Les Décors De Faust À L'opéra De Paris (1869-1908)
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Les colloques de l’Opéra Comique L’interprétation lyrique de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle : du livret à la mise en scène. Mars 2011 sous la direction d’Alexandre DRATWICKI et Agnès TERRIER Les décors de Faust à l’Opéra de Paris (1869-1908) Mathias AUCLAIR & Pauline GIRARD Écrire l’histoire du décor à l’Opéra de Paris au XIXe siècle conduit à devoir composer avec un paradoxe qui touche la conservation des sources : les documents archivistiques sont nombreux et l’iconographie relativement maigre pour le premier tiers du XIXe siècle. Passé les années 1830, les archives sont plus rares et les documents iconographiques plus nombreux. Les raisons qui expliquent cette situation sont bien connues : en 1822, l’Opéra de Paris se sépare de ses décorateurs permanents et confie la conception et la réalisation de ses décors à des entrepreneurs privés, en situation de monopole, qui n’ont laissé aux institutions publiques de conservation que peu d’archives quant au fonctionnement de leur atelier1. Faust de Charles Gounod, en dépit de son extrême popularité – depuis son entrée au répertoire en 1869, il est l’un des opéras les plus représentés à l’Opéra de Paris – n’échappe pas à cette règle et c’est donc sans archives administratives, ou presque, qu’il convient d’étudier les décors qui ont été conçus pour cet ouvrage, au XIXe siècle, à l’occasion de trois productions : celle de 1869 – alors que l’Opéra est encore rue Le Peletier – dans une mise en scène du directeur lui-même, Émile Perrin ; celle de 1875 au Palais Garnier dans une mise en scène de celui qui avait permis la création de l’œuvre au Théâtre-Lyrique, Léon Carvalho ; celle de 1893, enfin, toujours au Palais Garnier, dans une mise en scène du régisseur général de l’Opéra, Alexandre Lapissida. La première production de Faust à l’Opéra au XXe siècle est celle de 1 Mathias AUCLAIR, « L’atelier des décors de l’Opéra (1803-1822) », Revue de la Bibliothèque nationale de France, 37 (2011), p. 5-10. ! L’interprétation lyrique de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle : du livret à la mise en scène. Mars 2011. Mathias AUCLAIR & Pauline GIRARD, « Les décors de Faust à l’Opéra de Pars (1869-1908). » 1908. Confiée au nouveau régisseur général de l’Opéra, Paul Stuart, elle constitue le manifeste artistique des nouveaux co-directeurs, André Messager et Leimistin Broussan, et doit proposer une nouvelle lecture scénique – en rupture avec les mises en scène précédentes – du chef-d’œuvre de Gounod. Elle marque sans nul doute un tournant esthétique et semble donc devoir constituer le terme de cette étude. Comment Faust entre- t- il au répertoire de l’Opéra ? Commandé à Charles Gounod par Léon Carvalho, Faust est destiné au théâtre que dirige ce dernier, le Théâtre-Lyrique2. Redoutant la concurrence du Théâtre de la Porte Saint-Martin, « l’Opéra du peuple », qui annonce la création prochaine du Faust d’Adolphe d’Ennery dans une mise en scène à grand spectacle3, Carvalho renonce au projet. Le compositeur propose donc son nouvel ouvrage au directeur de l’Opéra de Paris, Alphonse Royer, qui, en dépit de l’estime qu’il porte au compositeur, refuse lui aussi de créer Faust en raison du spectacle que le Théâtre de la Porte Saint-Martin promet de donner « avec un grand luxe de mise en scène ». En outre, il ne souhaite pas que l’Opéra donne l’impression de « copier un théâtre secondaire4 ». Le Théâtre de la Porte Saint- Martin remettant sans cesse la première de son spectacle, Carvalho décide finalement d’accepter l’opéra de Gounod qui est créé le 19 mars 1859 au Théâtre-Lyrique dans des décors de Joseph Thierry et Charles Cambon5. La faillite du Théâtre-Lyrique permet au nouveau directeur de l’Opéra, Émile Perrin, de faire entrer au répertoire de son théâtre, en 1869, l’œuvre de Gounod, alors que cette dernière a déjà connu le succès en France et à l’étranger : Faust sera représenté cet hyver au théâtre de l’Opéra en vertu d’un traité conclu entre Mrs Gounod, Jules Barbier, Michel Carré et le directeur de l’Opéra. Les auteurs de Faust étant, par la faillite du Théâtre Lyrique, rentrés dans la libre possession de leur ouvrage, ils en ont disposé en faveur de l’Opéra. Leur résolution ne saurait qu’être approuvée, car Faust était 2 Steven HUEBNER, Les opéras de Charles Gounod, Arles : Actes Sud, 1994, p. 61-62. 3 Faust, drame fantastique en 5 actes, 14 tableaux, par M. Adolphe d'Ennery [Paris, Porte-Saint- Martin, 27 septembre 1858], Paris : Michel Lévy frères, 1858. 4 Bibliothèque nationale de France, Bibliothèque-musée de l’Opéra (désormais F-Po) [LAS Charles Gounod, documents sur Faust no 10 : note ms. de Martial Ténéo. Voir également HUEBNER, Les opéras de Charles Gounod, p. 63. 5 Léon CARVALHO, « Faust », Le Matin, 10 octobre 1894, F-Po [Dossier d’œuvre Faust. ! 2 bruzanemediabase.com ! L’interprétation lyrique de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle : du livret à la mise en scène. Mars 2011. Mathias AUCLAIR & Pauline GIRARD, « Les décors de Faust à l’Opéra de Pars (1869-1908). » désigné d’avance par le sentiment public comme devant prendre place au répertoire de l’Opéra6. Le choix des décorateurs Depuis sa création au Théâtre-Lyrique, Faust a déjà été beaucoup retouché : les récitatifs parlés ont été remplacés par des récitatifs chantés pour les représentations de Strasbourg en 1860 ; la scène de l’église, primitivement à la fin de l’acte IV, est placée avant la scène du duel de Faust et Valentin sur la place publique ; la partition a été remaniée pour les représentations au Théâtre- Lyrique du Châtelet en 1862 et à Londres en 18637. Toutefois, pour l’Opéra de Paris, il convient de procéder à de nouvelles modifications qui doivent faire de Faust un « grand opéra » : ralentissement des mouvements pour donner plus d’ampleur à l’œuvre8 et ajout d’un ballet au moment de la nuit de Walpurgis9. Le contrat que signe le directeur de l’Opéra de Paris, Émile Perrin, avec les librettistes et le compositeur pour les premières représentations de Faust à l’Opéra ne fait aucune mention des amendements que Charles Gounod doit apporter à son œuvre, mais révèle que la distribution a fait l’objet d’un accord entre les parties : M. Perrin s’engage envers MM. Gounod, Carré et Barbier qui y consentent et l’acceptent à représenter leur opéra de Faust dans le courant de la saison d’hiver 1868-1869, au plus tard au mois de février 1869. 6 F-Po [LAS Gounod, documents sur Faust no 9 : note ms. d’Émile Perrin. Voir également HUEBNER, Les opéras de Charles Gounod, p. 95-96 et F-Po [LAS Gounod 27 : lettre de Charles Gounod, 2 juillet 1868 : « Je soussigné déclare que si la double faillite de Monsieur Carvalho frappe de nullité le consentement que je lui ai donné avant cette faillite, de ne pas disposer de mon répertoire avant le 1er septembre 1868, je donne, mais à cette seule condition, à M. Perrin l’autorisation de faire représenter Faust et Roméo sur le théâtre du Grand-Opéra [signé] Ch. Gounod ». 7 Alain PÂRIS, Livrets d’opéra, vol. 1, Paris : R. Laffont, 1991, p. 407. Pour plus de détails, voir HUEBNER, Les opéras de Charles Gounod, p. 143 et suivantes. 8 Gustave BERTRAND, Le Nord, « Feuilleton », 8 mars 1860, F-Po [Dossier d’œuvre Faust : « Auteurs et directeurs avaient bien fait de passer outre à ces préventions ; mais la résolution une fois prise, n’y avait-il pas inconséquence et péril à modifier la physionomie de l’œuvre aux endroits les plus heureux et les plus contestés ? Toujours le même préjugé ! Craignant que Faust n’eût pas assez l’air « grand opéra », on a ralenti les mouvements en bien des endroits, - particulièrement dans le tableau de la kermesse et dans le tableau du jardin, qui sont les plus beaux de la partition. » 9 F-Po [LAS Émile Perrin 9 : lettre d’Émile Perrin à Ch. Gounod, 2 décembre 1868. F-Po [LAS Gounod, documents sur Faust no 8 : brouillon de note, [décembre 1868]. Voir également HUEBNER, Les opéras de Charles Gounod, p. 96-97. ! 3 bruzanemediabase.com ! L’interprétation lyrique de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle : du livret à la mise en scène. Mars 2011. Mathias AUCLAIR & Pauline GIRARD, « Les décors de Faust à l’Opéra de Pars (1869-1908). » Le rôle de Marguerite et de Méphistophélès seront joués par Mlle Nilson et M. Faure10. En effet, il est de coutume à l’Opéra de Paris que la distribution des rôles lors des créations donne lieu à ce type de disposition entre le directeur et le compositeur11. En revanche, le choix des décorateurs échappe totalement aux auteurs et constitue le domaine réservé du directeur de l’Opéra. Leurs noms ne sont donc pas spécifiés dans le contrat qui lie les auteurs au théâtre. La procédure de recrutement des décorateurs a été précisée dans un Règlement relatif aux décorations du théâtre impérial de l’Opéra du 12 août 1863. Le directeur de l’Opéra, Émile Perrin, est un ancien peintre d’histoire et s’intéresse tout particulièrement à la mise en scène, aux décors et aux costumes12. Il réaffirme donc dans ce règlement les pleins pouvoirs de décision du directeur de l’Opéra quant à la désignation des décorateurs et à l’esthétique du spectacle : Lorsqu’il y a lieu de monter un ouvrage nouveau, les artistes désignés reçoivent du directeur toutes les indications relatives au style, à la disposition, aux dimensions des décorations de cet ouvrage et aux exigences de sa mise en scène13.