OFFICE DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE Cote ET TECHNIQUE OUTRE-MER

CENTR~ ORSTOM DE

OUA NARY

1 COr.qMUHE OU COmTUN AUTE

, par M-J. JOLIVET

/ COPYRIGH~ O.R.S.T.O.M. - AVRIL 1972 / AVANT-PROPOS

Le rapport qui suit porte sur un petit ,~ village de Guyane française, mais n'en veut pas cependant présenter l'étude exhaustive: l'analyse du bourg d' .~ '-~' s'inscrit dans le cadre d'une recherche sur l'ensemble de la société rurale guyanaise, et ne pren~ sa véritable signi­ -fication qu'en fonction de ce contexte.

S'il convient, avant tout, de faire le point sur nos travaux préalables, il n'est, toutefois, pas question d'entrer ici, dans le détail de nos observations précéden~es, lesquelles ont fait l'objet de publication~ séparées. Nous nous contenterons donc, au cours de notr~ introduction, de résumer, aussi brièvement que possible, les donnéeG générales gui nous ont servi de point d y départ, et les conclusions auxquelles nous avons abouti (1).

Seul ce rappel peut en effet nous permettre de montrer que le cas d'Ouanary, que nous concevions a priori comme une exception, est venu à la fois confirmer et nuancer nos hypothèses, de sorte qu'il ne se présente, finalement,

que comme une illustration supplémentaire, sous forme de 1 variation, du thème que nous avons précédemment développé.

(1) On trouvera quelques précisions supplémentaires quant à notre vision générale des problèmes guyanais, dans un article ayant pour titre "Une approche sociologique de la Guyane françatse : crise et niveau d'unité de la société créole". LES GUYANES

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INTRODUCTION

LE MILIEU RURAL GUYANAIS~

Située sur la bordure atlantique du conti­ -nent Sud-américain, à quelques deGrés au Nord de l'équateur, la Guyane française se caractérise par une double opposition géographique entre l'Intérieur et la bande littorale d'une 1 part, la côte Est et la côte Ouest d'autre part.

L'Intérieur qui s'étend sur un socle pré­ -cambrien pénéplané dès le début de l'~re primaire, est le . domaine de la Grande forêt équatorialeo Souvent parcouru par des missions d'exploration dur~nt ces trois ,derniers siècles; il est rela~ivement bien connu, mais pratiquement vide de population: 2.500 perso~nes se disséminent, par petits grou­ -pes, su~ ses 80.000 km2. Il s'agit surtout de populations tribales : Indiens Emerillon et Oyampi sur le bassin de l', à la frontière brésilienne; Indiens Wayana et Noirs Réfugi~s Boni sur le fleuve Maroni, à la frontière surinamienne. Ces groupes ont conservé une organisation so­ -ciale et un mode de vie traditionnels, dont l'étude relève de l'ethnologie (1). Par ailleurs, ils sont restés marginaux par rapport à la population guyanaise proprement dite, laquelle s'est constituée avec la colo~isation esclavagiste, et réside en majeure partie sur la côte.

Les 10~000 km2 du littoral comporte~t la quasi totalité dys habitants du pays, soit un peu plu~ de 40.000 personnes. L'Ile de Cayen~e, ville et banlieue, en réunit à elle-seule plus de 60 %. Les campagnes guyanaises . connaissent donc une densité ~e population extrêmement faible, plus particulièrement à l'Est. Et ceci n'est qu'un élément de la différenciation qui s'opère entre la côte située à 1 l'Est de Cayenne et la côte située à l'Ouest.

, 1 Cf. J. HURAULT qui a publié diverses études sur les (1) 1 Indiens et les Noirs Réfugiés de Guyane. , 1 (références en bibliographie)c 4---

La reglon de l!Est; qui va du ~ahury à l'Oyapock, offre des conditions de vie très particulières les bourgs y sont installés au bord,des rivières, et ne sont accessibles que par avion QU bateau. AU9une route n'est ja­ -mais venue les relier au ~este du pays. Et les villages de . Régina, - Guisanbourg et Kaw, sur le bassin de l' Approuague, ceux de Saint-Georges et Ouanary, sur le bassin de l'OyaP9ck, sont demeurés, jusqu'à nos jours, dans un grand isolement. Pourtant, toute cette zone est rormée de terres basses rela­ -tivement f~rtiles, à condition d'y effectuer certains amé- -nagements : au XVIIIèlne si~cle~·. prenant JIi6(r~i.ê sur les tra- -vaux hollandais au Surinam, l'ingénieu~ Guis~ avait en~re- -pris la constructiQn de polders, près du. hameau qui por~e aujourd'hui son nom~ Mais son enseignement a été négligé, et ses assèchements sont peu à peu tombés dans l'abandon. Ce qui fait que les terres basses n'ont finalement jamais été exploit~es; et que cette partie du littoral n'a pas été le champ d'~utres activités que celles d'une agriculture de subsista~ce, perpétuée à l'aide des techniques rudimentai- '-res du ~r~lis sur les collines boisées surplombant les rivières.

En revanche; à l'Ouest de qayenne, de l~ Pointe jusqu'à l'est~aire,du Maroni, une route s~it le cordon sableux qui longe la mer. Quoique moins fertile, cette région a fait l'objet d'un plus grand intérêt de la part du colonisateur qui y a entrepris ~iverses tentatives d'imPtantation ~umaine : c'est tout d'a~ord, à la fin du XVIIIeme siècle, l'expédition de ~ oà la moitié des quelques 10.0001 colons blancs debarques,, , est venue mourir des suites d'une hygiène lamentable engendrée par l'absence totale d'organisation; peu après; c'est l'envoi des "fructi­ -dorisés", à la "guillo~ine verte", sur les plages dl? Sinna- -mary; au début du XIXe~~ c'est la création de l'ét~blisse- . -ment de Mana, qui, avec ses 50Q esclaves libérables, a ~u des débuts très prospères, et f~it figure d'exception; ênfin, c'est l'installation, à Cayenne, Kourou et Saint-La~rent, des camps pénitenciers dont on connait tout le scandale. Quel que soit l'échec par lequel se sont soldés les essais de grande envergure, il n'en demeure pas moins qu1ils ont abouti à rom-_ -pre l'isolement des bourgs de l'Ouest, lesquels sont ~eliés entre-eux et au chef-lfueu, par une route en grande partie gou- , 1 '-dronnee.

A pr~ori, l'opposition entre les zones '(fô-ti-èr-

1 (1 ) M-J. JOLIVET Une Commun'e tradition,nelte de Guyane ~rançaise : llApprouague. LEGENDE , . Piste ca ...... ossable _._._ Route: 90ud ...on~;~ .... ~. ~'.~ r--...... o c ,~- É ~.~ -4 r· ...... 1. - r , 1 '- . ,

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en canot; les défrichements s'effectuent le long des rives~ suivant les principes de la culture itinérante sur brûlis; les abattis et les carbets s'échelonnent tout au long de la 1 rivière et des criques ~ffluentes, sur une vingtaine de km. en amont du villageo La culture principale est celle du ma­ ~nioc amer dont on obtient le couac, après extraction du jus toxique et cuisson. Les activités de chasse et de pêche tiennent également une part importante dans la vie du p~yson de l'Approuague qui reste ainsi isolé dans un complexe rela- 1 -tivement proche de l'autosubsistance familiale.

A l'inverse, la con~truction d'une route, à l'Ouest de Cayenne, sem?le avoir véhiculé un certain chan­ -gement vers la modernité~ A Mana (1), les agriculteurs ten~ -dent de plus en plus à abandonner les abattis de rivière pour venir s'installer au bord de la route; les espaces dé­ ufrichables et fertiles y étant plus réduits, la fixation des champs se substitue peu à peu à l'ancien système de l'itiné­ ~rance ; la notion de propriété du sol fait parallèlement son apparition, tandis que le manioc régresse au profit des cultures maraîchères et surtout des vergers dont l'implanta­ -tion., permet, la mise en vnleur des terres nouvellement appro- -pr~e es Q

Occupé à une agriculture plus intensive, . le paysan de Mana ne peut plus exer~er les activités complé­ -mentaires de chasse et de pêche,' et laisse ces tâches à des spécialistes; d'ailleurs,les lisur où il travaille actuelle­ -ment nl~ sont plus propices comme l'étaient les abords des rivièreso Il s'agit donc, pour lui, de tirer de la terre non,. seuleillent une partie de sa subsistance, mais aussi ,un revenu. Le problème des débouchés devient alors primordial. Cependant, il y a, à Mana, un Syndicat agricole qui fonctionne comme coopérative de vente dans le cadre d'un marché passé avec le Centre Hospitalier du département. Et cette innovation, . toute moderniste, para1t être une solution harmonieuse à cette question vitale de l'écoulement des denrées agricoles~ les­ -quelles représentent la production essentielle" Sinon unique 1 de la régionQ

------~-----':...---.,-----~-----_...... _------

l ' Cf~ M-J. JOLIVET Etude de la société rurale-, guyanaise : le cas de Mana. 7

Néanmoins, les choses ne sont pas aussi simples ~ue pourrait le faire croire cette opposition sché­ -matique. A y regarder de plus près, la tradition à Régina, et le changement à Mana sont des phénomènes plus apparents que réels: l'un et l'autre n'èxpriment en fait, s~us des manifestations particulières qurune" seule et mame crise . 1 socio-économique. Pas plus à Régina qu'à Mana, on ne viv~ai~ de l'agriculture 8ans l'intervention de l'administratio~. , Et l'exode rural qui sévit, avec autant de,force, ici et là, I~ prouve clairement l'existence d'un malaise. ,.1) La crise guyanaise est le fruit d'une lon- 1 -gue histoire. On ne saurait comprendre ses diverses mani- -festations sans se référer aux situations passées qui ont déterminé le contexte actuel dans lequel elle s'inscrit~ 8

DE L'ESCLAVAGE A LA DEPARTEMENTALISATION.

La société créole est née de la colonisa­ ":'tiqn esclavagiste. Le mot "créole" vient de l'espagnol "criollo~ et désigne la descendance locale d'une espèce importée~ Dans toute l'aire caraïbe, ce terme a été appli­ -qué aux esclaves nés sur place, par opposition aux,afri" -cains "bossales", c'est-à-dire ~écemment débarqués. Le Créole est donc un individu d'origine africaine, qui fait, It>. dès son pl~s jeune âge, l'apprentissage de la civilisation 1.,J des Blancs. Mais cet·apprentissage se trouve limité par la situation servile dans laquelle il s'effectue, et prend tout dlabord la forme d'une destruction i la promiscuité sexuelle imposée par le ma1tre achève de désorganiser la famille africaine déjà dispersée par le trafic négrier ; la christianisation forcée tente d'effacer les croyances religieuses ancestrales; la vieille hiérarchie politique s'anéantit dans une organisatiçn sociale entièrement défi­ -nie par les règles des Blanqs.

En réalité, le Créole reçoit. des Blancs, une culture qui est celle des ma1tres, et dont, en tant, qu'esclave, il ne peut assimiler pleinement les valeurs. De plus, il reste mêlé à l'ensemble de la main-d'oeuvre. servile où fig~rent toujours des Dossales porteurs de moqè­ -les africains. Aussi se crée-t-il, avec le monde créole, une culture nouvelle où se mêlent étroitement modèles eu­ -ropéens et modèles africains, repensés dans le cadre de l'asservissement.1

Toutefois, tant que dure l'esclavage, cette culture créole dgmeure ju~ulée par la rigidité des structures où elle est enfermée. Elle ne peut s'épanouir qu'à partir dU,moment où elle acquiert le droit de s'expri­ ~mer librement. C'est donc avec l:émahcipâtion, en 1848, qu'elle prend son véritable essor. En d'autres termes; elle nait dans et de l'état de crise qui yst la conséquence inexo­ -rable de l'abolition de l'esclavage.

Car le premier réflexe du Créole émancipé est de fuir systématiquement tout cadre de travail suscep­ -tible de lui rappeler son jo~g antérieur, de refuser les règles et les responsabilités. Il conçoit sa liberté comme l'absence de toute contraint~ sociale, ce qui aboutit à une anomie d'ailleurs inévitable; s'il a pu conserver quelques bribes de mémoire africaine, à travers les rares coutumes - essentiellement folkloriques - que le ma1tre lui a per- -mis de perpétuer, le Créole a depuis trop longtemps oublié l'organisation des communautés d'Afrique, pour pouvoir trou­ -ver, dans la reconstitution de son passé tribal, un moyen d'affirmer sa liberté reconquise; d'autre part, il se voit soudain privé dlune structure sociale trop rigide et trop univoque pour être adaptable à son nouvel état~ Il réagit 'donc en prenant le contre-pied de la,condition servile, par le choix d'un individualisme forcené~ 9

Ce choix lui est d'autant plu~ ~acile; en Guyane ~rançaise, que l'immensité du territo~re dispo­ -nible, sous-peuplé même sur la bande littorale, lui offre la possibilité d'assurer sa subsistance dans un isolement relati~ : en partant cultiver à sa guise un abattis vivrier au bord d'un ~leuve, ~n diversifiant sa nourriture par la pratique régulière de la chasse.et de la pêche, le Créole se forge un mode de vie qui symbolise directement sa'con­ -ception de la liberté, car s'il est contraint, par la nature, à un labeur sOuvent pénible, du moins,est-il in­ ~dépendant des autres hommeS et de la société~ ,

Ce phénomène d'isolement a toutefois des limites~ D'une part~ oertains Créoles préfèrent aller rejoin~ -dre les citadins de Cayenne; ils se mêlent alors aux Blancs et aux Mulâtres affranchis qui y résident déjà, et beaucoup finissent par assimiler les v~leurs européennes pour pouvoir monter dans l'échelle sociale. D'autre part, ceux qui adoptent la vie rural~ ne vont pas' pour autant se perdre dans le~ pro­ -fondeurs de l'Intérieur ~ ils s'installent sur les, bas-cours des rivières, et s'ils se disséminent le long des rives, ils restent cependant à proxi~ité plus ou moins grande des villages préexistants ou naissants. Et ces regroupements géographi7 -ques favorisent l'éclosion d'une nouvelle vie collective.

Nous ne nous étendrons pas sur l'élabora­ -tion de c~s premiers modèles, ,car nous aurons l'occasion. d'y revenir à propos d'Ouanary. Il suffit de retenir, dans l'immédiat; qu'ils préludent à ln formation de connunautés rurales: à l'encontre des tendnnces anomiques que concré­ -tisent l'isolement et l'individualisme, il se crée, autour du complexe d'activités - abattis, chasse, pOche -, des petites unités d'autosubsistance familiales (couple et en­ -fants) que viennent cimenter certaines pratiques collecti- . -ves, en particulier celle de l'entraide au travail ~es champs, qui est basée sur la réciprocité des services rendus.

L'anomie des lendemains de l'émancipation apparatt donc comme un moment transitoire, fait de co~tradic~ -tions dans l'affrontement de l'individu et du groupe, mais qui laisse apparattre les potentialités d'une organisation sociale nouvelle~ Et il est évident que les villages ruraux de Guyane française seraient devenus autant de communautés créolys, s'ils avaient eu le temps de parvenir jusqu'à matu­ ~rité. Mais d'autres évènements sont venus perturber cette évolution."

En 1855, un Indien découvre de l'or sur le haut-bassin de l'Approuague, et à partir de 1870, c'est la ruée vers l'Intérieur: les agriculteurs guyanais aban­ -donnent les abattis pour monter fouiller le sol "dans les bois", l es immigrants créaIes arrivent d es quatre coins des :to

Caraïbes; les commerçants de Cayenne multiplient les succur­ -sales dans les différents bourgs oetier~ qui desservent les bassins aurifères, et à l'Ride de canotiers et colporteurs, assurent ~e ravitaillement des mineurs dont le nombre va, croissant. Ainsi, l'or devient rapidemen~ la grande affaire, et polarise toutes les activités du pays.

En d'autres temps ou d'autres lieux, la fièvre de l'or n'aurait jamais pris une telle importance. Mais elle se propage, ici, au sein d'une société en proie à la crise déclenchée par l'abolition de l'esclavage~ L'orpaillage y trouve alors un champ d'extension sans limite, car il offre précisément la possibilité d'un mode de vie privilégiant les tendances anomiques que les communa~tés nouvelles ne sont pas encore parvenues à contraindrej d'un mode de vie susceptible d'exprimer, en lui7m~me, toute la réaction individualiste du Créole émancipé.

En effet, gr~ce au système de ravitaille­ -ment organisé par les gros négociants qui en tirent des pro- -fits ~ubstantiels, l'orpaillage permet la survie hors du groupe. MÜ par l'espoir de faire un jour fortune, le mineur se fait le plus souvent maraude~r, c'est-à-dire travailleur solitaire sans titre ni contrat. S'il accepte les sacrifices qu ' impliquent les rigueurs. de la vi e "dans t es bois", il refuse toute entrave à sa recherche fébrile. Dans ses migra­ -tions incessantes, au gré des découvertes qui se succèdent, le Créole oublie alors l'organisation familiale et sociale qU'il avait ébauchée au t'emps où il commençait à fonder des communautés villageoises ~ ses ,interrelations ne sont plus que promiscuité ou concurrence.

Ainsi, en érigeant l'individualisme au niveau de modèle général, l'orpaillagy rejette l'anomie transitoire à l'état de crise latenteo Et l'immigration massive, qU'il provoque parallèlement, rend bientôt cette crise irréversible: peu à peu s'instaure un~ véritable "situation de foule", non seulement dans l'I!l;térieur animé par un trafic.permanent d'hommes et de biens, mais aussi dans les bourgs c6tiers qui.deviennent autant de relais pour les canotiers, les colporteurs, les orpailleurs qui descen­ -dent à l'approvi~ionnement, ou les étrangers qui préparent leurs expéditions.

Cependan~; cet or qui stimule l'indi­ -vidu au point de justifier l'inorganisation sociale et l'appauvrissement culturel, ne' donne naissance qu'à une prospérité économique factice: la Guyane ne vit plus qu~ du commerce qu'il suscite" tous les autres secteurs d'ac­ -tivités ont été désarmés. Pourtant, l'or est voué à dis- -para~tre ~ les gisements de surface, seuls exploitables par les techniques rudimentaires des petite orpailleurs, 1 ne sauraient ~tre éternels; ils finissent par s'épuiser~ Mais l'artifice a duré quelques trois quarts de siècle,• 1 Il

.Au sortir de cette longue ~ériode d'orpailla­ -ge, le désarroi économique est donc profond. Mais de surcrott, il rait résurger le problème d'intégration jusqu'alors ajour­ -né. La crise éclate, nanifeste et d'autant plus grave qu'elle est totale; à la fois sociale et économique.

Tandis qu'ils perdent leurs commerçants, et par là-même se vident de leur unique, source,de vitalité, les bourgs du littoral s'emplissent parallèlenent de tous les orpailleurs que la nine leur rend, et qui sont, pour eux, autant de, ch8neurs auxquels ils n'ont plus aucun travail à proposer.' Si les imnigrants qui en ont les moyens regagnent leurs pays d'origine, si certains mineurs partent tenter , l'aventure de la ville, tous ceux qui sont contraints à re~­ -ter parce qu'ils sont vieux et aussi pauvres qu'autrefois, , ' n'ont d'autre, ressource que le retour a l'ab~ttis.

C'est ainsi que renatt l'agriculture "traditionnelle" à Régina : confronté à un mêne milieu naturel, n'ayant pour outils que la hache et le sabre d ',antan, l'orpailleur retrou,ve s~ontanément les gestes de la culture itinérante sur brUlis. Mais on ne saurait par­ -1er de véritable tradition; le maintien des techniques archaXques est en fait une reprise, un phénomène de résur­ -gence, voire de conv~rgence, et non point de résis~ance ; par ailleurs, on chercherait vainement des,éléments de tra~ -dition dans les autres domaines culturels. Entre l'actuelle Régina et le~ communautés naissantes des lendemains de l'é~ -mancipation, il y a près d'un siècle d'orpail~age et d'indi- -vidualisme. Et l'on ne sera pas étonné de constater que les pratiques collectives qui tendaient, autrefois, à cimenter peu à peu la 9ohés~on' du groupe, sont aujourd'hui presqu'­ -dnexistantes.

En réalité, si le problème de l'intégra­ -tion sociale et de la co~struction culturelle se pose au paysan créole de ce milie~ de XXè siècle avec la nême acui­ -té qu'à l'esclave libéré, ~e contexte dans lequel il se situe a profondément changé. On ne vit plus des produits d'un ~battis vivrier comme on en po~vait vivre cent ans auparavant; de surcrott, ~l est des habitudes de consomma­ -tion, acquises durant l'orpaillage~ et sur lesquelles il est désormais impossible de revenir. Les bourgs actuels,ne peuvent donc pns recréer ln dinension collective par la seuie organisation de la survie dans le labeur agricole, et ceci d'autant noins qu'ils ne regroupent jamais qu'une somme de personnes disparates, où les immigrants des Antilles fran­ -çaises et surtout anglaises tiennent une large partt et dont les souvenirs collectïfs se bornent au passé individualiste 1 et anomique de la vie "dans les bois". 12

1 Telle est la crise. Sans cohésion ni ressourc y, les .villages ruraux n'ont aucun moyen de la dépasser. Alors, la réponse vient de l'extérieur: l'ad­ -ministration se substitue à la collectivité défaillante pour lui ~ssurer la survie; c'est la solution "départe­ -mentale". Les bourgs deviennent communes, et une poli~i- -que d'assistance tente de remédier à la paupérisation. l Cependant, la crise demeure: elle n'a fait que repasser du manifeste au latent. Car l'unit~ communale n'intègre pas les membres qu'elle regroupe. Elle se contente de juxtaposer des intérêts individuels. En distribuant des subventions et des aides sociales à titre personnel, en gonflant le nombre d'emplois et de "jobs" du secteur public, l'Etat français maintient le règne de la motivation économique individualiste que l'or avait fait na1tre, et prolonge en quelque sorte l'artifice.

• C'est sous cet angle qu'il faut essayer de comprendre les faits de traditio~ et de changement apparemment observables aujourd'hui: ils ne sont, au fond, que les aspects extrêmes que peut revêtir l'impact adminis­ -tratif. A Régina, on permet à une agriculture de subsis- -tance, de type archaïque, de se perp~tuer, en multipliant . les aides, allocations et subventions. A Mana, au contraire, on veut promulguer un certain modernisme : on a suggéré aux paysans de former un groupement ; on leur conseille de deman­ -der des concessions de terrain en bordur~ de route ; on les pousse à étendre les cultures mara1chères. Mais dans la mesure où le modèle individualiste est soigneusement entretenu, ces transformations ne sont jamais vécues en ternes de collectivi­ -té, etrl~ changement qui en résulte n'est qu'un placage arti- -ficiel. L~ preuve en est que le Syndicat agricole, qui re- . -présente, a priori, l'innovation moderniste par excellence, n'est, ici, pas perçu par ses adhérents comme un organe co11ec­ -tif, ca~s comme un moyen légal d'obtenir des avantages per- -sonnels.

Au bout du compte, si elle tente de.pallier la crise, la solution départementale ne la ~ésoud pas. Elle a hérité toutes les contradictions du passé. Et c'est fina­ -lement dans la succession des situations antérieures d'es- -clavage et d'orpaillage que réside toujours la clef des pro- -blemes, actuels de la Guyane rurale.1 13

LE CAS D'OUANARY.

A premi~re vue, Ouanary échappe au schéma que nous venons de tracer. Et c'est précîsément la raison pour laquelle il nous a semblé nécessaire de nous y ar~lter~

Situé à l'écart des chemins de la ruée vers l'or, ce bourg n'a pas connu les perturbations qui transformaient Régina ou Mana en lieux de commerce et de passage~ Isolé au bord de son fleuve, il n'a jamais cessé de vivre des produits de ses abattis, et la pratique de l'entraide·collective pour les gros travaux agricoles y est encore assez vivace~ Est-ce à dire qu'Ouanary a su constituer et consolider cette communauté créole qui, ailleurs, s'est anéantie dans l'individualisme de l'or­ -paillage avant m@me que d'avoir pu parvenir à maturité? Est-ce à dire que cette commune est l'ultime image - que nous cherchions vainement à Régina - d'une tradition pro­ -prement guyanaise, forgée et perpétuée dans l'isolement?

Mais alors, la crise que connait quanary et que traduit un important mouvement d'exode rural, serait d'une autre nature que celle qui nous est apparue, dans les exemples précédents, comne la prolongation des contradic­

-tions issues de l'encha1nement1 des situations passées• d'es-• -clavage et d'orpaillage. Loin d'Itre le fruit d'une impossi- -ble intégration, cette crise ne serait-elle pas plutôt l'ex~ -pression d'une lutte nouvelle entre l'influence de la moder~ -nité et la résistance de la tradition?

Telles sont les questions que nous nous posions en abordant le terrain.1 Celui-ci nous" a fourni des réponses à la fois décevantes et rassurantes 1 decevantes dans la ffieSure où Ouanary n'est pas l'image de cette 'vraie communauté guyanaise qu'il nous faut désormais renoncer à trouver; rassurantes parce qu'en fait d'exception, ce village ~'est jamais qu'un cas limite dont la considéra­ -tion ne ,nous oblige pas à rév~ser les hypothèses que nous avons pu, jusqu'alors, établir!

Nous verrons, en effet, que si ce bourg n'a pas vécu directement la situation d'orpaillage, il en a néanmoins ~ubi le contre-coup, si bien que les problèmes de reconversion qui se posent à lui depuis l'épuisenent de l'or ne sont pas étranger~ à ceux que se posent les villa­ -ges du reste du littoral.

, Et le cas d'Ouanary offre en fin de compte, une variation supplémentaire sur le thème qui nous appara~t . fondanental pour la compréhension de la Guyane créole rurale, à savoir le niveau d'intégration et de fonctionnement de 1 ses unités. 14

CHAPITRE l ','

ETUDE MORPHOLOGIQUE

LE CADRE GEOGRAPHIQUE.

Ouanary est situé à l'extr~me pointe Est du littoral guyanais; à ù~e ~atitude Nord de 4°13' et une longitude Ouest de 51°41'. Installé à l'embouchure de la rivière dont il porte le non, il est distant de la mer dlen- , -viron 2 km. En,face, de l'autre caté de la Baie de l'Oyapock, c'est le Brésil. Mais Ouanary ne saurait ~tre qualifié de village frontalier, dans la nesure oà les premières habita­ -tions brésiliennes se trouvent plus en amont sur le fleuve 1 Oyapock.

Bien que toute cette région soit essentielle­ -ment constitué e de terres' bass es, il est quelques co:l;lines qui en accidentent le paysage: c'est la Mont~gne Bruyère, et sur­ -tout la ligne des Monts de,l'Observatoire au flanc desquels notre bourg sIest construit~ Ces hauteurs, qui nlatteignent pas 200 mètres d'altitude, sont des formations ferrallitiques dues à l'altération du bouclier antécambrien qui s'étend sur tout l'intérieur du pay~. En contre-bas, on a une plaine d'alluvions marines, souvent inondée par les pluies et marées, et couverte de marécages, tandis qu'en bordure de mer, sur les argiles plus récentes, pouss~ la m~ngrove caractérisée par ses palétuviers (cf. carte p. "15).

Le climat est conditionné par la proximité de lléquateur, et le dé:pJ-acenent de la II zone intertropicale de convergence" (Z.I.C.J.oà ST rencontrent les alizés du _ Nord-Est et ceux du Sud -·Bgt • Cet affrontement de vents et de masses d'air différentes' provoque une forte concentration nua­ -geuse et dlimportantes précipitations. ~es saisons sont donc déterminées par les passages de la Z.I.C. qui oscille entre '\ 1 1 1 l'équateur et le 15e~e parallèle Nord. Lorsque la Z.I.C. est '.- nettement au Nord de l~ Guyane, entre Août et Octobre; ç'est, la pleine saison sèche. En Novcmbre le te,ps devient ins~able. La saison des pluies commence en Décemb+e! 4ssez modsrée, gé­ -néralement, au premier passage de la Z.I.C. qui descend rapi-, -dement vers le Sud, elle s,linterromp durant l~ "petit été .. de Mars" (qui peut en réalité survenir entre F~,vrier et Avril), pour. atteindre son paroxysme entre mai et juin, période 9à la Z.I.C. qui remonte, se trouve juste au-dessus du pays. .! LEGENDE ,

. mor'ne~. . pIu~ .ou main. ~:roolees Alluvions il...... ~ (~oblc,voses,et org , ~ Sols ferrall1t1quc.. ~ sur souba ssczment cristallin

Marecage, permanent

Zone non inondable (le re!>tcz,mo. ndable pOl' S'aie , s ou pluie!) mar-tle :d'Oyapock

.:~......

;~;:;,,'

Il

1.Po,.tv~a/s

ECHELLE: 1/200.000~

"'. 16

Les • linites entre1 ces saisons sont évidemment variables d'une contrée à l'autre. Contrairement aux stations c8tière~ pius au Nord, où l'~t~ ~e mars devient sensible, à Ouanary, l'influence de la ~.I.C. se fait sentir sans interrup­ -tion de Décembre, à Juillet. Il en résulte une pluviométrie importante. '. ~.. 1 J F M A M J JA S 0 N D Année St'at~~S'.\._ .,...

Ouanary 366 436 436 513 552 372 243 33 45 120 3.548; 97 335 t

Cayenne 288 232 220 330 495 453 185 78 25 40 123 234 2.703

1 Saï"nt-Lauren 216 184 174 218 322 327 233 164 76 79 162 219 2.374 . , Hauteur moyenne des pluies en mm.

La température moyenne est relativement 1 homogène sur toute la Guyane, et s'établit autour de 26°. A Ouanary, on peut obseryer des maxima moyens de.32° et des minima moyens de 20°. Mais de tels écarts ne,concer­ -nent que de brèves pér~odes, et dans l'ensemble, la tem- -pérature est régulière.

Les orages sont inexistants~ Les vents demeurent assez faibles, Dais liés à l'insolation, ils provoquent cependant une très forte évaporation : il arrive que vers le nois de Novembre, les maréaages, inondés to~t le reste de l'année, finissent par s'assècher en part~e.

Comme dans toutes les terres basses, le réseau hydrographique de la région d'Ouanary n'es~ pas très dense. Il joue néanmoins un r8le primor~ial, car il représente l'unique voie de communication. Il faut tout d'abord parler de l'Oyapock, large ~leuve frontalier dont on emprunte le bas cours pour rejoind~e Saint-Georges qui est le village guyanais le plus proche. La rivière' d'Ouanary n'e~ est pas un affluent, mais débo~chè sur le même estuaire. Elle recueille au préalable les eaux des criques Elionore et Rapari sur sa rive droite, et des,' criques Petit Ouanary et Toucouchi sur .sa rive gauche. 17

Par rapport eux grands fleuves guyanais cette riv~ere est de faible largeur (50 mètres en Doyenne~, et son débit peu important (peut-être 10 m3/seconde en sa1­ -son des pluies). Elle subit donc l'influenée des marées sur une large partie de son cours inférieur, qui reste au niveau de la ~er, ce qui veut dirè que les e~ux saumâtres inondent bi-quotidienne~ent ses rives basses.

,=. .... La mer"joue également un rÔle important dans les comcunicntions : c'est la voie la plus directe pour 1 joindre Cayenne ou les autres bourgs du littoral. A vol d'oi- -seau, le chef-lieu n'est qu'à 120 km. Mais le bateau qui fait la liaison et qui doit contourner la Pointe Béhague avant de s'enfo~cer dans la Baie de l'Oyapock, met une dou­ -zaine d'heures. Sans doute peut-on prendre l'avion. jusqu'à Saint-Georges qui possède un terrain d'atterrissage~ Mais il faut ensuite descendre l'Oyapock, en tenan~ compte de la marée pour le passage de la Pointe Bruyère, et le voyage est finaleBent aussi long.

Il en résulte qu'Ouanary est certainement le village le plus isolé de toute la Guyane c8tière, et que, plus qu'a~lleurs, la Der et les fleuves y sont des éléments dominants. 18

·LE OADRE MATERIEL

A cause du problème des marées, le;bourg d;Ouan~ry ne s~est pas installé tout au bord de la rivièrè, et a préféré s~accrocher au versant ori~ntal des Monts de i'Observntoire, à quelques 10 mètres au-dessus du niveau de "~ la mer. Une digue, longue d y 900 mètres, sépare le débarca­ -dère des premières maisons. Uais cette levée de terre suit u~e petite crique qui J à Darée hauye, permet aux canots ':' d'arriver jusqu'au pied du village.

. Oe vil~age est en réalité peu de chose une vingt~ine de maisons, dont certaines sont i~h~bitées et

délabrées,, s'éparpillent au flanc1 de la colline. On'y accède par de petits sentiers abrupts. Tout en haut, à l'arrière du bourg, ,se trouvent le terrain de sport et plus l~tn le cimetièrej En contre-bas, ce sont les ~difices publics qui se succèdent le long d'un chemin plat : le minuscul~ marché; le dispensaire, la chapelle, ,la mairie, et l'écol y qui dé­ -bouche sur la "brousse" (cf. plan page suivante).

Les habitations sont ~eBblables à cetles que l'on rencontre dans 'j;outes les communes guyanaises, m.ais n'ont, ici, ,qu'un niveau. Oe sont des constructions en bois, faites de planches clouées sur une charpente visible de l'intérieur~' et recouv,ertes d~ toits de tales onduléys qui' remplacent aujourd'hui les anqiens toits de b~rdeaux. Il n'y a pas de soubassement : seuls, des madriers o~ des pierres surélèvent légèrement les solives du plancher, pOUt permettre le ruissellement des eaux d~ pluies sous la maison. L'édif~­ -ce restant très léger, que~queB poutres de soutien solide- -ment ynfoncées dans le sol, suffisent à en assurer l'équi- -libre.

A l'intérieur; les parois sont le plus fréquemnent en bois brut ; on les tapisse parfois de repro­ -ductions en couleur, tirées de diverses revues ; on ne les . ' , pe~nt que très rarement. Le logenent est souvent d'espace assez restreint~ Il comporte généralement une salle où l'on se tient, et qui peut n'~tre qu'une véranda, et une ou deux chambres. Mais dans lu cour, à proxiaité de la maison, il y a toujours un abri qui sert de cuisine ~ c'est là que sont 1 rangés les ustensiles nénngers et qu'est disposé'le foyer. Oelui-ci est un récipient métallique au, creux duquel oh-fait brÜler du charbon de bois fabriqué sur plage~ Oertaines habitations comportent en outre un "gragiri" ou carbet des­ -tiné à la fabrication du couac (cf. infra; chapitre III)~

Ouanary n'est pas là seule agglomération , de la reg~on i plus en amont sur la rive droite de la rivière, à une demi-heure de canot à moteur, il y' a le hameau de Pa~s Indien qui réunit la moitié de la population de la commune. COMMUNE DE OUANARY

1 - PLAN O'ENSEMBLE-

(l/rOO! environ)

1 ,. cimetière " 1 presbytère 20

Contrairement à ce que son no~ suggèfe, Pays Indien est essentiellement habité par des Créoles., Mais il se situe aux'~archcs d'une zone qui était autrefois peuplée d'Indiens Palikour (1), dont il ne reste plus ' aujourd'hui que quelques fnnilles viva~t surtout au Sud, sur le Moyen-Ouan~ry et le Bas-Oyapock.

Le village est un peu en retrait de la riv1ere, à près de 200 mètres de l'appontement~ On y accè- -de par une digue étroite, n~is recouverte de dalles de ciment sur toute sn longueur~ De part et d'antre, on a plan­ -té des cocotiers dont les troncs s'incurvent de sorte que les pal~es se rejoignent au-dessus de la digue et l'ombra­ -gent, lui donnant ainsi un aspect particUlièrenent accueil~ant.

Les maisons1 ont été construites assez près les unes des autres. Au nOübre d'une quinzaine, elles sont du n~me type,que celles d'Ouanary. L'une d'elle a été aménagée e~ école. Mais Pays Indien n'a pas ,d'autre service public, ca~ même slil tend actuellement à être aussi p~uplé qu'Ouanary, il en reste, administrativement, un hameau.

Les deux bourgs ne sont pas les seuls cadres de vic des gens de la comllune~ Très souvent, les

agriculteurs, ont aussi une habitation sur les lieux1 d'abat- ~tis; où leur travail les astreint à séjourner. Ces carbets de culture sont généralement plus rudimentaires que les maisons villageoises :' les Durs y sont de simples lattes de bois tressées sur une charpente très légère ; les feuilles de palmier séchées y remplacent fréqueDment les t~les, en guise de to~ture ; les lits si y réduisent à des paillasses.

Cependant, c'est encore la nature qui demeure le cadre de vie principal; tout au noins pour , l'homme qui partage son temps entre la culture à i'abattis, la chasse er:t forêt, et la pêche en rivière, ,et ne s'attarde à l' habitation qùe pour fabriquer le couac sous le "gr·agiri". M~De la femne vit plus à llextérïeur qu'à Itintérieur : elle va a~ssi à l'abattis; et entretient quelques cultures de case.

,-

(1) Les Palikour appartiennent au groupe linguistique des Arawak, et CODme eux, vivent en contact étroit avec les Créoles dont ils ,ont acquis un certain nombre de couturnes natériclles. ' -i VIE MATERIELLE DANS LA REGION D/0UANARY

Canot. à voile sur

.1·Oyapoc~

Habit.at Pal ikour sur le Moyen Oua·n.ary

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Platine à , ~',,' Couàc Palikour

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Ouanary :,' . ·1, •j ta Mairie . ..,1 , " l , , ., . .~

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Maisons dt P.~s Indien,

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, LES DONNEES ADMINISTRATIVES.

Pendant longtemps, ln région d'Ounnnry n'a été qu'une simple section de ln commune de l'Oyapock. En Décembre 1949, 'cette connunû n été scindée en deux, par arr~té, et Ouanary est devenu le chef.lieu de ln nouvelle commune, à lequelle un Maire et un Conseil Municipal ont été donnés par élections.

Couvrent une superficie d'environ 1.000 km 2 , ?' ln comnune1 d'Ounnnry est l'une des plus petites de la Guyane rurale. Elle dépend de l'arrondissement de Cayenne, et appar- 1 -tient au canton de S~int-Georges. Elle est linitée nu Nord pnr ItOcéan Atlantique, à l'Est par in ligne de pnrtage des eaux entre les bassins de l'Oyapock et de l'Ounnnry, à l'Ouest et au Sud par une ligne partant de ln Montngne Couma Rouman (ou fnusse Montagne d'Argent) et suivant la ligny de part~­ -ge des eaux entre l'Ounnnry et la Courouaye (cf. carte p.25). 1

Cette comnune est administrée par un Ma~re et 9 Conseillers Municipaux, dont un adjoint au Maire (1). Dans d'autres connunes, il y a une bi-partition des respon­ -sabilités administratives : un gestiorinaire - générnlement Brigadier de gendarmerie -, nomné par ln Pr~fecture, est chnrgé du contr61e des populntions tribales, et/ou des nffai­ -res relevant du départeilent~ C'est là une survivance de l'nncien système administratif abrogé en 1969 : le terri~ -toire de l'IN!NI, qui couvrait tout l'intérieur du pays, était divisé en cercles et centres à ln tête desquels étaient 1 nommés des administrateurs. Ces derniers avnient particu- -lièrement à charge de s'occuper des populations tribales dont les membres n'avaient pas le statut de citoyens fran­ -çais, et dont l'ndntnistration étnit différente de celle des.comwunes créoles.

La population t~ibule de ln région du Bas-Oyapock et de l'Ounnnry était constituée d'Indiens Palikour qui se répartissaient depdrt et d'autre de la frontière entre les deux comnunes. C'était l'administrateùr de Saint~Georges qui avnit ln chnrge de llensenble du groupe~

(1) Nous présentons ici les données recueillies sur le terrain en Janvier • 1971.1 24

Il n'y a jamais eu de délégation préfec­ -tornle à Ouanary. Et depuis la réforme de 1969, les com- -pétences du Maire et de son Conseil Municipal s'étendent à toute la population de la commune, Indiens inclus, et à tous l~s éléments de l'administration locnle : état civil, budge~, ,élections, police, personnel, patrimoine, domaine, école•• c

Les divers intérêts de ln commune sont donc re~résentés au Conseil Municipal: le Maire et l'un des Conseillers sont du bourg d'Ouanary ; l'adjoint au Maire et quatre autres conseillers sont des Créoles de Pays Indien; les deux derniers Conseillers sont des 1 1 Palikour.

Cette répartition fait u]Dnraftre un trait assez particulier de la conmune considérée, à savoir une sorte de ,duo.lité, qui n'est peut-être pas dépourvue dEf rivalité, entre Ouanary proprement dit et Pays Indien.

En réalité, le choix du centre comMunal en son lieu actuel, serait dft à des contingences extérieu­ -res aux qu~stions strictcsent administratives : Ouanary possédait une source d'eau douce, alors que la contrée de Pays Indien, égalenent baignée par les eaux sauQâtre~ qui remontent assez haut dans 10. rivière, n'en avait pas. Pour­ -tant, c'est à l'endroit où est aujourd'hui construit Pays Indien qu'on aurait installé l'ancien siège de la section de l'Oyapock: Pays Indien n'était alors qu'une simple ha~ ~bitation appelée Cacao; nais à cette époque, il y avait beaucoup de Bonde - Créoles et Indiens - en amont de la rivière et sur les criques Toucouchi~ Petit Ouanary et Elionore, et la position de cette habitation, à quelques 10 km.1 de l'embouchure, etait, plus centrale que celle d'Oua- -nary, tres, proche de la mer.1

Cependant, dès 1924, il était âfficielle• -ment reconnu que seul Ouanary, ,grâce à sa source, pouvait devenir le chef-lieu de commune. Alors furent entreprises les constructions qui devaient faire, de ce ~ameau d'agri­ -culteurs, un centre adninistratif : tout d'abord une éco~e; en 1924, de taille sans doute encore tiodeste, mais qui ma~­ -quait un début; les autres édifices suivirent; en 1954, on bâtissait une seconde école, assez vaste cette rOis, tan­ -dis que l'ancienne devenait le local de la Mairie.

Nous consignons, ici, des renseignemEfnts qui nous ont été fournis par des personnalités locales. Cependant, nous n'avons trouvé aucune trace de ces faits'dans les archives administratives, au reste assez pauvres en la matière. L'établissement de Pays Indien, et du siège de la section de l'Oyapock pose un certain problème : n~l ne parle de ce village avant une date relativement récente. ARRONDISSEMENT DE CAYENNE LES CANTONS DE L'EST

, -4 ,, ?" ,, ~ 1 -4 ,, .... ,, -'V .,. ,• ".. \,, ./ , (;) ,, ~ c:.- \ \' 1 ~ 1, '\ '\ '\ \ ,1 A 1 \...... \, /. <: '\', 1 .'-! \ 1 ,.i ~ ,, ,- ~ 1 \ 1 ~ , 1• 1 , -...J , ,_JO • " 1 , 1 ' 1.... \ .... \ 1 \ . .' < \ ! "...... \ 1 ~ "·eI-,,' '\, ,."'._."'-- "( . 1 Ci? ", . ,.., " " ~ ",' -1 t:::) , 1 I h- \.. ~. " , .' ,• " ~ , '. .. \ ~ ,, , ~' l4J ,1 CI) 1 1 e-, , \ tv .... ."~'''''''' '\, ( ... ~ V". ~ ~ , <::) , 1 ~ ct: ,l ct ,, -- .-:.....-. , ~ ,, ,, 'LEGENDE ,, , ,. , ...... Li;;i,te dIS cOl'Y)mu:n'es ,1 ,,, 1 --_._. LÎmi te du ton tons 1 -++~~ .. L'lm~ t t des arrondissements te "'IC _ '\ ---- Il,, ' ", -- •" , .. ",+++++++",.1 .. 11.1.500000~ -"Ir Echelle: - '.'~-. * 26

Pourtant, il est incontestable qu~ Pays Indien est peu à peu devenu le lieu de regroupeoent des agriculteurs autrefois dispersés en amont.' Si les informa­ -tions orales qui nous ont été données sur place sont exac- -tes, il y a alors un certain pnradoxe dans le processus d'accroissement de chacun des hameaux de cette comBune i du temps où il était siège de section, Pays Indien n'était numé­ -riquement presque rien et se résumait en fait à sa seule fonction administrative; rn revanche, Ouanary regroupait déjà quelques agriculteurs. A partir du moment où il a commencé à former un véritable village, Pays Indien a perdu cette fonction administrative dont il était né, et ceci au profit d'Ouanary qui cOilloençait à subir une certaine ten- l , -dance au dépeuplement.

Toujours est-il qu'aujo~rd'hui, quoiqu'il soit l'égal d'Ouanary au point de vue population, Pays Indien n'en est qu'une dépendance udoinistrative, et n'a acquis, pour tout bâtiment public, qu'une minuscule école qui doit encor~ servir de chapelle lorsque le curé de Saint-Georges monte, u~e fois par mois, dire la messe dans chacun des deux villages. LES DONNEES DEMOGRAPHIQUES

La Commune d'Ouanary connait le m@me phé­ -no~ène de dépeuplement que la plupart des campagnes guya- 1 , -naises. Au recensement ~'Octobre 1967, l'INSEE Y reperto- -riait 157 pabitants (1). Au début de l'année 1971, notre enquête n~ nous n pas permis d'y dénombrer plus de 107 personnes.

Il ne faut cependant p~s en c9nclure que cette commune a perdu 50 habitants en trois anso En réalité, la différence provierit aussi de~ règles appliquées par l'INSEE depuis 1961 : les gens sont cooptés dans la com~une où ils déclarent avoir leur résidence, même si, au moment du recensement, ils se trouvent ailleurs, pour des raisons telles que serv~ce militaire, scolarité ou travail de chantier te~­ -poraire.

Sans doute valable d'une façon générale, ce procédé aboutit, en Guyane, à une surestimation de la population de certaines commune~ rurales, précisément celles qui ont tendance à se dépeupler. En effet, les déplacements conçus au départ co~me temporaires, constituent ici, très souve~t, la première étape d'un véritable exode vers la ville. Le chiffre avancé par l'INSEE représente donc, vrai­ -semblablement, un état de +3. population "réelle ll d'Ouanary, légèrement antérieur à 1967. Mais nous aborderons plus en détail cette question de l'exode rural dans un chapitre 1 ultérieur.

Dans l'immédiat, nous voulons simplement présenter les caractères démographiques de la commune, tels qu'ils ~ous sont apparus à travers nos propres données de terrain. Toutefois, nous devons préciser, au préalable, que nos renseignements concernant les Indiens Palikour sont insuffisants~ Le recensement INSEE ne fournit d'ailleurs aucune répartition ethnique nous permettant de les contr6- 1 -1er.

En dressant la carte des Indiens de la' Guyane française en 1958 (2), J~ HURAULT estimait que les villages Palikour du Moyen Ouannry regroupaient environ 50 personnes.1 Les recensements effectués par l 'administra-• -tion de Saint-Georges accusent une totale désertion de • 1 • , cette région par les Palikour, entre 1959 et 1965. Mais en 1966, on en retrouve un groupe dluné trentaine, à 1 Petit Toucoucb~, lequel se réduit à une dizaine en 1970 •.

(1) INSEE: Résultats statistiques du recensenent général

de la population1 des1 D.O.M. effectué le 16 Oc- -tobre 1967. Guyane.

1 1 HURAULT: Les Indiens du littoral de la Guyane of.. J. 1 française. 28

" Personnellement, au début de l'année 1971, nous n'avons rencontré qu'un seul village abritant quatre 1 personnes, et il nous a été affirmé que c'était le dernier. Ces ~luotuations des effectifs des Palikour sur la commune d'Ouanary, proviennent de~ migrations que ces derniers font à travers toute la région. Il semble qu'actuellement, ils aient été s'installer en aval du fleuve Oyapock, au lieu-dit Trois Palétuviers, où nous avons pu constater, en longeant oette,rive en canot, la présence de plusieurs nouveaux car­ -bets~ Mais cela ne veut pas obligatoire@ent dire qu'ils ont définitivement quitté l'Oua~ary : cette nigration peut très bien n'~tre que temporaire.

Toujours est-il que dans les chiffres qui suivent, nous avons préféré ne tenir compte que de ce que nous avons réellement pu voir. Aussi faut-il appliquer à la faiblesse numérique des Indiens, toutes les réserves l , que nous venons d'exposer.

1 - Créoles ••• 000Cl ••••••••• 101

ETHNIE Palikour •• ~ •00••••00••• 5 t- a r-l "Coolie" (Indes) • • • 0 .00 l

, Ouanary •••••••••0•0•••• 53

RESIDENCE Pays Indien • • • 0 • • 0 • • .0. 50 t- , a r-l Crique Toucouchi •• 8 •••• 4

Hommes .... • • • 0 • •••• 0 .•• 57 t- SEXE 1 a Femmes • • • 0 • • • • • ...... 50 r-l

Populo.tion adulte •••• a • 55 AGE t- Enfants moins a de de 15 anE. 52 r-l

La pyramide des ages que nous avons étab~ie (cf. page suivante) ne porte pas sur l'ensemble de la popu­ -lation répertoriée dans les tableaux précédents, mais uni- -quement sur celle à laquelle nous avons pu faire passer un 1 questionnaire détaillé. Cette restriction concerne les Indiens de Touçouch~, et une famil~e créole (nombreuse) d'Ouanary~ Nous avons pu cependant considérer 94 cas qui donnent, nous semble-t-il, une idée à peu près exacte de la courbe des ftges. PYRAMIDE DES 'AGES

HOMMES FEMMES -52 42 Age

1 ! \,! l- t l '. I -, l ..

80 • ----....-~ ••• -_.,.., ... "'t-- -_ ... +- - 1: ! 1 , ·75 .,...... t",.~ t· ~, ! 1 70 ,: ! ~"l ! .. --_....------~. "·"î _. ; .;. ... 1· -1

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CHAPITRE II

LE DETERMINISME DES SITUATIONS PASSEES

LES DEBUTS DU QUARTIER 'DrOYAPOCK~

Avant l'arrivée des Européens, la région du Bas-Oyapoek et d y l'Ouanary était peuplée par de nonbreuses tribus,indiennes. On a d'ailleurs découvert un gisement de débris_de poteries dans les grottes de la Montagne des Trois Pitons, lequel n'a malheureusement pas été étudié, mais prou­ -ve au noins que l'occupation de cette zone par les Indiens est très ancienne.

Cette reg~on a connu une colonisation pré­

-coce et mouvementée.1 Les preDières• tentatives furent l'oeu- -vre des Anglais. En 1604, Charl~s Leigh aborda sur la rive gauc~e du fleuve, avec 46 hommes, et voulut y fonder une colo­ -nie. Mais des problèmes d'organisation et surtout de salu- -brité contraignirent les survivants à évacuer les lieux en 1606~

Deux ans plus tard, un autre Anglais, Robert Harcourt, débarquait en Guyane, et laissait une vingtaine d'hommes à l'Oyapock, avant de poursuivre sa route vers le Maroni. Mais aucune aide ne vint renforcer 1 la colonie anglaise qui fin~leDent disparut.

, Toutefois, Harcourt n'avait pas renoncé à son projet. Rentré en Angleterre, il réussit à réunir u~e centaine de personnes; et en 1627, il revenait à l'Oyapoc,k avec cette troupe. Il subit cependant un nouvel échec quf, cette fois, mit un terme aux tentatives anglaises dans cette partie du littoral sud-américain.

Les Français' s'imposèrent peu à peu sur la c8te orientale des Guyanes : ce ne fut ~as sans se heur­ -ter à la rivalité des puissances voisines. Les Hollandais, déjà installés plus à l'Ouest, occupèrent le pays à deux 1 reprises. Tout d'abord en 1657, ils s'é~ablirent dans l'Ile de Cayenne que les Français avaient désert~au profit des 1 Antilles. Sous la direction de Sprenger, ils y entrepriren~ de grandes plantations, et poussè~ynt quelques incursions . aux embouchures des autres.fleuve~. Mais en 1664, La Barre, à la t~te d'une troupe impqrtunte, les obligea à capituler. Les Français firent preuve, alors, d'une grande activité ~ soutenus par leur nouvelle "ColJlpagnie des Indes Occidentales", 31

aidés par un apport de 250 esclaves noirs, ils purent étendre les plantations de Cayenne, et s'oc9uper d'installations se­ -oondaires telle oelle de l'Oyapock.

Ce premier essor dev~it vite ~tre brisé par le oontre-coup des guerres eu~opéennes. En 1676, les Hollan­ -dais envahissaient 'à nouveau la Guyane, et se rendaient en- -tièrement mattres de ln cete, et en particulier de l'Oyapock, en y envoyant 150 ~omoes et femoes,et en y faisant construire des fortifications.

Cependant, une expédition française, . conduite par l'Amiral d'Estrées, reprenait, la Bême année, possession de Cayenne. Les Hollandais de l'Oyapock se ren­ -dirent alors sans opposer de défense. Mais les Français n'a- -vaient pas ass ez d' hOlloes sur plac e pour occùper le fort, et celui-ci fut rasé.

Néanmoins, l'Oyapock allait rapidement redevenir un quartier stratégique. Les Portugais, qui jusqu'alors avaient respecté l'embouchure de l'Amazone comne limite de la Guyane française, finirent par se ré­ -pandre dans le territoire de ~'Amapa, et ce fut le début du contesté franco-brésilien qui devait connattre.plusieurs rebondissenents au cours des siècles suivants (l)~ Les Portugais commencèrent par y construire des fortins, dont un à Mncapa, puis de là, ne tar4èrent pas à empiéter jusque sur la rive gauche de l'Oyapock.

Pour mettre fin à ces prétentions, le Gouverneur d'Orvilliers décida, en 1725, de rétablir un , fort à l'emplacement des anciennes positions hollandaises. Les Portu~ais ripostèrent en tentant de prendre la Montagne d'Argen~ (2), située plus à l'Ouest, nais en furent vite chassés.

(1) En 1713, au traité d'Ut~echt nettant fin à la guerre de succession d'Espagne, la frontière fut fixée à la "rivièrE;! Yapoc, Baie Vincent Pinson"~ mais les coor­ -donnée~ géographiques de cette linite n'étant pas pré-

-cisées, cette clause provoquar des contestations au niveau de son application. La frontière ne fut défi- -nitivement fixée à l'Oyapock qu'en 1900.

(2) La Mon~agne d'Argent était ainsi désignée parce qu'en 1700, on avait découvert des gisenents de ce minerai, dans ln région~ On n'en a jaüais retrouvé en cet en­ ~droit par la suite. En fait, il senble qU'il y ait eu une confusion sur l'enplacenent de cette découverte que certains prétendent avoir été faite à la Montagne des Trois Pitons; appelée à cet égard Montagne d'Argent. Mais le non est resté au pronontoir 0uest de la Baie d'Oyapock. 32

Les Français naintinrent donc une petite troupe au fort Saint-Louis de l'Oyapock, et ,ce fut le début. de la véritable colonisation de ce quartier. L'année suivan- -te, le Père Fauque, de la Compugnie de Jésus, en fut nommé directeur spiritueJ.. Son premier soin fut. d' Y édifier une église, "Saint Pierre". Puis, animé p~r la 'Volonté d'évangé­ -liser les Indiens de la région, il fonda, avec l'aide d'au- -tres Pères Jés~ites, quatre missions, dont une sur la rivière Ouanary en 1738.

Le Père Fauque entreprit ensuite de faire de la culture et de l'élevage, et gr~ce à lu main-d'oeuvre rassemblée dans un village Indien à proximité du poste mili- • J -taire, il put avoir une petite ferme prospère o Mais la paix fut de courte durée: en ~744, un corsaire anglnis et son équi­ -page s'enparèrent du fort. Ils pillèrent tant et si bien la caserne, l'église, l'éta.blisse~ent jésuite, les plantations et ies feroes alentour, que lorsque d'autres corsaires y dé­ -barquèrent quelques mois plus tard, ce fut pour trouver la colonie réduite à néa.nt~ •

Le Fort Saint-Louis fut reconstruit en 1748, et l~ quartier d'Oyapock reprit peu à peu son essor interrompu. Toutefois, les Indiens s'étant dispersés, l'en- r -tretien des plantations nécessitait l'apport de bras nouveaux. Déjà, quelques esclaves africains av~ient été importés,à l'Oyapock durant la première moitié du XVIIIè~e siècle. Ce . mouvenent ne fit que's'accentuer, et la main-d'oeuvre servile noire devint bientôt la population dominante de cette région, comae de toute la Guyane. LE QUARTIER D'OYAPOCK, AU XVIII~ SIECLE

Montagne Cap d'Orang.c d'Argent ....

B a e

d'Oyapock

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Mis~ion t Ouon,?ry

- LEGENDE -

+ Missions Jé~uites (début du XVlll~siècleJ

BIB Polders fin du xVII.:siècle

ECHELLE: 1/ 200.000~ 34

LA REGION D10UANARY AU TEMPS DE LfESCLAVAGE

Si les évènements qui marquèrent l'im­ -plantation militaire et chr6tionne, à l' Oya.pocI" sont relativement bien connus, il n'existe, en revanche, aucune information précise qua~t aux premières installations de colons da.ns ce quartier.

On sait simplement que pour favoriser la ~olonisation civile autour du poste de +'Oyapock 7 il avait été octroyé, à quelques soldnts, ,un congé absolu .leur per­ -metta.nt de devenir agriculteurs. Ainsi, en 1728, il Y avait 16 "habitants" à l'Oyapock, dont 12 soldats mis en disponi- 1 -bilité. En 1731, cette mesure fut étendue à tous les solda~s qui désiraient s'établir dans cette région. Le nombre des ha­ -bitations augmenta donc légèrement ~ ]lcÙS 1 es plantations n' é- -taient encore que de faible envergure; il s'agissait en . fait de petits abattis, résultant de la technique de culture itinéra.nte sur brÛli~, en terres hautes, telle que la prati­ -quaient les Indiens.

Le véritable essor. agricole de cette contré y ne commença qu'avec l'Intendancre de Malouet, à partir de 1776. Malouet se consacra tout d'abord à une inspection minutieuse des terreS et des habitations de tout le littoral: A son re­ ~tour; il dén9nçait la pauvreté des terres hautes en regard des terres basses. "Trop abruptos~ ravin6es par les pluies torrentiel1esi e110s sont dépouil16es de leur humus au bout de quel. -ques, années, ot deviennent stériles•••• Il n'y a qu'un endroit où le sol ne s'épuise jamais, où tout p1ante~r serait assuré de plantureuses r6co1tes jamais diminuéesl ce sont les plaines d'alluvions profondes, au limon gras, ]l-nondées par les grandes marées. C1est là que se trouve 10 grand avenir agricole du pays.

. Pour se familiariser avec les procédés de poldér1sation dont il envisageait ltapplication en Guyane; Malouet décida alors d'aller visiter les réalisations hollan- . • 1 _J -daises au .surinam. Il y rencont::ra l'ingénieur suisse.Guisan, dont il s'adjoignit les services. Guisan s'attache surtout à mettre en valeUr les marécages de la Ba.sse-Ap~rouague, situé~ à proximité du bourg qui porte depuis so~ noma Mais son exem­ -pIe fut suivi ailleurs, et en particulier à la Ba.ie de l'Oyapock, ,où les dessèchements eurent paradoxalement plus longue vie. 35

Deux grandes plantations naqttir~ "nina~: dans la reglon d'Ouanary : l'une au pied du versant Sud de la Monta~ne Bruyère, l'autre en contre-bas de la Montagn~ d'Argent. Les levées de terre et les canaux effectués à cette époque apparaiss en.t encore très nettenE?nt a';1j ourd 'hui, sur les photographies aériennes (cf. carte p. 33).

De par l'importance des travaux de drai­ -nage accomplis et des surfaces mises en culture, chacune de ces plantations a nécessité un nouvel apport de main­ d'oeuvre servile, laquelle est à l'origine de l'actuelle population de la régi9n d'Ouanary. Malheureusement, les données concernant ces esclaves sont limitées et parfois 1 incertaines~

Sur le plan des archives, nous n'avons que des rapports officiels établis entre 1840 et 1848 : Louis-Philippe avait en effet exigé, à partir de 1840, qu'on lui envoy~t des états réguliers de la co~dition des esclaves dans les diverses colonies françaises~ Le but de cette décision était d'instituer un "protectornt" et de contrôler ainsi le régime esclavagiste dont les abus conmen­ -çaient à émouvoir l'opinion publique. Les uaGistrats 0010- -niaux avaient donc pour nission d'effectuer des tournées 1 périodiques d'inspection, et d'en consigner les résultats.

Mais en' Guyane, la réalisation de ce. plan fut extr~nement malaisée: l'étendue du territoire, l'isole­ -ment et l'éloignement d'un grand nombre d'habitations, la difficulté des communicntions souvent réduites aux seules voies naritines et fluviales, rendirent inpossible toute inspection systématique en-dehors de l'Ile de Cayenne. Le quartier de,l'Oyapock resta, en particulier, l'un 4es moins bien connus.

Dans l'un de ces rapports, datant de 1843, il est écrit

ft Le quartier dlOyapock est dépeuplé. Avec peu d1esclavas, les habitants ne sauraient se livrer aux grandes cultu­ -res : le bois, le ma1s, le manioc, le cacao, le café, un peu de rocou et de coton, font llobjet de leurs soins••• "

Pourtant, si l'on en croit les dires des gens d'Ouanary; ces constatations ne pourraient guère s'~ppliquer qu'aux petites habitations dispersées aux nlentours du poste de 110yapock~ A la veille de l'émancipation; il i avait encore. les deux grandes plan~ations de la Montagne d'Argent et de la Mon~ngne Lucas (1). Et si celles-ci ne regroupaient peut­ être p~s des effecti~s d'esclaves aussi importants que leurs débuts, sous Malouet, a.uraient pu le laisser espérer, elles restaient cependant d'envergure honorable:

.' {l) Montagny Lucas est l'ancienne appellation de la Montagne Bruyère.

,'C· 36

A la Montagne Lucas, il y avait une grande distillerie de rhum, et 300 Noirs travaillaient aux planta­ -tions de canne à sucre faites en grande partie sur les terrain~ drainés, et en plus faible nesure au flanc de la' colline. Ces esclaves étaient uêne, parn1t-il, sélectionnés avec beaucoup de soin pour leur force et leur haute stature.

A la Montagne d'Argent, ,il y avait égale­ -ment une nain-d'oeuvre servile nombreuse. Le "Grand Négrier" .' du lieu, Monsieur Doudon - on retrouve effectivement ce nom dans les textes officiels - prntiquait souvent des écha~g~s d'esclaves avec le "Grand Négrier" de la Montagne Lucas. L'une des faoilles les plus importantes d'Ouanary serait d'ailleurs descendante de l'un des esclaves de la Montagne d'Argent précisém~nt déplacé à la Montagne Lucas, un peu avant l'abolition.

Sans doute n'est-il pas sftr que ces souve­ -nirs, perpétués par la tradition orale drs paysans d'Ouanary; soient toujours très fidèles à la réalité. Néanooins, confroh­ -tés aux quelques rares données officielles relatives au quar- -tier de l'Oyapock, ils nous permettent d'aboutir à une vi- -sion, sinon ~rès rigoureuse, du noins plus vivante, de ce passé servile.

D'ailleurs, peu importe l'exactitude des détails: Ce qu'il convient de retenir, c'est que la situation d'esclnvng'e a profondénent marqué la population créole d'Ouanary : c'est 1a seule counune où l'on nous ait parlé spontanénent de ce passé loi~tain, où l'on en ait gardé un véritable souvenir collectif.

Pour le reste, il suffit de se reporter aux textes officiels qui donnent un aperçu global de,ln condit~on des ~sclaves,dans ~es habitations rurales de Guyane, au XIX~ siècle. On y apprend, en particulier, que

IILes propriétaires remplacent la ration de vivros qu'ils doivent, chaque semaine, distribuer à leurs esclaves, ainsi qu'il est prescrit par l'édit de mars 1685 uode noir:) , au moyen de l'abandon de portions de terrain, et en leur donnant chaque quinzaine un jour (appelé communément le samedi-nègre), pour y cultiver et y récolter des vivres; cette ressource, jointe à celle de la chasse et de la p~che, procure aux nè­ -gres valides et laborieux des moyens do subsistance qui doi- -vent ~tre suffisants, puisqu 1eux-mtmes préfèrent ce mode à ce lui des rati ons ll • (Décembre 1842). •

"Les esclaves reçoivent, d1après le Code noir de 1685, un vttament par an ; c'est avec une scrupuleuse attention que chaque mattra, sauf un bien petit nombre, depuis deux ou trois ans, remplit cet engagement••••• Avant ce temps, jamais, à la " , Guyane, cet article du Code noir n'avait été régulièrement mis en vigueur par les mattres, les uns dans un but d'intérêt, les autres désirant que 11 esclave, par son indutrie, sa procu~t des v~temeots. Le propriétaire de•••••• faisait avec son 37

" , esclave ,une espèce de contrat; il lui laissait chaque jour,quelques heures, pour cultiver ses vivres, et l~i permettait d1aller les vendre o~ bon lui semblait, à un jour désigné pour chacun; avoc cette saule condition qu'il slachetàt des vOtements•••••• " (Ao~t 1841).

"Sur toutes les grandes habitations, l'hepttal est bion tonu ; la pharmacie est munie de la plupart,des remèdes ordinaire~ent employés•••••• ; mais les soins du médecin manquent •••• ,. Les maîtres en font lloffice, et ont, pour les aider, des femmes plus ou moins expertes, qui sont dispensées de tout autre travail •••••• Les petits propriétaires n'ont pas d'hepital ; ils ont rarement des médicaments••• ils s'adressent à leurs voisins, plus riches••• " (Avril 1842).

, ' "Les,esclaves ont généralement leurs cases tantet faites par eux, avoc des matériaux fournis par 10 mattre, tantùt faites par les soins du mattre et à ses frais, mais sur très peu d'habitations ce dernier mode est employé••• Les habitations ont, pour la plupart, un aspect misérable ••• " (Aoot 1841).

"En général, dans les quartiers dont la culture est facile (cotor) les esclaves commencent leur journée à cinq heures et domie du matin. Les deux ou trois premières ~eures sont passées à des soins divers, ce qui constitue ce qà10n nomme la veillée. Après la veillée, ils se rendent à la tache, d'o~ ils ne reviennent qu'après llavoir termihée. Cette t~che, qui est généralement la tâche arbitrée par Guisan, dure cinq à six heures pour les travailleurs ordinaires. Après la t~che, les travailleurs sont mattres de leur temps jusqu'à sept heures du soir. A sept heures recommence une voillée qui se prolongo jusqu'à neuf et dix heures. Durant cetie veillée, on les occupe à l'apprêt des objots de la culture de l'habitation"••• (Décembre 1841).

"Tout, hors le droit de punir, est vague et indéterminé. On sait où 10 chatiment commence, à la Guyane, on ignore où il s'arrête. L'édit de mars 1685, dans une pensée favorable au noir, défend et ordonne; mais aucune disposition pénale, applicable au mattre, ne sanctionne ses commandements ~u ses prohibitions••• Il en résulte que le pouvoir exorbi­ -tant dévolu au mattre paralyse et absorbe les droits de l'esclave~ ••••• " (Octobre 1840).

A partir de Ces extraits (1), ori voit appa­ -ra~tre les quel~ues particularités du régim~ servile en Guyane française. Il s'avère q~e l'isolement .de la plupart des. plantations y met ~lus qu'ailleurs "en relief~ l'arbitraire des_ pouvoirs du ma~tre. Sans doute, la petitesse et la pauvreté re­ -latives des habitations guyanaises obligeaient-elles le ma~tre

(1) tirés de : Exposé général des résultaps du patronage des françaises~ esclaves 1 dans les colonies 1 Paris. Imprimerie Roynle - Juin 18440 38

à ootroyer quelque liberté à ~resc1ave pour qu~il ne 1cii co~tât rien, ni en nourriture, ni en entretien. Mais d'une façon générale, on ne peut pas dire que 1e.sort des esclaves de ce pays ait été bien différent de celui des esclaves des 1 autres colonies caraïbes ou sud-américaines. Ce fut partout le même arbitraire, la même rigidité des structures aboutis- . -sant iné1uctab1e~ent au m~me effacement de l'ancienne organi- -sation africai~e; et au même processus de reconstruction pro- -prement créole.

., Nous ne reviendrons pas, ici, sur les con­ -séque~ces culturelles et sociales de:~~esc1avage : ces ques- -tions, nous les avons, longuement déve1o'p·~,ées au cours de nos précédents travaux (cf. étude de Mana, op. ~it su~ra) et nous en avons donné les grandes lignes en introduction. Nous ne retiendrons que l'effet médiateur de la situation servile, sur les cféations créoles qui ont pu s'exprimer après l'éman­ -cipation. 39

LA FORMATION DE LA COM:~NAUTE CREOLE

A Ouanary, cornne dans,la,najorité des au­ -tres quartiers de Guyane, l'émancipation a provoqué un chan- -genent brutal: avec le régime servile, c'est toute l'orga- -nis~tion sociale et écononique qui s'est évideBflent écrou- -léè~ Néannoins, il semble que les bases d'un nouveau regrou- -pement aient pu y ~tre assez rnpidement posées, grâce aux mesures prises par le planteur de la Montagne Lucas (1).

En effet, en apprenant le décret d'abol1t~~n, en cette fin de mois d'Avril 1848, ce dernier aurait proposé de donner une parcelle de terrain de 25 toises (50 mètres) de long~eur, à tous les esclaves qui accepteraient, en contre­ -partie, de, travailler sur ses plantations durant encore un mois, pour terniner la récolte des cannes à sucre qui venait juste de commencer. Ces terrains devaient se situer sur le versant oriental des Monts de l'Observatoire, au sein de la concession que ce planteur avait également sur toute la rive gauche de l'Ouanary, et où ses esclaves avaient jus~enent l'habitude de faire leurs petits abattis personnels.

Les volontaires auraient été, para1t-il, assez nombreux, et ,c'est ainsi qu~ serait né le haneau qui allait devenir le bourg d'Ouanary.

Il est certain, de toute façon, qu'à par­ -tir de 1860, commence le norcellenent de l'imuense domaine de cette habitation dite "Le Ouanary", ou plus exactement des terres situées sur la rive gauche de la rivière du m~ne non,;e~tre les Monts de l'Observatoire et.la Montagne des Trois Pitons: une série d'actes notariés en apporte la preuve; et permet de préciser les données; jusqu'alors assez vagues.

En 1859, Monsieur de Goyriena, (qui est probablement le "Grand Négrier" de la Montagne Lucas dont parlent les gens du village), vend aux Frères Romieu' l'ha- -bitation "Le Ouanary". Celle-ci comprend deux lots : tout d'abord une portion de terrain couvrant environ 2.500 hec­ -tares et bornée au Nord par lü Baie d'Oyapock, au Sud par les terres du Domaine Colonial, à l'Est par le fleuve Oyapock, et à l'Ouest par le Ouanary ; il s'agit donc de la plantation de la Montagne Lucas proprement dite, incluant le polder. Le second lot se trouve sur la rive' gauche de l 'Ouanary, et couvre quelques 15.000 hectares: il est borné à l'Est par la Baie d'Oyapock, au Sud par la rivière Ouanary, et au Nord par "la ligne S 61°30" séparative des terrains avoisinant la Montagne d' A:rgl\mt", sur une longueur de 36 ~ 700 mètres à cpmpter:de la o~r.

(1) Nous nous,référons, ici encore, aux renseignements oraux qui nous ont été donnés sur ~lace. Nous n'avons trouvé aucun écrit qui les confirme. 40

Un croquis d'arpenteur; effectué en 1858 d'après un relevé de terrain, donne une idée grossière de l'étendue de l'habitation (cf~ carte p: suivante)~ Ce cro- . -quis es~ le seul qui ait jamais été fait de cette concession~ et malgr~ toutes ses imprécisions, voire ses erreurs topogra­ -phiques, c'est lui qui a ensuite servi de base aux d~limi­ ~tations légales des parcelles successivement vendues.

En 1861, un certain Nathanaël Berville, médecin à Cayenne, achète la totalité de l'h~bitation, qui n'est ~ncore amputée ~ue de quelques parcell§s prises dans le hau~.de la rivière. C'est ce propriétaire, ~uis ses héri~_ -tiers, ,qui vont peu à peu morceler le domaine. Entre 1861 et 1900, les petits agriculteurs créoles de la région font l'acquisition de portions de terrain; couvrant chacune entre 5 et 15 ~ectares, ·et localisées essentiellement autour de trois po~nts : sur la partie orientale des Monts.de l'Obser­ -vatoire,. sur les terres boisées d'uhe zone situ~e en face de la crique Elionore ét s'~tendant vers le Nord, enfin le long de la crique Toucourhi, aux confins de la Montagne des Trois Pitons (cf. carte).

Les Créoles n'ont pas été les seuls à acheter du terrain. Deux colons blancs, dont l'ancien intendant d~ l'habitation, se sont rendus propriétaire~ . de parcelles plus importantes (30 et 50 hectares). Tou~efois9 ils se sont immédiatement mglés à la population locale, et ont légué leurs noms à deux lignées créoles, dont les nom­

-breux 1 descendants sont actuellement agriculteurs• à Pays Indien. En revanche, les quelques Chinois émigrés, venus s'installer dans cette contrée vers 1880, semblent être restes, plus • marginaux.1

Ainsi, si l'on en croit les registres des Notaires de Cayenne, le quartier du Ba~~Oyapock aurait connu, à la fin du XIX~ siècle, un régime' de tenure foncière basé sur la stricte appropriation du sol : les cultivateurs possédaie~t les parcelles qu'ils exploitaient ; to~tes les autres terres appartenaient aux héritiers Berville.

Mais la vision officielle était en fait bien loin ae la réalité~ Un arpenteur du Génie Civil, chargé de localiser sur plan~ une concession venant d'être vendue? écrivait à ce propos 1

UNous ne garantissons ni la contenance, ni la position. géographique de cetto concession, attendu qulil n'y a jamais eu de délimitations dans ces parages, pas plus que de points de repère, les propriétaires sJinstallant eux-mêmes à leur guise ll (1884).

n \ LE DOMAINE DE L'HABITATION "LE OUANARY " A .LA FIN DU XIX~SIECLE

~\\\ 111/ 1111111. • , f ~~!lI~ .$ 7~KI • ~ fNlIUllb1t1111 • ~//jlll/,. //ll/llnlllllnllbfllnllllV. ; ~ ~hlll.!'1 WltllJlllhll.· . ••• e d'OYAPOCK 1111111,' 0 1//qIIQI \1 \11//1. ~\IUIIIII""ll/fllhh1 .• ~' ~ ' Bai n t 11 ~: ••• ~ d nrnn\I\\I\\ ~ \~ Iqq,1 ~\\\I/111. o'••••••• ~ ~. "tfltllflll(ffllffUIfR ~ 1' O' ~/~\ IIII/Jlnf,.~·~~ :::: :.: :•:::: :.: : /11111/111. h . : WI/lJIIIIII. s.e r Vat 0 • . ~ •• ~ :::• i . : : : : : : .. ::: : WIII/lllllllt. Il l e~"":: .~~••• •• ". ,r ~~ ::: ••••• ::: , u /IIIIIIIKh!ll/l1l h .' • ." ••••••••••• •• if' ...•.....•.•

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Poi~te Bruyère ....:.'. ':'.:::::~~\~;\\\'â..t\·\\·····"·:·

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'1B~0e~80 d~ppr-~scr-oqu'ls' , G) { , d or-pentcur-.. ® {EmPlocemetnt appr-oximatiF des' R'\ autr-es Lots det par-celles ~ d',?pr-~sactIfS notar-;;s

ECHELLE: 1 100.000~

·a, '.~ . ".' 42

En fin de compte, il semblè'bien que ces titres de propriété n'aient guère représenté, pour leur dé­ -tenteurs, qu'une sorte de garantie de leur droit à culti- -ver la terre librement, dans cette région ayant autrefois appartenue au "Grand Négrier" dont ils étaient esclaves (1).

En vérité, comment auraient-ils pu respec­ -ter les limites, d'ailleurs imprécises, des concessio~s qu'ils acquéraientr, puisque leur mode de culture était llitinérance ? Car il est à noter qu'après.l'abolition; le polder de la Montagne 'Lucas a été rapideme~t abandonné, sans que nul particulier n'essaie; par la suit~, d'y faire la 1 • , moindre exploitation. Les agriculteurs cr~oles se sont au contra~re tournés vers les terres boisées; p'our continuer à plan~er dù manioc~ à la façon des Indiens: n'était-ce pas là, ce qu'ils avaient appris à faire, au temps de l'es­ -clavage, lorsque le mattre les obligeait à produire, eux- . m~mes leurs propres vivres ?

Quelles qu'en soient les ap~arences léga­ -les; les. Créoles de la région d'Ouanary n'ont pas réagi, à l'émanc~pation, différemment des autres guyanais: pour eux aussi, la liberté a cçnsisté à partir cultiver, à leur guise, un abattis vivrier. S'il est possible que certains aient immédiatement occupé les terres concédées par le mattre, aux Monts de l'Observatoire, et aient form'é un pe1?i ~ hameau, d'autres ont préféré s'installer en amont: ,dès l8~0, il y avait des agriculteurs.sur la crique Toucouchi. Il s'a­ -gissait en fait de terres relevant de l'habitation du m~+- -tre, mais qui, jusqu'alors, n'avaient pas été exploitée~. Les titres de propriété ne sont intervenus que plus tard, et le regroupement des parcelles,vendu~s a surtout été un phénomène formel: en l'absence de tout repère autre que quelques collines et cours d'eau, on ne pouvait so~vent borner les concessions que l~s unes par les autres. ,. . Sans doute, les troi~ lots de parcelles, qui apparaissent sur le ~lan précédent, Qnt-ils correspondu a trois points d'impact: de mémoire d'hqmme, on a toujours, fait des abattis sur la crique Toucouchi, sur t.es Monts de . l'Observatoire, ainsi que dans la zone médiane. Mais lliti-. -nérance a obligatoirement engendré une certaine dispersion, élargissant les horizons agricqles, de sorte que le paysan y puisse trouver, chaque année, un nouvel abattis propice 1 au manioc.

co. (1) On ne comprendrait p~s, sinon pourquoi ces actes de proprié~é sont peu à peu tombés ~n désuétude, à partir de 1900. Aujourd'hui, il y a encore des héritiers Berville qui légalement possèdent toutes les terres de la concession qui n'ont pas été vendues~ Il est vrai que nul ne doit plus savoir où commencent ces terres et où finissent celles autrefo~s achetées par les paysans des bords de l'Ouanary. Toujours est-il que les descendants de ces derniers sont actuellement persuadés d'~tre installés sur le Domaine Départemental~ 43

C'est à partir de cet isolement relati~ des exploitations qu'ont pu naftre les pe~ites unités ~a­ -miliales d'autosubsistance. L'agriculteur a commencé par se construire un carbet sur les lieux d'abattis, et y est allé vivre, en compagnie de sa femme et de ses enfants. Il . a pu alors, avec l'aide de ces derniers, apporter un maximum," de SO~hs à la culture du manioc et à la fabrication du couac, .' de façon à avoir une réserve permanente de cet aliment de base~ It,:=t égale~ent planté des "légum~sll (dachines, ignames; patates••• ), un ~eu de coton, et autour de sa case, quelques_ arbres fruitiers, des plan~s de.piment, des pieds de 9aféier, de cacaoier et de rocouyer. A cette époque, chacun faisait soi-m~me so~ café, son chocolat, et aussi sa teinture, car i~ para1t que la ~lupart des h~bitants possédaient alors un ,. moulin à rocou. Enfin en entreprenant régulièrement des expé­ -ditions de chasse en forêt, et de pêche en rivière, le

paysan d'Ouanary est parvenu à 1 obtenir une diversification satisfaisante de sa nourriture.

L'abattis est donc devenu le cen~re de production et de consommation de la famille créole, laquelle est toujours restée limitée à sa seule formation nucléaire: dès qu'un f~ls ~tteignait l'âge de fonder un foyer, i~ par­ -tait cultiyer son abattis personnel et construire son pro- -pre carbet, à une distance parfois assez grande de Ithabi- -tation de ses parents, suiva~t un principe de néolocalité encore en vigueur aujourd'h~i.

~ ••1 Toutefo~s, cette individualisation des petites unités familiales, isolées dans l'autosubsistance, s'est trouvée immédiatement compensée par un certain nom- 1 -bre de pratiques collectives. Dans les villages agricoles de Toucouchi ou Ouanary, les gens ont conti~ué à se réunir leDimanch~ et les jours de.fête, pour célé~rer le rituel catholique. Ces cérémonies se poursuivaient, généralement, par un repas pris en commun, à l'issue duquel s'exprimait tout le,folklore créole: danses profanes et lascives des couples, ou danses de possession aux réminiscences afri­ -caines, tel le "cassé co" effectué au 1 ry·thme de tambours ou d'instruments de percussion improvisés.

Mais la création créole la plus intéressan­ :.:..te a été; sans conteste, ce+le du "Mahury" (1) ~ Pour que les nouveaux champs soient défrichés et brÜlés avant que ne tombent les premières plùies; les agriculteurs ont pris l'habitude de conjuguer ·lcurs~·'e,:f:f.orts.C' est-à-:dire qu'au lieu

J (1) Nous ne faisons ici, qu'indiquer sommairement les choses: les techniques culturales et la pratique du "Mahury" ayant subsisté jusqu'à nos jours, nous en donnerons les

détails en abordant la question des structures1 socio- économiques actuelles, au chapitre suivant. 44

de passer un nois ou d~ux à d~brousser seul, lot par lot, son futur,abattis, le paysan a choisi de faire appel au "coup de gain" de ses voisins et de ses anis, s'engagean"j; en retour, à aller aider chacun d'eux au nonent opportun. Ainsi s'est institué un systène d'entraide collective, dont l'esprit de réciprocité était particulièreoent apte à créer des liens solides entre les nenbres d'un groupe par ailleurs dispersé. Et ceci d'autant plus que les "Mahury" étaient le fait de volontaires, se réunissant en fonction de leurs rapports d'affinité et non pas seule­ -nent de voisinage: la coopo~ition de chaque "Mahury" ,variait selon le bénéficiaire. C~tte pratique d'entr§ide instaurait donc un réseau d'interrelations Eultiples, abou­ -tissant à ~'un~fication de toute la région, depuis Toucouchi jusqu'à,O~anary. On conprend alors, que par ces réunions laborieuses, auxquelles participaient jusqu'à 40 ou 50 per­ ~sonnes, c'est toute l'apparte~ance à une seule et n@ne connunauté gui a pu s'expri~erQ

Néannoins; vers ces années 1880, la connunauté créole d'Ouanary était encore empreinte de • 1 contradictions. L'unité faniliale de bas~ deneurait très instable: le oariage légal n'existait pas; le nariage 1 coutunier n'était pas une règle, En fait, le nodèle le plus répandu était toujours celui de la polyganie succes­ -sive, conne à l'époque servile; et c'étaient préciséoenr les réunions collectives qui en favorisaient le naintien.

Car en réalité, tout conne les fêtes, 1 e "Mahury." était une pro.tique, issue de l'esclavage. Au tour du poste de l'Oyapock f nonbreux étaient les ?etits planteurs cultivan ~ '~ur brÜlis du mmioc, du coto~ et des 'prod~its vivriers, et ne possédant que quelques esclaves: il.leur. arrivait alors fréqueooent de se pr@ter, tour à tour, leur main-d'oeuvre, pour que certaines tâches agricoles, tr~bu­ -taires des saisons, soient plus rapidenent effectuoes~ Or, si l'on en croit les souvenirs créoles, lors de ces rasseE­ -blenents o~ étaient n@lés honnes et femnes; le travail se faisait dans une atnosphère beaucoup plus détendue que celle des tâches quotidiennes, il était généralenent suivi de jeux et de danses, de sorte que ces nonents, étaient rela- -tiveDent prisés par leurs p~rticipants. , Sans doute, de par l'ampleur de la plan­ -tation, les esclaves de la Montagne Lucas n'ont-ils vrai- -seobla?le~ent pas été assujettis régulièrenent à cette . coutume. Ils ont cependant su en apprécier lcs avantages, puisqu'à l'instar des autres, ils l'ont spontanément adoptée lorsque l'émancipation les a placés dans des conditions de vie sonne toute très proches de celles des ~etits colons de la période antérieure. 45

En reprenant à leur compte ce système d'entraide agricole, les Créoles libérés en ont évidemment changé l'esprit, dans la mesure où il~ en ont fait un rassem­ -blement des efforts librement consenti par chaque partici- -pant~ Mais ils en ont aussi conservé, voire accentué,' ce caractère de joyeuse rencontre entre hommes et femmes = c'est durant ces moments de vie collective que les couples se fai- 1 -saient ét se défaisaient.

Finalement, la communauté créole s'est formée dans l'affrontement de tendances opposées~ D'un c8té,. l'autosubsistance dans l'isolement de l'abattis a permis à la famille nucléaire de s'ériger en unité de base du systè­ -me villageois; d'un autre c8té; l'instauration de pratiques _ col~ectives a apporté la dimension communautaire ; mais cette _ vie_collective a également perpétué les habitudes de promiscui­ -té, et par là-mê~e, est venue contredire l'élaboration fami- -liale précédente•.

En d'autres termes," trente années d'existe~ce n'ont pu suffire à la communauté nouvelle l?our prescrire à, tous les niveaux de la réalité socio-culturelle. Les premières rè­ -gles ont surtout résulté d'une organisation de la survie: le

joug servile était encore trop proche pour que le Créole 1 accepte d'autres contraintes~ L'individualisme a donc conti­ -nué à prévaloir dans tous les domaines où la création d'un • 1 ordre nouveau n'était pas vitale.

'.. 46

LE CONTRE-COUP DE L'ORPAIL~AGE

Hormis les questions d'appropriation du sol, dont on a vu les limites, on ne ~eut pas dire qu'Ouanary . ait connu des débuts différents de ceux des autres communautés guyancises égalemen~ nées de l'émancipation 1 le cas de Guisan7 -bourg, par. exemple, relève d'une analyse en termes semblables. M~is à partir du moment où la ruée vers les mines d'or de l'In­ -térieur.e~t venue boulever.ser l'évolution de la société créole d~ ce pay,s, Ouanary a pris~ par rapport aux autres bourgs du littoral, un tour original.

Sans doute a-t-on découvert de l'or dans la région ~ plusieurs personnes; généralement des négoyiants de Cayenne, Y 9nt possédé des concessions minières (cf. carte page suivante). Mais ces gisements se sont avérés d'un intér~t réduit en re~ard de ceux de la Mana, du ou de l'Approuague.

Aussi, les gens d'Ouanary qui so~t allés fouiller les proches criques pour chercher fortune, n'9nt pas trouvé matière à rester bien longtemps "dans :l;.es bois". Cer­ -tains d'entre eux ont alors ch9isi d'émigrer.vers les zones de plus grande renommée : p~r le Haut-Ouanary, ils pouvaient passer sur la rivière Courounye, où l'exploitation ar~isanale de l'or était déjà prospère, et m~me de là gagner le fabuleux bassin de l'Approuague ; par l'Oyapock, ils ~ouvaient égnleme~t rejoindre les centres d'orpaillage du Cam9pi. Il est difficil~ de savoir quelle a été ltampleur de ce mo~vement d'émigration, car ceux qui ont cédé à la fièvre de l'or, ont abandonné défi­ -nitivement cette région trop en retrait de la grande anima­ ~tion minière~

Toujours est-il que b~qucoUp de paysan~ o~t préférd reprendre le sabre d'abattis, et pou~sui~r~ l~effort agricole qui les avait jusqu'alors fait vivre. Dtailleurs, ils n'avaie~t pas réel+em~nt cessé de pratiquer l'agriculture vivrière; les prospections aurifères, qui n'étaient pas m~me le fait de rOus, étaient restées limitées dans l'espace et dans le temps.

Ainsi, au début de ce siècle, alors que tout le littoral guyanais était polarise autour des activités liées à l'exploitation de l'or, ta régio~ d'Ouanary avait résolument conservé sa vocation agricole. Mais c'est juste­ -ment par ce biais qu'elle commençait à subir le contre-coup 1 de l'orpaillage. TITRES MINIERS POUR OR - Bassins Ouanary et Courouày'è -

4

(

Bai e d'Oyapock

1 \.

Il

LE.GENDE

Con tour des titrlZ!> m.nllZrs 1/500.00a~ i ECHELLE : r 46

La ruée vers l'or avait déclenché1 une • situation très particulière dans le reste du pays. Dès "lBBO, les Guy~nais avaient déserté +es abattis pour monter sur les placers. S'ils avaient ensuite été remplacés par la foule des immigrants qui arrivaient, par vagues successives, ils n1étaient pas revenus pour autant à l'agriculture, le petit commerce et le colportage leur offraient des activités plus 1 lucratives.

Car le commerce battait son plein: pour approvisionner les centres miniers de l'Intérieur, les gros négociants de Cayenne avaient multiplié les succursales tout au lo~g du littoral, et leur volume de ventes allait crois­ -sant. Le nombre des orpailleurs ne cessait en effet d'aug- . -menter~

Le ravitaillement d~s placers port~it surtou·t sur des produits alimentaires. Si 1 es c omI!lerçant s importaient les denrées conservnbles d'usage courant, il leur fallait également se procurer les vivres locales dont 1 les Créoles avaient coutume de se nourrir. Il est vrai que l'orpailleur entretenait fréquemment un petit abattis de "légumes" à proximité de son carbet ; mnis iJ_ se dépla.çait trop souvent pour s'astreindre à la culture du manioc dont la récolte n'intervenait que plus d'un an après la planta- I -tion. La demande de couac était donc importante, et ceci d'autant plus qu'étant cuit à l'avance, cet aliment présen­ -tait l'avantage de n'être pas péfissable, et de ne nécessi- -ter aucune préparation culinaire.

Etant donné le déclin généro.l de l'agri­ -culture guyanaise, le ~arché du coua9 slest tro~vé large- -ment ouvert eux paysans de l'Oyapock-. C'est ainsi; qu' Ouana- ,-ry, où l'on cultivait depuis toujours,du Danioc, s'est peu à peu spécialisé dans cette production.

Ce passage ~e l'autosubsLstance à la commercialisation ne s'est év~demment pas fait sans infléchir l'évolution sociale. Pourtant, en lUi-même, le phénomène n'apportait pas un changenent radical: il laissait subsis­ -ter les techniques traditionnelles de l'agriculture itiné~ -rant~ sur brÛlis, et toutes les pratiques qui lui étaient

liées. rIais en rc.ison du contexter dans lequel• il s'est ins- ,. -crit, il est devenu déterninent. On no saur~it comprendre le problème sans reparler du r8le du négociant durant toute cette période : si l'orpaillage a pu laisser éclater l'individualisme carac­ -térisnnt la preuière réaction du Créole émancipé, c'est_ grace à l'organisation cO~lerciale qu'il 0. parallèlement SUSCitée, et qui seul y a donné au mineur le moyen de sur­ -vivre hors du groupe. Or, c'est précisénent par l'inter- -médiaire de ce mame négociant que le cultivateur d'Ounnary 1 s'est nis à participer à l'économie globale du pays. 49

Car en réalité, les paysans d'Ouanary ne se sont pas organisés pour écouler direc1€ment leur couac dans les villages miniers de i'Intérieur ~ ~ls ont laissé ce so~n aux grosses maisons de conmerce de Cayenne. Et si quelques Créole~ de la région.se sont adonnés au transport de crarchandises, à laide de petits voiliers dans le genre des "tapouilles" brés~liennes, les liaisons ont surtout été assurées par les bate~ux que les dites naisons envoyaient régulièrenent à l'Oyapocko

En venant chercher, ,sur place, le couac dont il avait un besoin illimité, en proposant en contre­ -part~e toute sorte de produits d'importation, le commerçant a offert,au paysan, la possibilité q'un Dode de vie axé s~r l'idée de revenu et de consoDmat~ono En faisant de ce marché une affaire de personnes, il a p~rmis à ln vie économique d'échapper au contrale du groupe, et par là-n~ne a solide­ -ment renforcé l'individualisme au détrinent de la collecti- -vité dont les contrai.ntes n- f cvo.i.Ç1n:t jusqu'alors été accep- -tées, qu'en tant que nécessités à l'organisation de ln sur- -vie.

Cette évolution n'a certes Vns conduit la connunauté d'Ouanary à l'état d'anomie qui était celui des Créoles des autres bourgs ou de l'Intérieur~ Cette ré­ -gion n'a connu ni ln fièvre de l'or, faisant du nineur un perpétuel instable, ni l t invasion des il!lIügrants, j;rans­ -forQant ln société guyanaise en foule disparate. Et c'est là toute la différence.

La vie collective a continué comme par le passé f~tes et surtout Il]Llahury'' n'ont pns cessé;de jouer leur rôle de liens entre les diverses unités familiales iso­ -lées sur l~s abattis de r.1anioc~ nais les contradictions sont également restées les D~mes, car le maintien de l'ih­ -dividualisme a privé la comnunauté de toute dynamique so- I -ciale.

En fin de compte, s'il n'a pas vécu pleine­ -Dent la situation d'orpaiilage, Ouanary n'~n n pas moins ,su- -bi les conséquences: au lieu de prendre le chemin de l'in- -tégrntion en se forgeant les règles et les mod~les d'une culture proprement créole, il en est resté au stade de la cohésion et de la création culturelle minimales, des lende­ -mains de l'émancipation~ 50

CHAPITRE III

TRADITION ET STRUCTURES ACTUELLES

L'ORGANISATION RELIGIEUSEs, .. ET FAMILIALE.

Lorsque les Jésuites se sont'i~plantés à l'Oyapock, il n'y avuit encore que des Indiens; et c'est pOUt ces derniers qu'ils ont créé leurs nissions d'évangélisation. Mais celles-ci ont été abandonnées avant ~ue les e,claves noirs ne viennent supplanter en nombre les Indiens. Les Afri­ -cains et leurs descendants creoles n'ont donc pas subi une christianisation très poussée: aucune congrégation ne s'est jamais installée dans cette région, et les diverses habita­ -tions n'ont connu que des passages épisodiques de nissionnai- -res.

Ceci explique en partie le caractère essen~ -tiellement conformiste des actuelles pratiques religieuses : 1 on a appris les rites du catholicis~e, mais non poin~ le dogme. Pourtant, il y ~ aujourd'hui une chapelle et Dême un ,presby­ -tère à OuanarYe Mais il n'y a pas de curé à demeure, et c'est celui de Saint-Georges qui doit descendre dire la messe une fois par mois 1 tandis qu'une femne du viltage est chargée de conduire les prières les autres dimanches.

Tous leseré~les d'Ouanary et de Pay~ I~­ -dien se déclarent catholiques, et la ~lupart pratiquants. C'est-à-dire qu'ils assistent à la messe mensuelle et que les femmes se réunissent pour réciter les prières du diman- 1 -che. Tous les enfants sont baptisé" et les couples mariés légal~nent le sont aussi à,l'é~liseo Tels sont les ,actes qui ~ésuil~nt la vie rel~gieuse. Il n'y a pas de rites ~yncréti­ :"ques, encore moins ,africains : D~me le "cassé co", d'ailleurs très rarement dansé, a perdu son aspect sacré pour devenir strictcnent profane.

En fait, les questions religieuses ne sem­

-blent préoccuper personne, z le catholicisme• 1 fait en quelque sorte partie du statut de citoyen française On en assume le comporrenent général, sans pour autant en observer'toutes les règles. Le mariage légal et religieux, par yxemple, est loin de représenter la forme d'union majoritaire. On lui préfère • 1 souvent le mariage coutumier ou encore la polygamie successive.

La structure faoiliale illustre assez bien la faiblesse des prescriptions catholiques.1 Mais cet état de faits n'implique pas qu'il s'y substitue un ordre socio~ culturel capable de ~rescrire une normalité familiale ou pa- l -rentale. Le choix,du ou des conjoints, en,premier lieu, reste relativement libre. Il existe toutefois des alliances fami­ -liales préférentieltes, CODDe il apparatt dans les trois tableaux qui suivent. LA PRINCIPALE FAMILLE D'OUANARYET ALLIANCES ENTRE. { LA PRINCIPALE FAMILLE DE PAYS INDIEN

A- X

X 1 0 (1) 1 1 ~ ~ l1 ,

1 •, 1 • , 1 1 1 1 x- X =A. -X X-,-.6 X- l . "J! I"'-----!------, : 1 1 ...------l------, l , : 1 1 ~=X1· 6' :1 1 1 1 1 . 1~ '1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 1 l , 6 ~ ==x 6 - 6 x - x- x- ! J" ~ ~ 1 L_ .. 1 1 . 1 LEGENDE (2) 6. ::;::: 1 1 X 1 __., r-----T------r------. Ô .,...X A. Famille A 1 1 l , d' Ouanary 1 1 1 1 1 1 l , 6. 0 Famille B "J"6 6= 6= x= x="J X- de Pays Indien (1).(2) 2 branches de la 'r; famille B X Autres

., . .

ALLIANCES INTRA- VILLAGEOISES A OUANARY ."

.1 .,'"

-x x

li-xT 1 1 r--.J--,1 1 1

T !. 6 x­ -x x 1 1 (8) (8) 1 1

X=6.1 1 1 1 1 1 1 \ x== ·X = -.6 A. X -x •1 (B) (B) 1 ,------1 1 1 1 1 1 1 1 LEGENDE 1 1 1 1 Famille A} . 1 1 ••AO Famille a. d'Oullnary 1:;:. ch =x .80 Famillr a' (b) X autres dontBet bdePaysIndien .'

.'é.. '. ALLIANCES INTRA-VILLAGEOISES A PAYS INDIEN

LEGENDE x ,- '. (1)

... Famille B} > T 6'0 Famille b Pays Ind~e'n (1) (2) 2 brllnches de la famille B . t::,. , 1, X a~tres 1 ,X dont. A et a"d'Quanllry 1 , '1 ~, r------.J------l ' 1 l ' , 1 ', 1 1 X,~~~=r= ==~~ 1 1 1L 66 ., 1 1 1 X==o X-o A '.- 0 (A) (A) ~ 1 1r------!------~ . .& , (2) T X 1 1 ,1 1 1 1 x=:::o x-o 41~~XTX .4~A- X A., X o - X .. , ~ (A) t CA) 't' 1 (a') 1 (A) , 1 ., r-----~----T----r-~~r------~ 1 1 1 1 1 1, 1l 1, 1 1 l' 1 1 1 1 1 1 1 , 1 1 1 1 • 1 1 1 1 l , 1 o' A 6 6 6 6. ~ A

• t 1 !

. . r&,,' ..s. ", 54

Nous avons étudié les cinq principales fauilles de la COffii:J.une (1) : A-o.-a t pour Ouanary, B-:-:b pour Pays Indien, A et B étant les deux plus importantes, et les seules dont on connait les ~ntécédents dépuis la période successive à l'émancipation. Si aucun réel système de par~nté ne se dégage de ces diverses allianc~s, on peut cependant fcire un certain nombre de renarques.

. On constate tout d'~bord que les mariag~s inter-villageois se font entre.A et,B d'une parp (cf. tab. 1), entre a t et b d'autre part (cf. tab~ II et III). Le cas a et b n'existe pas mais est conçu comme possible~ Eri revan­ -che, jac~is A n'épouse b, jafJ.o.is B n'épouse a ni al : cela 1 ne se fait pas, bien qu'il n'y ait pas d'interdiction rigide.

Les mariages entre parents proches sont 1 peu nombreux. On note les seuls cas suivants :

un mariage entre cousins doublement parallèles. - un mariage entre cousins parallèles patrilinéaires. un nnriage entre cousins croisés" - deux mariages entre cousins issus de cousins croisés. Tous les, autres nariages unissent des conjoints sans parenté connue.

On peut enfin remarque~ qutil y a deux cas où deux soeurs épousent deux frères? un cas où un frère et une soeur épousent un frère et uné soeuf; un cas où deux soeurs épousent deux cousins parallèles. . . DanS l'ensemble, ces phénomènes sont trop diver's et'trop rares pour n'~tre pas de simples particulari­ -tés : c'est-à-dire qu'ils proviennent de la faiblesse numé~ -rique du groupe, et non pns de quelque regle., 1

Les seules donn~ es susc ep tibles de ·,faire figure de règle sont celles relatives à la transmission du nom: dans la population actuelle; la patrilinéarité prévaut, dans 90 %des cas; elle est au~si majoritaire dans le passé. Il est toutefois des,~xceptions, notamment pour les familles .. B et b de Pnys Indie~.Dans le tableau III, o~ voit que le premier ancêtre B connu est une femme qui a légué son nom à ses deux fils~ Pour la seconde branche B (2), on a également une femme de la seconde génération qui donne son nom à ~on fils, phénomène qui se retrouve aussi pour la famille b.

. " (1) Les autr~s sont d'origine incertaine, ou bien d'autres connunes, à l'exception d'u~e famille d'Indiens Pa1ikour qui s'est mêlée aux Créoles.

• ~I (2) On ig~ore les lieux exact~ entre les de~x branches B o • D'après les textes écrits, il semblerait que leur ancêtre_ CODnun soit un Bianc venu s'installer dtabord à l'Oyapock, pui s Èt OU2.!l~::rY'·, et ayal1t ainsi fondé deux fnnilles B ici et là, 55

Pou~ interpréter correctenen~ ces excep­ -tions aatrilinéaires, il faut encore constater qu'à cha- -que fois qu'un enfant porte le non de sa nère~ son père a par ailleufs une autre famille à laquelle il a légué son propre non. Et ceci,nous amène à examiner la notion de fa­ -mille en elle-même.

1 En fait, ,l'organisation familiale s'avère mininale. Bien que le coup~e soit moins instable que dans d'autres régions de Guyane, il r~ste encore assez fluctuant: 36 %de la population adulte a connu au moins deux "foyers" (1) ; et pa:r:mi les autres Ç64 %), il est' beaucoup de jeunes qui n~ se situynt que momentanénent dans la catégorie des foyers uniques.

C'est donc dans le cadre de cette relative instabilité qu'il faut placer toutes les exceptions matrili- 1 néaires. Ce sont les enfants issus de couples séparés qui sont la plupart du temps confiés à la mère ou à la famille maternèlle~ Mais ces derniers ne représentent que 25 %des cas. Clest-à-dire qu'en grosse ilajorité (75 %), le système apparatt comme étant patrifocal, selon le Bode européen: l'enfant vit avec son père et sa mère, et est élevé par les deux, le père se chargeant plutet de subvenir à ses besoins 1 la mère s'attachant davantage à ses soins et à son éducation.

Telle est la famille "normale" dans l'esprit guyanais, elle se lioite à sa formation nucléaire, couple et jeunes enfants. Car on applique, dans la plupart des cas, la règ~e de la néolocalitê : dès qu'il atteint l'~ge de tra­ -vaill~r ou de fonder un foyer, soit en moyenne entre 15 et 18 ans, l'enfant quitte en effet le toit de ses pnrents pour aller construire sa propre case et défric~er ses propre~ . abattis, à moins qU'il n'én~gre à Cayenne. Les attaches fa­ -miliales ne sont pas pour ~utant rompues, surtout si l'en- -fant reste dans la comnune, mais elles se relachent tout de m~me, entre frères et soeurs; et à plus forte raison, à la seconde génération, entre cousins, car chacun vit "de son , 1 cete".

On comprend alors ~ue la f~mi~le étendue ne recouvre pas d'unité très précise. Néanilo~ns, elle n'est pas inexistante: il, reste la parynté du nOD, qui correspond surtout à un problèae de localité. Car il faut préciser ,que la règle de néolocalité s'inscrit dans le cadre de la diy'hoto­ -mie entre les deux villages d'Ouanary et de P~ys Indien" ce qui veut dire, coopte tenu de ln transnission patrilinéair~ du nom, que l'on n en fnit un système de patri-néolocalité.

(1) Nous avons laissé la 9-éfinition du "foyer" à l'apprécia­ -tion des interviewés. La notion recouvre de la sorte les concubinages assez longs, les liaisons ayant donné naissance à une descendance, et bien sûr les mariages cout UOlers· et'legaux~, 56

LA TRADITION AGRICOLE

LTagriculture a poujours été l~activité essentielle de.la région d'Ouanary. Aujourd'hui e,ncore, la population, de ~a cotl41.une est, en gr'osse najorité, formée de paysans. Or, 1e mode agricole implique une certaine orga­ -nisation socio-économique o~ ap~araisse~t particulièrement bien les phénomènes de tradition. ,

Si, à l'époque servile, il a existé de gr~ndes plantations sur polders, c'est ce~endant dans la pratique de l'abattis que réside la continuité .: les pre­ -niers colons blancs l'ont adoptée, à l'instar des Indiens; les petits planteurs n'ayant pas les Doyens d'acheter une nombreuse main-d'oeuvre ont ensuite dÜ la conserver; les esclaves noirs 9bligés ~ subvenir par eux-manes à leurs besoins (cf. ch. II), 1'ont égaletlent reprise à leur compte; enfin, après l'émancipation 9 l'abattis est devenu la techni­ -que agricole des,Créoles ~ar excellence, et l'est resté jusqu'à nos jours.

Avant d'analyser la structure agricole et agraire de cette région 9 il conviynt de rappeler.le système cultural sur lequel elle slap~uie., L'abattiS relève de la culture itinérante sur brülis. Dans cette zone équatoriale où les terres basses, quoique le~ plus fer~iles; sont inuti­ -lisables sans gros aménagements, le petit agriculteur, qui ne dispose que de techniques ruditlentaires, doit,se tourner vers les terres hautes et boisées 9 au sol pauvre.

A l'aide de la haèhe et du sabre, i~ abat la végétation d'un espace choisi, pui~ laisse sécher bran­ -ches et troncs, pour y mettre le fe~. C'est ainsi ,qu'il obtient un abattis, champ dont ln te~re se trouve légère~ent fertili~6e par cet apport d~ cendre~, mais sern rapideme~t épuisée. Un tlêne abattis ne peut donç servir, en général, qu'à un seul cycle cultural: défrièhé entre AoÜt et Octobre, planté en début de saison des pluies, il sera abandonné à la fin des récoltes, ~près une durée d'utilisation variable selon les cultures.

Or, la culture prinCipale du quartier d'Ouanary est celle du man±oc ~mer, dont le cycle est par­ -ticulier et relativement long. Il faut attendre à peu près un an, après,la plantation, ppur que les racines de nan~oc parviennent à maturité et soient aptes à être récoltées. Mais de plus; la récolte peut s'échelonner sur plusieurs mois, voire. presque une année, et ceci pour deux raisons: d'une part ~arce que ces racines se conservent assez bien dans le sol, d'autre part parce que la plantation est sou­ -cent effectuée par lots success~fs, précisément pour per- -mettre l'étalement des récoltes. 57

. Ainsi, en préparant un nouvel abattis de manioc chaque année, le paysan peut s'assurer une récolte continue, et pallier les problènes de soudure qui ~ont le fait des autres cultures aux récoltes saisonnières.

On peut actuellement1 dénombrer environ• 70 abattis dans la comaune considérée. 1,1ais il est diffi- -cile d'estiner la supe~ficie qu'ils représentent; car rien ne vient fixer les licites d'un abattis, hormis les inten­ -tions de l'agriculteur, lequel n'ayant pas notif à compter en nesures de surface,. ne sait évaluer cellc-ci que très ap~roximativeDent. I~ est toutefois possible d'établir la distribution suivante:

1 Abattis < l ho.. 30 %

1 Abattis = ou légèreJ:'lCnt > l ho.. 50 ~~

1 Abattis :::-.. l,50. ha. 20 %

ce qui pernet d'avancer le chiffre de 80 à ~O hectares de surfaces .cultivées sur toute ln

De toute façon, la notion d'ensemble d'a­ -battis ep de surfaces cultivées n'est qu'une indication. grossière. Etant donné le système de l'itinérance et du remplaceuent progressif des vieux abattis par de nouveaux, il faut distinguer diverses catégories d'abattis: ceux qui viennent d'être défrichés ou plantés, et sont en quelque

sorte en gestation ; ceux qui sont en )lein rendenent ; 1 ceux qui sont en fin de récolte et seront bientôt abandonnés,t

: Abe.ttis récents (récolte à venir) 40 %

• , Abattis en plein rendement 40 %

.-1 l·· Abattis anciens (fin de récolte) 20 1°

I~ Ce systèm~ gonfle donc sensib~ement l'importance des surfaces cultivées, et l'on peut dire que celles-ci se résunent en fait à quelques 50 hectares uttles, soit une quarantaine d'abattis périodiquement renouvelés.

C'est éealement sous,cet angle qU'il faut comprendre la taille des exploitations. Les 70,abattis réper­ -toriés se r6partissent entre 27 exploitations. Dans la

(1) Nous ne tenons couptc ici que ~e la population créole, sur laquelle porte notre utude. ~ais nous avons vu que les Indiens Palikour ont tend::mce à se déplacer vers le Bas-Oyapock, et l'inclusion de ceux qui deneurent sur l'Ouanary ne changerait guère les données~ 58

majorité des cas; chaque agriculteur possède au Boins deux ou trois abattis 1 un en rendement et un récent, auxquels 1 s'ajoute souvent un ancien.

Exploitations d'l abattis ;19·%

al Exploitations de 2 abattis 30 P 80 % Exploitntions de 3 abattis 50 % .. Exploitations ~ 4 abattis 10 %

• Il apparaît1 que les exploitations d'un seul abattis sont l'exceptione Elles ne concernent en fait que trois cas: deux fa~illes n'ayant pas défriché de nouveaux abattis dans l'intention d'aller prochainement s'installer à Cayenne, et un jeune ayant par ailleurs un travail salarié et ne faisant un abattis que pour sa consonmation~

Les exploitations de 4 abattis ou plus sont égale~ent rares, les gens ayant. tendance à a~randir les abat­ -tis plutet qu'à .les multiplier. Une distribution des surfaces pernet de nieux mesurer le phénomène.1

ha~ Exploitations ~ 1 15 %

1 45 % Exploitations !> l ha. et < 2 ha. 30 %

1 Exploitations > 2 ha. et < 4 ho.. 35 % 55 % Exploitations > 4 ha. 20 % '•.

,- On voit que 55 %des agriculteurs utili­ -sent plus de 2 hectares, c'est-à-dire que la moyenne. se situe un peu au-dessus de 2 hectares par exploitation. Il est intéressant de noter que cette moyenne est légèrement plus élevée,que la norRale guysno.ise (plutôt inférieure à 2 hectares). Mo.i~ il faut chercher l'explication de cette différence dans la pro.tique exclusive de la culture itin6­ -rente extensive, alors que dans certaines autres r~gions la culture a tendance à se fixer et à s'intensifier. 59

Il est évident que n'entrent pas dans ces 1 chiffres les terres laiss~es en jach~re. ~ourtant, nous l'avons vu, le sol a été autrefois approprié. Mais les concessions sont tOLlbées en désuétude, et aujourd'hui; les cultivateurs d'Ouanary sont persuadés d'être installés sur les terres du donnine dé~artenental~ Un abattis abandonné n'appartient donc à à personne.

Il n'empêch~ que l'on recultive périodique­ -bent les oêmes emplacements : 80 %des abattis sont effectués sur végétation secondaire. En réalité, les dé~lacements de l'agriculteur sont soumis à divers impératifs.

Il Y a tout d'abord la nécessité d'~ne longue jachère : comme on ne connait ni l'emploi d es engrais,. ni la . rotation des cultures, il faut laisser le sol se reconstituer, et attendre que la végétation naturelle soit assez importante pour réobtenir des cendres f~rtilisantes, ce qui de,ande un teLlps de friche de l'ordre d'une quinzaine d'années. Il y a ensuite le choix du terrain: il existe des zones meilleures que d'au~res, et il faut que te sol soit sec en permanence pour qui veut faire du manioc. Il y a enfin le problème d'accès: l'abattis doit rester assez proche de la rivière ou de l'une de ses criques affluentes ,pour que le charroi des ré- -coItes ne soit pas trop difficile. .

è'est en fonction de ces critères que s'or­ -ganise le ter~oir, et l'on peut distinguer deux zones agri- -coles : l'une est accrochée au flanc oriental des Monts de l'Observatoire, l'autre s'étend'tout autour de Pays Indien (cf~ carte p~ 60)~

On constate que ce terroir s'est,un pyu modifié par t'nppqrt .au siècle dernier (conparer carte p. 50' . avec carte p.4~)'. La zone du haut de la rivière, celle de Toucouchi et de la Montagne des Trois Pitons a presqu' en­

-tièrenent disparu1 et i1 ne si. y trouve• plus actuellement que quelques,Indiens. En revanche, la ,zone de l'Observatoire s'est agrandie. Quant à lu zone médiane, nlors qu'elle était autre­ -fois lioitée à l~ rive gauche du fleuve sur lequel, elle n'a- -vait qu'une faible façade, et filait vers l'intérieur en direction du Nord, elle déborde maintenant sur la rive dr9ite, et s'étire nu long de la rivière qui en est devenue l'axe. Ces modifications correspondent à une certaine tendanc~ au regroupement des abattis vers l'aval, aux alentours des deux villages aujourd'hui existants, ,dont l'un, Pays Indien, est d'ailleurs né de cette tendance.

Il faut toutefois différencier chacun de ces deux cas~ A Ouanary, une grande partie des abattis s'effectue à l'arrière du bourg et est açcessible par voie de terre; les autres se situent au bord du ruisseau qui coule au pied de la colline~' Mais dans l'ensemble; aucun n'est très éloigné du village: le terroir prend la forme d'un éventail dont le rayon maxim~l n'excède pas 4 ou 5 kiiomètres. Cette configura­ -tion permet au paysan de résider principaleoent dans sa mai- -son du bourg, et de se rendre quotidiennement à l'abettis~ Chacun possède néanmoins une case sur les lieux de culture~ r,

OUANARY ACTUELS EM PLA~EMENTSD'ABATTIS

Baie

d ~Oyapock

Pointe Bl'uY';l"e .".,------. X -----~-'\ ® .x ,

(J

LEGENDE

G) Zon~o9rÎcol~d 'Ouonory ® de Poys Indien

(ECHELLE :1/100000~)

.. "'JI, A Pays,Indien; les abattis s'égrènent le long des petites criques q~i viennent grossir ~a rivière de part et d'autre du village. Liée au réseau fluvial dont la densité est encore faible à ce niveau du cours,' l 'occupa.tion du sol est plus discontinue et l~ zone agricole s'étale da­ -vantage que dans le premier cas. Il en résulte que les, paysans résident le plus souvent dans les llhabitationsffde cultur~, tout en conservant une maison au bourg.

. C'est dans ce sys~ème de l'''habitation'', de l'organisation qu'elle déterBine, du Bode de vie qu~ lui est lié, qu'il faut chercher la narque de la tradition. C'est tout au moins le cadre où ell~ apparatt le plus cla.i- 1 1 -rement. C'est donc Pays Indien qui servira ici d'exemple.

Construite sur les lieux de cultures; 1 'habita:t'ion représente, d'un c'ertain point de vue, l,!'éJ. 6-' -ment stable de l'exploitation: elle est le centre à par- -tir duquel se dessine le territoire où évoiuent les abattis qui, pour des r~isons d'accès et de charroi; ne sauraie~t être éloignés de la maison do plus de l ou 2 kilomètres.

A l'intérieur de cette zone exploitable dont les limites sont définies par la position de l'habi­ -tation, le choix des enplacenents d'abattis se fait en fonction de la nature des sols et des cultures envisagées. C'est pourquoi; dès le niveau de l'unité dé production qu'test l'exploitation, l'occupation du sol est déjà discontinu~ l, le paysan ne s'éloigne pas progressivement de sa maison, au fur et à mesure des nouveaux défrichements, pour revenir sur ces pretliers abattis au bout des quinze années de jachère ; il doit presque toujours sauter certains terrains peu pro­ -pices à la culture. Et ~l en va du territoire de l'habita- . -tion comme du terroir dû village : chaque zone réellement _ eXPtoitée implique une zone d'évolution ~nfiniment plus gran­ -de. Le rapport de l'une à l'autre varie.. selon que l'on oon- -sidère l'exploitation à un moment donné, 9u a~ long de.sa . période d'évolution autour de.l'habitation. Dans le.premier cas .ce rapport peut être,de l'ordre de 1/60ème~d~nD-è~1~ ~ê6~nd­ 9~s1 pou~ ~n9 ~uré~lde 15 ans, il est ramené à 1/10 Ge environ {cf. croqu~s po 62). . Cet écart devient alors un frein à la sta­ -bilité de l'habitation: si, après avoir exploité les bons terrains situ~s à faible distance de sa,naison; l'agriculteur voit s'ouyrir, au-delà de 2 kilomètr!3s,.,une zone qu'il juge particulièrenent favorable à la culture, il déplacera son habitation pour la rapprochet de cette zone plutô~ que de revenir aux premiers abattis. L'attachement à l'habitation est donc très relatif, ce qui explique, en partie, la 1aci­ -lité ~es déplacements ou des translations des zones agri- -coles.

En fih de compte, la structure agraire se définit par le seul sistène de l'itinérance libre : chac'~n s'installe à sa guise; sa~s se préoccuper des anciens ti~~es de propriétés. Sans doute~ la tendance au regroupement de~ abattis autour de Pays Indien détermine-t-elle certaines l~- 1 -mites. Mais la densité de population par rapport aux espa- -ces défrichables est trop faible pour que s'impose le prin- -cipe d'une redistribution légale des terres, comme on le voit dans les connunes1 de l'Ouest où la route est devenue llo.xe dominant. z o ~ «~ o --.J a... X w

W LEGENDE L ~

o L 2 P.l'emlèl'es . zone~d' b" en fin d '. _ a aHis e Jachel'e . .~ Cf) z 3.; 4- 5 An. Clennes. zones .d' . w en Fl'Iche. abattis ~ w o 6 Zone d'ab . « /1. oHis aduel1 --.J en exploit t' emen~ a... w ~Il\\fl",a Ion ,§i§ ;,:" autes pl' . o ''?-j./I,"t-~Tel'l'es h tnanioc. . oplces au

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Dan~ de telles conditi9ns, l'hab~tation a pu conserver ses ca:r:actères essentiels.,Point de .. référen­ -ce de l'ex~loitation, lieu de résidence principal, elle garde l'aspect ~udinentaire du provisoire, nais n'en possède_ pas moins tous les éléments qui font le cadre matériel de la yie agricole; et,l'on peut en dresser un schéma-type (cf. croquis p. 64).

L'habitation est installée sur terres haute~, de sorte à n'être pas inondée lorsque la marée monte. Dans les meilleurs cas, elle est située à proxiüité de la crique d'accès, mais doit parfois s'en éloigner de plusieurs centaines de mètres lorsque la rive est maréca­ -geuse sur une largeur importante. Pour y parvenir, il faut emprunter le canot que l'on amarre au I1dégraq.", ou débarca­ -dère le plus souvent réduit à un simple tronc d'arbre mort jeté en travers de la vase qui borde la rive, puis,suivre le chemin sabré, plus ou noins long, qui y conduit.

Outre la ca~e où l'on dort, qui est une construction légère (cf. chap~ r), nais,entièrement fermée, l'habitation compo rt e plusieurs' carbets. C'est tout d' abo rd l'abri où l'on fait la cuisine: toit de feuilles séchées soutenu par des piliers de bois, il couvre un établi où sont entreposés les divers sceaux et ustensiles ménagers ; c'est là que se trouve le foyer; lequel est un récipient métallique de forme ronde où l'on fait brÜler du 'charbon de bois fabriqué sur place, et au-dessus duquel on place la 1 po~le ou la marmite qui servira à faire cuire les aliments.

A c8té de la case, il y a aussi le "gra­ -giri", ou carbet destiné à,lB~fabrication du couac: C'est un abri semblable au préc~d~nt, nais de dimensions plus vas­ -tes~ On y trouve le pétrin, la "gruge" (rape) et la plati~ -ne qui sont utilisés pour la transf6rmation du manioc en couac (cf~ infra). Un peu plus loin, il y a souvent,un pou­ -lailler où l'on fait rentrer les volatiles le soir.

Cet ensenble de carbets détermine une cour où l'on peut voir les fûts qu~, placés à l'aplomb de la pente des toits, servent à récupérer les eaux de pl~ie, ainsi que des chaises ou des bancs~ ,ca~ c'est là que l~on se tient lorsque le temps le pernet. U~ peu en retrait, il y a presque ~oujours un jardin potager, et, pour les habi­ -tations comptant déjà quelques années, il y a également un petit verger, à moins que les arbres fruitiers ne soient disséminés tout autour des carbets~

Tel est le cadre où s'inscrivent les différentes activités du p~ysan; que l'on peut classer en trois catégories : abattis, 9hasse et pêche, et transforma­ -tion des produits agricoles...... 1: E o AbaHis...... l''ecent o W N AbaHis en ...J ...J W rendement :r: z u o ,--- ..., lU ~ ,." , .", ..... «~ o ~ ..... ,." " ..... o / , -.J / , a.. / ..... X / ..... w 1 \ 1 \ l , z 1 \ o 1 zon e 1 AbaHis en CI) \ d'anc'Iens abattis 1 fin de ré-colte \ abandonnés 1 \ 1 \ 1 \ 1 z \ 1 o \ 1 v~l'gerl' \poto g Cl:I' ~ \ « ' ~ ~ \ / lI-)t 0 br; CUISiner \ 1 " CO , 1 -/. )Co 0--r:=:::J-- Pouloill~1' )( "1­ ' « ..... 1 COUI' .. I , / ~" , ~~ , je -.J )( Je '..... / M .a J" e .c 51 g. e " ...... / Il Q-gragil'i ., '...... "." "'.~ '.. ------maIson , .' .~ .' "" dégl"'Od

conot que '"

~. i. " LE COMPLEXE D'ACTIVI1ES "AGRICULTURE - CHASSE - PECHE"

Nous avons donné plus haut, les principes

de l'abattis1 qui sont ceux de la culture itinérante sur brÜ- -lis. L'un~ des caractéristiques essentielles de la culture 1 du Danioc ~insi pratiquée est de n'être pas trop astreignante. Sans doute, aux p~riodes de défrichage et de plantation, le paysan doit-il se consacrer exclusivement à l'abattis. Mais durant le reste,de l'année, il a le temps de sloccuper à d'autres tâches.

'.. Èn réalité, on ne saurait parler de la vie rurale sans, évoquer les activités complonentaires de chasse et de p~che. Rappelons qulil n'y a janais eu beaucoup dléle­ -vage dans.cette région, et que le gibier et le poisson ont toujours e~ une place pri~ordiale dans l'alimentation de la population, place quI ils ont conservée jusqulà nos jours étant donné llisolement dans lequel a été maintenue cette 1 commune.

De par sa pos~tion au sein de la forêt et à proxinité d'un cours d'eau, l'habitation représente un lieu de résidence tout particulièrenent favorable à une telle 1 diversification des activités productr~ces. Toutefois, ceci_ est égaleI!l~nt vrai au niveau de chacun "des deux villages de la commune. La seule nuance à préciser, est que les agricul­ -teurs d'Ouanary sladonnent plus à la pêche qu'à la chasse - cc qui s'explique par :~e fa~t qu'ils habitent tout près de l'embouchure de la rivière et peuvent ais6ment pratiquer la pêche en estuaire ou en oer -, alors que ceux de Pays Indien. et d~ ses habitations s'adonnent également à l'une et à l'au~ -tre~.Mais du point de vue qui fait i'objet de ce paragraphe; la tradition apparaît comne étant sensiblement la même ici et là; et la nuance que nous venons de noter nlest pas assez importante pour qu'il soit nécessaire de distinguer entre les deux cas~

Dans un rapport ant6rieur portant sur l'Appro~ague (1), nou~ avo~s été anenés à'düfinir un c?Dplexe "abatti§ - chasse - pêche". On retrouve ici un phénonène sem­ -blable f et l'on peut dire que cette éomplémentarité exprime le mode de production traditionnel de la société rurale crGole~ Il est vrai que si la hache et le sabre sont restés les seuls outils agricoles employés, 9n chasse aujourdlhui _ avec des fusils, on pêche ~ l'aide de.lignes et de filets plus perfectionnés qu'autrefois. Néanooins, ces amé1iorations tech­ -niques sont trop partiell~s pour que lIon puisse parler dlune véritable évolution: dans la mesure où elles n'ont changé ni d'esprit ni de rôle, ces activités continuent à , faire partie intégrante du complexe productif traditionnel.

1 1 1 1 - (1) lVI-J. JOLIVET: op. cita p. "4 11 , L'Approuq-gue étan-p une conmune de l'Est pareillement isolée (cf. carte p. 11511)~ 66

En effet, il ne s'agit pas 'seule~ent ici d'une chasse et d 'une p~che "occasionnellesf;'comme ies pra­ -tiquent presque tous les paysans de Guyane : partir le ma- -tin à l'abattis en enportant son fusil au cas où l'on croi- -serait quelqu'aninal sur son che6~n, déposer une ligne ou deux le soir, a~ bord de la crique, et passer les relever. le lendemain, a~tant d'activités qui peuvent sans doute four­ -nir un appoint, nais ne sont pas véritablement conplé~en- -taires, car elles ne couvrent pas les besoins et impl~quent l'existence de chasseurs et de p~cheurs professionnels, ou d'un système quelconque d'approvisionnenent. Ce sont là des habitudes qui suffisent aux habitants de l'Ouest ou des alen­ -tours de Cayenne. Mais à .Ouanary, comDe dans la plupart des CODmunes isolées de l'Est, chaque cultiv0teur doit pourvoir par lui-n~ne à l'ensemble de ses besoins et de ceux de son foyer en matière de viande et de poisson, c'est-à-dire qu'il ne peut se contenter des simples occasions et doit ~ccomplir régulièrement des expéditions de chasse et de pêche.

La fréquence et la durée de ces expéditio~s dépendent d'un certain nombre de facteurs et en particulier des conditions naturelles telles que saiso~~~ marées, dépla­ -cement du gibier et des bancs de poissons••• On peut cepen- -dent dire qu'en moyenne, les exploitants agricoles de la région y consacrent enyiron l'équivalent de trois'journées de travail par semaine. Nais on comprendra Dieux ce que si­ -gnifie cette évaluation en passant brièvement en revue les différents types et techniques de chasse et de pêche connus dans cette contrée.

Il y a tout d'abord l'expédition de re­ -connaissance, qui se fait à un ou deux chasseurs~ On part à l'aube à travers la forêt, le long des tracés antérieurs· ',: ou en sabraht de nouveaux srntiers, et l'on cherche à re­ -péret des traces de gibier. Le succès est évidemment hasar- -deux. On peut tomber ainsi sur une bande de cochons-bois (sangliers gris) ou de pakiras (pécar~s) ; on peut parfois rencontrer une biche ; de toute façon, on rev~endra au moins avec un singe, bu un perroquet ou des perdrix.

Certains ~nimaux ne se chassent qu'à l'aff~t~ C'est le cas des rongeurs tels que l'agouti ou l'a­ -couchi, ou encorè du tatou; qui ne sortent de lyur~ four~ -rés ou de leur terrier que pour manger et boire. C'est un gibier dont il faut conna1tre tes habitudes, de sorte à ve­ -nir se poster sur son passage. , . ~e même; si l'on a la chance d'~voir repé­ -~é.les traces d'un marpouri (tapir dont la chair, dans la ~ regl0n des G~yanes, a un g~üt assez proche 40 celui du boeuf)i. on pourra preparer un piège pour le.prendre. On utilise géné­ -ralement la trappe-fusil : un fusil armé est placé sur deux 67

supports qui le maintiennent parallèle au sol, à la hauteur du corps de l'animal, et la dét~nte es~ reliée à une corde tendue en travers du tracé que le gibier a coutume d'emprun­ -ter et contre laquelle il vient buter; d~clenchant ainsi le coup qùi va l'atteindre de plein fouet.

Les gens de la c~mmune d'Ouanary, plus exactement ceux qui vivent en aval, ont encore la possib~­ -lité d'aller chasser dans les marécages c8tiers ; c'est alors le gibier à plumes qui est visé 1 canards s~uvages, ", sarcelles, ,aigrettes, et autres oiseaux de marai~.

Il Y a enfin 'la chasse ~e nuit, pour laquelle on s'équipe d'une lampe frontale. On peut tirer de la sorte ie maipouri, la pac (rongeur de la taille d'un gros lièvre)~ ainsi que le IItigre" et le "chat-tigre" (noms donnés localement au jaguar et à l'ocelot) et le caiman, car ces animaux sont rech~rchés non seulement pour leur peau qui se vend un bon pr~x" mais aussi pour leur chair très appré­ -ciée de certainse

Toutes ces chasses se font, nous l'avons dit, av~c des fusils~ Ceux-ci sont généralement des modèles anciens, ,à cartouches et à un seul canon: il est donc né­ -cessair~ de remplacer la cartouche et'de réar~er après cha- -que tir, ce qui inplique une haute précision qe la part du chasseur qui doit faire mouche ~u premier coup, s'il ne veut pas voir le gibier lu~ é9happer. Les c~libres les plus fré~ -quemment employés sont +e 16 et le 20. Pour le gibier de, taille faiblé ou moyenne, on,utilisera les d~verses catégo­ -ries de cartouches vendues qans le comnerce. En revanche, pour les trè$ grosses, pièces, le chasseur se fabriquera des balles en faisant fondre des plombs, et replacera chacune

d'elles dans,uner cartouche vide correspondant au calibre de son fusil~

,1 La p~che.fait aussi l'objet de diverses techniques. Il y a tout d'abord celles dont le principe est l'appât : lignes à hameçon; nasses à clapet ',seront immergées à proxinité du lieu d'habitat ou de travail, et ~e de~anderont d'a~ler que le soin les relever• de temps1 à autre. Mais•• pour• la grande,p~che, on emploie l~ filet. Le plus souvent, ces filets so~t achetés à Cayenne, et viennent de métropole ; toutefois, iis sont soigneusemynt entretenus et réparés ~ur place; et ont ainsi lbngue vie. Leurs diQensions sont va~ia­ -bles selon les Boyens financier's de leurs propriétaires, et surtout l'usage qui en est fait: la pêche en estuaire né­ -cessite des filets plus grands que la p~che en amont~

, Le poisson.le ~lus répandu en Guyane est l'acoupa ,(famille des Scienidae)~ Il en existe plusieurs variétés, dont certaines remontent dans les eaux saumâtres 68

des emb9uchures, sur une distance qui varie donc avec les saisons. La p~che à l'acoupa se pratique de jour et de nuit, en eaux troubles ~ans le premier cas, - c'est-à-dire très près de la mer en saison des pluies et un peu plus en amont en saiso~ sèche -, ceci pour éviter que l~s poissons ne voient le filet. ~a façon la plus classique de p~cher l'acoupa est. de jeter l~ filet au milieu de la rivi~re, transversaleoent au courant, et de le laisser dériver a~ec la marée, tout en le maintenant aussi tendu que possible, à l'~ide du canot au­ -quel il reste accroché par l'une de ses extrémités ion lève ensuite le fi~et au bout d'une,heure ou deux, et si besoin est, on recomqence l'opération. Lorsque la p~che s'effectue plus en amont, ou à marée montante, on peut égal~ment laisser dériver le filet plusieurs heures sans surveilla~ce, à condi­ -tion d'avoir ajouté à chacune de ses extrémités~ de grosses bouües, servant de rep è res.1

, Il faut ~tre au moins deux pour pratiquer cette p~chy~ et les résultats de l'expédition sont évide~ment fluctuants. Un coup de filet ne donne parfois rien; mais on rémonte aisément 50 kilogrammes de poi~sons en u~e heur~, si l'on a la chance de tomber sur un banc. D'autres espèce~ se mêlent aux acçlUpas, en particulier des "poissons-limon", (poissons-chat~, famille des Siluridae) qui sont nettement moins estimés, à l'exception lfu "petit-gueule" très recherché pour le boucanage (cf. infra).

Etant donné que la rivi~re d'9uan~ry est saumatre s~r tout son cours inférieur (cf. chapt I), les pêcheurs prennent égaleme~t.des acoupas et aut~es ~oissons d'estuaire, dans les criques, à marée montante. Lorsqu'il s'agit d'une crique étroite, on peut la barrer entièrement ~vec le filet au niveau.où elle rrjoin~ la rivière, puis rabattre le poisson ver~ le filet. Si la pêche s'effectue dans le cours principal, on pourra égalenent tendre le filet près ~e la rive, de sorte qu'il forme Un angle aigU avec celle~ci, en laissant dériver la première bouée avec le cou­ -rant, et en accrochant l'autre extrémité du filet au canoy qui longe la berge (on dit que le filet "trâ1:ne le canot").

Ces deux derniers types de pêche se font de nuit, et :.sont en réalité appropriés à ia pri~e des poissons d'eau douc y, lesquels ne desce~dent v~rs l'aval, qu'en saison des pluies~ Parmi ces poissons, il fau,t citer.l'aimara . (Erythriné, familte des Characinidae), qui es~ tout particu­ -lièrenent estiméft Les tlulets sont plus rares, car ils res- -tent le plus souvent au-delà des sauts~ . . Dans les marécages d~eau douce qui se trou- -vent en bordure des criques, en amont, ce sont enfin le "patagate" et "le coulant" (même famille que l'aïmara) ou encore le "palika" (Elopidae) et le "prapra" (cichlidae) que l'on prend à l'hameçon et dans les nasses~ 69

Telles sont les activités complémentaires auxquelles s'adonnent les cultivateurs de la région d'Ouanary. Dans l'ensemble, les ~rises alternatives de chasse et de p~che suffisent aux besoins. Il est sans doute des périodes plus 1 favorablrs que d'autres. On en profite alors pour faire des réserves, La technique de c9nservation la plus simple est la' salaison. Mais certains mor~eaux d~ gibier et certains poisso~s sont de pr~férence boucanés, o'est-à-dire séchés et fumés au-dessus d'~n foyer de branchages appelé boucan (mot d'origi­ -ne oaraibe).

Pour faire le tour comp'let de ce complexe d'activités dont nous parlions plus haut, il faut encore abor­ -der la ques~ion de la ~ransformation du produit principal de l'abattis, le,manioc, en denrée comestible: c'est la fabri­ -cation du couao.

A l'état naturel, en effet; la racine de, manioc est toxique: elle contient de l'acide cyanhydrique. Ce dernier en est extrait par un double proèessus de séchage e~ de ~uisson, dont le p~incipe élémentaire; hérité des Ip­ ~diens, est largement ~épandu dans l'aire caraïbe et l'ai~e 'amazonienne, mais donne ~ieu à des préparations diverses,: le Qouac .granulé en est une ,variation typiquement guyanaise. Voic}i rapide~ent exposé, le procédé de fabrication le plus classique (1). . . ;Après avoir nettoyé, épluché.et lavé les racines-de Banioé~ on les rape et l'on obtient ainsi une sort~ de f~rine grossière et spongieuse qui a p+utat l'aspect d'une pâte. Là ~ape que l'on utilise traditionn~llement pour ce fai­ -re; est constiiué~ d'u~e planche en bois, incrustée de petits bouts de métal ~ c'est la "grage", qui a donné son It0m au "gragiri" ou carbet sous lequel on prépare le couac.' Ce rapage est un travail long e~ pénible; ~t l'on tend aujourd'hui à remplaèer la grage par un moulin.

Pour devenir une véritable farine, la ~âte doit être séchée, et c'est là qu'intervient la couleuvre. Il s'agit d'une vannerie tubulaire, formée,d'un tressage de fi­ -bres en ~iagonal~ qui la rend ex~ensib~e, et· ouverte à l'une de ses extrémités ~ On y entasse la pâte, puis on,suspend la couleuvre, ouverture vers +e.haut, et l'on accroqhe un poids à son extrémité inférieure~ L,a couleuvre s'étire,' exerçant: une pression sur son contenu1 et il s'en écoule un jus' épais que ~'9n recueille précieusement, car il contient une forte proportion d'amidon qui servira plus tard à d'autres prépara- I . -tions. La farine que l'on retire, de ce premier passage à la

(1) Pour plus de prec1sio~s quant à be prooédé, on ~ourr~ ~e reporter au rapport concernan"jï l'Approuague (op. oit.), où il a été longuement décrit. Les autres procédési pius rares, restent cependant très proches de celui-ci. C'est dans la proportion de levain que ré~ide la différenge~ Le couac courant en contient un peu. Ce~tains couacs n'en 'contiennent pas du tout, d'autres, au contraire, sont faits à partir de farine entièrement "trempée". (le co'ùac dit "boué" en particulier) ~ 70

~ , couleuvre, n'est pas encore e~tièrement séchée. Mais avan~ de recommencer l'opération, o~ laisse reposer la pâte en lui ajoutant un peu de levain, lequel a été obtenu en fai­ -sant fermenter, quelques racines de manioc durant deux ou trois jours.

Après avoir effectué le seco~d passage à la couleuvre, ,on tûmise la farine, et la cui~son peut alors commencer. Elle se .fait sur la "platine", large pla­ -que circulaire en métal, q~i repose sur le.ch~ssis de bri- -ques-abritant le foyer (1). Durant la cuis~on, la farine, qui dégage encore une abondante vapeur âcre, est sans cesse remuée à l'aide d:un râteau puis d'une "carette" (racloir) tous deux en bois. Les granulés se forment peu à peu, et au bout d'une .heure ou une heure et demie, a~lon la chaleur de la platine, ils ont acquis la c9uleur jaune-doré du couac.

Pendant ce i emps;' le jus qui s ~~st écoulé de la couleuvre s'est décanté, et l'on peut récol~er le dé­ -pôt d'amidon, que l'on tamise et passe au citron; de.sorte à obtenir une ,fine farine blanche.qui donnera le tapi~ca après cuisson. On fait encore des galettes de cassave, soit à partir de cette farine d'amidon, ~oit à partir de la farine_ de manioc, mais dépourvue de levain. Toutefois, ce sont là des préparations secondaires, même, la cassave que les Créoles con- -sidèrent comme une friandise. Et l'on peut dire que pour le Guyanais, la culture du manioc est faite pour le couac.

Cette transformation du manio~ amer en couac rep~ésente une préparation rel~tivement longue, quelle que soit ~a quantité pro~uite : la mïse en train de chaque opération, en particulier du feu devant yermettre un bon échauffement de la platine dont le diamètre moyen est de l'ordre.d'un mètre, la nécessité de.laisser reposer la pâte, tout cela implique au moins deux journées, plus ou moins longues, de travail~ En conséquence* le paysan n'entreprend pas cette tâche à la légère: il faut qu'il ait ae quoi obtenir un minimum de quelques 50 kilogrammes de couac, et souvent bien davantage. . 1 Les conditions de récolte, nous l'avons dit, lui laissent une certaine liberté d'action: les ra­ -ci~es de manioc parvenues à maturité se conservent dans le sol, et il peut échelonner sa récolte tout au long de l'année sans problème de soudure puisque de nouveau~ abattis viennent régulièrement prendre la relève des anciens. La fabrication du couac devient alors une activité périodique dont le fré- -quence la plus courante est de l'ordre d'une fois par mois.1 Quant aux quantités ainsi successivement pr6duites, elles varient évidemment avec chaque agriculteur: la dimension de sa famille, le nombre de bras dont il dispose, et surtout le systè~e de travail qu'il adopte, en sont les premiers fact eurs.

1 • (1) Cf. planche p. 21 où figure le croquis d'une platine Palikour, semblable à celle qu'utilisent les Créoles~ 7J.

REPARTITION DES TACHES ET ENTRAIDE COLLECTIVE.

Il est plusieurs façons d'envisag~r le problème de la répartition des tâches ,liées au complexe r '. '-~ agricole traditionnel. Encore.faut-il, au préalab+e, déf~- -nir la composition des différentes exploitations de la 1 -j • ..1 • ", région. Nous avons pu étudier, de ce point de vue, 22 ex- .-ploitations (sur 27) qui se distribuent comme suit:

- ExploitatIts seuls - sans charge (Honnes) 3 . Couples d'exploitants sans charge 2

Couples d'exploitants avec enfants à charge 14 ..

parents et enfants Exploitations "familiales" adultes "j;ravaillant 3 ensemble. ..

C'est dans les couples d'expl~itants ayant de jeunes enfants à charge que résid~ la ~ormalité~ oe qui correspond à la structuration n~91éatre ge la fa~ -mille et à ta règl e de D.éolooalité (c:f:'~ 1 ~ paragraphe ..,d e ce chapitre). On peut donc se demander, en-PraDier lieu, s'il existe une division sexuelle du travail.

, Parmi les 19 foy,ers que regroupent les 3 derni§res catégories du tableau, on dénombre '18 femmes '.' adulte~, dont 17 femmes d~exploitants : trois d'ent~e elles resten~ à la maison; une .travaille à temps plein à ,l'exté­ a~dent, moin~ le~rs -rieur, les autres plus ou activement f maris dans les diver~ travaux agricoles. Il ne s'agit ~~ ménagère~~ effet que d'une aide t car hormis les besognes ou celles qui se situent dans le cadre de l'h~bitation, aucune tache ne leur est expressément dévolue. 72

Il Y a, ,en revanche, des travaux stricte­ -ment réservés aux hommes, parmi ly~quels il faut citer tout d'abord le défrichage de l'abattis. _C~lui-ci peut donner lieu à une autre organisation du travail, p'ar exemple l'entraide collective que nous verrons plus loin, mais quelles que soient les Eodali~és choisies, ce travail reste toujours à la charge des homBes.

. qual'ité %d'abattis Agents du défrichage . - nombre concernés Exploitant seul 33 %

Exploitant aidé de ses fils 15 % Exploitant aidé d'un (de) parentGs) ou aoi(s) 28 % Entraide collective 19 %

Emploi d'un ouvrier agricole salarié temporaire 5 %

~

.. La chasse et ,la pêche au filet sont égale": -ment des activités masculines. Mais il arrive que ce soient des femmes qui s'occupent de relever les lignes et les nasses qui on~ été déposées à proxinité de la maison~

Pour ce oui est des travaux d'abattis autres que le ~éfrichago; la participation des femmes est assez rré~ -quente. C'est plus exactenen~ le couple qui est en cause. On peut mOce dire que ~lantation; récolte et sarclage sont une affaire de couples :

~érations· Plantation Récolte Sarclage %d'abattis %d'abattis %d'abattis . Agents ______concernés concernés concernés

Exploitant seul 13 % 32 % 27 %

Couple d'exploitants (parfois aidé des enfants) 61 fa 52 % 64 % Exploitant aidé d'un (de) -Parent' -Cs) ou ami (s5 13 % 12 % 6 % ," Emploi d'un ouvrier agricole sul&rié (temporaire) 2 ~ 4 % 3 % Entraide collective Il %

C'est peut-être lors de la fabrication du couac, lorsqu'elle s'exerce dans le cadre classique du couple 73

dJexploi~ants; qu'il apparatt l~ plus nettement une certaine répartition sexuelle du travail, ou tout au moins préféren­ -tielle : la préparation des racines - ~ettoyage, épluchage, lavage - est généralement faite par la femme, aidée de ses fil~es atnées le cas é9héant~ Le rapage; surtout à la g~age, est ~n travail d'homme. Conqe il s'agit d'une tâche longue et difficile, l'agriculteur, s'il n'a pas de grand filS, pourra alors requérir l'aidy de quelque parent ou ami, ou encore embaucher un ouvrier. C'est parfois la femme qui s'occupe de la couleuvre, et c'~st f~équem~ent etle qui con­ -fectionne le tapioca et les ga~ettes de cassave. Mais l'en- -~re~ien du feu sous la platine~ la cuisson du couac, sont , assurés le plus souvent par le chef'd'exploitation lui-m~me.

Pour'en t~rmi~er avec ce problème de répar~ -tit10n sexuelle du travail, on ,peut enfin signaler que dans. le cadre de l'habitation ,isolée, la femme a une part active _ dans les soins que négessite~t le jardin potager et éventuel­ -lement le poulai=!-ler. Cfest"d'ailleurs dans ce cas que =!-es reles sont les mieux définis, l'homme se ahargeant des g~os, travaux d'abattis, des expéditions de chasse et de p~che, la femme venant l'aider pour les travaux moins pénibles et , s'occupant des dépendances de l'habitation le reste du temps. Tel est le schéma traditionnel au sein duquel viennent pren- 1 -dre place les pratiques collectives.

Dans les deux tableau~ qui précèdent, ,nous avons vu apparattre une catégorie "entraide collective". C'est ce que l'on nomUe ici le "Mahury", dont nous avons déjà parlé ~n retraçant l'historique du Quartier d'Oyapock (cf. chapit~e +I), en tant que vieille coutume issue de l'esclavage, p~is reprise et repensée par les Créoles après l'émancipation, de sorte à ~tre devenue un élément e~sentiel de la culture guyanaise en ~ilieu rural t~aditionnel.

Le Mahury; rappelo~s-le; est une union volontaire~e~t consentie des effortsf,basée sur,le principe de la réciprocité des' services rendus. Ce système d'entraide s'applique sUftout aux op'érations de défrichage; parfois de plantation. ToutefOis, il peut arriver qu'on l'emploie pour d'autres tâches telles que le rapage des racines de manioc sur ~a grage, ou la construction d'un carbet~ Encor~ faut-il ajouter que ces cas sont rares, m~me dans le passé, et qu'ils n'ont de su:t'crott qu'une faigle enve~gure; si .., bien que le Mahury peut ~tre considéré, sans risque d'erreur, comme étant avant tout une institution relative aux travaux d'abattis~

Lorsqu'u~ agricul~eur décide de défricher un nouvel abattis avec l'aide d'un Il coup de lilain" (c'est là l'expression par laquelle les Créoles traduisent en fran­ -çais le not Mahury), il se conte~te de tancer un appel à toutes les bonnes volontés de la ~ontrée. Cet appel se fait une quinzaine de jours à l'avance, et ne comporte pas d'autre précision que la date et le lieu du rendez-vous~ Chacun reste 74

libre d 'y répondre ou non, et jusqu'à la dernière minu~e~' le demandeur ignorera le nombre exact des participants. Pour­ -tant, 'il aura dd mettre à profit les jou~nées précédentes pour s'approvisionner en rhum et boissons .diverses, pour aller en expédition de chasse et de p~che; de sorte à avoir de quoi restaurer et désaltérer ses h~tes au nOQent vo~lu : nburritur~ et rafratchissements repré~entent en effet la seule compensation que le bé~éficiaire doit, dans l'immédiat, aux participants du Mahury. . . Au jour dit, chaque volontaire arrive au rendez-vous par ses pro~res moyens, et muni ~e ses propres outils - hache et sabre. Le demandeur indique alors les li­

-mites qu'il, désire donnerr à son , futur champ;, et le groupe se part~ge le travail. L'atmosphere est ~n genéral fort joyeuse. Il faut dire qu'avant de commen~er le travail, on a pris le "décalage" au rhulp. ou au taria, suivi d'un verre de "madou tl (jus de fruit adoucissant). Les plaisanteries et les rires fusent de partout, surtout pendant les repas qui entrecoupent le labeur. Quelques femmes sont venues aider , le bénéficiaire à s'occuper de la distribution de nourriture. Vers 10 heures, on mangera le "blaf" (court-bouillo~ pimenté} de poissons frais, puis viendront les divers ncasse~a~o~te" faits de gibier et de poissons que l'agriculteur aura , préala~, -ble~ent préparés, et qu'il fera servir avec du couac. Mais entre-temps, chacun s'affaire à la tâche qu'il s'est désignée~ on rivalise d'adresse et de rapidité, car ,il faut que l'abat­ -tis soit entièreoent coup~ avant la nuit.

En effet, un Mahury ne dure, en principe, qu'une journée: c'est là le temps nécessaire à un groupe d'une vingtaine d'honmes,pour défricher entièremen~ un _ abattis d'un borlhectarea Telle est, tout au Eloins, la, ,. moyen~e tr~ditionnelle. Mais il faut préciser qu'actuelle~ -~ent, l'e~vergure des Mahury est en nette régression : d~~, -puis 1991, aucun d'entre eux n'a dépassé l5,participants, et certains n'ont réuni que 8 à 10 personnes. Dans ces con- , -ditions, le rendement ne saurait évidenment rester le m~me.

Or, nul n'aurait l'idée de qemander un Mahury pour un abattis inférieur à un hectare. Le travail collectif tend alors à se réduire au plus gros de l'abattage, la fin du débroussage étant laissée aux soins du seùl agri­ -culteur concerné. Mais pour un abattis devant couvrir plu- -sieurs hectares, il peut ~rriver que le groupe effectue le défrichage en deux séances. Et il en va de D~me dans le cas plus fréquent d'un abattis de taille nornale (un hectare), lorsque le nombre des participants n'est que de 8 ou 10.

C'est ainsi que l'on se rapproche peu à peu d'un autre système d'entraide que l'on appelle encore "coup de main" (cette expression a un sens très lnrge), mais non ](lus "nahury" , car il devient de moins en moins collec­ -tif. Cette pratique du simple coup de Dain, qui est très 75

répnnd~e en Guy~ne; est en .f~it une survivance résiduelle du Mnhury. De ce point de vue, ln région dlOunnnry est un champ d'étude tout purticulièrem~nt intéressant, dnns la nesure où l'on y trouve, juxtapo~ées, les diverses étapes de cette ré­ -gression du collectif.

Les vrais Mnhury du~pussé, ceux qui regrou­ -pnient jusqu'à 30 ou 40 participnnts, représentaient des foyers de vi~ collective intense, de.par leur principe de réciprocité: chnque bénéficiaire deynnt rendre un service équi~alent à chacun des participants, les périodes de défri­ -chage et de plantation étaient marquées pnr une succession de réunions lnborieuses'mettant en relation, à trayers leur_ configurations diverses,tous ,~esJBembres du groupe.

Aujourd'hui, le Mnhury ne se perpétue plus qu!nu sein des agriculreurs.des habitations situées dans ln zone de Pays Indien. Encore a-t-il perdu benucoup,de son enver~ure et de sa fréquence, donc de son pouvoir uni­ -ficateur. Sans doute reste~t-il une nnnifestation importante de lu vie collective; mais restr~int à une pnrtie du seul groupe villa~eois de Pays Indien, et probnblement en voie d'extinction.

Le pr~nc~pe de l'entraidy deneure.nénnnoin~ très vivace dnns la rég~on, nê~e à Ounnary. On se dqnne ~aci" -lement un coup de main, surtout pour le défrichage, mai~ celn ne concerne plus que des no~aux de 3 ou 4 personnes) et même plus souvent 2 seulement. C'est-à-dire que l'entraide ne met plus en relntion l'ensenble du groupe villageois: nu contraire; elle scinde celui-ci en une série de groupuscules distincts.

Cet éclatement de l'entrnide conduit éga­ -lement au replt ve~s l'exploitation de type familial, ou.plus exncteme~t conjugql, puisque telle est la structure du fo~er "norLla.l". Alorst. le puysnn ira défricher seul son abattis, et acconplira lés autres travaux uvec l'nide de sn femme, à moins qu'il n~ paye,un Indien Palikour pour le remplacer dans certaines tâches•.

Ainsi; la tradition s'efface peu à pe~ au prQfit dlun système où le collectif voit sa part dimi­ -nuer. C'est là Î'ébauche dlun changement, Bais nyssi .d!une crise, dont les r~cines sont en réalité anciennes. 76

CHAPITRE IV

'" ..~ "

LA CRISE 'SPCIO-EC6NOM~QUE'

...... t , ......

LE MODELE INJ?IVI,DUALISTE~

Nous avons- vu plus haut (~hap~ II); ~ue la région d 'Ouan.a.ry avait Bu'bi', le contre-coup de l' o rpaiIla...,·, , --ge er,L d,evenanp le grenier à'manioc de la population minière de 11 ~ntérieur. Nous avons moni;ré que la ,cqmm'erci'~.l;i§ation du couac, de par le ·r8l~.d'intermédiaire que i;enaient"1"es gros' négociants de Cayenii§, s 1 était rapidement, transformée, en une " affaire de personnes, et avait finalement suscité l'éc+osion puis le règne de la motivation économique indiyiduelle.

• Cette• .''situation'• .,s'est averée déterminante1 • pour les structures villageoises et leur devenir. Sans doui;e' n'a-t-elle abouti, au début; qu'à l'instaur'a,tion d'une sorte::' de compromis entre l'individu et le groupe: la vie co1lec­ -tive n continué à se manifester dans les fêtes et dans la pratique 'du Mahury" tandis que parallèlement l~individua­ .lisrne primait dans le comportemen~ économique. Mais ,en fai- . -sant perdrë,~au groupe le principe'''essentiel de son.. pouvoir de contr6le, à savoir l'organisation de la survie, ce com­ -promis n'a pu que figer toutè dynamique d'intégration,-et rendre par l~-n~me la communauté, infiniment vulnérable au moindre choc.

C'est dans cette optique qu'il faut appré­ -hender les pvoblèmes créés par la fin de l'économi~ d l or­ '-paillage vers les années 50,' et ceux, plus récents, de l'influence croissante des modèles modernistes vahi'oùlés par le chef-lieu~ ,

.,. Lorsque l'or a cessé d'alimenter l'éco- ':nomie,prospère; nais ~rtificielle, qu'il avait entretenue en Guyane, pendant près d'un siècle, l'intérièur s'est vidé de sa population de mineurs, et les paysans d'Ouanary ont ! perdu,les débouchés qui stimulaient l'essor de leur agricul­ -ture. Sans atteindre l'état de crise de certaines autres commune-s, é1elle dlOuana:ry a cependant dÜ faire face, elle aussi, à un difficile problème de reconversion, dont les terRes, économiques au départ, ont fini par affecter peu à peu toute l'organisation sociale et culturelle. 77

Le premier mouvement a tout d'abord été celui d'un repli vers un système proche de l'autosubsista~ge un retour au passé en quelque sorte, mais un retour forcé,_ venant s'inscrire dans le contexte moderniste du xxème siè­ -cIe, et de ce fait ~on viable~

Il ne faut pas oublier, en eff~t, qu'en rompant leur isolement pour venir s'intégrer à l'économie d'orpaillage~ les gens d'Ouanary étaient entrés en contact avec un système de valeurs où, sous l'influence de la pros­ ., -périté minière et de l'intensification des relations commer-

-ciale~ avec la , s'affirmaient des notions nouvelles 1 telles que celles de revenu monétaire et de consommation (1). Le retou~ à la simple autosubsistance s'est donc avéré incon­ -cevable, et les paysans se sont alors attachés à trouver les moyens de continuer à vivre;de leur production de couac en la vendant à l'extérieur.

Les gros négociants du chef-lieu se dé­ -sintéressaient désormais de ce commerce pour se consacrer aux activités plus lucratives de l'import-export. Pourtant, seule la population citadine pouvait offrir un débouché aux produits agricoles, et c'est de ce côté qu'on dü se tourner les cultivateurs d'Ouanary. Cette option était d'ailleur~ facilenent réalisable, sur le plan strictenent matériel : l'Administration départementale s'était arr~ngée pour qu'un caboteur assure encore, envirOn deux fois par mois, la ~i~i­ -son maritime des communes isolées de l'Est, avec Cayen~e. Il restait toutefois un problème d~organisation.à résoudre.

Nul n'a songé; pour autant; à tenter un regroupement des efforts sur le plan local: la collectivité avait depuis trop longtemps cessé de contrôler les relations économiques pour retrouver soudain" ce rôle~ C'est le modèle individualiste qui s'est maintenu: chacun a cherché une solution personnelle à son problème d'écouleflent~ Le choix s'est alors limité à deux possibilités: soit avoir, à Cayenne, un correspondant oe chargeant de ln réception et de la revente des marchandises eX9édiées par le caboteur, soit nller soi-même effectuer directement cette tâche.

Le système actuel s'organise autour de ces deux possibilités qui, le plus souvent, se complètent.r

" 1 (1) Cf. in~roduction, et rapport concernant Mana (op.cit~ p. "5 • 78

selon diverses modalités apparaissant dans la distribution suivante :

30 % des exploitants ne se rende~t que très rarement à Cayenne (au plus, une fois tous les deux ans), et passent par l'intermédiaire d'un corrospondant pour toutes leurs ventes.

30 % ont un correspondant à Cayenne, mais s'y rendent au TIoins une fois l'an pour règler directement certains problemes, de vente.'

30 % vont à Cayenne environ trois fois par an et peuvent ainsi contrôler personnellement'· leurs ventes; nais conservent généralement un correspondant auquel ils envoient les • 1 denrées produites entre-temps;

Cette• organisation s'avère lourde de1 con- -séquenc~s ,aussi bien au niveau économique que social. Le paysa~ d'Ouanary subit, en effet, un processus de paupérisa­ -tian. Quelles que soient les modalités adoptées, la vente du couac à l'extérieur n'est plus d'un grand. rapport: le correspondant n'est évidemment pas bénévole, il faut le dédomBnger, généralement en lui ab~ndonnnnt une partie de la récolte qu'il pourra vendre à sqn profit; le voyage à Cayenne n'est pas gratuit non plus, et implique de sur9rott les frais d'un séjqur d'au moins 12 jours, entre deux ~ou­ -veoents de bateau. ,A cela s'ajoute le montant du frêt, dans l'un et ~'autre cas.

Ces difficultés, Ouanary les partage avec "~' ~ • .. 0.' .1. toutes les communes isolées de/l'Est qui sont p~écisément celles qui produisent du couac. Il en résulte u~e nette él~­ -vatiori, en ville, du prix de v~nte de ce couac, lequel finit par devenir une denrée de luxe: dans l'alimentation quoti­ -dienne; les Cayennais sont de plus en plus souvent oblig~s de lui préférer le riz importé à meilleur prix du Surinam. Le marché du couac perd alors de son ampleur et est loin de remplacer celui que le~ paysans ont perdu avec la résorption de l~ population minière de l'in~érieur~ Il y a donc,malgré tout, un certain repli vers l'autosubsistance : les grandes

exploitations se font plus rares, et les Mahury n'ont plus 1 l'impérieuse motivation économique du temps de l'orpaillage. 79

Par ailleurs; la multiplication des con-. -tacts directs avec Cayenne (70 %des agriculteurs vont sé- -journer au chef-lieu au moi~s une fois par an) renforce dou- -blement l~ désol~darisation, déjà bien engagée, du grQupe villageois 1 elle favorise l'adopt~on des modèles urba~ns relatifs au revenu monétaire et à la promotio~ sociale, et par là-m~me engendre finalement l'exode rural.

Ce sont ces problèmes d'une économie qui se déséquilibre; et d'une société qui se désagrège qu'il nous faut maintenant analyser. 80

LE D~SEQUILIBR.E ECONOMIQU·E ..

Ltéconomi~ . de la région d'quanary est donc axée sur la culture traditionnelle du Danioc : beau­ -coup d~abattis y sont exclusivement consacrés; les autres en comport~nt au ooins une .large part, si bien que tous les , paysans, san~ exception, en exploitent une certaine étendue. Sur l'ensemble des surfaces cultivées dans la commune (80 à 90 hectares), il faut estimer qu'il y a environ 60 hecta~es plantés en manioc, ou destinés à It~tre, ce qui correspo~d, compte tenu du renouvellenent annuel des anciens abattis, à 1 une permanence d'une quarantaine d'hectares en rendement (1).

Quant à la distribution de cette dernière superficie entre les différents agricult~urs; nous ne pouvons également en donner qu'une approximation, d'après les' 19 cas où il a été possible d'obtenir des réponses précises:

• .. , " : Surface de oanioc en rendement , ha l à 2 ha ha par exploitation <1 1>2 . ~

Répartition des exploitations 19 10 5 étudiées 4

%susc eptibl es dt~tre généralisés à 21 % 53 % 26 % 1 t ensemble des exploitations _.

La répartition appara1t comne étant "normale tl , et la moyenne de surface cultivéy ~n manioc par exploitation est de l'ordre de l,50 hectare. qes données venant compléter celles du chapitre précédent, on peut alors d~finir l'unité éconoDique "type" de lA façon sui­ -vante: une exploitation couvrànt.près de 2,5 hectares, dont 1,5 de ounioc en rendement, p~rmettant, avec les prOM -duits de la chasse et de la uêche, de faire vivre une fa~ -mille conposée d'un couple et de trois enfants à charge~

(1) Nous avançons ces chiffres de surface sous toute . réserve, car ils ne sont obtenus que par recoupe~n~s. 81

Les revenus monétaires de cette unité de production se résument à la vente du co~ac~ D~autres communes de l'Est, com,:te Saint-Georges ou ~égina, peuvent exp~dier,du poisson et du gibier à Cayenne, par voie . aér~enne~ Mais Ouanary qui n'a pas de terrain d'atterrissa~ -ge, est ,contraint par la lenteur et les irrégularités du caboteur, à ne vendre.à l'extérieur que des dynrées non périssables, c'est-à-dire uniquenertt du couac~

A l'aide d~s cahiers de comptes de la Compagnie de navigation chargée des liaisons avec le chef­ lieu, nous avons pu calculer, à.peu près e;actement; le~ quantités de couac expédiées par les paysans d'Ouanary t 45,7 tonnes en 1969 et 45;2 tonnes en 1970; soit une moyenne annuelle légèrement supérieure à 45 tonnes.

Or, le prix du kilogramme de couac s'éta­ -blit comme suit:

Prix de revente au 4,00 F Bénéfice brut 1 - marché de Cayenne du revendeur = 1,00 F. Prix de vente au F - correspondant 3,00

1 - Montant du frêt 0,50 F Revenu net du = 2,50 F. maritime producteur

Le revenu annuel de l'ensemble des agricul­

-teursr de la comnune considérée est donc de l'ordre de 113.500 francs, ce qui corresP9nd à une moyenne mensuelle de 350 francs par exploitation. Ces chiffres méritent tout~fois d'être pondéré~~ Tout d'abord; certains 'exploitants, en parti9ulier ceux qu~ n'ont pas de charges, n'expédient pas de couac à

" Cayenne, et se contentent d'en vendre un peu sur place, 1 aux quelques rares personnes ne faisant pas d'agriculture. Il ne faut donc répartir la somme annuelle précédente que sur 23 cultivateurs, ce qui porte à 400 francs le revenu mensuel moyen.de chacun d'eux. D'autre part, ceux qui se rendent à Cayen~e régulièrement trouvent de meilleures conditions de vente; ce qui augmente légèryment leurs revenus, malgré les frais de, voyage et de séjour. - 82

Compte tenu de ces divers éléments; on peut év~luer alors à 450 francs le revenu mensuel de l'exploita-I -tion-type, telle qu'elle a été définie plus haut. Encore 1 faut-il se demander quel niveau de vie permet un tel reven~.

. L'exploitant produit directement l'ess~n- -tiel des .biens que sa famille et lui consomment : viande .- 1. 4 de gibier, poisson et denrées agricoles. Parmi celles-ci, il faut évideoillent citer en premier lieu le couac: la con­

~: -sommation mensuelle moyenne de la famille (nous nous situons toujours dans le cas-type), est de l'ordre de 40 kilogrammes, soit 10 kilQgrammes par adulte, et un peu moins par enfant, selon l'âge~

Àu couàc s'ajoutent les divers "légumes pays" (dachines, ignames; bananes à cuire~~~) auxquels l'agr~culteur çonsàcre général~nent une petite parce~le d'aba~tis, et ~ussi les produits du ver~yr potager (~égumes verts, oranges, citrons, cocos, Bangues~•• ). De plus, il n'est pas rare de voir des cacaoiers et des caféiers près du carbet: le paysa~ peut alors fabriquer lui-m~me son chocolat et son café. Ajoutons enfin les piments dont il 1 est fait une importante consomoation.

Il r~ste cependant quelques aliments à acheter: le sel, le s~cre, l'huile, les bottes de beurre salé, d~ lait condensé, et aussi de purée de tomates dont il est fait usage dans nombreuses préparations culinaires créoles, les haricots rouges secs que l'on mélange ~ouvent. au couac après cuis~on, le riz en moindre ~esure, p~rfois ~ de la morue salée o~ des abats de cochon e~ saumu~e, enfin, toutes ,les boissons, surtout rhum e~ sodas, ainsi .qu'un.peu de vin. Ces divers produits sont ve~d~s à Cayenne, mais. certains sont importés de métropole, et dans l'ensemble, le coftt est élevé, d'autant plus qu'il s'y ajoute le,montant du' frêt pour Ouanary (50 c entimes par kilogramme)'.

Pour ce qui est des objets d'utilisation 1 courante, le rapport production - achat s'inverse. Sans doute existe-t-il un petit artisanat locale1 Il faut parler tout d'abord des canots que l'on fabrique à partir du füt d'un, arbre, ouvert au feu, et surmonté de bordés en planches. Mais c'est là ~n art qui se perd au profit des canots achetés sur l'Oyapock.

Le paysan continue à confectionner des vanneries : à c8té des couleuvres et des nasses, o~ trouve des paniers de formes et de tailles multiples selon l'emploi (transport et rangement), ainsi que des "catouris"~' ou couvre­ chefs en. forme de c8nes très aplatis et dont le diamètre varie de 50 cm~ à un mètre suiyant qu'ils sont destinés à abriter du soleil ou de la pluie. 83

Signalons encore que l'exploitant fabrique lui-m~me le charbon de bois, et va débiter les bÜches, d9nt il a besoin pour le foyer de la platine ou de la cuisine.

Tout cela rèprésente néanmoins peu de 1 choses en regard des biens qU'il faut faire venir de Cayenne. Il est vrai que les ustensiles de cuisine et de ménage, les sabres et les haches, sont con~ervés longte~ps gr~ce.aux réparat~ons et aux réaffÜtages. Mais il ~st des prod~its que l'o~ doit renouveler périodiquement: allumettes, savon, pétrole, essence~ •• Le pétrole se~t à l'éclairage des habi-. ~tations et des carbets. Au bourg, il y a un groupe électro.' ~gène distribuant le courant électrique quelques h~ures par soirée, ce qui implique de toute façon u~e dépense. L'essence est .le conbustible des moteurs hors-bord., Avec les moteurs, nous abordons une autre catégorie de biens dont la définition m~le les questions . plus complexes de l'influence moderniste et de la différencia~ .tion économique.1

Jusqu'à pr~sent, en effet: nous n'avons répertorié que, des produits ~ccessibles à tous 1 aliments ou objets de première nécessité, do~t le prix unitaire es~ assez bas pour que chacun puisse en ac~eter au moins une certaine quanité, et dont, en con~équence, la possession n'est source d'aucune différenciation.

Il n'en va pas de même des biens nés de la modernisation technique : conçus pour des sociétés ayant u~ autre pouvoir d'achat, ils sont d'un coUt élevé relativeme~t aux ressources de tels agriculteuts~ et leur possession de­ -vient alors une ~arque distinctive•

.Ce phén6mène est important; car dans l'~~­ ~dre ttaditionnel, le statur du paysan créole était.égali-~ -taire. Nous avons vu .cchap. II) que le système de llappro- -priation du soi était peu à peu tombé en désuétude, de sorte que la structure foncière avait désormais donné à chacun lu possibilité d'étendre son exploitation selon son choix, un choix libéré des principalès contraintes matérielles de par la pratique du Mahury.1

Dans de telles conditions; les ~ifféren7 -ces de ric~esse ne pouvaien~ être d'une grande resonance. En revanche, l'achat de biens modernes devient une opération de prestige qui, ,de surcro1t, représente souvent une espèce d'investissement.

S~ns doute faut-il distinguer entre di­ -vers types de biens modernes~ A Cayenne ou dans certaines comm~es de l'Ouest, c'est l'auto~obile qui est privilé­ -giée, et l'9n entre alors dans 'le domaine de l'économie ostentatoire. A Ouanary où il n'y a pas de route, on se 84

r • contente du canot motorisé. Mais ce dernier doit être consi- -déré d'abord comne un instrument de travail; surtout pour les agriculteurs isolés des habitations de Pays Indien, dont il facilite les allées et venues sur la rivière et par là• même le cherroir des récoltes jusqu'au lieu d'accostage du caboteur.

Le prix d'un moteur hors-bord est variable selon sn puissance; Le ~lus petit modèle (puissancé 1,5 ch~) coftte un peu moins de 1.000 francs, ~ais ne peut s'adapter qu'à un canot de taille très modeste. Le moteur le plus commo­ -de pour des agriculteurs qui ont des charges assez lourdes à " 1 transporter~ mais sur de courtes distances, est celui de 6 c~. dont le prix dépasse déjà nettement 2.000 francs. Quant à ce~ -lui qui veut pouvoir tenir la mer dans la Baie de l'Oyapock, ou renonter en un temps raisonnable jusqu l à Saint-Georges, il lui faut au moins un 20 ch.1 ce qui représente une dépense de 1 quelques 35500 francs.

Ceci explique que l'emploi du moteur ne se soit pas entièrement géné~alisé, même à Pays Indien où l'on utilise quotidiennement le canot : sur les Il exploitations ue nous y avons étudiées,' nous n'avons compté que 6 moteurs { 3 d l une puissance de 6 ch.,JI'2 de 20 ch. et un de 25 ch••) r A Ouanary, nous n'en avons compté qu'un seul, mais les abattis étant ~ccessibles par voie de terre, la nécessité en est moins grande.

Le second instrument de travail né du mode:r­ -nisme et commençant à s'introduire dans la rég~on d'Ouanary, est le,moulin à manioc, lequel fonctionne à l'a~d~ d'un Detit" moteur~ Ctest une machine d'une extrême utilité, qar elle évi~ -te les séances longues et pénibles du "grageage", et peut ainsi susciter une certaine augmentation de la production de couac!1 Mais ce moulin coftte tout de même aux alentours de _ 1.400~francs, dont 800 francs pour le seul moteur, et cet , achat, bien que subventionné à 30 %par la DirectionD~par~e­ -mentale de llAgriculture sur les crédits du F.I.D.O.M. ~ (Fonds d'Investissement pour les Départements droutre7Mer), n'est le fait.que de 5 ou 6 exploitants de la commune. -, - Parmi les biens modernes de consommation, il faut citer en premier chef les postes de radio à transis- r ' -tors: un foyer sur deu~ possède un récepteur. Sans doute est-ce là une dépense moins importante que les précédentes, mais non pas négligeable, car les postes doivent être de bon~e qualité pour capter les énissions de Cayenne. Deux familles . ont également un tourne-disque à piles~ En revanche, les élé~_ -ments de confort ménager sont rares: sur 20 foyers visités,~ nous n'avons conpté ~ue 2 réf~igérateurs à pétrole et 2 cuisi. -nières à gaz butane. 85

. Dans 11ensemble, .le niveau de vie reste tr~s bas, et c 1est pourquoi la possession d 1un Doteur ou d'un mou­ -lin, objets assez,modestes dans l'absolu, devient ici une _ marque distinctive. Mais il ne faut pas pour autant surestimer les conséquences, au pl~n de l'économie locale, de leur intro­ -duction dans la région. Ces améliorations techniques sont trop partielles pour promouvoir un véritable changement vers 1 • la modernité. Dl un certain point de vue, on peut même dire qu'elles s'inscrivent dans le cadre de la tradition: le motèur hors-bord demeure lié au fleuve et à son mode de vie particu~ -lier; le moulin à manioc ntest qu'un rouage au sein d'une production agricole dont les techniques de base - brÜlis après abattage au sabre et à la hache ~ sont toujours aussi archar- 1 -ques.

En fin de compte; l'économie.actuelle ntest pas tellement éloignée de l'autosubsistance : les revenus de llagriculture sont faibles, et n~ permettent 11 a chat que de quelques dynrées et biens qui ne modifient pas p~ofondément le système. Ll exploitation, avec son complexe abattis - chasse ­ pêche et ses petites activités de transfornation, s'apparente encore étroitement à l'unité familiale de production et de consommation de la fin du siècle dernier, surtout lorsqu'elly se situe dnns le cadre de "l'habitationl1 comme à Pays Indien.

Dès lors se creuse le hiatus entre cet archaïsme persistant et le modernisme contemporain tel qU'il se tra~smet à Cayenne où l'on veut maintenir le reflet outre­ mer de la métropole. Mais ce hiatus, nous l'avons dit, ne ~aurait être accepté entiè~enent~

Pourtant ~i l" administration tente de pallier cette paupérisation relative: Ouanary est une commune comme toutes les autres comnunes guyana~ses, et à ce titre;conna~t le même régime et la même politiq~e d'assistance (1). Et c'est ce que fait a,parattre, ici aussi, le budget communal, ,dont nous donnons un exemple au tableau de la ,age suivante.

Hous y voyon~ figurer tout d'abord' les recyttes propres de la commune. Ce sont en principe : • les produits de l'exploitation (vente de services, diver­ -ses taxes d'entretien~~~) • les produits domaniaux (vente des récoltes, l)roduit des r 1 1 ) 1 forats, location de droits, d'immeublys ou de matériel ••• • la taxe des prestations et des chiens. • Le centine (imp8t de la collectivité locale servant à équilibrer +e budget et dont la valeur est calculée par le fisc.)

(1) cf~ Introduction et rapport sur Mana (op~cit~ p~ 6)~ 86 COnŒTE ADMINISTRATIF D'OUANARY - EXERCICE 1968 (1)

, PRODUIT ANTERIEUR . ,86.927,06 !-"il r:r: H , 1 •

f:iI , r:r: , H RECETTES Subventrons spécifiques ,.l 64.521,84

1 , 1 • .. PRODUIT ANTERIEUR 86.927,06

Comnune 1.973,71 - 0 f:iI 1 • i H RECETTES 236 .. 163,78

1 ~J' EXCEDENT GLOBAL DE CLOTURE 1, 83.630,94

(1) Les:co~ptes adDinist~atifs sont des bilans définitifs: étnb1is a posteriori, ,et nous n'avons pu disposer.de ceux qui sont plus récents. Mais d'après les budgets p~évi­ -sionne1s et supp1énentaires des années suivantes, il appara!t que les sODBes et les rapnorts deneurent sen­ -sib1enent les nênes d'une année à-11autre~ 871

Mais les deux pre~ière~ catégories sont pratiq~ement inexistantes à Ouanary, si bien que les recettes , propres de la commune, d'origine fiscale, sont extr~mement fai­ -bles : elles ne représentent que 2,5 %des recettes annuelles ordinaires, et 1,5 %des recettes giobales~ .

Ceci reviènt ù dire que c'est l'Etat qui ali~ente la quasi totalité de ce budge~ : ,. subventions pour oeuvres sociales. ( ~ redistribution de l'octroi de mer il s'agit d'un imp8t indirect perçu sur les produits importés à raison de 1:." 7 %de leur valeur marchande et réparti entre les diffé­ -rentes com~unes en fonction de leur chiffre de popula- -tion) • . " • subventions F.I.D.O.M~P9ur dêpe~e~'ù'investissement (section extraordinaire).

Il en résulte que seul, l'apport de l'Etat permet à la commune de faire face aux dépenses susceptibles de ne pas la laisser totalement en marge de l'évolution mo­ -derniste : réseaux d'~lectrification, aujourd~hui présente dans les deux villages, diBues et appontements, construction ou réfection de bâtiments pu~lics, fo~d~ de scolarité, adduc-. -tion d'eau (en projet à Pays Indien) ••• Il permet ëgalement la rémunération de quelques emplois administr~tifs : secrétai­ -re et planton de Mairie, gardienne d'enfants, gardiens des • 1 groupes électrogènes, ainsi que quelques travaux temporaires.

Les emplois du Secteur Public, auxquels il faut ajouter deux instituteurs et une aide-soig~ante, représentent l'essentiel des emplo~s non-agricoles. C'est. dire combien l'éventail est étroit. Et ceci est l'indice d~ malaise économique qui sévit depuis la fin de l'orpaillage, car auparavant" il y avait des conmerçants, des artisan~ et des bucherons (bois de rose), qui n'ont pu se.maintenir.

. Que doit-on conçlure, alors~ de l'organi- -sation économique de. cette commune? Nous avons parlé, plus haut; de' déséquilibre~ En réalité; celui~'~i n'est pas d'ordre interne: l'explOitation et ses ressources annexes permettent au cultivateur de subvenir à ses besoins alimentaires et à ceux de sa famille, et les revenus tirés de la vente du couag lui donnent la possibilité d'achet~r, sans doute au prix de . gros sacrifices, quelques-uns des biens modernes qui s'affir- 1 -ment de plus en plus comme nécessaires. 88

Cette·.économie se caractérise plut8t par un déséq~i~ibre relatif; qui ~e fait que s'accentuer au fil des tenps : Ouanary n'est pas .assez coupé du reste de la Guyane, et surtout de Cayenne, pour ne l)as subir le pro­ -cessus de création accélérée ~e besoins nouveaux - bien connu ~ans nos sociétés de consommation - que ses ressourc~s peuvent d'autant moins couvrir qu'elles sont en régression.

Ce phénomène n'a rien d'or~ginal~ On le, trouve.dans toutes les campagne~ déshéritées, et l'on est alors ramené à un problèoe qui n'est plus seulement écono­ -mique; Dais aussi sociologique, 'et qui s'exprime par la classiqQe opposition entre tradition rurale et nodernité 1 urbaine. 89

L'EXODE RURAL

L'exode vers la ville est un ph~nomèn~ que connaissent toutes les connunes rurales'de Guyane. Mais à Ouanary, ce mouvement p~ésente quelques particularités : i~ est relativenent récent, il porte sur u~e ~opula~ion jeune, et concerne plus de fenues que d'hommes~

Tels sont tout au moins l~s résultats de_ l'enquête que nous aV9ns.menée auprès des gens d'Ouanary émigrés à Cayenne (1). Nous avons ainsi répertorié 38 adul­ -tes (de plus de 15 ans)~ dont les caractéristiques sont les suivantes :

Hommes 12: Femmes 26

Originaires du bourg d'Ouanary 22 de Pays Indien et "rivière" 16

nés avant 1915 6 entre 1915 et 1940 (exclu) 5 après 1940 (inclus) 27

Venus à Cayenne avant 1955 5 entre 1955 et 1960 8 entre 1961 et 1965 14 après 1965 11

1 .

Ce tableau fait tout d'abord apparattre une population où les femmes d'une part, les jeunes de 15 à 30 ans d'autre part, sont najoritaires, et qui s'~juste p~rfai~ement' à la pyramide des ages d'Ouanary (cf. graphique _ p. 29). Ceci provient du fait que l'~migration est récente (postérieure à 1960 pour les 2/3 de ses effectifs), et qu'elle

(1) Nous ne saurions affirner que les données de cette en­ -quête soient parfaitement exhaustives, d'un point de vue nunérique, ,car nous n'avons pu procçder que de façon très empirique. Nous espérons cependant ,avoir touché '. l'essentiel de cette population émigrée, et cet espoir est confirné par le fait que nous retrouvons ici la plupart des "nanquants" de notre propre recensenent sur le ter~ain, ~n 1971, par rapport au recenseme~t INSEE de 1967 (cf. chap. l § Les données démographiques). 90

se poursuit au ryth~e de 2 ou 3 départs annuels pour une_ centaine d'habitants; si bien que la co~nune d'origine en porte la marque très nette au point de vue de son équili­ -bre démographique (1}~

On peut noter par ailleurs que, pour des populations numérique~ent semblables, Ouanary fournit.plus d'énigrés ~~e Pays Indien et ses habitam1on~ de riviè~e : 58 ~ contre 42 %. ~a différence est sans doute t~op faible, en nonbre absolu, pour ~tre très significative~ nais elle corres­

-pond cependant assez bien au fait que la tradition1 est plus résistante dans le second cas que dans le prenier.

Une analyse des motivations conscientes,de départ pernettra de circonscrire un peu mieux le problème. Les raisons invoquées par les interviewés peuvent en effet donner lieu à une première classification en deux groupes :

ceux qui ont pris délibérémsnt la décision de partir : 1 ceux dont le départ a été contingènt.

.J A l'intérieur de ces catégories, on ~rouve plusieurs thènes dont la distribution est la suivante :

r 1 l' 1 ••• l ' 1 1 1 - Pour chercher un travail salarié •...•...... G.~ •• 10 DEPARTS , . i " 1 Pour apprendre un métier ••••••••••••••••••••••••••• 4 .vOLONTAIRES - 1 : • ; •• , •• 17 - Pour fuir l'ennui d'une vie morne •••••••••••••••••• 3

- Personnes âgées ou malades ayant besoin d'assistance 7 -' - Envoyés, étant enfants~ faire leurs études à Cayenne 5 DEPARTS CONTINGENT~- Fennes ayant suivi leurs naris·ou concubins ••.••••• 4 -:J~unes ayant suivi lSexe~ple d'un parent ou d'un ami 3 21. l , 1 1 1 • -:'J ~unes gens app elés au Servic e Militaire ••••••••••• 2 , ,

(1) Nous nl~vons répertorié dans le tableau précédent que les adultes. Il convient d'y'ajouter une dizaine d'enfants de moins de 15 ans; venus dlOua~ary avec leurs par§nts~ Mais surtout, il faut voir que le~.départs de,j~~es, et en particulier de j eunes fe~I:1es, .entra:tnentune import!?-nte . chute du taux d'accroissement, par natalité, de la ~o~mun~ï une cinquantaine d'enfants sont ainsi nés à Cayenne~ du­ -rant les 10 dern~ères années, de pères ou de mères origi­ ~naires d'Ouanary. 91 La catégorie des départs volontaires corres­ -pond en fait à une attitude de refus, plus ou noins explicite ~elon les cas, de l'agriculture et du node de vie q~i lui est lié: soit que le travail de la terre et les conditions dans'les~ ~q~~~l~s il s'effectue soient estimés trop pénibles, soit que_ le problème de l'écoulement de la production soit jugé trop diffictle à résoudre, soit que les revenus paraissent insuffi~ -sants.

Cette attitude a presque toujoürs pour co­ -rollaire un dési~ de pronotion socio-écononique; lequel; dans l'esprit guyanais, ne peut trouver satisfaction qu'à Cayenne, ce qui revient à dire qu'il y a une nette valorisation de la vie urbaine par rapport à la vie rurale, et certains sont

d'ailleurs particulièrenent sens ib,les à l' opposition entre 1 "l'ennui" de la vie en co~nune et "l'aniDation" de la ville.

On pourrait en dire autant de ceux qui ne sont.pas retournés au village après le service militaire ou ' les études à Cayenne (la scolarisation,n'étant pas très pous­ -sée, nous le verrons plus loin) : leu~s réponse~ font montre de cette n~ne valori~ation de ln ville, mais le ~efus de l'a~ -griculture y est Bo~ns marqué dans la ,mesure où, leur dépar~ ayant été contingent, ils n'ont pas eu, conge les précédents, à prendre position vis-à-vis de çe problème.

De toute façon; c'e~t pour la plupart (à , l'exception des per~onnes seules, agé~s ou malàdes, dont l'exo~ -de a été en quelqu~ sorte contraint), à,un degré de conscience sans douty variable, le choix de ln mode~nité en regard de l~ tradition. Car en refusant l'ag~iculture, c'e?t bien le ~ode de vie traditionnel lié au complexe de l'abnt~is qu'ils refu­ -sent ; en choisissa.nt de venir, ou de rester, à Cayen~e, ce sont bien certains nodèles nqdernistes qu'ilS adoptent.

En réalité; il n'y a que cette seule alter­

-native:1 ln trndition dnns le trnvnil agricàle ou l'exode vers• Cayenne. La conBune n'est,pns sur le chemin de ln nodernité : mnlgré quelques nnéliornt~ons techniques, elle subit plut8t une régression écononique,et +0. fuite des jeunes ne fait ~ qu'accentuer ce nouvement. El~e ne peut donc pas intégrer ces nouveaux modèles de pronotion;' qui J?rennent pourtnnt une in·_. -fluence de plus en plus inpo~tnnte.

1 A cet éga~d; la scolarisation joue un r81e primordial~ Duns la cODDune, elle opère un clivage net entre .: deux "génér.ations", disons schémntiqueIj1ent celle qui est née avant 1930, et celle qui est née après. Un bref ~ableau réca7 -pitulatif permettra de mieux saisir les données du problème~

, • , 1 , classes ne~ avant ,iié~ a partir dtâge(l) . TotaJ., r niveau - 1930 de 1930 Illettrés ou rudiments lecture écriture 56 % la % 35 % Cours élénentaires et noyens 35 % 65 % 49 %.

1 , 1 C.E.P. et au-delà 9 % 25 % 16 % .. 1 1.00 % 100 % 100 % (1) Les 2 classes d'age sont nunériquenent équivalentes~ 92

Cette extension de la'scolarisation pour les générations postérieures à 1930 ntest pns sans conséquences sur le plan·.culturel~ Tout dt0bord,' les maîtres viennent de la ville, et sont porteurs ,d'un système de valeurs noder­ -niste ; quant aux programmes, ~l~ sont élaborés en métropqle (ils ne tendent à ~tre,adaptés au contexte local que depuis une date très récente). A l'école, 'l'enfant fait donc l:ap­ -prentissage,d'une culture qui n'est pas celle de son nilieu traditionnel. Les études n'étant guère souvent poussées au- _ delà du cours noyen, cet apprentissage n'est pns un élénent de changenent radical, mais il est suffisant pour que se for7 -tifient justement ces modèles de promotion socio-économique.

Comparons au tableau précédent les données relatives au niveau de fin dtétudes de la population émigrée à Cayenne :

Ouanary Poursuite des Total , Niveau exclusivenen études a Cayenne en.% Illettrés ou rudiment. r de lecture écriture 5 13 % Cours élémentaires et noyens 15 4 50 %1

• 1 C.E.P. ou au-delà . (C.A.P. l , ') 6 8 37 %

On staperçoit que la popul~tion émigrée est, en n9yenne, plus scolarisée que ce~le q~i est restée à Ouanary. Nous n'avons pas différencié, ici, les deux classe~ di~ge à cause de ln faiblesse des nombres absolus~ Mais s~. l!on ne s'attache qu'à la génération postérieury à 1930, lq catégorie des illettrés disparaît tota~eDent~ Toutefois, le niveau n'est j~m~is très poussé non .plus g parmi ceux qui ont poursu~vt ~es études à Cayenne, on compte plusieurs cas de C.A.P., nais un seul cns d'études secondaires (niveau lèEe)~ Sans doute ne s'agit-il que des adultes, et il est possible que cet état de faits change pour les generations,, nontantes.1

Toujours est-il que, sans qu~il y ait une corrélation parfaite entre les deux p~énomènes, l'inf+uenc~ de la scolarisation sur ltexode n'est ,pas négligeable. A cela s'ajoute le prestige de l':nstituteur, et d'une façon géné­ -raIe, des professions adlli~istratives, qui demandent un ni- -veau minimal d'instructio~G

Pourtant, dans la majeure partie des cas, les métiers exercés à Cayenne par les émigrés d'Ouanary s'appatentent aux catégories socig-professionnelles les plus basses. En voici la distribution ~ 93

.~- Sexe Hommes Femnes Profession-- FenDes au foyer sans~ ch8neurs 1 10 retraités

'" manutentionnaires Danoeuvres 10 2 ouvriers spécialisés

Fonction publique 1 1 (non-cadres) '"

Fenmes de uénage Il serveuses -, X 38 Si l'on précise que lq salaire noyen d'~ manoeuvre se situe aux alentours de 700,00 francs par mois, que +e salaire Doyen d'une femoe de ménage employée à temps pleiB par un particulier est de l'ordre de 250,00 francs par nois, et qu'enfin ni les emplois ni les travailleurs ne sont vraiment stables, on ~ura la uesure de la promotion effective de ces émigrés ruraux. . . . Le niveau de vie apparent n'en est pas noins plus élevé qu'en commune, dans une certaine partie des cas; mais non pas de façon systénatique : nous pouvons observer de grandes différences entre les habitations des 32 foyers 1 regroupant les 38 adultes répertoriés par l'enqu~te.

Pour ce qui est du type de naison nous trouvons : ~ 9 maisons' collectives en bois ~ 8 naisons collectives en dur (ge~re HLM) - T' Daisons individuelles en bois l - 8 maisons individuelles en dur~

1 Encore faut-il décrire ces naisons. Dans .; c elles' genre HLM, il Y a évidellT.lent le confo ri élénentàire légal : é~ectricité, enu courante sur l'évier, douches, wate~' closet à ~vacuation. Dans les autres cas, le confort est plu~ aléatoire, comme on peut en juger dans ce tableau récapitula­ -tif : - Elément de confort Intérieur .Extérieur néant

Electricité 26 . -----~---- . 6 Eau courante 16 12 4

1 W.C. à évacuation 16 5 Il

Douches - lavabo 15 5 12 94

Mention spéciale doit être faite de cer­ -taines maisons collectives, le plus souvent en bois, qui

ne sont pas sans1 rappeler quelques quartiers de Mexico ou • de Rio de Janeiro. Ici, on l~s trouve en plein centre de la ' ville, quoique'. rien n' en ~ais~e soupçonner la présence ex­ -térieuremynt : de la rue, on ne voit qu'une porte comme les autres. Cependant, cette porte ne do~ne pas accès à la maison de façade, mais à un long cOUloir, ou un étroit passa­ -ge à ciel ouvert, conduisant à une cour tout autour de laquelle slouvre une série de chanbres misérables, dont chacune abrite une famille plus ou moins nombreuse. Il nt y a pas toujours l'électricité; un seul point d'eau, dans _ la cour, ~essert tous les locataires; il n'y a généraleme~t qu'un W.C. collecp+t, pas même muni d'un système d'évacua­ -tion automatique•••

Dans ce type dlhabitation~ l'absence de confort est ,évidemment pe~çue conne pénible, à cause de la promiscuité. Mais il n'en va pas de même pour les maisons l ' individuelle~. L'eau ne s'y trouve égaleoent so~vent que dans la ~our. Mais c'est là que l'on construit ~tabri qui servira ge cuisine, si bien que ,la cour devient, comme à la campagne, le coeur de la maison.

Ltamélioration des conditions de ~ogement n'en demeure pas. moins une marq~e d'augmentation du.nive~u de.vie: ceux qu~ possèdent ou louent des bungalows, des villas en dur ou des appartements équipés de tout le con­ -fort m9derne représentent la Qoitié de cette P9pulation émigrée~ Toutefois, llexistence de l'autre noitié montre bien que la consécration de la promotio~ sociale ne se si~ -tue pas pour tous au plan ~e l'habitat.

L~ encor~; il faut évoquer la possession de certains ~iens modernes, et tout d'abord les véhicules de transport. Les a~tonobiles restent rares : 2 foyers s~r 32 en possèdent une. On trouve quelques vélomoteurs (un . ti~rs des cas) ',et bicyclettys (15 %des cas) ~ Les autres;' soit la moitié, vont à pied~ ..

En revanche, les postes de radio sont très nombreux (80 %des cas), et l~s téléviseurs sont éga­ -lement représentés (20 %des cas). 'Mais c'est sans doute. le confort ménager qui fait les plus nets progrè~ par rappqrt à la vie en commune : réchauds cu cuisinières à gaz butane,' et m~ne assez souvent réfrigérateurs électriques, tendent '0 à se généraliser au moins pour ceux qui vivent en famille (70 %des cas)~ , Si It on fait le bilan ·de, ce problème du niveau de vie comparé entre la population demeurée dans la commune,d'Ouanary et celle émigrée à Cayenne, on doit cependant ~e rendre à l'~vidence qu~ l'anélioration est, en moyen~e, assez faible. Le pouvoir d 1 achat reste en fait très bas. Si les revenus augmentent (ils peuvent atteindre 1000,00 fra~cs par famille dans le cas fréquent où la feillne fait des mé~ages, touche les allocations familiales pour ses enfants, et vit avec un mari ou concubin manoeuvre), les 95

frais et les charges aug~entent dans les m~mes proportions~ Et il faut bien admettre que la nourriture est souvent mo~nü abondante et moins riche que chez les paysans qui produisent ou se procurent directeoent les al~ments dont ils ont besqin.

En fin de compte;' c'E?st essentiellement;' dans la différence de Body de vie que réside, pour beaucoup, le sentiment de promotion. A cet égard, l'animation de la ville et les loisirs qu'elle offre jouent un r8le de tout ~' premier plan. Nous ne nous étendrons pas longue~ent sur ce chapitry qui entre dans le cadre d'une étude de sociolo~ie urbaine~ Mais signalons cependant l'importance des bals. Il y a plusieurs grandes salles de danse publiques, à Cayenne, où tous les samedis soirs, en,dehors de la période du carême, les jeunes peuvent se renco~trer et s~adonner au divertissement préféré des guyanais, la danse.

, Et ceci montre bien que l'exode rural n'est pas, à Ouanary, l'expression du seul désarroi écono- 1 -mique z il est aussi la narque d'une crise socio-culturelle. Les manifestations collectives de cette société villageoisE? semblent êt~e devenues insuffisantes pour créer le foyer attractif susc~ptible d'intégrer les nouvelles générations, à la communauté. Mais s'agit-il encore de coomunauté ? C'est là la question à la~uelle nous essaierons de répondre en guise de conclusion.

'.., 96

a 0 N a LUS L,O N

", Nous avons annoncé, en,introduction, que la présente étude avait été motivée par le caractère a p~iori narginal de la région d'Ouanary, et qu'elle avait pour but de vérifier et éventuellement modifier certaines des conclusions auxquelles nous avaient fait aboutir nos précédentes recherches sur les cas de Régine - Guisanbourg et Mana~

Au terme de cet exposé, il reste à déter­ -miner la place qu'occupe ce dernier cas au sein du milieu 1 _ rural te~ qu'il a pu être préalablenent défini. Le problème est de savoir dans quelle mesure Ouanary et (ou) Pays Indien échappent ou non aux règles de désintégration et d'impact administratif qui réduisent tous les autres bour~guyanais 1 au' seul é tat de"c 0 mr.lUn e Sil.

Encore faut-il p~éciser le contenu que prend, ici, la notion de "c9mr!lune"~ a'est,en quelque sorte l'envers de la "communauté". Nous entendons "comr:J.unauté" au s~ns large d'unité pleinement intégré~; résultant'du r~­ -seau complexe des relations éC9nomiques, parentales, socia- -les, politiques et religieuses. La "comnune" est alors l'u- -nité artifictelle, plaquée de l'extérieur par l'action ad- -ministrative.

Ouanary a ceci de particulier qu'il oscille vers la seconde formule, tout en ayant possédé pendant, long­ -temps l'une, Dais l'une seuleneni, des caractéristiques de la première. Pour montrer sn position exacte, nous aurons recours à une translation de la question au niveau de deux autres concepts - l'authentique et le fonctionnel - qui 1 permettront peut-~tre une définition plus nuancée. 97

UNE UNITE AUTHENTIQUE.

Il appara~t sans conteste que l'émancipa­ -tian de 1848 a provoqué, à Ouanary, la formation spontanée d'une société rurale nouvelle, enfin libre d'affirme~ peu à peu la vocation proprement. "créole" de ses nembres. . . Sans doute, si l'on en croit la tradition orale· (cf. chap. II), l'installation, au flanc oriental des Monts de l'Observatoire, d'une partie des a~ciens esclaves de la plantation de la Montagne Lucas, a-t-~lle été nette­ -ment favorisée par l'action de ce planteur, propriétaire de l'ensenble de l'habitation "Le Ouanary", laquelle cou­ -vrait une large surface des terres cultivables de la région, en particulier le long de la rive gauche du fleuve où se t~ouve~t les sols les plus propices au Danio~ (cf. carte p. 41). Mais il est néanmoins certain que nulle contrainte n'a pu ~tre exercée sur les nouveaux libérés; dont beaucoup ont d'ailleurs choisi de s'é~arpiller au long de la rivière et de ses criques affluentes •

. Dès lors,' si au cours de la seconde noitié du XIXème siè~le, ce quartier a su constituer un groupement cohérent, il ~e le doit qu'à l'effort de ~réation créole de ses habitants, et c'est dans cette mesuredqu'il peut ~tre considéré comme éta~t; dans son fondenent, une unité parfai­ -tenent authentique.

Que dire de cette culture créole qui prend forne à Ouanary, et de l'organisation sociale à travers la­ -quelle elle s'exprime? En vérité, rien de bien différent de ce que nous avons pu dire à propos ~e la plupart des . autres bourgs du littoral guyanais (cf. introduction) : c'e~t la m~ne réaction individualiste de l'esclave soudain libéré de la structure rigide à laquelle il a été jusqu'alors assu­ -jetti, la même fuite systéna~ique de tout cadre susceptible de lui rappeler ce joug antérieur~ Ici aussi, nous l'avons. vu (cf. chap. II), la liberté pour le Créole consiste à par,­ -tir cultiver un abattis vivrier dans un isolenent relctif, qui débouche finalement sur la fornation de petites unités 1 familiales d'autosubsistance.

C'est surtout la reprise spontanée; par les Créoles; du système d'entraid~ institué par les petits colons blancs de l'époque servile, pour les gros travaux des abattis: par.le double jeu de la réciprocité des services rendus et de la haute fréquence des grandes réunions la~o­ -rieuses, qui la définit, cette entraide, dite "nahury", se présentel bientôt comne le champ privilégié, des relations sociales. Et ce champ n'est pas restrictif: il englobe les rappo~ts entre parents, entre vois~ns, entre amis, br~f e~­ -tre tous ceux qui veulent bien participer au système. Ai~s~ s'affirme la dimension collective: à travers le "mahury" , c'est l'appartenance à un seul et m~me groupe qui s'exprime, un groupe en marge duquel 'se mettent obligatoirement ceux qui refusent de participer à l'entraide.1 98

.Toutefois, parallèlement à,cette construc­ -tion créo~e qui se fait pas à pas mais dont tout laisse à supposer qu'elle aboutira ù la formation d'une véritable cOI:munauté; intervient la. découverte des gisements aurifèr~s de l'in~érieur du pays: dès 1880, la. fièvre bat son plein, entratnant avec elle un flux de migrants et d'immigrants qui va bientôt submerger les bourgs cÔtiers situés sur son 1 passage.

Mais Ouanary n'est pas sur le chemin de .,.\ l'or et par là-~ême échappe aux désordres auxquels succoo­ -bent tous les autres embryons de communautés~ Sans doute cette région subit~elle malgré tout le' contre-coup de l'or~_ -paillage; puisqu'elle se spécialise dans l~ culture inten•. popu~ -sifiée du manioc en• vue d'approvisionner1 en• couac les -lations minières de l'intérieur. Néanmoins, cette façon de participer à l'économie globale, si elle a d'autres con­ -séquences, ne met pa~ en cause.le système collectif quant au mode de production. Bien au qontraire, si l'on en croit les souvenirs des yieux paysans, ~amais le "mahury" n'est plus florissant qu'à cette époque. /

Ce phé~oDène s'explique d'ailleurs aisé-, -ment : pour vendre plus, il faut produire davantage, donc, compte tenu de l'archaisme des techniques connues et employées, cultiver de plus larges surfages ; et l'entraide collective reste bien la meilleure maniè~e de pallier les difficul~és d'un tel accroissement. Ainsi, stabilisé dans une agric~lture traditionnelle et à l'abri des mouvements de population, le groupe peut, à l'inverse des autres bourgs de Guyane, conser­ -ver et ~ême fortifier cette assise sur laquelle repose son 1 unité et son authenticité.

àn ne sera pas étonné, dès lors, de cons~ ..;.tater aujourd'hui la pers:r.stance de ce caro.ctère d'unité l. . authentique~ Celle~cï est facilitée, il faut le dire, par l'isolenent géograp~ique dans lequel se mo.intient depuis toujours, ce groupe~ r-1ais elle apparatt à d'autres niv'eaux, ; et tout d'o.bord celui de la composition dénogr~phique : 11 es_ ~sentiel de la pop~lation du quartier est fordé de Créoles gùyanais~ Liétude des principales généalogies montre q~e . Iton est en présence de lignées originaires de l'émanc~pation, et dont certaines ont même; pour premier ancê~re connu, un ._ esclave de la plantation de la.Montagne Lucas. Ce fait vaut la peine d'être remarqué tant ~1'est ro.re en Guyane où, géné­ -ralement, les lignées ~ont brouillées po.r les migrations de la période d'orpaillage;

Toujours est-il que l'on a, ici, un ~rou­ -penent relativement ancien, et dont, en conséquence, les . contours ont eu le temps de se dessiner de façon assez nette, par un système d'alliances qui, sans être exclusif, s'est avé­ -ré suffisant pour mrttre en relation les principales fa- -milles de la région. A cet égerd, il est intéressant de 99

noter la relation qui s'est instaurée entre le "Haut" et le "Bas" de la rivière, ou, si l'on veut, entre l'actuel Pays Indien où Se sont regroupés les habitants d'amont et le bourg d'Ouanary : il semble que le jeu des alliançes . préférentielles inter et intra-villageoises (1) ait ~ssuré non seulement la liaison e~tre les deux sous-groupes, mais aussi l'équilibre de chacun d'eux (dans le cadre de la néo-patrilocalité).

..J Ce,endant, nous l'avons vu, l'organisation familiale est trop fluctuante - surtout depuis que s'instaure un important mouvement d'exode vers la ville - pour assurer à elle seule la pérennité du groupe. Le contraire serait . d'ailleurs paradoxal dans la mesure où l'une des caractéris­ -tiques premières des sociétés créoles et en particul~er _ guyanaises, est leur puissante faculté d'assimilation. B~en qu'isolée, la région d'Ouanary n'a pas échappé à ce prinqi­ -pe : aux vieilles familles dont on conna1t l~ génénlogie, se sont m~lés des éléoents d'autres communes. Mais venus un à un; ces derniers sont restés minoritair~s; de sorte que leur i~tégration n'a posé aucun problène. E~core était-il nécessaire, pour autant, que le système d'alliances et d'une manière générale to~te l'organisation familiale, soient extr~mement souples.

Il en résulte que l'indice d'authenticité le plus prob.:mt est la persistance du "mahury" ~ C'est' à _ Pays Indien que cette institution est la plus vivace : c'e~t là qu'ont eu lieu la plup~rt des séances que nous avons dé­ -nombrées (cf. chap. III). Nous verrons plus loin toutes les implications de cette restriction géographique qui marque 1 • en réalité un processus de régression. Mais il est important ~e not~r que dans l'immédiat, le "mahury" demeur~, à Pays Indien, un inportant champ de relations sociales. M~ne si les séances ne réunissent plus qu'une dizaine de partici- _ ~pants ~ 15 au maximum ~, elles,suffisent à mettre en re1a~ -tian, au Doins dix fois l'an, les trois quarts des exploi- ... -tants d~s habitations ~lentour, ce qui est encore bien e~~ep~ -tionnel pour la Guyane. Aussi doit-on comprendre cette sur~ -vivance, quelles qu'en soient les linites, comme la marque ind6niable d'une certaine résistance de la tradition créole, à travers l'un de ses asvects les plus positifs quant à 1 llexistence du groupe concerné.

(1) cf. chap. III et graphiques p. 51 - 52 et 53.

A d'Ouanary épouse B de Pays Indien A a et al dlOuanary B de Pays Indien b de Pays Indien b a et al d'Ouanary. 100

1 UNE UNITE PEU FONCTIONNBLLE.

En nettant en relief les éléments qui font, la continuité du groupe, nous avo~s voulu montrer que celui-ci a conservé toute son authenticité. Mais suffit-il qu'un grou­ _pe soit authentique pour assurer son existénce en tant que con~unauté ? Pour répondre à cette question, il faut recon~­ -dérer le problème de la vie collective, et tout d'abord ce7 -lui de l'entraide dans son état actuel et dans son devenir.

~' Les "mahury" sont bien m~ins nombreux qu'autrefOiS, en effect+fs et en fréquence, et perdent ainsi beaucoup de leur portée. Aujourd'hui, le choix du travail individuel ou d'une entraide lioitée à un très petit groupe de o@oes personnes (4 ou 5), ou encore du simple "coup de main" entre deux parents, deux voisins ou deux amis, ce choix ne fait, pas figure d'exception et ne conduit plus à la oo.rgino.lité.

En vérité~ il y a là l'indice de tout un processus de régression que nous avons déjà constaté en no­ -tant la restriction du phénomène au seul village de Pays . Indien~ Cette restriction géographique est en effet liun des maillons d'une réactidn en chatne : la réduction de la popu­ -lation concernée - encore accentuée par l'affaiblisseoent démographique dü à l'exod~ rural - provoque la chute des effectifs qui, à son tour, provoq~e la chute des fréquences de réunion puisque le, principe de base en est la réciprocité des services rendus.

En d'autres 'ternes, il Y a un optimum déoo~, -graphique pour que cette institution fonctionne parfaitement, et un minimum en-deça duquel elle ne peut que régresser jusqu'à disparition. Telle est précisément l'évolution déjà suivie, par Ouanary où le nombre des exploitations, sinon le chiffre de p'opulation, n netteoent diminué durant ces derniè~ -res a~nées, et tel est le chemin sur lequel s'engage Pays Indien.

.... On peut évidemment se demander pourquoi il s'est opéré une scission entre les deux villages, quant à cetty pratique collectivG ,qui autrefois unissait toute la région. La réponse est un peu extérieure au problème qui nous occupe ici: il semble qu'il y ait là l'interférence du facteur administratif, sur lequel nous allons revenir~

Ce qu'il convient de remarquer c'est que le "mahury" , qui est la seul e manifestation col). ective ver~... -tablement fonctionnelle ~yant jamais existé,'régresse, sans, qu'au~un autre système collectif ne vienne prendre la relèye. Alors, le groupe s'enfer~e peu à peu dans une tradition dé~ -sor~ais sclérosée puisque privée de son élément dynaoique, tandis que le chcngement vers la illodernité prend la seule voie qui lui soit offerte, celle de l'exode vers la villel 101

Et cet exode est la marque d'une grave crise villageoise. Il ~éborde largement le cadre économiqug qui en est l'or1gine pour exprimer également un phénomène socio-culturel : d'une part il est le choix de l'individua~ -lisrne, Cl est-à-dire de la solution personnelle à un pro- . -blème commun à tous, d'autre part il est le produit de la carence du groupe de référence en matière de vie collective, surtout au point de vue des jeunes

1 Cette série de remarqués mérite bien sar une explication. Il n'est pas douteux qu'harDis le "mahury", les manifestations de la vie collective n'ont jamais pu avoir une grande résonance, et c'est en cela que réside justement. la difficulté d'une définition du groupe - passé et a fortiqri présent .- en termes de communauté ; oais P9ur le comprendre, il faut une fois enc9re revenir en arrière.

Si; partout ailieurs en Guyane, l'orpai~1~ge a fait primer l'individu sur le groupe au point de provoquer la disparition de celui-ci au profit d'une foule rendue par­ -ticulièrement fluide par les incessantes oigrations qui ­ l'animaient, à Ouanary, il a permis, au contraire, l'instal+a­ -tian d'une sorte de $atu quo entre l'individu et ~e groupe.

En effet, nous venons ~e le voir, grâc~ au _ "mahury" et en plus f~ible mesure au systène d'alliances, g~a­ -ce aussi à l'isolenent géographique ayant déterminé une nette spécificité régio~ale; le groupe a pu trouver un certain ~i­ -veau de cohésion. Mais cette cohésion est restée minimal~ de par les pratiques individualistes qui ont pu subsister, voire se renforcer, ~vec les nouveaux modèles économiques nés de l'orpaillage et,appoftés par le mode de commercialisation du couac (cf. chap~ II).

Toutefois, ce statu quo n'a pu se maintenir, qu'autant qu'a duré la prospérité minière: elle seule était susceptible de justifier la motivation économique individuelle et d'assurrr en même tenps la haute fréquence de l'entraide collective. Alors, si la situation d'orpaillage n'a pas été une épreuve insurmontable pour ce groupe qui ne l'a vécue qu'indirectement, c'est paradoxaleoent l'épuisement de l'or qui l'est devenu: la façon dont les paysans ont tenté de ,~, surnonter le désarroi'~conooique dans lequel les a plongé la fermeture des marchés de l'intérieur; révèle bie~ toutes les faiblesses de la création collective antérieure. Et il n'est que de suivre l'évolution du groupe durant ces 20 der­ -nières années pour se rendre coopte qu'il n'avait pas atteint le stade de la "comnunauté" ['.upl~in sens du terme~

Cette évolution; c'est ~elle de la progres-. -sion de l'individualisne~ aussi bien pour ceux qui restent que pour ceux qui partent. Les premiers ont à résoudre le pro­ -blème de l'écoulement de leur production, et pour ce faire, chacun choisit la solution personnelle qui consiste soit à 102

avoir un "corresp'ondant" à Cayenne, chargé de la réception et de la revente de son couac, ,soit à descendre en ville effectuer soi-m~rne cette teche. Les seconds refusent le dur labeur agricole, la vie mor~e du village ; ils veulent conn~î­ -tre une certaine promotion : chacun va alors tenter sa pro- -pre chance ~u chef-lieu où; de surcro±t, les distractions ne manquent pas.

Et le groupe s'avèré to~alement incapable de juguler ce processus,de désintégration, car il ne possède aucun moyen de contrôle. Ces moyens de contrôle, il a perdu toute chance de les forger avec l'avènement de l'orpaillage, au mOlle~t où les gros cOmDerço.nts de Cayenne sont venus s'en­ -tendre directement avec chacun des producteurs agricoles et par là-même lui ont 8~é sa principale raison d'être, celle d'organiser la survie.

Ainsi, en provoquant le renforcement de Ifindividualisme, même dans le seul domaine économique, l'or­ -paillage a finalement été déterminant : il a permis au grou- -pe de subsister de faç9n apparemment harmonieuse, mais 'dans ' un équili~re artificiel. En d'autres ternes, tout se passe comme si la cO~llunauté s'était figée à un certain niveau de sa formation; avant que d'avoir pu dépasser le~ profon~es contra­ -dictions inhérentes aux conditions de sa n~issance~ Ce qui veut dire qu'elle a pu demeurer authentique, m~is n'est ja­ -mais parvenue à être p~eineBent fonctionnelle.

,~.

'1"" 103

QUANARY ET LE MILIEU RURAL GUYANAIS.

Comment définir, au bout ~u compte, la région d'Ouanary par rapport à l'ensemble du milieu rural guyanais ? Avant de tenter ce dernier bilan~ rappelons briè­ -vement les grandes caractéristiques de ce milieu, tel qu'il nous est apparu à travers l'étude des bourgs de Régina Guisanbourg et Mana (1).

Si nous nous replaçons tout d'abord du point de vue historique, nous devons noter le déterminisme des situa- .tions passées et de leur enchatnement : en succédant pres­ e' -que sans transition à la situation d'esclavage, celle d'or- -paillage a permis l'avènenent d'un système de vie totalement individualiste, et a eopêché les groupes ruraux,naissants de se constituer en véritables com~unautés créoles. Le pays s'est en quelque sorte installé dans un état de crise socio-culturel~e que la prospérité minière parvenait toutefois à masquer~ Mais cette crise a été rendue mnnifeste, lorsque l'or a cessé d'a­ -limenter sa justification éco~omique.

Actuellement, la "solution départeDentale~' essaie de ju~uler la crise du milieu rural par une politique d'assistance. Mais par le jeu des aides personnelles, celle-ci reprend à sQn compte la ootivation économique i~dividuelle née de l'or. La crise ne fait donc que repasser à l'état latent, et si les bourgs du littoral subsistent, ils ne doivent· leur e~istence qu'à leur qualité de cadres ~dministratifs : l'unité rurale d'aujourd'hui ne se situe pl~s qu'à ce seul niveau, ce qui veut dire qu'elle fonc~ionne, certes, mais sans aucune authenticité sous-jacente.

Dès lors, la tradition dont font preuve certains villages de l'Est et le changement vers la modernité qui apparatt dans ceux de l'Ouest, sont en fait de faux­ semblants : ils ne sont que les aspects extrênes que peut " .. revêtir l'impact adninistratif dont l'action aboutit à main­ -tenir ici la tradition, n promulguer là le chan~ement, selon la vocation attribuée, a.priori,.à chaque région.

Ryprenons maintenant le cas d'Ouanary en ,. regard de ce schéma. Sans doute n'y a-t-il pas correspondance, point à poi~t, oais on ne saurait non plus parler d'une réelle oaJ:'gi:tJ.alité.

Au plan historique, force est de constater que ce groupe villageois n'a pas été démantelé, comme les au­ -tres, par l'orpaillage et ses oigrations, et qu'il a pu tra- -verser cette longue période d y désordre sans rien perdre de l'authenticité de son unité. Mais on ne peut dire qu'il ait

(1) cf~ introduction et rapport sur Mana, op.cit. p. 6 , où sont développées les étapes de l'analyse~ l04

échappé à la ~ontée de l'individualisme: en perdant sa fonc­ -tion essentielle - l'organisation de la survie -, au profit _ d'un système extérieur à lui~m~TI~ - l'organisation comnerciale liée à l ' exploitation aurifère -, il s'est trouvé assez ~ap~­ -dement privé de sa dynamique int~rne, si bien que son tnté- -gration n'a pas pu atteindre le stade de la comnunauté.

L'équilibre qui s'est .instauré entre l'indi­ -vidu et le groupe n'a certes pas été générateur d'une crise socio-culturelle aussi aigue que celle connue par les bourgs "relais" en proie à la plus complète anomie, mais il en a, en quelque sorte, posé les ~alons, de par son double carac~ère loI artificiel et inhibiteur. Et c'est finalenent l'épuisement. de l'or qui, en plongeant le village dans un désarroi écono­ -Dique que le groupe était désormais incapable de surm9nter, a été l'inducteur de l'actuelle crise socio-culturelle~

1 Car il ne faut pas s'y tromper. Ouanary partage ~ujourd'hui la crise qui atte~nt tout le milieu ruràl guyanais. Sans doute est-il divers niveaux de crise, et le cas qui nous intéresse ici n'en est évidemment pas au po~nt de Mana ou de Régina. Néanmoins, tout porte à croire qu'~l est sur la m@me voie. Les différences que l'on peut observer, à l'intérieur de la 'région, entre le bourg d'Ouanary proprement dit et celui de Pays Indien vont d'ailleurs dans le Sens de cette assertion.

A Pays Indien, la tradition s'est conservée, et' cette résistance est le fRit du groupe. Ce petit village est certainement le plus proche de la "communauté" dont nous avons en va~n cherché les traces ailleurs. Néanmoins, cette communauté n'a jauais été ache~ei et l~ tr~dition qu'elle' perpétue est empreinte des contradictions qu~ ont préludé à sa forma~ion : si elle est authentique, la cohésion est aussi minimale. Le groupe est donc très vulnérable, face à l'évolu­ -tion moderniste du reste du. pays, car il est incapable d'assu- -mer lui-mêm.e son changement. Son avenir est par conséquent très limi~é, s'il demeure livré à ses propres forces,car ces forces sont statiques et le conduisent à un repli d'OÙ s'é­ -chappent; un à un; les éléments jeunes~

En revanche; le bourg d'Ouanary propreqent dit n'a pas eu à pratiquer cet insoluble repli: en 1950, il est devenu chef-lieu de commune, et a acquis les différents services publics qui lui 9nt permis de faire l'apprentissage d'un nouveau type d'unité.

L'évolution de ces dernières années y est .. en effet marquée par un renforcement de l'individualisme ~el, qu'il finit par nettre en c~use l'authenticité du groupe: non seulenent l'influence des modèles modernistes de' promotion socio-économique y provoque un très fort exode des jeunes, mais le noyau qui reste tend lui-même à se désintégrer, puisque le "mahury" a progressivement été abandonné au profit du tra­ -vail en solitaire, ou au mieux du "~iI!l.ple coup de main" le plus souvent réduit à deux ~ersonnes. 105

. Mais en s'affirmant "communell, au sens guyanais .. du terme, Ouanary se donne quelque cha;nce de ~. survivre, au moins en tant que cadre fonctionnel, sinon plus en tant que groupe authentique. Sans doute ne peut-on dire que l'impact adninistratif y soit pour l ' instant' aussi déterminant que dans les autres bourgades littorales: il g~gne cependant du terrain e~ prend peu à peu la relève du groupe pour assurer sa modernisation. Car dans la mesure où il refuse la vie ~raditionnelle et le repli qu'elle implique, sa.ns avoir pour auta.nt assez de dynamique pour promouvoir de lui-m~me son changement vers la modernité, le groupe s'engage égale­ -ment dans une impasse, d'où, seule, l'assistance peut le faire sortir. Les subventions de l'Etat y ont déjà permis divers anénagements (électricité, adduction d'eau, voirie, y bâtiments1 collectifs••• ) et ont ouvert quelques nouveaux emplois. Ce n'est encore qu'un début, mais qui montre bien que l'avenir de ce village - et celùi de Pays Indien qui lutte pour obtenir les mêmes Qvantages et s'enga.ge ainsi dans une semblable direction 1 - est désorma.is entre des mains extérieures à lui-mêne.

Tout dépyndra donc, en dernier ressort, de ltaction administrative. :i?lB~IP~.RAJ?HIE ..GUCC.INCTÉ.1.':,'" (GltY.(I.N·E)

~~ •• -. ,l-' ," "...... -, " s-"'.·' f "-.' • -

. "'! DEVEZE (M~') : Les" G\1y'ane~ Paris 1968. P~U~F• .' ~ DÙPONT-GONIN (~.) ;~~: La Guyane français y ., Genève 1970 - Libr..·· Droz~

'!- ËSAMBERT .(B~) ~. ;t:,', orpO:i1*?-g'~ en· Gu.y?~e {rançaise Cayenne 1·9·63~. Rc>n~o. Sery-ice des Mines.

;, ~è .c~ima t de 10. G-u;yo.ne. frl;\nçais e Paris ~965. Monogr~ Météo~ .~tionale.

: La Guyane ,françaisE(., 1 Cayen:ne 19'$0 ... Impr. Laporte;..

"1;. Les Indiens de lli Guyanefrançafse \ " , .,., .,.,. '. La Haye 19,63. Nij hpf'.:f.

R~ULT j'.~ ) I~dienB ... HU ( f Les '1;-', du.. littoral de là G\1yane fr~hçaise" 1. 1 Paris 1963' in Cah. d'Outrè1-Mer T. XVI.,

- HURAULT ~ La popu1atton des Indie:ns de GùyaJ;l~ françai'se Paris in Population nO 4 et 5 1965 'no 2 1966:~

- HURAtTLT ·:Le. vie mat6rlelle des Nolrs Réfugié's B9ni 'et. d es Indi~h~ 'Wayana Paris 1965 - ORSTOM.

1 Une commune traditionnelle de G:uyane,' française':. l' Approuague • ~ ~ '" 1 __ '" f 1 Cayenne 1968., QRSTOM. ronép. ' '",' ,. ..' \ .... , .~ ~OLIVET 'M~;;;"J';~j( ': uiiè 1{pp'rë>'che soc~.o~o"gique de la ,q.u:ya!le française, Crise et nivea.u ~'unité créole~ de la société. ~.. 1 Pari& 1971'ln Cuh. ORSTOM VIIt-3. \).'

1 .. JOLIVET : Etude de la société rurale guyanaiseo . Le cas de Mana., Cayenn~ 1971,ORSTOM Roné~~ 10",?

- LEVEQUE : Mémoire explicatif de la carte des sols de terres basses en Guyane française 1 Paris 1961 - ORSTOM.

- MICHOTTE : Un pays sous-développé et sous-peuplé: llexenple de la Guyane Bordeaux 1965." These Sciences é co!

- RAPPORT INSEE Résultats statistiques du recense­ -ment général de la population des 1 1 1 D.. O.lVI. Guyane (Oct. 1967) ~ 1 Paris Imprimerie Nationale. 108

TABLE DES MATIERES

AVANT-PROPOS •••.•••• ; . p. 1

INTRODUCTION ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p. 3

..~ , Le milieu rural guyanais •••••••••••••••• T! ••••• 3 • De l'esclavage à +0. départementalisation ••••••• 8 • Le cas d'Ouanary ••••••••••••••••••••••••••••••• 13

CHAPITRE l ~ ETUDE MORPHOtO GIQUE • • • • • • •• • • • ••• • • • • • • •• • •• •••• p. 14 • Le cadre géogra.phique ••••.•••••.•••••••••••••••• 14 ! Le cadre matériel •••••••••••••••.•••••••••••••• 18 • Les données administratives, •••••••••••••••••••• 23 • Les données dénographiques ••••••••••••••••••••• 27

CHAPITRE II LE DETERMINISME DES SITUATIONS PASSEES • ••• • • • •• •• • • • •• • •• p • 30

f Les d6buts du Quartier d'Oyapock ••••••••••• , •• ~ 30 • La région d'Ouanary au temps de l'esclavage •••• 34 • La formation de la comnunauté c~éole ••••••••••• 39 • Le contre-coup de l'orpaillage ••••••••••••••••• 46 CHAPITRE III TRADITION ET STRUCTURES ACTUELLES • • • • • • • •• • •• • • ••• •• • p. 50 • L!organisation réligie~se et familiale ••••••••• 50 T La tradition agricole •••••••••••••••••••••••••• 56 • Le comp~exe d!activités "agriculture - chasse - p~che 11 ••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 65 • Répa!ti~ion des tâches et entraide collective •• 71

CHAPITRE IV : LA CRISE

SOCIO-ECONOMIQUE •••• et •••••••••••• 0 ••••••• p • 76

l , • Le modèle individualiste ••••••••••••••••••••••• 76 • Le déséquilibr~ économique ••••••••••••••••••••• 80

.-, • L' exo d e ruraI •••.••••••••.••••••••••••••• 0 ••••• 89

CONCLUSION •e••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• p. 96

, Une unité authentique •••••••••••••••••••••••••• 97 • Une unité peu fonctionnelle •••••••• , ••••••••••• 100 • Ouanary et le milieu rural guyanais •••••••••••• 103

BIBLIOGRAPHIE SUCCINCTE (GUYANE) ••••••••••••••••• al. ••• p.l06 109

TABLE DES ILLUSTRATIONS

pages , CARTE LES GUYANES •••••••••• 0 ••••••••••••••••••••• 2 ~ - ~ ~ - CARTE • LE LITTORAL DE LA GUYANE FRANCAISE •••••• 5 ~~ CARTE • OUANARY - RELIEF ET SOLS •••••••••••••••••• 15 r • - PLAN : COMMUNE D'OUANARY. PLAN D'ENSEMBLE •••••••• 19

PLANCHE • LA VIE MATERIELLE DANS LA REGION D'OUANARY 21

.. PLANCHE • CONSTRUCTIONS DANS LA REGION D'OUANARY •••• 22 CARTE : ARRONDISSEMENTS DE CAYENNE - LES CANTONS DE L'EST ••••••••••••••••••• 25

1 • - GRAPHIQUE • PYRAMIDE DES AGES ••••••••••••••••••••••••• 29 - CARTE : LE QUARTIER D'OYAPOCK AU XVlllème SIECLE ••• 33 -' CARTE : LE DOMAINE DE L'HABITATION "LE.OU~~t''' . ème 1 "_. •- , A LFNA l DU XIX SIECLE •••• ~ ••••••••• 41

- CARTE : TITRES MINIERS POUR"OR Bassins d'Ouanary et Courouaye ••••••••• 47

- GRAPHIQUES: ALLIANCES INTER ET INTRA VILLAGEOISES l , .; , 51 II ,••••••••0••••• 52 III ••••••••••••••• 53

1 - CARTE • ACTUELS EMPLACEMENTS D'ABATTIS •••••••••••• 60

- CROQUIS : LES DEPLACEMENTS D'UNE1 EXPLOITATION1 • TRADITIONNELLE ••••••••••••••••••••••••• 62

- CROQUIS : L'HABITATION ET SON EXPLOITATION ~~~ ••••••• 64