N° 244 MAI 2010

recherche dIploMAtIe écoNoMIe AFRIQUE Le nouvel élan

jeuNeses chercheurs David Holcman Ce mathématicien met dépasser les frontières la biologie en équation

sommaireSOMMAIRE 3

Le journal du CNRS VIE DES LABOS P. 6. 1, place Aristide-Briand 92195 Meudon Cedex > REPORTAGE Téléphone : 01 45 07 53 75 Télécopie : 01 45 07 56 68 Bienvenue dans les serres Mél. : [email protected] du futur Le journal en ligne : www2.cnrs.fr/presse/journal/ Photothèque xier/Diepkloof project/CNRS > ACTUALITÉS P.8 CNRS (siège) Te Les derniers résultats 3, rue Michel-Ange .-J.

75794 Cedex 16 P © de la recherche Directeur VIE DES LABOS > > MISSION P. 13 de la publication : Le mystère des Alain Fuchs Une campagne gonflée à bloc Directrice œufs gravés, p. 9 de la rédaction : Marie-Hélène Beauvais INNOVATION P. 14 Directeur adjoint Vers des casques plus de la rédaction : Fabrice Impériali protecteurs

Rédacteur en chef adjoint : Matthieu Ravaud PAROLE D’EXPERT P. 16 Chefs de rubrique : Fabrice Demarthon aguet/CNRS Photothèque Préserver les espèces Charline Zeitoun pour protéger l’homme ©H.R Rédactrice : VIE DES LABOS > Bienvenue dans les serres du futur, p. 6 Entretien avec Robert Barbault Anne Loutrel Assistante de la rédaction et fabrication : JEUNES CHERCHEURS P. 17 Laurence Winter Sous la bio… les maths Ont participé à ce numéro : Stéphanie Arc Portrait de David Holcman Julien Bourdet Jean-Philippe Braly Patricia Chairopoulos L’ENQUÊTE P. 18 Caroline Dangléant Sebastián Escalón RECHERCHE, DIPLOMATIE, Grégory Fléchet Ulysse Fudour ÉCONOMIE Mathieu Hautemulle Román Ikonicoff Xavier Müller Marion Papanian AFRIQUE Vahé Ter Minassian Philippe Testard-Vaillant Géraldine Véron Le nouvel élan Secrétaire de rédaction : Anne-Solweig Gremillet Un continent Conception graphique : aux mille visages > 19 Céline Hein Iconographe : La recherche en plein essor > 21 Cecilia Vignuzzi Couverture : L’Afrique en quête d’unité > 24 D. Sacks/GettyImages ; F. Plas/CNRS Photothèque Ressources naturelles, Photogravure : la manne africaine > 25 Scoop Communication Impression : Groupe CirclePrinters 6, route de la Ferté-sous-Jouarre ZOOM P. 28.

77440 Mary-sur-Marne © PIUS UTOMI EKPEI/AFP À l’assaut ISSN 0994-7647 AIP 0001309 des cascades éphémères Dépôt légal : à parution Photos CNRS disponibles à : [email protected] RENCONTRE AVEC P. 31. http://phototheque.cnrs.fr/ Pensée romaine La reproduction intégrale ou partielle Portrait de Michel Gras, directeur des textes et des illustrations doit faire obligatoirement l’objet d’une de l’École française de Rome demande auprès de la rédaction. IN SITU P. 32 Ensemble pour une recherche gagnante

HORIZON P. 36 Le cerveau sous toutes les coutures

GUIDE P. 38 Le point sur les livres, les expos, © M. Dalmasso ZOOM > À l’assaut des cascades éphémères, p. 28 les manifestations, les films…

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 4 ÉCLATS

L’ÉVÈNEMENT LE PRIX FRANCO- Des changements à la tête ALLEMAND DE LA RECHERCHE de deux instituts du CNRS Le prix Gay-Lussac Humboldt a été remis à ses Alain Fuchs, président du CNRS, vient de d’Instrumentation générale 3, puis de celui de lauréats allemands le nommer deux nouveaux directeurs d’instituts : Physique nucléaire 4, au CEA-Saclay. Ses 6 avril à l’Institut de France. Jacques Martino, à l'Institut national de travaux de recherche ont surtout porté sur Il s’agit de Hartmut physique nucléaire et de physique des la structure du nucléon. Il participe aujourd'hui Herrmann, Martin Möller, particules (IN2P3), et Patrice Bourdelais, à l'expérience Double Chooz et au projet Roland Netz, Claus par intérim, à l'Institut des humaines Nucifer d'application de la détection des M. Schneider, et Rainer et sociales (INSHS). Ils sont respectivement antineutrinos. Michel Spiro, son prédécesseur Schröder. Ce prix entrés en fonction les 1er et 15 avril dernier. à la tête de l’IN2P3, reste quant à lui président récompense chaque année Directeur d'études à l'École des hautes études du Comité des très grands équipements des scientifiques en sciences sociales, historien et démographe, et infrastructures de recherche (TGE/TGI) allemands et français de Patrice Bourdelais travaille sur la lutte contre la du CNRS. haut niveau qui contribuent tuberculose en France. Il a étudié les épidémies 1. Unité EHESS / CNRS. au renforcement de la de choléra, le vieillissement de la population, 2. Laboratoire CNRS / École des mines de Nantes / coopération entre les deux les populations de l'industrie, et l'histoire des Université de Nantes. pays. Côté français, Marc épidémies et de la santé publique. Directeur 3. Unité CEA / Dapnia / SIG. Mézard, du Laboratoire de recherches, il a codirigé pendant six ans le 4. Unité CEA / Dapnia / SPhN. de physique théorique et Centre de recherches historiques 1 et a été > www2.cnrs.fr/presse/communique/1834.htm modèles statistiques 1, membre élu du Comité national de la recherche > www2.cnrs.fr/presse/communique/1849.htm Jean-Pierre Jacquot, de scientifique pour la section 33 « Mondes l’unité « Écosystèmes modernes et contemporains » et pour la forestiers, agroressources, commission 41 « Gestion de la recherche ». bioprocédés et Quant à Jacques Martino, physicien nucléaire alimentation » 2, et Thomas expérimentateur, il était directeur du laboratoire Zemb, de l’Institut Subatech 2 depuis 2001 et directeur du de chimie séparative de groupement d'intérêt public du cyclotron Marcoule 3, avaient été Arronax, à Nantes. Centralien, docteur d'État récompensés en début en physique nucléaire et des particules, d’année. Professeur de l'École des mines de Nantes, 1. Laboratoire CNRS / Université il fut notamment membre de la section 3 Paris-XI. « Interactions, particules, noyaux, du 2. Unité CNRS / Univ. Nancy-I / INPL laboratoire au cosmos » du Comité national de Jacques Patrice Nancy / Inra / AgroParisTech Engref. Martino Bourdelais 3. CNRS / CEA / ENSCM / Univ. la recherche scientifique, et chef du service © Photos : N. Tiget/CNRS Photothèque Montpellier-II.

Une physicienne LE SUCCÈS SCIENTIFIQUE Une avancée de taille pour l’imagerie distinguée en Amérique Chercheuse à l’Institut des sciences Des chercheurs français 1 maîtrisent désormais une technique d'imagerie moléculaires d’Orsay 1, Nathalie Picqué a par résonance magnétique (IRM) que seules cinq équipes, en Allemagne reçu le prix Beller Lectureship Award, une et aux États-Unis, avaient réussi à mettre au point. Au lieu d’exciter distinction majeure attribuée par des noyaux d'hydrogène, comme l’IRM classique, cette méthode utilise l’American Physical Society à des le sodium, primordial dans la dégénérescence de l'axone des neurones. chercheurs non-américains. Si trois Elle permet d’en cartographier la distribution dans le cerveau humain. Français avaient déjà été récompensés Or l'accumulation anormale de sodium dans l'axone intervient dans des (Serge Haroche en 1996, Pierre-Gilles maladies neurodégénératives comme la sclérose en plaques et la maladie de Gennes en 2006 et Michel Dyakonov d'Alzheimer. Cette technique permettrait donc de tester des médicaments en 2009), Nathalie Picqué est la

© CEMEREM agissant sur le sodium et de mieux comprendre ces pathologies. première Française à recevoir ce prix. Ses travaux portent sur les sources lasers IRM cérébrale 1. Il s’agit des chercheurs du Centre de résonance magnétique biologique et médicale (CNRS d’un sujet sain. / Univ. de la Méditerranée), en collaboration avec le CHU de La Timone à Marseille et le « peignes de fréquences » La présence Centre d'exploration métabolique par résonance magnétique (CNRS / Univ. de la femtosecondes 2 et leurs applications. de sodium Méditerranée). y apparaît 1. Unité CNRS / Université Paris-11. en blanc. > www2.cnrs.fr/presse/communique/1854.htm 2. Lire « La révolution laser », Le journal du CNRS n° 243, pp. 18-27.

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 éditoeditoÉDITO 5 Pr Abdou Salam Sall Recteur de l’université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar (Sénégal) L’avenir de l’Afrique

© UCAD passe par la recherche

’est pour moi un privilège d’écrire l’éditorial du Journal problèmes de nos sociétés. Par exemple, l’Afrique connaît aujourd’hui du CNRS dédié à l’Afrique. Le CNRS est une très une croissance démographique fulgurante : si la jeunesse de la popu- grande institution au service de la et qui a lation africaine offre de grandes perspectives de croissance, elle est contribué à la formation de bon nombre de nos col- aussi naturellement source de besoins notamment en formation, lègues. Dans un monde globalisé et fondé de plus en en nutrition et en santé. La gestion des matières premières, le Cplus sur la connaissance, qu’une aussi prestigieuse institution se pen- développement indispensable des énergies renouvelables, et no- che spécialement sur l’Afrique et porte son choix sur un Africain tamment l’énergie solaire, ou plus largement, le développement éco- pour rédiger les propos liminaires est très significatif. Comment ne nomique du continent sont autant de points sur lesquels le concours pas y voir une expression de la circularité de la science qui, après avoir de la recherche est tout aussi incontournable. pris naissance en Afrique, a migré en Europe puis en Amérique et L’Afrique ne sera impliquée dans la dynamique mondiale que si elle en Asie avant de se rediriger vers l’Afrique? L’initiative du CNRS coïn- internalise la science. Ce continent doit alors se donner les moyens cide avec la célébration du cinquantenaire des indépendances de plu- de mettre en place des centres de recherche au standard et d’amé- sieurs pays africains. Cet intérêt pour l’Afrique riche de ses trente liorer la mobilité des scientifiques y compris ceux de la diaspora. millions de kilomètres carrés, de plus d’un milliard d’habitants L’Afrique devra explorer et exploiter les opportunités de partenariat sans compter ceux de la diaspora récente comme ancienne, de ses avec tous les autres segments de la communauté scientifique inter- ressources naturelles longtemps pillées mais encore importantes, nationale. Beaucoup d’institutions sollicitent des partenariats avec indique certainement l’amorce du décollage de notre continent. l’Afrique. La fuite des cerveaux doit être transformée rapidement Berceau de l’humanité, celui-ci a connu l’histoire la plus prestigieuse en circulation des cerveaux, ce qui est plus conforme au formidable avec les civilisations nubienne et égyptienne mais aussi la plus développement des technologies de l’information et de la com- dégradante avec cinq siècles de traites négrières, arabe et euro- munication. Les grands savants du monde souhaitent partager péenne, de colonisation et de domination. Oui, l’Afrique devra être leurs savoirs avec l’Afrique. Par la mutualisation successive, le

le continent du XXIe siècle à la double condition de réaliser son développement de la science servira l’Afrique. Il est possible de créer unité par la création des États-Unis d’Afrique, et de maîtriser la une Fondation pour la recherche et la mobilité en Afrique. Un science grâce à une organisation rationnelle et qui autorise les pour cent des ressources naturelles de l’Afrique, mobilisé pendant masses critiques dans tous les segments de la science. Dans les deux cinq ans, pourrait en constituer le fonds de départ. En rapport avec cas, les établissements d’enseignement supérieur doivent jouer la Banque africaine de développement, les scientifiques africains pleinement leur partition en contribuant, par les formations, les animeraient le Conseil d’administration. Et, qui sait ? Le prochain recherches, les services et l’ouverture au marché, à la résolution des Einstein sera peut-être Africain.

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 6 VIEDESLABOS Reportage

ÉCOLOGIE Bienvenue dans les serres du futur C’est un évènement international en matière d’écologie : l’Écotron européen de Montpellier commence à fonctionner. Pour le plus grand bonheur des scientifiques qui vont étudier les réactions d’un écosystème face à une modification de son environnement, tel un réchauffement climatique.

’est une tâche pour le moins originale quantité de laboratoires, français et européens, ont Grâce aux blocs de que vient d’accomplir ce grutier en ce proposé des expérimentations pour inaugurer l’éco- prairie installés 31 mars 2010 : placer des cubes de prai- tron. Mais continuons la visite. dans les 12 serres de rie d’une tonne chacun sous des dômes La structure offre trois plateaux expérimentaux l’écotron, les chercheurs vont pouvoir observer le transparents. La toute première expéri- adaptés à des études menées à trois échelles diffé- comportement de ces Cmentation de l’écotron va pouvoir commencer… rentes. « Macrocosmes » est le premier plateau écosystèmes face L’éco-quoi? L’écotron est la première très grande opérationnel avec ces fameux dômes transparents. aux changements infrastructure française 1 en écologie. Entre vignes Douze enceintes de confinement recouvertes d’une climatiques. et garrigue, à deux pas de Montpellier, sa construc- sorte de bâche en forme de parapluie de Tefzel tion a été financée par le CNRS, la région Langue- – un dérivé du téflon particulièrement transparent doc-Roussillon et le Conseil général de l’Hérault afin aux UV – peuvent accueillir des monolithes de sol d’étudier le comportement des écosystèmes, des intact de 5 m2 sur 1m80 de haut (soit 9 m3) avec leur organismes et de la biodiversité face à des boule- communauté végétale, microbienne et animale. versements environnementaux comme le change- Pour une durée d’au moins un an, c’est là que se ment climatique. Pour ce faire, douze serres trônent déroulent les expérimentations les plus proches au-dessus du bâtiment du labo, comme autant de la réalité, celles qui reproduisent les processus d’immenses « tubes à essai », dans lesquelles des complexes à l’œuvre dans les écosystèmes. morceaux d’écosystèmes seront soigneusement analysés. Mais ces dômes ne sont que la partie DES SCÉNARIOS POUR 2050 émergée de l’iceberg. Dessous grouille une multi- L’expérimentation qui vient de débuter est coor- tude de câbles et de tuyaux reliés à des instruments donnée par l’Inra de Clermont-Ferrand. Elle va et à une électronique de pointe, elle-même connec- mesurer le comportement de blocs de prairie d’Au- tée à des postes informatiques de pilotage. Car vergne sous le climat supposé de 2050. Les douze dans ces atmosphères confinées, hormis la lumière dômes permettent de tester deux facteurs : la prai- qui, elle, est naturelle, tout est paramétré. Mais rie sera ou non soumise à des évènements extrêmes surtout, tout sera mesuré : humidité, température, (sécheresse et forte température), à deux niveaux de

échanges gazeux, transpiration de la végétation, dioxyde de carbone (CO2) atmosphérique, l’un équi- isotopes de carbone et d’oxygène et même des gaz valent à celui d’aujourd’hui et l’autre doublé. Cela traces, présents en très faible quantité, comme le fait quatre groupes de trois dômes identiques pour méthane ou l’oxyde d’azote. La végétation et le sol obtenir des statistiques fiables. Catherine Picon- seront eux aussi passés au peigne fin. « Tous les Cochard, la scientifique de l’Inra qui mène cette

éléments et processus d’un écosystème doivent être mesu- étude, s’interroge : « Une augmentation de CO2 rés simultanément pour identifier leurs interactions, de atmosphérique est a priori bénéfique pour les plantes quoi satisfaire l’ensemble de la communauté scientifi- puisqu’en favorisant leur photosynthèse et la fermeture que en écologie », explique Jacques Roy, directeur de de leurs stomates (pores qui assurent les échanges l’écotron. Le pari risque fort d’être gagné puisque gazeux et la transpiration au niveau des feuilles, ndlr), cette hausse leur permettrait de mieux faire face au stress hydrique 2. Mais qu’en est-il si la sécheresse se prolonge? Et comment les différentes espèces vont-elles adapter l’ouverture de leurs stomates ? » Plusieurs équipes européennes viendront se greffer à l’étude menée dans le plateau « Macrocosmes » : des éco- logues d’Innsbruck en Autriche vont s’intéresser à la respiration du sol et des racines ; d’autres, irlan- dais, vont se concentrer sur la photosynthèse au niveau de l’espèce, ou encore, des scientifiques bel- ges vont filmer la végétation lors d’un évènement extrême en caméra infrarouge, car la température des feuilles de chaque plante indique le niveau Photos : H. Raguet/CNRS Photothèque © Photos : H. Raguet/CNRS d’ouverture de leurs stomates. « Les dômes du pla- Le prélèvement des blocs de prairie de moyenne montagne sur le site auvergnat de l’Inra, à Saint-Genès- teau “Macrocosmes” offrent des conditions très proches Champanelle, n’a pas été une mince affaire! du terrain tout en permettant de contrôler et mesurer

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Jacques Roy montre Sous les serres, la salle de contrôle permet de comment utiliser les quantifier finement respiration et photosynthèse appareils pour mesurer grâce à un trésor d’électronique et de capteurs. l’hygrométrie du sol et l'ouverture des stomates, pores qui assurent les échanges gazeux au niveau des feuilles.

quantité de paramètres comme en laboratoire. Il est dif- paramétrer les enceintes confinées et suivre en ficile de faire mieux », assure Catherine Picon- continu les échanges gazeux comme ceux de la Cochard. respiration ou de la photosynthèse. Deux laboratoires La mise en place du deuxième plateau, « Méso- et une salle de conditionnement équipés d’un réfri- cosmes », est prévue pour 2011. Jacques Roy se gérateur à –80 °C, d’une chambre froide, de lyo- réjouit déjà d’y accueillir « une contribution à la plus philisateurs et de balances seront à disposition des belle expérimentation jamais menée sur le rôle de la bio- chercheurs pour analyser et conditionner des échan- diversité » : un programme de recherche débuté il tillons prélevés sur les plateaux. y a huit ans et coordonné par l’université allemande de Jena en collaboration avec une dizaine de labo- LE MUST AU NIVEAU MONDIAL ratoires internationaux. Leurs expériences menées L’idée de construire un écotron d’envergure inter- en plein champ sur plusieurs centaines de parcel- nationale flotte dans l’air depuis une petite dizaine les ont montré notamment un effet positif de la d’années au CNRS. Une infrastructure complé- diversité végétale sur la productivité du milieu et sur mentaire à celle de Montpellier est en développe- son bilan en azote, un constituant majeur des plan- ment en région parisienne, près de Saint-Pierre-les- tes. « L’expérimentation prévue à l’écotron a pour but Nemours. Ce quatrième plateau sera principalement d’identifier les mécanismes précis à l’origine de ce résul- dédié aux tests de théories écologiques. Françoise tat », ajoute le directeur. Le plateau « Mésocos- Gaill, directrice de l’Institut écologie et environne- mes » offrira 24 unités de tests en ensoleillement ment (Inee) du CNRS, précise que « ce sont des réel pouvant contenir des monolithes de 1 m2 sur structures phares qui mêlent les possibilités des expéri- 2m20 de profondeur. mentations de terrain et de laboratoire. Nous sommes Enfin, le dernier plateau, « Microcosmes », n’est lui au meilleur niveau mondial en termes d’instrumenta- encore qu’une salle vide… ou presque. Il faut lever tion et de capacité de mesures ». Et ce n’est pas fini la tête pour remarquer un entrelacs tout neuf de car l’équipe de l’écotron constituée d’ingénieurs tuyaux près à mesurer en continu gaz, températu- en écologie et de bricoleurs de génie, en tout une res et autres paramètres. Plusieurs centaines dizaine de personnes, compte bien faire évoluer d’échantillons de 1 à 100 litres pourront être minu- et diversifier les capteurs et autres appareils de tieusement observés pendant quelques semaines mesure qu’ils ont mis en place depuis un an. « En dans un confinement permettant l’utilisation 2009, on nous a livré un bâtiment. Depuis nous le d’OGM ou d’isotopes radioactifs sans risque de transformons en instrument à la pointe de la techno- dispersion dans l’environnement. Ce laboratoire logie », résume Jacques Roy. permettra d’étudier finement le comportement Caroline Dangléant d’espèces ou de micro-écosystèmes très divers 1. Les Très grands équipements et infrastructures de recherche comme des communautés microbiennes du sol (TGE/TGI) permettent à toute la communauté scientifique d’avoir accès aux équipements les plus performants : ou des organismes aquatiques. Sa première expé- télescopes, accélérateurs de particules, rayonnement rimentation va commencer d’ici la fin d’année et sera synchrotron, lasers et champs magnétiques intenses, moyens dirigée par Stephan Hättenschwiler du Centre d’éco- de calcul intensif, etc. 2. On parle de stress hydrique quand les besoins en eau sont logie fonctionnelle et évolutive 3 de Montpellier. Le supérieurs aux ressources disponibles. chercheur travaille sur le cycle de la matière orga- 3. Unité CNRS / Universités de Montpellier-I, -II et -III / Cirad / nique dans le sol. Il s’apprête à étudier ces flux Ensa Montpellier. sous l’effet de trois facteurs : le climat, la diversité de la matière organique fraîche, et celle de la macro- CONTACT faune du sol (vers de terre, insectes, etc.). En plus Jacques Roy des trois plateaux, une salle de supervision est Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive, équipée de postes informatiques sur lesquels les Montpellier, ingénieurs de recherche de l’écotron peuvent [email protected]

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Les coraux de Tahiti, témoins fidèles de la montée des océans lors de la dernière déglaciation.

CLIMATOLOGIE Quand les eaux se sont mises à monter En analysant des fossiles de coraux issus des récifs de Tahiti, des chercheurs ont reconstitué les grandes évolutions du niveau de la mer survenues il y a environ 10000 ans. Des données précieuses à plus d’un titre. J. Orempüller/IRD © J. arotte après carotte, modèle après modèle, Nord. En cinq mille ans, l’équivalent de presque mieux évaluer le « rebond isostatique post- les grands évènements climatiques du toute la glace de l’Antarctique actuel est venu glaciaire », c’est-à-dire la lente déformation de passé se dévoilent peu à peu. Dernière alimenter les océans. Résultat : le niveau de la mer la Terre qui survient lorsqu’elle se retrouve libé- Cavancée en date, due à une équipe du est remonté de plus de 50 mètres au rythme rée des glaces qui lui faisaient une sorte de cor- Centre européen de recherche et d’enseigne- moyen d’un centimètre par an, soit le triple de set. Une information fondamentale pour bien cor- ment sur les géosciences de l’environnement ce qu’on observe actuellement. riger les données des satellites qui mesurent le (Cerege) 1 : la reconstitution des variations du Mais cette déglaciation ne s’est pas faite sans niveau de la mer et les masses des calottes gla- niveau de la mer au cours de la dernière dégla- accroc. Les coraux de Tahiti ont gardé la trace des ciaires et de l’océan. ciation. Ces variations nous donnent une image violents évènements qui ont ponctué cette Ces travaux devraient par ailleurs déboucher sur précise du passage de l’ère glaciaire à l’holocène, période. Le plus spectaculaire est sans doute une amélioration des modèles du changement la période douce dont nous bénéficions depuis celui que les paléoclimatologues nomment le climatique en cours. En effet, connaître l’évolu- quelque 10000 ans. Les chercheurs ont pu mon- Dryas récent, survenu il y a douze mille ans. tion du niveau de la mer permettra de mieux trer qu’il existe une étroite corrélation entre le Cette période qui a duré un peu plus de mille ans modéliser comment les grandes calottes gla- changement climatique survenu à cette époque a été marquée par un brutal refroidissement. ciaires ont disparu. Ceci aidera à mieux com- et la vitesse de variation du niveau de l’océan. Les températures de l’Europe ont baissé d’envi- prendre la dynamique des calottes arctique et Pour mener à bien ce travail d’historiens du cli- ron 5 °C en quelques décennies, et celles du antarctique actuelles. Et ce n’est pas tout. En ce mat, les chercheurs ont utilisé des carottes pré- Groenland ont chuté d’environ 15 °C. Un véritable moment, plusieurs équipes cherchent à calculer levées dans les récifs de Tahiti. « Il n’y a pas d’au- retour à l’ère glaciaire dont les causes sont encore la corrélation qui lie le réchauffement climatique tre site dans le Pacifique qui permette d’obtenir une très débattues. « Malgré la grande inertie des varia- et la vitesse de remontée du niveau marin. Ceci série de données de cette qualité », affirme Édouard tions du niveau de l’océan, les coraux de Tahiti mon- afin de mieux anticiper les conséquences de ce Bard, qui a dirigé cette étude publiée dans la trent qu’il y a eu un ralentissement de la montée des réchauffement. Mais une fois qu’une corréla- revue Science du 5 mars 2010. Afin de suivre les eaux durant le Dryas récent, ce qui prouve qu’il a eu tion est suggérée, il faut pouvoir tester sa solidité. variations du niveau de la mer, les chercheurs ont un très gros impact sur les calottes glaciaires. » Et c’est là que les coraux de Tahiti entrent à nou- daté des échantillons de fossiles de coraux qui se Connaître la chronologie exacte de la montée de veau en jeu. « Ces corrélations pourront être testées développent très près de la surface. Pour cela, ils l’océan est fondamental pour aborder de nom- sur des périodes de temps très longues en utilisant ont mesuré la proportion de certains isotopes breuses questions. Par exemple, elle permet de nos données. Ceci permettra de faire des projections d’uranium et de thorium, méthode d’une préci- déterminer à quel moment le détroit de Béring plus précises sur la période à venir », conclut sion redoutable mise au point au Cerege. s’est ouvert, mettant fin au peuplement de l’Amé- Édouard Bard. « Nous nous sommes focalisés sur une période au rique à partir de l’Asie, ou encore, à quel moment Sebastián Escalón cœur de la dernière déglaciation : entre –14000 et la mer Noire et le golfe Persique ont été envahis 1. Unité CNRS / IRD / Université Aix-Marseille / Collège de –9000 ans, explique Édouard Bard. Durant cette par les eaux, évènements qui sont peut-être à France. période la température globale de la Terre est mon- l’origine des mythes du Déluge. « Nos données tée de 3 °C et la teneur atmosphérique en gaz à effet offrent une courbe précise du niveau de la mer à ces CONTACT de serre a augmenté de 15 %. » C’est pendant cet époques et pourront être consultées par les cher- Édouard Bard Centre européen de recherche et intervalle de temps qu’a disparu l’essentiel des cheurs qui s’intéressent à ces questions », affirme d’enseignement sur les géosciences grandes calottes glaciaires qui recouvraient une Édouard Bard. de l’environnement, Aix-en-Provence bonne partie de l’Europe et de l’Amérique du Autre retombée de ces travaux : permettre de [email protected]

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ARCHÉOLOGIE Le mystère des œufs gravés

eux lignes parallèles entre- La découverte – inédite à ce jour – a Ces coquilles coupées de hachures perpen- eu lieu à 180 kilomètres au nord du d’œuf portent des diculaires ou obliques… Le Cap, non loin de la côte Atlantique. marques attestant D d’une vraie motif se répète avec plus ou moins Creusé par l’érosion, le vaste abri de tradition graphique de variations sur 270 fragments Diepkloof s’ouvre dans une butte chez les d’œufs d’autruche qu’ont mis au rocheuse. Il a servi de lieu d’habita- populations jour des chercheurs du laboratoire tion aux hommes préhistoriques au locales, il y a Pacea 1, en collaboration avec l’uni- cours du Middle Stone Age, de 60000 ans. versité du Cap, en Afrique du Sud. –130 000 à –45 000 ans. « La pré- Des gravures réalisées par des hom- sence humaine y est attestée sur près de des pratiques mes modernes, il y a environ 4 mètres d’épaisseur de sédiments », similaires. « Le 60000 ans, qui témoignent de l’uti- indique Pierre-Jean Texier, qui dirige fait que les œufs lisation de symboles dans la com- ce projet soutenu par le ministère soient décorés munication de ces populations. des Affaires étrangères. C’est vers prouve qu’ils ont le haut de ces dépôts sédimentai- été réutilisés après res que les fragments de coquille leur consommation », gravée ont été découverts, au milieu explique Pierre-Jean Texier. de restes végétaux carbonisés, de Peut-être comme gourdes, donc… carapaces de tortue, d’ossements Les répétitions et les variations des Diepkloof témoignent en fait d’une d’antilope des rochers, de coquilla- motifs peuvent alors être interpré- vraie tradition graphique chez des ges… Alors que ces coquilles d’œuf tées comme des marques de pro- hommes du Middle Stone Age, qui sont présentes sur toute l’épaisseur, priété, attribuées soit à un groupe disposaient ainsi d’un système com- les gravures n’apparaissent que vers soit à un individu. Car l’hypothèse plexe de communication et de repré- –60 000 ans pour disparaître quel- d’une représentation symbolique sentation. ques milliers d’années plus tard. du contenu ne convainc pas le cher- Fabrice Demarthon Quel sens prêter à ces motifs ? Dif- cheur : « Il est difficile d’imaginer que 1. Laboratoire « De la préhistoire à l’actuel : ficile à dire aujourd’hui mais les sous un climat aride, les hommes aient culture, environnement et anthropologie », Kung, un peuple du désert proche pu utiliser les coquilles d’œuf pour CNRS / Universite Bordeaux-I / Ministère de la Culture et Communication/ Inrap. xier/Diepkloof project/CNRS Photothèque xier/Diepkloof project/CNRS du Kalahari, offrent quelques pis- conserver autre chose que de l’eau, Te . tes. Ces populations gravaient comme du lait ou du sang, qui se encore récemment les œufs d’au- seraient corrompus très rapidement ». CONTACT truche dont ils se servaient comme Or, si le contenu est toujours le Pierre-Jean Texier

© Photos : P.-J « De la préhistoire à l’actuel : culture, gourdes d’eau. Or, les traces d’une même, il n’y a aucune raison pour La couche sédimentaire de Diepkloof environnement et anthropologie », perforation sur certains fragments que son symbole varie. Pour les Bordeaux renferme les traces d’une présence [email protected] humaine durant près de 85000 ans. de coquille de Diepkloof indiquent scientifiques, ces objets retrouvés à

BRÈVE Le Soleil mis à nu par Genesis

S’ils connaissaient la teneur en éléments chimiques du Soleil, les astronomes ne savaient pas grand- chose de sa composition isotopique. Six ans après le crash de la sonde spatiale Genesis dans le désert de l’Utah, avec à son bord des échantillons de particules de vent solaire, un pan du voile se lève. Il aura fallu ces six ans à une équipe du Centre de recherches pétrographiques et géochimiques1, en collaboration avec des chercheurs suisses et américains, pour développer des techniques de nettoyage des échantillons et d’analyse isotopique spécifiques. Verdict 2 : la composition du Soleil actuel en isotopes de l’azote (azote-14, majoritaire, et azote-15, rare) est similaire à celle du gaz de la nébuleuse primitive qui lui a donné naissance. En revanche, la Terre et les météorites, d’une part, et les comètes, d’autre part, sont enrichies en azote-15 de 60 % et 300 % respectivement. « Ce résultat, explique Bernard Marty, du CRPG, montre que la composition terrestre n'est pas représentative de celle du système solaire initial. » La vraie référence en la matière est donc bien le Soleil.

1. Unité CNRS / Universite Nancy-I / INPL Nancy. Sqd 388th Range © USAF 2. Résultats publiés dans la revue Geochimica et Cosmochimica Acta, vol. 74, jan. 2010. La sonde Genesis, écrasée dans l’Utah en 2004. > Contact : Bernard Marty, [email protected] Les échantillons rapportés ont enfin pu être analysés.

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AGRONOMIE Au cœur du diamant noir

l aura fallu près de cinq ans à un sont venues les autres nouveautés. compatibles? A contrario, les truffières Grâce au décryptage du génome, consortium franco-italien, dont « Pendant longtemps, on a cru que peu productrices n’ont-elles en fait les réactions biochimiques qui les Ifont partie des équipes du CNRS 1 Tuber melanosporum était autofer- qu’un seul type sexuel, ce qui empê- produisent ont pu être décortiquées. et du Génoscope d’Evry, pour décryp- tile, ou homothallique (sorte d’her- che la reproduction? » L’analyse de la En passant, les scientifiques ont ter entièrement le génome de la truffe maphrodisme, ndlr) et qu’il n’y avait compatibilité sexuelle des truffes confirmé un potentiel allergène noire, Tuber melanosporum. Cinq qu’une faible diversité génétique chez pourrait répondre à ces questions. minime et une absence complète années au terme desquelles le célè- cette espèce, indique Claude Murat, Autre idée reçue battue en brèche : de toxicité. Les amateurs du dia- bre champignon tant prisé des fins chercheur à l’Inra et membre de la pauvreté génétique du diamant mant noir seront rassurés. gourmets livre ses secrets, avec quel- l’équipe. C’est finalement le contraire. » noir. Les nouvelles données du Fabrice Demarthon ques surprises à la clé. Son mode de reproduction est en séquençage ont montré une grande 1. Unités « Architecture et fonction des Première d’entre elles : la taille de fait celui d’un champignon dit hété- diversité entre les truffes issues de macromolécules biologiques » (CNRS / son génome. Il est constitué de rothallique et nécessite la rencontre différentes régions. Les différences Universités Aix-Marseille -I et -II) et « Génomique métabolique » (CNRS / CEA 2 125 millions de paires de bases , ce de deux « partenaires » compati- de goût entre les truffes du Péri- / Université d’Evry) qui fait de lui le plus gros génome de bles. Les scientifiques ont identifié gord, de Charente, d’Italie ou d’Es- 2. Le génome est composé d’une succession champignon séquencé à ce jour. En les gènes correspondant aux deux pagne pourraient donc ne pas être de bases – adénine (A), thymine (T), cytosine (C), guanine (G) – associées en paires. comparaison, celui d’une simple types sexuels. « Cet aspect inédit de uniquement liées au terroir mais levure n’en contient qu’une douzaine la génétique des truffes aura peut-être aussi trouver leur origine dans la CONTACTS de millions. En revanche, le nombre des conséquences pratiques, explique génétique. Un goût qui n’a d’ail- Centre Inra, Nancy de gènes se révèle assez restreint : Claude Murat. Certaines zones de cul- leurs plus de secrets. On connaissait Francis Martin seulement 7 500 (la levure en pos- ture – les truffières – produisent beau- déjà les composés volatiles à l’origine [email protected] sède environ 6 000). Et c’est de coup. Est-ce parce qu’elles présentent des de la saveur délicate de la truffe, Claude Murat l’étude détaillée de ces gènes que proportions idéales de champignons notamment les composés soufrés. [email protected]

OPTIQUE Des gouttes guidées par la lumière

Des lettres et un motif réalisés grâce à une nouvelle technique de guidage lumineux qui permet de déplacer une goutte d'huile de 2mm de diamètre. Chaque photo est une superposition de prises : entre chacune d’elles, la goutte a été déplacée. près la pince optique, la thétisée pour l’occasion, qui a la lumière bicolores peuvent la piéger placement par des pinces optiques tenaille optique. Les physi- double particularité de venir se glis- et permettre sa manipulation avec impossible, car les échantillons de Aciens savent depuis long- ser à l’interface entre l’eau et l’huile, une force spectaculaire pour un objet liquides sont trop volumineux. Le temps comment déplacer des objets et de changer de géométrie en fonc- physique d’une telle dimension. guidage lumineux de ceux-ci par petits comme des grains de pous- tion de l’éclairement : sous une Si la démonstration de principe de molécules photosensibles résou- A. Diguet, D. Baigl, A. Saint-Jalmes/CNRS Photothèque A. Saint-Jalmes/CNRS Baigl, A. Diguet, D.

© sière à l’aide de faisceaux laser : c’est lumière bleue, la molécule est droite cet effet a été faite avec un système drait le problème. le principe de la pince optique. Une comme un i, tandis qu’elle devient huile-eau, toute combinaison de Xavier Müller collaboration franco-japonaise vient coudée sous une lampe UV. liquides est envisageable, sous 1. Unité « Processus d’activation sélectif par d’élever ce principe un cran au-des- Or, comme le décrit Damien Baigl, réserve d’adapter l’affinité de la transfert d’énergie uni-électronique ou radiatif » (Pasteur). Unité CNRS / ENS sus. La technique de guidage lumi- coauteur de ces travaux : « En chan- molécule photosensible aux liqui- Paris / Université Paris-VI. neux qu’elle a élaborée est capable de geant la conformation de la molécule, des mis en jeu. La microfluidique, 2. Unité CNRS / Université Rennes-I. déplacer des objets plus gros : des la lumière UV change son affinité vis- domaine en plein essor, pourrait 3. La tension de surface est une force qui existe à l’interface entre deux milieux gouttelettes de taille millimétrique. à-vis de l’eau et de l’huile et donc la être le premier terrain d’application différents. C’est elle qui fait qu’une Les chercheurs issus de trois labo- tension de surface 3 à l’interface de ces travaux. Consistant à mani- goutte d’eau ne s’étale pas sur une feuille ratoires – le département de chimie eau/huile. » L’éclairement d’une par- puler de petites quantités de liquide de plastique. de l’ENS Paris 1, l’Institut de physi- tie de la goutte provoque une varia- à des fins par exemple d’analyse que de Rennes 2 et l’université de tion de la tension de surface, entraî- biologique, la microfluidique exige Kyoto – se sont penchés sur le cas nant un déplacement. Plus pour l’instant la présence, sur le tra- CONTACT d’une goutte d’huile flottant à la concrètement, la goutte fuit la jet des liquides, de pompes et de Damien Baigl « Processus d’activation sélectif surface d’un réservoir d’eau. À cette lumière UV et est attirée par la vannes de taille inférieure au milli- par transfert d’énergie uni- eau, ils ont ajouté une molécule lumière bleue. Et à la manière de mètre. Or cette micromachinerie électronique ou radiatif », Paris photosensible, spécialement syn- doigts invisibles, des rayons de est complexe à fabriquer et son rem- [email protected]

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 VIEDESLABOS 11

PHYSIQUE STATISTIQUE La loi du chacun pour soi En s’inspirant de la physique des particules, des chercheurs ont établi une équation qui permet de prendre en compte les choix individuels pour simuler un comportement collectif.

Ces simulations de la chaque particule (données de départ) et la confi- répartition de deux types guration globale qui en résulte. d’habitants dans un quartier « Le problème, précise Pablo Jensen, c’est que les tiennent compte d’une équations de la physique statistique décrivent des nouvelle variable : le comportement individuel. phénomènes très particuliers. Tout se passe comme si les particules étaient absolument altruistes : leur Leur travail s’applique à un comportement est dicté uniquement par la recherche modèle particulier, dû à d’un équilibre collectif du système. Mais dans la Thomas Schelling, prix société, chaque individu définit son comportement Nobel d’économie en 2005, selon un mélange entre ses propres souhaits et des qui étudie les choix de rési- contraintes collectives. Or nous pensons avoir réussi dence urbaine de deux types à intégrer la donnée “souhaits individuels” à l’équa- d’habitants, les rouges et tion “collective” de la physique statistique. » Concrè- les verts. Schelling a mon- tement, les chercheurs ont proposé une équation tré que même si chaque décrivant la mixité des quartiers de la ville en habitant désire vivre dans fonction de ce jeu « choix égoïste–contrainte col- un quartier mixte, il peut lective ». Et leur résultat coïncide avec les simu- arriver que la ville finisse lations : dans le cas où l’égoïsme est maximal et par se retrouver partagée le collectif minimal, on retrouve l’effet de ségré- en quartiers rouges et quar- gation ; dans le cas inverse, la répartition est tiers verts, ce qui ne satis- mixte. Mieux : leur fonction permet de suivre fera personne. Selon les tout le dégradé entre ces deux extrêmes en faisant S simulations, cela se produit varier le couple de paramètres égoïsme-collectif.

© PNA quand les individus suivent Aujourd’hui, les physiciens, en collaboration haque matin, des milliers d’automobi- une règle égoïste du type « si je vois un quartier avec une économiste, veulent publier une version listes font le choix le plus judicieux à plus mixte que le mien, j’y déménage », sans tenir plus économique de leur travail. Une manière de leurs yeux pour parvenir rapidement au compte des effets de leur déménagement sur jouer collectif. Cbureau et finissent dans de grands les voisins. En revanche, la mixité sera réelle si Roman Ikonicoff embouteillages, toujours aux mêmes heures et les individus font un choix plus collectif, par 1. Unité CNRS / ENS Lyon / Université Lyon-I. aux mêmes endroits, qui retardent tout le monde. exemple, en évaluant l’effet du déménagement 2. L’Ixxi fédère près de 200 chercheurs de laboratoires Ce type bien connu de paradoxe social, où l’ac- sur la mixité de leur ancien et de leur nouveau différents autour de la thématique des systèmes complexes. 3. Étude publiée le 8 décembre 2009 dans PNAS n°106 tion de chaque individu pour satisfaire ses atten- quartier. Tels sont les résultats des simulations. vol. 49, pp. 20 622-20 626. tes contribue à créer une dynamique sociale par- Mais comment relier mathématiquement la règle fois insatisfaisante pour tous, peut être modélisé. individuelle de comportement à son effet glo- Mais les modèles de comportement collectif ne bal sur la ville? C’est ici qu’intervient la physique permettent pas de lier directement le choix indi- statistique, qui s’occupe des grandes assemblées y Images viduel à la dynamique globale : c’est l’ordina- de particules : plutôt que de simuler les phéno- t teur qui simule cette dynamique pas par pas, mènes de masse, elle les décrit au comme au jeu d’échecs, jusqu’à la fin de la par- moyen d’équations exprimant © Isu/Get tie. Bref, il n’y a en général pas de raccourci liant ce lien entre l’action de cette dynamique de masse aux règles de com- portement de chaque individu ; toute la partie doit être jouée. Or, une équipe du Laboratoire de physique de l’ENS de Lyon 1 et de l’Institut rhônalpin des systèmes complexes (Ixxi) 2, animée par Pablo Jensen, est par- venue à emprunter ce raccourci à l’aide d’une seule équation qui relie l’action d’un individu au phénomène de masse 3. CONTACT Une manière de comprendre comment le Pablo Jensen microscopique (les individus) détermine Laboratoire de physique de l’ENS de Lyon le macroscopique (la société). [email protected]

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PHYSIQUE DES PARTICULES À Kiruna (Suède), les chercheurs vont lancer leur ballon Premières collisions au LHC pour mesurer les concentrations de méthane et de CO2. En provoquant la première collision de protons à très haute énergie, les scientifiques du Cern viennent de franchir une étape très importante. Récit d’une journée historique.

n ce matin du 30 mars 2010, l’ambiance est abeille en vol, elle n’en demeure pas moins… électrique dans les locaux de l’Organisation colossale. Car l’énergie portée par chaque proton Eeuropéenne pour la recherche nucléaire est emprisonnée dans une sphère mille mil- (Cern), à Genève. Une rencontre inédite est sur liards de fois plus petite que l’insecte. Au cours le point d’avoir lieu dans le Large Hadron Collider de la journée, une trentaine de rencontres « explo- (LHC), plus grand accélérateur de particules de sives » à 7 TeV, un record sans précédent, seront la planète. Dans cet anneau de 27 kilomètres de comptabilisées chaque seconde. Cinq jours plus circonférence enfoui à 100 mètres sous terre de tard, les scientifiques en dénombrent déjà plu- part et d’autre de la frontière franco-suisse, deux sieurs centaines de millions. Ce ne sont pourtant faisceaux de protons viennent d’être lancés dans que les prémisses d’un défi qui s’annonce bien des directions opposées à une vitesse frisant celle plus passionnant : « Dans deux ou trois ans, lors- de la lumière. Les yeux rivés sur les écrans, des que le fonctionnement du LHC sera optimum, cha- physiciens de l’Europe entière attendent, un brin que proton atteindra une énergie de 7 TeV, s’en- fébriles, l’impact entre les particules subatomi- thousiasme Daniel Fournier. Grâce à un niveau ques : « Après deux tentatives infructueuses depuis de luminosité bien supérieur à celui obtenu actuel- le début de la matinée, la tension est devenue per- lement, que nous obtiendrons en multipliant le nom- ceptible dans la salle de contrôle », reconnaît Daniel bre de “paquets” de protons lancés les uns contre les Fournier, physicien au Laboratoire de l’accéléra- autres, nous espérons détecter pour la première fois teur linéaire (Lal) 1 à Orsay et responsable de l’ex- des particules élémentaires inédites comme le fameux EN BREF périence Atlas 2 pour le CNRS. Il est 13 heures lors- boson de Higgs ». Pour atteindre cet objectif, les que les premiers chocs protoniques se produisent chercheurs du Cern peuvent compter sur Atlas enfin. Bien qu’aucun résultat ne soit attendu de et CMS 3. Aucune particule ne devrait en effet Des piétons échapper à ces superdétec- teurs dont les couches suc- modèles cessives de plusieurs mètres Comment se déplacent les piétons? d’épaisseur corsettent le LHC Des chercheurs du Centre de au niveau des quatre points recherches sur la cognition de collision potentiels 4. animale 1 ont étudié les Ainsi, la communauté scien- comportements collectifs en milieu tifique pourra-t-elle lever une urbain grâce à des enregistrements partie du voile qui entoure vidéo. Contrairement aux modèles les briques primordiales de simplifiés actuels selon lesquels les l’Univers. piétons se déplacent Grégory Fléchet indépendamment les uns des En savoir plus : autres, l’étude montre que 50 à 70% « Naissance d’un géant », Le journal d’entre eux forment de petits du CNRS n° 222-223, pp. 6-10. groupes, souvent de deux à quatre 1. Unité CNRS / Université Paris-XI. personnes, marchant côte à côte ou © C. Marcelloni/CERN 2. Atlas est un dispositif bien en « V » ou en « U », selon la Une visualisation de l’entrée en collision des deux faisceaux de protons instrumental toroïdal pour le LHC. densité de la foule. Les simulations dans le détecteur Atlas. 3. Comme Atlas, CMS est un détecteur généraliste capable numériques des chercheurs ont ces premières collisions encore trop peu nom- d’étudier tous les aspects des collisions entre protons. ensuite montré que ces groupes breuses, sur les écrans de contrôle des détec- 4. Deux autres appareils, LHCb et Alice, étudient respectivement les désintégrations de particules porteuses réduisent l'efficacité globale du teurs, l’évènement se matérialise par une myriade d’une caractéristique quantique dite de beauté et les trafic d'environ 17%. Publiés le de trajectoires de particules projetées dans toutes collisions entre noyaux de plomb, qui seront injectés 7 avril dans PLoS One, ces résultats ultérieurement dans le LHC. les directions. vont permettre d’améliorer les Pour réaliser cette prouesse, deux « paquets » de modèles de prévision afin de mieux protons ont été projetés en sens inverse dans le gérer le trafic piétonnier. LHC puis accélérés progressivement jusqu’à CONTACT 1. Unité CNRS / Université Toulouse-III, avec atteindre chacun une énergie de 3,5 millions de Daniel Fournier l'École polytechnique fédérale de Zürich millions d’électronvolts (3,5 teraélectronvolts ou Laboratoire de l’accélérateur linéaire (Lal), Orsay [email protected] > Plus d’infos : www2.cnrs.fr/presse/ TeV). Si cette valeur est proche de l’énergie d’une communique/1852.htm

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 Mission VIEDESLABOS 13 P. Jeseck/LPMAA/CNRS Photothèque Jeseck/LPMAA/CNRS P. ©

gonflés à l’hélium dont le volume peut atteindre 400 000 m3 en altitude. Mais avant de pouvoir effectuer le vol qui devrait durer environ 6 heu- res, plusieurs conditions doivent être réunies. « Les conditions météorologiques, prévisibles 24 heu- res à l’avance, doivent être favorables, avec des vents SWIR-BALLON inférieurs à 5 mètres par seconde pour pouvoir lan- cer le ballon. En effet, il faut éviter les trajectoires imprévues pour atteindre nos objectifs scientifiques. Une campagne gonflée à bloc De plus, il faut attendre l’heure de passage du satel- lite japonais Gosat, la prise de mesures s’effectuant En mai, des physiciens effectuent en Suède une campagne de manière simultanée avec ce dernier », précise Pascal Jeseck. de mesures en ballon. L’objectif : valider les concentrations Dans les airs, le Cnes assure l’alimentation et le atmosphériques de deux gaz à effet de serre, le dioxyde de pointage de la nacelle, c’est-à-dire sa stabilité. Les mesures s’effectuent pendant la montée du carbone et le méthane, mesurées par le satellite japonais, Gosat. ballon, jusqu’à environ 35 kilomètres d’altitude, puis pendant que le ballon dérive à cette alti- rès de Kiruna au nord de la Suède, au trations atmosphériques des deux mêmes gaz à tude. Les résultats sont enregistrés à bord de la

beau milieu d’un immense terrain vague effet de serre, le CO2 et le méthane, sur l’en- nacelle et transmis au sol par télémesure. À la fin perdu entre toundra, lacs et forêts de semble de la planète. Pour être comparable, les du vol, le parachute est déclenché au-dessus Pconifères, les équipes de la division « Bal- mesures doivent être effectuées simultanément. d’une zone d’atterrissage favorable. Arrivée au sol, lon » du Cnes et du Laboratoire de physique Afin de s’en assurer, le spectromètre est aligné la nacelle est localisée puis hélitreuillée vers la moléculaire pour l’atmosphère et l’astrophysi- sur une caméra infrarouge qui précise les scènes route ou un camion la ramènera jusqu’à la base. que (LPMAA) 1 se préparent pour le vol SWIR- visées (lacs, forêts, nuages, etc.). Les images Aujourd’hui, c’est pour des raisons de sécurité ballon. But de l’expérience : mesurer les concen- recueillies sont ensuite comparées à celles prises précises que les campagnes de mesures s’effec- trations de deux gaz à effet de serre présents par le satellite. Et les enjeux sont importants tuent depuis plusieurs années à la base d’Es- dans l’atmosphère, le dioxyde de carbone (CO2) puisque « les mesures visent à comprendre l’évolu- range en Suède. En effet, la densité de popula- et le méthane. Pascal Jeseck, ingénieur de recher- tion de ces gaz, de leurs sources et puits à l’échelle du tion doit être au maximum d’un habitant au che au LPMAA, détaille : « Lors du vol, un spec- globe, en vue d’améliorer nos connaissances sur les kilomètre carré pour prévenir tout accident en cas tromètre va mesurer le rayonnement solaire rétro- cycles du carbone, essentielles pour les prévisions cli- de détachement de la nacelle. D’ailleurs, nos diffusé, c’est-à-dire la lumière diffusée au contact matiques », explique Sébastien Payan, chercheur chercheurs espèrent prochainement fouler à des molécules de l’atmosphère : par exemple, lorsque au sein du LPMAA. nouveau les terres suédoises : leur nacelle est des photons rencontrent une molécule de dioxyde Bien loin des paysages suédois, c’est à Paris au sein inscrite dans un nouveau projet, Strapolex, une de carbone, une partie de la lumière est absorbée et de ce laboratoire, que chercheurs, ingénieurs, étude de la composition chimique de la stratos- l’autre partie est diffusée. À partir de cette mesure, mécaniciens et électroniciens ont mis en place l’ex- phère polaire en dehors de la période hivernale. on peut déduire la quantité de dioxyde de carbone périence SWIR-ballon. Du montage de la nacelle Marion Papanian présente dans l’atmosphère. » Pour différencier les aux réglages des instruments de mesure, tout le 1. Unité CNRS / Université Paris-VI. concentrations des molécules de CO2 et de matériel a été vérifié méticuleusement pour mener méthane, les mesures s’effectuent à différentes à bien l’expérience. Fin mars, la nacelle est démon- longueurs d’ondes dans l’infrarouge. En effet, Il tée et mise en caisse, direction la Suède. Elle est CONTACTS existe des longueurs d’onde d’absorption spéci- rejointe une semaine plus tard par l’équipe qui se Laboratoire de physique moléculaire fiques à chaque molécule de l’atmosphère. charge de la remonter et de procéder à une nou- pour l’atmosphère et l’astrophysique, Paris Avec cette expérience, les scientifiques participent velle phase de test et de calibration des instruments Pascal Jeseck en fait à la calibration et à la validation des mesu- de mesure. Aujourd’hui, sur le terrain de lance- [email protected] res du satellite japonais Gosat. Lancé en 2009, ment, la nacelle de 500 kilogrammes contenant Sébastien Payan ce satellite a pour objectif de mesurer les concen- l’expérience va être emportée par des ballons [email protected]

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 14 INNOVATION Partenariat

SÉCURITÉ ROUTIÈRE Vers des casques plus protecteurs Parce que les crash tests réalisés sur les casques de moto sont insuffisants, des chercheurs ont développé des modèles qui prennent mieux en compte la réalité des chocs. Ce qui leur a permis d’imaginer des améliorations pour les casques de demain.

ne réduction de 20 à 40 % des risques motards. Leur conclusion : les crash tests obli- nateur. Spécialiste de la biomécanique de la de blessure à la tête en cas d’accident : gatoires pour chaque nouveau modèle de cas- région tête-cou, elle a employé pour ce faire un pour les motards, qui savent combien les que sortant sur le marché sont largement insuf- modèle numérique du crâne qu’elle développe Uchocs à la tête sont dangereux, même à fisants. Consistant en des chocs de plein fouet sur depuis plusieurs années et qui tient compte basse vitesse, la promesse a de quoi enthou- différents points du casque (garni d’une fausse notamment de la constitution du crâne en dif- siasmer. Elle émane d’un nouveau type de cas- tête en alu), ils sous-estiment, d’après les cher- férentes couches et de la présence du liquide ques, uniquement virtuel pour le moment mais cheurs, la diversité des situations : dans la réa- céphalo-rachidien. Côté protection, elle a bâti la qui pourrait être bientôt fabriqué. Auteurs d’une lité, le casque frappe aussi parfois l’obstacle de réplique virtuelle d’un casque moderne, consti- étude financée par le ministère des Transports et biais (le motard « rebondit » contre une glis- tué d’un matériau composite pour la coque, et de menée en partenariat avec le fabricant de casques sière de sécurité par exemple) ou en tournant. polystyrène expansé pour la mousse intérieure. Shark, les biomécaniciens de l’Institut de méca- Autre source d’insuffisance, pourtant évidente : Les conclusions des crash tests sont riches d’en- nique des fluides et des solides 1, à , ont contrairement à ce que suggèrent les crash tests, seignement pour la fabrication de casques plus en effet identifié des améliorations possibles des les accidents n’entraînent pas que des fractures protecteurs. En particulier, alors qu’elle est casques actuels concernant leur structure et les du crâne, mais aussi, à titre d’illustration, des constante aujourd’hui dans tout le casque, « la matériaux qui les composent. lésions internes dans les lobes du cerveau. densité du polystyrène devrait être progressive de En préambule de l’étude, les chercheurs ont ana- Forte de ces informations, l’équipe a entrepris de l’extérieur vers l’intérieur afin de permettre d’amor- lysé une quarantaine d’accidents impliquant des réaliser des crash tests plus réalistes sur ordi- tir les chocs sans brutaliser le crâne », analyse Rémy Willinger, qui a dirigé les travaux. Par ailleurs, les tests ont montré que le dosage en fibres de verre au sein du matériau composite n’était aujourd’hui pas optimal. Le fabricant de casques Shark devrait proposer d’ici quelques années un modèle qui répond à ces exigences. Tout en cherchant encore à rendre plus réalistes leurs modèles numériques, les chercheurs, vont, eux, militer pour rendre plus strictes les normes des crash tests réels. Xavier Müller Modèle numérique d’un 1. Unité CNRS / Université de Strasbourg.

Photos : Equipe Biomécanique de l'Université de Strasbourg/IMFS/CNRS Photothèque de Strasbourg/IMFS/CNRS © Photos : Equipe Biomécanique de l'Université casque et du crâne d’un motard (à gauche), et des CONTACT simulations de choc destinés à sa validation (au-dessus). Rémy Willinger Institut de mécanique des fluides et des solides (IMFS), Strasbourg [email protected]

BRÈVE 277 brevets en 2009

Pour la deuxième année consécutive, le CNRS se classe à la 9e place du palmarès des plus gros déposants de brevets en France, établi par l’Institut national de la propriété industrielle. En 2009, 277 brevets issus de l’organisme ont été publiés, soit 70 de plus que l’année passée. Comme l’année dernière, le podium est tenu par PSA Peugeot Citroën, Renault et L’Oréal. En savoir plus : www.inpi.fr

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 INNOVATION 15

INFORMATIQUE Des voitures en libre-service

assez votre badge devant son voiture au point de départ ni à une mes de Sophia-Antipolis » (I3S) 3. tion à être opérateur de transports, pare-brise : ses portes s’ouvrent station. Il n’est pas obligé, non plus, « Vu Log émane pour 50 % d’I3S, mais de vendre ce système –unique au Pet le véhicule est à vous… tem- de la réserver à l’avance. La locali- pour les logiciels de système d’infor- monde– à des collectivités, des entre- porairement. Tel est le principe de la sation du véhicule se fait via inter- mation, et pour 50 % de l’Institut prises, des hôtels… », une fois validé voiture urbaine (Vu) en libre-service net 2 ou par serveur vocal. On indi- national de recherche en informati- dans son laboratoire antibois gran- testé dans trois quartiers d’Antibes que alors au client le véhicule le que et automatique (Inria) 4, pour le deur nature. Prochain test voulu depuis 2007. Quelque 150 conduc- plus proche de sa position, dans un savoir-faire concernant le véhicule du par Vu Log : l’utilisation d’un même teurs de 18 à 85 ans sont abonnés à rayon de 300 mètres. Un avantage futur et ses usages », détaille David badge pour les transports – com- ce dispositif piloté par la société Vu non négligeable : le stationnement Emsellem, qui a passé six années à plémentaires – en bus et en voitu- Log 1 et dont des travaux préparatoi- est gratuit. I3S et un an à l’Inria. La société res en libre-service. res ont été réalisés par le CNRS. Serveur vocal, badge avec puce RFID d’édition de logiciels n’a « pas voca- Mathieu Hautemulle Parmi ces clients, « pas de profil- (comme le passe du métro 1. www.vulog.fr type », indique David Emsellem, parisien) ou encore maté- 2. www.citevu.com ingénieur et cofondateur de Vu Log. riel embarqué (tel un écran 3. Unité CNRS / Université de Nice-Sophia-Antipolis. Certains possèdent déjà une voiture tactile ou des plateformes 4. Le CNRS et l’Inria ont déposé qu’ils sont réticents à utiliser en GPRS ou wifi) rendant les conjointement la maquette centre-ville ; d’autres disposent de véhicules « intelligents » : fonctionnelle du système développé par Vu Log à l’Agence peu de moyens. Tous recourent au David Emsellem est spé- pour la protection des parc d’une dizaine de voitures élec- cialisé dans les systèmes programmes (APP). triques pour des trajets inférieurs d’information, « le front à 5km et 30 min, pour leurs courses office client » en particulier, notamment. L’accès définitif au ser- c’est-à-dire les logiciels avec vice coûte 33 euros par an, l'acqui- lesquels le client entre en Dans trois quartiers sition du badge 10 euros et la minute contact et qui constituent d’Antibes, la société Vu Log d’utilisation 10 centimes. la partie émergée de l’ice- met à disposition une L’objectif ? « Éviter que les personnes berg technologique. Le sys- dizaine de voitures urbaines, prennent leur propre voiture pour se tème d’information est accessibles, grâce à un badge, à 150 abonnés. déplacer. » Le maître-mot? « La flexi- issu d’années de recher- bilité ». L’automobiliste n’est, en che au laboratoire « Infor- effet, pas contraint de ramener la matique, signaux et systè- CONTACT David Emsellem Vu Log, Antibes [email protected] MICROÉLECTRONIQUE VU Log © Photos : Un grand projet pour des petits composants

ne carte à puce, un défibrilla- niques sur silicium, ce programme Louis Sanchez, chercheur au Laas : D’un investissement total de 53 mil- teur, un module pour relever de recherche étalé sur quatre années « Nous cherchons à créer des ruptures lions d’euros dont 21 financés par Uà distance des compteurs réunit partenaires industriels (Sorin technologiques pour accroître les per- Oséo 3, ce projet de réalisation et d’in- d’eau ou de gaz, un capteur de mou- Group, Gemalto, Kalray, Movea et formances. Par exemple, nous tra- novation industrielle a vraisembla- vement… Le point commun à tous 3D plus) et organismes de recherche vaillons à décupler celle des condensa- blement un bel avenir devant lui. ces appareils ? Ils contiennent tous (CNRS et CEA). teurs actuels en développant des Marion Papanian des composants de base de la micro- En amont du projet, deux labora- technologies dites de dépôts en couches 1. Contrairement aux éléments dits actifs, électronique, dits passifs 1, comme toires du CNRS –le Laboratoire de minces de nouveaux matériaux ». ils n’ont pas pour fonction d’augmenter la des condensateurs, des bobines, etc. cristallographie et sciences des maté- De meilleures performances qui puissance du signal. 2. Unité CNRS / Ensi Caen / Université de 2 Développer de nouveaux compo- riaux (Crismat) et le Laboratoire accompagneront les évolutions des Caen. sants de ce type et leurs méthodes d’analyse et d’architecture des sys- composants (miniaturisation, auto- 3. Établissement public de soutien à d’assemblage pour les produits tèmes (Laas)– travaillent respecti- nomie et fiabilité) voulues tant par les l’innovation et la croissance des PME. actuels de la microélectronique, c’est vement sur l’étude de nouveaux industriels que par le public. Selon dans cette démarche que s’inscrit matériaux et structures, ainsi que son président Franck Murray : « L’as- le « Projet de réalisation et d’inno- sur la réalisation et l’assemblage sur sociation d’Ipdia avec des partenaires de CONTACTS vation industrielle de microsystè- silicium de nouveaux composants recherche est l’occasion pour cette entre- Frank Murray Ipdia, Caen mes hétérogènes » (Priim). Lancé passifs. Dans ce cadre, les cher- prise (née en 2009 d’une séparation [email protected] cette année et piloté par Ipdia, une cheurs réalisent des études de fai- du groupe néerlandais NXP semi- Jean-Louis Sanchez jeune société spécialisée dans la sabilité, de démonstration et de conductors, ndlr) de doubler sa capa- Laas, Toulouse fabrication de composants électro- prototypage. Comme l’explique Jean- cité de recherche et développement ». [email protected]

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 16 PAROLED’EXPERT

Robert Barbault, écologue au laboratoire «Conservation des espèces, restauration et suivi des populations » 1, directeur du département « Écologie et gestion de la biodiversité » du MNHN

Toutes ces mesures suffiront-elles? R.B. : L’« Évaluation des écosystèmes pour le millénaire » 3 a testé différents scénarios socio-économiques pour dégager les tendances d’évolution probable au cours du e DR XXI siècle. Même si certains sont nettement moins pénalisants que d’autres, tous prévoient Préserver les espèces une perte continue de biodiversité à l’horizon 2050. Ainsi, l’objectif de la communauté internationale de stopper son érosion dès 2010 pour protéger l’homme ne sera pas atteint. Pire, certains scientifiques estiment que le taux d’extinction des espèces au cours de la première moitié du XXIe siècle Si les espèces vivantes sont à l’honneur en 2010, phosphore issus des fertilisants agricoles et sera dix fois supérieur au taux actuel. Seul un qui est l’Année internationale de la biodiversité, des effluents ménagers. Pêche intensive, changement radical de notre mode de vie elles le seront particulièrement le 22 mai, exploitation forestière, tourisme… La pourrait donc inverser la tendance. Il est puisqu’une journée mondiale leur est également surexploitation des ressources vivantes est temps de passer à une vision écologique du consacrée. Objectif de ces initiatives : alerter également mise en cause. Enfin, le monde car notre survie en dépend. l’opinion sur l’état et les conséquences du changement climatique joue un rôle non déclin de la diversité biologique. Quel constat négligeable car il perturbe le rythme Quelles seront les conséquences pour l’homme dressent les scientifiques? biologique de nombreuses espèces et les force d’un appauvrissement accru de la diversité Robert Barbault : Selon le dernier décompte de à migrer vers le nord, ou en altitude. biologique? l’Union internationale pour la conservation de R.B. : La biodiversité nous apporte de la nature, 36 % des espèces évaluées sont nombreux services dits écosystémiques aujourd’hui menacées d’extinction. «Il est temps de passer répartis en quatre grandes catégories : les Mammifères, amphibiens, oiseaux, reptiles, services de prélèvement (nourriture, eau, bois, poissons d’eau douce, plantes et invertébrés, à une vision écologique fibres, molécules thérapeutiques…), de toutes les catégories d’êtres vivants intégrées régulation (épuration des eaux, dégradation dans cette observation sont concernées par le du monde car notre des déchets, prévention des inondations, phénomène. Le cas des vertébrés est assez stockage du carbone…), d’auto-entretien parlant : alors que leur taux de disparition survie en dépend. » (formation des sols, photosynthèse, recyclage naturelle est d’environ une espèce tous les des nutriments…) et enfin les services cent ans, près de 260 espèces ont disparu au culturels (récréatifs, esthétiques…). Autant de cours du XXe siècle ! Le déclin quantitatif de Quelles sont les solutions mises en œuvre pour bénéfices aujourd’hui menacés. En effet, certains peuplements, suivis dans le temps et enrayer le phénomène? l’« Évaluation des écosystèmes pour le dans l’espace, est également inquiétant. À titre R.B. : Plusieurs initiatives sont déjà engagées. millénaire » prévoit une dégradation accrue de d’exemple, l’Europe a perdu 20 % de ses On assiste par exemple à la multiplication des la plupart de ces services d’ici 2050. Maintenir effectifs d’oiseaux communs en vingt ans. espaces protégés à travers le monde, avec la notre qualité de vie va donc coûter de plus en volonté d’impliquer davantage les populations plus cher, et les pays les plus vulnérables Quelles sont les causes de cette érosion de la humaines qui en dépendent. Certains pays, seront les premières victimes. Ne pas biodiversité actuellement à l’œuvre? comme le Brésil et l’Indonésie, affichent aussi préserver la biodiversité, c’est donc scier la R.B. : À la différence des cinq crises une volonté de réduire la déforestation. Côté branche sur laquelle nous sommes assis ! d’extinction qu’a déjà connues la Terre, aménagement du territoire, le concept de Propos recueillis par Jean-Philippe Braly l’humain est aujourd’hui le premier trames vertes et bleues 2 fait son chemin. Dans 1. Unité CNRS / MNHN. responsable. Démarrée dès le Paléolithique, le secteur agricole, les techniques plus 2. Connexions des zones de nature entre elles permettant la la dynamique s’est accélérée au cours de la respectueuses de la biodiversité se circulation des espèces animales et végétales. révolution industrielle, puis dans la seconde développent, tout comme les preuves de leur 3. Programme de travail international commandé par l’Organisation des Nations unies. moitié du XXe siècle. Cinq grands facteurs, efficacité. Quant aux réintroductions agissant de concert, sont incriminés. Tout d’animaux, elles ont surtout un caractère En savoir plus : lire le dossier « Les secouristes de la nature », Le journal du CNRS n° 240-241, pp. 18-31. d’abord l’altération des habitats naturels symbolique. Pour réussir, elles nécessitent de opérée par l’intensification agricole, la saisir les raisons de la disparition de l’espèce, déforestation, l’urbanisation… Le second d’analyser la capacité du milieu naturel à CONTACT facteur est l’introduction de végétaux et l’accueillir, le tout en impliquant les Robert Barbault d’animaux envahissants, de manière communautés concernées. Si ces conditions Conservation des espèces, restauration et volontaire ou accidentelle. Troisième cause : ne sont pas remplies, l’échec est souvent au suivi des populations, Paris la surcharge des sols et de l’eau en azote et rendez-vous. [email protected]

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 JEUNESCHERCHEURS 17 David Holcman Sous la bio… les maths

ean noir délavé, chemise à carreaux chercheur qui n’aime rien tant que informelle avec Zeev Schuss, à l’université et cheveux en bataille. David Holcman, l’indépendance et déclare s’être formé sur le de Tel-Aviv, spécialiste de la mathématisation allure rebelle et regard fonceur, tas : « J’aime comprendre les choses par moi- des processus aléatoires et féru de biologie. Jcommente un tableau débordant même, au risque de refaire ce que d’autres ont fait Mais c’est véritablement en 2002 qu’il peut d’équations avec un étudiant. Autour de lui, avant moi, ce qui m’est arrivé plus d’une fois! enfin se consacrer entièrement à son projet, entre une table de bistrot, un canapé rouge et Mais ainsi je ne suis influencé par personne, ce alors qu’il reçoit un financement pour un bureau surplombé d’un écran d’ordinateur, qui permet d’explorer des idées neuves. » s’immerger, en tant que mathématicien, des piles de livres et d’articles s’entassent La méthode est sinueuse. Puisqu’après la au département de neurobiologie de sur chaque parcelle de surface disponible. soutenance de sa thèse, en 1998, elle conduit l’université de Californie, à San Francisco. La pièce et son occupant ont tout pour camper David Holcman six mois en Italie. Puis deux En électron libre, le scientifique multiplie l’image du mathématicien mi-cool, mi-génial, ans en Israël, où il partage son temps entre un les problématiques. Il s’intéresse par exemple façon Hollywood. séjour postdoctoral en mathématiques pures, à la diffusion du calcium entre les neurones. Mathématicien ? La scène se situe pourtant à l’Institut Weizman, et une collaboration Ou bien aux raisons qui, selon le contexte à l’Institut de biologie de l’École lumineux, font que toutes normale supérieure 1, à Paris. Où les cellules de la rétine ne sont ce directeur de recherche d’à pas capables de détecter un peine 40 ans dirige le Dépar- seul photon incident. Il publie tement de recherches interdis- aussi sur le fonctionnement ciplinaires en biologie et mathé- d’une synapse, le complexe matiques, qu’il a fondé en 2004 permettant à deux neurones grâce à une chaire d’excellence, de communiquer : « De façon avant de le consolider par un intéressante, je me suis rendu financement du Conseil euro- compte qu’une fois mise en péen pour la recherche (ERC, équation, cette question revient European Research Council). Il à se demander combien de temps s’en explique : « La physique théo- il faut à une molécule ayant un rique offre 300 ans d’outils mathé- mouvement aléatoire pour sortir matiques que l’on peut mettre à par un petit trou! » Bref, profit pour calculer et prédire quan- le mathématicien traque ce titativement le fonctionnement cel- qu’il peut y avoir d’universel lulaire. Pourquoi s’en passer? » dans la multiplicité des Aujourd’hui, à l’heure où l’inter- phénomènes biologiques. disciplinarité est devenue un véri- Depuis son admission table mot d’ordre, l’idée de au CNRS, en 2005, il poursuit mettre la biologie en équations, sa démarche interdisciplinaire quand c’est possible, est une évi- entouré d’étudiants en maths, dence. Mais lorsqu’au milieu des physique, chimie ou biologie. années 1990, David Holcman S’intéressant par exemple rêve de révéler les mystères du à la propagation d’un virus

cerveau à grands coups d’inté- Photothèque Plas/CNRS dans une cellule. Ou à . grales et d’équations non linéai- © F la différenciation cellulaire res, les laboratoires où mettre en pratique « J’aime comprendre au cours du développement. « L’important est sa lubie ne sont pas légion. d’apporter une réponse à la question que l’on pose. Qu’importe, le jeune normalien, également les choses par moi- Peu importe la méthode », insiste-t-il. À n’en pas diplômé de Télécom Paris, opte pour une thèse douter, celle de David Holcman sort des en mathématiques pures : « J’ai voulu même, au risque de sentiers battus. commencer par le plus dur, avance-t-il. La bio, je Mathieu Grousson me disais que je pourrais toujours l’apprendre plus refaire ce que d’autres 1. Unité CNRS / ENS Paris / Inserm. tard. » Ce qui ne l’empêche pas de passer 2. Mathématicien décédé en 2009, Thierry Aubin était plusieurs mois dans un Institut membre de l’Académie des sciences dont il reçut le prix ont fait avant moi. » Servant en 1982. de neurobiologie, à Berkeley, sans même en avoir informé son directeur de thèse ! CONTACT « Chez Thierry Aubin 2, à l’université Paris-VI, David Holcman chacun pouvait faire ce qu’il voulait. L’important Institut de biologie de l’École normale était de se prendre en main », justifie-il. Une supérieure, Paris politique qui convient parfaitement à ce jeune [email protected]

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 18 L’ENQUÊTE

RECHERCHE DIPLOMATIE ÉCONOMIE AFRIQUEAFRIQUE lele nouvelnouvel élanélan

Le 11 juin prochain, débute en Afrique du Sud la 19e Coupe du monde de football, la première organisée en Afrique. Pendant un mois, la planète aura les yeux rivés sur cette terre pleine de contrastes. L’occasion est belle de porter un nouveau regard sur ce continent : aujourd’hui, un milliard de personnes y vivent ; son sous-sol abrite des richesses qui le placent au centre d’enjeux économiques majeurs ; et les pays africains s’organisent pour faire entendre leur voix sur la scène mondiale. Autre signe qui ne trompe pas, la recherche scientifique y prend son envol. Cinquante ans tout juste après

l’indépendance de nombreux pays africains, les chercheurs tyImages du CNRS décryptent ces évolutions. D. Sacks/Get © D.

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 L’ENQUÊTE 19

UN CONTINENT AUX MILLE VISAGES > 19 LA RECHERCHE EN PLEIN ESSOR > 21 L’AFRIQUE EN QUÊTE D’UNITÉ > 24 RESSOURCES NATURELLES, LA MANNE AFRICAINE > 25

Un continent aux mille visages

l n’y a pas une Afrique mais des Afrique avec Le déroulement des des climats, des cultures, des religions, des lan- élections au Ghana, gues, des histoires, des systèmes politiques, des ici les présidentielles niveaux économiques… très différents les uns de 2009, fait du pays un modèle de des autres. » Directeur du Centre d’études démocratie en Afrique Ides mondes africains (Cémaf) 1, Pierre Boilley est de l’Ouest. catégorique : parler au singulier d’un territoire de 30 millions de kilomètres carrés, plus grand que l’Union européenne, l’Amérique du Nord et l’Australie réunis, et peuplé d’un milliard d’hom- mes répartis dans 53 pays, frise l’absurde. « De même, parler de “l’homme africain” n’a aucun Plusieurs centaines de sens. » Et de dénoncer les clichés manichéens qui, milliers de spectateurs en leur temps, ont justifié la conquête coloniale sont attendues dans la Soccer City pour la OMI EKPEI/AFP

et qui, à l’heure où 16 États commémorent le T Coupe du monde de e 50 anniversaire de leur indépendance et où football 2010, en

l’Afrique du Sud s’apprête à accueillir entre Afrique du Sud. © PIUS U 300 000 et 450 000 fans de football, continuent de coller au continent géant.

CAP SUR LA DÉMOCRATIE Alors qu’en est-il vraiment, par exemple, de la situation politique ? Avec ses guerres dites eth- niques, ses coups d’État dont ceux récents à Madagascar et en Guinée ou encore ses conflits à connotation religieuse comme au Nigeria, elle semble accréditer le postulat selon lequel la démocratie serait un luxe pour les pays pau- a Media/H. Zwei/GAMMA/Eyedea Presse a Media/H. Zwei/GAMMA/Eyedea vres. Mais « quelques pays sont entrés dans un v

cycle politique vertueux, commente René Otayek, © Cle directeur du Centre d’études d’Afrique noire démocratie ne s’est imposée qu’au terme d’un sida, le paludisme, etc. Cette situation lui vaut (Céan) de Sciences Po Bordeaux 2. Le Sénégal, le processus pluriséculaire « ponctué de révolutions d’ailleurs le titre de région la plus déshéritée de Bénin, le Mali, le Ghana et même le Liberia, pour sanglantes, de fascismes, de totalitarismes et de la planète. Et contraint à l’exil des millions ne citer que ceux-là, ont connu une ou plusieurs guerres, y compris civiles »? d’hommes et de femmes. Il n’empêche : le alternances pacifiques qui reflètent une certaine De telles nuances existent aussi sur le plan éco- continent africain peut se prévaloir de quel- institutionnalisation du jeu politique et une rou- nomique. Certes, l’Afrique subsaharienne, mal- ques success stories (Botswana, Namibie, île tinisation des pratiques électorales. Sans oublier gré la richesse de son patrimoine agricole, Maurice, Afrique du Sud) et espérer qu’à long l’Afrique du Sud, où l’accession au pouvoir de la minier et pétrolier, reste fragilisée par la dette terme, la création de regroupements régionaux majorité noire s’est faite sans le bain de sang qui absorbe en moyenne plus de 40 % du supranationaux l’aide à sortir de l’ornière du annoncé ». Et faut-il rappeler qu’en Europe, la revenu national des États, la malnutrition, le sous-développement. >

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 20 L’ENQUÊTE

> Qu’en est-il de sa démographie? En 2009, l’en- longtemps pensé, pour que la fécondité baisse, dit pentecôtiste), un néoprotestantisme dont le suc- semble du continent africain a franchi le cap Hervé Le Bras. Le cocktail développement écono- cès populaire menace les églises « missionnaires » symbolique du milliard d’habitants. Resté long- mique/scolarisation des jeunes filles/droit des fem- et augure d’une « pentecôtisation » du champ reli- temps sous-peuplé parce que saigné par la traite mes à l’égalité s’avère beaucoup plus efficace ». Bien gieux et politique. Ainsi va l’Afrique, continent sin- négrière et les épidémies de tout poil, le continent, que, pour l’heure, seulement 30 % de la jeunesse gulièrement complexe. qui hébergeait un être humain sur dix au milieu fréquentent un établissement d’enseignement Philippe Testard-Vaillant du XXe siècle, en abrite désormais un sur sept et secondaire. 1. Unité CNRS / Univ. Paris-I / EPHE / Univ. de Provence. cumule les records démographiques, dont celui 2. Unité CNRS / IEP Bordeaux. 3. Unité CNRS / EHESS. de la plus forte fécondité (4,6 enfants par femme HYPERPRÉSENCE DU RELIGIEUX 4. D’inspiration soufie, la confrérie des Mourides a été contre 2,5 de moyenne mondiale) et de la jeunesse Actrice de la mondialisation dans le domaine fondée par le cheikh Ahmadou Bamba au tournant du (43 % des Africains ont moins de 15 ans). Si la culturel et artistique, soucieuse d’endiguer la XIXe siècle. population africaine croît de 2 à 3 % par an depuis fuite de ses cerveaux à l’étranger et de consolider CONTACTS vingt ans, « elle dispose encore de beaucoup d’espace, sa recherche scientifique, capable de peser dans Pierre Boilley notamment en Afrique équatoriale, où la densité de les relations internationales à travers les parte- [email protected] population est extraordinairement basse, fait obser- nariats qu’elle tisse avec des pays comme la Chine Hervé Le Bras ver Hervé Le Bras, du Laboratoire de démogra- ou l’Inde ou lors de grandes conférences inter- [email protected] phie historique (LDH-CRH) 3. Et comme les ren- nationales comme celles sur le climat, l’Afrique André Mary [email protected] dements à l’hectare des cultures sont faibles, leur actuelle est aussi un continent marqué par René Otayek amélioration pourrait permettre de nourrir les bou- l’hyperprésence du religieux sur son sol. Le pour- [email protected] ches supplémentaires. Il n’y a donc pas de raison de centage de catholiques et de protestants y est brandir le spectre d’une croissance démographique l’un des plus forts dans le monde, à tel point que effrénée synonyme de tous les dangers (famines, émi- le centre de gravité du christianisme se déplace Tunisie 32 % gration, terrorisme, conflits armés…) ». de son cœur historique européen vers le Sud. EFFECTIFS DE CHERCHEURS « Tous les Africains se revendiquent d’une religion, TRANSITIONS DÉMOGRAPHIQUES qu’il s’agisse du christianisme, de l’islam ou des reli- Maroc Qui plus est, plusieurs pays subsahariens, comme gions animistes africaines, dit André Mary, du Cen- 12 % le Kenya, enregistrent une baisse d’environ 30 % tre d’études interdisciplinaires des faits religieux de leur fécondité par rapport aux années 1990. Et (CEIFR). Et ceci vaut pour les chefs d’État. Le mou- Algérie Jamahiriya Sahara 24 % arabe ibyenne Égypte le Maghreb est en pleine transition démographi- ridisme 4 du président sénégalais Abdoulaye Wade ou Occidental 56 % 31 % que car la fécondité y est en baisse (2 enfants par le pentecôtisme du président nigérian Olusegun Oba- femme en Tunisie, 2,3 en Algérie, 2,4 au Maroc…). sandjo sont une affaire publique. Le président du Mauritanie 4 % En outre, l’âge des femmes à la naissance de leur Gabon Ali Bongo est imam et prêche à la télévision Mali premier enfant y a considérablement augmenté lors des grandes fêtes de l’islam. » Une efferves- 5,4 % Niger Érythrée Cap-Vert Sénégal 1% 2 % (plus de 29 ans, contre 19 ans au moment des cence religieuse qui se traduit dans toutes les 12 % 8 % Tchad 2 % Djibouti indépendances). Cependant, à l’échelle du conti- capitales africaines par un foisonnement de crè- Gambie Burkina Faso Soudan 2,6 % Guinée 3 % nent, les femmes africaines déclarent encore avoir ches, d’écoles confes- 1 % 9 % La religion tient une Guinée Bissau Nigeria plus d’enfants qu’elles n’en souhaitent. Il faut sionnelles et de centres Côte place importante 3 % Ghana 10 % République Éthiopie dire que la contraception y est 2,4 fois moins pra- de guérison qui font la d’Ivoire 6 % 3,6 % en Afrique. Ici, une Sierra 8 % centrafricaine tiquée qu’en Europe ou en Asie. C’est qu’« il ne prospérité de la mou- Leone Bénin Cameroun 2,3 % messe pentecôtiste 2 % Liberiaeri Somalie suffit pas de distribuer des préservatifs, comme on l’a vance évangélique (ou à Kagioini, au Kenya. 17 % Togo 6 % 8 % Guinée 5 % Équatoriale Congo Kenya Ouganda Sao Tomé- Gabon 4 % République 4 % 3,7 % et-Principe démocratique Rwanda 4 % du Congo 4 % 5 % Burundi DÉPENSES EN RECHERCHE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR de Tanzanie 2,5 % 1,5 % ET DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE Malawi Angola Maurice 16 % 3 % Comores < 5 000 étudiants Zambie 2 % 3 % Entre 5 000 et 10 000 Zimbabwe Mozambique 4 % 1 % Madagascar S Entre 10 000 et 50 000 Namibie 9 % Botswana 3,4 % 5 % Entre 50 000 et 100 000

Entre 100 000 et 500 000 Swaziland 4 % > 500 000 Afrique du Sud Lesotho Non renseigné 4 % 1 000 km 24 % Taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur Ch. Boisseaux/LA VIE-REA © Ch. Boisseaux/LA : C. Hein pour le journal du CNR © Infographie (Source : Unesco, données les plus récentes disponibles entre 2000 et 2009) Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 L’ENQUÊTE 21

PARTENARIATS La recherche FRUCTUEUX en plein essor AVEC LE CNRS

a recherche scientifique africaine part rieur qui pourraient bientôt changer la donne. de bien bas mais elle connaît actuelle- Le constat, d’abord. C’est un véritable fossé qui ment une incroyable effervescence. De sépare l’Afrique des pays développés en matière plus en plus de chercheurs africains de science et de technologie. Les pays africains font désormais jeu égal avec leurs homo- sont ceux sur la planète qui consacrent le moins logues européens ou américains. » Comme de d’argent pour financer la recherche et le déve- L Photothèque e/CNRS nombreux autres observateurs, Vincent Rivas- loppement : 0,5 % du produit intérieur brut y seau, chercheur au Laboratoire de physique (PIB) contre 2 % environ en Europe ou aux théorique 1 et président de l’Association pour la États-Unis. Pratiquement aucun brevet africain © C. Delha promotion scientifique de l’Afrique 2, se veut ne voit le jour. Quant aux publications scienti- Le CNRS a su tisser L’archéologie constitue une optimiste sur l’avenir de la science sur ce conti- fiques, la part de l’Afrique est anecdotique, 1 % des liens forts avec les organismes de forte thématique nent. Si la situation actuelle est peu enviable, environ. Pour les gouvernements africains, la de recherche de profondes transformations sont en cours science n’a clairement pas été, jusqu’à récem- recherche africains. commune entre le dans la recherche et dans l’enseignement supé- ment en tout cas, une priorité. Mais les pays > Pour des raisons CNRS et l’Égypte. historiques et aussi parce qu’ils comptent parmi les acteurs Tunisie 32 % EFFECTIFS DE CHERCHEURS majeurs de la science en Afrique, les pays du Maghreb (Maroc, Tunisie et Algérie) Nombre par sont ses partenaires principaux. Un seul Pays Nombre million Maroc total d’habitants chiffre : le CNRS compte avec ces trois 12 % pays plus de 500 publications conjointes, Bénin 1000 119 soit autant qu’avec la Chine. Et pas Algérie Jamahiriya Égypte seulement sur des thématiques Sahara 24 % arabe ibyenne Burkina Faso 187 13 Occidental 56 % 31 % traditionnelles pour ces pays comme Égypte 95947 1198 l’énergie, l’environnement et les ressources Mauritanie naturelles. Le CNRS mène ainsi des 4 % Mali Éthiopie 2377 30 recherches en collaboration avec le 5,4 % Niger Érythrée Maghreb (notamment via plusieurs Cap-Vert Sénégal 1% 2 % 12 % 8 % Tchad Madagascar 1852 100 laboratoires associés) en mathématiques, 2 % Djibouti Burkina Faso Soudan Gambie Guinée 2,6 % en physique, en chimie, en biotechnologie 1 % 3 % 891 29 9 % Ouganda ou encore en électronique. Guinée Bissau Nigeria Côte Autres partenaires de choix : l’Égypte, où le 3 % Ghana 10 % République Éthiopie République 41 10 d’Ivoire 6 % 3,6 % Sierra 8 % centrafricaine centrafricaine CNRS compte deux centres d’archéologie Leone 2,3 % Liberia Bénin Cameroun Somalie avec des chercheurs présents en 2 % 6 % 8 % Sénégal 8709 732 17 % Togo permanence, et surtout l’Afrique du Sud, 5 % Guinée Équatoriale Togo 834 132 autre poids lourd de la science africaine. Congo Kenya Ouganda Sao Tomé- Gabon République 4 % 3,7 % Parmi les thèmes communs abordés entre et-Principe 4 % (Source : Unesco, données 2007) démocratique Rwanda les scientifiques français et sud-africains : 4 % du Congo 4 % 5 % Burundi DÉPENSES EN RECHERCHE l’astronomie, la paléontologie, l’étude de la L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR de Tanzanie 2,5 % biodiversité et la recherche sur le génome 1,5 % ET DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE Malawi humain. Peu présent jusqu’à aujourd’hui en Angola Maurice Total Part du PIB Afrique noire, le CNRS commence peu à 16 % Pays 3 % Comores (en dollars) en % peu à s’y implanter. Étape majeure dans < 5 000 étudiants Zambie 2 % 3 % cette nouvelle collaboration : la création en Afrique du Sud 4120396 0,95 Entre 5 000 et 10 000 2009 de l’Unité mixte internationale Zimbabwe Mozambique 1 % 18391 0,11 « Environnement, santé, sociétés », avec le Entre 10 000 et 50 000 Namibie 4 % Madagascar Burkina Faso 9 % Botswana 3,4 % Mali, le Burkina Faso et le Sénégal, la toute 5 % Entre 50 000 et 100 000 Égypte 927917 0,23 première en Afrique. L’enjeu est de taille : il s’agira de mieux comprendre les Entre 100 000 et 500 000 Swaziland Éthiopie 106791 0,17 problèmes actuels (réchauffement 4 % > 500 000 climatique, crises alimentaires, épidémies) Madagascar 25862 0,14 Afrique du Sud Lesotho pour proposer à terme des politiques de Non renseigné 4 % développement durable plus performantes. 1 000 km Maroc 761726 0,64 24 % Taux de scolarisation JB dans l’enseignement supérieur Ouganda 119654 0,41 Contact : Régis Menu, [email protected]

(Source : Unesco, données les plus récentes (Source : Unesco, données les plus récentes disponibles entre 2000 et 2009) disponibles entre 2000 et 2009) Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 22 L’ENQUÊTE

La pollution de l’air, comme ici à > du Nord ont également leur part de respon- Ouagadougou, au sabilité dans cette fracture scientifique. D’abord Burkina Faso, constitue l’un des parce qu’ils ont attiré un très grand nombre de thèmes de recherche cerveaux africains, privant ainsi leur pays d’ori- du laboratoire gine d’autant de chercheurs, de formateurs, « Environnement, d’ingénieurs. Et surtout parce qu’en apportant santé, sociétés ». les financements, ils ont toujours décidé des orientations scientifiques. « Dans ces conditions, de nombreux pays africains ont du mal à créer les conditions d’une production scientifique autonome », juge Hélène Charton, du Centre d’études d’Afri- Des mesures de gaz que noire 3 à Bordeaux. et de particules Mais les choses changent. Désireuse de faire atmosphériques sont réalisées en entrer leur continent dans la modernité et plusieurs points de la demandeuse de formations de qualité, la jeune capitale burkinabè.

génération pousse ses dirigeants à agir. Ces naissent la nécessité de faire appel à la science derniers les ont entendus et commencent à et à la technologie pour accroître la productivité considérer la science comme un facteur de industrielle et résoudre les problèmes qui immo- développement essentiel pour leurs pays. Ainsi, bilisent aujourd’hui l’Afrique : le déficit éner- en 2005, l’Union africaine (UA), qui réunit la gétique, l’insécurité alimentaire, la dégradation quasi-totalité des pays du continent, a lancé un de l’environnement, les épidémies et le manque ambitieux plan d’action pour mettre sur pied d’eau. En 2007, les pays de l’UA se sont égale- un secteur scientifique ment engagés à investir au moins 1 % de leur Les données digne de ce nom. Avec PIB à la recherche et au développement d’ici à recueillies sur le terrain sont analysées ce plan, les gouverne- 2020 et à revitaliser les universités, trop souvent ments africains recon- engorgées et dotées de très peu de moyens. Photos : Kaksonen/CNRS Photothèque © Photos : Kaksonen/CNRS au laboratoire.

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Il est encore trop tôt pour savoir si toutes ces pro- notamment par la création de centres d’excel- Bénin, au Sénégal ou au Cameroun pour ne citer messes seront tenues mais force est de consta- lence scientifique reliés aux meilleurs établis- qu’eux, des équipes forment désormais des thésards ter que petit à petit, des réformes se mettent en sements d’enseignement supérieur du monde en mathématiques, en cryptographie, en mécanique place. « À côté des universités, on voit fleurir de entier. Une mesure recommandée par Tony quantique, en physique, et ils publient régulière- nombreux instituts et universités privés qui pro- Blair, alors premier ministre du Royaume-Uni, ment dans de grandes revues scientifiques. Les Afri- posent un large choix de filières, note Éloi Fic- dans le rapport de 2005 de la Commission pour cains ne souhaitent maintenant qu’une seule chose : quet, directeur du Centre français des études l’Afrique dont il est à l’origine, et par Barack être impliqués à leur juste valeur dans la recherche éthiopiennes à Addis-Abeba 4. La qualité n’est Obama, président des États-Unis, dans son dis- mondiale. » pas toujours au rendez-vous mais ces formations cours du Caire en 2009. De telles initiatives ont Julien Bourdet répondent à une demande de plus en plus forte et déjà lieu en Afrique. C’est le cas de l’Institut 1. Unité CNRS / Université Paris-XI. exigeante. » Quant aux universités publiques, africain pour les sciences mathématiques [Afri- 2. Fondée en 2008, l’association recueille des fonds elles aussi sont en plein renouveau. « Plusieurs can Institute for Mathematical Sciences (AIMS), pour développer le programme AIMS (Institut africain des sciences mathématiques) en Afrique francophone pays font des efforts pour augmenter le salaire des ndlr] lancé il y a sept ans, dans son pays, par le et soutenir les équipes scientifiques de qualité sur tout professeurs et décentraliser les universités, souvent cosmologiste sud-africain Neil Turok. Objectif le continent. implantées uniquement dans la capitale, poursuit affiché : former de petites promotions de 50 étu- 3. Unité CNRS / Université de Bordeaux / Sciences Po Bordeaux. le chercheur. C’est le cas de l’Éthiopie où 25 nou- diants à une science de haut niveau en faisant 4. Institut CNRS / Ministère des Affaires étrangères. velles universités régionales se sont créées en sept ans. venir les meilleurs professeurs de Cambridge ou 5. Unité mixte internationale CNRS / Université de Dakar (Sénégal), CNRST (Burkina Faso) / Université de Bamako On y trouve de jeunes équipes très motivées et en de Harvard. Pour qu’à leur tour les jeunes diplô- (Mali). Lire l’article « Grande première entre le CNRS phase avec les grands enjeux locaux (médecine, més puissent former d’autres Africains. Véri- et l’Afrique », Le Journal du CNRS, n° 231, p. 37. > gestion de l’eau, génie civil…). » table succès, le projet financé à la fois par des fonds occidentaux publics et privés (Google LES SCIENCES, FACTEUR MAJEUR notamment) a fait tache d’huile. « D’ici à dix ans, DE DÉVELOPPEMENT quinze autres centres verront le jour dans toute Rendue obligatoire par l’urbanisation galopante l’Afrique », se félicite Vincent Rivasseau, cores- que connaît actuellement l’Afrique, cette réor- ponsable du centre AIMS du Sénégal qui devrait ganisation du tissu universitaire répond d’abord ouvrir ses portes en 2011. aux besoins de développement de toute la société. Clairvoyants, les responsables africains ont Mais pas seulement. « Les autorités éthiopiennes compris que leur salut ne passait plus uni- ve souhaitent que cette urbanisation ne se fasse pas de quement par les pays du Nord. Sur le continent façon désordonnée et elles mettent sur pied des pro- lui-même, certains pays sont ainsi devenus grammes de recherche pour préserver le patrimoine des pôles de recherche et d’enseignement très historique du pays et aménager les paysages et les © Photos : E. Maula espaces publics en ville. Programmes dans lesquels L’Institut africain pour les sciences nous intervenons et nous formons de jeunes étu- mathématiques diants africains. » enseigne à de petites Autre preuve que les pays africains ont compris promotions. Il fait que leur avenir devait passer par la science, appel à un tutorat trois d’entre eux, le Sénégal, le Burkina Faso et intensif et encourage le travail collectif le Mali ont décidé d’unir leurs compétences au des étudiants. sein du laboratoire « Environnement, santé, sociétés » (ESS) créé avec le CNRS il y a un an 5. Toute première unité mixte internationale du CNRS en Afrique, elle tente d’analyser pré- cisément l’impact du développement accéléré des villes sur la santé, sur l’environnement ou encore sur la propagation de maladies comme le paludisme. Pour proposer ensuite des modè- les alternatifs de développement. « Plus qu’un simple programme réalisé en coopération, nous avons souhaité un véritable laboratoire implanté en Afrique et dans lequel les chercheurs africains ont attractifs pour les autres États africains. C’est autant leur mot à dire que les chercheurs français, le cas notamment de l’Afrique du Sud et des souligne Gilles Boetsch, directeur de ce labo- pays du Maghreb. Et des liens étroits appa- ratoire et président du conseil scientifique du raissent entre l’Afrique et les pays émergents CONTACTS CNRS. Et cette démarche paie : les pays africains, comme le Brésil et l’Inde. Gilles Boetsch, qui avaient peu l’habitude de collaborer jusqu’ici, L’Afrique s’apprêterait-elle à faire sa révolution [email protected] travaillent désormais ensemble sur des sujets qui les scientifique ? Pour Vincent Rivasseau, c’est évi- Hélène Charton touchent de près. » dent : « Il y a une véritable mine de talents sur ce [email protected] Si elle veut rattraper un jour le train de la recher- continent. Nous n’en avons pas encore conscience en Éloi Ficquet, [email protected] che mondiale, l’Afrique doit également enrayer Europe mais désormais, des chercheurs africains Vincent Rivasseau la fuite de ses cerveaux à l’étranger. Cela passe mènent des travaux de niveau international. Au [email protected]

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 24 L’ENQUÊTE

En début d’année, a eu lieu le 9e forum sur l’éducation pour tous au siège de l’Union africaine, à Addis- Abeba, en Éthiopie.

Le continent africain fait bloc pour défendre ses intérêts dans le secteur du coton. ri/REA Torfinn/PANOS-REA S.© © F. Per © F. > Lacs est normalisée dans la mesure L’Afrique en quête d’unité où l’on se dirige vers des élections au Burundi et au Rwanda, et que le conflit entre rebelles et armée openhague, décembre 2009, lors directeur de recherche à l’Institut des relations gouvernementale dans l’est de la République démo- de la conférence sur le climat. À la internationales et stratégiques (Iris). cratique du Congo, pour extraordinairement pro- tribune, le Premier ministre éthio- Reste que le rêve panafricain (l’idée de faire dis- blématique qu’il reste, semble en voie de règlement. pien Meles Zenawi s’exprime au paraître les frontières tracées par les ex-puis- Même si on peut ne pas partager cet optimisme. » nom du continent africain. Une sances coloniales pour construire une Afrique Philippe Testard-Vaillant Cillustration de la capacité qu’a l’Afrique, parfois, constituant une seule nation), porté au milieu du 1. Le Centre de commandement militaire des États-Unis à parler d’une seule et même voix sur la scène siècle dernier par le Ghanéen Kwame Nkru- pour l’Afrique (Africom), dont le siège temporaire est mondiale. De même, depuis quelques années, mah, a du plomb dans l’aile. Le concept ne sus- installé à Stuttgart, en Allemagne, a été créé en 2006. 2. Unité CNRS / Sciences Po Paris. à l’occasion des négociations de l’Organisation cite aujourd’hui qu’un intérêt de façade et nul ou mondiale du commerce (OMC), le continent presque n’envisage sérieusement sa concréti- CONTACTS fait bloc pour défendre ses intérêts dans cer- sation à court terme. L’avènement de l’Union afri- Richard Banégas tains dossiers, comme celui du coton. Par ailleurs, caine (UA), qui a succédé en 2002 à l’Organi- [email protected] les préoccupations sécuritaires des grandes puis- sation de l’unité africaine (OUA) et regroupe la Philippe Hugon sances occidentales en butte au terrorisme post- quasi totalité des États du continent était censé [email protected] 11 septembre 1, leur recherche d’appuis dans relever le flambeau du panafricanisme et Roland Marchal les organisations internationales et la compéti- conduire sur la scène mondiale une Afrique [email protected] tion pour l’accès aux ressources minérales et soudée. Or, commente Richard Banégas, du aux hydrocarbures dont regorge le sous-sol afri- Cémaf, « malgré les efforts accomplis par cet orga- cain ont redoré le blason géopolitique du conti- nisme pour se doter d’institutions robustes (com- nent. Lequel pèse de facto d’un plus grand poids mission, parlement, cour de justice…), unifier les dans le jeu diplomatique international, même si tarifs douaniers et mettre en place des mécanismes LE VRAI PRIX DE LA CRISE FINANCIÈRE encore aujourd’hui, aucun pays africain ne dis- de concertation régionale, les rivalités internes et La bourrasque financière qui a éclaté aux États-Unis pose d’un siège permanent au Conseil de sécu- les intérêts nationaux l’emportent et l’empêchent pendant l’été 2007 et dégénéré en tornade mondiale rité de l’Organisation des Nations unies. d’exercer efficacement son rôle ». un an plus tard a-t-elle lourdement frappé l’Afrique? La situation n’a donc plus rien à voir avec ce Une unité d’autant plus difficile à réaliser que Oui et non. « Les pays subsahariens possèdent en qu’elle était après la chute du mur de Berlin en le spectre des conflits armés continue de hanter général des systèmes financiers peu sophistiqués, 1989 et l’implosion de l’Empire soviétique, deux le Tchad, la Somalie, l’Érythrée, l’Éthiopie, le ainsi qu’un nombre limité de banques et de Bourses. évènements quasi concomitants à la fin de l’apar- Soudan… La région la plus conflictuelle demeu- Ces pays ont donc été moins exposés que les pays theid sud-africain. « Le continent a alors cessé de rant la Corne de l’Afrique. « Le nombre de conflits développés aux ravages des produits financiers dits constituer un terrain d’affrontement indirect entre les est toutefois en légère diminution puisque les guer- toxiques (comme les subprimes) », assure Nicole camps occidental et communiste. L’arrêt de la Guerre res civiles du Liberia et de Sierra Leone, engagées au Alice Sindzingre, du laboratoire ÉconomiX 1. En froide s’est traduite par un désengagement américain début des années 1990, ont débouché sur des solu- revanche, la chute de la demande mondiale pour les et soviétique en Afrique et une perte d’intérêt géo- tions politiques, relève Roland Marchal, du Cen- produits exportés par les pays subsahariens ou la stratégique pour la région pendant toute la décennie tre d’études et de recherches internationales chute de leur prix ont retenti sur des économies déjà 1990 », rappelle Philippe Hugon, professeur (Céri) 2. D’autre part, les grandes puissances consi- fragilisées par leur faible compétitivité. En 2008, le émérite à Paris-Ouest-Nanterre-La Défense et dèrent que la situation dans la région des Grands

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 L’ENQUÊTE 25 Ressources naturelles, EUROPE la manne africaine AMÉRIQUE DU NORD 218,1 185,5 ne croissance économique de 3 à 4 % par an depuis les années 33,6 1990 : le chiffre a de quoi rendre envieux bien des pays. Il concerne 121,6 pourtant… l’Afrique subsaharienne, Algérie Jamahiriya Uet vient d’être proposé en mars dernier par SaharaSahara arabearabe libyennelibyenne Égypte ASIE OccidentalOccidental Alwyn Young, un chercheur de la London School Economics, qui a ainsi triplé l’estimation habi- Sénégal 113,9 tuelle. La raison de cette réévaluation, jugée MauritanieMaurit MaliMal 121,3 nécessaire par de nombreux experts du monde NigerNig entier ? De grandes marges d’erreurs existent Gambie Tchad ÉryÉrythréethrée en ce qui concerne les données utilisées pour cal- Soudan Djibouti BurkinaBur culer le produit intérieur brut car celles-ci sont particulièrement dures à collecter dans la région. RépRépublubl iquiquee Éthiopie L’économiste s’est donc basé sur d’autres indi- Sierra Leone LiberiaLiberieriaa centrafricainetrafricaine cateurs tels que le taux d’équipement des ména- Somaliealie ges en produits synonymes d’accès au confort Guinée OugOuganda moderne (réfrigérateur, téléviseur, voiture, télé- 18,5 Ghana Équatoriale Congo République Kenya démocratiqueque phone…) ou les conditions de logement (toit en du ConCongo Rwanda 16,8 Bénin dur, nombre de pièces par personne, électricité, Burundi AMÉRIQUES eau potable…) Une nouvelle approche qui apporte DU SUD un peu d’espoir concernant la situation écono- Malawi ET CENTRALE mique de cette région. Car d’autres faits sont AngolaAngola moins flatteurs : si l’Afrique du Nord s’en tire LES RESSOURCES ZambieZam mieux (notamment grâce à la proximité de l’Eu- MINÉRALES EN AFRIQUE rope et aux échanges avec elle, et aux délocali- (Sources : US Geological survey, World Nuclear Association, OMC) Namibie ZimbabweZim sations d’entreprise), l’Afrique subsaharienne

S figure toujours parmi les régions plus pauvres Pétrole Uranium BotswanaBot MadMadagascarscar de la planète, et ne représente que 1,84 % des Gaz Or exportations mondiales… et même 1,34 % si l’on Diamants Swaziland ne tient pas compte de l’Afrique du Sud. D’au- Autres minerais (cuivre, zinc, fer, tre part, elle ne capte que 2 à 3 % des investis- manganèse, cobalt…) sements directs étrangers. Une chose est sûre : Échanges de matières premières la réussite future de l’Afrique réside en bonne par- et autres produits avec le reste du tie dans la gestion de sa formidable richesse monde en milliards de dollars (2008) 1 000 km naturelle. Car le continent a de la ressource ! Son sous-sol recèle – entre autres – 88 % des Infographie : C. Hein pour le journal du CNR © Infographie >

E FINANCIÈRE

prix du pétrole a baissé de 77 % en à peine six mois, provisoire » des flux de capitaux étrangers vers et celui du cuivre de 55 %. « Ces chocs ont été l’Afrique. Celui-ci a eu cependant temporaires, puisque le prix du pétrole est remonté des effets négatifs sur l’emploi dans les secteurs dans le courant de l’année 2009 grâce à la demande travaillant pour l’exportation (mines, agro-industrie, des pays émergents (le Brésil, l’Inde et surtout la textile). Pour Nicole Alice Sindzingre, la crise Chine où la reprise économique a déjà commencé). actuelle est « une crise de plus qui vient s’ajouter à la Il n’en reste pas moins qu’une telle volatilité des prix longue série de chocs extérieurs (notamment les des produits primaires constitue un lourd handicap fluctuations des prix des produits primaires) qui n’ont pour des pays pétroliers comme le Congo, le Tchad, le cessé de bouleverser l’économie de l’Afrique Nigeria, l’Angola… où les taxes perçues sur les subsaharienne au cours du XXe siècle ». matières premières peuvent représenter jusqu’à 80 % PTV © V. VIick/REDUX-REA V. © des recettes fiscales », commente Nicole Alice 1. Unité CNRS / Université Paris-X. La baisse du prix du pétrole due à la crise Sindzingre. La crise, en outre, s’est traduite par un Contact : Nicole Alice Sindzingre, [email protected] économique mondiale a encore plus fragilisé « fléchissement modéré et vraisemblablement les pays africains exportateurs.

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Au Congo, les chutes d’Inga sont les plus > réserves mondiales de diamants, 73 % des grosses chutes d’eau réserves de platine, 42 % des réserves de bauxite, du monde en volume 40 % des réserves d’or, 38 % des réserves d’ura- et représentent un formidable potentiel nium, 10 % des réserves de pétrole, 8 % des hydroélectrique. réserves de gaz naturel. Sans oublier un fabuleux capital forestier. Problème : les pays occidentaux et les princi- paux États émergents (Chine, Inde, Brésil) se ruent sur ces matières premières pour diversi- fier leurs approvisionnements énergétiques. La Grâce à des raison ? « Ces ressources y sont, d’une certaine conditions façon, plus faciles d’accès qu’ailleurs, décrypte climatiques idéales, Géraud Magrin, du Pôle de recherche pour l’or- le Kenya a développé ganisation et la diffusion de l’information géo- la culture des fleurs coupées pour le 1 graphique (Prodig) . Quand vous voulez exploi- marché international. ter du pétrole ou de l’uranium en Afrique, vous © I. Sanogo/AFP avez affaire, en général, à des États dotés de capa- cités de négociation réduites, alors que des pays comme le Venezuela ou la Russie se montrent beau- coup plus exigeants et imposent leurs conditions. » Et d’expliquer que la valeur croissante de l’or noir aiguise la compétition entre les multina- tionales présentes de longue date sur la scène afri- caine (les États-Uniens Exxon Mobil et Chevron Texaco, les Européens Shell, British Petroleum, Total et Agip) et deux nouvelles catégories d’ac- teurs : des compagnies privées originaires du Nord (Canada, États-Unis, Australie…) et moins grandes que les majors, et des entreprises issues des pays émergents. « Ces nouveaux venus cher- chent à occuper des segments de marché où les majors sont moins présentes : exploration, gise- ments en fin de vie ou présentant un risque géopo- litique, poursuit le même expert. Mais ils se mon- trent apparemment moins sensibles que les majors aux pressions de l’opinion publique occidentale dès qu’il est question des dégradations environnemen- tales, de la spoliation des populations riveraines des champs de pétrole et des atteintes aux droits de l’homme, ce qui constitue un problème. Ils n’ont pas d’image de marque mondiale à défendre, ni de réseau de distribution qui pourrait être pénalisé par une campagne de boycott internationale. »

UN FORMIDABLE POTENTIEL Paradoxalement, même les pays africains expor- tateurs de pétrole souffrent parfois de pénurie énergétique. Le Nigeria, premier producteur de pétrole africain et sixième mondial, dispose de

quatre raffineries susceptibles de satisfaire sa © M. Nascimento/REA propre demande et celle des pays voisins. Or, le premières brutes, « encore faut-il disposer d’une étrangers à ne s’intéresser qu’à l’exploitation des res- mauvais entretien de ces installations l’oblige à population d’hommes et de femmes dont le niveau sources naturelles, et non à leur transformation importer régulièrement du carburant. Les chu- de qualification professionnelle et la productivité parce qu’ils ne trouvent pas sur place le savoir-faire tes d’Inga, au Congo, considérées comme le sont élevés, poursuit Patrick Plane, du Centre technique ad hoc ». Et voilà pourquoi l’on coupe meilleur potentiel hydroélectrique du monde, d’études et de recherches sur le développement les arbres en Afrique et l’on fabrique les meubles illustrent elles aussi les formidables potentialités international (Cérdi) 2. Mais en l’état de son sys- en Chine ! naturelles de l’Afrique, et la marge de progrès dont tème d’éducation, de recherche et de santé, « l’Afri- Autre entrave au décollage économique du conti- disposent les pays dans leur exploitation : en que subsaharienne est loin de posséder un “capital nent : la rente. De quoi s’agit-il ? Des super- effet, ces chutes ne sont valorisées à l’heure humain” suffisant pour s’imposer dans la compéti- profits liés à des produits dont le prix de vente actuelle qu’à 2 % de leurs possibilités. tion économique mondiale ». Facteur aggravant, « la est très supérieur au coût de production. Pour- Pour valoriser et transformer des matières faiblesse même de ce capital conduit les investisseurs tant, après les indépendances, les revenus

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faramineux tirés de la vente de produits pétro- la dette de 1982 3 a marqué la fin de ces expé- larges pour peser sur la scène internationale. liers, miniers et agricoles sur le marché mondial riences et le début des Programmes d’ajuste- Mais, compte tenu de ses handicaps, « les seules n’avaient rien d’un problème. Ils ont alors été uti- ment structurels (PAS) imposés par le Fonds règles du libéralisme ne peuvent s’appliquer à l’Afri- lisés par de nombreux États africains pour « déve- monétaire international et la Banque mondiale, que », plaide Patrick Plane. Le retard accumulé lopper leur marché intérieur en s’industrialisant et en contrepartie de leur « aide » financière. La par le continent est tel que celui-ci ne pourra s’in- en limitant leurs importations. Et ces revenus ont réduction de la dépense publique, la privatisation, sérer pleinement dans l’économie mondiale que été distribués par les gouvernants à des réseaux la déréglementation, la libéralisation, les déva- si « la communauté internationale lui concède (fonctionnaires, responsables de sociétés publi- luations… inclus dans les PAS, poursuit le même unilatéralement des avantages commerciaux com- ques…) afin d’assurer la stabilité sociale et politi- expert, « ont provoqué la captation de la rente par patibles avec une régionalisation efficace. L’objec- que dans des pays composés de mosaïques ethniques, des firmes multinationales du Nord. Le volume de tif est ambitieux, plus facile à évoquer qu’à mettre dit Bernard Conte, du Centre d’études d’Afri- la rente restant sur le sol national a été drastique- en application. Mais ce protectionnisme tempo- que noire (Céan). Malgré une dérive progressive, ment réduit et a aiguisé les appétits des élites afri- raire permettrait à l’Afrique de forger ses armes ces modèles ont été porteurs de croissance dans les caines qui n’ont plus recyclé cet argent dans des avant d’aborder le marché mondial ». Tous les années 1960-1970, à tel point que l’on a pu parler projets industriels, des programmes d’éducation et espoirs restent donc permis. de “miracle”, comme en Côte d’Ivoire ». La crise de de santé… Le gâteau se réduisant, son partage a Philippe Testard-Vaillant engendré des conflits parfois sanglants (au Liberia, 1. Unité CNRS / Universités Paris-I, -IV et -VII / EPHE / IRD. en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire…) que des États 2. Unité CNRS / Université d’Auvergne. affaiblis par les PAS n’ont pas pu empêcher ». 3. Après une période de crédit facile et bon marché, les pays africains ont eu à subir l’augmentation importante des taux Attention, toujours, de ne pas parler de l’Afri- d’intérêt décidée en 1979 par la réserve fédérale des États- que comme d’un ensemble, en oubliant que les Unis. Celle-ci a coïncidé avec la chute des cours des économies qui la composent sont diverses. « À produits bruts au début des années 1980. côté d’une majorité de pays dits à bas revenu (c’est- à-dire où le revenu par tête est inférieur à 975 $ / an), CONTACTS on trouve des pays à revenu intermédiaire comme Bernard Conte, [email protected] l’Angola ou le Cameroun (de 976 $ à 3855 $), et Géraud Magrin, [email protected] même des pays situés à la frange supérieure de cette Patrick Plane, [email protected] catégorie comme le Gabon ou le Botswana (de 3856 $ Nicole Alice Sindzingre à 11905 $) », explicite Nicole Alice Sindzingre, du [email protected] laboratoire ÉconomiX. Par ailleurs, quand l’aide internationale demeure très forte dans certains pays, cette manne est marginale en Afrique du Sud ou au Nigeria. Hétérogénéité encore sachant POUR EN que certains États dépendent de l’exportation de SAVOIR PLUS produits primaires agricoles (cacao, café, coton…) ou « extractifs » (ressources pétrolières ou miniè- À LIRE res), quand d’autres ont atteint un certain niveau > Politique en Afrique : état des débats et d’industrialisation, à l’instar du Kenya qui s’est pistes de recherche, M. Gazibo et C. Thiriot doté d’une agro-industrie relativement prospère (dir.), éd. Karthala, 2009. (fleurs coupées, légumes de contre-saison). Au > L’Afrique, Hélène d'Almeida-Topor, total toutefois, « l’Afrique subsaharienne exporte éd. Le cavalier bleu, 2009. essentiellement des matières premières non trans- > Le développement face à la pauvreté, sous la formées, commente Nicole Alice Sindzingre. Et son direction de Patrick Plane, Bernard Decaluwé économie est caractérisée par sa faible industriali- et Fouzi Mourji, éd. Économica, 2006. sation : les produits manufacturés ne représentent que EN LIGNE 30 % de ses exportations, contre 77 % pour la région > Le site de l’Association pour la promotion Asie-Pacifique ». scientifique de l’Afrique, lancée par Vincent Rivasseau : www.scienceafrique.fr DES PISTES POUR L’AVENIR Pour accélérer le développement du continent, les À VOIR solutions ne manquent pas (sur le papier). La > La grande muraille verte (2010, 21 min), de priorité, pour de nombreux observateurs ? Nicolas Temple, CNRS Images (voir p.42). Construire des unions supranationales sur des http://videotheque.cnrs.fr/index.php?urlaction bases régionales, comme cela existe déjà en Afri- =doc&id_doc=2188 que australe où l’Afrique du Sud joue le rôle de > La calebasse et le pluviomètre, (2007, pays locomotive. La constitution de vastes ensem- 60 min) de Marcel Dalaise, produit par CNRS bles comparables à l’Union européenne per- Images, IRD, Météo France et Ifremer. http://videotheque.cnrs.fr/index.php?urlaction mettrait aux États-mem- =doc&id_doc=1817 Au Congo, une

a/IRD bres de dépasser leurs plantation faiblesses respectives et de Contact : Véronique Goret (Ventes), CNRS d’eucalyptus en Images – vidéothèque. Tél. : 01 45 07 59 69 – faire émerger, à terme, des savane permet la [email protected] marchés suffisamment © H. de Forest production de bois.

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2

GLACIOLOGIE À l’assaut des cascades éphémères Jusqu’alors, on ne savait rien des cascades de glace, terrain de jeu de nombreux grimpeurs. C’est désormais chose faite grâce à des chercheurs grenoblois qui viennent de publier la première étude sur le sujet. Pour comprendre comment elles se forment, comment elles évoluent et pourquoi elles se brisent parfois, ils ont dû organiser des expéditions très sportives. Et oublier leur vertige.

1 F. Damilano © F.

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Dessus

3 4 5 © Photos : M. Dalmasso

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haque hiver entre 2006 et 2009, ils se sont volontairement suspendus à 150 m au-des- sus du vide, accrochés avec crampons et pio- Clets à de vertigineuses cascades de glace. Pas pour la gloire ou l’exploit sportif, mais pour la science. Les aventuriers de la recherche : Maurine Montagnat Bas et Jerôme Weiss, du Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l’environnement (LGGE) 1 de Grenoble, et leurs étudiants. Ils ont escaladé les cas- cades de glace appelées Nuit-Blanche et Shiva-Lingam, près du glacier d’Argentière dans le massif du Mont- Blanc, ainsi que celle de Revenaud, en Italie. Trois cas- cades libres – dites free standing– ancrées à la roche re uniquement au sommet et à la base. Leur objectif : 1 cm étudier la formation et l’évolution de ces structures éphémères, puisqu’il s’agit de chutes d’eau gelées. Cette campagne de recherche, proposée et financée Cinquin-Lapier © B. par la fondation d’entreprise Petzl, a été motivée 1 Ce ne sont pas des sportifs par des questions posées par les pratiquants sur les qui évoluent sur ces cascades différents types de glace, leur résistance, leur compor- de glace suspendues à 150 m tement en fonction de la météo. Il faut dire qu’en au-dessus du vide, mais France, le nombre d’adeptes, occasionnels ou régu- les scientifiques du Laboratoire liers, de ce sport extrême est estimé à 10 000. Et de glaciologie et géophysique chaque année, une douzaine d’accidents graves sur- de l’environnement (LGGE) viennent. « Mais le but n’était pas de faire de la re- © L. Moreau à Grenoble. cherche appliquée, qui aurait par exemple débouché sur plongeant était très impressionnant!, raconte Maurine la mise en place d’une échelle de risques, précise Montagnat. Heureusement, la présence de nos précieux 234Le guide de haute Maurine Montagnat. Il s’agissait au contraire d’une guides, François Damilano et Didier Lavigne, nous montagne François Damilano recherche purement fondamentale. » réconfortait. Experts de l’escalade sur glace, ils ont une (au premier plan) et Pierre- « Aucune étude n’avait encore été menée sur le sujet, nous excellente connaissance empirique des cascades. Notre tra- Alexandre Labory, étudiant étions en quelque sorte pionniers, poursuit la cher- vail a permis de vérifier par des méthodes scientifiques au laboratoire, effectuent un cheuse. Il a donc fallu innover pour élaborer un protocole ce qu’ils avaient déjà en partie compris par l’expérience. » prélèvement à l’aide d’un carottier de recherche et concevoir des outils spécifiques. » Chaque L’équipe a par exemple découvert que les cascades portatif conçu et fabriqué au LGGE. hiver, l’équipe effectuait deux sorties par mois. Au de glace se forment assez rapidement. Au départ, des programme : faire des prélèvements de stalactites et petites stalactites s’agrègent entre elles. À leur contact, 5 Échantillon d’une stalactite carotter la glace avec un carottier portatif afin d’ana- l’eau liquide gèle progressivement, de sorte que la cas- vu au microscope à la lumière lyser sa structure et la répartition des cristaux; frap- cade s’épaissit. Au bout d’un moment, elle atteint polarisée. Une telle analyse per la surface glacée avec un « impacteur » pour tes- pourtant un seuil. De l’eau liquide continue de cir- permet d’étudier la répartition ter sa résistance, y insérer un capteur de contraintes culer, mais elle se retrouve emprisonnée par la glace. des cristaux de glace. mécaniques. Enfin, installer des appareils photo en Ainsi isolée du froid, elle ne gèle pas et la cascade équilibre pour capturer une image de la cascade cesse de croître. Elle peut néanmoins continuer de 6 La cascade appelée toutes les quatre heures et comprendre comment elle grossir par épisodes, par exemple si un grimpeur Nuit-Blanche dans le massif évolue au cours du temps. Le tout… en supension au- libère de petits filets d’eau en plantant son piolet. du Mont-Blanc se compose dessus du vide ! « C’est notamment grâce aux images systématiques de deux pans parallèles (à droite). « Nous étions solidement assurés à la roche, mais il capturées par les appareils photo 2 que nous avons recons- C’est celui de gauche que valait mieux ne pas avoir peur du vide, car le paysage titué cette évolution. Mais nous avons aussi assisté à > l’équipe a étudié.

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7 © L. Moreau

7 Les prises de vue > des évènements en direct. Un jour de janvier 2008, nouvelles recherches pour les années 2011 à 2014. automatiques ont permis de un gros bloc de glace s’est cassé sur une cascade voisine Maurine Montagnat et son équipe pourraient alors reconstituer l’évolution temporelle de la nôtre! » La cause de ce phénomène, bête noire venir accrocher crampons et piolets aux cascades de de la cascade Shiva-Lingam dans des grimpeurs? Les chutes brutales de température, glace de l’Est américain. Tout aussi vertigineuses que les Alpes. On la voit clairement selon la scientifique. En effet, celles-ci provoquent les françaises, elles sont beaucoup plus froides : la se constituer et s’épaissir la contraction de la glace. Or, comme elles sont température descend jusqu’à –30 °C. Pas de quoi entre (de gauche à droite) le accrochées à la roche par le haut et le bas, les cas- impressionner nos scientifiques de l’extrême. 24 novembre 2008, le 10 janvier cades free standing ne peuvent pas se contracter. Ulysse Fudour 2009 et le 9 mars 2009. Sur le Du coup elles sont soumises à des contraintes 1. Unité CNRS / Université de Grenoble-I. dernier cliché, on la voit en train mécaniques qui peuvent engendrer une propaga- 2. Installés par Luc Moreau, glaciologue indépendant rattaché au laboratoire Edytem à Chambéry. de se briser. tion très rapide d’une fissure naturellement for- mée ou créée par un coup de piolet. « Les grim- 89En observant une section peurs expérimentés ont une bonne intuition de ce CONTACT horizontale d’une stalactite phénomène, rapporte Maurine Montagnat. Beaucoup Maurine Montagnat en lumière blanche (en bas) évitent toute sortie après un coup de froid soudain. » LGGE, Grenoble [email protected] et en lumière polarisée (en haut), Tous ces résultats paraîtront bientôt dans la revue les chercheurs parviennent Journal of Glaciology. Mais à visualiser les bulles d’air ce n’est qu’un début : la 9 emprisonnées dans la glace ainsi fondation Petzl parle que la répartition des cristaux. déjà de financer de

10 En plus de prélever des 8 stalactites, les chercheurs analysent la résistance de la glace. Ici par exemple, ils mesurent, à l’aide de l’appareil au premier plan, la force nécessaire pour rompre la structure. agnat Dalmasso 10 © M. © Photos : M. Mont RENCONTREAVEC 31

Michel Gras Directeur de l’École française de Rome

Pensée romaine

rès pris par ses fonctions de directeur de la très prestigieuse École française de Rome (EFR) 1, Michel Gras profite d’un Tpassage éclair dans la capitale parisienne pour organiser une rapide rencontre. « Voilà l’oc- casion rêvée pour faire le bilan de quarante ans de carrière », note ce souriant sexagénaire à l’allure décontractée. Directeur de recherche de classe exceptionnelle au CNRS, unique membre étran- DR ger du conseil scientifique général du CNR (l’équi- Mon objectif valent italien du CNRS), l’homme est plutôt du genre coureur de fond. À la fois historien et était clair : archéologue, il a su alterner entre recherche, “ Le palais Farnèse aller à Paris pour enseignement et administration. Un équilibre abrite l’École française de Rome.

parfait à l’origine de son poste de directeur de partir à Rome. en Italie © Z. Colantoni/Ambassade de France l’EFR : installé au second étage du palais Far- nèse, au-dessus de l’ambassade de France, cet ins- pas de concours mais un simple choix du direc- étrusque, grecque d’Italie du sud et de Sicile, ou titut de recherche français compte 18 membres teur en accord avec l’une ”des trois grandes éco- phénicienne. Parti à Rome pour trois ans, il y res- sélectionnés parmi des doctorants ou postdoc- les parisiennes, l’École normale supérieure, tera douze ans. torants en histoire, en archéologie et en sciences l’École nationale des Chartes, et enfin l’École De retour à Paris en 1985, il poursuit son mara- sociales, et plus de 120 boursiers accueillis un ou pratique des hautes études pour laquelle il optera. thon. Il réintègre le CNRS comme directeur de deux mois. L’aboutissement d’un parcours scien- « Pour avoir toutes ses chances, observe le cher- recherche, enseigne l’archéologie à l’université tifique brillant et atypique qui prend racine dans cheur, il valait mieux être parisien. Mon objectif était Paris-I, devient ensuite directeur adjoint du dépar- le sud de la France. clair : aller à Paris pour partir à Rome. » Cette tement Sciences humaines et sociales. Loin d’être Né à Montpellier, Michel Gras y fait ses études période marque aussi le début d’une longue car- à bout de souffle, il sera encore vice-président jusqu’à l’agrégation d’histoire en 1968. Très atta- rière au CNRS. Recruté une première fois à la du Conseil national de la recherche archéologique ché à sa ville natale, il ne s’imagine pas quitter Fondation Thiers, puis une seconde fois en tant et membre du conseil ministériel de la recherche « le pays ». Pourtant, avec les premiers résultats qu’attaché de recherche contractuel. au ministère de la Culture jusqu’en 2003. Avant de fouilles organisées en Languedoc, sa curiosité En 1973, il entre enfin à l’École française de de repartir, donc, dans l’un des plus beaux palazzi est piquée au vif. Comment des céramiques Rome. « Pour devenir membre, je me suis présenté romains pour prendre la direction de l’EFR. Sa der- étrusques ont-elles pu arriver là, et surtout pour- trois fois. Mon profil n’intéressait pas le directeur de nière mission. Après laquelle il aimerait se plon- quoi ? « Jusqu’à l’université, reconnaît le scienti- l’EFR, confie-t-il amusé. Ce n’est qu’au moment ger dans l’historiographie 2 des XIXe et XXe siècles, fique, seule la démarche historique m’intéressait. de mon intégration que j’ai pu lui exposer mon pro- la littérature française et italienne. Quand j’ai découvert que l’archéologie était indis- jet. » Travailler non pas uniquement sur les Géraldine Véron pensable pour comprendre l’histoire des sociétés du Étrusques mais sur la Méditerranée. Il réalise 1. Il s’agit d’un établissement public, scientifique, culturel et passé et éventuellement éclairer celles du présent, alors sa thèse de doctorat d’État sur les trafics à professionnel (EPSCP) pour la recherche et la formation à la mon approche a changé. Je me suis fait archéologue l’époque archaïque (entre le VIIe et le Ve siècle av. recherche, sous tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. pour pouvoir déchiffrer mes sources. » J.-C.) et ceux de la mer Tyrrhénienne en parti- 2. Celle-ci a pour objet la manière dont l’histoire d’une Ses interrogations et sa passion pour Rome et la culier. Une orientation qui est le départ d’un époque est écrite. Méditerranée le poussent à mettre tout en œuvre long périple rythmé par trois thèmes de re- pour partir travailler en Italie, longtemps consi- cherche : les échanges économiques maritimes, dérée comme la référence internationale en la naissance de l’urbanisme grec en Occident et CONTACT matière d’archéologie classique. Dans les les rituels funéraires. En sillonnant l’Italie conti- Michel Gras années 1970, afin d’être sur le terrain, le pas- nentale, la Sardaigne et la Sicile, Michel Gras École française de Rome sage par l’EFR était obligatoire. Il n’y avait alors pénètre au cœur de l’histoire des civilisations [email protected]

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ALLIANCES Ensemble pour une recherche gagnante En un an, quatre alliances pour la recherche ont vu le jour en France dans les domaines des sciences de la vie et de la santé, de l’énergie, de l’informatique Alliance nationaleAviesan pour les sciences et de l’environnement. de la vie et de la santé Quels en sont les buts et 9 Membres fondateurs : (Institut national de la santéCNRS et, deInserm la recherche médicale), fonctionnements? Quelle place CEA atomique), (Commissariat à l’énergie Inra le CNRS y occupe-t-il? recherche agronomique),(Institut national de la de recherche en informatiqueInria et(Institut en national Le point sur ces nouvelles entités automatique), le développement),IRD (Institut de recherche pour qui s’inscrivent dans la stratégie Présidents d’université),CPU (Conférence des Conférence des directeursInstitut généraux Pasteur de CHU. nationale de recherche et Date de création : , Président actuel : 8 avril 2009 d’innovation, aux côtés président directeurAndré général Syrota de l’Inserm., des universités autonomes > www.aviesan.fr et de l’Agence nationale de la recherche.

tructurer et coordonner la recherche publique, travailler ensemble pour tra- vailler mieux. Voilà en substance la vocation des quatre alliances nationa- les pour la recherche récemment Scréées. Ses acteurs ? Les grands organismes publics indépendants, en pointe dans leurs Ancre domaines, opérateurs de recherche et d’ensei- Alliance nationale de coordination de la recherche gnement supérieur, au sein desquels le CNRS se pour l’énergie positionne comme un partenaire de premier plan. En avril 2009, c’est d’abord Aviesan, 3 Membres fondateurs : CEA, CNRS, IFP (Institut français du pétrole). Alliance nationale pour les sciences de la vie et Date de création : 17 juillet 2009 de la santé, qui inaugure ces créations. En juil- Président actuel : Olivier Appert, let, elle est suivie par Ancre, Alliance nationale président de l’IFP. > www.allianceenergie.fr/ de coordination de la recherche pour l’énergie, puis en décembre est créée Allistene, Alliance des sciences et technologies du numérique. Enfin, en février dernier, Allenvi, Alliance nationale de recherche pour l’environnement « Alimenta- tion, eau, climat, territoires », voit le jour dans un contexte particulièrement soucieux de ces ques- directeur de l’Institut des sciences biologiques vailler à deux, à trois plus rarement, mais jamais tions, alors que débute l’année internationale de (INSB) du CNRS et vice-président d’Aviesan. plus. Il y a maintenant une vraie volonté de mise en la biodiversité que le CNRS porte avec force. Et c’est ensemble qu’ils pourront maintenant pro- réseau de l’ensemble des acteurs », souligne Fran- Désormais, la France dispose donc d’une alliance poser des priorités au gouvernement et aux çoise Gaill, directrice de l’Institut écologie et thématique dans chacun des axes prioritaires agences de financement, et notamment l’Agence environnement (Inee) du CNRS, et représen- de recherche identifiés par la stratégie natio- nationale de la recherche (ANR), afin de les tante d’Allenvi. « Cette alliance était vraiment nale de recherche et d’innovation. Tandis qu’une aider dans leur programmation au moyen de nécessaire étant donné le foisonnement d’acteurs et cinquième, dans le domaine des sciences humai- feuilles de route. Rappelons que l’ANR, créée il compte tenu de l’urgence de la situation face aux nes et sociales, semble se profiler sérieusement yacinq ans, forte d’un budget de 860 millions enjeux de la planète », commente-t-elle. À voir dans un proche avenir. Pour l’heure, chaque d’euros en 2009 1, est actuellement l’un des l’exemple d’Aviesan, la plus ancienne des quatre alliance comporte des membres fondateurs, plus gros financeurs de la recherche et qu’elle alliances, la démarche augure une belle réussite. entre trois et douze selon les cas (Voir l’illustra- fonctionne en lançant des appels à projets. « Un vrai climat de confiance s’est instauré entre les tion ci-contre), et un certain nombre de membres Bien entendu, les différents acteurs collaboraient partenaires, commente Patrick Netter, cela nous per- associés. Au final, « chaque organisme conserve son déjà avant ces alliances. Alors qu’est-ce que cela met de mieux prévoir les programmes à lancer dans autonomie et son identité », insiste Patrick Netter, change ? « Auparavant on pouvait souvent tra- les sciences du vivant. »

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un ou plusieurs membres fondateurs ou par un organisme associé dans le cas d’Ancre. Ni opé- rateur de recherche ni agence de moyens, ils sont de simples instances d’animation et de coor- dination nationale destinées à établir des pro- grammes. Ces groupes de travail, formés d’une vingtaine d’experts, sont pour l’heure plus ou moins avancés selon les alliances et leur ancien- neté. Quant à la place du CNRS dans tout ceci, elle est capitale. « Partenaire naturel du milieu académique, notamment grâce à ses nombreuses unités mixtes de recherche, le CNRS occupe une place de choix dans le domaine de l’énergie », sou- ligne ainsi le représentant CNRS d’Ancre, Patrick Allistene Le Quéré, délégué scientifique de l’Institut des Alliance des sciences et sciences de l’ingénierie et des systèmes (Insis). technologies du numérique Même constat pour Allistene, puisque le CNRS 6 Membres fondateurs : CNRS, est le partenaire privilégié des universités qui CEA, Inria, CDEFI (Conférence des directeurs des écoles françaises concentrent justement l’essentiel de l’informa- d’ingénieurs), CPU, Institut tique française. Pionnier dans les sciences de Télécoms. l’écologie, le CNRS pèse aussi très lourd dans Date de création : 17 décembre 2009 Allenvi puisque cinq de ses instituts (ceux de Président actuel : Michel Cosnard, chimie, des sciences de l’Univers, des sciences président directeur général de l’Inria. humaines et sociales, l’INSB et bien sûr l’Inee) y sont impliqués. Enfin, acteur incontournable en sciences de la vie, l’importance du CNRS dans Aviesan ne fait évidemment aucun doute. Alliance nationale de recherche pour l’environnement,Allenvi « Alimentation, Surtout, dans chacune des alliances, le CNRS apporte son interdisciplinarité, éternel atout maî- eau, climat, territoires » 12 Membres fondateurs : tre de l’organisme, seul acteur à disposer d’un (Bureau de recherches géologiques et spectre couvrant toutes les sciences. « Or, l’in- minières), terdisciplinarité est la question clé pour l’avenir, recherche en sciences et technologiesCNRS pour CEA , l’environnement),, Cemagref BRGM commente Patrick Netter. Par exemple, il devient coopération internationale en(Institut recherche de crucial de faire travailler ensemble informaticiens et agronomique pour Ciradle développement), S Ifremer (Centre de généticiens pour traiter les millions de données qui pour l’exploitation(Institut français de la mer), de recherche deviennent accessibles. » Même évolution du côté (Laboratoire central des ponts et chaussées), des domaines de l’énergie et de l’environnement Météo France CPU , d’histoire naturelle) Inra qui mêlent de plus en plus chimie, écologie, Date de création, :MNHN , IRD (Muséum national, LCPC sciences de l’Univers, sciences humaines et socia- Président actuel : . général du Cemagref.8 février 2010 les, etc. Ces alliances s’imposaient pour structurer Roger Genet, directeur la recherche publique française. Elles ont main- tenant du pain sur la planche. À elles de souli- gner les bons choix à faire pour que la France maintienne son niveau d’excellence. Illustration : Andy Smith pour le journal du CNR © Illustration : Charline Zeitoun 1. Lire l’article « Une vraie dynamique s’est créée », L’UNION FAIT LA FORCE commente Philippe Baptiste, directeur de l’Ins- Le journal du CNRS n° 243 avril 2010, pp. 32-33. Le principe est donc le même pour les quatre titut des sciences informatiques et de leurs inter- alliances : le but est de connaître les points forts actions (INS2I) et représentant d’Allistene. Enfin, en France, d’identifier les acteurs les plus perti- l’enjeu réside aussi dans la représentation de la nents selon les thèmes, afin de prendre les bon- France hors de nos frontières. « Vis-à-vis de l’Eu- CONTACTS nes décisions pour l’avenir dans le cadre d’une pro- rope, et même au niveau international, l’alliance Patrick Netter Directeur de l’INSB, vice-président d’Aviesan grammation nationale concertée. Il fallait pour cela nous donne plus de poids. Chacune permet en effet [email protected] décloisonner les relations entre les acteurs et à la France de parler d’une seule voix, dans chacun Patrick Le Quéré coordonner ses membres, tant au niveau de l’ana- des quatre domaines, de ce que nous identifierons Délégué de l’Insis, représentant d’Ancre lyse stratégique et de la programmation scienti- comme les grands enjeux et les grands programmes [email protected] fique qu’au niveau de la mise en œuvre opéra- de demain », confirme Philippe Baptiste. Philippe Baptiste Directeur de l’INS2I, représentant d’Allistene tionnelle. « L’alliance nous permet de mettre en Comment vont-elles fonctionner ? Chaque [email protected] valeur notre expertise scientifique. Expertise que nous alliance s’organise en groupes thématiques – ou Françoise Gaill tirons directement de notre expérience sur le terrain, en Itmo (Instituts thématiques multi-organis- Directrice de l’Inee, représentante d’Allenvi dans les laboratoires, avec les différentes équipes », mes) dans le cas d’Aviesan – chacun piloté par [email protected]

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PALÉONTOLOGIE Un siècle aux sources de l’humanité Des fouilles sur le terrain à la diffusion des savoirs, l’Institut de paléontologie humaine se consacre depuis 100 ans à la vie des premiers humains. Retour sur ses succès, mis à l’honneur au cours des prochains mois.

u 1, rue René-Panhard, à Paris, les préparatifs vont bon train. Dans l’im- posante bâtisse qui l’accueille depuis sa création, l’Institut de paléontolo- gie humaine s’apprête à fêter son Acentenaire. Une célébration qui verra se succé- der des conférences pour le grand public, une exposition itinérante, le lancement d’un timbre commémoratif francomonégasque, un specta- cle. Et, cerise sur le gâteau ! Un colloque inter- national où, du 2 au 6 juin, 78 chercheurs de tous domaines – géologues, paléontologues, paléo- botanistes…– et de tous horizons – 24 pays – ten- teront de mieux cerner les us et coutumes de nos lointains ancêtres. Car l’Institut de paléontologie humaine est entiè- rement dévoué à cette science de la préhistoire qui tente de décrypter la vie des premiers humains. Qui étaient-ils ? Comment vivaient-ils au quotidien ? Quelles ont été les conséquences des grandes avancées technologiques que sont la taille des outils ou l’invention du feu ? Autant 1981. C’est après une visite des peintures pariétales médical d’une quinzaine de spécimens fossiles d’énigmes que les membres de l’IPH ont à cœur paléolithiques des grottes de Cantabrie, en juil- d’Europe et d’Asie. de résoudre depuis sa naissance, en 1910. let 1909, et sur les conseils de l’abbé Breuil et de En quête des plus anciennes traces laissées par Fêter le centenaire du plus ancien centre de Marcellin Boule, professeur de paléontologie au nos ancêtres, c’est toutefois sur le terrain que recherche au monde entièrement dédié à l’étude Muséum d’histoire naturelle, qu’il a décidé de finan- l’IPH joue à plein son rôle de coordinateur autant de l’homme fossile, c’est d’abord évoquer son cer l’Institut avec la volonté de ne le rattacher à que d’organe de financement des recherches de fondateur, le prince Albert Ier de Monaco. « Savant aucun autre établissement. » pointe. Les sites sont généralement choisis pour et érudit, il portait un grand intérêt aux origines de Tout sauf poussiéreux, l’établissement de leurs longues successions de couches géolo- l’homme tant d’un point de vue scientifique que phi- 1 200 m2 et récemment rénové possède une giques : de quoi remonter loin dans le temps losophique, explique le professeur Henry de collection riche d’une dizaine de milliers d’os- (Pleistocène inférieur et moyen) via un panel de Lumley, directeur de l’IPH depuis Photos : Fondation IPH © Photos : Fondation sements et d’objets préhistoriques qu’il met à méthodes, magnétostratigraphie, géochrono- disposition des chercheurs du monde entier. logie, palynologie (étude des pollens et spores), Il accueille également une structure de etc. Où ? En France bien sûr (grottes de Tautavel recherche associée au CNRS – l’unité et du Lazaret au pied du Mont-Bégo), mais aussi « Histoire naturelle de l’homme pré- en Afrique (Éthiopie et Mauritanie) et en Asie historique » 1 – ainsi qu’une plateforme (Inde, Chine, Corée-du-Sud). « Dans toutes nos technique en continuelle évolution. missions en cours, l’axe de recherche dominant est Sans oublier la scanothèque, déjà forte la connaissance des premiers habitants et de leur des images obtenues par scanner vie quotidienne sur les différents continents », sou- ligne Henry de Lumley. Avec des résultats plus Fragment de mandibule que satisfaisants. Par exemple, l’exploration de la d’Australopithecus région de Fejej dans le sud de l’Éthiopie a permis anamensis, un hominidé en 2002 la découverte de restes d’hominidés bipède daté de 4millions d’années, mis au jour en archaïques de type Australopithecus anamensis. Éthiopie. Comme l’explique Henry de Lumley : « En s’ap-

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AÉRONAUTIQUE Des avancées de haute volée

ontribuer à la relance de la recherche taille des chambres de combustion afin de Peinture de Louis Mayer, évoquant la aéronautique et spatiale en France. Tel respecter certaines normes de sécurité. Consé- décision prise par Cétait l’objectif d’Astra 1,un ambitieux pro- quence : une augmentation de la consom- le prince Albert 1er gramme créé en 2005 par l’Onera et le CNRS mation. Au sein d’Astra, les trois laboratoires de Monaco de et qui vient juste de s’achever, avec un bilan très du CNRS 3 et les équipes de l’Onera placées créer l’Institut de satisfaisant. sous la coordination de Frédéric Grisch ont mis paléontologie humaine. Deux grandes thématiques ont ainsi été abor- au point des méthodes optiques et des modè- dées dans le cadre d’Astra. Impliquant trois les pour caractériser l’évolution de la taille, de laboratoires du CNRS 2 et plusieurs départe- la température et de la composition, d’une ments de l’Onera, la première d’entre elles goutte au cours de l’évaporation. Puis ont déve- portait sur le bruit des réacteurs. Afin de loppé, dans un second temps, des techniques réduire cette nuisance qui concerne aussi bien pour étudier le brouillard entier. Les scienti- l’aviation civile que militaire, les constructeurs fiques ont ainsi pour la première fois réussi à sont aujourd’hui demandeurs de matériaux produire une base de données décrivant avec légers, bon marché, disposant de bonnes pro- une haute précision l’ensemble du phéno- priétés mécaniques, et capables d’absorber le mène sur un cas d’école. Un fichier qui servira son sur certaines fréquences. Cela, même s’ils aux spécialistes de référence pour tester leurs sont portés à des températures de l’ordre de modèles de combustion des moteurs. 500 à 800 °C. Les scientifiques du CNRS et de Vahé Ter Minassian l’Onera ont ainsi eu l’idée de faire appel à des 1. Action spécifique transdisciplinaire aérospatiale. mousses métalliques. Celles-ci sont consti- 2. Le Laboratoire de thermodynamique et physico-chimie tuées de petites sphères creuses d’un milli- métallurgiques et le laboratoire « Matériaux et génie physique » à Grenoble, et le Groupe d’études de mètre de diamètre, faites d’acier inoxydable ou métallurgie physique et de physique des matériaux à d’un alliage à base de nickel. Après avoir conçu Villeurbanne. L’Institut, situé rue ces matériaux architecturés à l’aide de simu- 3. Laboratoire d’énergétique et de mécanique théorique et appliquée (Unité CNRS / INPL / Université Henri- René-Panhard à lations informatiques puis les avoir testés, les Poincaré), Complexe de recherche en aérothermique Paris, s’apprête à chercheurs en sont aujourd’hui à développer (Unité CNRS / Insa / Université de Rouen), Institut de fêter ses cent ans mécanique des fluides de Toulouse (Unité CNRS / INPT au service de la des techniques de production industrielle. / Université-Paul Sabatier). recherche sur les L’autre grand sujet portait sur l’efficacité de la origines humaines. combustion dans les moteurs. Celle-ci dépend directement de la manière dont les goutte- lettes de kérosène sont injectées puis s’éva- CONTACTS porent dans le foyer des réacteurs. Or, le com- Yves Brechet portement de ce brouillard de carburant est [email protected] aujourd’hui mal connu dans son détail, ce qui Fabrice Lemoine oblige les fabricants à surdimensionner la [email protected]

puyant sur les faunes associées à ces restes humains, on peut leur attribuer un âge compris entre 4,2 et 5 millions d’années. Il s’agit là des tout premiers hommes, se comportant probablement en charo- gnards. » Des succès qui laissent supposer que la vénérable institution a encore de beaux jours devant elle. Patricia Chairopoulos Étude, réalisée 1. Unité CNRS / MNHN dans le cadre du programme Astra, sur l’évaporation CONTACT d’une goutte de carburant dans la Henry de Lumley chambre à Institut de paléontologie humaine, Paris combustion d'un

[email protected] aérospatiale A. Gonin/ONERA/Centre français de recherche

moteur d'avion. ©

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CÉLÉBRATION La Russie à l’honneur

’est parti : 2010 est l’Année indépendants » au sein de la direc- paux centres universitaires de Sibé- de la Russie en France et de la tion des relations internationales rie occidentale, Tomsk, Novossibirsk CFrance en Russie. Lancée le du CNRS. et Krasnoïarsk. En France, un col- 25 janvier, l’année franco-russe est L’organisme, fort de ses collabora- loque associant les villes d’Evian et célébrée sur les deux territoires par tions fructueuses dans tous les tables rondes et de la projection d’Irkoutsk aura lieu en mai dans la une vaste programmation de mani- domaines avec la Russie, participe d’un film sur les collaborations cité sur le thème : « Quelle stratégie festations culturelles où l’éduca- activement à ces manifestations. scientifiques franco-russes copro- pour les changements climatiques? » tion, la science et la recherche tien- Ainsi, en mars, des représentants duit par l’Académie des sciences La recherche spatiale, autre thème nent une place de choix. Des du CNRS et de l’Académie des russe et le CNRS. Pour Vladimir de coopération franco-russe, fera organismes de recherche et des uni- sciences française ont participé à Mayer, responsable du bureau du l’objet d’une conférence internatio- versités sont à l’œuvre dans les deux une séance solennelle du Praesi- CNRS à Moscou : « Ces séances nale en octobre à Moscou. Comptant pays, multipliant conférences, dium de l’Académie des sciences devraient pouvoir faire le point sur les une soixantaine de participants côté forums, festivals et expositions, russe. Cette dernière sera elle-même collaborations entre la France et la français, et ouverte aux médias, elle pour un total de 37 manifestations accueillie, le 28 septembre, à une Russie, et les rendre plus visibles à sera consacrée à la diffusion des programmées. « Des changements séance de l’Académie des sciences tous. » résultats dans ce domaine au plus climatiques au patrimoine de la française. À cette occasion, le CNRS Par exemple, les relations entre cli- large public. Iakoutie, de l’énergie à la santé en organisera un colloque de deux mat et environnement sont l’un des Enfin, cet automne à Toulouse, une passant par l’étude des mégalopoles, jours, les 29 et 30 septembre, qui domaines de forte collaboration exposition archéologique, organi- c’est un très large panel de domaines réunira des chercheurs français et entre les deux pays, et en particulier sée par la Mission archéologique et de spécialités qui sera abordé et qui russes impliqués dans des actions entre le CNRS et la Sibérie. Un cycle française en Sibérie orientale témoignera de la forte communauté structurées avec le CNRS (Unités de conférences sur ce thème, centré (Mafso) et l’université de Iakoutsk, d’intérêt et de la volonté de coopération mixtes internationales, groupe- sur l’action de l’humain et son et intitulée « Regards croisés sur le des deux pays », explique Martine ments de recherche internationaux, impact économique et social dans la patrimoine de la Iakoutie », présen- Bonin, responsable de la zone laboratoires internationaux asso- région et dans le reste du monde, tera la culture traditionnelle du peu- « Russie et nouveaux territoires ciés) autour de conférences, de sera organisé dans les trois princi- ple Iakoute au grand public. Marion Papanian et Adeline Marquis

CONTACTS Martine Bonin [email protected] Vladimir Mayer [email protected]

EN BREF Maladies infectieuses : Double signature entre recherche commune à Lille le CNRS et l’UPMC Le CNRS, les universités de Lille-I et -II, l’Inserm et l’Institut Pasteur de Lille viennent de créer un nouveau centre commun Un contrat de partenariat pour 4 ans que les licences d’exploitation des de recherche dédié aux maladies infectieuses. et une convention de délégation technologies communes seront signées Le Centre d’infection et immunité de Lille (CIIL) réunit près de gestion concernant 11 unités mixtes par un seul des deux partenaires. de 200 chercheurs, ingénieurs et techniciens au sein de recherche (UMR) ont été signés Si cette délégation s’avère concluante, de douze équipes. Onze d’entre elles travaillent sur le 22 mars dernier par le CNRS et elle pourra être étendue à d’autres des thématiques spécifiques aux grands fléaux infectieux l’université Pierre-et-Marie-Curie laboratoires. Pour Alain Fuchs, que sont la tuberculose, le paludisme, la bilharziose ou (UPMC), à Paris. Le contrat quadriennal président du CNRS, cette double encore l’hépatiteC, à l’exception du sida. La douzième –le porte sur la création de nouvelles unités signature est très symbolique : « Si l’on Laboratoire d’études transcriptomiques et génomiques de recherche mixtes et le soutien, arrive à faire de même avec les autres appliquées– a pour mission de développer une plateforme parfois l’évolution, des unités universités, nous aurons vraiment technologique au service des autres équipes. L’ambition de existantes. La convention, quant à elle, écrit ensemble une nouvelle page son directeur, Camille Locht, également directeur scientifique prévoit de déléguer la gestion de de la collaboration entre organismes et de l’Institut Pasteur de Lille, est de faire du CIIL un « aimant » 11 UMR à l’un ou l’autre des partenaires universités pour progresser ensemble pour les équipes nationales et internationales. Pari presque (7 à l’UPMC et 4 au CNRS). Ainsi, la dans la compétition mondiale. » réussi : des équipes étrangères ont d’ores et déjà fait part de majorité des contrats de recherche, dont > En savoir plus : leur volonté de rejoindre le nouveau centre. le seuil de négociation est relevé, ainsi www2.cnrs.fr/presse/communique/1836.htm

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LABORATOIRE EUROPÉEN ASSOCIÉ Le cerveau sous toutes les coutures Mieux comprendre le fonctionnement et les défaillances de notre organe pensant : tel est l’objectif du Laboratoire franco-israélien de neurosciences créé en 2009.

omment le cerveau traite-t-il les sons? pied un colloque dédié aux neurosciences qui se et l’université d’Haïfa sur les altérations de la Prend-il des décisions ? Apprend-il et déroule en alternance dans l’un des deux pays. mémoire liées au stress posttraumatique. D’au- mémorise-t-il ? Ou encore comment La dernière édition a regroupé 84 intervenants tres coopérations entre scientifiques de l’Hexagone Cpilote-t-il les mouvements de notre et près de 120 participants à Haïfa en février et chercheurs du « Weizmann » sont également corps ? À l’inverse, quels sont les mécanismes dernier ; la prochaine est prévue en France pour sur les rangs pour intégrer le LEA FILN. Porté par mis en jeu dans ses dysfonctionnements obser- 2012. Face au succès rencontré, une associa- l’enthousiasme et la compétence de ses équipes, vés chez les parkinsoniens ? Les patients atteints tion 5 a également été créée en janvier 2008 le Laboratoire franco-israélien de neurosciences de sclérose latérale amyotrophique? Ou souffrant pour promouvoir les coopérations et les échan- a des projets plein la tête ! de troubles auditifs… ? Autant de questions sur ges de chercheurs entre les deux pays dans le Jean-Philippe Braly lesquelles travaillent main dans la main des domaine des neurosciences, de la neurologie 1. Laboratoire CNRS / Université Paris-Descartes. spécialistes du CNRS et de l’Université hébraï- et de la psychiatrie. 2. Laboratoire CNRS / École normale supérieure, Paris / que de Jérusalem au sein du Laboratoire franco- Initialement centrés sur les neurosciences com- Université Paris-Descartes. 3. Laboratoire CNRS / Université de Bordeaux. israélien de neurosciences (LEA FILN). putationnelles, la neurophysiologie sensorimotrice, 4. Domaine de recherche multidisciplinaire étudiant la Officiellement créé le 18 mars 2009, ce labora- l’apprentissage et la mémoire, les domaines de manière dont le cerveau traite les informations. toire européen sans murs regroupe trente cher- recherche du FILSNN se sont progressivement 5. La « France-Israel Neuroscience Neurology and Psychiatry Society » (FINNePS) dont la secrétaire cheurs, titulaires et postdoctorants, en pointe sur élargis jusqu’à la création du LEA FILN. « Nos générale est Aline Desmedt, chercheuse au Centre de ces sujets. Seize d’entre eux évoluent dans trois collaborations ont déjà produit des résultats de pre- neurosciences intégratives et cognitives (Unité CNRS / 6 Univ. Bordeaux). unités de recherche françaises associées au mier plan sur le rôle des ganglions de la base dans 6. Structures cérébrales en réseau impliquées dans des CNRS : « Neurophysique et physiologie » 1, la maladie de Parkinson, sur les propriétés des moto- fonctions motrices et cognitives. « Psychologie de la perception » 2 et « Mouvement adaptation cog- nition » 3 ; les quatorze autres sont issus de cinq équipes de l’Université hébraïque de Jéru- salem. « Pour mener à bien nos travaux, nous misons sur la pluri- disciplinarité, indispensable pour étudier la complexité du fonction- nement du cerveau, des neurones jusqu’aux réseaux qu’ils consti- tuent », assure Thomas Boraud, membre du conseil scientifique du FILN et chercheur au labora- toire « Mouvement adaptation cognition ». Électrophysiologie, neurophysiologie sensorimotrice, psychophysique, biologie molé- culaire, neurophysique, neuro- sciences computationnelles 4, neuroinformatique… : la liste des disciplines mises en œuvre pour percer les mystères du cerveau

est impressionnante ! ASIEKA/SPL/COSMOS

Le FILN succède sous un label P © européen au Laboratoire franco-israélien de neurones (des neurones de la moelle épinière CONTACTS neurophysiologie et neurophysique (FILSNN) connectés aux muscles, ndlr) dans la sclérose laté- Thomas Boraud créé en novembre 2004. « Il s’agissait alors du pre- rale amyotrophique, sur le traitement cérébral des sons, Mouvement adaptation cognition, Bordeaux mier laboratoire associé franco-israélien, fruit de sur les mécanismes impliqués dans la prise de déci- [email protected] collaborations engagées dans le domaine des neuro- sion ou bien encore sur la mémoire de travail qui est David Hansel sciences depuis les années 1990, précise David impliquée dans le traitement et le maintien des infor- Laboratoire de neurophysique et physiologie, Paris Hansel, codirecteur du LEA FILN et chercheur mations à court terme », se félicite David Hansel. [email protected] au Laboratoire de neurophysique et physiolo- Mais le laboratoire ne compte pas s’arrêter là ! Francesca Grassia gie. Depuis, la dynamique s’est fortement ampli- Des négociations sont en cours avec des équipes Direction des affaires européennes du CNRS fiée ! » Dès sa création, le FILSNN a mis sur françaises collaborant avec l’Institut Weizmann [email protected]

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 38 GUIDE Livres 3 questions à…

de produits de substitution, notam- Jean-Marie Bourre ment de jus végétaux, nuit à la santé (car pauvres en nutriments). La société française de pédiatrie a, d’ail- Le lait, vrais et faux dangers leurs, émis récemment un avis par- Dr Jean-Marie Bourre, éd. Odile Jacob, avril 2010, 368 p. – 23,90 € ticulièrement vigoureux et rigoureux lérance n’est certainement pas aussi contre ces substitutions qui se sont terrorisante qu’on ne le dit car moins déjà avérées dangereuses pour la de 5 % de la population peut ressen- Membre de l’Académie nationale de médecine, Jean-Marie Bourre est santé de nombreux enfants, le dan- tir un inconfort intestinal (ballonne- médecin et membre de l’unité de recherche Neuropsychopharmacologie des ger persistant jusqu’à l’âge adulte, ments), exactement comme après la addictions (Unité CNRS / Inserm / Universités Paris-V et -VII). comme l’a souligné l’Académie de consommation d’artichauts ou de médecine. Puis, vient le danger de pain complet. la surconsommation comme pour Depuis La diététique du cerveau en gélules, comprimés qui ne peuvent n’importe quel aliment. Rappelez- Quelles sont vos recommandations? 1989, vous n’avez cessé de défendre remplacer le lait quant à son contenu vous Paracelse : « C’est la dose qui Les détracteurs du lait affirment que le plaisir de se nourrir. Aujourd’hui, en protéines de qualité, en vitamines fait le poison. » C’est cette surcon- les pays qui en consomment le moins vous défendez un accusé de taille : diverses et en minéraux et oligo- sommation qui peut être source de ne souffrent presque pas d’ostéopo- notre mythique lait qui serait une éléments. Par malheur, ces messa- pathologies. Alors que les produits rose. Or la Chine a constaté que, « vraie vacherie » pour la santé. Vrai ges sont relayés par les médias alors laitiers consommés selon les recom- d’une part, l’espérance de vie trop ou faux? que les recommandations officielles mandations non seulement ne génè- faible ne permet pas à la maladie de Je tire ici un véritable signal de l’Afssa (Agence française de rent pas de pathologies mais, au se développer et que, surtout, l’ab- d’alarme : les produits laitiers sont sécurité sanitaire des aliments) res- contraire, dans le cadre d’une ali- sence de structures médicales de l’objet d’attaques virulentes dont l’ar- tent modérées : trois produits laitiers mentation diversifiée, les évitent : diagnostic et de soin empêche de gumentation est souvent fausse, par jour, par exemple, un verre de lait moindre risque d’obésité, de diabète, comptabiliser le nombre véritable de sinon contrevérité! Des produits lai- le matin, un huitième de camembert d’hypertension, de cancer colorectal malades. Elle met en place aujour- tiers consommés selon les recom- et un yaourt nature le soir. et peut-être, même, aussi, de can- d’hui de gigantesques programmes mandations font partie de l’obliga- cer du sein. Si les produits laitiers ne de complémentation en lait, notam- toire diversité alimentaire car ils Mais quels sont les vrais et les faux font pas maigrir, ils évitent, dans une ment dans les écoles comme ce fut apportent d’une manière préféren- dangers, alors? certaine mesure, de grossir. Par ail- le cas chez nous après la guerre. Ce tielle un certain nombre de nutriments Les vrais dangers se situent dans les leurs, une confusion est entretenue que je recommande? Garder impé- dont le calcium. Les critiques des pro- situations alimentaires extrêmes : entre l’allergie (aux protéines de lait rativement les produits laitiers (lait, duits laitiers font partie de ces mar- l’exclusion et la sur-consommation. de vache qui touche 4 % de la popu- yaourts, fromages) selon les propor- chands de terreur prétendant que Les dangers de l’exclusion se situent lation) et l’intolérance au lactose : tions de l’Afssa et dans la diversité notre alimentation est polluée, voire à deux niveaux : d’abord l’absence de ce sucre n’est pas digéré dans l’in- alimentaire. Recommandation som- très déséquilibrée – ce qui leur per- consommation de produits laitiers testin grêle; en fait, il est simplement me toute raisonnable… et même met d’assurer la promotion de pro- nous prive dramatiquement de leurs fermenté dans le gros intestin exac- agréable. duits de remplacement, capsules, nutriments d’autant que l’utilisation tement comme une fibre. Cette into- Propos recueillis par A.L.

Les terroristes disent toujours Alzheimer et autonomie ce qu’ils vont faire Nicolas Kopp, Jean-Philippe Pierron, Marie-Pierre Réthy, Catherine Thomas-Antérion, éd. Les Alain Bauer, François-Bernard Huyghe, éd. Puf, février 2010, Belles-Lettres, coll. « Médecine et sciences 368 p. – 29 € humaines », mars 2010, 384 p. – 25 € Si les terroristes « disent toujours ce qu’ils vont faire », c’est que des idées passent et repassent dans leurs têtes jusqu’à ce qu’ils les écrivent. Cette Cette réflexion pluridisciplinaire explique de façon anthologie – sources, confessions, justifications, doctrines, communiqués – simple l’écart entre l’image de la maladie d’Alzheimer, éclaire les mécanismes de ce passage de l’écrit à l’acte terroriste, ses sa conception scientifique et la réalité vécue, et invite constantes et ses répétitions, en se penchant notamment sur les différen- le lecteur à ne pas confondre entrée dans la dépen- tes vagues terroristes qui ont secoué l’Europe entre les années 1970 et 1990. dance et perte d’autonomie. Les auteurs défendent ici le principe d’un « respect de l’autonomie, capable LITTÉRATURE ET GUERRE. SARTRE, MALRAUX, SIMON de motiver soignants et aidants pour plus d’écoute, Philippe Sabot, éd. Puf, coll. « Lignes d’art », février 2010, 288 p. – 27 € de confiance, de nuances, d’échanges, de sollici- Ou la guerre observée par un philosophe au prisme de l’œuvre littéraire. tude, de présence ».

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Recherche bonheur désespérément La Russie contemporaine René Frydman et Muriel Flis-Trèves (dir), éd. Puf, janvier 2010, Gilles Favarel-Garrigues, Kathy Rousselet, éd. 160 p. – 28 € Fayard / Céri, coll. « Grandes études internationales », avril 2010, 560 p. – 30 € Actes du colloque Gypsy 2009, ce petit livre propose des variations sur le thème du bonheur, auquel Freud a répondu qu’« au final, le travail analyti- Une avalanche de bouleversements a entraîné en que ne pouvait aspirer qu’à transformer une misère hystérique en un mal- Russie une mutation des hiérarchies sociales, un heur banal ». Mais s’il y a quelque temps, il désarroi identitaire et une redéfinition de la place de était quand même possible de transcender cet ex-empire. Une trentaine de chercheurs coordonnés par deux spécia- temps et espace en aspirant au bonheur, listes (l’un de la criminalité en Russie soviétique et contemporaine, l’autre aujourd’hui, écartelés entre rêve de bonheur des transformations sociales et religieuses en Russie postsoviétique) pro- (distillé par tout média) et brutalité de l’exis- pose, dans la collection « Grandes études internationales », un panorama ana- tence (indubitable), nous sommes devant un lytique de la société russe actuelle. impératif collectif, obligés au bonheur, une obligation qui, si elle n’est pas remplie, engendre une blessure béante. Est analysée ici cette idée obstinée du bonheur : serait-elle tributaire d’un sentiment de culpabilité La révolution néolithique inconsciente? dans le monde Jean-Paul Demoule (dir), coéd. Inrap / CNRS Éditions / Universcience, mars 2010, 352 p. – 30 € Les éphémères tracés fluo des archéologues sur La transplantation d’organe la plaine betteravière de Marquion (Pas-de- Un commerce nouveau entre Calais) ne disent pas seulement « ici vécurent les premiers fermiers de cette région », ils identi- les êtres humains fient, grâce à l’archéologie aérienne et préventive, les traces de « la première étape de l’anthropisation systématique des écosystèmes par l’humain ». Le Philippe Steiner, Gallimard, Néolithique comme l’« un des plus vastes mouvements démographiques, éco- coll. « Bibliothèque des nomiques, technologiques et culturels de l’Humanité » et le changement sciences humaines », climatique à venir comme une répétition. Un état de la connaissance sur la mars 2010, 352 p. – 24,90 € révolution néolithique dans le monde durant laquelle « l’homme, premier mani- Sociologue de l’économie, l’au- pulateur, transforma l’aurochs en vache laitière et le frêle théosinte en teur propose ici un nouveau vigoureux maïs ». regard sur le commerce social autour de la transplantation d’or- ganes. Partant du constat que, dans une société prompte à créer des marchés, le com- Matière sensible merce marchand de ces orga- Mousses, gels, cristaux liquides et autres miracles nes est banni (à l’exception de Michel Mitov, éd. Seuil, coll. « Sciences l’Iran), il étudie la production et humaines », février 2010, 192 p. – 18 € la distribution de cette ressource rare. Trois points émergent : le Entre le matériau d’hier et la matière intelli- rôle fondamental de la famille gente promise par les nanosciences, nom- dans la phase de prélèvement ; bre de matières d’usage courant – peintures, celui, essentiel, de l’organisa- mousses, cristaux liquides, champagnes et tion dans l’exhortation à donner ; et enfin les risques de développe- mayonnaises – doivent leurs propriétés à la ment d’une nouvelle forme de domination politique que provoquerait présence d’impuretés en quantités infimes. l’installation de la traite d’organes à transplanter. Après le déplacement Comme la matière vivante, sensible à la moin- de la frontière entre la vie et la mort (encéphalique), après le double dre sollicitation, cette matière molle change franchissement de la frontière de la peau (intégrité du corps du don- de comportement sur commande et laisse neur) et de la frontière politique, cet ouvrage remarquable montre à entrevoir des applications inédites : écrans quel point la transplantation d’organes remet en cause notre concep- géants à cristaux liquides, vitrages à opacité tion de l’humain et combien notre « être ensemble » serait altéré avec variable, médicaments précisément ciblés. Un jeune chercheur passionné la création des « bio-marchés ». se livre ici à une réévaluation radicale de la notion de matière – pour le plaisir de son lecteur.

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Le luxe Expériences de la douleur les cahiers européens Entre destruction et renaissance de l’imaginaire n° 2 David Le Breton, éd. Métailié, coll. «Traversées », février 2010, 272 p. – 22 € Michel Maffesoli (dir), CNRS Éditions, février 2010, 280 p. – 30 € « Les figures de la douleur sont innombrables et mon souhait est de les confronter pour essayer de mieux comprendre pourquoi, si certaines expé- Deuxième numéro de cette publication riences douloureuses détruisent la personne, d’autres, à l’inverse, la annuelle, l’ensemble d’articles proposés ici construisent. » Laissant de côté les différen- scrute la dimension onirique, imaginaire et sensible de la vie quotidienne à tes formes de douleur qui sont au cœur du travers ce que représente le luxe. Poésies, essais, entretiens, carnets pho- mysticisme déjà traité dans Anthropologie de tographiques, journalisme d’investigation, tentent avec brio, de cerner ce la douleur, le sociologue David Le Breton s’ap- « goût pour le superflu » sans lequel l’homme a du mal à vivre et qui lui est puie ici sur différents textes philosophiques, savamment rendu chaque jour aussi nécessaire que le boire et le manger. littéraires et historiques pour étudier le lien douleur-souffrance d’une part dans la mala- die, les séquelles d’accident ou de torture, et d’autre part dans les cas où la douleur peut être proche du plaisir ou de l’épanouissement personnel (accouchement, privations, sado- Le corps désirable masochisme…). Hommes et femmes face à leurs poids Thibaut de Saint Pol, éd. Puf, coll. « Le lien social », mars 2010, AUTRES PARUTIONS 240 p. – 25 € MANGER LOCAL, MANGER GLOBAL L’INQUIÉTANT PRINCIPE La corpulence fait aujourd’hui l’objet L’alimentation géographique DE PRÉCAUTION d’une attention permanente de la part Gilles Fumey, CNRS Éditions, Gérald Bronner, Étienne Géhin, éd. Puf, des individus comme de la collectivité février 2010, 160 p. – 20 € coll. « Quadrige – Essais Débats », février 2010, 192 p. – 15 € et entraîne de multiples stratégies pour LE MÉDECIN DU PRINCE se rapprocher ou conserver un corps Voyage à travers les cultures LA VIOLENCE DE MASSE DANS désirable. Une dictature qui ne touche pas tout le monde de la même Anne-Marie Moulin, éd. Odile Jacob, L’HISTOIRE manière – l’on a remarqué qu’entre les hommes et les femmes et janvier 2010, 362 p. – 25 € Thierry Camous, éd. Puf, février 2010, entre les milieux sociaux, les différences sont considérables. Basé sur 336 p. – 25 € un riche matériel empirique, analysant les comportements dans une LES INVASIONS BIOLOGIQUES, perspective historique, ce regard neuf sur les inégalités de corpu- UNE QUESTION DE NATURES SUR LES ORIGINES DE L’EFFET ET DE SOCIÉTÉS DE SERRE ET DU CHANGEMENT lence en France et chez nos voisins européens met bien en évidence Martine Altramentowicz, Robert CLIMATIQUE le rôle prépondérant du genre dans ces phénomènes. Barbault (dir), éd. Quæ, coll. Svante Arrhenius, Thomas « Synthèses », mars 2010, 192 p. – 29 € C. Chamberlin, James Croll, Joseph Fourier, Claude Pouillet, John Tyndall Les métamorphoses du gras MIGRER AU FÉMININ (préface d’Édouard Bard et Jérôme Laurence Roulleau-Berger, éd. Puf, coll. Chappelaz), éd. La ville brûle, Histoire de l’obésité « La nature humaine », avril 2010, février 2010, 280 p. – 25 € Georges Vigarello, éd. Seuil, coll. « L’univers 192 p. – 15 € historique », mars 2010, 384 p. – 21 € RUPTURES POSTCOLONIALES VOYAGE MUSICAL DANS L’EUROPE Les nouveaux visages de la société Dans le style clair auquel son lecteur est accou- DES LUMIÈRES française tumé, Georges Vigarello présente, après une His- Charles Burney (texte traduit, présenté Nicolas Bancel, Florence Bernault, toire de la beauté et une Histoire du corps, une et annoté par Michel Noiray), éd. Pascal Blanchard, Ahmed Boubeker, e Flammarion, coll. « Harmoniques », Achille Mbembe, François Vergès (dir), histoire de l’obésité du Moyen Âge au XX siècle. mars 2010, 528 p. – 30 € éd. La Découverte, mai 2010, coll. Cinq parties : « Le glouton médiéval », « Le balourd « Cahiers libres », 600 p. – 24 € moderne », « Les Lumières » ou « De la balourdise PAROLES VIVANTES DE BRAHMANES à l’impuissance », « Le ventre du bourgeois » et « Le Michel Angot, éd. Seuil, coll. « Essais CATASTROPHES martyre ». À travers l’autopsie des corps adipeux, religieux », février 2010, 384 p. – 16 € Terrain n° 54, mars 2010, et l’inventaire des techniques médicales d’amaigrissement, cette his- coéd. ministère de la Culture et de la LE PEUPLE DES LIVRES Communication / MSH Paris, 168 p. – toire montre la descente aux abysses de la désidentification de l’indi- Les ouvrages populaires dans la 16 € vidu aujourd’hui perçu selon son apparence physique et qui se trouve société ashkénaze (XVIe – XVIIIe siècle) dans la blessante impasse de penser que son corps le trahit. Jean Baumgarten, éd. Albin Michel, Retrouvez les publications de CNRS Éditions mars 2010, 560 p. – 25 € sur le site : www.cnrseditions.fr

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EXPOSITIONS Rubrique réalisée par Anne-Solweig Gremillet et Marion Papanian

Dans l’ombre des dinosaures Citoyens en résistance Jusqu’au 14 février 2011, Muséum national d’histoire naturelle, Paris (Ve). Jusqu’au 19 septembre, Centre d’histoire de la résistance et Tél. : 0140793000 – http://dinos.mnhn.fr de la déportation, Lyon (69) – Tél. : 04 78 72 23 11 – www.chrd.lyon.fr Ilyabien longtemps sur Terre sont apparus au même moment mammifères et dinosaures. Cette magnifique exposition nous propulse il y a 85 millions d’an- Citoyens engagés, chercheurs CNRS nées et nous raconte l’histoire de ces petits mammifères, alors pas plus grands et amoureux de la Grèce antique, Jean- que notre renard actuel, qui vivaient aux côtés des petits et très grands dino- Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet saures. Jusqu’à ce que survienne une crise – qui s’étale sur plusieurs millions ont beaucoup de points communs. Leur d’années tout de même, temps géologiques obligent. À ce moment la plupart des rencontre en 1958 fut d’ailleurs le début dinosaures disparaissent. Les mammifères profitent de l’occasion pour conqué- d’une riche collaboration comme en rir de nombreuses niches écologiques. Et les oiseaux que nous voyons chaque témoigne le nombre d’ouvrages publiés jour sont eux des dinosaures à part entière, rescapés du Mésozoïque. en commun sur la Grèce ancienne. Voyage tout en couleur au milieu de squelettes de mammifères – dont certains Décédés à quelques mois d’intervalles si bien conservés qu’on en voit les traces de poils, d’invertébrés marins, et même en 2006 et 2007, les deux hommes qui se d’un fossile de bébé dinosaure – spécimen rare s’il en est. Et pour illustrer considéraient comme des frères ont cette incroyable histoire, les chercheurs du CNRS et du Muséum ont prévu : aussi marqué l’histoire contemporaine des bornes interactives de jeu, une très belle animation qui présente un scé- en s’engageant dans la résistance pour l’un et en militant contre nario possible de la crise créatrice, et des films courts qui nous enjoignent à le négationnisme, les discriminations et les injustices pour l’autre. comprendre des évolutions plus ponctuelles comme le passage du milieu ter- Le Centre d’histoire de la résistance et de la déportation leur rend restre au milieu aquatique d’un sirénien. L’occasion rêvée de hommage à travers cette exposition qui croise le destin de ces devenir paléontologue d’un jour et de revoir deux citoyens. sérieusement sa copie sur l’évolution tout en s’amusant. Chopin à Paris, l’atelier du compositeur Pantodonte femelle Jusqu’au 6 juin, Cité de la musique, Paris (XIXe)– avec son petit Tél. : 01 44 84 44 84 – www.citedelamusique.fr proche du terme. Il s’agit du plus ancien Manuscrits, tableaux, dessins, instruments, extraits musicaux, films squelette complet et documentaires vous plongeront suivant trois thématiques, de mammifère du « Pianopolis », « Les cercles artistiques et amicaux » et « L’atelier début de l’ère de Chopin », dans l’univers artistique du pianiste et compositeur enzaouda / MNHN Tertiaire. 2 ©L Frédéric Chopin. Cette exposition de 450 m , réalisée en partena- riat avec la Bibliothèque nationale de France, s’inscrit dans le cadre de l’année Chopin 2010 et célèbre le bicentenaire de la nais- sance du musicien. Musique, Maestro! Parmi les commissaires de l’exposition, Cécile Reynaud, chercheuse à l’Institut de recherche Objectif plantes! sur le patrimoine musical en France (Unité CNRS / Ministère de la Jusqu’au 14 septembre, Jardin botanique de l’université de Strasbourg (67) Culture et de la Communication / BNF). Tél. : 03 68 85 18 65 – http://jardin-botanique.u-strasbg.fr Avec plus de 6000 espèces de plantes réparties sur trois hectares et demi, le jardin botanique de l’université de Strasbourg est le lieu idéal pour s’initier aux richesses du monde végétal. Des espèces menacées à la diversité des écosystèmes, en pas- sant par les relations plantes et animaux, ET AUSSI tout est fait pour sensibiliser petits et MEURTRE À L’ESPACE DES SCIENCES grands à la nature. Pour aborder les dif- Jusqu’au 14 août, Les champs libres, Rennes (35) – Tél. : 0223406600 – férentes thématiques de manière originale www.espace-sciences.org/ et variée, expositions, animations, ren- Un horrible crime vient d’être commis à l’espace des sciences de contres, circuits de découvertes et ate- Rennes, serez-vous capable de mener l’enquête et de retrouver le meurtrier? Pour cette exposition, le visiteur entre dans l’univers de la liers thématiques sont mis en place. En police scientifique. Au programme, découverte de la scène de crime, résumé, une programmation qui s’inscrit analyse des indices (douilles, traces de sang, fibres textiles, parfaitement dans le cadre de l’année

© L. Asther empreintes, traces de pas) dans les différents laboratoires mondiale de la biodiversité. L’hôtel à insectes, attraction de l’expo. scientifiques, auditions des suspects et inculpation du coupable.

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 42 GUIDE

MANIFESTATION FILMS Salon de la culture et des jeux La grande muraille verte

mathématiques © N. Temple/CNRS Images Film de Nicolas Temple, auteur scientifique : Axel Ducouneau, produit par CNRS Images (2010, 21 min). Du 27 au 30 mai, place Saint-Sulpice, Paris (VIe)– Prix : 15 € pour un usage privé, 35 € pour un usage institutionnel. Tél. : 01 40 37 08 95 – http://www.cijm.org/ Tél. : 01 45 07 59 69 – [email protected] Quelle est l’importance des mathématiques pour notre avenir? Quels sont Pour résoudre les problèmes de la désertification du Sahel, 11 pays décident de les liens qui unissent les mathématiques et les autres disciplines scien- créer une zone arborée, écologiquement et économiquement viable pour les tifiques? Autour de la thématique Maths et Avenir, ce sont 75 stands d’ani- populations locales. Depuis 2008 le Sénégal construit sa partie de la grande mations, des livrets jeux, des concours (notamment un concours photo muraille verte. Quels seront les changements écologiques, médicaux et sociaux sur le thème « Les mathématiques et la ville », ou encore un concours engendrés par ce défi écologique? Pour y répondre, le CNRS a installé sur de calcul mental), un quiz sur les mathématiques et la biodiversité, des place un observatoire homme / milieu. conférences et des rencontres scientifiques et artistiques qui attendent le visiteur. Ce salon, organisé par le Comité international des jeux mathé- De la technique à l’art matiques et avec la participation de nombreux partenaires scientifiques La laque en Asie. dont le CNRS, vous fera découvrir les mathématiques du futur. Film de Momoko Seto, produit par CNRS Images, CNRS Réseau Asie-Imasie (2010, 52 min). Prix : 20 € pour un usage privé, 45 € pour un usage institutionnel. Tél. : 01 45 07 59 69 – [email protected] L’ÉVÈNEMENT En Asie, la laque, dont l’histoire remonte au Néolithique, est utilisée au quotidien (pour protéger et coller des objets, pour améliorer les conditions de conserva- tion des aliments) mais aussi comme médium dans l’art. Du Japon à la Chine en Noam Chomsky passant par le Vietnam, de nombreux objets laqués sont devenus de véritables œuvres. Dans ce film, artisans, artistes et chercheurs nous présentent les dif- www.chomsky.fr/ férentes techniques de la laque, un savoir-faire qui a su traverser les âges. C’est un des plus grands intel- lectuels vivants qui arrive en France à la fin du mois. Noam TV Chomsky, linguiste, philosophe américain et professeur émérite au Massachusetts Institute of Secrets de plantes Technology est le fondateur de la Diffusion le vendredi 21 mai à 16 h 55 et à 22 h 00, et le vendredi 28 mai linguistique générative. Il est à 16 h 55 et à 22 h 00 sur Arte (4 x 43 min). Collection écrite et réalisée aussi connu pour ses prises de par François-Xavier Vives, Jean-Luc Bouvret et Emmanuel Laborie. position politique, par exemple Produite par Arte, Le Miroir, CNRS Images, le MNHN et l’Inra. sur la liberté d’expression. À l’oc- casion de sa venue à Paris, il par- Observez d’un œil nouveau les plantes familières. À travers quatre documen- wlinson/thelastminute ticipe à plusieurs rencontres dont taires : L’arabette, le mécano génétique; Le lotus, de la spiritualité à l’hyper tech- . Ra

©D une organisée par le CNRS. nologie; L’if, aux frontières de la vie; L’ortie, « RATIONALITÉ,VÉRITÉ ET DÉMOCRATIE : BERTRAND RUSSELL, vers un jardin sauvage, scientifiques, agri- GEORGE ORWELL, NOAM CHOMSKY » culteurs, économistes et sociologues nous Le 28 mai de 9 h 00 à 18 h 00, Collège de France, Paris (Ve). dévoilent les qualités, les applications et les Colloque organisé par la chaire de philosophie du langage et de la enjeux insoupçonnés de ces plantes. connaissance (Professeur ). © Le Miroir « SUR LA PAUVRETÉ DU STIMULUS : UN TRAVAIL INACHEVÉ » Le 29 mai de 10h30 à 12 h 00, Maison de la Chimie, Paris (VIIe). COLLOQUE Conférence organisée par le CNRS. « CONFÉRENCE AVEC LE MONDE DIPLOMATIQUE » Le 29 mai à 16 h 00, au théâtre de la Mutualité, Paris (Ve). Communiquer la science en territoires Une conférence débat organisée par Le monde diplomatique. Entrée : 18 € Regards croisés entre producteurs de science et « UNDERSTANDING AND INTERPRETING : LANGUAGE AND BEYOND » acteurs territoriaux Le 31 mai à 17 heures, Collège de France, Paris (Ve). Jeudi 3 juin 2010, de 9 h 00 à 18 h 00. Conseil économique, social et Conférence suite à l’invitation de l’assemblée des professeurs du e Collège de France, sur proposition de Jacques Bouveresse. environnemental, Paris (XVI )–[email protected]

À lire : Raison et liberté. Sur la nature humaine, l'éducation et le Organisé par l’association « Communication publique », ce colloque accueillera rôle des intellectuels, Noam Chomsky, préface de Jacques des interventions de maires de grandes villes françaises ainsi que de respon- Bouveresse, avril 2010, éd. Agone, coll. « Banc d’essais », 440 p. –25 €. sables de communication d’organismes publics, autour des attentes mutuelles des acteurs territoriaux et des producteurs de science.

Le journal du CNRS n° 244 mai 2010 ÉTONNANTES IMAGES

La galaxie nano Quel est ce fabuleux diamant interstellaire entouré d’une myriade d’étoiles? Revenons sur Terre. En réalité, l’échelle de cette image n’est pas galactique mais microscopique! Les étoiles sont en fait des agrégats de centaines de nanoparticules. Chacune mesure 30 nanomètres 1 de diamètre et est composée d’un noyau d’or et d’une coquille de palladium. Frédéric Favier, de l’Institut Charles-Gerhardt 2 à Montpellier, et ses collègues du groupe Juergen Brugger à l’École polytechnique fédérale de Lausanne les ont déposées sur un support grâce à une technologie de type jet d’encre, très courante dans nos imprimantes. Et le prétendu diamant central n’est qu’un simple cristal de sel. Mais à quoi cela sert-il? La coquille de palladium a l’intéressante capacité d’absorber l’hydrogène. Ce faisant, la conductivité électrique des agrégats se modifie à un niveau que l’on peut mesurer. Ces derniers pourraient donc servir de système de détection de l’hydrogène, élément appelé à devenir de plus en plus répandu dans la fabrication des énergies propres mais hautement explosif. Ces jolies « étoiles » sont donc peut-être la clé d’un environnement plus sûr dans ce domaine… Mark Reynolds . Fakhfouri, J. Brugger/ICGM/LMIS1/CNRS Photothèque Brugger/ICGM/LMIS1/CNRS J. . Fakhfouri, 1. Un nanomètre est un milliardième de mètre.

avier, V avier, 2. Unité CNRS / Universités Montpellier-I et -II / ENSCM. © F. F