Bernard Émié
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mercredi 17 juin 2020 LE FIGARO 8 SOCIÉTÉ Bernard Émié : « L’ADN de la DGSE reste l’action secrète et la lutte clandestine… » Alors que la France commémore les 80 ans de l’appel du 18 juin, le patron de la Direction générale de la sécurité extérieure explique comment les espions puisent leurs valeurs dans celles des héros de la France libre. PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN CHICHIZOLA ET CHRISTOPHE CORNEVIN £@ccornevin RENSEIGNEMENT Bernard Émié, dont la parole est rare, livre un en- tretien exclusif au Figaro. Le pa- tron de la DGSE y détaille en quoi le renseignement et l’action de ses agents à l’étranger sont toujours des outils majeurs pour défendre l’indépendance et la souveraineté de la France. LE FIGARO. - Le 1er juillet 1940, quinze jours après son appel du 18 juin, le général de Gaulle jette les bases des services spéciaux de la France libre, « tirés du néant», comme il l’écrit dans ses mémoires de guerre. Pouvez-vous nous rappeler les circonstances de cette naissance difficile et les principales leçons historiques que vous en tirez pour la DGSE, héritière de ces services ? Bernard ÉMIÉ. – Le bureau central de renseignement et d’action (BCRA) prend sa source dans les conditions chaotiques de la défaite et de l’appel du 18 juin. Le 1er juillet 1940, un jeune capitaine du génie, André Dewavrin, alias le colonel Passy, se voit confier la création ex nihilo d’un service de renseigne- ments. Avec peu de moyens, d’ar- gent, de locaux, il crée ce service avec des sections d’action militai- re, de documentation militaire, de Cent vingt-neuf membres des Pour le patron pour que les agents se sentent dé- pour honorer leur mémoire, rap- autorités une capacité autonome contre-espionnage ou encore la services spéciaux ont été décorés du renseignement positaires de cet héritage. La di- peler que leur appartenance au d’appréciation pour conserver en liaison avec la Résistance. Sans de la croix de la Libération, français, Bernard Émié, versité des profils, avec des mili- service les exclut des formes habi- tout temps notre autonomie stra- aucune expérience de l’espionna- dont 43 Compagnons morts pour « la DGSE éclaire taires, des civils, des hauts tuelles des commémorations, ce tégique. Il nous faut d’abord ge, il va inventer le service spécial à la France. Mais il a fallu attendre le dessous des cartes fonctionnaires ou encore un écri- qui est parfois difficile à compren- compter sur nos propres forces et pour garantir la française, un modèle qui intègre 2018 pour que les unités militaires vain, rappelle d’ailleurs le brassa- dre pour les familles. Sur ce mo- des moyens importants ont été la souveraineté à la fois l’action clandestine et le de la DGSE se voient remettre de la France ». ge que l’on retrouve à la DGSE nument, chaque bleuet représen- consacrés aux services de rensei- renseignement. Pour la première la fourragère de l’Ordre FRANÇOIS BOUCHON/ avec des spécialistes du droit, des tant un agent mort porte à son gnement. La DGSE, qui mutualise fois, sa formidable organisation est de la Libération. Pourquoi LE FIGARO relations internationales, des revers, dissimulé, ses nom et pré- une partie des moyens techniques subordonnée au politique et non cette reconnaissance tardive ? scientifiques ou encore des nom ou son pseudo et l’année de de l’État, a des capacités fortes. plus au militaire. Passy a lancé les D’abord, rappelons que le général militaires. son décès. Quand une famille Mais nous sommes plus efficaces bases de ce qu’est la DGSE, en de Gaulle, dans l’impossibilité vient, nous pouvons lui dire : ce en partenariat, pour démultiplier grande partie l’héritière du BCRA. alors de décerner la Légion d’hon- Du suicide de Pierre Brossolette bleuet, c’est votre mort. En ac- notre efficacité. Le partenariat est Dans sa vision de la libération de la neur, a créé il y a presque quatre- et de tant d’autres pour éviter ceptant d’inaugurer ce monu- donc une valeur ajoutée mais un France, le général de Gaulle a voulu vingts ans l’Ordre de la Libération de parler sous la torture ment, le 8 novembre 2019, dans service de renseignement ne doit un tel service, essentiel pour l’ac- pour récompenser ceux qui pren- à l’enfer concentrationnaire vécu l’intimité du service et en présen- jamais être complètement dépen- tion clandestine et son projet poli- nent tous les risques pour chasser par Laure Diebold, collaboratrice ce des familles, le président de la dant de partenaires pour pouvoir tique. Aujourd’hui, le renseigne- l’occupant. C’est au nom de cette de Daniel Cordier et de République a adressé un immense fonctionner correctement. ment et l’action clandestine sont filiation que, sur décision du pré- Jean Moulin, les valeurs portées message de reconnaissance. toujours des outils majeurs pour sident de la République, la minis- par ces hommes et ces femmes En 1942, l’ennemi défendre l’indépendance, la sou- tre des Armées a remis le 17 sep- du BCRA fondent-elles toujours Renseignement, action et l’objectif étaient clairs. veraineté, la grandeur, le rayonne- tembre 2018, dans la cour des celles de votre service ? clandestine… Se bat-on en 2020 Quels sont les menaces ment. Nous nous inscrivons dans Invalides, la fourragère aux cou- Ces héroïnes et héros, souvent in- comme on le faisait en 1942 ? à contrer, les défis l’histoire du BCRA et de la Résis- leurs vert et noir aux sept unités Quand connus, laissent à la France en gé- Les méthodes ont bien sûr évolué à relever pour préserver tance. Elle nous oblige et nous vou- militaires du service, en présence « les agents néral et aux héritiers du BCRA que et ne sont en rien comparables en une France libre lons la transmettre à nos jeunes. d’Hubert Germain, un des quatre de la DGSE, nous sommes en particulier une terme de moyens. Mais les objec- au XXIe siècle ? derniers Compagnons. Un insigne trace indélébile. Tous incarnent le tifs sont les mêmes : notre ADN La lutte contre le terrorisme visant En 1944, le général Bedell Smith, de filiation nominatif est par seul service corpus de valeurs que porte la profond reste l’expérience de l’ac- le territoire national reste un ob- chef d’état-major américain, ailleurs remis aux personnels ci- spécial DGSE et dont l’acronyme, Leda, tion secrète et de la lutte clandes- jectif stratégique, dans un parte- remercie le BCRA. Au cours vils, parce qu’eux aussi s’inscri- agissant reflète l’idée d’engagement au tine au service de la France. Un nariat permanent et complice du seul mois de mai, écrit-il, soit vent aussi dans la filiation de cette service de la patrie. « Loyauté » service de renseignement a voca- avec nos « cousins » de la Direc- juste avant le débarquement de « chevalerie prestigieuse ». J’ai à l’étranger, d’abord, à l’image de François De- tion à chercher des informations tion générale de la sécurité inté- Normandie, « sept cents rapports porté personnellement ce dossier travaillent limal, jeune champion de boxe di- cachées, confidentielles et secrè- rieure. Au plan international, la télégraphiques (de renseignement) pour en perpétuer l’esprit, aux cô- dans des pays plômé de Science Po qui va mener tes. Les informations obtenues ont coopération avec nos homologues et trois mille rapports tés de l’Ordre de la Libération qui des missions de renseignement et des conséquences considérables comme avec les armées est indis- documentaires sont arrivés a donné son plein accord. Si la cibles, de parachutage avant de se faire en termes d’action : celles qu’ob- pensable pour lutter contre cette de France à Londres ». Quel a été culture du renseignement est de ils évoluent arrêter par la Gestapo et de se sui- tient le BCRA sur les trains alle- menace visant nos intérêts. L’éli- le rôle joué par le service et ses plus en plus ancrée parmi nos dans un cider en avalant sa capsule de cya- mands qui convergent vers la mination par les forces françaises membres dans la victoire finale ? hautes autorités, il nous faut la nure à 22 ans… « Exigence » aussi, Normandie et vont être sabotés d’Abdelmalek Droukdel, chef Ce rôle a été capital pour permet- renforcer dans l’esprit du public, environnement comme l’a illustré Pierre Brosso- pour rendre le débarquement d’al-Quaida en Afrique et qui était tre à la France d’être à la table des tout comme le lien armée-nation. contraint lette, dont l’incroyable destin, moins difficile rejoignent d’une un subordonné d’Oussama Ben vainqueurs, ce qui n’allait pas de Je me souviens de cette formule et risqué mené jusqu’au sacrifice, nous est certaine manière les renseigne- Laden, vient d’en administrer la soi. Le BCRA a d’abord joué un rôle prononcée lors d’un colloque sur connu ; « Discrétion », incarnée ments qu’obtient la DGSE aujour- preuve la plus flagrante. Cette majeur dans l’unification de la Ré- le renseignement : « Au Royaume- soit parce que par Laure Diebold, qui fut une ex- d’hui pour entraver des flux proli- opération est d’une portée majeu- sistance. Le renseignement a été Uni, le renseignement suscite de la c’est une zone traordinaire agent de liaison, et, férant et empêcher qu’un pays se re. Même si l’État islamique et al- aussi un atout valorisé auprès des fierté, en Allemagne de la méfiance de guerre, enfin, « Adaptabilité », ainsi que dote d’armements interdits. Les Qaida ont été largement étêtés et alliés. et en France, de l’indifférence.