Importance Des Découvertes De Néandertaliens En Belgique Pour Le
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Bull. Soc.roy. belgeAnthrop. Préhist.97 : l3-31, 1986 Importance des découvertesde Néandertaliens en Belgique pour le développement de la paléontologiehumaine par A. Lecuesn INTRODUCTION Lesdécouvertes d'hommes fossiles faites en Belgiqueet lesétudes dont ils ont été I'objet ont joué un rôle important dans le développementde la paléontologie humaine.En Belgique,la recherchedans ce domaine n'a toutefoisjamais été marquée par uneréelle continuité : ellea étéplutôt le fait de quelquesindividualités brillantes. Le bilanque I'on peutdresser du travailaccompli est néanmoins très positif ; il révèle, de plus, que de très nombreusespossibilités de rechercherestent ouvertes en ce domaine. Dèsla fin du l8'siècle, quelquestrès rareschercheurs sont enclinsà penserque I'apparitionde I'hommesur la terreest plus ancienne que ne I'admetla tradition. Il leurmanque toutefois, et ils ensont bien conscients, cette preuve essentielle que cons- titueraitla découverted'ossements humains mêlés à ceuxd'animaux aujourd'hui dis- parus(Clark l96l ). Lesdocuments exhumés au débutdu 19.siècle ne sontpas suffi- sammentdémonstratifs que pour modifierI'opinion générale(Lyon 1970;Leguebe 1976;Grayson 1983) er en 1830,ch. Lyell (p. 154), dans ses(principles of Geology>,ne manquepas de soulignerle fait qu'on ne trouve pas d'ossements humains,contrairement à cequ'on devraitobserver, selon lui. Or unetelle découverte venait d'être faite mais les esprits n'étaient certainement pas préparésà renonceraussi radicalement à ce qui constituaitun desparadigmes de l'époque,le caractèrerécent de l'apparitionde I'hommesur la terre. LES ( RECHERCHESSUR LES OSSEMENSFOSSILES ) La premièreaffirmation de I'existence de l'homme fossile, basée sur des documents suffisammentbien recueilliset convaincants,se trouve dans lesRecherches sur les ossemensfossilesdécouverts dons les cavernes de la provincede Liège ( 1833-1834)de Philippe-CharlesSchmerling (1791-1836), professeur à I'Universitéde Liège. Lesfouilles de Schmerlingont, à partir de septembreI 829,porté sur plusde qua- rante cavernessituées, en majeurepartie, dans les valléesde la Meuse(Chokier, 14 Sociétéroyale belged'Anthropologie et de Préhistoire Engis,Engihoul), de I'Ourthe (Remouchamps) et dela Vesdre(Fond-de-Forêt, Gof- fontaine). C'est aux ossementshumains découverts au cours de sestravaux que Schmerling attacheune importanceprimordiale puisqueleur descriptionvient immédiatement aprèsles deux premiers chapitres consacrés à la descriptiondes cavernes. L'inventaire etla descriptionde toutes les autres espèces ne viennent que dans les chapitres suivants. Dansla conclusionde ce chapitre intitulé < Desossemens fossiles humains >>, Schmer- ling définit sa position sansaucune ambiguité : < J'ai abandonnéles hypothèses établies jusqu'àprésent, et j'ai fini parconclureque cesrestes humains ont étéenfouis dans ces cavernes à la mêmeépoque et, par consé- quent,par lesmêmes causes qui y ont entraînéune masse d'ossemens de différentes especeséteintes> (Schmerling 1833-34, 1 : 66). En outre, dans le chapitre l0 intitulé <<Desdébris travailléspar la main de I'homme>), eui constitueI'avant-dernier chapitre de la deuxièmepartie de I'ouvrage parueI'année suivante, Schmerling rapporte ses découvertes de silex taillés et conclut : u... j'attacheun grandprix à leur présencedans les cavernes, car, si mêmenous n'avionspas trouvé des ossemens humains, dans des conditions tout à fait favorables pour lesconsidérer comme appartenant à l'époqueantédiluvienne, ces preuves nous auraientété fournies par lesos tailléset lessilex façonnés > ( 1834,vol.2 : 179). Lestravaux de Schmerlingont étélargement connus et appréciéspar sescontempo- rains,surtout pour la richessedu matérielostéologique qu'il avaitexhumé, mais ses observationset sesaffirmations relatives à la contemporanéitéde I'homme et d'espè- cesaujourd'hui disparuesn'ont étéreçues qu'avec une telle réservequ'elles n'ont modifiéen rien I'opiniongénérale relative à la non existencede I'hommefossile. On trouvedans la littératurescientifique de l'époque de nombreuses références aux travauxde Schmerling,plus particulièrement par Ami Bouéà la Sociétégéologique de France( 1830-1832)etparIsidore Geoffroy Saint-Hilaire àl'Académiedes Sciences de Paris( 1837). En 1846,dix ansaprès la mort deleur auteur, les << Recherches sur lesossemensfossi /es>font I'objet, avecune page-titre légèrement modifiée, d'une nouvelle édition : en fait commeI'orthographe du mot ((ossement > nese trouve pas modifiée dans le corps deI'ouvrage, il estprobable que ce sont des surplus du tiragede la premièreédition qui ont étéutilisés. Cene sera qu'en 1847 que les collections de Schmerling, longtemps déposées dans les greniersde I'Universitéde Liège,seront rachetées par le Gouvernementpour être exposéesdans le MuséeUniversitaire (Malaise 1860). Plus significativesencore de la réputationque s'étaitacquis Schmerling, sont les visitesque dessavants étrangers rendirent à sa collection(Morren 1838,p. 148), notammentch. Lyellen 1833et w. Bucklanden septembre 1835. C'estdans une lettre au paléontologisteGideon Mantell, datée de septembre1833, queLyell ( l88l , I : 183) rapportecette visite et qu'il exprimeson intérêt et sonadmi- ration pour la richessedes collections rassemblees; il ne fait aucunemention de la Importance des découvertes de Néandertaliens en Belgique 15 découverted'ossements humains mais il fait allusion à une certaine indifférence ou même hostilité que rencontrerait Schmerling. Le jugementde William Buckland (1784-1856),professeur de géologieà l'Univer- sité d'Oxford, est carrément négatif ; en mentionnant sa visite à Liège, il fait briève- ment allusion à I'opinion de Schmerling et il conclut <an opinion from which the author, after a careful examination of Schmerling's collection, entirely dissents> (Buckland 1837). Malgré cette hostilité du monde scientifique, I'idée de I'homme fossile trouve cependantun défenseuren la personnede Pierre Boitard (1787-1859).Boitard est un polygraphe, auteur d'un très grand nombre d'ouvrages de vulgarisation, sur la bota- nique notamment. Dans un article intitulé L'hommefossile (1838), il défend, en se référant à toutes les découvertesd'ossements humains plus ou moins valablesfaites au début du l9e siècle,I'idée de I'anciennetéde I'espècehumaine; il adopte un ton nettementpolémique à l'égard desopinions de Cuvier et desmembres de I'Académie des Sciences.Dessinateur habile, il illustre son article au moyen d'une reconstitution de l'aspect qu'on pourrait attribuer à cet ancêtrede I'homme (fig. la) qu'il situe dans une cavernedes environs de Liège. Cette reconstitution est inspirée des repré- sentations d'indigènes d'Océanie qui figurent dans le récit de voyage de Dumont d'Urville. Le fait est tellement exceptionnelpour cetteépoque qu'aujourd'hui encore la paternité de ce dessin est erronément attribuée à Haeckel ( University Microfilm Internationals.d. ; Bosinski 1985). Cet articlesur I'Homme fossilefera I'objet d'une réimpressionen 1862dans <<Parisavant leshommes)) accompagné d'une illustration sensiblementmodifiée et caractériséepar une accentuation des caractèressimiens (fie. lb). L'opinion de Boitard demeure une exception et, en 1853,quand Augustin Serres (1787-1866),professeur au Muséum d'Histoire naturelleà Paris, utilise,pour la pre- mière fois, le terme de paléontologiehumaine, c'est dans un contexte qui n'implique aucune connotation autre qu'historique. Il faudra attendre près de vingt-cinq ans après la publication de I'ouvrage de Schmerling pour que, tout d'un coup, un nombre considérablede géologueschan- gent radicalementd'opinion et acceptentI'hypothèse de I'anciennetéde I'apparition de I'homme sur la terre. Comme exemplesde ce brusque revirement, on évoquera, parmi d'autres (Clark l96l ), le travail de J. Rigollot ( 1786-1854)sur les instrumentsen silexdécouverts à Saint-Acheul ( 1854) et la publication d'extraits du manuscrit anciendu RévérendJ. Mac Enery sur la Kent's Cavernde Torquay (Vivian 1857).Une manifestationplus symptomatique encore concerne de manière directe les observations mêmes de Schmerling. En 1858, la Société libre d'Emulation de Liège couronne le <<Mémoiresur les découvertespaléontologiques faites en Betgique jusqu'à ce jour ) dû à Constantin Malaise( 1834-1916),un élèvede GustaveDewalque, professeur de géologieà I'Uni- versitéde Liège. Dans ce travail, Malaise ( I S60 : 36) précisequ'il ne serallie pas à la t6 Société royale belge d'Anthropologie et de Préhistoire ùÂ* ç& ifr * n i+a ,r ô.1 x ôo q) æ æ r .0J {.) E E J 0.) èo IJ. Importance des découvertes de Néqndertaliens en Belgique 17 conclusionadoptée par Schmerlingconcernant I'antiquité des ossementshumains trouvés dans les cavernesdes environs de Liège. Or, au moment où I'ouvrage est prêt à être broché, en 1860,Malaise fait ajouter une page avec une note que nous transcrivons intégralement, tant elle nous paraît significative : <Depuis I'envoi de notre Mémoire à la Sociétéd'Emulation, nous avons décou- vert en août 1860,dans une cavernesituée à Engihoul, les ossementshumains sui- vants : deux portions de mâchoires inférieures et trois fragments de crâne. Ils se trouvaient à une profondeur de 0,60 m, dans un limon très-poreux,et disséminés pêle-mêleavec ceux d'ours, de ruminants et de pachydermes. Nous avonsdû nous rendreà l'évidencedes faits, et, contrairementà ce que nous avonsdit page36, revenir à I'opinion de Schmerling,et admettreque les ossements humains trouvés dans les cavernessont contemporains de ceux des animaux actuel- lement éteints avec lesquelson les rencontre>>. La conviction de