Jonzac pendant la Révolution L'illustration figurant sur la couverture représente le cachet du Comité de surveillance de (Archives départementales de la Charente-Maritime L 1213, dossier Nicastro)

© Université Francophone d'Eté, Saintonge-Québec, 1986 ISBN 2-905735-05-8 Université Francophone d'Eté Saintonge Québec

Jonzac pendant la Révolution par Marc Seguin

Publications de l'Université Francophone d'Eté Cloître des Carmes 17500 Jonzac 1986

A Monsieur Jean Glénisson qui m'a généreusement prodigué conseils et documents. Avec ma gratitude et mon amitié

Haines, dénonciations, exécutions, incendies, tel est le spectacle offert par Jonzac durant la période révolutionnaire. Dans notre département, peu de communes ont connu une existence aussi troublée, mais une aussi riche matière n'a guère tenté les historiens locaux. Au début du siècle, ils ont pourtant tenté de soulever un coin du voile. L'ambiance du mo- ment s'y prêtait ; traumatisés par les conflits consécutifs à la séparation de l'Église et de l'État, ils s'efforcèrent d'établir un parallèle entre les persécutions subies par le catholicisme sous la Terreur et l'anticléricalisme de la « Belle Époque ». Autant dire qu'ils écrivaient souvent pour condamner et que leur plume transformait vite en « misérable » le montagnard le moins virulent. Cette litté- rature engagée n'épuisait pas la question et ne mettait en lumière que les aspects les plus carica- turaux d'une période aussi agitée. Vers 1905, à Jonzac même, le Conseil Municipal avait voté un petit crédit pour faire effec- tuer quelques recherches aux Archives nationales. L'un de ses membres, le docteur Sicard, avait inspiré la décision et se donnait pour but d'imiter et de compléter l'ouvrage de l'abbé De Cugnac « Jonzac et Ozillac » paru en 1892 dans la série des « Archives historiques de la Saintonge et de l'Aunis ». Il parvint ainsi à rassembler une série de textes dont certains étaient relatifs aux années 1789 et 1790. Quelques Jonzacais apprirent ainsi que la guillotine avait fort effrayé leurs ancêtres. En 1912, P. Lemonnier faisait paraître son étude sur « Le Tribunal révolutionnaire de Rochefort » et il consacrait un long développement aux évènements jonzacais. Malgré quelques erreurs flagrantes et un parti-pris évident, c'était la première fois que les péripéties de 1793 et 1794 étaient relatées d'une manière acceptable. Mais son travail souffrait d'un grave défaut : il ne connaissait pas les antécédents des acteurs du drame, ce qui l'amenait à considérer comme opposi- tions politiques de médiocres antagonismes personnels. En effet, la Révolution ne s'est pas abattue soudain sur une communauté sans passé. Bien au contraire, les Jonzacais avaient une histoire, et même une longue histoire, ils n'avaient pas attendu l'année 1789 pour se diviser en groupes rivaux toujours disposés à s'affronter. Rancunes accumulées et conflits d'intérêts donnaient depuis longtemps des situations parfois explosives. Inutile donc de toujours rechercher de très sérieuses motivations politiques ; dans cette petite ville où tous se connaissaient, il suffisait d'une mauvaise relation de voisinage pour entraîner une dénonciation et, dans les cas extrêmes, une condamnation à mort. Une difficulté en découle naturellement : quantité de papiers ont disparu : point de registres municipaux avant la fin de 1794 ; les compte-rendus du Comité de Surveillance n'existent plus. Faut-il accuser le laxisme des administrations du début du XIX siècle ? Non. Le calme revenu, ces documents compromettants ont été volontairement détruits. Après tout, la chose n'était pas nou- velle. Les protestants n'avaient pas agi autrement après 1685 et il n'est pas sûr que les chercheurs de demain rassemblent toutes les pièces dont ils pourraient rêver quand il leur prendra l'envie d'étudier les années de 1940 à 1944... Impossible donc d'énumérer tous les faits et en particulier ceux qui ont trait à l'économie. Restent les plus saillants qui se trouvent naturellement mis en relief au détriment de l'humble vie quotidienne parce qu'ils ont laissé des traces nombreuses. Dans ces conditions, le risque est grand de privilégier les individus les plus remuants, au pre- mier rang desquels nous placerons un ancien vicaire : Jacques-Alexis Messin. Écrire l'histoire de la Révolution à Jonzac revient pratiquement à établir la biographie de cet ecclésiastique assez parti- culier. Ses contemporains l'ont beaucoup jugé et presque tous ont condamné son action sans jamais lui trouver la moindre circonstance atténuante. Voilà qui nous ramène au « misérable » du début. Une telle unanimité paraît bien un peu suspecte mais aucun document ne permet de rétablir l'équilibre. Nous serons par conséquent contraints, page après page, d'énumérer les méfaits d'un homme qui n'attirait point la sympathie et qui eut pourtant l'audace d'affronter, presque toujours seul, une population dressée contre lui. Un moraliste en aurait assurément tiré de beaux développements mais il aurait hésité devant cette alternative : vanter le courage et l'obstination du ci-devant prêtre ou flétrir la lâcheté de la « majorité silencieuse ». Car telle est bien la question posée par les évènements jonzacais : quelles bassesses, quels renoncements des hommes effrayés peuvent-ils accepter pour sauver leur propre vie ? Et ce pro- blème est de tous les temps, de toutes les périodes troublées. JONZAC A LA FIN DE L'ANCIEN REGIME

Avant de retracer les évènements qui ont agité Jonzac pendant la période révolutionnaire, il convient de présenter notre petite ville à la fin de l'Ancien Régime en insistant sur l'encadre- ment seigneurial et religieux, sur le déclin des activités économiques traditionnelles puis sur les aspirations de sa population.

I .— LA NOBLESSE LOCALE 1/ La seigneurie de Jonzac Le vieux seigneur, Pierre-Charles-François Bouchard d'Esparbès de d'Aubeterre, comte de Jonzac et marquis d'Ozillac, dispose toujours de pouvoirs théoriquement fort étendus et garde un droit de regard sur bien des domaines de la vie quotidienne. Nous ne tarderons pas à entendre maudire cet « humiliant règne féodal ». Pourtant, ce parisien n'agit plus en personne mais par l'intermédiaire de ses agents, les officiers de son tribunal. Que reste-t-il, en fait, de la seigneurie de Jonzac, en 1789 ? Intéressons-nous d'abord aux domaines qui se rétrécissent comme une peau de chagrin. Pressé par le besoin d'argent, toujours à la recherche de profits immédiats, le comte, comme son père avant lui, en a été peu à peu réduit à délaisser une partie de ses biens. Les dernières ventes ont été celle des moulins à eau et à vent de La Grave au protestant périgourdin Pierre Mercier puis celle de la métairie des Plantes acquise en 1781 par Pascal Eveilhé, juge lieutenant d'Ozillac. L'état lamentable des bâtiments illustre parfaitement la manière dont ces propriétés ont été gé- rées : les experts, convoqués pour un procès-verbal, estiment que les murs ne supporteront pas un nouvel hiver, « ce qui entraînerait la chute et la perte de la cherpente et thuiles et que le métayer a beaucoup à craindre de cet événement » Il reste encore quelques terres : le « Parc » du château, la maison de Beaulieu, Chailleret et la Sicoterie à Ozillac ; le comte mourra avant d'avoir eu le temps de s'en défaire ; dans l'immédiat, elles sont affermées à Louis-Robert Genty de Boisgiraud Beaucoup plus rentables sont les diverses redevances perçues à Jonzac et à Ozillac. Commençons par les deux fours banaux — en mauvais état, bien sûr — qui rapportent le plus : 4 000 livres par an depuis 17 87, soit près du tiers du total3. 72 hectares des bois

1. Min. Chastellier du 10 août 1781. 2. Min. Maignac du 28 septembre 1785. 3. Min. Maignac du 22 septembre 1787. épars dans la paroisse et répartis en neuf coupes en assurent le fonctionnement grâce aux corvées dues par les métayers de Jonzac et de Saint-Martial de Vitaterne. Chaque famille vient, à tour de rôle y cuire son pain et le fermier prélève 1 /12 de la pâte. Avec les fours fonctionnent trois moulins banaux puisque le quatrième vient d'être vendu : Les Ponts, Guiffier, Chez Bret. Non seulement on y moud les grains mais on y bat les étoffes ; tout habitant de Jonzac et de Saint-Martial est tenu, sous peine d'amende, d'y avoir recours. Le comte en tire un profit d'environ 1 200 livres par an. Les transactions portant sur les immeubles sont soumises au droit de lods et ventes, soit 1 /16 de leur valeur. En 1785, tout cela a été affermé pour 800 livres par an à Louis Mayran. C'est une aggravation parce que, jadis, les seigneurs faisaient presque toujours remise de la moitié de cet impôt et que, désormais, les Jonzacais n'ont aucun cadeau à attendre de la part du chirur- gien qu'ils ont essayé de faire pendre lors de l'affaire du don gratuit Le commerce est évidemment une source de revenus substantiels mais difficiles à chiffrer précisément. Tous les grains débités sous le minage — et il est interdit de les vendre ailleurs — doi- vent acquitter des taxes. En 1788, un tailleur d'habits allemand s'est chargé de les percevoir moyennant 2 000 livres par an On y a joint les rares agrières subsistantes, il est donc malaisé de les apprécier exactement mais elles représentent au moins les 4/5 du total. De plus, tout mar- chand ambulant qui s'installe sous le minage, les halles ou sur le marché aux porcs paie une rede- vance très dévaluée de 4 deniers les jours de foire et de 2 deniers les jours de marché6. Enfin le comte profite toujours de son ancien privilège de « banc vin » qui ne vaut que 170 livres Pour finir, il faut aborder le maquis des différentes « rentes nobles, directes et foncières ». Le bail du censif s'élevait à 2 400 livres en 1762 cela n'a pas dû varier beaucoup depuis. Ce sont d'abord les cens établis par des baillettes qui remontaient parfois au XV siècle. Chaque famille débourse 21 sols par an pour un « droit de guet et réparations de la tour de l'horloge » qui paraît pour le moins anachronique. La plupart des terres et des maisons sont ainsi frappées puisqu'elles ont, à un moment ou à un autre, été concédées par les seigneurs. Ainsi, Mondrelan, à Saint-Martial de Vitaterne, la propriété de Louis Mayran, doit « 5 boisseaux froment, 2 boisseaux d'avoine, une paire de chapons, 30 sols argent » plus quatre jours de « bians et corvées » Les terres res- tantes, surtout dans les « fiefs » ou vignobles comme au Chail ou aux Brandes ont été soumises aux agrières ( 1 /9 des grains) ou au complant (1/9 de la vendange). Mais c'est presque un souvenir car, depuis 1740, les propriétaires, moyennant le versement de « pots de vin » ont réussi, sans grandes difficultés, à faire commuer ces droits coûteux en cens beaucoup plus légers, ce qui leur donne, en outre, la liberté de cultiver ce qu'ils veulent. L'image classique du fermier des agrières (le « champart » de nos manuels) en train de prélever sa part des gerbes dans le champ moissonné appartient presque au passé. La question qui se pose est de savoir s'il y a eu « réaction féodale », c'est-à-dire remise à jour et aggravation des redevances seigneuriales. On en a fait une des causes du mécontentement paysan et, par conséquent, un des moteurs de la Révolution dans les campagnes.

4. Sauf indication contraire, cette partie a été extraite de « Jonzac aux XVII et XVIII siècles » par Marc Seguin, Université francophone d'été, éditions Bordessoules, 1983. 5. Min. Maignac du 21 avril 1788. 6. Min. Pineau du 11 février 1774. 7. Arch. dép. de la Charente, Min. Piet du 24 juillet 1775. 8. Min. Pineau du 1 mai 1763. 9. Min. Pineau du 12 février 1760. Il y eut en effet réorganisation à partir de 1759. Venu pour la première fois dans son château à cause de la guerre de Sept Ans, le comte n'eut aucun mal à constater que ses affaires n'étaient pas gérées à son profit mais à l'avantage du juge sénéchal Jean-François Landreau de La Cheminadrie dont le fils venait d'affermer la totalité des revenus de Jonzac, Ozillac et pour 15 500 livres par an. Dans un premier temps, il s'empressa de résilier le bail puis il fit remettre à jour ses ter- riers, ce qui n'avait pas été réalisé depuis 1640-1648. Il choisit deux hommes « nouveaux » Le notaire feudiste Grimaud, de Reignac de Barbezieux, eut la responsabilité de remettre de l'ordre dans les baillettes et d'effectuer les arpentements nécessaires. Pierre Dallemand, substitut du procu- reur d'office, se chargea de superviser l'opération ; natif de Saint-Germain en Laye, venu à Jonzac comme employé dans les fermes du roi, il avait épousé en 1743 la fille d'un notaire de et s'était définitivement installé sur place. Sa procuration du 31 mai 1760 lui donnait tous les pouvoirs nécessaires Le comte, prodigieusement endetté, en attendait deux avantages : des ressources plus éle- vées et, surtout, des profits immédiats. Pour gagner plus, il fallait innover. C'est ainsi qu'on avait eu, dès 1759, l'idée de démolir l'ancienne halle, en principe pour dégager les abords du château. Les « bancs » furent replacés sous le nouveau marché et sous les deux ailes qu'on ajouta au minage. Les marchands se virent con- traints de produire leurs anciennes baillettes et tous ne disposaient évidemment pas d'archives familiales bien conservées ; il leur fallut donc solliciter de nouveaux titres et payer comptant des « pots de vin » pour les obtenir. Sans doute ébloui par ce qu'on lui avait dit au sujet de la prospéri- té de sa ville, le comte pouvait envisager d'arrenter de nouveaux emplacements et Pierre Dallemand reçut des instructions dans ce sens12. Or c'était tabler sur un passé proche mais révolu ; en pleine guerre de Sept Ans, le calcul n'avait aucune chance de réussir. Les bouchers furent victimes d'une initiative assez comparable qui ressemblait beaucoup à un chantage. Leur commerce, si important pour la vie quotidienne, était régi par d'anciens statuts établis en 1536 : redevances à peu près nulles (« les langues de bœufs, pieds de pourceau et cœurs de mouton qu'ils tuoint »), obligation de faire contrôler la qualité de la viande par le procureur d'office, nécessité d'obtenir des lettres de maîtrise du seigneur. Ce dernier n'en retirait qu'un min- ce profit mais pouvait donner son autorisation à qui il voulait. En 1764, Jonzac comptait sept maîtres bouchers ; pour éviter toute nouvelle concurrence, ils prièrent le comte de ne pas en nommer d'autre, de permettre à leurs enfants de prendre libre- ment leur suite et offrirent, en compensation, de payer des droits plus élevés. Le seigneur accepta la requête, mais au prix fort ; il les obligea à lui verser collectivement une somme annuelle de 500 livres . Non seulement c'était très cher mais c'était commettre la même erreur d'appréciation que pour la halle. Le résultat ne se fit guère attendre ; les bouchers payèrent pendant quelques années, à grand peine. En 1772, ils n'étaient plus que quatre, les trois autres « ne pouvant trouver dans leur état de quoi apozer cette surcharge », et ils se décidèrent à intenter un procès au comte pour le faire revenir sur sa décision L'affaire se régla en 1785, par une transaction. Les plaignants durent

10. Arch. dép. de la Charente Maritime, B 3064 et B 3065. 11. Min. Pineau du 31 mai 1760. 12. Min. Pineau du 19 mai 1764. 13. Min. Pineau du 3 novembre 1764. 14. Min. Landreau du 24 avril 1772. d'abord solliciter leur pardon puis le seigneur accepta de revenir à la situation antérieure : les 500 livres ne seraient plus exigées mais d'autres lettres de maîtrise pourraient être accordées, moyennant les inévitables « pots de vin » Comme quoi, même avec de l'imagination, il n'était pas facile de tirer des revenus supplé- mentaires d'une ville dont l'économie se dégradait et dont la population diminuait. Au total, on retire l'impression très nette que le principal bénéficiaire de la « réaction féodale » fut tout simple- ment Pierre Dallemand. Pour récompenser ses bons services, le comte s'était engagé à lui verser une rente viagère de 500 livres dont le paiement effectif se révéla très aléatoire. Devenu vieux, le substi- tut se retira dans sa propriété de Chez Bouyer, à Saint-Germain de Lusignan ; tous les Jonzacais ne l'avaient pas oublié. Après 1786, Jean Colas Desmarais Suport lui succéda. Originaire de Confolens, il avait déjà géré la seigneurie d'Allas Bocage. Bien qu'il ne fût pas membre du tribunal, sa fonction en faisait l'un des hommes forts de la ville. Il continua à confier les fermages à des « étrangers » comme Louis-Robert Genty de Boisgiraud ; cela revient à dire que les Jonzacais de vieille souche étaient écartés. Depuis le départ des négociants protestants, la compétence appartenait à ces immigrés d'autant plus efficaces qu'ils n'étaient pas tentés de réserver un traitement de faveur à leurs famil- les. En somme, une situation à demi coloniale : des étrangers qui perçoivent des redevances pour le compte d'un autre étranger. La perception de tous ces droits n'était pas toujours aisée ; le procureur d'office se devait de poursuivre les récalcitrants devant le juge sénéchal qui ne se faisait pas prier pour les condamner. A la veille de la Révolution, un certain nombre de tenanciers « oublient » de verser leur part mais le fait n'est pas nouveau ; leurs parents et grands-parents n'ont jamais agi autrement. On ne peut pas dire qu'il y ait volonté délibérée de refuser l'impôt seigneurial. Rien n'indique que la popula- tion ait eu une animosité particulière envers le comte. Bien sûr, ceux qui en avaient l'occasion négligeaient d'obéir aux réglements édictés par les officiers du tribunal : les délits de braconnage, par exemple, sont particulièrement nombreux, mais à peine plus que par le passé. Autrefois, tous les jeunes Jonzacais travaillaient, en ces dernières années de l'Ancien Régime, les fils des familles aisées étudient le droit, ils ont des loisirs qu'ils emploient à s'amuser et par conséquent à chasser ou à pêcher, uniquement pour le plaisir de braver les interdictions, sans qu'on puisse affirmer pour autant qu'ils cherchent à attaquer le pouvoir seigneurial. Il y a bien un scandale, le matin du 22 avril 1786 : de mauvais plaisants ont déchiré le drap noir tendu en travers du portail du château, la comtesse étant décédée16. Mais c'est seulement le résultat d'une nuit un peu agitée ; la plupart des Jonzacais ne semblent pas nourrir de rancune particulière envers celui qui se dit encore leur maître. En est-il de même aux alentours ?

2/ Les seigneuries proches de Jonzac Deux remarques s'imposent d'abord : d'une part, la noblesse réside peu dans la région ; d'au- tre part, ses biens sont souvent dans un état déplorable. Dans la paroisse même, nous trouvons quelques membres de la très nombreuse famille des Beaupoil de Saint-Aulaire. La branche jonzacaise occupe le logis de La Dixmerie auquel elle vient d'ajouter une aile L'un des parents est évêque de Poitiers ; un autre, Antoine-Claude-Auguste,

15. Min. Maignac du 9 septembre 1785. 16. Arch. dép. de la Charente Maritimie, B 3087. 17. Min. Maignac du 24 janvier 1784. chanoine dans la même ville mourra dans la prison parisienne des Carmes lors des massacres de septembre 1792. Jonzac abrite un autre foyer de petite noblesse, celui de l'écuyer Edme Maillet de Montlouis, contrôleur ambulant des domaines du roi de la généralité de . Son épouse, Marie-Anne Marguerite Gilbert, lui a apporté la minuscule seigneurie de la Cannonerie, à Réaux ; devenue veuve en 1793, elle fait faire l'inventaire des meubles de leur communauté qui se monte à près de 100 000 livres L'argent ne lui manque donc pas. Dans les environs, il n'en est pas toujours ainsi. Ne parlons pas du marquisat d'Ozillac-Cham- pagnac dont la forteresse a été ruinée au moment de la Fronde et qui appartient au comte de Jon- zac. Au nord, les manoirs de Clam et de Saint-Germain de Lusignan paraissent encore en assez bon état ; mais leurs possesseurs, les Mercier Dupaty de Clam vivent à La Rochelle et à Paris. Le logis de Réaux, bien délabré, a été acheté par la famille Martell ; de même, les seigneuries de Clion et de Lussac ont été acquises coup sur coup par Charles Lys qui a fait fortune dans le commerce triangulaire En ce qui concerne Allas-Bocage, le propriétaire, Jacques-Antoine de Nossay, habite Niort ; la gestion a été telle que le grand étang, qui en constitue pourtant le principal revenu, n'a presque plus d'eau, une partie de la digue s'étant effondrée, faute d'entretien Deux exceptions cependant : les Delaage, seigneurs de Meux et de Saint-Germain de Vibrac, qui résident sur place et, surtout, le marquis du Chillau. Marie-Charles du Chillau, marquis du Chillau et d'Airvault, baron de Moings et d'Allas-Cham- pagne, seigneur de Saint-Simon de Bordes, fils de Gabriel-Joseph et de Louise-Françoise-Marie Anne Poussard du Vigean, est né en 173422. Sa carrière militaire l'a conduit en Allemagne pendant la guerre de Sept Ans. Devenu colonel, il a participé à la guerre d'Amérique et a été nommé, en 1778, gouverneur de Saint-Domingue. Il a démissionné en 1781, a été promu général de camp en 1782, commandeur de Saint Louis en 1783 puis gouverneur général des Iles sous le Vent en 1788. Une carrière aussi prestigieuse ne lui a pas fait négliger les biens qu'il tient de sa mère. Il a profon- dément rénové sa demeure de Saint-Simon de Bordes et ne manque jamais de mettre la main sur toutes les terres susceptibles d'arrondir ses propriétés. Il est une exception à tous points de vue dans une région désertée par son aristocratie : il a un passé glorieux, beaucoup d'argent, des relations, une vaste culture ; il rebâtit ses résidences et surveille ses domaines. Quand les Jonzacais évoquent la noblesse, ce n'est pas toujours à leur vieux comte ni aux rares hobereaux du voisinage qu'ils pensent, mais à lui que tous connaissaient et que tous respectent. Il apparaît comme le grand seigneur local, et cette seule constatation lui vaudra de cruels déboires. Ce relatif effacement du second ordre, est-il compensé par un rôle plus actif du clergé ?

II.— LES RELIGIONS 1/ Les catholiques Ce clergé ne manque ni de personnel ni de moyens financiers. Commençons par l'église paroissiale où officient le prieur et son vicaire. Le premier, Simon-Pierre de Ribeyreys, chanoine

18. Min. Pelligneau du 12 frimaire 1793. 19. Min. Pelligneau du 26 juin 1792. 20. Min. Pelligneau du 3 prairial an VI. 21. Min. Chastellier du 10 janvier 1788. 22. Un millénaire d'histoire de Jonzac, p. 172. 23. Min. Landreau du 23 juin 1764. régulier de la congrégation de Chancelade, né dans une famille de petite noblesse du Périgord, s'y est installé le 11 février 1777 avec l'intention bien arrêtée d'y passer une vieillesse heureuse. Il a immédiatement entrepris de faire réparer son presbytère ce qui lui a valu quelques difficultés : les Jonzacais n'entendaient nullement participer aux frais car ils connaissaient très bien ses revenus Essayons à notre tour d'évaluer les plus apparents. Il dispose d'abord de la totalité de la dîme perçue au 1 /13 des récoltes. Le dernier bail date de 1786, il a été consenti à deux marchands que nous aurons l'occasion de retrouver : le protestant Antoine Faure et Louis-Robert Genty de Boisgiraud25. Ils se sont engagés à lui verser 3 000 livres par an et quelques prestations en nature, soit un total de 3 250 livres. Depuis 1746, la cure possède aussi un domaine rural, le logis noble du Fresne, à Fontaine d'Ozillac, avec les terres qui en dépendent. S'il n'est pas effrayé par le mauvais état des lieux, le prieur peut, comme n'importe quel notable, aller passer quelques jours chez lui, à la campagne. Le métayage rapporte 270 livres Simon-Pierre de Ribeyreys prend ainsi place parmi les plus riches rentiers de la ville, et cela provoque bien des jalousies. Ses collègues du voisinage ne bénéficient pas tous d'une telle aisance mais ne connaissent pas pour autant la gêne. Retenons la seule dîme. A Meux où le poste vient d'être occupé par un ami de Ribeyreys, Bernard Brousse de Beauregard, futur député aux États-Généraux, le prieur perçoit 1 800 livres par an ; celui de 4 000 livres ; celui de Saint-Germain de Lusignan doit par- tager mais il lui reste 1 400 livres. D'autres sont moins favorisés ; celui d'Usseau se contente d'une portion congrue de 700 livres et celui de Lussac, compte tenu de la petite taille de sa paroisse, reçoit la même somme Le vicaire, qui accomplit une bonne part du travail pour une faible rémunération, n'est qu'une sorte de prolétaire. Dans cette fonction, Jonzac vient de connaître d'étranges personnages. Nous aurons l'occasion de retracer très longuement la carrière de Jacques-Alexis Messin ; n'y in- sistons pas pour l'instant. Contentons-nous de tracer un rapide portrait de Jacques Roux, celui de 1787, qui est appelé à une célébrité certaine. Pour ce faire, empruntons quelques lignes à Mon- sieur Jean Glénisson : « Petit-fils de juge sénéchal, fils d'officier subalterne, il est chanoine de Pranzac en Angoumois. Partout où il est passé jusqu'ici, il a eu une conduite inquiétante. Pro- fesseur de philosophie au séminaire d'Angoulême, il a été mêlé à une obscure affaire de meurtre. Le scandale a été grand. Il a été éloigné, est passé dans le diocèse de Saintes puis a été vicaire à . Il y a écrit des poèmes diffamatoires, s'est bruyamment dis- puté avec le journaliste Bourrignon qui publie alors « le Journal de Saintonge et An- goumois ». Le voilà pour quelques mois à Jonzac. Si vous voulez bien, nous allons le suivre après son départ de notre ville. En 1788, il est à Saint-Thomas de Conac et y déclenche des troubles en avril 1790. Le voilà à Paris, vicaire constitutionnel de Saint Nicolas des Champs. Le 21 janvier 1793, nous le retrouvons dans la charrette qui con- duit le roi à l'échafaud. Eh oui ! ce vicaire de Jonzac, c'est le futur continuateur de l'« Ami du Peuple » de Marat, le chef des Enragés, l'homme qui, condamné à mort par le tribunal révolutionnaire, se poignarde en entendant la lecture de l'arrêt »

24. Min. Pineau du 14 février 1777. 25. Min. Pelligneau du 11 janvier 1786. 26. Min. Pelligneau du 18 juillet 1790. 27. Arch. dép. de la Charente Maritime, C 129. 28. Jean Glénisson, Jonzac, ma ville sous Louis XVI, dans Le Bulletin de la Société des Archives historiques de Saintonge et d'Aunis, Nouvelle série, II années 1977-1978. Quittons le « quartier Saint-Gervais » et transportons-nous à l'autre extrémité de la ville, au couvent des Carmes. Nous le trouvons bien peuplé puisque l'effectif ordinaire n'est que de trois moines et qu'en 1789, il y en a quatre : le prieur André Lavergne, le syndic (et trésorier) Joseph Duluc, les révérends pères Benoît Girard et Chrisostome de Marignac. En cette fin d'Ancien Régime, ils se mêlent peu aux affaires locales, ils n'ont plus, comme autrefois, le devoir de tracasser les protestants ; ils s'occupent à seconder ou à remplacer les curés des paroisses voisines et à dire des messes pour le repos des âmes de leurs bienfaiteurs. Ce ne sont pas non plus des malheureux. En 1788, la déclaration des « revenus effectifs de tous les biens-fonds pour servir de base à la fixation des deux vingtièmes » leur attribue, « tant en rentes qu'en domaine qu'ils régissent », un total de 1 935 livres par an, peut-être un peu plus au cas où ladite déclaration n'aurait pas été tout à fait sincère Le « domaine » en question se limite à peu de chose : un enclos de cinq journaux, une maison en ville, une minuscule borderie à Lussac, quelques lopins de vignes et de bois à Saint-Simon de Bordes. Nous abordons ainsi une question qui a fait couler beaucoup d'encre, celle des biens de main- morte, futurs biens nationaux de première origine. Chacun sait que, globalement, l'Église de disposait d'un patrimoine foncier considérable, âprement convoité par la bourgeoisie mais aussi par les paysans. Nous venons de parler de ceux de notre église et de ceux des Carmes ; un rapide sondage permettrait d'en trouver d'autres. Un peu partout, des champs étaient rattachés à des chapelles de fondation relativement récente mais cela ne représentait pas un total bien considé- rable. On peut déjà prévoir que les prochaines ventes aux enchères ne modifieront guère la répar- tition des propriétés. Cela ne nous renseigne pas sur les convictions des catholiques. En 1744, le comte les trouvait « fort peu zélés » ; il y a beaucoup de chances pour que cela soit encore vrai, sinon pire. Quelques familles manifestent une foi ardente ; c'est le cas des hommes de loi, des Dallemand, des Jullien-Laferrière et d'une façon générale, de la plupart des nouveaux-venus. Beaucoup ont un fils prêtre ; l'obligation de consentir un « titre clérical », c'est-à-dire de fournir au jeune homme une rente annuelle de 100 livres et, par conséquent, un capital de 2 000 livres, écarte en effet les candidats peu fortunés. On ne peut dire la même chose de la plupart des Jonzacais. Il y a beaucoup de chances de trouver parmi leurs ancêtres quelques religionnaires qui ont fini par adopter le culte officiel sous la contrainte ou, tout simplement, par lassitude. Le petit peuple des artisans et même des laboureurs ou des journaliers se montre volontiers anticlérical, toujours disposé à critiquer le clergé en général et son curé en particulier avec une accusation qui revient souvent : la malhonnêteté. A cet égard, le conflit qui oppose, à partir de 1777, les habitants d'Ozillac et leur « pasteur » peut apporter une excellente illustration : « Il fut dellibéré (...) pour le bien de l'église de la présente paroisse et pour le service divin entr'autre choses que le gros décimateur seroit assigné pour fournir un viquaire secondaire, Mr le Curé de la présente paroisse n'étant point à même, eu égard à l'incomodité d'estomach dont il est fatigué tous les matins, de fournir les secours necessaires et surtout eu égard à la grande étendue de la paroisse qui a plus d'une lieux de long sur trois quart de lieux de large, et encore eu égard au grand nombre d'habitans qui s'élève à plus de 800 communiants ; de sorte qu'il parut necessaire de demander qu'il y eut deux messes les jours de dimanche et fêtes, n'étant pas possible à la plus part des paroissiens d'assister au service divin lorsqu'il n'y a qu'une messe, soit à cause

29. Arch. dép. de la Charente Maritime, C 129, p. 138. L'impression de cet ouvrage a été réalisée dans les Ateliers de l'Imprimerie Bordessoules à Saint-Jean-d'Angély, en Charente-Maritime, il a été achevé d'imprimer le quinze mai mil neuf cent quatre-vingt-six

Dépôt légal mai mil neuf cent quatre-vingt-six

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La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

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