux contextes socioculturels locaux (EG 32) ; le renouveau du langage (EG 41) qui permette une annonce appropriée à nos contemporains ; finalement le renouveau des paroisses (EG 28) dans la mesure où c’est le lieu de l’enracinement de l’Évangile. Une annonce de la Bonne Nouvelle sans conversio est une vaine entreprise parce que « l’évangélisation est liée à la conversion, à la purification, au renouveau et à la réforme de/dans l’Église, bref à sa sainteté qui est fondamentalement sa disposition à se laisser recréer/remodeler sans cesse par l’Esprit qui sanctifie 61 . » La conversio de l’Église nécessite alors l’examen des péchés personnels et structurels, c’est-à-dire des figures institutionnelles. De toute évidence, le rapport avec l’Évangile, l’écoute de la Parole de Dieu et l’apprentissage de ce qui en découle conduisent à une conversio permanente62. Par ailleurs, le contexte de l’annonce exige, de la part de l’Église, une constante capacité de reformatio et d’apprentissage. Il en résulte une inversion du mouvement de l’évangélisation :

[Une constante capacité de réforme et d’apprentissage à propos de toute la dimension du dépôt de la foi (UR 6)] inverse le mouvement asymétrique usuel qui va de l’annonciateur au destinataire et rend l’écoute de la Parole de Dieu par l’annonciateur dépendante de sa capacité, engendrée par l’Esprit, de faire de ce qui se passe chez le destinataire potentiel et dans son histoire le point de départ de sa propre écoute et de son annonce. « Cette manière

60 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 157. 61 G. Routhier, « La miséricorde : fondement, principe et critère de toute réforme dans/de l’Église », p. 13. 62 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 172. 87

appropriée de proclamer [accomodata praedicatio] la Parole révélée doit demeurer la loi de toute évangélisation », lit-on finalement dans Gaudium et spes, n° 4463.

L’Église a de fait le devoir de demeurer créative à cause des changements culturels, sociaux, économiques, etc., afin de favoriser la proclamation continuelle de l’Évangile64. Cela réfère à la notion de style évoqué antérieurement avec Theobald et que Vatican II met en avant au cœur de la tâche du concile. Dans la mesure où plusieurs transformations culturelles sont survenues depuis la Première Guerre mondiale, une façon de penser la l’Église aujourd’hui est de croire que l’Esprit la conduit dans les formes adaptées pour notre culture en ayant pour devoir le soutien du mouvement de l’Esprit dans ce processus, notamment la renovatio ou reformatio.

L’œuvre missionnaire de l’Église est appelée dans un tel contexte à se réaliser en dialogue avec toutes les personnes, la philosophie, la culture et les religions dans le souffle de Vatican II. Une reformatio authentique de l’Église est d’abord évangélique et pénètre le vécu social seulement si les structures sociales sont mises sur un chemin de retour à l’Évangile65. C’est pourquoi l’appel à l’aggiornamento de l’Église nécessite l’urgence d’une certaine irradiation apostolique, c’est-à-dire une vie supportée par l’Évangile et ses valeurs66. Le pape Paul VI rappelait également à ce sujet « “que les conditions de la société nous obligent tous à réviser les méthodes, à chercher par tous les moyens à étudier comment faire arriver à l’homme moderne le message chrétien dans lequel il peut trouver la réponse à ses interrogations et la force pour son engagement de solidarité humaine”. » (EN 3) Parmi les transformations culturelles ecclésiales, on relève par exemple un changement de discours, de pouvoir, de structure hiérarchique, de service et de responsabilité67. La transformatio structurelle de l’Église comme devoir et comme possibilité dans un contexte culturel donné met encore en évidence la nécessité de la renovatio ou reformatio en vue de la conformatio Christi développée par Alberigo, mais aussi mise en avant par Vatican II à

63 Ibid., p. 218. 64 G. Lafont, « La trasformazione strutturale della Chiesa come compito e come chance », p. 152. 65 N. Capizzi, « “Vera e false riforma nella Chiesa: rilettura di un'opera di Y.M. Congar” », p. 301. 66 Ibid., p. 303. 67 G. Lafont, « La trasformazione strutturale della Chiesa come compito e come chance », p. 172-174. 88

travers son projet conciliaire tel que souligné par O’Malley. Selon Parente, parler de reformatio induit nécessairement la visée de la forma Christi, d’où l’importance, avance-il, pour les réformateurs de ne point s’enfermer dans une nostalgie ou la recherche d’un modèle d’Église primitive, car la reformatio vise le Salut68. Aussi, il y a nécessité de questionner sans cesse la forma ecclesiae et de l’évaluer dans le temps et l’espace à partir des exigences de l’Évangile. Il y a donc une tension apparente ou une complexité dans la visée de la forma ecclesiae. Tantôt on relève la conformatio Christi69, tantôt la transmission du message de l’Évangile. En même temps, on pourrait souligner que l’annonce de l’Évangile renvoie explicitement ou vise elle-même cette conformatio Christi :

Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes UN : moi en eux, et toi en moi. Qu’ils deviennent ainsi parfaitement un, afin que le monde sache que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé (Jn 17, 21-22)

La question du lien entre l’Évangile, la forma ecclesiae et sa reformatio est indissociable de celle de l’inculturation. En effet, selon Seveso, « “inculturazione” è definito come “termine con il quale si indica la prospettiva e l’azione mediante la quale il Vangelo può raggiungere il cuore della culture”70. » Ainsi, le lien entre l’Évangile et la culture est essentiel, les deux ont des actions complémentaires. L’évangélisation se situe donc dans « la culture et les cultures de l’homme, dans le sens riche et large que ces termes ont dans Gaudium et spes, partant toujours de la personne et revenant toujours aux rapports des personnes entre elles et avec Dieu. » (EN 20) L’Évangile permet à la culture de se révéler et libère en elle la vérité tandis que la culture exprime l’Évangile de manière originale. Toutefois, on ne peut parler d’évangélisation de la culture sans mettre au premier plan l’humain, car l’annonce de la Bonne Nouvelle doit s’inspirer de l’amour pour le genre humain. En ce sens, Routhier mentionne que l’annonce de l’Évangile passe par des liens sociaux, mais aussi par des relations entre personnes. Alors, lorsque Theobald parle du « christianisme comme style » il

68 U. Parente, « Circa la plausibilità dell’elaborazione di un modello di Chiesa alla luce della storia della Chiesa », p. 145-146. 69 G. Alberigo, « “Forma ecclesiae” dans l’humanisme chrétien, en particulier chez Nicolas de Cusa ». 70 B. Seveso, « Teologia pastorale e cifre sintetiche della riforma ecclesiale », p. 77. 89

met en avant le christianisme comme manière d’habiter le monde à partir de l’Évangile, comme processus de rencontre et de relation mutuelle71. Le secrétariat pour le synode des évêques, quant à lui, souligne que le problème de l’évangélisation actuelle est de fait l’incapacité de l’Église à être une réelle communauté, à vivre une authentique fraternité :

La question sur la transmission de la foi ne doit pas orienter les réponses dans le sens de la recherche de stratégies efficaces de communication ni se centrer de façon analytique, sur les destinataires ; elle doit se décliner comme une question concernant le sujet chargé de cette opération spirituelle. Elle doit devenir une question de l’Église sur elle-même. Ce qui permet de poser le problème de façon non extrinsèque, mais correcte, puisqu’elle met en cause toute l’Église dans son essence et dans sa vie. De cette manière, il peut être possible aussi de comprendre le fait que le problème de l’infécondité de l’évangélisation aujourd’hui, de la catéchèse des temps modernes, est un problème ecclésiologique, qui concerne la capacité ou l’incapacité de l’Église de se configurer en une communauté réelle, en une authentique fraternité, en un corps, et non en une machine ou une entreprise. (L 3)

Le rôle qui revient à l’Évangile est alors en quelque sorte de créer de nouveaux liens sociaux, d’abolir les frontières et de réintégrer des personnes dans la société. Routhier parle d’un « processus de dé-structuration — re-structuration des rapports sociaux 72 » par l’Évangile. Permettre la réalisation de tels actes consiste déjà à réformer la forma ecclesiae : « Il apparaît que l’un des fruits de la proclamation de l’Évangile en parole et en acte soit l’institution de nouveaux rapports entre les personnes. L’accueil de l’Évangile engage une transformation du lien social73. » À cette écoute de la Parole de Dieu, Theobald associe une attitude : le discernement du moment présent, de la culture, des signes des temps qui met en évidence le lien essentiel existant entre l’Évangile et la société74. L’annonce de l’Évangile en vue de la renovatio de l’Église nécessite aussi d’assumer les richesses des nations, d’enraciner la foi dans le contexte socioculturel et de mettre en valeur les Églises particulières75. L’une des possibilités de survie de l’Église se trouve dans sa

71 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 219. 72 G. Routhier, « L’Église : “sacrement” du vivre ensemble de la diversité de la famille humaine », p. 385. 73 Ibid., p. 386. 74 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 170. 75 G. Routhier, « Quel type d’institutionnalité pour l’Église catholique ? Le renouveau de la figure ecclésiale à la lumière de l’exhortation apostolique Evangelii gaudium », p. 46. 90

capacité à abandonner ses structures non adaptées pour son œuvre missionnaire et à récupérer ou retrouver son caractère originel dans l’Évangile76.

Dianich souligne que la forme authentique de l’Évangile donnée à l’Église naissante est inévitablement et continuellement soumise à la dérive, d’où le besoin de reformatio déjà mentionné. En même temps, cet auteur souligne que la notion d’évangélisation demeure complexe et doit être comprise à travers plusieurs aspects de l’activité missionnaire de l’Église et de sa responsabilité envers le monde. Ainsi, il relève que la mission et l’action pastorale sont synonymes d’évangélisation77. Malgré que « l’objectif qui fonde la mission de l’Église soit plus clair, c’est-à-dire l’annonce de l’Évangile, les modalités des médiations du message évangélique sont problématiques dans le contexte actuel78 » au regard du rapport entre le catholicisme, la forma ecclesiae et la pastorale de l’Église. Alors, l’enjeu est, selon Ambrosio, d’élaborer la forme du catholicisme la plus adaptée à communiquer l’Évangile aujourd’hui, à savoir, « “la figura di Chiesa in vista della missione […], la “proposta della fede” et della “testimonianza cristiana”, una linea che merita particolare attenzione in quanto comporta una ridefinizione dell’azione pastorale79. » Cela permet ainsi de relever, comme l’appuie l’auteur, que la révision ou l’élimination des structures ecclésiales du passé favorables à la communication de l’Évangile met en jeu l’institution ecclésiale et sa reformatio80. La « pastoralité » présente alors une visée claire, c’est-à-dire qu’elle permet de retrouver la cohérence évangélique entre ce qui est transmis et la manière de la transmettre81. La « pastoralité » favorise également la proclamation appropriée de la Parole :

L’« accommodata praedicatio verbi revelati » est l’expression parfaite du principe de « pastoralité », en tant qu’il détermine désormais l’ensemble du processus ecclésial de « tradition » : la « proclamation appropriée de la parole révélée » implique la concordance sans cesse à rétablir (semper reformanda)

76 P. Carrara, « Forma ecclesiae. Per un cattolicesimo di popolo oggi: “per tutti” anche se non “di tutti” », p. 27. 77 S. Dianich, « Dall’atto del “vangelo” alla “forma ecclesiae” », p. 98-99. 78 G. Ambrosio, « Forme di cattolicesimo nella postmodernità. Limiti e chances di un “cattolicesimo fragile” », p. 62. 79 Ibid., p. 63-64. 80 Ibid., p. 74. 81 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 152. 91

entre l’Évangile à annoncer, ceux qui l’annoncent et leur manière de chercher ensemble sa vérité, recherche qui passe par la lecture des Écritures, inséparable du discernement des signes des temps. C’est donc une manière de procéder », voire une pédagogie qui est codifiée par le concile82.

De plus, la « pastoralité » permet à l’Église d’avoir une vision cohérente qui s’articule autour de trois pôles : l’Évangile, la société moderne et l’Église. Elle la décentre aussi à deux niveaux : écoute de la Parole de Dieu et présence à l’autre83. Il apparaît alors que le principe pastoral de l’Église est fondé sur le principe relationnel de la Bonne Nouvelle84.

L’Évangile du Christ est au cœur de la vie chrétienne en ce sens que « l’impulso di fondo è impresso dalla convinzione della rilevanza decisiva del Vangelo di Gesù Cristo per la vita dell’uomo85. » Toutefois, il existe une tension dans la vie chrétienne, c’est-à-dire une continuité de la vie chrétienne avec l’Évangile comme évènement de Jésus-Christ, et une discontinuité entre les deux puisque l’Évangile demande à être continuellement proclamé, même dans les conditions différentes des origines et du contexte historique86. Cet Évangile que l’Église porte au monde est une annonce de libération87. Celle-ci permet à l’institution ecclésiale de se déterminer par cette tâche d’évangélisation en ce sens qu’elle se donne une forme qui libère une place importante pour les laïcs, qu’elle fait émerger le laïc comme le premier sujet ecclésial adjoint à la transmission de la foi88. Pourtant, c’est le contraire que l’on constate dans la situation actuelle des laïcs au sein de l’Église89. La forma ecclesiae doit de ce fait permettre à l’Église de libérer le Peuple de Dieu, les croyants et non-

82 Ibid., p. 155. 83 Ibid., p. 161. 84 Ibid., p. 217. 85 B. Seveso, « Un ‘corpo per la fede’. Forme del cristianesimo », p. 30. 86 Ibid., p. 31. 87 S. Dianich, « Dall’atto del “vangelo” alla “forma ecclesiae” », p. 116. 88 Ibid., p. 126. 89 « Nella situazione attuale sembra che ciò che i laici fanno nel mondo (ed è lì che avviene l’evangelizzazione) non determini per niente la forma ecclesiae: le qualificazioni sociali, professionali e politiche che caratterizzano la missione nel suo soggetto laicale sembrano non ritorno all’interno della comunità et essere incapaci di determinarvi alcunché. Il più serio problema del laicato nella Chiesa oggi non consiste nella definizione di competi nuovi che si possano o si debbano attribuire ai laici all’interno della comunità, bensì nel bisogno di assumere nel quadro dell’unico soggetto ecclesiale ciò che essi compiono con fede nel mondo. L’interrogativo più rilevante de porci è quanto e come tutto ciò che i laici fanno, in forza della loro vocazione, nella famiglia, nella professione e nell’impegno culturale, sociale e politico, e che pur viene indicato dal codice nella figura di un complesso di diritti e di doveri, risulti anche dal punto di vista istituzionale parte costitutiva della missione della Chiesa. », ibid., p. 128. 92

croyants, de toutes les formes de pauvreté à travers son option préférentielle pour les pauvres à la suite du Christ. Par ailleurs, la forma ecclesiae, qui est coessentielle à l’acte de l’Évangile, est « una forma estremamente sobria90 », notamment au niveau de la structure et de l’enseignement tel qu’exposé par Dianich :

Bisognerebbe però che si elaborassero i criteri, derivanti da una corretta hierarchia veritatum, capaci di produrre une semplificazione della predicazione cristiana, in modo che l’enorme ampiezza e complessità dei contenuti della catechesi e le moltiplicazione, occasionale e dispersiva, degli interventi magisteriali non vengano, nonostante a loro obiettiva correttezza, a creare nell’opinione pubblica una immagine di Chiesa squilibrata e discutibile, rispetto a quella forma ecclesiae che il non credente ha bisogno di incontrare sul suo commino per accogliere la proposta della fede91.

La sobriété évoquée indique que l’Église est elle-même appelée à être pauvre à travers toute sa vie, car on retrouve déjà cette dynamique dans l’Écriture : « il nesso tra evangelizzazione e povertà è un nesso scritto già nei vangeli et pertanto è un irrinunciabile dato evangelico o se si vuole, un dato dogmatico92. »

Comme exposé par Capizzi, c’est le propre même de l’Évangile de donner vie à chaque mouvement de renovatio93, surtout à travers « i movimenti di rinnovamento dal punto di vista dell’impegno comunitario e della vita comune, dettati dal Vangelo94. » De toute évidence, la renovatio ou transformatio amorcée par le concile Vatican II vise l’évangélisation95 et le pape François renforce cela en mettant l’Évangile au premier plan dans son Exhortation apostolique Evangelii gaudium. Manifestement, c’est à partir du cœur de l’Évangile que l’Église est missionnaire et appelée à vivre une réelle conversio, celle de sa manière de porter la Bonne Nouvelle au monde, c’est-à-dire sa « pastoralité ». Et c’est selon le pape François une renovatio dont l’Église ne peut se passer. Il brosse alors un portrait des défis actuels, notamment ceux liés à la culture et à l’inculturation de la foi, mais

90 Ibid., p. 120. 91 Ibid., p. 122-123. 92 G. Mazzillo, « Una Chiesa povera per essere Chiesa dei poveri: proponibilità e attualità », p. 261. 93 N. Capizzi, « “Vera e false riforma nella Chiesa: rilettura di un’opera di Y.M. Congar” », p. 310. 94 Ibid., p. 311. 95 M.L. Lamb, « The Challenges of Reform and Renewal within Catholic Tradition », p. 442. 93

aussi ceux liés aux tensions existantes au niveau pastoral. Par ailleurs, le pape François fait de l’urgence de l’évangélisation une préoccupation de l’ensemble du Peuple de Dieu.

2.3 La « Nouvelle Évangélisation » comme outil de la reformatio de la forma ecclesiae

La fragilité du christianisme, selon Ambrosio, implique à la fois la manière d’annoncer la foi par l’Église, mais aussi sa manière d’« être-agir » dans la société96. Toutefois, si l’annonce est une proposition fragile, il s’en suit que l’institution ecclésiale l’est aussi97 et nécessite de trouver des formes nouvelles, non seulement au niveau de ses structures, mais dans sa manière d’annoncer qui soit également nouvelle. Voilà une des raisons pour lesquelles l’activité missionnaire de l’Église a aujourd’hui besoin de concentrer ses contenus essentiels dans l’évangélisation98. La dimension sociale de l’évangélisation est un point à travers lequel le pape François insiste sur le dialogue et la prise en compte de l’interlocuteur. Tout cela n’est guère possible sans au préalable une réelle conversio ou transformatio, c’est-à-dire sans renovatio ou reformatio de l’Église99. En fait, le concile et quelques documents magistériels ultérieurs comme ceux évoqués par exemple dans EG mettent en avant l’évangélisation dans ce que l’on appelle la NE. L’adjectif « Nouvelle » ne signifie pas que c’est un nouvel Évangile qui est proposé, car la Révélation est close. La nouveauté renvoie plutôt, comme le mentionne le secrétariat pour le synode des évêques dans les L 5, aux ardeurs, aux méthodes, aux expressions de l’Esprit. Il s’agit de nouvelles voies de l’annonce vis-à-vis des transformations et défis auxquels l’Église doit faire face. La NE c’est alors « l’effort de renouvellement » qui incombe à l’Église devant les exigences du contexte socioculturel actuel. Le secrétariat pour le synode des évêque aborde aussi la NE comme une « relance spirituelle de la vie de foi » ou encore comme une attitude, un style, une capacité à lire et à déchiffrer ce qu’ils appellent les « nouveaux scénarios » (culturels, sociaux, communicationnels, économiques, scientifiques et

96 C’est aussi ce qu’affirme Martelli « In questa veste posso intervenire solo sulla seconda presa di coscienza indicata da Lafont, ovvero il “parallelismo molto stretto tra il modo di pensare la confessione di fede e la maniera di strutturare la Chiesa al servizio di questa confessione”. », S. Martelli, « Trasformazione strutturale della Chiesa come compito et come chance », p. 175. 97 G. Ambrosio, « Forme di cattolicesimo nella postmodernità. Limiti e chances di un “cattolicesimo fragile” », p. 68. 98 S. Dianich, « Dall’atto del “vangelo” alla “forma ecclesiae” », p. 120. 99 L’Église étant ici comprise comme l’ensemble du Peuple de Dieu et des structures ecclésiales. 94

techniques, politiques) en adéquation avec le témoignage et l’annonce de l’Évangile (L 6). La NE est aussi, selon le secrétariat pour le synode des évêques, une nouvelle attention de l’Église à l’égard de sa vocation : évangéliser (L 10). Le pape François associe, quant à lui, la NE a l’engagement de chaque chrétien, car « la [NE] doit impliquer que chaque baptisé soit protagoniste d’une façon nouvelle. Cette conviction se transforme en un appel adressé à chaque chrétien, pour que personne ne renonce à son engagement pour l’évangélisation ». (EG 120) Le secrétariat pour le synode des évêques indique que

« Nouvelle évangélisation » signifie que « nous devons revivre en nous le sentiment enflammé de Paul qui s’exclamait : “Malheur à moi si je n’annonçais pas l’Évangile !” (1 Co 9, 16) Cette passion ne manquera pas de susciter dans l’Église un nouvel esprit missionnaire, qui ne saurait être réservé à un groupe de “spécialistes”, mais qui devra engager la responsabilité de tous les membres du peuple de Dieu. Celui qui a vraiment rencontré le Christ ne peut le garder pour lui-même, il doit l’annoncer. Il faut un nouvel élan apostolique qui soit vécu comme un engagement quotidien des communautés et des groupes chrétiens ». (L 24)

La NE se situe dans un tel contexte de reformatio et est indissociable de la forma ecclesiae à travers laquelle l’Église proclame l’Évangile du Christ. Toutefois, Bressan mentionne que la NE n’est pas une invention récente, mais une dynamique de la tradition chrétienne remise en avant lors de Vatican II100. Il existe de fait un rapport entre la forma ecclesiae et la NE que le concile met en avant à travers le terme « primato della pastoralità101 » introduit par le pape Jean XXIII lors de son discours d’ouverture. Aussi, le pape Jean XIII, comme le signale Mazzillo, a parlé dans le contexte de Vatican II de la conversio de l’Église pour le Règne de Dieu en termes d’une Église qui « si presenta qual è e vuole essere, come la Chiesa di tutti e particolarmente la Chiesa dei poveri102. » Dans le même sens, le pape François insiste dans EG sur le besoin actuel d’une Église en sortie, particulièrement sur une Église pauvre pour les pauvres103. C’est sans doute là une indication de la forma

100 L. Bressan, « Quale forma di Chiesa per l’evangelizzazione oggi? Nuova evangelizzazione e riforma della Chiesa », p. 294. 101 Ibid., p. 300. 102 G. Mazzillo, « Una Chiesa povera per essere Chiesa dei poveri: proponibilità e attualità », p. 265. 103 « Pour l’Église, l’option pour les pauvres est une catégorie théologique avant d’être culturelle, sociologique, politique ou philosophique. Dieu leur accorde ‘‘sa première miséricorde’’. Cette préférence divine a des conséquences dans la vie de foi de tous les chrétiens, appelés à avoir ‘‘les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus’’ (Ph 2, 5). Inspirée par elle, l’Église a fait une option pour les pauvres, 95

ecclesiae dont l’Église a besoin dans le contexte de la NE. Mais pour y parvenir, elle aura besoin d’une véritable conversio. Bressan, quant à lui, développe la NE réinterprétée par le pape Benoit XVI comme étant en lien avec la reformatio de l’Église. Autrement dit, la NE est un instrument pour la renovatio ecclésiale. Quant au secrétariat pour le synode des évêques, c’est aussi un instrument et une voie :

Du concile Vatican II à aujourd’hui, la Nouvelle Évangélisation a été proposée avec toujours plus de lucidité comme l’instrument permettant de se mesurer aux défis d’un monde en transformations toujours plus rapides, et comme la voie pour vivre aujourd’hui le don d’être rassemblés par l’Esprit Saint pour faire l’expérience du Dieu qui est notre Père, en témoignant et en proclamant à tous la Bonne Nouvelle — l'Évangile — de Jésus-Christ. (L 1)

La NE est également un instrument de lancement et un moyen de communication d’énergies nouvelles pour l’Église dans le but d’une renovatio et/ou « re-dynamisation » de son activité missionnaire (L 5). Par ailleurs, Bressan insiste sur le fait que la NE est élaborée en opposition avec la bureaucratie ou l’alourdissement des structures et le prosélytisme qui ne prend pas en compte les réalités de l’interculturalisme104. Aussi, le rapport forma ecclesiae-NE est, selon lui, indissociable du rapport Christ-culture parce que l’Église est appelée à trouver à travers l’articulation foi-culture les nouvelles formes de compréhension théologique de son identité, de sa mission, de ses tâches et de ses actions dans l’histoire105. Alors, le processus d’évangélisation, selon Carrara, se réalise lorsque le Peuple de Dieu s’incarne dans un peuple spécifique, dans une culture donnée106. En ce sens, la NE ne se pense pas comme une alternative dans le contexte séculier actuel, mais plutôt comme le travail de l’Église sur sa forma qui la rendra capable d’annoncer l’Évangile à nos contemporains. En outre, le rapport entre le christianisme et la culture n’est pas seulement comme un instrument régulateur de la forma ecclesiae, mais c’est aussi un outil essentiel et dynamique pour la Révélation. Cela met en évidence un autre rapport, celui de la forma

entendue comme une ‘‘forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l’Église’’. Cette option — enseignait Benoît XVI — ‘‘est implicite dans la foi christologique en ce Dieu qui s’est fait pauvre pour nous, pour nous enrichir de sa pauvreté’’. Pour cette raison, je désire une Église pauvre pour les pauvres. Ils ont beaucoup à nous enseigner. » (EG 198) 104 L. Bressan, « Quale forma di Chiesa per l’evangelizzazione oggi? Nuova evangelizzazione e riforma della Chiesa », p. 295. 105 Ibid., p. 304. 106 P. Carrara, « Forma ecclesiae. Per un cattolicesimo di popolo oggi: “per tutti” anche se non “di tutti” », p. 19. 96

ecclesiae avec l’annonce de l’Évangile107. Autrement dit, il s’agit aussi du lien entre la forma ecclesiae et le style selon Vatican II illustré par la notion de NE qui est en quelque sorte une forme de l’annonce évangélique et une attitude.

La NE est un instrument qui peut permettre à l’Église de déterminer des formes adéquates pour rejoindre nos contemporains à l’instar de la forma maternae exposée précédemment : « Uno stile materna emerge invece da una serie di atteggiamenti concreti e di attenzioni operative mediante le quali la maternità ecclesiale prende forme nella comunità dei credenti108. » Ainsi, la maternité ecclésiale ou le style maternel de l’Église est une approche à travers laquelle la NE peut véritablement permettre à l’Église d’apporter l’Évangile au monde de manière crédible. Ce style maternel confère à l’Église une attitude de miséricorde, une tendresse à l’égard de ses membres et de toutes les personnes vers qui elle est envoyée. Comme le soutient Routhier, c’est par la miséricorde que l’Église peut véritablement se réformer, transformer son style, son rapport avec le monde. La miséricorde possède, selon lui, cette capacité de transformer l’intériorité de produire des effets sur l’« agir »109. Ainsi, la miséricorde transforme la vie intérieure de l’Église et irradie sur toute sa corporéité, sur la forma ecclesiae par laquelle elle se présente. La NE est un instrument pour la renovatio de l’Église dans la manière dont elle se présente par ses formes structurelles, dans son « agir » pastoral. C’est dans cette perspective de nouvelles façons d’être Église que l’évangélisation, notamment la NE, est véritablement un outil de la reformatio ecclésiale (L 9).

Bressan soutient que la NE est un instrument qui rend compte de la signification profonde de tout le débat ecclésiologique du XXe siècle tout en soulignant le rapport entre la forma ecclesiae et la NE entendu comme le défi de la culture moderne qui met en jeu la tradition de l’Église et sa capacité à générer ce que M. De Certeau appelle la « fracture créatrice »110. S’appuyant sur la pensée de Benoît XVI, Bressan ajoute que la NE est d’abord une attitude

107 L. Bressan, « Quale forma di Chiesa per l’evangelizzazione oggi? Nuova evangelizzazione e riforma della Chiesa », p. 305-306. 108 G. Ziviani, « La Chiesa Madre: immagine di rinnovamento », p. 354. 109 G. Routhier, « La miséricorde : fondement, principe et critère de toute réforme dans/de l’Église », p. 1. 110 L. Bressan, « Quale forma di Chiesa per l’evangelizzazione oggi? Nuova evangelizzazione e riforma della Chiesa », p. 293. 97

spirituelle, une reformatio dans le sens de la foi qui permet à l’Église de se situer à l’intérieur de l’histoire, mais aussi une modalité capable de porter de nouveau la question de Dieu au cœur des questionnements humains aujourd’hui111. Il semble alors impossible de transmettre la foi sans penser à la NE comme instrument pour la reformatio ecclésiale en lien avec la forme que prend l’Église dans la société. Une telle reformatio structurelle doit être capable d’atteindre une reformatio spirituelle. Le secrétariat pour le synode des évêques a explicitement indiqué ce rapport entre la NE et le besoin de renovatio de toute la vie de l’Église sur le plan spirituel en affirmant que

La nouvelle évangélisation est donc surtout un devoir et un défi spirituel. C’est une tâche pour les chrétiens qui recherchent la sainteté. Dans ce contexte et avec cette compréhension de la formation, il sera utile de consacrer de l’espace et du temps à une confrontation sur les institutions et les instruments dont disposent les Églises locales pour rendre les baptisés conscients de leur engagement missionnaire et évangélisateur. Face aux scénarios de la nouvelle évangélisation, pour être crédibles les témoins doivent savoir parler les langages de leur temps, annonçant ainsi de l’intérieur les raisons de l’espérance qui les anime (1 P 3, 15). Une telle tâche ne peut pas être imaginée de façon spontanée, elle exige attention, éducation et soin. (L 22)

La NE n’est pas un instrument pour vivre la nécessaire transformatio de la présence de l’Église au cœur du monde de manière purement technique, mais c’est plutôt un instrument qui maintient la question de la forma ecclesiae au niveau théologique112. Seveso soutient, quant à lui, que pour arriver à la NE il y a de prime abord la nécessité de refaire le tissu chrétien de la société, de surmonter la fracture entre la culture et la foi à travers l’opération d’inculturation de la foi. La NE devient alors comme une mission permanente de l’annonce de l’Évangile à toutes les personnes qui ne connaissent pas encore le Christ113. Le secrétariat pour le synode des évêques évoque le besoin urgent d’une NE dont le pape Benoît XVI a réaffirmé l’importance et la place essentielle dans le programme de l’Église, dans son activité missionnaire (L 1). Le pape François propose la NE comme un instrument de la reformatio de l’Église dans son rapport aux plus démunis, dans la mesure où cette NE est entendue comme « une invitation à reconnaître la force salvifique de leurs existences, et

111 Ibid., p. 295. 112 Ibid., p. 296-297. 113 B. Seveso, « Teologia pastorale e cifre sintetiche della riforma ecclesiale », p. 74. 98

à les mettre au centre du cheminement de l’Église. » (EG 128) Il affirme par ailleurs que « pour l’Église, l’option pour les pauvres est une catégorie théologique avant d’être culturelle, sociologique, politique ou philosophique. » (EG 128)

En somme, la NE est un outil de la reformatio qui met en lumière l’Église comme présence (espace, lieu, organe social visible) disant (langage, culture) quelque chose, donnant une information sur l’attitude de Dieu envers l’humanité et cela souligne aussi le rapport entre la forma ecclesiae et le langage114. Cela renvoie finalement au rapport entre l’Église et le monde moderne opéré par Vatican II. Toutefois, avec la NE, « l’avvento di forme nuove non significa che le forme antiche non siano state buone a suo tempo: significa soltanto che hanno cessato di esserlo115. »

3 La forma ecclesiae pour la vie de l’Église et l’annonce de l’Évangile

L’Église a, selon Congar, l’obligation de se développer et d’avancer dans le monde ainsi qu’avec le monde en se laissant motiver par l’Évangile qu’elle annonce 116 , car « l’évangélisation est la tâche de l’Église. Mais ce sujet de l’évangélisation est bien plus qu’une institution organique et hiérarchique [puisqu’] avant tout c’est un peuple qui est en marche vers Dieu. » (EG 111) Cependant, l’évangélisation présente une dimension sociale ayant un impact sur la vie de l’Église.

3.1 La forma ecclesiae et la vie de l’Église

Ce qui s’est passé à Vatican II fut, d’après Dulles117, une transformatio ou une révolution, donc plus qu’un ajustement ou un développement dans la mesure où le concile a opéré un passage, un changement dans la conception de l’Église. Cela est attesté par la mise en exergue de l’Église veluti sacramentum à Vatican II. En effet, le signe de l’Église est opérée par son adhésion ainsi que sa nécessité et son activité missionnaire : l’annonce de l’Évangile. Dulles insiste par ailleurs sur l’importance des études sociales de l’Église dans

114 L. Bressan, « Quale forma di Chiesa per l’evangelizzazione oggi? Nuova evangelizzazione e riforma della Chiesa », p. 306-307. 115 B. Seveso, « Un ‘corpo per la fede’. Forme del cristianesimo », p. 51. 116 N. Capizzi, « “Vera e false riforma nella Chiesa: rilettura di un’opera di Y.M. Congar” », p. 307. 117 A. Dulles, « Nature, Mission, and Structure of the Church », p. 25-36. 99

le processus d’inculturation à travers lequel elle ne peut que trouver des outils et des moyens de s’adresser à ses contemporains de manière crédible118. De plus, il présente l’insistance du concile sur le rôle indispensable de la hiérarchie telle que définie à Vatican II et stipule que cela ne minimise en aucun cas son obligation de servir l’ensemble du Peuple de Dieu. En rappelant le rapport entre autorité, service et pastorale, Dulles pose la question de la nature de l’Église à travers son mystère et la notion du Peuple de Dieu, ainsi que l’édification de l’Église ou de sa forma ecclesiae à partir de la structure hiérarchique et des laïcs. Le service de la communauté ou du Peuple de Dieu par la hiérarchie est pourtant la perspective de Vatican II telle que présentée par Henri Holstein. Dans son analyse, il relève par exemple les limites de la collégialité, notamment la relation entre l’épiscopat et le souverain pontife119. En ce qui concerne le magistère hiérarchique, Holstein mentionne la question de la dépendance de la foi personnelle à l’égard du magistère hiérarchique et invite à une réflexion sur le magistère et sa relation avec la foi du Peuple de Dieu. Par ailleurs, il signale la question du caractère pastoral du pouvoir magistériel de la hiérarchie ainsi que l’importance du témoignage compris comme un engagement personnel qui implique une communication, une sympathie, une bonne volonté et une communio. Cet auteur appuie aussi le fait que, par souci pastoral, Vatican II a adopté un style nouveau qui s’est traduit dans sa manière de s’adresser à ses interlocuteurs, sans condamnation par exemple. Cela constitue en soi une nouveauté pour les conciles œcuméniques modernes120. Son analyse de Lumen gentium permet de poser la question de la distinction entre les structures de gouvernement et leur exercice, la primauté de l’annonce de l’Évangile sur les formes institutionnelles, et la forma ecclesiae comme service de communio.

Lafont signale que la question des transformations structurelles de l’Église met en lumière celle de « l’autorité ». Il soutient que la seule autorité de l’Église est de fait celle du Christ et de l’Esprit Saint. Autrement dit, l’Église est en constante dépendance de la Trinité. Toutefois, l’auteur, à travers l’analyse du sacrement de l’Ordre, met en évidence une

118 L. Bressan, « Quale forma di Chiesa per l’evangelizzazione oggi? Nuova evangelizzazione e riforma della Chiesa », p. 306-307. 119 Henri Holstein, Hiérarchie et peuple de Dieu : d’après “Lumen gentium”, Paris, Beauchesne, 1970, p. 31- 34. 120 Trente (1545-1563), Vatican I (1869-1870) et Vatican II (1962-1965). 100

certaine autorité qui n’est rien d’autre que pastorale dans la vie de la communauté chrétienne et qui se situe dans l’activité missionnaire confiée à l’Église par le Christ : annoncer, préparer et rendre présent le Règne de Dieu121. Dans le même sens que Lafont, le cardinal Martini affirme que c’est l’Esprit Saint qui guide avec patience et miséricorde au sein de l’Église quiconque est revêtu de l’autorité. Aussi, l’exercice de l’autorité dans l’Église trouve sa propre règle dans le Christ, son imitatio : « Qui “autorità” è anzitutto forza che nasce dalla parola detta con lucidità, autorevolezza, convinzione e pertinenza122. » Alors, toute autorité dans l’Église est participation au pouvoir libérateur et illuminant du Christ, et non pas une imposition d’un pouvoir personnel ou d’un groupe particulier sur d’autres. Le cardinal Martini se réfère à Lc 22, 26-27123 et Jn 13, 14-16124 pour exposer la conception de l’autorité du Christ qui est celle du « service ». Il indique la disponibilité, le désintéressement et l’humilité comme les vertus ou caractéristiques de cette autorité de service125. Par ailleurs, le cardinal Martini fait une analogie entre l’exercice de l’autorité et l’obéissance dans le mystère trinitaire126. Ce n’est que dans cette posture que l’Église pourra se décentrer d’elle-même à travers sa forma ecclesiae pour vivre l’annonce de l’Évangile.

Cette question de l’autorité est au cœur de la vie de l’Église, notamment dans les rapports entre ministres ordonnés et fidèles non ordonnés. Pourtant, l’Église a un rôle à jouer pour que soit possible la responsabilité et la liberté humaine au cœur du monde : « Sembra quasi che più cresce la Chiesa, più l’uomo si ritrovi depotenzio nella sua singolarità esistenziale e nella sua libertà e che, all’inverso, più la Chiesa arreta o si reduce, più l’uomo può ritrovare se stesso e, addirittura, il suo rapporto con Dio e con il cristianismo nella sua

121 G. Lafont, « La trasformazione strutturale della Chiesa come compito e come chance », p. 172-173. 122 C.M. Martini, « “In mezzo a voi comme chi serve” (Lc 22,27). L’esercizio dell’autorità nella Chiesa a misura di Vangelo », p. 191. 123 « Pour vous, rien de tel ! Au contraire, que le plus grand d’entre vous devienne comme le plus jeune, et le chef, comme celui qui sert. Quel est en effet le plus grand : celui qui est à table, ou celui qui sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Eh bien moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Lc 22, 26-27) 124 « Si donc moi, le Seigneur et le Maître, je vous ai lavé les pieds, vous aussi, vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait pour vous. Amen, amen, je vous le dis : un serviteur n’est pas plus grand que son maître, ni un envoyé plus grand que celui qui l’envoie. » (Jn 13, 14-16) 125 C.M. Martini, « “In mezzo a voi comme chi serve” (Lc 22,27). L'esercizio dell'autorità nella Chiesa a misura di Vangelo », p. 192. 126 Ibid., p. 193. 101

authenticità127 ». Ainsi, l’attitude de l’Église peut consister en une dépossession de toute autorité de force. Elle peut concevoir et vivre l’autorité comme une attention à la singularité des personnes, à leurs limites, etc., puisque beaucoup ont besoin d’être entendus et aimés avant d’être guidés par des préceptes et commandements128. Ceci suppose donc, comme le souligne le cardinal Martini, la mise en place d’une forma ecclesiae favorisant une autorité simple et efficace, de la synergie, la collaboration et la délégation, des formes de synodalité bien pensées où se vivent des rapports fidèles et fraternels entre les membres qui constituent le Peuple de Dieu. Imoda évoque trois crises dans la vie de l’Église : au niveau de la liberté, de la communauté et de l’autorité. Selon lui, l’enseignement de Vatican II sur la liberté de l’Église et dans l’Église révèle qu’il y a eu un certain déséquilibre entre l’autorité et la liberté ou encore une certaine hypertrophie de l’autorité en même temps qu’une atrophie de la liberté. Aussi, il ajoute que

Il corso della storia aveva contribuito all’affermazione di una concezione verticale del rapporto tra gerarchia e popolo, e quindi di un’ecclesiologia eccessivamente polarizzata sull’aspetto “istituzionale” con insistenza sull’ufficio apostolico-petrino e sull’obbedienza ai superiori come mezzo assolutamente certo di adesione alla volontà di Dio da accettare a prezzo di ogni sacrificio129.

La forma ecclesiae adéquate pour la transmission de la foi et l’annonce plausible de l’Évangile aujourd’hui est liée au rapport « autorité-liberté » vécu dans l’obéissance comprise comme une participation responsable et non une soumission130. Ainsi, comme présentée par Mazzillo, l’autorité en question est de fait un service dans l’amour et la désappropriation, la pauvreté : « L’autorità, intesa qui come servizio radicato nell’autorevolezza di chi ama, di chi ama di più, è infatti direttamente collegata alla povertà131. » Le rapport « autorité-liberté » ne se situe donc pas seulement sur un axe

127 R. Repole, « Quale Chiesa per l’uomo che abita la postmodernità? », p. 324. 128 C.M. Martini, « “In mezzo a voi comme chi serve” (Lc 22,27). L’esercizio dell’autorità nella Chiesa a misura di Vangelo », p. 194. 129 F. Imoda, «“In mezzo a voi come uno che serve”. Spunti psicosociali sulla leadership », p. 205. 130 « Solo in una concezione individualista della persona – oggi assai in crisi – l’obbedienza si oppone all’autentica realizzazione di sé; in realità, proprio nell’impegno, nella responsabilità vissuti nella comunità, nelle istituzioni, ci si attua come individui. Naturalmente, come è noto, la concezione di obbedienza che ne deriva non la connota solo come sottomissione ed esecuzione, ma come partecipazione responsabile. », ibid., p. 206. 131 G. Mazzillo, « Una Chiesa povera per essere Chiesa dei poveri: proponibilità e attualità », p. 263. 102

vertical ou descendant qui nécessite simplement la réception du peuple comme l’indique Imoda, mais c’est à l’inverse, c’est-à-dire à l’intérieur de la communauté ecclésiale qui en est médiatrice que cela se situe. Finalement, cet auteur expose trois fonctions de l’autorité et de la liberté qui peuvent aider à la reformatio de l’Église telle qu’elle se présente aujourd’hui dans sa forma ecclesiae :

L’autorité peut être vue comme ayant une triple fonction. Une dimension unitive : à partir de la réalité sacramentelle, des charismes et dons de l’Esprit- Saint faits à l’Église. Une dimension decisivo-directive qui est une conséquence de la précédente. Une dimension corrective du jugement visant à protéger la communauté et son unité des conséquences de la fragilité humaine, du péché et des égoïsmes qui pourraient la détruire. La liberté, parallèlement à l’autorité, présente également une triple fonction. Une dimension charismatique analogue à la dimension unitive et qui est relative à la réponse libre et responsable des individus. Une dimension exécutive entendue non pas uniquement comme une adhésion de principe intellectuel, mais comme une décision et une participation vécue. Une dimension autocorrective qui assume la lutte pour supprimer les tentations égoïstes et le retour sous le joug de la servitude132.

Les différents projets de reformatio, mis en place pour pallier ce que Bressan appelle « la fatigue de la forma ecclesiae133 », font appel à d’autres connaissances scientifiques pour la compréhension des changements opérés134. En effet, Bressan évoque le fait qu’il est judicieux aujourd’hui de parler d’une figure ecclésiale provisoire dans la mesure où l’Église est toujours en chemin, elle est pérégrinante135. En ce sens, une institution ecclésiale sans défaut de structure est, selon lui, un mythe. De toute évidence, l’Église vit un inconfort à travers toutes les mutations sociales et culturelles qui ont un impact majeur sur sa structuration. Alors, « la fatigue de la forma ecclesiae 136 » est notable au regard des chantiers d’envergure ainsi que les impondérables qui imposent une remise en question permanente.

132 F. Imoda, « “In mezzo a voi come uno che serve”. Spunti psicosociali sulla leadership », p. 209-210. 133 L. Bressan, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui convivere », p. 29-47. 134 H. Holstein, Hiérarchie et peuple de Dieu : d’après “Lumen gentium”, p. 10-13. 135 L. Bressan, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui convivere », p. 29. 136 Ibid., p. 29-47. 103

3.2 La forma ecclesiae et l’annonce de l’Évangile

L’Église ne vit pas pour elle-même, mais pour porter le Salut au monde en tant qu’elle est veluti sacramentum et signe de l’union avec Dieu et de l’unité du genre humain (LG 1). C’est donc à travers sa forma ecclesiae qu’elle est ce signe levé au milieu des nations, qu’elle peut déployer la dimension sociale de l’Évangile présentée par le pape François : « À partir de quelques thèmes sociaux, importants en vue de l’avenir de l’humanité, j’ai essayé une fois de plus d’expliquer l’inévitable dimension sociale de l’annonce de l’Évangile, pour encourager tous les chrétiens à la manifester toujours par leurs paroles, leurs attitudes et leurs actions. » (EG 258) Ce qui fonde l’évangélisation c’est « “la manière appropriée de proclamer la Parole révélée 137 ” ». Cela implique du discernement et l’interprétation des multiples langages au cœur des cultures. Ainsi, par sa forma di povertà, son stilus pastoralis, sa forma maternae, etc., elle est appelée à porter l’Évangile de manière crédible. Si elle n’emprunte pas le chemin de l’évangélisation, la route de la prophétie qui dénonce l’absurdité et l’inhumanité de l’oppression des plus démunis, non seulement elle s’éloigne de son activité missionnaire, mais aussi elle se présente, selon Mazzillo, comme « jardinière » des riches ou encore comme « aumônière » de nouveaux riches138. En effet, l’activité missionnaire de l’Église telle que présentée par Theobald à partir du Décret Ad gentes porte sur deux axes : les destinateurs de la mission, puis le choix des activités et les moyens139. Ceux-ci doivent être conçus et orientés d’une manière qui favorise la communication de l’Évangile. C’est notamment cela que la forma ecclesiae adéquate pour l’évangélisation opère lorsqu’elle ouvre l’Église à un « changement fondamental de regard140 » sur ses représentations hiérarchiques non adaptées et sur ses stratégies pastorales qui ne rejoignent pas ni ne rassemblent nos contemporains. La naissance et la croissance de l’Église se font dans la relation avec l’humanité, dans le rapport avec la société, car c’est à elle qu’est destiné l’Évangile141. C’est dans ce cadre que la forma ecclesiae entendue comme forma maternae, stilus pastoralis ou encore forma di povertà favorise l’accueil, la réception de la Bonne Nouvelle. C’est par la forme

137 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 144. 138 G. Mazzillo, « Una Chiesa povera per essere Chiesa dei poveri: proponibilità e attualità », p. 264. 139 C. Theobald, Le concile Vatican II : quel avenir ?, p. 211. 140 Ibid., p. 216. 141 Ibid., p. 208. 104

relationnelle ou la rencontre que l’Évangile s’enracine, c’est dans « l’hospitalité » qu’elle prend chair : « L’ “hospitalité” prend alors la forme de visites réciproques ; l’engagement dans la société s’affermit ; la communauté devient le sujet de ses actes et signes sacramentels d’une unité toujours plus ample — “catholique142”. » Manifestement, pour Theobald, l’« hospitalité » en question souligne l’aspect relationnel que l’Église est appelée à avoir dans son activité missionnaire, mais cela montre « aussi clairement l’attitude radicale de Jésus et de ses “témoins143” » que l’Église dans ses figures et représentations est invitée à incarner.

4 Conclusion

Le pape Paul VI, dans son Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, présente la vocation de l’Église et développe à travers ce document le rapport entre les différents acteurs de l’activité missionnaire de l’Église et le message de Jésus-Christ. Pour le pape Jean-Paul II, « le premier service que l’Église peut rendre à tout homme et à l’humanité entière dans le monde actuel, lequel connaît des conquêtes admirables, mais semble avoir perdu le sens des réalités ultimes et de son existence même » (RM 2), c’est l’urgence de l’évangélisation missionnaire. L’activité missionnaire de l’Église porte sur l’annonce de la Bonne Nouvelle à des personnes dans différentes situations au niveau de leurs croyances, mais plus particulièrement à des personnes qui ne connaissent pas encore le Christ. D’un autre côté, l’action pastorale dans le cadre de l’activité missionnaire porte, quant à elle, sur l’annonce permanente et continuelle des personnes qui connaissent déjà le Christ. Les sujets de l’activité missionnaire de l’Église et plus particulièrement de l’évangélisation sont identifiés comme étant ses enfants144, les chrétiens et les disciples du Christ intimement unis aux hommes et femmes de la terre145. Ce n’est donc pas une œuvre missionnaire

142 Ibid., p. 225. 143 Ibid., p. 221. 144 « Il faut que l’Église soit présente dans ces groupes humains par ses enfants, qui y vivent ou sont envoyés vers eux. » (AG 11) 145 « La présence des chrétiens dans les groupes humains doit être animée de cette charité dont nous a aimés Dieu, qui veut que nous aussi nous nous aimions mutuellement de la même charité (1 Jn 4, 11). La charité chrétienne s’étend véritablement à tous les hommes, sans aucune distinction de race, de condition sociale ou de religion ; elle n’attend aucun profit ni aucune reconnaissance […] Les chrétiens doivent donc travailler, en collaboration avec tous les autres, à organiser de manière droite les affaires économiques et sociales. » (AG 12) 105

reposant essentiellement sur des personnes à qui des ministères ou des fonctions particulières aient été attribués. Par ailleurs, « despite the presence of a divine element in the Church, this Church also contains many human elements and therefore continuously needs to be aware of the remaining distance between herself and Christ146. » Et cela justifie le besoin continuel de l’Église de se convertir en vue de sa reformatio.

L’annonce de l’Évangile nécessite de fait une conversio non seulement des personnes et des structures, mais de l’« agir », c’est-à-dire une révision, une transformatio de la méthode pastorale avec laquelle l’Église réalise son activité missionnaire147. Pour ce faire, deux attitudes s’avèrent essentielles : prendre au sérieux l’appel à une reformatio continuelle de l’Église, et reprendre l’élan de la renovatio suscité par l’Esprit Saint à l’évènement du concile Vatican II148. Par conséquent, le témoignage évangélique s’avère être l’objet de la reformatio de l’Église, de ses formes structurelles et de son attitude. On ne peut de ce fait dissocier la confession de foi et le témoignage, car c’est ce dernier qui donne de la crédibilité à ce qui est confessé : « Confession de foi et témoignage des faits sont alors unis dans une profonde corrélation : la foi s’alimente avec les signes, et c’est la foi qui perçoit les signes à travers les évènements149. » Il en est de même entre ce que l’Église annonce (ce qu’elle « dit ») et son témoignage (ce qu’elle « fait »). Et c’est pourquoi il est nécessaire qu’elle se réforme continuellement pour rechercher une adéquation entre ses paroles et ses gestes. La finalité de toute conversio pastorale de l’Église vise de fait à « permettre l’émergence d’expressions de la foi et de formes de vie chrétiennes correspondant aux “grands territoires socioculturels 150 ” ». Cela, en vue d’une écoute mutuelle et d’un apprentissage réciproque : c’est le rapport Évangile-culture. Une telle attitude pastorale décentre l’Église à deux niveaux : écoute de la Parole de Dieu et une présence à l’autre. Les Pères conciliaires y font allusion en d’autres termes dans AG 19 lorsqu’ils présentent l’interaction entre la rencontre de l’Évangile, l’espace humain et la culture ou la réalité

146 Peter De Mey, « The sacramental nature and mission of the Church in Lumen Gentium », International journal for the Study of the Christian Church 14/4 (2014), p. 352. 147 P. Coda, « Conclusioni », p. 269. 148 Ibid., p. 270. 149 J. Richard, « Foi, confession de foi et témoignage », p. 10. 150 G. Routhier, « Quel type d’institutionnalité pour l’Église catholique ? Le renouveau de la figure ecclésiale à la lumière de l’exhortation apostolique Evangelii gaudium », p. 46. 106

sociale. Alors, si l’Évangile n’est pas inculturé ni enraciné dans le monde, il n’y a pas d’annonce possible. Il s’en suit que la loi de toute évangélisation est d’exprimer le message du Christ à l’aide des concepts et des langues des différents peuples (GS 44). C’est une exigence pour la forma ecclesiae adéquate à l’annonce de la Bonne Nouvelle.

La reformatio de la forma ecclesiae vise la forma Christi qui est possible par la voie de l’évangélisation et le style qu’elle procure à l’Église. Ainsi, la visée de la forma ecclesiae est de rendre l’Église plus apte à annoncer l’Évangile et c’est cela qui justifie le besoin de reformatio de l’Église. L’Évangile est la norme perpétuelle de l’Église qui lui procure la vie. C’est la norme dont elle a besoin pour sa correction et sa perfection. Alors, l’aggiornamento de l’Église ne doit pas être interrompu et elle est sans cesse appelée à le tourner vers la recherche du radicalisme évangélique au service de l’humanité151. Cela montre que l’Évangile est la condition essentielle de l’aggiornamento de l’Église, qu’elle est fondée sur l’expérience ecclésiale et spirituelle, sur la foi, l’espérance et la charité152.

151 N. Capizzi, « “Vera e false riforma nella Chiesa: rilettura di un’opera di Y.M. Congar” », p. 313. 152 Ibid., p. 314-315. 107

CONCLUSION GÉNÉRALE

Notre question de recherche portait sur le lien entre la forma ecclesiae et la nécessité d’une reformatio ou renovatio de l’Église en vue de l’annonce de l’Évangile de manière crédible à nos contemporains. Nous sommes partis du constat selon lequel le développement de l’urbanisation, de l’industrialisation et des moyens de communication ainsi que l’émergence de nouveaux modèles culturels, ont considérablement influencé le rapport des croyants et non-croyants avec l’Église. Ces transformations lui ont permis, notamment avec le concile Vatican II, de travailler sur des façons nouvelles en vue de poursuivre l’évangélisation dans un tel contexte socioculturel. Toutefois, la désaffection grandissante de l’Église ainsi que les rapports compliqués avec l’institution ecclésiale nous ont amené à formuler deux hypothèses explicatives : l’inefficacité de la transmission et l’inadéquation des figures institutionnelles avec le message de l’Évangile. Nous avons retenu la seconde parce que jusqu’ici, plusieurs travaux ont été effectués sur la transmission ou le « dire » de l’Église plutôt que sur ce qu’elle présente dans ses pratiques et par sa forme. Nous avons alors entrepris ce travail de recherche par un exposé de l’état de la littérature sur la forma ecclesiae. Ensuite, nous avons présenté la vie de l’Église comme signe en articulant le lien entre l’Église veluti sacramentum et toute sa vie comme témoignage. Enfin, nous avons présenté l’annonce de l’Évangile comme vocation de l’Église en mettant en lumière la reformatio ou la renovatio comme principe dynamique de la forma ecclesiae lui permettant d’être comme langage dans le contexte de NE.

1 Le témoignage et la crédibilité de la vie de l’Église aujourd’hui

Nous avons présenté l’Église veluti sacramentum appelée, à travers toute sa vie, à être « à la fois le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ». (LG 1) À la suite de la question de recherche formulée1, nous relevons que le concile Vatican II n’a pas énoncé de forma ecclesiae spécifique, mais il a donné à l’Église un souffle, il lui a permis de retourner au cœur de sa raison d’être : annoncer l’Évangile. Pour ce faire, le concile a mis en avant une manière de faire (en vue de l’union avec Dieu),

1 « Quelle forma ecclesiae (ce qui implique une renovatio ou une reformatio) est mise en avant par le concile Vatican II en vue d’annoncer de manière plus crédible l’Évangile dans le monde contemporain ? » 108

un style dialogal et une « forme relationnelle » (en vue de l’unité de tout le genre humain) dont on retrouve les grandes lignes dans le discours inaugural du concile Vatican II donné par le pape Jean XXIII :

Ce qui est nécessaire aujourd’hui, c’est l’adhésion de tous, dans un amour renouvelé, dans la paix et la sérénité, à toute la doctrine chrétienne dans sa plénitude […] Il faut que cette doctrine certaine et immuable […] soit approfondie et présentée de la façon qui réponde aux exigences de notre époque […] Il faudra attacher beaucoup d’importance à cette forme […] et on devra recourir à une façon de présenter qui correspond mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral2.

Pour que l’annonce de l’Évangile soit possible, il faut que l’Église ait des structures ou des figures institutionnelles qui le permettent, car comme signale le pape François, « il y a des structures ecclésiales qui peuvent arriver à favoriser un dynamisme évangélisateur ; également, les bonnes structures sont utiles quand une vie les anime, les soutient et les guide. » (EG 26) À l’inverse, il y a aussi des formes ecclésiales qui ne le permettent pas, d’où l’invitation du pape François « à être audacieux et créatif dans ce devoir de repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes évangélisatrices [des communautés] » (EG 33) ainsi que de toute la vie de l’Église. Il évoque notamment son ministère pétrinien, les structures centrales de l’Église universelle qui, selon lui, ont besoin d’écouter l’appel à une conversion pastorale. (EG 32)

Les réalités du monde étant diverses, le concile Vatican II a mis en avant la forme relationnelle de l’Église avec le monde, car les réalités d’une société à l’autre, les cultures, etc., sont à prendre en compte dans le processus d’évangélisation. Voilà pourquoi il n’y a pas de forma ecclesiae unique pour l’ensemble de l’Église sinon que toutes les formes nouvelles doivent permettre une véritable rencontre avec le Christ, une authentique évangélisation. Ainsi, au sujet de la forma ecclesiae exposée à partir de la forma di povertà, le concile Vatican II avance la sobriété et le « style de pauvreté » que l’Église est appelée à incarner tant dans ses figures que dans ses actions à la suite du Christ :

Mais, comme c’est dans la pauvreté et la persécution que le Christ a opéré la rédemption, l’Église elle aussi est appelée à entrer dans cette même voie pour

2 Jean XXIII, « Gaudet Mater Ecclesia. L’ouverture solennelle du XXIe concile œcuménique », p. 587. 109

communiquer aux hommes les fruits du Salut. Le Christ Jésus « qui était de condition divine s’anéantit lui-même prenant condition d’esclave » (Ph 2, 6), pour nous « il s’est fait pauvre, de riche qu’il était » (2 Co 8, 9). Ainsi l’Église, qui a cependant besoin pour remplir sa mission de ressources humaines, n’est pas faite pour chercher une gloire terrestre, mais pour répandre, par son exemple aussi, l’humilité et l’abnégation. (LG 8)

C’est en ce sens que le pape François désire « une Église pauvre pour les pauvres. » (EG 198) Concernant la forma ecclesiae présentée à partir de la forma maternae, les Pères conciliaires rappellent que l’Église est comme une mère dont Marie est le modèle : « de l’Église, comme l’enseignait déjà saint Ambroise, la Mère de Dieu est le modèle dans l’ordre de la foi, de la charité et de la parfaite union au Christ. » (LG 63) En outre, l’Église est mère dans la mesure où elle engendre par les eaux du baptême : « Mais en contemplant la sainteté mystérieuse de la Vierge et en imitant sa charité, en accomplissant fidèlement la volonté du Père, l’Église (grâce à la Parole de Dieu qu’elle reçoit dans la foi) devient à son tour Mère : par la prédication en effet, et par le baptême, elle engendre à une vie nouvelle et immortelle des fils conçus du Saint-Esprit et nés de Dieu. » (LG 64) Ainsi, toute la vie de l’Église, quelle qu’elle soit, doit exprimer cette forma maternae parce qu’elle lui donne une attitude propice à l’écoute et à l’accueil du monde. Comme le rappelle le pape François, c’est dans la mesure où « l’Église est mère et qu’elle prêche au peuple comme une mère parle à son enfant, sachant que l’enfant a confiance que tout ce qu’elle lui enseigne sera pour son bien parce qu’il se sait aimé » (EG 139) qu’elle peut être crédible à nos contemporains. Donc, « l’Église, en mère toujours attentive, s’engage pour que [les personnes baptisées] vivent une conversion qui leur restitue la joie de la foi et le désir de s’engager avec l’Évangile. » (EG 14) Au sujet de la forma ecclesiae évoquée à partir de la forma populi ou di popolo, le concile Vatican II a affirmé que l’Église ne peut être signe du Christ s’il n’y a pas un véritable laïcat qui travaille en lien avec la hiérarchie. La promotion de l’apostolat des laïcs vise en ce sens le témoignage du Christ dans leurs groupes sociaux, leur vie professionnelle, leurs familles, etc. :

Les fidèles laïcs appartiennent à la fois au Peuple de Dieu et à la société civile ; ils appartiennent à leur peuple, ils y sont nés ; ils ont commencé à avoir part par l’éducation à ses trésors culturels, ils sont liés à sa vie par des liens sociaux de forme multiple ; ils sentent ses problèmes comme étant les leurs propres, et ils s’appliquent à les résoudre ; ils appartiennent aussi au

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Christ, parce qu’ils ont été régénérés dans l’Église par la foi et le baptême afin d’être au Christ […] Leur principal devoir à eux, hommes et femmes, c’est le témoignage du Christ, qu’ils doivent rendre par leur vie et leurs paroles, dans leur famille, dans leur groupe social, dans leur milieu professionnel. Il faut donc qu’apparaisse en eux l’homme nouveau créé selon Dieu dans la justice et la sainteté véritable (Ep 4, 24). Ils doivent exprimer cette nouveauté de vie dans le milieu social et culturel de leur patrie, selon les traditions nationales. Ils doivent connaître cette culture, la purifier, la conserver, la développer selon les situations récentes, enfin lui donner sa perfection dans le Christ, afin que la foi au Christ et la vie de l’Église ne soient plus étrangères à la société dans laquelle ils vivent, mais commencent à la pénétrer et à la transformer. (AG 21)

De toute évidence, la forma ecclesiae adéquate pour l’annonce de la Bonne Nouvelle ne peut guère faire fi du témoignage qui est pour le Peuple de Dieu, pour l’Église comme un moyen de rendre compte, à travers toute sa vie, de l’œuvre de Salut de Dieu. Dans le témoignage, il y a une dimension d’engagement comme l’énonce Paul Ricœur, car « le témoin ne se contente pas d’exprimer le plus exactement possible ce qu’il a vu et entendu […] “il ne se borne pas à témoigner que… mais il témoigne pour… il rend témoignage à3…” ». C’est dans ce sens que l’Église, à travers ce qu’elle représente dans ses pratiques et par sa forme, est invitée à s’engager dans la réalité humaine en y portant du sens : « En témoignant, on est porteur de sens ou, disons-nous couramment, d’un message (en raison de ce dont on témoigne). Celui qui atteste (de quelque chose) effectue un témoignage, qui a donc lieu et qui produit des traces4. » C’est là une exigence de la forma ecclesiae. Le stilus pastoralis est également la forma ecclesiae mise en avant par Vatican II à travers le style de présence au monde, notamment le témoignage de vie et le dialogue. En effet, c’est en étant au cœur de la réalité du monde que l’Église peut être à l’écoute, qu’elle peut embrasser les angoisses et les joies humaines ainsi que témoigner et dialoguer à l’instar du Christ qui,

Lui-même a scruté le cœur des hommes et les a amenés par un dialogue vraiment humain à la lumière divine ; de même ses disciples, profondément pénétrés de l’Esprit du Christ, doivent connaître les hommes au milieu desquels ils vivent, engager conversation avec eux, afin qu’eux aussi apprennent dans un dialogue sincère et patient, quelles richesses Dieu, dans sa munificence, a dispensées aux nations ; ils doivent en même temps

3 J. Richard, « Foi, confession de foi et témoignage », p. 10. 4 É. Pouliot, « Au travers de la représentation du témoignage », p. 36. 111

s’efforcer d’éclairer ces richesses de la lumière évangélique, de les libérer, de les ramener sous la Seigneurie du Dieu Sauveur. (AG 11)

Le stilus pastoralis est aussi appuyé par le concile Vatican II à travers le service rendu par l’Église à l’humanité – elle ne revendique pour elle-même d’autre titre que celui d’être au service de l’humanité, Dieu aidant, par sa charité et son dévouement fidèle (Mt 20, 26 ; 23, 11) –, (AG 12), mais aussi par la manière de proclamer l’Évangile :

On doit favoriser et cultiver ce milieu maternel et ecclésial dans lequel se développe le dialogue du Seigneur avec son peuple, moyennant la proximité de cœur du prédicateur, la chaleur de son ton de voix, la douceur du style de ses phrases, la joie de ses gestes. Même dans les cas où l’homélie est un peu ennuyeuse, si cet esprit maternel et ecclésial est perceptible, elle sera toujours féconde, comme les conseils ennuyeux d’une mère donnent du fruit avec le temps dans le cœur de ses enfants. (EG 140)

Par ailleurs, le stilus pastoralis comme forma ecclesiae est étroitement lié au style évangélique exposé par le secrétariat pour le synode des évêques et s’articule autour des paroles et des gestes, donc du témoignage :

Ce style doit être un style global, qui embrasse la pensée et l’action, les comportements personnels et le témoignage public, la vie intérieure de nos communautés et leur élan missionnaire, leur attention éducative et leur dévouement attentif envers les pauvres, la capacité de chaque chrétien de prendre la parole dans les contextes où il vit et travaille pour communiquer le don chrétien de l’espérance. Ce style doit faire siennes l’ardeur, la confiance et la liberté de parole (la parousie) qui se manifestaient dans la prédication des Apôtres (Ac 4, 31 ; 9, 27-28) et dont le roi Agrippa fit l’expérience en écoutant Paul : « Encore un peu et, par tes raisons, tu vas faire de moi un chrétien ! » (Ac 26, 28). (L 16)

Tous ces éléments évoqués en rapport avec le stilus pastoralis sont les conditions mêmes de la reformatio de l’Église en vue de l’évangélisation comme le souligne Capizzi à la suite de Congar. De fait, il énonce quelques conditions pour une reformatio de l’Église qui ne provoque pas de schisme : la primauté de la charité et de la dimension pastorale, la persistance de la communio ecclésiale, la patience qui s’accompagne d’humilité et de la

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souplesse aux motions de l’Esprit Saint, une vraie renovatio à travers le retour au principe de la Tradition ou un vrai développement de la Tradition5.

La question du témoignage est cruciale pour l’Église et sa crédibilité au niveau de l’annonce de l’Évangile. Cela fait également appel au « style de vie », non seulement sur le plan individuel, mais aussi collectif. Le pape François l’emploie par exemple à neuf reprises6 dans EG, et c’est chaque fois en lien avec l’Évangile, la question du témoignage, le rapport à l’autre, etc. Une telle insistance illustre le fait que toute la vie de l’Église, sous quelque forme que ce soit, est appelée à être un témoignage, un langage crédible qui favorise l’annonce de la Bonne Nouvelle. Bressan a énoncé que « la figura ideale di Chiesa rappresenta la promessa, l’ignoto che racchiude il sogno di una istituzione ecclesiale finalmente capace di rispondere tutte le aspettative, capace di esaudire tutte le richieste avanzate verso di esse7 ». Pourtant nous sommes loin de déterminer une forma ecclesiae « passe-partout » à cause de la diversité des peuples et par conséquent de l’Église, à cause de la variété de défis qui se présentent à l’Église d’une région du monde à l’autre. Toutes les formes ecclésiales exposées dans ce travail de recherche montrent la complexité du sujet dans la mesure où il n’y a pas de forma ecclesiae unique qui réponde aux enjeux actuels de la NE, car elles sont complémentaires les unes avec les autres. Néanmoins, toutes les nouvelles formes et expressions de l’Église doivent pouvoir répondre aux contextes socioculturels et permettre l’annonce de l’Évangile qui est ce pour quoi l’Église existe et se réforme continuellement. Elles doivent également être capables de témoigner au cœur du monde, de refléter le style évangélique puisque la Parole de Dieu est la norme de l’Église. Finalement, en étant dans le Christ veluti sacramentum, l’Église, par ses pratiques et ses formes, doit être en mesure de faire resplendir la lumière du Christ sur toutes les nations.

2 Perspectives d’avenir

L’intérêt principal de ce travail réside dans le fait qu’il propose une synthèse. En effet, nous avons présenté de manière générale, à partir de documents conciliaires et magistériels, le

5 N. Capizzi, « “Vera e false riforma nella Chiesa: rilettura di un’opera di Y.M. Congar” », p. 297. 6 EG n° 54, 67, 80, 115, 168, 195, 208, 218, 262. 7 L. Bressan, « Una Chiesa a disagio. La fatica di una forma ecclesiae tra progetti radicali di riforma e inerzie strutturali con cui convivere », p. 34. 113

lien entre la forma ecclesiae et l’annonce de l’Évangile qui suppose une reformatio ou renovatio continuelle de l’Église. Par ailleurs, nous avons exposé quatre formes ecclésiales8 et montré comment elles sont indirectement abordées par le concile Vatican II. Ceci étant, il nous semble que l’enjeu consiste à présent à intégrer les prises de conscience ou les fruits de ce travail dans la vie chrétienne à différents niveaux. Ainsi, il nous reste à suggérer des possibilités d’application pratique de cette recherche.

Sur le plan personnel, ce travail pourrait favoriser une relecture individuelle de l’implication de chacun dans la vie de l’Église, de la contribution de chaque baptisé en vue de permettre une forma ecclesiae qui soit en même temps un langage pour nos contemporains : comment, comme personne croyante et membre du Peuple de Dieu (forma populi ou forma di popolo), mes paroles et mes gestes permettent-ils l’annonce de l’Évangile ? Est-ce que l’option préférentielle pour les pauvres (forma di povertà) anime ma vie chrétienne ? Mon discours et les gestes que je pose (forma maternae et stilus pastoralis) dans toutes les sphères de ma vie (professionnelle, familiale, amicale, etc.) sont- ils pleins d’amour et permettent-ils une véritable rencontre avec l’autre ainsi que le monde ?

Sur le plan collectif, ce travail pourrait conduire vers des pistes de relecture de situations propres à chaque milieu afin de répondre, comme communauté croyante, aux questions mentionnées précédemment sur le plan individuel. En effet, les manières d’être Église sur le plan local, régional et national reflètent l’Église dans son universalité, elles soulignent la forma ecclesiae. Il nous paraît alors opportun de souligner que ce travail pourrait également être l’introduction à un autre qui, en s’intéressant concrètement à une Église diocésaine particulière ou à une unité pastorale spécifique, aborderait la forma ecclesiae comme langage de diverses manières. Soit par l’analyse de la forma ecclesiae d’un milieu donné en vue de relever comment, dans ce cas singulier, se réalise l’annonce de l’Évangile. Soit par l’accomplissement d’un projet de reformatio ou de renovatio de la vie ecclésiale d’un milieu particulier en vue de la NE ou encore de la redynamisation de l’évangélisation dans le contexte sociétal actuel de ce milieu.

8 La forma populi ou la forma di popolo, la forma Evangelii (la forma di povertà), la forma maternae et le stilus pastoralis. 114

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