Extrait de la publication Extrait de la publication Zacharie

Philippe Bernard

Zacharie

Récit historique

SEPTENTRION

Extrait de la publication Nous remercions le Conseil des Arts du Canada ainsi que la SODEC pour l’aide accordée à notre programme d’édition.

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Illustration de la couverture : Philip John Bainbrigge, View of Sorel, 1839, ANC C-2649.

Révision : Solange Deschênes

Maquette de la couverture et mise en pages : Folio infographie

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Diffusion en Europe : Dépôt légal – 2e trimestre 1998 Diffusion de l’édition québécoise Bibliothèque nationale du Québec Librairie du Québec ISBN 2-89448-101-2 30, rue Gay-Lussac 75005 Paris

Extrait de la publication Avant-propos

E LIVRE se voulait au départ la biographie d’un modeste C instituteur de village du Québec au XIXe siècle. L’un des membres de cette petite bourgeoisie rurale qui regroupait artisans, boutiquiers, marchands, maîtres d’école et auber- gistes. Relativement à l’aise par rapport aux cultivateurs et aux journaliers, proches des notables sans en être, à l’in- fluence réduite mais réelle, ces travailleurs assuraient des fonctions essentielles à leur communauté. Trop souvent, malheureusement, les historiens les ignorent. Il en fut autrement. Zacharie s’est révélé un personnage insoupçonné et captivant. Son comportement volontaire, bien qu’erratique à l’occasion, son tempérament parfois téméraire, parfois résigné, caractérisent un être déroutant et imprévisible, mais séduisant. Sa vie mouvementée a été marquée par des espoirs déçus, des obstacles surmontés, une longue quête d’un bonheur sans fuyant. En qualifiant cet ouvrage de récit historique, j’ai voulu indiquer qu’il relate des faits réels, vérifiés et situés dans le temps et l’espace, tout en laissant place à des suppositions pour combler des lacunes, à des mises en situation pour illustrer les événements. En revanche, le lecteur ne trouvera ni dialogues fictifs ni personnages inventés ; j’ai volontaire- ment écarté la forme romanesque, bien que le sujet s’y fût bien prêté. 8 Zacharie

Toute documentation sur la vie d’une personne, si riche soit-elle, demeure fragmentaire et incomplète; en parti- culier, celle de nature juridique déçoit par son laconisme. Pour comprendre, il faut lire entre les lignes, retenir des hypothèses, imaginer les choses, effectuer des recoupements, procéder à des associations. Le lecteur, la lectrice, jugera de la pertinence des interprétations. Certains événements ont laissé des traces, mais leur fra- gilité ne permet pas de conclure avec certitude ; leur pré- sentation formule des explications probables, bien qu’aucun document à l’appui ne puisse les confirmer. À quelques reprises, l’absence totale d’information a conduit à l’élabo- ration de scénarios incertains mais plausibles. Là encore, le lecteur jugera. La vie de Zacharie, comme celle de tout être humain, s’est déroulée à une époque et dans un milieu qui, directe- ment ou indirectement, l’ont influencé. Ses liens familiaux, son réseau social, les structures de la société, les conditions économiques, les événements politiques constituent autant de dimensions particulières qui expliquent son comporte- ment et son cheminement. D’où mon souci, au risque de rompre la continuité du récit, de situer le récit dans son contexte historique, de présenter à grands traits les person- nages rencontrés et de signaler les liens qui les unissent, de décrire les lieux où se déroule l’action, d’ajouter des considérations sur la vie quotidienne. Tous les extraits cités respectent fidèlement les docu- ments originaux ; je n’ai pas voulu les encombrer par les nombreux « sic » qu’auraient exigé les défaillances orthogra- phiques et syntaxiques de leurs auteurs ou le style et le vocabulaire propres à l’époque. Pour alléger la présentation, les références ont été regroupées en annexe, suivies de la liste des sources documentaires. Les notes infrapaginales ont été réservées à des remarques d’intérêt immédiat pour le

Extrait de la publication Avant-propos 9 lecteur ; le dollar de 1858, année où il est devenu la monnaie officielle du Canada, a été retenu pour calculer les équi- valences des diverses devises utilisées à cette époque. Ce livre n’aurait jamais vu le jour sans la collaboration inestimable d’Annie Barrat, maire de Laheycourt et membre du Cercle généalogique lorrain. Passionnée par le mystère qui entourait Zacharie, c’est elle qui, de fausses pistes en découvertes, a levé le voile sur ses secrets. Inlassablement, avec acharnement et ténacité, intuition, compétence et rigueur, elle a fouillé les archives de Bar-le-Duc (Moselle), de Troyes (Aube) et de Nancy (Meurthe-et-Moselle); elle a recueilli une riche documentation sur Zacharie, sa famille et les gens qu’il a cotoyés. Elle mérite ma reconnaissance infinie. Je remercie aussi son mari Daniel Petit et leurs deux enfants qui m’ont témoigné leur amitié en m’accueillant chaleureusement dans leur maison de Laheycourt. Grâce à l’amabilité de monsieur et madame Philippe Milarakis et de madame Claudine Singler, j’ai pu visiter les maisons de Laheycourt où Zacharie a passé sa jeunesse et sa vieillesse et prendre «in situ» des notes en vue de leur description. La visite de Clairvaux a été facilitée et agrémen- tée par monsieur Guy Balse. De nombreuses personnes m’ont apporté leur expertise dans mes recherches. Je désire signaler la collaboration éclairée et professionnelle du personnel des Archives natio- nales du Québec, de la Bibliothèque nationale du Québec et du Palais de justice de Montréal. Les responsables des archives des diocèses de Montréal, de Saint-Jean–Longueuil et de Saint-Hyacinthe, de ceux du séminaire de Saint- Hyacinthe et des paroisses de Sainte-Anne-de-Varennes et de Saint-Athanase-de-Bleury m’ont permis de ramasser un maté- riel important. Madame Nicole Poulin, présidente de la Société d’his- toire du Richelieu, m’a apporté une aide précieuse pour la

Extrait de la publication recherche sur Christieville. Madame Nicole Martin-Verenka m’a aimablement ouvert ses dossiers personnels sur L’Acadie et a ainsi suppléé le regrettable refus du conseil de la fabrique de Sainte-Marguerite-de-Blairfindie de me donner accès aux archives paroissiales. J’exprime ma gratitude à mes proches, parents et amis, qui m’ont accompagné tout au long de ma démarche et ont enduré mes monologues. Entre autres, Célyne Fortin et René Bonenfant, à de nombreuses reprises, ont écouté mes réflexions interrogatives, prodigué leurs conseils et encou- ragements. Alexandre Stefanescu a bien voulu prendre con- naissance de la première version du manuscrit et me trans- mettre ses critiques et suggestions très pertinentes.

PHILIPPE BERNARD Outremont, 15 décembre 1997 CHAPITRE 1 Montréal 16 décembre 1879

ERS NEUF HEURES, ce mardi matin, comme tous les autres V matins, l’animation envahit la rue Notre-Dame. Sur l’une des principales artères commerciales de Montréal, calèches, cabriolets et carrioles roulent vers le Palais de justice et l’hôtel de ville ou en direction de la place d’Armes où se regroupent les principales banques du pays. Les tram- ways tirés par des chevaux glissent sur les rails et s’arrêtent aux croisements pour laisser descendre et monter les passagers. Devant les magasins, boutiques, études de notaire et cabinets d’avocat, situés de part et d’autre de la voie publique, les piétons se pressent sur les trottoirs en bois. Quelques-uns s’engouffrent sous le monumental porche de la maison mère des sœurs de la Congrégation de Notre- Dame. Laissant à leur gauche le pensionnat des novices, ils atteignent la cour intérieure aménagée sur deux niveaux : un jardin où déambulent les religieuses pour prier et méditer, un terrain de gravier où les écolières se délassent, calme- ment et sans cri, sous la surveillance de leur institutrice. De nombreux bâtiments ceinturent l’ensemble : logement des religieuses, logement des serviteurs, salles de travail, parloirs,

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réfectoires, cuisine, salles de classe, dortoirs, auxquels s’ajou- tent les dépendances : écurie, étable, remise à bois et char- bon, entrepôt de fruits et légumes, glacière haute de deux étages. Le complexe communautaire occupe la quasi-totalité du terrain borné par les rues Notre-Dame au nord et Saint- Paul au sud, et les rues Saint-Jean-Baptiste à l’est et Saint- Sulpice, De Brésoles et Saint-Dizier à l’ouest. Sans s’attarder, les visiteurs pénètrent dans l’église con- ventuelle Notre-Dame-de-Pitié. L’édifice de pierre, construit sur l’emplacement de l’ancienne chapelle, a été inauguré le 31 juillet 1860 par l’évêque de Montréal, monseigneur Ignace Bourget1. À l’intérieur, sous les lustres de cristal éclairés au gaz, ils empruntent l’allée centrale qui divise la nef et s’installent devant l’autel dédié à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs ; deux allées latérales conduisent aux autels de saint Joseph et de sainte Anne. Les fidèles prennent place sur les premiers bancs séparés du chœur par la balustrade où le prêtre leur distribuera la communion. Ils sont venus assister à une messe funèbre chantée pour le repos de l’âme d’Adolphe-Pierre Bernard, décédé et inhumé en France le mois précédent. À l’avant, se tiennent la veuve du défunt, Anathalie Monjeau, et ses deux benjamines, Mélina et Iphigénie. De l’autre côté de l’allée, le fils aîné, Adolphe-Hector, notaire à Varennes, son épouse Agnès Mathieu et leurs deux plus vieux, Mathieu, huit ans, et Hector, sept ans; les autres enfants ont été laissés à la maison sous la garde de leur gouvernante. S’alignent au deuxième rang les fils cadets d’Anathalie : Émile, Alfred et Lucien, ce dernier accompagné de son

1. L’église sera démolie en 1912 pour permettre le prolongement de la rue Saint-Laurent, de la rue Notre-Dame jusqu’au port.

Extrait de la publication Montréal 13

épouse Angélina Roy ; associés depuis 1872, les trois frères ont fermé pour la matinée leur commerce de détail du 268 de la rue Notre-Dame, dont l’enseigne annonce : « Fancy and Staple Dry Goods Importers ». Sur un autre banc, Stanislas et Charles, magasiniers chez « Bernard et frères », ainsi qu’Eu- clide, chapelier, dont la boutique est située au rez-de- chaussée de la demeure familiale, rue Saint-Dominique. Seul Alcine est absent ; parti pour les États-Unis en 1873, nul ne sait comment le joindre. La parenté occupe les rangées suivantes. Venus de Varennes, Hilaire et Limoges Monjeau, les frères d’Anatha- lie ; leur cousine Aurélie Monjeau et son époux, le notaire Azarie Archambault ; une sœur d’Agnès Mathieu, Aurélie, et son mari, Adolphe Cadieux, marchand général du village. De Montréal, d’autres membres de la famille Mathieu : Rachel, veuve de Jean-Baptiste Décary ; Arthur, médecin, et son épouse Alexina Lanthier ; Euclide et Alexandre-François, aussi commerçants de la rue Notre-Dame. Enfin, derrière, des amis, des voisins, des clients. Pendant que les religieuses entonnent requiem, dires iræ et libera me pour le repos de l’âme d’Adolphe-Pierre, Ana- thalie songe aux trente-huit ans de vie commune avec cet homme dont elle a partagé joies et deuils, espoirs et décep- tions, secrets et confidences. Trente-huit années marquées de douze naissances, entrecoupées de nombreux déména- gements, vécues dans plusieurs localités. Trente-huit années où son mari, tour à tour instituteur, marchand et aubergiste, s’épuisait à gagner sa vie pour nourrir, habiller et loger sa famille. Trente-huit années jusqu’au jour, cinq ans déjà ! où il lui a annoncé son départ pour la France, lui a dit un au revoir qu’elle savait être un adieu. Les garçons se rappellent un père, parfois déterminé, parfois résigné, qui manifestait mal ses sentiments et parta- geait peu ses préoccupations. Les aînés n’ont pas oublié, 14 Zacharie c’était hier, les leçons et les exercices de lecture et d’écriture que leur père leur donnait, mêlés à la quarantaine d’écoliers qu’il enseignait. Les cadets, eux, durant leur enfance, dès le retour de l’école, se pourchassaient entre les comptoirs du magasin ou les tables de l’auberge, ramenés à l’ordre, fermement mais sans violence, par leur père qui appelait sa femme à son secours. Tous, ils lui adressent une reconnais- sance posthume pour leur avoir imposé, même durant les années où l’argent ne rentrait guère, une instruction avan- cée, jusqu’à l’âge de dix-sept ans. Chacun, sans doute, à sa façon et selon son tempérament, regrette de n’avoir su établir des contacts plus chaleureux, des relations plus intimes, des échanges plus profonds avec leur père. Les filles, encore adolescentes à son départ, se souvien- nent d’un père tendre et affectueux, bien que taciturne. Laquelle, blottie entre ses bras, lui a demandé, un jour, l’ori- gine de cette mystérieuse cicatrice au poignet gauche ? « Je me suis blessé quand j’étais petit » lui a-t-il probablement répondu laconiquement, avant de changer de sujet. Peut- être se reprochent-elles de n’avoir pas exprimé leur amour aussi souvent qu’elles auraient dû. Ce père, dont les yeux bleus révélaient parfois une insondable tristesse, pourquoi les a-t-il abandonnées ? L’office religieux terminé, la famille Bernard et leurs proches parents repassent le porche du couvent, emprun- tent la côte Saint-Lambert, traversent la rue Craig et poursui- vent sur la rue Saint-Laurent jusqu’à la rue Lagauchetière ; de là, ils gagnent le 79 de la rue Saint-Dominique où habitent Anathalie et la majorité de ses enfants. Ils partagent un repas préparé à l’avance et servi au premier étage par Mélina et Iphigénie. Sur un guéridon repose l’édition du 15 décembre 1879 de La Minerve ; ses lecteurs ont pu prendre connaissance de la notice suivante.

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Mémorial Nécrologique

C’est avec une vive douleur que nous apprenons la mort de M. Adolphe Pierre Bernard, Écuyer, père de MM. Bernard, bien connus à Montréal. Le bon vieillard a succombé le 26 novembre dernier, à l’âge de 71 ans et 21 jours, à Laheycourt, France, chez son neveu, et il a été inhumé dans cette paroisse, avec toutes les cérémonies de notre Mère, la sainte Eglise. M. A. P. Bernard naquit à Metz, en Lorraine, le 5 no- vembre 1808, d’une famille occupant un rang distingué dans la société ; son père fut colonel de génie sous Napoléon Ier. Il reçut une brillante éducation dans un des principaux lycées de Paris. Au sortir de l’Établissement, il se livra à l’étude du droit. Plus tard pour affaires politiques dans les troubles de Lyon, en 1834, il quitta la France, laissant ses bons parents et une belle fortune, pour venir en Amérique. Les épreuves ne lui firent pas défaut. Le bâtiment sur lequel il s’était embar- qué ayant fait naufrage, il se réfugia avec deux passagers sur une frêle embarcation, où il passa deux jours et deux nuits à la merci des flots ; enfin ils furent recueillis par un navire à destination de Québec. Sauvé par une protection toute spéciale de Dieu, il ne parlait de son naufrage qu’avec les sentiments de la plus vive reconnaissance. « La Providence seule, disait-il, avait pu lui venir en aide dans sa détresse. » M. A. P. Bernard se fixa au Canada, où par sa conduite morale, la fermeté et la loyale franchise de son caractère, il sût gagner l’estime et l’amitié de ceux avec qui il entretenait des relations. Toujours dévoué, il se livrait avec ardeur à l’ins- truction de la jeunesse, car, disait-il souvent : « L’éducation est le plus beau trésor qu’on puisse posséder, et il ne faut rien négliger pour l’acquérir.» La tâche étant devenue trop ardue pour sa santé, il fut obligé de discontinuer son noble labeur pour se livrer au commerce. La maladie vient encore l’arrêter dans sa nouvelle entreprise, et il fut condamné à un repos complet.

Extrait de la publication 16 Zacharie

Plusieurs années après, M. A. P. Bernard se trouvant assez rétabli manifesta un désir ardent de revoir encore une fois son pays natal où l’appelait des affaires de famille qu’il était urgent de régler. Après bien des sollicitations et des prières, il s’embarqua enfin pour la France, sa patrie bien-aimée, le 29 août 1874, coïncidence remarquable, à la même époque où 40 ans auparavant il avait failli périr. Mais, grâce à Dieu, cette fois, la traversée fut des plus heureuses. M. Bernard avait quitté le Canada avec la certitude d’y revenir bientôt. Retardé par ses affaires et confiant dans un prochain succès, il n’a cessé de supplier sa famille de le laisser conduire à bonne fin ce qu’il avait si généreusement entrepris dans l’intérêt de ses enfants, et donnant dans chacune de ses lettres l’assurance qu’il se rendrait bientôt aux vœux de son épouse et de ses chers enfants. Mais la mort, qui n’attend pas, est venue le surprendre au milieu de ses plus douces espérances, et Dieu, sans doute, avait décidé qu’il terminerait ses jours dans le beau pays qui l’avait vu naître et grandir. M. A. P. Bernard laisse pour le pleurer son épouse et dix enfants inconsolables qui se rappelleront toujours les qualités de leur bien-aimé père, et qui n’oublieront jamais la bonté et le dévouement dont il leur a donné tant de preuves dans le cours de sa vie.

Indépendamment de son style emphatique et quelque peu ampoulé propre à l’époque et au genre, l’anonyme rédacteur n’a pu composer son article qu’à partir des ren- seignements fournis par la veuve d’Adolphe-Pierre Bernard ou l’un de ses enfants. Plusieurs sont imaginaires. Adolphe-Pierre n’est pas né à Metz (Moselle), ni d’ailleurs à Bar-le-Duc () comme l’indique le recense- ment de Varennes en 1851, ni à Chartres (Eure-et-Loir) s’il fallait se fier à un article paru à Montréal dans le Journal de l’instruction publique en septembre 1857. Montréal 17

Son père n’avait pas été officier dans l’armée impériale et ne s’appelait pas Pierre Hector Bernard, quoi qu’en ait déclaré Adolphe-Pierre lors de son mariage avec Anathalie Monjeau, en 1840 à Varennes; s’il a affirmé être le fils d’Anne Élisabeth Porson, demeurant à Bar-le-Duc, en réalité sa mère portait un tout autre nom. Qui donc était Adolphe-Pierre Bernard ? La réponse se trouve dans un acte de décès conservé aux archives départementales de la Meuse, à Bar-le-Duc : L’an mil huit cent soixante-dix-neuf, le vingt-sept Novembre à huit heures du matin, pardevant nous Aspéry Pérard maire et officier de l’état civil de la commune de Laheycourt, arron- dissement de Bar-le-Duc, département de la Meuse, sont com- parus: Adolphe-Philippe-Joseph Bernard, âgé de cinquante- quatre ans, cultivateur et Jules-Philogène-Gabriel Bernard, âgé de vingt-six ans, cordonnier, tous deux domiciliés à Laheycourt, le premier neveu et le second petit neveu du défunt ci-après désigné, lesquels nous ont déclaré qu’hier à neuf heures du soir, Louis-Zacharie Chadrin, âgé de soixante- douze ans, rentier, né et domicilié à Laheycourt, fils des défunts Nicolas-François Chadrin et Élisabeth Boury, décédés en cette commune, époux de Marie-Anathalie Monjeau, domi- ciliée à Ste-Anne de Varennes, (Canada), est décédé en la com- mune de Laheycourt au domicile du premier déclarant. Sur cette déclaration, nous susqualifié, nous sommes transporté au lieu indiqué, et nous avons vu et reconnu le cadavre du prénommé Louis-Zacharie Chadrin, et nous étant ensuite rendu en la maison commune, nous avons aussitôt écrit le présent acte sur les deux registres à ce destinés et que les déclarants ont signé avec nous après lecture à eux par nous faite et collation. Lorsque Louis Zacharie Chadrin, pour des raisons qu’il nous appartiendra de découvrir, a changé son identité civile, il n’a pas cherché loin pour se forger nom et prénoms. Sa sœur, Thérèse-Angélique Chadrin était mariée à Joseph

Extrait de la publication 18 Zacharie

Bernard, fils de Pierre André Bernard et d’Antoinette Élisabeth Porson. Pour éviter de gênants trous de mémoire, il a décidé que son père fictif serait Pierre Hector Bernard et sa mère tout aussi fictive Anne Élisabeth Porson ; quant à lui, il portera les prénoms d’Adolphe, celui de son neveu, et Pierre pour faire bonne preuve de sa prétendue filiation. Tout indique que ses enfants ignoraient cette double identité. Quant à Anathalie Monjeau, sûrement dans le secret, elle ne l’a jamais révélé. S’il y a eu « erreur sur la personne » lors de son mariage, aucun verdict de nullité n’a été rendu par un tribunal et, en 1879, le délai de prescrip- tion de trente ans est révolu. Et le secret aura été gardé pendant plus d’un siècle. Louis Zacharie Chadrin, Adolphe-Pierre Bernard, qu’im- porte. Après une enfance et une jeunesse vécues en France, un homme a été contraint de quitter ses proches et son pays. Émigré en terre d’Amérique, il a fondé une famille dont les descendants habitent toujours le Québec, puis est retourné dans son village natal pour y mourir. Voici son histoire.

Extrait de la publication CHAPITRE 2 Laheycourt 1807-1825

Village au fond de la vallée Comme égaré, presqu’ignoré Voici qu’en la nuit étoilée Un nouveau né nous est donné.

J. VILLARD

OUIS ZACHARIE CHADRIN « il se nomme » et peut-être est- L il « joufflu, tendre et rosé ». Le village, c’est Laheycourt, dans l’ancien Barrois, aux confins de la Champagne et de la Lorraine. La vallée, celle de la Chée qui coule d’est en ouest pour s’unir à l’Ornain et grossir la Marne. Le 5 novembre 1807, un nouveau né donc, le sixième et dernier de l’une des familles Chadrin du village. Son acte de naissance se lit ainsi. Le six novembre Dix huit cent sept Devant nous maire officier de l’État Civil de la commune de laheycourt canton de département de la meuse Est comparue marie villers sage femme demeurant au dit lieu laquelle nous a déclaré que le jour d’hier à cinq heures du soir

Extrait de la publication 20 Zacharie

est né un enfant du sexe masculin en la maison de son père rue du dessous qu’elle nous présente et auquel elle a déclaré donner les prénoms de louis zacharie lequel enfant est né de marie élisabeth Boury épouse de nicolas françois Chadrin émouleur du même lieu ; les dittes présentation et déclaration faites en présence des sieurs françois Chadrin propriétaire agé de soixante huit ans et Jean Commenil émouleur agé de cinquante et un ans demeurans à laheycourt ont les témoins signé avec nous le présent acte de naissance après qu’il leur en a été fait lecture la déclarante a dit ne savoir écrire F. Chadrin Jean Commenil C. Henriot, maire La signature du grand-père Chadrin nous signale l’ab- sence du père, retenu au loin par son travail. Ce même 6 novembre, Louis Zacharie est baptisé dans la vieille église du village. Pour le porter sur les fonts bap- tismaux, ont été requis son oncle Louis Rulot, époux de Marguerite Françoise Chadrin, et sa tante Anne Clotilde Brabant, épouse de Jean Éloy Boury. À la sortie, selon la coutume, parrain et marraine lancent des dragées aux enfants assemblés pour la circonstance sur le parvis en terre battue. Une dizaine de jours plus tard, sa mère quitte la maison pour la première fois depuis ses couches ; elle se rend à l’église rendre grâces à Dieu, recevoir la bénédiction du curé et assister à la messe des relevailles. Zacharie a été précédé le 24 octobre 1791 par Margue- rite, le premier enfant d’Élisabeth Boury et Nicolas François Chadrin. Le second, Nicolas, naît le 10 septembre 1793 mais meurt neuf mois plus tard, le 8 Floréal de l’an II1. Un troisième enfant, François, voit le jour le 13 Vendémiaire de l’an IV2. Puis se présentent les jumelles le 21 Brumaire de

1. Le 27 avril 1794 2. Le 5 octobre 1795

Extrait de la publication Table des matières

Avant-propos 7

CHAPITRE 1 Montréal, 16 décembre 1879 11

CHAPITRE 2 Laheycourt - 1807-1825 19

CHAPITRE 3 Bar-le-Duc - 1825-1831 41

CHAPITRE 4 Clairvaux - 1831-1834 71

CHAPITRE 5 Varennes - 1834-1841 91

CHAPITRE 6 Christieville - 1841-1843 115

CHAPITRE 7 L’Acadie - 1843-1851 133

CHAPITRE 8 Varennes - 1851-1865 153

CHAPITRE 9 Montréal - 1865-1874 175

CHAPITRE 10 Laheycourt - 1874-1879 197 Épilogue 215 Tableaux généalogiques 226 Abréviations 229 Références 231 Sources documentaires 241

Extrait de la publication COMPOSÉ EN NEW BASKERVILLE CORPS 11,5 SELON UNE MAQUETTE DE JOSÉE LALANCETTE CET OUVRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D’IMPRIMER EN AVRIL 1998 SUR LES PRESSES DE AGMV À CAP-SAINT-IGNACE POUR LE COMPTE DE DENIS VAUGEOIS ÉDITEUR À L’ENSEIGNE DU SEPTENTRION

Extrait de la publication